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22 mai 2017 1 22 /05 /mai /2017 17:04

Depuis la publication du billet, de nombreux lecteurs sont intervenus pour le critiquer et en améliorer son contenu.

Une première série de critiques concerne les prélèvements fiscaux auxquels les entreprises françaises sont assujetties dans des proportions bien plus grandes que dans la moyenne de la zone euro (18% du PIB contre 11% dans le reste de la zone). Un tel écart entraine aussi des taux de marge en France beaucoup plus faibles (32% contre 43% dans le reste de la zone) avec bien évidemment des conséquences sur l’investissement. Ces différences sont à examiner de près.

En premier lieu, les prélèvements en pourcentages sont d’autant plus élevés que la production est plus faible. Si le PIB français était plus élevé, à besoins de prélèvements fiscaux identiques en masse, le taux de prélèvement serait plus faible. Inversement, comme la croissance allemande est devenue structurellement plus élevée, on comprend que, cette année, la pression fiscale allemande va continuer de baisser ce qui va aggraver l’écart entre les deux pays. Ce qui compte, dans cette affaire de pourcentage de prélèvement, est autant le numérateur (masse prélevée) que le dénominateur (PIB). Ajoutons par ailleurs que la masse prélevée doit logiquement diminuer si le PIB est plus élevé en raison de besoins sociaux moindres ( moins de chômage, moins d’exclus, etc.) De fait la continuelle montée des prélèvements obligatoires en France est largement due à l’insuffisance de la croissance. Et si les prélèvements allemands commencent à diminuer c’est en raison d’une conjoncture de croissance plus élevée.

En second lieu, le poids des prélèvements résulte aussi du mode de gestion du coût de la reproduction de la force de travail. En France, le salarié reçoit le prix de sa reproduction immédiate : de quoi se nourrir, se loger, etc, en achetant directement sur le marché les biens et services nécessaires à la reproduction de la vie. Par contre, les coûts indirects de la reproduction de la vie : allocations familiales, chômage, maladie , vieillesse, etc. sont quasi entièrement socialisés et passent très majoritairement par la machinerie de la puissance publique. Depuis très longtemps mais surtout depuis la crise, ce coût est payé par les entreprises (prélèvements fiscaux et sociaux) et par de la dette émise par l’Agence France Trésor et par la CADES. Dans beaucoup d’autres pays de la zone, les salariés reçoivent davantage que le prix de la reproduction immédiate de la vie. A ce titre, au-delà de l’achat classique de biens et de services, ils doivent se livrer à l’achat moins classique de la reproduction de la vie lorsque les dits salariés sont malades, sont âgés, etc.

Si donc, il existe une grande différence dans le niveau de prélèvements publics obligatoires cela résulte de ces 2 causes : production davantage bloquée en France et mode spécifique des modalités concrètes de gestion du coût de la reproduction de la force de travail.

Parce que dans l’idéologie macronienne ce sont les prélèvements publics obligatoires qui expliquent la faiblesse de la production, il faut les diminuer en affaissant globalement les charges indirectes liées à la reproduction de la force de travail. Comme il est difficile de s’attaquer au salaire direct en raison des rigidités du marché du travail, ( difficile de supprimer les conventions collectives, les contrats à durée indéterminées, etc) , on s’attaque aux retraites, à la sécurité sociale, la valeur des logements etc.

La seconde série de critiques concerne la dette elle-même. C’est bien la dette publique de la France -et bien sûr toutes les autres dettes publiques- qui, nourrissant les soi-disant cigales…,nourrissent en retour des entreprises allemandes produisant beaucoup plus que les débouchés nationaux du pays. Sans ces dettes, les salariés français ne pourraient pas acheter les marchandises allemandes. La dette publique est donc bien ce qui permet d’équilibrer un monde fort mal organisé[JCW1] où les excédents et déficits commerciaux ne sont en aucune façon pris en considération. Mais cette fort mauvaise organisation nourrit magnifiquement la finance puisque plus de dettes c’est aussi plus de rente, avec par exemple 41 milliards d’intérêts pour le budget français de 2017 pour un déficit global de 67 milliards.

Un monde mieux organisé est ce que nous tenterons d’examiner dans la seconde partie du billet. Toutefois il est clair que la rente sur la dette publique n’est en aucune façon justifiée par des lois générales universelles et intemporelles. L’histoire nous apprend qu’il n’en fut pas toujours ainsi, ce qui nous permet de renvoyer le lecteur vers un livre très éclairant et trop méconnu[1]. Maintenant la théorie « Néochartalienne » de la monnaie confirme l’histoire, ce qui nous renvoie à d’autres publications[2]. Enfin le simple bon sens débouche sur l’étonnement : comment se fait-il que les Etats acceptent de payer un loyer sur leur propre monnaie ?

Pour comprendre ce qui est une évidence masquée, prenons une image : le lecteur connait-il un univers où il serait juridiquement interdit au propriétaire d’un verger d’en récolter les fruits et où , dans le même temps, il lui serait assignée l’obligation d’acheter les fruits d’un propriétaire voisin ? Il est bien clair que dans un monde remis sur ses pieds ce serait sur injonction du Trésor, et bien sûr sous contrôle démocratique, à la banque centrale d’émettre de la monnaie , une monnaie non artificiellement appuyée sur une dette.

 

 

 

[1] « L’ordre de la dette- enquête sur les infortunes de l’Etat et la prospérité des marchés » ; Benjamin Lemoine ; La découverte ; 2016.

[2] Nous renvoyons ici à l’excellent blog du trop vite disparu jean-baptiste Bersac et à ses nombreux billet et ouvrage. https://frappermonnaie.wordpress.com/

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19 mai 2017 5 19 /05 /mai /2017 13:24

En simplifiant les choses, on sait que la richesse produite annuellement par la France est inférieure à ce qu’elle dépense. Cela se manifeste par de la dette publique auprès de souscripteurs étrangers, et cela se manifeste par un déficit des échanges extérieurs. On retrouve là l’idée de « cigale » tant vilipendée : les Français disposent de revenus qui excédent ce qu’ils produisent et qu’ils dépensent sans se soucier des conséquences possibles. En refusant obstinément d’aller plus loin dans l’analyse, donc en se contentant de faits aussi bruts, comment ne pas faire rire le bon peuple au regard de ceux qui, taxés de keynésiens, évoquent la relance par l’accroissement de la demande sous l’égide de l’Etat ?

Concrètement, il faudrait par conséquent diminuer ces revenus excessifs afin qu’ils correspondent à la production. Et c’est bien ce que l’on véhicule à l’unisson : « nous n’avons plus les moyens de vivre comme l’on vit depuis si longtemps ».

On sait que ces revenus dits "excessifs" sont grossièrement des revenus du travail auxquels il faudrait ajouter les revenus du capital. Le capital étant plus mobile que le travail, il faut diminuer les revenus du travail, et surtout ne pas toucher à ceux d’un capital qui pourrait fuir et s’investir à l’étranger. De quoi produire encore moins et élargir le fossé qui fait de ces français de vraies cigales. On comprendra par conséquent que, jamais dans le « langage main Stream », on ne pourra dire que les revenus du capital sont excessifs.

Jadis, les cigales étaient sanctionnées par une baisse du taux de change : la dévaluation facilitait les productions nationales et amputait les revenus réels distribués par la hausse des prix des marchandises importées. Et, bien sûr, cette dévaluation intervenait lorsque les caisses étaient vides : il n’y a plus de devises acquises sur des exportations trop réduites pour payer des importations trop abondantes.

Aujourd’hui, ce mécanisme d’ajustement a largement disparu avec la complexification des échanges et surtout la disparition de l’outil "taux de change" résultant de l’implantation d’une monnaie unique au sein de l’Europe : on échange un euro allemand contre un euro français. Et tant que l’euro existe, il en sera toujours ainsi.

Le lecteur, même averti, pourrait se dire qu’au fond cette monnaie unique est un immense avantage puisque nous pouvons payer nos comportements de cigales en demandant aux banques et à la banque centrale d’émettre suffisamment de monnaie pour continuer la fête et remplir nos magasins de marchandises importées. Les allemands qui nous livrent certaines de ces marchandises veulent être payés en euros et cela tombe bien puisque nous les fabriquons. Hélas, il n’en est pas ainsi et les règles de la monnaie unique imposent une grande rigueur en matière de création monétaire. Il en résulte que faire la fête et inonder le pays d’importations passe par de la dette publique. Propos qui méritent une explication.

On comprend aisément que, globalement, les entreprises produisant sur le territoire n’aiment pas les cigales et menacent de délocaliser si les salariés exigent des rémunérations plus élevées que celles ayant cours dans d’autres pays. Comment faire la fête sous la contrainte de salaires plus ou moins bloqués ? Cela passe largement par de la dette publique et correspond concrètement aux parties du coût global du travail non payé par les entreprises. Mais pour saisir cela il faut passer par Marx. Ce dernier, grand économiste, ne parlait pas de salaire et évoquait l’idée de «coût de la reproduction de la force de travail» laquelle est constituée, outre le salaire direct, de la totalité des dépenses annexes : formation des salariés, soins médicaux, entretien lors des phases inactives de la vie des salariés ( chômage, maladie, retraite), entretien des inaptes au travail (handicapés, accidentés) , etc. Globalement, nous avons derrière ces éléments les immenses dépenses sociales de la France… qu’on ne peut financer en détruisant les capacités productives des entreprises par le biais de la prédation fiscale ( sinon fuite et encore moins de richesses produites). Les entreprises n’acceptent que fort mal de supporter le coût de la reproduction de la force de travail ni par les charges sur les salaires ni par l’impôt. Elles demandent donc à l’Etat de s’en charger pour partie sans lui en donner les moyens…un Etat qui va s’acheminer vers des dépenses sociales en partie financées par de la dette.

Et donc, le chiffre d’affaires des magasins et des entreprises est ainsi partiellement la contrepartie d’une dette publique figurant dans des revenus qui ne correspondent à aucune production. Ce comportement de cigale pourrait sans doute se pérenniser, mais il débouche sur de possibles crises financières d’une grande violence à l’instar de celle de 2008. Quant à nos amis allemands, ils n’acceptent pas d’être payés avec la planche à billets , mais ils ne peuvent non plus accepter d’être payés avec une dette continuellement croissante et vis-à-vis de laquelle la méfiance s’impose. Curieusement, les allemands se nourrissent des cigales sans lesquelles leur production resterait partiellement stockée dans les usines du pays… mais ils s’en méfient puisque de fait cela mène à des crises financières potentiellement de plus en plus dangereuses…

Ce petit raisonnement bien simple que l’on vient de mener, explique pourquoi nos amis allemands ne se soucient pas du déficit abyssal de nos échanges extérieurs, et qu’ils s’intéressent bien davantage à l’équilibre des finances publiques françaises pour lesquelles la solution des réformes structurelles touchant toutes le coût du travail apparaissent comme les véritables solutions…. à notre compétitivité...

Les allemands n’ont aucun intérêt à nous voir plus productifs et ainsi gêner un comportement de fourmi. Il n’existe aucun intérêt à multiplier le nombre de fourmis qui vont se faire concurrence. Ce qui intéresse les allemands c’est le dangereux déficit budgétaire français. Pour eux, l’équilibre budgétaire est une fin en soi. Pour nous, il est le moyen permettant une autre fin qui est la compétitivité.

Il serait temps de mettre en évidence l’ambiguïté des propos des dirigeants allemands repris par les médias. Lorsqu’ils parlent de réformes structurelles pour la France, il s’agit bien toujours de procéder à une dévaluation interne portant sur le seul coût du travail. Mais cette dévaluation n’est que le moyen d’une fin qui est l’équilibre des comptes publics, un équilibre qui sécurise un système financier et donc une monnaie qui est elle-même le moyen le plus sûr de pérenniser l’énorme excédent des échanges extérieurs allemands, et donc un mercantilisme assurant un relatif plein emploi….en Allemagne…

Dans le cadre d’une double propagande massive de soutien au candidat Macron et de décrédibilisation des candidatures souverainistes, les dirigeants allemands ont procédé et continueront de procéder à un calcul coût/avantage au terme duquel il leur faut accepter le risque, à moyen terme, d’une meilleure compétitivité de la France pour sécuriser, au moins à court terme, le dispositif monétaire et financier propre à la zone euro. L’Europe ne se construit avec l’Allemagne que sur la seule base des intérêts allemands. De ce point de vue, le nouveau président français, en procédant aux futures réformes structurelles qualifiées d’indispensables à la France, sera amené à devenir président comprador.

Il est  pourtant des réformes structurelles plus avantageuses : celle de la dévaluation externe que nous examinerons dans un prochain billet en la comparant à la dévaluation interne.

 

 

 

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6 mai 2017 6 06 /05 /mai /2017 05:00

Durant la campagne les électeurs, dans le tumulte politico /médiatique, n'ont rien compris à cette histoire de retour à la souveraineté monétaire. Il est vrai aussi que le monde universitaire est lui aussi resté muet. Nous voudrions ici éclairer la question à parti d'un texte déjà ancien publié sur le blog. Ce texte , même s'il est accessible à tout citoyen, n'est pas de lecture facile et suppose un peu de recul et d'attention. C'est le prix d'une information correcte dans ce  monde nouveau de la post -vérité.

Bonne lecture.

 

Développement:

 

La grande aventure du couple infernal Monnaie/Etat

 

Dans le modèle de la « potentia multitudinis » André Orléan et Frédéric Lordon[1] nous ont donné un explication satisfaisante de la sélection du métal précieux comme base monétaire. Le paradigme de la rivalité mimétique, emprunté à René Girard[2], est sans doute le bon outil pour expliquer que la monnaie, invention des hommes, correspond aussi le plus souvent à un processus d’aliénation, ce que nous appelons la loi d’airain de la monnaie. La monnaie est pure convention sociale, mais elle est aussi, le plus souvent, une implacable contrainte et l’histoire des crises monétaires nous montre qu’il est difficile de s’en affranchir.

Pour autant, la loi d’airain résulte aussi de la progressive montée de l’économie dans les communautés humaines.

 

Montée de l’économie et promotion du métal précieux

 

Lorsque dans les sociétés primitives, le face à face entre individus est permanent, Marcel Mauss[3] nous a appris que, si échange il y a, celui-ci peut être simple échange de dons ou échanges de valeurs économiques, dont le but n’est pas le profit mais simplement celui d’assurer la simple lutte contre l’entropie : il faut bien manger, s’habiller, etc. et donc produire les valeurs d’usages correspondantes dans une quantité suffisante - sans surplus- pour assurer la reproduction de la société. Dans ce type de monde, si des signes monétaires se mettent à circuler, on ne peut les considérer comme équivalents aux nôtres, car ils ne sont probablement pas réserve de valeur et ne sont probablement pas thésaurisés. Les monnaies en question, ne sont probablement pas du métal précieux et ne sont, conventionnellement, que des signes comptables matérialisant le crédit que se font des échangistes, qui se connaissent et vivent par ailleurs dans un tissu social extraordinairement dense résultant du holisme ambiant. Les monnaies correspondantes sont ainsi probablement l’équivalent de nos monnaies locales.

Ces monnaies perdurent le plus souvent alors même que les monnaies, faites de métal précieux, commencent à circuler. Nous avons là des espaces de circulation monétaire qui ne se recoupent pas et les vieilles monnaies servent aux usages communautaires traditionnels (le dedans), tandis que les autres feront circuler des marchandises beaucoup plus impersonnelles car appartenant à des inconnus et véhiculées par d’autres inconnus (le dehors). Dans l’Europe du moyen-âge, on parlait ainsi des « monnaies noires », faites de cuivre, de bronze ou de plomb que l’on opposait aux pièces faites de métal précieux. Toutefois, ce fait historique marque le passage à l’économie et si la simple lutte contre l’entropie persiste dans les cellules domestiques de base, d’autres agents s’adonnent à son dépassement avec le jeu d’un échange qui devient authentiquement économique et marchand. Avec son potentiel d’illimitation.

 

C’est ce bouleversement qui, immanquablement, doit déboucher sur l’aliénation monétaire : le métal précieux est automatiquement « élu » et devient aussi réserve de valeur. Elu car l’élargissement de l’espace de communication (le dehors) fait diminuer le capital social : la confiance, sous-produit du holisme, laisse place à la méfiance envers ceux que l’on connait moins. La monnaie ne peut plus être un symbole que l’on pourrait même ne pas utiliser, si la division du travail était extrêmement réduite. Il faut qu’elle devienne réalité, qu’elle libère de tout engagement et qu’en même temps, elle soit pouvoir d’achat général, éventuellement en attente d’une opportunité. La monnaie de métal précieux, devient ainsi la quintessence de la liquidité et réserve de valeur.

Vertu libératrice avec sa contrepartie aliénante : c’est la perte de capital social qui la met en avant en tant que paravent, face aux risques de ce qui devient l’économie. Elle devient ainsi un substitut de confiance…un ersatz, envers qui la confiance doit, en conséquence, se maintenir.

 

Nous avons là la perspective d’une grande marche vers la loi d’airain de la monnaie.

 

Il ne faut pas qu’elle soit produite malhonnêtement et il faut lutter contre les faussaires, mais en même temps, comme elle est réserve de valeur, son grand penchant est celui de devenir le vecteur de la thésaurisation laquelle va engendrer sa rareté et, probablement, sa dimension récessionniste. Elle risque de se faire trop rare et donc de réprimer l’économie, alors qu’elle résulte de la montée de cette dernière et du passage au dépassement chez les hommes de la simple et si ancienne lutte contre l’entropie. Exigence d’abondance croissante, mais aussi mise en place spontanée d’un mécanisme de raréfaction dépassant largement les raretés naturelles procurées par l’épuisement des mines.

 

Montée du politique et marche vers la centralité monétaire du métal précieux

 

Les hommes se mettent à produire et échanger plus que ce qui est nécessaire aux fins de la simple reproduction de la communauté. Ils vont ainsi connaitre les premières civilisations et parfois les empires correspondants. Mondes qui ont dépassé le strict stade de la simple lutte contre l’entropie et produisent du surplus dont la contrepartie sera une accumulation d’objets symboliques religieux et politiques : temples, objets d’arts, constructions témoignant de la puissance du prince, etc. Formes qui élargiront la fonction Réserve de valeur du métal,  métal qui sera aussi la contrepartie de ce qui est le premier investissement de ce monde nouveau : le surplus, fait d’objets symboliques dans les ordres politique et religieux, est l’investissement « macroéconomique » de ce type de société. Investissement dont le coût est la rémunération monétaire des artistes, artisans, et autres bâtisseurs de temples et de cathédrales.

La montée de l’économie et de la monnaie métallique est aussi celle de la grande aventure étatique.

 

C’est que le politique qui, dans ce type de monde, prend la place des dieux, bénéficie du statut de ces derniers et accapare leur position de créancier infini : l’impôt se substitue, partiellement, plus rarement en totalité, aux sacrifices envers les divinités. Il y aura même parfois concurrence ou complémentarité, et Périclès racontera -nécessité de la guerre oblige- qu’il fallait prélever sur les offrandes et objets sacrés de Délos de quoi financer les armées. Les entrepreneurs politiques sont ainsi - comme les dieux - des créanciers et la dette qu’on doit leur régler est bien sûr variable : dette de vie, esclavage, dépendances diverses, impôt en nature, mais aussi impôt monétaire.[4]

Et là encore, plus les prélèvements sont liquides  plus leur « pouvoir d’achat » est grand, notamment vis-à-vis d’étrangers, individus, simples mercenaires voire puissances politiques étrangères, connaissant la même aventure. On comprend par conséquent que c’est le métal précieux qui logiquement doit devenir « équivalent général », se substituant progressivement à nombre d’autres formes de prélèvements. Les princes deviennent ainsi -fait social émergent et donc spontané- les personnages centraux d’une circulation monétaire plus moderne, celle qui initie l’âge économique de l’humanité. Ce qui permet de comprendre le célèbre adage : « battre monnaie est un attribut de la souveraineté ». Mais en même temps de comprendre aussi la vocation du métal à être dissimulé et thésaurisé : la guerre peut se manifester à chaque instant et les potentialités récessionnistes du métal sont ainsi récurrentes.

La centralité monétaire est donc fondamentale. Les princes doivent y veiller, empêcher si possible l’exportation du métal, qui par exemple va saigner Rome et devenir l’une des causes de son effondrement et surtout se construire un monopole de la frappe : les hôtels des monnaies. De fait, monnaie et souveraineté se trouvent indissolublement liées. Une souveraineté soudée à la centralité monétaire qui n’est évidemment pas simple à construire si les Etats ne sont pas encore bien clairement et indiscutablement constitués.

 

Une loi d’airain avec laquelle il faudra ruser

 

La sélection du métal, comme effet du fonctionnement de la société, est aussi un fardeau pour le prince. D’un côté, elle affirme sa puissance et son pouvoir de prédation sur ces endettés désignés que constituent les sujets. Mais, en contrepartie, il faut en réguler correctement le flux si l’on ne veut pas faire face à une pénurie, source de récession ou, à l’inverse, risquer une méfiance résultant d’une abondance trop importante. Problème qui reste d’actualité pour nos modernes gouverneurs de banques centrales. Le prince a intérêt à une multiplication des signes monétaires surtout s’il lui devient difficile de pérenniser sa prédation par des voies ouvertement trop violentes : maintien de l’esclavagisme, lourdeurs des corvées, augmentation de l’impôt, etc. La conjonction d’une pénurie de métal par épuisement ou perte de contrôle de mines conjuguée à des résistances croissantes des sujets, peut l’amener à « tricher » au niveau des hôtels des monnaies. Ainsi, en France, le commandement royal de 1358 affirme sans pudeur que l’on doit préférer la monétisation à l’impôt et que le roi doit mobiliser les rentes qu’il tire de la frappe. Fait troublant, qui peut être comparé avec le comportement, il est vrai plus pudique de la BCE aujourd’hui. Cette dernière en achetant massivement de la dette publique espagnole, italienne, etc. va-t-elle soulager les contribuables correspondants ? Comparaison intéressante et sans nul doute à approfondir avec la naissance des « outright Monetary Transactions » (Transactions Monétaires Fermes) de Mario Draghi en septembre 2012.

Maintenant, si les sujets prennent conscience de la politique très classique de dilution, le prince pourra trouver d’autres méthodes, par exemple l’obligation de renouvellement plus rapide de la frappe des monnaies anciennes ou l’émission d’une nouvelle monnaie, voire la simple vente des hôtels des monnaies lesquels deviennent des charges publiques pour une bourgeoisie financière en voie de constitution.

Toute la période qui va de l’éveil de l’économie et de celui de l’Etat jusqu’à leur plein épanouissement avec les révolutions industrielles et le passage progressif à l’Etat de droit, correspond à l’histoire de cette ruse au regard de la loi d’airain.

Pendant très longtemps, la monnaie de papier est une impossible solution à la rareté, d’où des catastrophes bien connues, par exemple en France le système de Law ou celui des assignats. Un autre problème fût celui de « l’élection » de 2 métaux précieux que l’on fait circuler simultanément avec des valeurs légales (la monnaie est un fait de souveraineté) qui ne correspondent pas nécessairement à celles du marché (la monnaie baigne dans l’économie et le rapport des prix de marché de l’or et de l’argent ne correspondent pas nécessairement aux valeurs « politiquement décidées »). Nous avons là, toute la question du bimétallisme et de cette fausse solution qu’était l’Union Latine (1865), voulue par un empereur cherchant peut-être à restaurer un empire et une monnaie européenne unique. Derrière toutes ses tentatives, la « loi de Gresham »[5] s’est très souvent manifestée. Et parce qu’elle fait peur, le métal continuera à manifester son irrésistible puissance. La Grande Bretagne s’y pliera très longtemps et paiera ainsi très cher sa tentative de retour à l’étalon-or dans les années 1920. Organisant la pénurie monétaire, son Etat devait plonger le pays dans un tourbillon récessionniste mettant fin à la grandeur britannique.

La véritable cause de la loi d’airain est bien sûr la fonction réserve de valeur de la monnaie et cette fonction réserve préoccupe des groupes sociaux dont l’existence politique s’affirme en même temps que l’Etat de droit.

 

Loi d’airain et affrontements autour de la rente.

 

Lorsque les princes, prédateurs infinis, saisissent qu’il est de leur intérêt de laisser grossir une masse taxable par le biais d’une prédation plus intelligente, ils laissent l’économie s’épanouir et avec elle le groupe des entrepreneurs économiques. Un dialogue s’introduit petit à petit entre les vieux entrepreneurs politiques ( les princes) et les modernes entrepreneurs économiques. Petit à petit la prédation se transforme. Les créances que s’octroient les princes sur les sujets deviennent insuffisantes et se trouvent complétées par l’obtention de prêts en provenance des entrepreneurs économiques, en particulier financiers. La fonction Réserve de valeur de la monnaie s’épanouit et avec elle la rente, c’est-à-dire le taux de l’intérêt. Phénomène qui développe des endettements publics croissants parfois gérés par la violence de l’Etat endetté : banquiers italiens du moyen-âge, machiavéliques, expulsions des juifs avec extinction juridique des dettes de leurs débiteurs par versement du cinquième des sommes dues au Trésor royal, etc. Les exemples et procédures imaginées sont une mine sans fonds pour l’historien. Exemples et procédures qu’il serait utile de comparer avec les évènements d’aujourd’hui.(Voir développement dans prochain article).

 La marche progressive vers l’Etat de droit aboutit à un partage plus serein de la rente générée par la fonction Réserve de la valeur de la monnaie métallique et, petit à petit, contre un véritable début de partage de la souveraineté monétaire, le prince, beaucoup moins puissant, se trouve plus ou moins assuré de bénéficier des services des banquiers . Ceux-ci acquièrent, le plus souvent sans titres, un véritable droit sur la monnaie légale : ils commencent à émettre du papier au-delà de leurs réserves métalliques, ce qui correspond à un début de transfert de la fonction régalienne d’émission monétaire. En revanche, l’entrepreneur politique, de plus en plus souvent soumis à l’élection dans le cadre d’un marché politique naissant, est satisfait de voir le déficit public couvert par un achat régulier de titres producteurs de rentes. La rente perpétuelle du 19ième siècle est en même temps annonciatrice d’une classe de plus en plus nombreuse de rentiers heureux de voir des déficits publics qui ne sont que la contre-partie d’un style de vie confortable et sécurisant . Ainsi à la belle époque ( en 1900) le service de la dette publique française est-il évalué à 25% du total du budget de l’Etat, lequel représente environ 12% du PIB de l’époque. Cela correspond ainsi à un service de la dette d’environ 3 points de PIB, charge assez comparable à ce que l’on constate aujourd’hui[i][6]. Les entrepreneurs politiques devenus beaucoup plus modestes et ne rusant plus que fort modérément avec la loi d’airain –le franc germinal reste stable tout au long du 19ième siècle- prennent ainsi en charge les intérêts supérieurs des rentiers... comme jadis les princes pouvaient protéger les aristocrates.

La montée de l’Etat de droit, c’est aussi celle de l’idéologie du contrat social et de l’intérêt général. Les entrepreneurs politiques quittent leur statut de prédateur et leur reconduction au pouvoir passe par un marché fort particulier où il est question de services publics dont le coût est financé par un impôt. Le libéralisme croit ainsi mettre fin au prédateur alors qu’il ne met fin qu’à son représentant historique, et laisse intacte la machine à prédater, laquelle pourra fonctionner démocratiquement au gré des majorités parlementaires... ce que soupçonneront les premiers libéraux comme  Benjamin Constant[7],  Fréderic Bastiat[8] ou  Herbert Spencer[9]. Contrat social et intérêt général sont bien une fiction, puisque services publics et impôts ne relèvent pas d’un contrat. Aucun agent n’achète sur un marché, des services publics contre un paiement volontaire : quantité et qualité de services publics et impôts ne relèvent pas de l’échange volontaire entre personnes libres de décider.

Mais un tel âge de l’aventure étatique, celui du contrat social, correspond à une réalité devenue massive : les entrepreneurs politiques ne sont plus que des bâtisseurs d’une majorité permettant leur reconduction au pouvoir, majorité acquise en distribuant divers avantages économiques, directement ou indirectement. La distribution d’aides ou subventions, d’un « crédit à la consommation ou équipements de services publics » est facteur de consolidation d’un contrat social. Ce crédit, qui n’est rien d’autre qu’un déficit public, peut faire l’unanimité des divers groupes sociaux, et se trouve être un bon produit pour assurer la reconduction au pouvoir. Au-delà, il développe un peu plus une communauté d’intérêts et de destin, entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques : la rente, contre-partie de la dette, elle-même contre-partie de la fonction Réserve de la valeur se trouve de mieux en mieux partagée.

Il est pourtant des évènements majeurs qui peuvent mettre en cause la communauté d’intérêts et de destin entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques.

 

Loi d’airain maîtrisée et étiolement de la rente.

 

Lorsqu’à l’illimitation de l’économie pourra correspondre l’illimitation de la guerre et des besoins financiers correspondants (2 guerres mondiales), les limites de la monnaie doivent être définitivement repoussées. Les mines de métal, hôtels des monnaies et bricolages des banquiers privés deviennent des outils dérisoires. Il faut inventer une usine à produire, toujours centralement, de la monnaie. Au-delà des fictions juridiques, il faut que Trésors et banques centrales soient confondus et que les moyens monétaires deviennent tout aussi illimités que la violence militaire.[10] L’apparente mondialisation du 19ième siècle laisse la place à une forte consolidation des Etats-Nations. Curieusement, déficits et dettes publiques devenus aussi gigantesques qu’aux époques prémodernes (France de l’ancien régime, Grande Bretagne de l’époque napoléonienne, etc.) ne sont plus un boulet pour les pays qui -peut-être à l’exception de la Grande Bretagne- décident de ne pas s’en soucier, et préféreront s’adonner aux investissements de reconstruction.  Il est vrai que si Trésor et Banque centrale ne font plus qu’un, la dette publique n’a plus de sens. Cette dernière n’a de réalité que si Trésor et Banque centrale sont séparés et n’ont de contact qu’avec un « curieux marché » où l’Etat (Trésor) est demandeur de monnaie – la monnaie légale, donc la sienne, celle qu’il a « adoubé » - et où la banque centrale se trouve offreuse de cette même monnaie. Sans séparation, plus de marché de la dette et donc plus de dette publique. Dans un tel système où l’unité réelle –au-delà des apparences juridiques et institutionnelles- du Trésor et de la banque centrale est validée, c’est le Trésor qui fixe la quantité de monnaie en circulation et non pas le système financier. De quoi s’interroger aujourd’hui avec l’OMT de Mario Draghi qui fait tant rêver les naïfs : « Pourquoi tant d’argent pour les banques et rien pour les Etats ? ».

Durant quelques 60 années au vingtième siècle, dans nombre de pays, l’unité du Trésor et de la Banque centrale fait que L’Etat retrouve la pleine souveraineté monétaire et cette fois sans risque d’épuisement de réserves métalliques. Ni même de catastrophe monétaire tant il est vrai que la mobilisation de tous les facteurs de production donne davantage de sens que la spéculation. Même l’Allemagne, victime d’une gigantesque inflation, saura avec le docteur Schacht (1932-1936) et ses « effets Mefo »[11], se ressaisir très rapidement en faisant correspondre circulation monétaire et production.

Désormais, dans nombre d’Etats, la production de monnaie s’ajuste à la croissance de l’économie laquelle a pour limite - à la fois supérieure et inférieure- les réserves en facteurs de la production et en gains de productivité. En termes savants, la croissance réelle est proche de la croissance potentielle et l’étau monétaire a disparu et avec lui - au moins partiellement - la rente. Surtout si, comme ce sera le cas de la France, la fusion de la banque centrale et du Trésor correspondant, est telle que le « curieux marché » n’existe plus, tant il est contourné, et que les taux d’intérêt réels (inflation comprise), sont politiquement décidés à un niveau proche de zéro. La rente est ici victime de ce qui sera appelé plus tard « la répression financière ». Ce que Keynes avait appelé « l’euthanasie des rentiers ».

Avec cette monnaie où la fonction réserve de la valeur s’évanouit, il n’y a plus à dire que l’épargne (fonction réserve) génère l’investissement (fonction accumulation). A l’inverse, c’est le souci de la mobilisation de tous les facteurs de la production (plein emploi) qui génère l’investissement financé par création monétaire. La loi d’airain est ainsi maitrisée. Elle n’est pourtant pas morte et les entrepreneurs économiques sauront un jour réorienter les actions des entrepreneurs politiques, dans un sens qui ira vers une grande perte de leur souveraineté monétaire.

Elle n’est également pas morte en raison du comportement des autres souverains monétaires, souverains maitres de lieux dans lesquels elle peut en fonction des circonstances se pérenniser. La fonction réserve de la valeur cherchera ainsi à se maintenir malgré la répression financière, d’où la fuite devant la monnaie, la spéculation etc., qui, mécaniquement, développera le renforcement de l’appareil répressif avec un contrôle des changes rigoureux, l’interdiction stricte de la circulation du capital, etc.

De fait, le souverain moderne, en renforçant l’Etat-Nation crée ou renforce un « dedans » qui ne peut exister que face à un « dehors » lui-même renforcé et qui vient limiter sa souveraineté monétaire.

La montée en puissance de l’Etat-Nation ne fait évidemment pas disparaitre l’économie et, de la même façon que les monnaies noires (le dedans) cohabitaient avec les monnaies d’argent et d’or (le dehors), les nouvelles monnaies souveraines (celles du dedans) se construisent sur la base d’un dehors qui échappe au souverain : l’Euthanasie des rentiers est ainsi un processus toujours limité.

 

 

 

 

 

 

 

Le retour de la loi d’airain de la monnaie.

 

Contrairement aux apparences, la fin de Bretton-Woods avec la décision du président des USA, le 15 Août 1971, de supprimer la conversion en métal du dollar, ne correspond nullement à une nouvelle victoire sur la loi d’airain. Elle est probablement, à l’inverse, une victoire des entrepreneurs de la finance qui, bénéficiant de l’illimitation économique nouvelle correspondant à la mondialisation, se sentent capables de repousser les limites du « déficit sans pleurs »[12]. Le déficit ne doit plus être un problème et la finance américaine est capable par création monétaire de le rendre non limité. Et, au déficit extérieur, le « déficit jumeau » qui peut lui correspondre ( le déficit public), est tout aussi capable de se maintenir, voire de s’élargir par une bonne gestion marchande des titres publics correspondants. A l’époque le président des USA ne se doutait peut-être pas du cadeau ainsi fait à la finance, qui à partir de cette date, va commencer à accroitre sa « part de marché » dans le PIB planétaire. Quelques années plus tard, toute la législation Rooseltienne sera progressivement abolie pour supprimer toute forme de loi d’airain dans la finance. Vaste mouvement qui sera aussi justifié par une recherche universitaire, étrillant le corpus keynésien, au profit d’une nobélisée « théorie des marchés efficients ». La grande machine à fabriquer de la dette …et de la rente, donc machine à financiariser toute l’économie réelle, se met en ordre de marche.

De fait, partout dans le monde, les entrepreneurs de la finance se libèrent de la répression financière imposée par les entrepreneurs politiques…. Et vont reporter les contraintes de la loi d’airain sur les Etats. Nous passons ainsi de la répression financière à la répression des Etats. Car la fin de la répression financière est aussi le retour de la loi d’airain pour les Etats. La meilleure illustration, est bien évidemment la séparation complète des Trésors et des banques centrales, avec des positions extrémistes comme celle de l’Europe ou les banques centrales de l’euro-zone ne peuvent même pas participer aux enchères de la dette publique. Nous avons là le comportement mimétique, l’effet de foule, aussi aidé par le « nouveau savoir » universitaire, qui à la fin des années 80, va imposer partout dans le monde l’indépendance des banques centrales, c’est-à-dire le « curieux marché ».

C’est dire que le rétablissement- au sens du 19ième siècle- d’un vrai marché de la dette publique rétablit la rente avec comme garantie supplémentaire que celle-ci voit son maintien assis sur une politique rigoureuse de stabilité des prix, grand devoir et grand travail des banques centrales indépendantes . Grand devoir et grand travail qu’il faut lire comme fin de la dissolution des stocks de dettes par cet acide qu’était l’inflation. Les banques centrales deviennent gardiennes de la valeur des actifs financiers de toute nature, ce qui libère la finance et ce qui contraint les Etats.

 

Loi d’airain de la monnaie , mondialisation et retour de la « loi d’airain des salaires »

 

Mais si cette fin de la répression est le rétablissement d’une frontière infranchissable entre le monde des Trésors et celui des banques centrales, elle est aussi la fin de la frontière monétaire entre les Etats-Nations. Cela correspond à un autre grand travail : édifier la mondialisation. Edification d’une frontière d’un côté, et disparition d’une autre par ailleurs, vont dans le même sens : la souveraineté monétaire qui avait abouti à la relative maitrise de la loi d’airain s’évanouit à la fin du 20ième siècle.

Les causes de cet immense travail juridique, correspondant à l’édification de la mondialisation sont connues : l’épuisement du fordisme dès la fin des années 60, doit être combattu en recherchant de nouvelles productivités dans les espaces périphériques[13]. Il faut donc agréger aux vieux espaces d’accumulation de nouveaux territoires où les basses rémunérations deviendront des ersatz se substituant partiellement aux gains de productivité déclinants dans les espaces centraux. Ce qui est moins connu, est que cette continuation du fordisme par d’autres moyens, ne peut établir un équilibre entre l’offre globale mondiale et la demande correspondante. Parce que le fordisme national disparait, disparait avec lui l’ensemble des institutions qui garantissaient les débouchés d’une offre rapidement croissante. En termes simples, parce qu’il n’existe plus de mécanismes de redistribution, la pression sur les salaires se fera planétaire et rétablira ce que l’on appelait avant le fordisme la « loi d’airain des salaires » à l’échelle mondiale. De quoi réfléchir à ces « sursauts de compétitivité » passant par une baisse du coût du travail dont le monde s’abreuve aujourd’hui en constatant l’affaissement de la croissance…

Ce phénomène développe ce qu’on pourrait appeler une crise de « l’entrepreneuriat politique » phénomène qui à la surface des choses est vécu comme la « fin du politique » au profit de la dictature de l’économique. Bien évidemment il n’en est rien puisque la mondialisation est elle-même une construction institutionnelle. Simplement les entrepreneurs politiques qui construisent la mondialisation pour faire reculer les limites du fordisme sont obligés de la négocier contre la mise à l’index des Etats- providence…. lesquels étaient une pièce essentielle de ce même fordisme. Difficile dans ces conditions de maintenir la crédibilité d’un entreprenariat politique qui s’était souvent bien construite dans la phase ascendante du fordisme.

Mais « la loi d’airain des salaires » impose une crise mondiale de débouchés où chaque Etat, tente de reporter par une concurrence agressive sur tous les autres, les problèmes qui en découlent. Avec toutefois l’irruption des remèdes miracles désormais offerts par la finance dérégulée. Parce que la fin de la répression financière aboutit au dessaisissement des Etats en matière monétaire, les entrepreneurs de la finance peuvent offrir par la voie de l’endettement une solution plus ou moins précaire à l’insuffisance mondiale de débouchés. Nous avons là la problématique américaine des subprimes qui permettait à des personnes , victimes nouvelles de la nouvelle loi d’airain des salaires, de consommer des revenus qu’elles ne possédaient pas.

Les Etats, qui désormais dépossédés d’une souveraineté monétaire qui avait pourtant évoluée vers une maitrise de la loi d’airain, ne sont pas tous dans la même situation au regard de la finance libérée.

 

Retour de la loi d’airain de la monnaie et rapports de forces différenciés entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs de la finance.

 

En dehors de cas très particuliers : Chine, Corée du nord, etc. le nouvel équilibre entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs de la finance est un rapport de forces variable.

Pour les pays à monnaie de réserve, il est clair qu’il existe une grande communauté d’intérêts. Ainsi pour les USA, la politique de puissance peut se pérenniser et c’est bien l’industrie financière, qui en augmentant sa part de marché dans le PIB, permet aussi le développement de la part de marché américain dans le total des dépenses militaires mondiales. Le financement de la guerre qui était naguère soumis à la loi d’airain ( il fallait de l’or pour payer les mercenaires) s’en libère au moins temporairement grâce à l’illimitation de la finance. De ce point de vue, la fin de Bretton-Woods, associé au statut du dollar comme monnaie de réserve, est aussi ce qui permettra le gonflement du budget militaire américain avec le financement des guerres associées : Vietnam, Irak, Afghanistan.

Et si le gouvernement américain peut déclarer au reste du monde que le dollar est « notre monnaie et votre problème »[14], il oublie de signaler qu’il est aussi le double intérêt du système politique américain et de ses entrepreneurs de la finance.

 

Pour les pays dont la monnaie ne repose que sur une base légale étroitement nationale, le rapport de force entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques est tout autre, et la loi d’airain s’impose durement à ces derniers sous la forme du « curieux marché » : la rente doit être payée par les contribuables et vient limiter l’éventail des possibles. La classe des rentiers réapparait avec la séparation complète du Trésor et de la banque centrale, avec pour le premier la nécessité d’acheter sa propre monnaie aux correspondants (les banques) de la seconde -une institution qui lui est devenue étrangère, une institution sui generis comme disent les juristes- et les entrepreneurs politiques doivent construire de nouveaux compromis pour conquérir ou se reconduire au pouvoir. Compromis plus difficiles car la séparation entre Trésors et banques centrales correspond aussi à la nouvelle mondialisation qui impose une gestion monétaire très stricte, une prudence fiscale et sociale etc. Investir pour parvenir au plein emploi, n’est plus une décision de politique économique, et il ne faut désormais compter que sur la confiance des marchés.

 

Les pays de la zone euro sont sans doute les plus malmenés dans le retour de la loi d’airain. En dehors de l’utopique fusion des marchés politiques au profit de la naissance d’un Etat européen animé par des entrepreneurs politiques européens, la monnaie unique ne peut fonctionner que sur la base d’une loi d’airain particulièrement stricte. Ici la séparation des Trésors de leur banque centrale ne peut être que radicale. Et l’on se plait à confirmer que la BCE est probablement la plus « crédible » du monde car la plus indépendante des banques centrales du monde.

Comprenons en effet que si cette indépendance n’était pas radicale, le comportement de passager clandestin se ferait tout aussi radical et l’on tomberait très vite dans le célèbre « dilemme du prisonnier » : les entrepreneurs politiques de chaque Etat, auraient en effet intérêt à imprimer des billets dont le coût serait supporté par leurs collègues des autres Etats. Il en résulterait globalement une loi de Gresham au détriment de l’euro que l’on voulait construire. Cette remarque est fondamentale : sans fusion réelle des marchés politiques, l’indépendance de la BCE doit être radicale, et donc le financement des Etats ne peut se faire que par le « curieux marché ». Alors que le « quantitative easing » peut s’imaginer dans les autres pays, par accord entre entrepreneurs de la finance et entrepreneurs politiques, tout en respectant la logique formelle d’une séparation entre Trésor et Banque centrale, cette solution est fort logiquement exclue dans le cas de l’euro zone. Le « curieux marché », qui ici ou là peut plus ou moins être contourné, ne peut être au moins sur le papier que prison monétaire pour les Etats.

Cette situation particulière de l’Euroland peut d’ailleurs être confirmée par le fait que même en disposant d’une législation stricte qui vient limiter les déficits budgétaires ( critères de Mastricht) les comportements de passager clandestin n’ont cessé de suinter de toutes part, et ce en provenance de tous les Etats, sans exception. Cela signifie par conséquent que la zone euro est probablement le lieu où le retour de la loi d’airain est le plus fort, fonctionne le plus au détriment relatif des entrepreneurs politiques, et le plus au profit de l’industrie financière.

Ce point de vue est sans doute confirmé par les récentes décisions de la BCE, concernant le rachat sans limite de titres, et ses fonctions futures dans l’union bancaire européenne en cours d’élaboration. Sans doute des décisions qui sauvent aussi les entrepreneurs politiques incapables de quitter le statut de passager clandestin, mais d’abord des décisions qui favorisent puissamment la rente : les créanciers voient leurs titres garantis. Et si demain l’ensemble du système bancaire européen, avec de fait ses annexes que constituent le « Shadow Banking »[15], passe sous le contrôle de la BCE, le rapport de forces au profit de la finance sera grandement amélioré. Le puissant multiplicateur du crédit dopé par l’OMT de la BCE est « fête » pour la finance et simple « os à ronger » pour les Etats.

Mais là encore, et de façon plus globale il faut nuancer, la finance n’a pas intérêt à ponctionner les Etats jusqu’au défaut, Etats qui doivent rester solvables si l’on veut éviter l’effondrement planétaire. D’où le point de vue dominant du monde financier aujourd’hui : les banques centrales se doivent être très actives sur le marché primaire de la dette publique, pour soulager les Etats et ainsi empêcher le risque d’explosion du système financier dans son ensemble. Comme quoi il n’est pas dans l’intérêt du loup que les moutons soient mourants. Curieuse situation dans laquelle les entrepreneurs de la finance, forts des « savoirs universitaires nouveaux », après avoir acheté aux entrepreneurs politiques l’indépendance des banques centrales, se mettent aujourd’hui à exiger d’elles le financement des Etats.

Bien évidemment l’histoire ne s’arrêtera pas, et ce retour gigantesque de la rente sera un jour corrigé en raison de ses effets dévastateurs à l’échelle planétaire sur les sociétés.

 

Désordres monétaires et paniques sur la fonction réserve de la valeur

 

D’une certaine façon la finance fût le mur de protection qui a permis de maintenir pendant près de trente années l’illusion d’un fordisme par d’autres moyens. C’est elle qui a rétabli l’équilibre entre offre globale et demande globale à l’échelle mondiale : la consommation/dépense américaine a pu s’accroitre malgré des revenus devenus constants (dont la cause était la nouvelle concurrence mondiale), et la production chinoise a pu bondir sous l’effet d’une mondialisation compensant l’étroitesse des débouchés internes. Et ce modèle réduit de mondialisation qu’est la zone euro, a pu reproduire par la finance, le modèle global : le Nord – Allemagne - étant l’équivalent de la Chine et le Sud –Grèce, Espagne, etc.- l’équivalent des USA. La crise de la machine à faire de la dette n’étant autre que l’effondrement progressif du mur de protection, effondrement mettant à nu la grande dislocation des sociétés. Il faudrait pérenniser la croissance de l’endettement pour empêcher le déploiement mondial de la crise de l’économie réelle, mais en même temps cette pérennisation est aujourd’hui impossible.

Les volumineux et confortables coussins de dette retirés du jeu, il ne reste plus pour la survie de tous, que le bouc émissaire de la monnaie : la guerre des monnaies. Guerre elle-même perdue - car jeu à somme nulle - comme le fût la guerre des dévaluations des années 30. Un scénario probable est donc- en taux de change flottants - l’élargissement important des fluctuations déstabilisant l’ensemble des systèmes de prix avec exacerbation de l’activité spéculative. Et une activité spéculative dont l’horizon serait la recherche acharnée, et devenue difficile, de la fonction réserve de la valeur.

On peut donc penser que dans un premier temps, l’effondrement de la finance se marquera par l’élargissement du front de la financiarisation générale des activités humaines : si les monnaies, malgré le fantastique développement de la technologie financière ( « Trackers », « Warrants », « Certificats leverage », « Turbos », « CFD », etc .) ne peuvent plus assurer la fonction réserve de la valeur, alors c’est l’ensemble des autres biens qui sera testé comme salut possible. D’où présentement la bataille planétaire entre régulateurs publics ou privés et industrie financière pour bloquer les tentatives de limitation des activités purement spéculatives. Cela est vrai du dossier de la séparation des activités bancaires, mais cela est surtout vrai de celui de la limitation des activités spéculatives sur les matières premières avec déjà de lourds échecs pour l’intrépide « Commodity Futures Trading Commission » (CFTC) américaine.[16]

Mais comme toujours il est très difficile d’écrire l’histoire de l’avenir.

 

 

[1] « Genèse de l’Etat et genèse de la monnaie », Revue du MAUSS, avril 2007.

[2] « La violence et le sacré », Grasset, 1972.

[3] « Essai sur le don » texte inséré dans le recueil d’articles préfacé par Claude Lévi-Strauss, PUF,1950.

[4] Sur ces questions nous renvoyons au chapitre premier de « Banques centrales, indépendance ou soumission », Jean Claude Werrebrouck, Editions Y Michel, 2012.

[5] Thomas Gresham était un financier anglais du 16ième siècle qui avait constaté que lorsque 2 monnaies circulaient simultanément dans un espace, les agents thésaurisaient la bonne monnaie pour ne financer leurs échanges qu’avec la mauvaise. D’où l’expression « la mauvaise monnaie chasse la bonne »

[6] 2,5% du PIB pour la France de 2013(environ 50 milliards d’euros de rente –service de la dette – pour un PIB d’environ 2000milliards d’euros).

[7] 1767-1830. Cf notamment son célèbre discours de 1819 : « De la liberté des anciens comparée à la liberté des modernes »

[8] 1801-1850. Cf ses œuvres complètes disponibles sur Wikipédia Commons et notamment « Sophismes économiques » ou « Harmonies économiques »

[9] 1820-1903. Son livre majeur : « Le droit d’ignorer l’Etat » (1850) servira de références aux libertariens contemporains et notamment Robert Nozick.

[10] Déjà Joseph Proudhon avait imaginé en 1846 un « projet de réunion de la Banque de France au domaine public ». Rédigé sous la forme d’une loi, le projet stipulait que la banque était « réunie au domaine de la nation et fonctionne à son compte » tandis qu’elle était « placée sous la surveillance des représentants du peuple ». Très curieusement le projet stipulait aussi que la banque « était indépendante du gouvernement ». L’idée fort contradictoire de fusion et d’indépendance était déjà dans la tête de Proudhon

[11] Les effets Mefo, véritables moyens de paiements publics, étaient des reconnaissances de dettes garanties par l’Etat et escomptables à la banque centrale. Au-delà des aspects techniques, l’objectif était d’activer les facteurs de la production durablement non utilisés en raison de la crise, en remettant en circulation la monnaie thésaurisée. Le docteur Schacht qui fût parfois qualifier de « magicien » devait réussir à extirper l’Allemagne de la crise sans accroissement notable de la circulation monétaire. Sur la base d’un désaccord avec Hitler sur le sens à donner à la relance de l’activité, Il quittera ses fonctions ministérielles en 1936 .

[12] Expression de Jacques Rueff –ministre du Général De Gaulle - pour désigner le déficit extérieur américain.

[13] On trouvera développements et explications plus précises de ce qui suit dans le chapitre ­­6 de « Banques centrales, indépendance ou soumission ».

[14] Expression de John Connally Secrétaire au Trésor à l’époque de Richard Nixon

[15] Ensemble du système bancaire et financier parallèle, non soumis à la réglementation bancaire, et pourtant d’un poids presque équivalant au système réglementé.

[16] La CFTC qui avait réussi à imposer aux opérateurs de marché des limites de positions sur 28 produits en 2011 se verra contredite par un juge sur la base d’arguments juridiques qui masquent mal la volonté de ne pas réduire la « liquidité »…en clair la spéculation de la part d’agents très éloignées de l’économie réelle des produits en question.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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3 mai 2017 3 03 /05 /mai /2017 18:42

 

Le texte suivant publié sur le blog l’an dernier mérite d’être relu par tous ceux qui veulent comprendre les problèmes insolubles posés par l’euro. La réalité n’est pas si simple à comprendre et les médias ajoutent à l’incompréhension à des fins électorales : le front républicain s’étant évaporé il fallait bien trouver une autre arme, celui de la monnaie unique symbole de l’ouverture sur le monde. Nous proposons un résumé des conclusions du présent article suivi du texte de l’article lui-même. On y parle beaucoup de la Grèce…mais le raisonnement peut s’applique à la France. Il n’est pas difficile à comprendre mais, il est vrai, suppose un minimum d’attention.

Résumé des conclusions :

- La réduction des déséquilibres entre zones économiques inégales et de même monnaie suppose des transferts.

- Machines à homogénéiser, les Etats voient dans les transferts une source de légitimation.

-L’euro chevauchant des zones économiques inégales correspondant à des souverainetés différentes contrarie le fonctionnement normal des Etats.

- L’Etat de l’économie la plus performante ne peut que s’opposer à des transferts.

- l’union monétaire produit de la désunion économique entre nations.

- L’union monétaire fabrique un ensemble articulé « centre/périphérie » produisant l’affaissement de toute possibilité de choix démocratique dans les zones périphériques.

- En raison d’un taux de change inadapté, il est pour toute périphérie impossible de rejoindre le centre en respectant les règles du jeu.

- La pérennisation de la monnaie unique engendre des effets dépressifs sur la zone monétaire.

- Les effets dépressifs se propagent sur l’ensemble de la planète en raison du poids important de l’économie européenne dans le monde.

 

Développement :

Le monde politico-médiatique ne permet en aucune façon de comprendre la nuisibilité génétique de l’Euro.

Bien sûr, il ne lui est plus possible, sous peine de dé-crédibilisation, de nier l’existence de difficultés gravissimes, mais la réponse est toujours la même : "l’euro nous sauve de difficultés autrement plus graves, à savoir une faillite généralisée".

Il est donc important d’expliquer, le plus simplement du monde, en quoi l’euro constitue l’un des drames de l’humanité contemporaine.

 

1) La monnaie unique dans un espace national où les échanges entre régions sont déséquilibrés.

 

Pour cela, nous raisonnerons à partir d’un exemple très concret, celui d’un Etat-Nation où bien sûr une seule monnaie circule. Imaginons deux régions, l’ex-bassin minier du Nord et du Pas de Calais dans ses relations avec la région parisienne. Pour simplifier encore, nous supposerons que la France ne comporte que ces deux régions.

Sans donner de chiffres, on sait immédiatement que la première est déficitaire, tandis que la seconde est excédentaire. Clairement, les houillères ayant disparu[1] pour ne laisser que du vide, un espace de consommation ne peut être assis sur un espace de production disparu et donc des transferts proviennent de la région réputée excédentaire.

 

La solution des transferts comme seul choix possible.

Comment les choses se manifestent sur le plan du système financier et en particulier des banques ?

Pour simplifier nous imaginerons qu’il n’existe qu’une seule banque pour la région des Houillères (« banque des houillères » : BH) et une autre pour la région Parisienne (« Banque de Paris » :BP).

 

Puisque la première région est déficitaire, les flux financiers se dirigent depuis BH vers BP. Ce flux ne fait que traduire le fait que, par exemple, les clients de BH paient les fournisseurs dont le compte se trouve sur BP. La monnaie fuit ainsi BH pour se diriger vers BP. Matériellement, chaque banque bénéficiant d’un compte à la banque centrale, cette fuite se repère au niveau de cette dernière et celle-ci va débiter en continu le compte de BH et créditer celui de BP.

Puisque la région des Houillères ne produit plus, les marchandises achetées proviennent de la région parisienne qui, elle, est censée produire beaucoup. A ce flux physique correspond un flux des paiements en sens contraire.

Constatant que BH se vide progressivement, quelles sont les solutions qui permettraient d’éviter la rupture entre les deux régions ?

Il en existe théoriquement 6 :

1- BP accorde continuellement des crédits aux clients de BH, ce qui alimente les comptes clients qu’elle gère, et donc son compte à la banque centrale.

2- BP accorde continuellement des crédits à BH, ce qui permet à cette dernière de faire circuler les paiements vers BP.

3- La Banque de France (la banque centrale) fait crédit à BH et alimente le compte de cette dernière.

4- Le Trésor qui est l’organisme financier public au -dessus des deux régions, subventionne la région des Houillères ( RSA pour les anciens mineurs, aides diverses, aide à l’investissement des entreprises, investissements publics, etc.) Ces subventions viennent compenser la fuite de monnaie de BH vers BP.

5- Aucun crédit ni subvention n’est accordé à personne et la région des Houillères se détache progressivement du reste du corps social et politique. Il n’y aurait pas à proprement parler de rupture, mais émergence d’une zone de marginalisation très éloignée des standards de la région parisienne. Laissons le lecteur imaginer ce que serait la région sans les retraites des houillères, la reconfiguration du patrimoine immobilier, l’absence de réels outils de formation, l’absence du Fond d’Industrialisation du Bassin Minier (FIBM), etc. Il n’y aurait même pas les entreprises de la Grande Distribution qui constituent l’essentiel du tissu économique et qui, toutes, se nourrissent des seuls fonds de transferts….

6- L’Etat introduit une nouvelle monnaie dans les Houillères, une monnaie ne s’échangeant avec l’ancienne que sur la base d’un taux fort réduit. On peut ainsi espérer que les habitants de la région vont moins consommer de produits, devenus excessivement chers, en provenance de la région parisienne et vont créer des activités compétitives dont le résultat sera une exportation vers la région parisienne. De quoi rééquilibrer les flux entre les deux banques.

 

Laquelle ou lesquelles de ces 6 solutions, théoriquement envisageables, sera (ont) retenue(s) ?

Les solutions 1 et 2 ne sont évidemment pas crédibles et on ne voit pas pourquoi BP ferait crédit à des débiteurs insolvables.

La solution3 est envisageable dans le cas d’une Banque centrale soumise au Trésor : l’Etat donne l’ordre de créer de la monnaie au profit de BH. Elle est peu pensable dans le cas d’une banque centrale indépendante.

La solution 4 est celle qui est historiquement constatée dans à peu près tous les pays du monde : la région déficitaire est largement subventionnée par les pouvoirs publics. Son défaut est naturellement qu’elle alimente les clientélismes et devient un enjeu majeur des marchés politiques.

La solution 5 n’est envisageable que fort rarement et peu de nations laissent en déshérence l’emploi.

La 6 n’existe pas au sein des Etats classiques obéissant au modèle westphalien. Elle peut se vivre dans des conglomérats, très rarement dans des Etats fédéraux ou des empires mais jamais au sein d’Etats Nations classiques. Cela signifie que la fin de l’Union monétaire qui existe dans un Etat, est politiquement impensable. A Paris comme à Lens on utilisera la même monnaie. Il y a bien « irréversibilité » de la monnaie unique comme il est devenu habituel de le dire pour l’Euro.

A y regarder de plus près les solutions 5 et 6, sont historiquement non vérifiées car elles sont contraires au principe même du fonctionnement des Etats. Sans revenir à la question de la nature profonde des Etats, souvent examinée sur le blog[2], on sait qu’un Etat est logiquement producteur d’une identité commune, en ce sens il produit de l’homogénéité et ce, même s’il est décentralisé ( souveraineté sur un espace délimité par des frontières, système juridique, linguistique, monétaire, militaire, etc. mais aussi principes d’égalité, d’unité nationale et territoriale, etc.)

Dans ces conditions lorsque des déséquilibres entre régions émergent les solutions 5 et 6 apparaissent comme des échecs politiques majeurs et au nom de la solidarité qui se niche dans un intérêt général, la solution des transferts et aides diverses s’impose, donc au final la solution 4.

 

Si l’on dresse le bilan des possibles face à un déséquilibre régional, nous avons :

- Sur le plan financier, Impossibilité du recours durable au crédit, surtout dans un monde où l’indépendance des banques centrales est la règle (solutions 1,2 et 3).

- Sur le plan politique, Impossibilité des choix sécessionnistes (solutions 5 et 6).

Le seul choix est donc celui des transferts dont les caractéristiques quantitatives et qualitatives sont historiquement très variables. Ainsi on peut avoir le choix de solutions complètement rentières ( la population est subventionnée pour rester fidèle à l’ordre en place) ou au contraire de mise à niveau ( la région déficitaire bénéficie d’un programme visant à l’alignement sur la productivité de la région excédentaire). Dans les faits, au gré des marchés politiques, c’est souvent un mix qui finira par s’imposer.

 

Les conséquences macro-économiques.

 

La solution des transferts pose celle de son financement.

Dans notre exemple, le déséquilibre correspondait au fait que le charbon n’est plus acheté par la région parisienne, laquelle va acheter du pétrole et va ainsi bénéficier d’un effet coût et d’un effet revenu. Les parisiens feront des économies lesquelles pourront être redéployées vers de nouvelles consommations. Les producteurs de la région parisienne verront leur efficience productive s’améliorer - une énergie moins coûteuse - et la valeur ajoutée correspondante pourra se déverser sous la forme de profits, de salaires, voire de baisse de prix. De la même façon, si l’on suppose que les producteurs de pétrole sont dans la région parisienne, les revenus de cette profession viendront s’ajouter à la demande globale.

En contrepartie, la région parisienne perd sa clientèle du bassin houiller. Le redéploiement, faisant suite à la fin du charbon, n’est globalement avantageux que si des ouvertures extérieures permettent l’exportation au profit de la région parisienne.

Si l’on raisonne en économie sans échanges extérieurs[3], ce que les économistes appellent l’économie fermée, la solution politique des transferts ne peut se faire que sur la base d’un prélèvement fiscal supplémentaire venant gommer tous les effets positifs du passage au pétrole. En revanche, ce même prélèvement vient aussi gommer les effets négatifs de la perte de débouchés correspondants à la crise du bassin houiller.

D’où la conclusion : en économie fermée le rétablissement de l’équilibre régional par le biais des subventions permet de maintenir les débouchés (les subventions deviennent des chiffres d’affaires) tout en assurant la solidarité (les subventions sont des revenus et capitaux de substitution). En revanche la compétitivité de l’ensemble n’est pas améliorée.

 

2) L’Euro dans un espace international

Chacun a déjà pu comprendre que derrière l’exemple du bassin minier et de la région parisienne pouvait se cacher celui de la Grèce et de l’Allemagne.

Ici bien sûr nous ne pouvons raisonner en économie fermée et la zone euro est elle-même ouverte sur le reste du monde.

La Grèce est bien sûr en situation déficitaire et l’Allemagne en situation excédentaire.

Reprenons les diverses solutions précédemment envisagées.

Les solutions 1 et 2 ont d’une certaine façon largement fonctionné au service de la Grèce, de son Etat et de ses entreprises et ménages : Toutes les banques européennes se sont précipitées avec comme produit phare des taux d’intérêt très bas, inconnus jusqu’alors dans le cadre de la Drachme. D’où un déséquilibre qui ne pouvait être que croissant : les marchandises allemandes notamment exportées en Grèce sont largement financées par du crédit bon marché. Bien évidemment, s’il n’y a pas de base productive suffisante en Grèce capable de produire du revenu, le manège ne peut trop durer : il a cessé progressivement avec les plans d’aide de 2010 et 2012, puis l’arrivée de la Troïka.

La solution 3 est juridiquement impossible car la BCE ne finance pas les Etats, sauf contournement des textes, ce qui s’est fait pour la Grèce[4] mais aussi pour nombre d’autres pays, comme l’Irlande ou le Portugal.

La solution 4 fut, de fait, largement pratiquée notamment par le biais des fonds structurels qui ont permis l’octroi à la Grèce d’environ 4% annuel de son PIB pendant de très nombreuses années. Elle s’est poursuivie avec le plan de 2012 qui a permis de faire passer la dette du secteur privé vers le secteur public.

La solution 5 n’a pas été retenue jusqu’à aujourd’hui et la Grèce n’était pas abandonnée par le reste de la zone.

La solution 6 est celle de la sortie de la Grèce de la zone euro.

Si l’on dresse un bilan des 6 solutions concernant les rapports entre Grèce et Allemagne, deux points doivent être retenus :

-il est erroné de dire que la Grèce n’a jamais bénéficié de transferts, simplement ceux-ci se sont concentrés dans les fonds structurels- environ 200 milliards d’euros depuis 1981- lesquels furent largement gaspillés dans le cadre de lobbys experts en jeux sur les marchés politiques tant grecs qu’étrangers. La preuve en est le délabrement de l’économie grecque et un recul des investissements, lesquels sont passés de 23,7points de PIB en 2008 à 11,6 en 2014. Tous les Etats, y compris la Grèce sont responsables de cela.

- Les solutions 1,2 et 3 ont fonctionné à l’excès d’où l’envolée des taux et les mémorandums imposés par la troïka. Elles tentent de fonctionner depuis 5 ans mais à l’envers en provoquant un énorme effet dépressif : 26 points de PIB partis en fumée depuis 2009 et probablement une dizaine de points supplémentaires si le nouveau plan devait se mettre en place[5].

La conclusion est donc l’alternative d’une solution 5 ou 6, ou d’un retour massif à la solution 4. Comme cette dernière solution n’est guère envisageable sur les marchés politiques du reste de l’Europe (Paris peut être solidaire avec Lens, mais Berlin ne veut pas être solidaire avec Athènes), il ne reste que le choix du départ ou de la marginalisation dans un espace très assombri.

L’Euro est venu détruire les productions locales comme le pétrole devait détruire le bassin minier.

C’est dire que le maintien de la monnaie unique est donc le choix d’une vraie marginalisation. Certains diront plutôt le choix de l’austérité, mais une austérité qui se pérennise alors même que d’autres espaces sont durablement en relative croissance, cela s’appelle marginalisation. L’Euro devait assurer le rapprochement des économies : il en assure l’écartèlement.

 

Conséquences macro -économiques.

Le raisonnement mené sur les rapports entre Grèce et Allemagne peut être étendu à l’ensemble de la zone. Les solutions 1, 2, 3 et surtout 4 sont très limitées et se heurtent frontalement à l’impossibilité d’envisager une réelle politique de transfert à l’intérieur de la zone. Alors que les transferts ne soulèvent que peu de difficultés à l’intérieur des Etats nations classiques, ils se heurtent à de grandes difficultés à l’intérieur de ce qui reste un espace international. Le choix de l’euro devenant celui de la servitude et la probable marginalisation pour les zones dont le taux de change unique est inadapté à la réalité économique. Globalement, il n’y aura pas de transferts du nord excédentaire vers le sud déficitaire. Ce que l’on savait en théorie est désormais confirmé par la réalité empirique : les négociations de la nuit du 12 au 13 juillet 2015 resteront une date dans l’histoire.

Parce que le système financier du sud voit la monnaie fuir vers le nord (on peut reproduire le raisonnement mené plus haut entre BH et BP), parce que les solutions type endettement ont atteint leurs limites (solutions 1,2 et 3), parce que les transferts sont interdits (solution 4), et que le maintien de l’euro reste la « commune volonté » (l’euro constituerait une « irréversibilité » donc il n’y aurait pas de solution 6) : la seule réalité qui s’impose est la cure durable d’austérité(marche forcée vers la solution 5).

Mais cette « solution » est un drame pour l’ensemble de l’humanité puisqu’elle planifie durablement un déficit de la demande globale planétaire.

En effet, il faut empêcher la fuite de monnaie vers le nord, donc supprimer le déficit par la seule diminution des dépenses globales. Concrètement il faut moins consommer, moins investir, diminuer les dépenses publiques de toutes natures (régaliennes ou sociales)….autant de diminutions qui correspondent à une contraction de débouchés pour un même montant. Quand tout est bloqué, maintenir l’Euro, c’est provoquer un déficit global de débouchés et donc une tendance planétaire à la récession.

En plus clair encore : ce que nous avons démontré pour la relation Bassin minier/Région Parisienne dans le cadre d’un monde fermé, se retrouve à l’échelle planétaire. Avec toutefois une différence importante : le système fermé national pouvait théoriquement se rééquilibrer, en terme macro-économique, en abandonnant le bassin minier à son sort. Offres et demandes étaient remodelées dans la continuité d’un équilibre. Même chose dans le cas beaucoup plus probable de transferts financés par l’impôt. Tel n’est plus le cas du système planétaire : la demande globale diminue sous l’effet de pays qui se maintiennent dans la zone sous régime d’austérité obligatoire. L’offre étant inchangée, la tendance planétaire à la récession se confirme….sauf si en d’autres points du monde l’endettement peut se propager.

Maintenant il reste évident que les plus performants pourront dans un espace déprimé planétairement tirer leur épingle du jeu. L’Allemagne peut ainsi continuer à prospérer sur la base d’un mercantilisme ouvert. Par rapport à l’exemple de la Région Parisienne dont on supposait l’impossible exportation en contrepartie de la perte de débouchés dans le bassin houiller, l’Allemagne non alourdie par le poids des transferts peut connaitre un excédent jusqu’à plus de 7 points de PIB.

Les politiques d’austérité dans le sud finissent par gonfler ce qui est déjà un excédent de la zone vis-à-vis du reste du monde (2,5points de PIB de la zone). Politique et résultat contestés par le reste de la planète qui considère qu’il n’a pas à souffrir de la monnaie unique.

Le lecteur de ce blog, parce que baignant dans un système politico-médiatique qui a fait de l’euro une religion, peut encore douter de l’ensemble du raisonnement qu’il vient de parcourir, et se dire qu’il faut rester optimiste et que la solution 5 est finalement rédemptrice : la Grèce peut être sauvée par le sang et la sueur. Et bien sûr il est possible de mettre en avant le cas de l’Irlande dont la croissance est aujourd’hui la plus élevée de l’ensemble de la zone. Argument malhonnête d’un pays qui en raison de son poids et de sa situation pratique le dumping fiscal en principe combattu par les autorités européennes.

Mais surtout, pour en revenir à la Grèce c’est oublier la barrière que lui opposera l’Euro. Certes la Grèce ne dispose guère d’avantages comparatifs, mais avec de la volonté, de l’intelligence, des capitaux abondants qui restent stockés à l’étranger, et un pouvoir politique plus propre, le succès ne pourrait –il être au bout du difficile chemin ? La réponse est clairement non, car le système de prix prévalent en Grèce n’est pas propice au développement d’activités pouvant gommer le déficit. Le premier élément d’un système de prix est le taux de change : c’est lui qui fixe le périmètre des activités, ce qu’il faut produire, ce qu’il faut importer, ce qu’il est possible d’exporter, etc. Parce que l’euro interdit la construction d’un système de prix nourrissant les activités internes ( taux de change complètement inapproprié), il bloque toute activité permettant de sortir de l’étau dépressif. La Grèce, en raison de son histoire n’a jamais été très avantagée. Son adhésion à l’euro-zone a autorisé la dévastation de son économie. Son maintien achèvera l’entreprise de destruction. Toujours plus de sang et de sueur. Avec quelles conséquences politiques ?

 

 

 


 

[1] 220000 salariés en 1947…contre pratiquement zéro aujourd’hui, avec une population totale qui n’a pas beaucoup variée.

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/04/avenir-des-etats-declin-fragmentation-union-desunion-partie1.html

[3] Ce qui suppose dans notre exemple que le pétrole soit produit dans la région parisienne….

[4] Cf notamment : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=86184

[5] Lorsqu’on impose un excédent primaire pour rembourser la dette (solde budgétaire positif) on diminue la demande globale et le PIB se contracte. Pour plus de détails voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/07/peut-on-enfouir-la-bombe-atomique-grecque.html

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2 mai 2017 2 02 /05 /mai /2017 15:14

 

Nous nous sommes souvent prononcés sur la situation des différents pays de l’union européenne face à la monnaie unique. Le nord, essentiellement l’Allemagne, connait un excédent extérieur considérable ; le sud, un déficit lui-même très important. La France qui n’est pourtant pas un pays du sud se trouve dans cette dernière situation.

Cela peut se traduire simplement : la France – qui serait "cigale" - consomme ainsi des revenus qui ne sont pas produits tandis que l’Allemagne – qui serait "fourmi" - produit davantage qu’elle ne dépense. S’agirait-il d’un trait de caractère ou bien de règles inadaptées du jeu économique?

Excédents et déficits se régulaient jadis par des modifications du taux de change. Classiquement, la demande de monnaie du pays déficitaire est forte : il faut payer des importations qui ne sont plus financées par les ressources apportées par le produit des exportations . A l’inverse celle des pays excédentaires est faible : les ressources tirées des exportations sont importantes. En simplifiant beaucoup et, en partant d’une situation d’équilibre, la monnaie du pays déficitaire va perdre de la valeur sur le marché des changes – il faut beaucoup de monnaie  pour payer les importations - tandis que celle du pays excédentaire augmente - il a moins besoin de monnaie nationale.

Jadis, sous le régime de l’étalon-or, les déséquilibres extérieurs étaient en principe compensés par des variations de flux monétaires : au déséquilibre de l’échange de marchandises correspondait un déséquilibre de l’échange monétaire. Le pays déficitaire voyait la monnaie fuir vers le pays excédentaire, ce qui entrainait une déflation chez le déficitaire et une inflation chez l’excédentaire, d’où un rééquilibrage plus ou moins automatique des balances extérieures. La fin de l’étalon-or au vingtième siècle permettra une autre régulation, celle d’une variation des taux de change politiquement décidée, d’où l’idée récurrente d’une possible guerre des monnaies.

Ce raisonnement fort simple devient impossible lorsque les taux de change disparaissent avec la naissance de l’euro. Désormais, les pays ne disposent plus de l’arme du taux de change pour assurer le contrôle de leurs échanges extérieurs. Or ces contrôles sont très importants car, derrière ces échanges, se profile la situation économique générale d’un pays. La compétitivité plus élevée d’un pays, compétitivité pouvant résulter d’une multitude de causes, n’est plus compensable par les pays clients qui vont devenir victimes de leur sous-compétitivité relative. Les différences de compétitivité étaient jadis gommées par des variations du taux de change. Tel n’est plus le cas dans la zone euro, et si d’aventure un pays dispose d’une compétitivité plus grande, les autres dépourvus de l’arme de la dévaluation externe, n’ont d’autres solutions que de procéder à des dévaluations internes beaucoup plus couteuses. Ces armes sont simples il faut réduire les dépenses globales d’un pays qui apparait "cigale" du seul fait de l’impossible dévaluation. Les français ne sont pas naturellement paresseux et consommateurs invétérés de divertissements, ils sont simplement victimes de la compétitivité allemande pour laquelle il n’est plus possible de se protéger comme naguère. Il est donc exact de dire que l’Allemagne avec l’euro a tout simplement acheté la garantie de la non dévaluation des autres pays. Nous en revenons au mercantilisme de jadis. Il n’y a plus de sas effaçant les différentiels de compétitivité.

Parce qu’il faut mener une politique de dévaluation interne pour assurer l’équilibre, toutes les dépenses doivent être diminuées et l’Etat doit diminuer les siennes, ensuite aider les entreprises en légiférant autant que faire se peut pour rétablir leur compétitivité. D’où l’idée d’une politique de l’offre qui apparaitrait comme indispensable. Il faut donc une politique dite de rigueur dont on sait qu’elle ne fait qu’alimenter le différentiel de compétitivité. Clairement, nous constatons que l’excédent allemand ne fait qu’augmenter et les pays du sud ne peuvent se rétablir dans un climat déflationniste général.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le programme Macron. S’agissant de la France les vraies dépenses qu’il faudrait comprimer sont toutes celles qui tournent autour du coût du travail : il faut massivement diminuer le coût du travail direct et du travail indirect, donc affaisser la demande globale et donc affaisser la croissance….seul moyen de rétablir l’équilibre…..

Nous invitons le lecteur à reprendre toutes les pièces du programme économique du candidat Macron.

Nous en résumons quelques points. Il s’agit tout d’abord de flexibiliser le travail avec une "ubérisation" généralisée, le développement des contrats de chantiers, d’usages, de missions, etc. Il s’agit de bloquer les indemnités prud’homales et débloquer les marchés fermés du travail avec pour finalité l’affaissement des insiders au profit des outsiders, l’affaissement des organismes paritaires et celui du pouvoir syndical, la fin des professions protégées ou règlementées ( plusieurs centaines selon la liste établie à Bruxelles) , etc.

Il s’agit de diminuer les coùts indirects du travail avec la transformation du CICE en allégement des cotisations sociales, avec le rétablissement des exonérations de cotisations sur les heures supplémentaires, avec la transformation du système d’assurance chômage par suppression de la part salariale transformée en CSG. Mais il s’agit aussi de la transformation complète du système de retraites, avec certes maintien de la répartition, mais la généralisation de comptes notionnels propres à développer l’allongement du temps de travail  et d’interdire de fait tout questionnement sur le coût de la dépendance sans même une quelconque régulation politique. Il s’agit aussi de limiter l’autonomie budgétaire des collectivités locales dont l’esentiel des dépenses est fait de dépenses sociales.

La baisse de la dépense publique -60 milliards sur 5 années- devrait permettre une diminution de 0,5 point de PIB, de quoi rétablir l’équilibre budgétaire et les comptes TARGET 2 qui font si peur à l’Allemagne.

Car au final, il faut bien comprendre que cette politique qui affaisse durablement le sort des classes moyennes ( qu’en sera-t-il de l’hôpital, de l’école, etc. avec la suppression de 120 000 emplois sur les 5 années ?) n’a d’autre intérêt que celui de rendre l’Allemagne plus aimable avec la construction européenne et la zone euro. L’idée du candidat Macron serait de construire un authentique gouvernement de la zone euro, avec harmonisation fiscale et peut-être sociale, sur la seule base de la volonté allemande de ne rien faire pour mettre fin à son mercantilisme. Et comprenons que pour l’Allemagne l’affaire est essentielle : elle ne peut ni diminuer son excédent extérieur sans grave dommage économique et social, ni assurer les transferts vers le sud que son agenda politique interdit de façon radicale, ni accepter les déficits du sud trop visibles sur les comptes TARGET surveillés par sa banque centrale et la cour Constitutionnelle de Karlsruhe. Et elle ne veut ni ne peut sortir seule de la zone euro sans faire disparaitre immédiatement sa compétitivité, puisque tous les économistes s’accordent à dire que la monnaie allemande s’apprécierait immédiatement de 30%.

Parce que l’Allemagne veut rester ce qu’elle est, une puissance mercantiliste, on comprendra volontiers que le candidat Macron est véritablement béni par tous les médias et partis politiques de ce pays. Il faut affaisser la France pour sauver l'Allemagne.

 

 

 

 

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26 avril 2017 3 26 /04 /avril /2017 15:40

 

En excluant les 11 circonscriptions de l’étranger, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle permettent de projeter une image approximative de ce qui pourrait devenir les résultats de l’élection législative. Cette projection peut aussi être imaginée à partir des scénarios présentés dans notre article[1] précédent dont on se rappelle qu’ils mènent prioritairement à ce que nous avions appelé la « concurrence catastrophique » où chaque entreprise politique lance un candidat dans chacune des circonscriptions.

Dans cette hypothèse nous avions noté que cela se matérialiserait par au moins 5 candidats par circonscription, candidats ne jouant pas la carte de la cartellisation et donc une concurrence pouvant mener à des quadrangulaires ou des triangulaires. Sur la base d’une estimation d’environ 35% d’abstentionnistes, on sait que la règle des 12,5% des suffrages pour se maintenir au second tour, devient approximativement à 18-19% des suffrages exprimés. Sur cet ensemble de considérations, on peut penser que les seconds tours avec plus de 2 candidats pourraient concerner environ 80% des circonscriptions, ce qui est un fait radicalement nouveau.

Il devient alors très intéressant d’examiner les résultats du premier tour de l’élection présidentielle sous l’angle des circonscriptions parlementaires. D’où le tableau suivant :

Effectifs de circonscriptions où le candidat est arrivé en tête

Répartition en fonction des suffrages exprimés :

En dessous de 25%

 

Répartition en fonction des suffrages exprimés :

entre 25 et 30%.

Répartition en fonction des suffrages exprimés :

Plus de 30%

EM= 230

71

117

52

FN= 216

18

105

83

LR= 52

22

22

8

FI= 67

12

26

29

D’après Le Monde du 26 avril/

Compte tenu de l’implantation locale très importante de LR, il est évident que l’échec considérable du 23 avril (52 circonscriptions où F. Fillon était en tête) sera très fortement compensé. Difficile pour autant d’imaginer la conquête d’une majorité. Mais, en retour, difficile d’imaginer moins de 150 députés.

Par contre, compte tenu de la très forte adhésion des candidats FN - il est vrai contrariée par l’absence relative de leaders locaux- il est très probable que cette entreprise politique puisse obtenir entre 100 et 150 députés.

Le mouvement FI pourrait lui rassembler près de 50 députés.

Si l’on ajoute le défunt PS pour lequel il est difficile d’imaginer le nombre de députés pouvant être obtenu, on s’aperçoit vite qu’il sera très difficile pour EM d’obtenir la majorité parlementaire. Même avec l’effet de souffle provoquée par la victoire présidentielle, on imagine mal qu’il puisse d’après notre tableau dépasser les 250 députés.

 

 

 

[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2017/04/scenarios-pour-les-prochaines-legislatives.html

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30 mars 2017 4 30 /03 /mars /2017 20:07

 

Globalement, les débats dans la campagne n’abordent que peu l’Europe, et ce y compris à l’occasion du soixantième anniversaire de la signature du traité de Rome. Et, lorsque certains candidats en parlent, c’est souvent en termes d’aménagement, de renégociation, de démocratisation, de visite de son périmètre ou de ses frontières, etc. Aucun candidat ne pose évidemment le problème dans les termes généraux qu’ils convient, à savoir la crise de l’institution étatique. L’article que nous proposons ci-dessous, déjà publié le 25/O9/2015, mérite que l’on s’y arrête. Antérieur au BREXIT et à ses conséquences sur la menace de dislocation du Royaume Uni, il pourrait sans doute aussi éclairer cet événement majeur.

Bonne lecture.

 

Résumé.

L’organisation bruxelloise souvent désignée par le mot « Europe » est un outil efficace de reconfiguration des vieilles structures étatiques. Ces dernières ne sont ni détruites ni homogénéisées. A l’inverse, elles se « spécialisent » et anéantissent le vivre-ensemble qui était pourtant la finalité de l’organisation bruxelloise.

 

La construction européenne, plus particulièrement dans sa dimension Euro zone, est une machine reconfiguratrice des modes de capture des Etats. Ces derniers, en particulier ceux concernés par la-dite construction, furent d’abord - au cours de leur très longue période historique de construction et de consolidation - accaparés par des entrepreneurs politiques classiques, princes ou monarques, définissant et redéfinissant des frontières au terme d’alliances et de stratégies guerrières.

 

La décomposition des 4 piliers de ce qu’on appelle un « Etat ».

Dans ce contexte historique, la progressive montée des Etats nations, devait aboutir à ce que l’on définisse, au vingtième siècle, un Etat par 4 capacités fondamentales : celle de créer une monnaie, celle d’établir la loi, celle de rendre la justice, et enfin la capacité de déclarer et faire la guerre.

On sait aussi que les formes brutales de capture se sont progressivement « civilisées » : les entrepreneurs politiques, aux prises avec leur finalité d’accroissement de puissance, devant composer avec des groupes sociaux de plus en plus larges. Les premiers d’entre-eux seront les entrepreneurs de la finance et de l’économie. C’est ainsi que les modalités concrètes de la capture des Etats se sont progressivement complexifiées, avec avancée progressive vers ce qu’on appelle « l’Etat de droit », puis la démocratie, cette dernière étant précisément le mode moderne d’accaparement ou de capture des outils de la contrainte publique. D’où l’expression libertarienne selon laquelle la démocratie serait la possibilité pour une majorité « d’exploiter » une minorité.

L’édifice européen s’est d’abord construit sur la volonté de mettre fin à la quatrième capacité fondamentale des structures étatiques : supprimer la guerre comme réalité inacceptable. Nombre d’entrepreneurs politiques ont pu ainsi asseoir leur popularité et donc leur capacité à se reproduire au pouvoir, donc aussi leur légitimité, à partir de ce premier et sans doute fort louable renoncement à la pleine souveraineté.

Mais la construction européenne se devait toutefois d’aller beaucoup plus loin en raison de la place de plus en plus importante que devaient prendre les entrepreneurs de la finance et de l’économie. Commencée avec un curieux mélange de considérations politiques (la question allemande) et économiques (l’établissement d’un grand marché) la CECA devait pouvoir élargir son champ de compétences pour aller, dans un premier temps, jusqu’au Traité de Rome.

Dans ce type de configuration, les entrepreneurs politiques sont bien sûr toujours présents, mais ils acceptent progressivement leur démonétisation comme prix de leur reconduction au pouvoir. A ce titre, la capture des Etats devient extrêmement partagée et la loi comme la Justice doivent se conforter à des métarègles bruxelloises dont le contenu est de plus en plus décidé par d’autres groupes sociaux.

La mise en place d’une monnaie unique est, probablement, le couronnement de la démonétisation du politique, lequel sera désormais asservi aux règles de la finance et de l’économie : les 4 piliers de ce qu’on appelle « l’Etat » sont bel et bien en voie de disparition.

On aurait toutefois tort de considérer que la disparition soit complète. Les entrepreneurs politiques et les Etats en lambeaux qu’ils chevauchent encore, pouvant être utiles pour nombre d’acteurs. C’est ce que nous proposons d’appeler « processus de reconfiguration des Etats ».

S’il y a domination de la finance et de l’économie, le politique se trouve simplement asservi dans des espaces de « post-souveraineté », difficiles à définir, mais dont le contenu règlementaire se doit de protéger l’essentiel des libertés économiques : libre-circulation des marchandises, des capitaux et des hommes. Ces libertés ont une conséquence : faiblesse de la capture fiscale désormais concurrencée par les autres espaces de post-souveraineté, absence de solidarité entre espaces excédentaires et espaces déficitaires, asservissement par colonisation interne ou externe des restes des structures étatiques les plus vulnérables.

Ces quelques réflexions peuvent être illustrées par l’observation de quelques situations empiriques telles le Luxembourg, la Grèce ou l’Espagne, structures étatiques qui ont pu faire récemment l’actualité.

 

Le Luxembourg : coloniser l’Etat pour ne pas payer.

La situation géographique du Luxembourg a toujours fait de cet espace une zone tampon entre grands Etats prédateurs classiques : Duc de Bourgogne, Habsbourg, empire allemand, monarchie française et empire napoléonien, etc.

La construction européenne fut, pour le Luxembourg, une opportunité de nouvelles captures, gigantesques par la taille, et relativement réparties entre tous les acteurs présents et étrangers. L’entrepreneuriat politique fut consolidé et stabilisé par sa stratégie de braconnage fiscal des autres Etats en reconfiguration. Le « Tax ruling », le système bancaire, le « shadow banking » et la logistique financière sont devenus une gigantesque industrie exigeant de très nombreux emplois de très haut niveau (juristes, financiers, statisticiens, etc.) , dont les revenus anormalement élevés « ruissellent » sur des activités de services qui génèrent l’essentiel d’un PIB dont le niveau par habitant est 2 fois supérieur à celui validé en Allemagne. Un PIB artificiel fait de prédations et de paris sur différences de prix.

Il s’agit d’un processus de colonisation interne : Les innombrables étrangers ne sont pas des colonisateurs classiques (45% de la population totale). Ils utilisent un reste de souveraineté pour transférer des fonds issus du reste du monde et de la zone euro en particulier. Ils utilisent les services de l’Etat non pas pour l’asservir mais pour être protégé par ce qui lui reste d’autonomie : la possibilité de dessiner une frontière juridique dans les espaces règlementaires les plus avantageux et uniquement dans ceux-là. Une frontière juridique elle -même conférée par l’absence de souveraineté des autres Etats : Le Luxembourg n’a pas à craindre une intervention militaire de la part des victimes du braconnage. En ce sens, la perte de la quatrième capabilité des Etats, celle de mener la guerre, est un élément fondamental de la reconfiguration de l’Etat du Luxembourg. Historiquement pauvre, il était victime des grands prédateurs de l’entrepreneuriat politique du moment (Napoléon en fera un simple département). Aujourd’hui très riche, il ne craint plus les anciens prédateurs et se trouve protégé dans sa propre pratique prédatrice. Dans cette forme de reconfiguration, le non-respect de la contrainte publique la plus ordinaire, le paiement de l’impôt, devient droit positif.

 

La Grèce : coloniser l’Etat pour être payé.

Le cas de la Grèce est fort différent. Il n’y a pas d’étrangers qui conçoivent des accords de prédation fiscale avec des entrepreneurs politiques qui, contre rémunération, (tax ruling) accordent le braconnage de la fiscalité des Etats étrangers. Il y a à l’inverse des fonctionnaires étrangers qui depuis un hôtel édicte les règles du jeu du marché politique grec. Il s’agit ici d’une colonisation non plus pour moins payer mais pour être payé.

Parce que la construction européenne est l’asservissement de l’entrepreneuriat politique par les entrepreneurs de la finance et de l’économie, la grande question de la gestion des excédents et des déficits n’a pu être réglée comme cela se faisait à l’époque des Etats nations, c’est-à-dire par des transferts manifestant la solidarité entre des citoyens habitants des régions différentes et de niveaux de développement différents.

Les entrepreneurs politiques allemands ont bien eu le devoir de mettre en place chez eux les métarègles européennes. Par contre, ils n’ont pas reçu l’ordre de mettre en place un système de transfert garantissant le bon règlement des marchandises que l’industrie allemande déverse sur la Grèce. Un tel système, allant contre les intérêts de nombre d’acteurs allemands (entrepreneurs économiques bien sûr qui n’ont pas envie de payer des impôts pour la Grèce, mais aussi tous les autres acteurs et ce, pour les mêmes raisons) il n’était pas question qu’il devienne métarègle européenne.

Bien évidemment le résultat est connu : sans transfert dans un espace où l’Etat est historiquement d’une très grande fragilité en raison de la mémoire laissée par 450 années de lutte contre le pouvoir Ottoman, la faillite est au bout du chemin. Le transfert ne peut devenir métarègle, mais la concurrence se devant de rester libre et non faussée, une concurrence aboutissant à un énorme surplus allemand, la solution est donc la colonisation directe afin d’imposer la dévaluation interne comme seule possibilité d’assurer le fonctionnement du système. Le nouvel « Etat » grec est ainsi un protectorat avec des entrepreneurs politiques qui ne sont plus que des marionnettes actionnées par des fonctionnaires appliquant les métarègles.

 

La Catalogne : créer un Etat pour ne plus payer.

Il s’agit ici d’une reconfiguration par sécession. La relative disparition des 4 piliers fragilise, bien sûr considérablement, les structures étatiques les plus récentes ou les plus contestées historiquement. De ce point de vue, l’Espagne est une structure fragile avec des revendications identitaires dans nombre de provinces. A cette structure fragile se sont ajoutées les métarègles bruxelloises.

Si maintenant, l’inondation de la société par l’économie est plus aisée dans une province que dans une autre, il est clair que l’on retrouve la situation de l’Allemagne par rapport au reste de l’Europe. On peut ainsi dire que la Catalogne est à L’Espagne ce que l’Allemagne est au reste de l’Europe.

La Catalogne exporte beaucoup vers l’Espagne (50% du total de ses exportations) et importe assez peu du reste de l’Espagne. Un peu comme l’Allemagne par rapport au reste de l’Europe. Toutefois comme la Catalogne reste dans un espace de solidarité, il est évident que des transferts importants existent entre la Catalogne et l’Espagne. Ces transferts essentiellement fiscaux représenteraient 16 milliards d’Euros. Rien de très choquant pour un Etat nation classique. Mais, transferts devenus insupportables pour des acteurs qui cessent d’être citoyens dans un Etat dont la légitimité est contestée par l’existence des métarègles. Parce que l’européisme développe dans un même geste l’ouverture des marchés et la fin de la citoyenneté, donc le repli sur soi, le temps des fragmentations est arrivé et la Catalogne, comme l’Allemagne, ne peut accepter les transferts. D’où une exigence d’indépendance.

De fait, l’incertitude qui va probablement se prolonger, devra aussi intégrer le fait que la rupture comporte des coûts en termes d’économies de transactions : déplacement de sièges sociaux, mise en place d’institutions spécifiques, telle une banque centrale, etc., et bien sûr des coûts de négociation avec l’organisation bruxelloise qui, elle, soucieuse de sa propre reproduction devra choisir.

On le voit, les reconfigurations sont multiples et d’autres exemples pourraient être exposés (Italie, Belgique et bien sûr la Grande Bretagne). Ce qu’il faut toutefois retenir est, bien évidemment, que ce sont les structures étatiques les plus fragiles, fragiles par la taille ou par l’histoire, qui sont davantage prisonnières de l’étau de la reconfiguration.

On comprendra que le BREXIT est aussi une affaire de reconfiguration. Seulement l’Etat qui siège à Londres est évidemment une structure beaucoup résistante que celles que nous venons de décrire. C’est la raison pour laquelle les entrepreneurs de la finance et de l’économie alliés des oligarques bruxellois et entrepreneurs politiques européens déjà démonétisés n’ont pu imposer aux entrepreneurs politiques londoniens, le Remain tant souhaité. La reproduction au pouvoir de ces derniers étant liée à une majorité de Britanniques qui, pour de multiples raisons, restent beaucoup plus citoyens que dans nombre d’autres espaces.

Quand maintenant on parle d’une élection présidentielle faite de multiples événements inattendus, il faut bien comprendre que les dits événements ne se comprennent que dans le contexte de l’effondrement institutionnel lié à la présente reconfiguration des Etats. Et de ce point de vue l’issue de l’élection ne pourra en aucune façon correspondre au retour d’une période de sérénité.

 

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20 mars 2017 1 20 /03 /mars /2017 15:53

 

Jacques Sapir vient de retrouver l’un des textes fondateurs de l’euro. L’extrait ci-dessous tiré du Journal Officiel permet de répondre à tous les agitateurs qui parlent d’une augmentation considérable d’une dette à rembourser avec un Franc dévalué. Le présent texte vient utilement contredire les mensonges de toutes les officines chargées de défendre l’euro. Je laisse le lecteur apprécier lui-même la force du texte.

Règlement (CE) nº 1103/97 du Conseil du 17 juin 1997 fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro

Journal officiel n° L 162 du 19/06/1997 p. 0001 - 0003

 

(CE) N° 1103/97 DU CONSEIL du 17 juin 1997 fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro

LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,

vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 235,

vu la proposition de la Commission (1),

vu l'avis du Parlement européen (2),

vu l'avis de l'Institut monétaire européen (3),

Voici ce que nous trouvons dans le Considérant 8:

 

(8) considérant que l'introduction de l'euro constitue une modification de la loi monétaire de chacun des États membres participants; que la reconnaissance de la loi monétaire d'un État est un principe universellement reconnu; que la confirmation explicite du principe de continuité doit entraîner la reconnaissance de la continuité des contrats et autres instruments juridiques dans l'ordre juridique des pays tiers;

Il serait honnête que les officines chargées de répandre la peur corrigent d'elles mêmes leurs mensongères affirmations.

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17 mars 2017 5 17 /03 /mars /2017 16:35

Voici ce que nous avions publié en mars 2017 sur le blog. A l'époque il était déjà question d'une élection présidentielle. Globalement cet article reste d'actualité avec toutefois une réserve: il conclue sur le risque de guerre civile et il faudrait ajouter aujourd'hui le risque de guerre tout court.

Il y a le monde facile des apparences et des faits, et il y a le monde plus difficile de la mise en cohérence au travers de l’interprétation.

Au niveau des apparences, le désastre est partout présent : entrepreneurs politiques embarqués dans un mouvement brownien car dépourvus du GPS révélant le meilleur chemin de la conquête du pouvoir, partis politiques méprisant les résultats des primaires et donc le principe même de souveraineté, juristes discutant savamment de la réalité d’un coup d’Etat ou d’une séparation des pouvoirs légitimant la délinquance la plus crue, lobbyistes peu discrets mobilisant la grande presse pour développer la terreur sur l’euro, électeurs éclairés pris de vomissements mais d’autres complètement dépolitisés entrant en servitude volontaire au profit de candidats joueurs de flûte, programmes constitués d’histoires à dormir debout avec chiffrages au doigt mouillé, tireurs de ficelles bruxelloises affolés, etc.

Constatons pour se rassurer que les USA n’ont pas connu une situation si différente pour l’élection présidentielle de 2016, et que les débats concernant le Brexit n’étaient pas non plus très enthousiasmants.

Tentons de prendre un peu de hauteur par rapport aux évènements afin de saisir toute la substance de ce qui se passe. Et pour cela reprenons certains développements accessibles sur le présent blog.

 

Notre article consacré à la spécificité des crises de l’entrepreneuriat politique débutait ainsi :

« Les entreprises politiques sont des organisations en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent -et parfois en sont victimes - la puissance idéologique d'un "intérêt général", et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre institutionnel et juridique général. [1]»

 

Bien évidemment les faits qui se manifestent dans le marigaud électoral ne démentent pas cette hypothèse. Allons plus loin dans l’observation.

 

Sauf disparition, hypothèse que l’on ne peut à priori exclure – phénomène qui serait sans doute fort étranger à la thèse de la « fin de l’Etat » des marxistes – les Etats restent en raison de leur nature même une structure monopoliste. Et il est très difficile d’aller contre cette nature ainsi qu’en témoigne la crise de l’institution européenne.

Si d’aventure cette structure monopoliste se brise, on obtient assez logiquement plusieurs monopoles (pensons à l’URSS). Seules les modalités de la capture de l’Etat[2] évoluent et se transforment. Pendant très longtemps les modalités historiques de cette dernière purent développer la grande croyance en un bien commun appelé intérêt général.

 

Etat-Nation et grandeur d’un intérêt général

 

L’Etat-Nation résultait le plus souvent de la sublimation des ordres anciens, l’intérêt général étant le dernier substitut des dieux ou des conceptions organicistes de la société. Et un substitut fondamental, les hommes du stade historique correspondant ayant besoin de croire en lui, et devant affirmer bruyamment son existence, dans le cadre d’entreprises politiques pouvant elles-mêmes s’appuyer, plus tard, sur une science : celle de l’économie. Jadis il fallait impérativement croire en Dieu. Après l’éloignement de ce dernier il fallait croire en la nation, en la patrie enfin en un intérêt général. Plus tard encore cet intérêt général sera théorisé et légitimé par ces grands prêtres appelés économistes

Les formes de la capture de ce nouvel universel qu’est l’Etat-Nation par les différents acteurs – entrepreneurs économiques, citoyens validant plusieurs rôles, parfois simultanément, (salariés, consommateurs, épargnants)[3], et bien sûr entrepreneurs politiques - s’inscrivent toutes dans la ferme croyance de cet intérêt général, à construire et à reconstruire en permanence sur les marchés politiques. Ce qu’on appellera par exemple le « compromis social-démocrate » en France ou « l’ordo libéralisme » en Allemagne.

 

Le succès de cette forme s’est le plus souvent affirmé dans le cadre du développement de l’économie de marché, système produisant lui-même - selon Montesquieu et plus tard Albert Hirschman et tant d’autres - la « sublimation des passions vers les seuls intérêts ». Pourtant, et assez contradictoirement cette montée favorise celle de l’individualisme et l’effacement progressif de l’idéologie de l’intérêt général. Ainsi, en dehors de la science économique qui va maintenir son formidable ascendant sur une humanité consentante ou simplement résignée, les ersatz de Dieu comme la nation ou la patrie seront progressivement contestés.

 

Intérêt général et multiplication des produits politiques

 

Pendant très longtemps la montée de l’abondance sur les marchés économiques (trente glorieuses de l’occident et trente glorieuses des émergents) était en correspondance avec celle des marchés politiques. Correspondance logique, l’Etat n’étant qu’une extériorité à capturer, les grandes entreprises politiques et leurs acteurs franchisés que sont les entrepreneurs politiques, se devaient d’offrir comme sur les marchés économiques, l’abondance de produits, ici des produits politiques. Au fond, l’inondation de la société par l’économie était souhaitée par tous,elle était la forme concrète par laquelle devait passer l’intérêt général. Souvent ce qui ne pouvait être gagné sur les marchés économiques passait par la manipulation politique de ces derniers : élévation du taux de salaire, règles de protection ou de concurrence, taux de change, mise en place d’infrastructures, etc. Entrepreneurs politiques, entrepreneurs économiques et citoyens construisaient ainsi une interaction sociale adaptée à une formidable montée de l’économie mesurable par un taux de croissance.

 

Longtemps, il fût - pour les entreprises politiques - possible d’offrir comme au début du fordisme économique des produits politiques standards : perfectionnement des droits de l’homme, démocratisation croissante des institutions, droits sociaux généraux etc. Mais avec l’inondation de l’économie et l’émergence de produits de plus en plus personnalisés, les entreprises politiques, comme celles de l’économie, furent saisies de revendications multiples et de plus en plus personnalisées : fin du « nous » au bénéfice du seul « moi », fin du carcan des devoirs au seul profit des « droits liberté » et des « droits créances », fin de la loi comme générale abstraite et impersonnelle au profit d’une réglementation de niches qui vont proliférer, montée des agences de réglementation avec curieuse émergence d’une « soft Law », etc. Autant d’inflexions qui bien évidemment en arriveront au refus du destin partagé et jusqu’à la contestation radicale de l’impôt, d’où par exemple la multiplication de niches fiscales.

Cette réalité de la multiplication des produits politiques les plus divers et les plus variés est bien ce que nous constatons dans les multiples programmes jetés aujourd’hui au visage des citoyens comme des catalogues de la Grande distribution. Avec bien évidemment la grande difficulté de s’y retrouver puisque les produits se comptent par centaines, voire milliers. Derrière ces catalogues se profilerait encore l’idée selon laquelle les différents entrepreneurs politiques travailleraient à la construction d’un intérêt général, hypothèse hélas aujourd’hui magistralement contestée.

 

Le coût de production croissant de l’idéologie d’un intérêt général

 

Le manteau idéologique de l’intérêt général qui était le produit symbolique fondamental des grandes entreprises politiques laisse apparaitre , avec la tournure prise par la campagne électorale, la réalité cachée : les entrepreneurs politiques, qui ont depuis si longtemps et fort banalement, professionnalisé ce qui ne pouvait l’être, ne sont peut-être pas, (ou plus) altruistes et dévoués à la Nation. Plus brutalement encore, pour employer un langage libertarien, ces « coûts de la production de l’idéologie de l’intérêt général[1] » que sont les dépenses publiques pour augmenter la productivité des citoyens (leur plus grande efficacité augmente la matière première taxable), pour homogénéiser les populations et produire un « nous », c’est-à-dire une identité commune que l’on va célébrer (école), pour produire le respect des règles (police, gendarmerie, justice) pour légitimer l’obéissance et contrôler les croyances (dépenses sociales), vont se faire croissants. Ils deviennent asymptotiques avec les derniers évènements de la présente campagne.

Lorsque le coût de production de l’idéologie de l’intérêt général est faible, la nation est forte car le coût de se rebeller est élevé : les « barrières à l’entrée du désordre » sont élevées. Si maintenant les entrepreneurs politiques se démonétisent, les dépenses de production de l’idéologie de l’intérêt général deviennent hors de portée et les espaces de désordre ne feront que croître[2].

Ce que nous constatons bien évidemment aujourd’hui aussi bien en France que dans nombre d’Etats.

 

Marx expliquait, sans doute maladroitement qu’en capitalisme, le marché masquait la réalité de l’exploitation en transformant le coût du travail en un simple prix (le salaire), ce qui n’était pas le cas des modes de production antérieurs, où la réalité de l’exploitation se lisait brutalement à livre ouvert (esclavagisme, féodalisme, etc.). La fin de l’Etat-Nation serait ici un processus inverse : la réalité de l’Etat - un universel ou une extériorité accaparée et utilisée à des fins privées- n’apparait qu’avec la généralisation du marché, lorsque l’idéologie d’un intérêt général ne peut plus être facilement reproduite et à l’inverse a tendance à se trouver contestée. Le marché cachait la réalité du capitalisme, il découvre aujourd’hui la réalité de l’Etat. Avec toutefois un constat d’impuissance : capitalisme et Etat semblent être des réalités indépassables : par quoi remplacer le marché ? Par quoi remplacer l’Etat ?

 

Intérêt général démasqué et démonétisation de l’entrepreneuriat politique

 

De façon moins savante et à la « surface des choses » cela signifie le grand déclin des grandes entreprises politiques et de leurs franchisés, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques eux-mêmes. Ces citoyens devenus simples consommateurs de produits politiques connaissent désormais la partie cachée du réel. Ils veulent de la transparence. Ils veulent de la participation. Ils pensent confusément que désormais, la démocratie telle qu’elle est, se révèle possiblement être un système qui permet à chacun de voler tous les autres. Mieux ils constatent l’affaissement de la démocratie avec des traités européens qui musellent concrètement les résultats du jeu démocratique. Ils pensent confusément que l’impôt est largement illégitime et ne s’émeuvent de l’exil fiscal que lorsqu’il est pratiqué par les grandes entreprises. Etc.

Mieux, ils contournent -comme dans la distribution- la chaine logistique de l’approvisionnement et créent des groupes de pression négociant directement avec les administrations. L’ivresse individualiste fera des anciens citoyens des révolutionnaires d’un type nouveau[3] avec volonté d’abattre toutes les structures intermédiaires qui faisaient aussi le miel des entrepreneurs politiques : syndicats, ordres, corps, etc. On sait aujourd’hui que le développement du numérique permet le plein épanouissement/aliénation de « l’individu désirant », et l’intelligence artificielle permet par connexion généralisée de le greffer en permanence sur le marché. Ce même numérique permet aussi de supprimer les tiers (Block-Chain) dans des transactions qui se feront toutes « pair à pair » et rendent ainsi la puissance publique inutile. « Libération de l’homme » et impérialisme du marché marchent ainsi main dans la main sur les chemins ouverts de la Silicone Valley. Comment encore respecter l’entrepreneur politique, qui, non seulement devenu inutile par l’efficience partout proclamée du marché - un marché qu’il vante sans se rendre compte qu’il scie la branche sur laquelle il est assis- se révèle être un délinquant ordinaire, ce que révèle l’actuelle campagne électorale?

 

Le grand démantèlement de l’Etat.

 

Toujours à la « surface des choses » on semble assister au grand affaissement de l’Etat. Ainsi pour ne parler que de la France on a vu apparaitre des agences indépendantes (« Autorités administratives indépendantes »), chargées de la régulation d’un secteur, par exemple l’AMF pour la régulation financière[4]. Bien évidemment on a vu apparaitre l’indépendance des banques centrales, ce que nous avons appelé « l’écrasement de la verticalité »[5]. On a vu également des institutions, théoriquement au service de l’Etat, telles le Conseil Constitutionnel ou la Cour de Comptes dépasser un simple contrôle de régularité (mission officielle) pour en arriver à émettre des injonctions. On a pu aussi voir des entreprises étrangères accaparer une procédure d’exception de Constitutionnalité, qui elle-même n’existait pas il y encore peu de temps. On voit aussi apparaitre des traités portant sur le libre -échange, traités interdisant ex-anté toute forme d’intervention étatique.

Il est vrai que cet Etat contesté est devenu lui-même squelettique, n’en déplaise aux critiques qui le voient imposants et briseurs de libertés individuelles. Ainsi, au sens comptable le bilan des Etats est devenu léger en termes d’actifs et lourd en termes de passif, ce qui laisse un actif net continuellement décroissant. Les causes en sont simples : les entrepreneurs politiques n’ont eu de cesse de privatiser et laisser au marché nombre d’entreprises publiques, alors même qu’ils endettaient considérablement la puissance publique pour grossir la capture du secteur privé (entrepreneurs politiques, et citoyens devenus « individus désirants », notamment d’un Etat-social toujours plus « nounou » ). Cette baisse de l’actif net fut un puissant outil de la reconduction au pouvoir ou de la conquête du pouvoir. Bien sûr, en retour, le bilan du secteur privé s’est lui considérablement amélioré : dette publique devenue matière première d’une épargne beaucoup plus importante avec la montée de l’économie[6]. Inutiles, les entrepreneurs politiques sont aussi devenus d’une certaine façon « pauvres »…tout au moins en moyens publics mobilisables…

Inutiles, délinquants, et de toutes façon pauvres….Comment encore les respecter ?

 

Bref, l’interaction sociale qui – il y a très longtemps et probablement plusieurs milliers d’années -avait généré puis sacralisé l’Etat, est aujourd’hui force de sa désacralisation. Et cette dernière ne peut évidemment pas servir des constructions supra-étatiques telle l’Europe : les Etats ne se déconstruisent pas au profit d’une identité européenne laquelle souffre au même rythme que ses participants. L’euro est le produit phare de la contestation de l’Etat-Nation, mais simultanément, de par ses effets destructeurs il détruit l’idée même d’un futur supra-étatique[7]. Il apparait ainsi impossible de construire le « supra » si « l’infra » est devenue matière première en décomposition. Dominique Reynié a ainsi tort de s’étonner que le désaveu européen ne corresponde pas à un regain de confiance de l’Etat-Nation.

Les entrepreneurs économiques ne sont sans doute pas en reste et sont les premiers à échafauder de puissants lobbys. Ils rêvent, avec la mondialisation d’un monde sans Etat et considèrent parfois ceux-ci comme des contraintes inutiles voire nuisibles au bon épanouissement du marché, d’où les procédures de contournement facilitées par l’immatérialité de leurs activités liées à Internet, et l’apparition d’entreprises dites « sans Etat » (Google, Amazone, etc.).

Beaucoup veulent aller plus loin et - pensant que l’économie est un ciment social plus honnête que celui offert par les marchés politiques- ils se précipitent dans l’utopie du Zéro impôt ou de la monnaie privée. Ainsi le « Bitcoin » , non pas en tant que monnaie locale, mais en tant qu’étalon monétaire classique devrait, pense-t-on, se substituer aux étalons classiques en perte de crédibilité. Utopie bien sûr, puisque la monnaie – désormais éloignée d’un Etat qui ne l’émet plus et que l’on dit pourtant « équivalent général »- suppose la règle de la loi et donc la violence de l’Etat. Utopie donc, mais parfois rationalité prudente, et toujours sur le plan monétaire, face à l’insécurité grandissante sur les monnaies des Etats, utilisation de plus en plus massive des matières premières comme instrument de réserve des valeurs : blé, sucre, pétrole, or, etc.

A un niveau plus concret ces croyances et comportements plus ou moins libertaires déconstruisent le monde hiérarchisé de toujours pour plébisciter un monde plat : la société devient hall de gare ou d’aéroport pour reprendre l’expression de Finkielkraut. Le « vivre ensemble », question qui ne se posait pas, devient problème quotidien en ce qu’il désigne un mot signifiant la désintégration de la réalité qui lui correspond. Mais précisément, c’est cette désintégration qui propulse sur l’avant- scène d’autres forces souvent parfaitement contraires à celles du jusqu’auboutisme de « l’individu désirant ».

Que conclure de tout ceci ?

Les entrepreneurs politiques – dont on sait mieux aujourd’hui qu’ils sont de petites PME fonctionnant sur argent public- et les entreprises politiques dont ils sont les franchisés tentent au travers de l’élection présidentielle de maintenir la fiction d’un intérêt général dont ils seraient les porteurs. Jusqu’ici les grandes entreprises politiques classiques se devaient d’adopter des comportements de plus en plus mimétiques : Aucune ne pouvait résister sérieusement face à la puissance du marché fait de libéralisme économique et de libéralisme culturel. D’où la confusion croissante entre une gauche et une droite. D’où aussi l’acceptation du grand mouvement de dé- démocratisation notamment impulsé par les entrepreneurs politiques de l’Union européenne.

Précisément face à ce mimétisme pouvant aller jusqu’à la confusion avec le « macronisme » en France ou à la grande coalition en Allemagne, une résistance s’organise et repose le principe de souveraineté de la période antérieure.

La résistance est ici le fait d’acteurs se disant encore citoyens et ne voyant dans l’effritement de la souveraineté, qu’une manipulation des entrepreneurs politiques qui, associés à des entrepreneurs économiques, détruiraient la Nation de toujours. Nous avons là l’émergence des entreprises politiques dites populistes, notamment celles que l’on rencontre aujourd’hui dans nombre de vieux Etats européens (Autriche, Pays-Bas, Slovaquie, Finlande, Hongrie, Grèce, France, etc.). Parce que résistante cette forme est évidemment moins pacifiste, et l’on y retrouve la logique violente de la recherche de boucs émissaires. Cette opposition nourrie par les perdants de la mondialisation se cache derrière un certain nombre de traits caractéristiques : valorisation du « nous » comme « descendants d’un âge d’or », rejet de l’autre (« Altérophobie ») et en particulier des élites coupables, conception organiciste du monde, évidemment rejet de la mondialisation.

Simultanément l’accélération de la marchandisation du monde, encore une fois la mondialisation, inquiète les plus éloignés des nouvelles réalités. Ainsi les changements technologiques majeurs, qui agitent le monde supposent de nouvelles formes d’apprentissage, d’amortisseurs sociaux, de nouvelles infrastructures, de nouvelles formes d’homogénéisation que les entrepreneurs politiques classiques disqualifiés sont incapables de proposer[8] .

Parce que la France est un vieil Etat-Nation et que ce pays est le plus résistant à l’ordre du marché, il est clair que l’entreprise Front National est porteuse d’avenir.

Constatons du même coup que les marchés politiques vont se faire plus violents, car l’élection présidentielle de 2017 ne concerne pas une alternance douce entre projets que l’inondation économique acceptée voire souhaitée, rendrait semblables. Le débat droite/gauche qui n’en était plus un depuis si longtemps est maintenant remplacé par le débat souveraineté/mondialisation et ce débat, autrement plus rude, pourra mener aux portes de la guerre civile.

 
 

[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-crise-de-l-ump-et-la-specificite-des-crises-de-l-entrepreneuriat-politique-123808610.html

[2] Cf: http://www.lacrisedesannees2010.com/article-que-signifie-l-idee-de-capture-de-l-etat-106249731.html

[3] Cf. http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html

[1] Et il faut bien comprendre ici que les entrepreneurs politiques ne font pas que tromper, ils se trompent eux même car la tromperie est le ciment social qui se passe de générations en générations.

[2] On parlera par exemple de zones de non droits , d’espaces où la République a disparue.

[3] Cf : l’essai de Gaspard Koening : « Le Révolutionnaire, l’Expert et le Geek ; combat pour l’autonomie » Plon 2015.

[4] Il existe aujourd’hui près de 1000 agences dites de régulation émettrices de ce qu’on appelle la « soft law ».

[5] Cf. « regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir », Economie Appliquée, tome LXVI, octobre 2013).

[6] Thomas Piketty note ainsi que dans les années 60 le patrimoine public net représentait environ 100% du RN. Il est aujourd’hui dans nombre de pays européens proche de 0. Cf : « Capital public, Capital privé » dans Le Monde du 11 mars 2017.

[7] Les dévaluations internes imposées par Bruxelles dans les Etats du sud, font que les niveaux de vie entre le nord el le sud connaissent des écarts tels qu’il n’est plus imaginable d’habiter une maison commune. Qui à t-il de commun entre le Bade Wurtemberg et le Péloponnèse ?

[8] Cf le très intéressant ouvrage de Thomas friedman : « Merci d’être en retard » ; Saint Simon ; 2017.

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24 février 2017 5 24 /02 /février /2017 17:22

 

Les candidats souverainistes à l’élection présidentielle, à supposer que l’un ou l’autre arrive au pouvoir, ne pourront en aucune façon négocier ou renégocier les Traités et devront agir avec la rapidité de l’éclair pour mettre fin de façon unilatérale avec les structures de l’actuelle UE. Quelle que soient les modalités d’une refonte négociée des règles du jeu, le blocage interviendra avant même la prise de fonction à l’Elysée. Il n’y aura donc pas de négociation avec l’Allemagne et il n’y aura pas de référendum les sanctionnant.

La raison en est bien connue : les marchés ne peuvent intégrer pareil évènement tant son importance serait colossale et ses conséquences immédiates pour le pays.

La fuite vers la qualité, déjà commencée avec l’aggravation du spread de taux avec l’Allemagne[1] interviendra sans limite dès l’annonce du résultat. Dès le 8 mai le système bancaire sera en difficulté en raison de déplacements massifs de capitaux, tandis que le marché interbancaire, bien au-delà de celui du « repo », cessera de fonctionner. Le Trésor dont la gestion de trésorerie fixe un objectif de solde journalier nul sera lui-même en défaut bien avant la prise de fonction.

 

Telle que nous est présentée l’actuelle programmation des adjudications organisées par l’Agence France Trésor, il semble évident que l’adjudication du 4 mai sera très difficile si une victoire souverainiste est anticipée. Bien évidemment en cas de victoire, celle du 8 mai sera impossible à organiser, ce qui signifie un défaut du Trésor dans les heures qui suivront.

Il y aura donc, au-delà de la fuite des capitaux, un mouvement parallèle d’effondrement complet de la liquidité dans l’ensemble du système financier : les banques qui verront la disparition de leurs capitaux propres par effondrement de la valeur de la dette publique détenue en actif, le Trésor coupé de ses ravitailleurs que sont les SVT (Spécialistes en valeurs du trésor qui ne sont que des banques acheteuses de dette publique), les vendeurs de CDS[2] sur la dette de la France qui sont au cœur du shadow banking, etc. De proche en proche, c’est dans la journée du lundi 8 mai que l’ensemble du système financier français s’effondrera, avec la perspective d’un « bank-run » engendreur des premiers affrontements et violences dans les rues et les magasins.

Il est donc très important d’imaginer la réaction politique face à un tel évènement.

La première est celle imprimée par la puissance dévastatrice de la finance, qui déployée quelques jours ou semaines avant l’élection, aurait de quoi faire peur à l’électeur souverainiste et l’inviter à se ranger sagement sous la houlette des candidats européistes. De ce point de vue, la crise financière est un allié indéfectible des candidats européistes/mondialistes. Tout rentrerait ainsi dans l’ordre….en attendant un effondrement encore plus grand, encore plus douloureux, et de probables violences…. cette fois entre nations….

La seconde, plus difficile, est celle de la témérité des électeurs qui « n’en ayant plus rien à faire » décident d’affronter la finance et élisent un candidat souverainiste. Il est clair que, dans ce cas, il faudrait la coopération du pouvoir finissant pour prendre les mesures nécessaires. Elles sont connues : réquisition de la Banque de France[3], fin de la libre circulation des capitaux, réquisition de l’ensemble du système financier, et donc affranchissement au regard de l’ensemble des règles de l’UE.

Cette coopération ne serait pas facile à obtenir dans l’heure. Historiquement on sait que Raymond Barre n’a pas cru devoir informer sérieusement le nouveau président François Mitterrand dans les jours qui ont suivi le 10 mai 1981. Il est vrai qu’à l’époque la finance était encore dans sa « boîte » et qu’elle se trouvait être infiniment moins dangereuse qu’aujourd’hui. Le pouvoir finissant manifestera-t-il, dans un dernier geste certes fort contrariant pour lui, le sens de ses responsabilités historiques, lesquelles tout au long de son mandat lui ont fait si cruellement défaut ?

 

 

[1] Le spread sur le bund allemand à 10 ans, négligeable en 2016, est aujourd’hui proche de 100 points de base.

[2] L’encours de CDS sur la dette française ne cesse de croitre et se trouve être l’un des plus important du monde selon la Depositary Trust And Clearing Corporation (DTCC). Il se trouve que l’ISDA a diminué les critères de déclenchement des CDS, ce qui signifie que nombre de vendeurs de CDS sont très exposés à un effondrement du cours de la dette française.

[3] Pour plus d’informations on pourra se reporter à nombre d’articles sur le blog et en particulier : http://www.lacrisedesannees2010.com/2017/02/elections-presidentielles-ce-que-les-souverainistes-devraient-avoir-en-tete.html

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