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16 août 2024 5 16 /08 /août /2024 14:42

La logique présidentielle fera émerger dans quelques jours un exécutif proche du bloc dit « central ». Ce nouveau pouvoir devrait être fort contraint par le risque d’une proposition de censure   initiée soit depuis le bloc de gauche soit depuis le RN. Des vagues pouvant additionner jusqu’à 335 voix au moins. Dans le même temps, il doit pour exister répondre aux exigences fondamentales des anciens citoyens devenus aussi groupes de simples consommateurs  non pas  de programmes politiques auxquels plus personne ne croit  mais de produits politiques adaptés à des ensembles plus ou moins solidaires mais aussi plus ou moins antagonistes. Il est facile de dresser la liste de ces exigences - certaines probablement fondamentales d’autres moins -   qui, là aussi, s’additionnent et se trouvent représentées dans des partis devenus entreprises politiques largement incapables d’offrir, face à leurs marchés émiettés, un programme cohérent : SMIC et pouvoir d’achat, réforme des retraites, pauvreté et inégalités, fiscalité, services publics (école, santé, etc.) immigration et sécurité. Cette liste qui figure dans tous les sondages est confirmée par la dernière enquête IPSOS de juillet.

Curieusement, ce même bloc central sera dominé par une ex majorité présidentielle, contestée depuis très longtemps sur les sujets que nous venons d’énumérer. Ajoutons que ce bloc est extrêmement hétérogène avec des fractures importantes sur des dossiers décisifs, comme celui de la fiscalité ou du libre-échange. C’est dire que ce bloc central ne peut, curieusement, tenir que s’il est puissamment épaulé par les 2 autres. Probablement incapable d’assurer sa cohérence interne, il ne peut survivre que par la contribution de son environnement. Il doit par conséquent être beaucoup plus qu’encadré et bénéficier d’une aide de ses adversaires. Il s’agit d’un important paradoxe.

Selon les modalités de son action il devrait tantôt s’appuyer sur la gauche, tantôt sur le RN et tantôt sur les deux. Sur le plan de la réforme des retraites, il n’aura guère le choix et devra impérativement obéïr aux exigences conjuguées de la Gauche et du RN, exigences qui vont peser très lourd dans l’adoption ou non du budget 2025, et donc dans la survie du nouvel exécutif. Pour le reste, il lui faudra compter sur une aide indispensable du RN.

Et cette aide devra s’envisager quel que soit le domaine législatif ou règlementaire.

Les propositions du nouvel exécutif ne peuvent être que fort modestes dans ce qui impacte le fonctionnement de l’économie et on verrait mal ce bloc central partir en guerre contre les règles du jeu du néolibéralisme de marché, règles surveillées étroitement par la holding européenne. Qu’il s’agisse de la hausse du SMIC, du chômage, voire du prix de l’électricité, et de tant d’autres sujets, les marges de manœuvres seront de plus en plus réduites Dans ce registre, il devra affronter de façon violente la gauche qui exigera de nouveaux impôts et il ne pourra être sauvé que par une bienveillance ou une neutralité du RN. En cas de motion de censure lancée par la gauche, il devra négocier une simple abstention de celui qui reste officiellement son adversaire.

Dans le registre des textes portant sur l’amélioration des services publics, l’impact économique est lui aussi non neutre et à court terme risque de peser sur le déficit et la dette. On ne pourra rétablir le service public hospitalier en misant sur les seuls gains de productivité. Même chose pour l’école ou l’Université. C’est dire que le nouvel exécutif va rencontrer d’énormes difficultés dans la volonté attendue de dominer les questions budgétaires. Si, en ce domaine, le risque de censure par la gauche est probablement plus faible, le bloc central ne pourra l’emporter qu’avec au moins la neutralité bienveillante du RN.

S’agissant maintenant des réformes touchant la sécurité, les frontières et les flux migratoires, le bloc central sera lui-même intrinsèquement faible en ce domaine et il est très clair qu’il faudra largement dépasser la négociation d’une simple bienveillance du RN et donc collaborer directement avec lui.

Quels  que soient les projets,  textes, voire les amendements discutés , l’onction du RN sera fondamentale. C’est dire que l’usine Assemblée Nationale fonctionnera largement sous haute influence RN.

 

 

 

 

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9 août 2024 5 09 /08 /août /2024 15:29

 

La présente note se propose de montrer qu’il sera difficile à court terme comme à moyen terme de construire un exécutif stable en France. Loin des questions constitutionnelles et organisationnelles trop souvent mises sur le devant de la scène, cette réalité est le résultat d’une confrontation entre identité anthropologique nouvelle et une architecture économico-financière inadaptée.

Le "pacte du chameau"

Nous commencerons par discuter d’un modèle amusant présenté il y a plus de 10 ans par le philosophe Jean- Pierre Dupuy à la suite des travaux de Jacques Lacan : le pacte du Chameau. Expliquons. Soit un univers composé d’un propriétaire de 11 chameaux  souhaitant transférer son patrimoine auprès de ses trois enfants. Le transfert obéit à des règles a priori non négociables : La moitié du patrimoine pour le premier enfant, le quart pour le second et le sixième pour le dernier. Une autre règle est que le transfert se réalise en laissant vivants les animaux.

Concrètement ces règles bloquent le transfert, lequel s’avère impossible et va susciter désordre et peut-être violence. La solution consiste donc à transformer les règles du jeu (la loi si l’on tente de se représenter les choses dans une société concrète) ou bien de recourir à des tiers facilitateurs. Si la loi n’est pas modifiable, prévenir la violence suppose que le propriétaire de chameaux emprunte un chameau à l’extérieur de la communauté, ce qui fera  que le transfert respecte les règles à partir d’un patrimoine non plus de 11 mais de 12 chameaux. Dans ce cas, nous obtenons un transfert respectant les règles et donc sa bonne réalisation : 6 chameaux (règle des 50%) pour le premier, 3 pour le second (règle du quart) et 2 pour le dernier (règle du sixième). Le transfert s’effectue sans difficulté et laisse un chameau non transféré aux héritiers lequel pourra être rendu au prêteur extérieur.

Par analogie avec notre monde ce modèle est très riche. Sans l’autorité du propriétaire, il n’y avait aucune chance de voir se réaliser le transfert dans le respect complet des règles. Avec cette même autorité il n’y a même pas besoin d’emprunter un chameau : il suffit de l’imaginer comme une réalité qui n’existe pas. C’est donc une fiction collective qui seule permet la transaction et donc établit une sorte de pacte social. Le marché donc la libre négociation entre les enfants ne pouvait aboutir sans le viol des règles. Comme disent les économistes, il n’y avait pas de possibles échanges mutuellement avantageux.

Il faut  aller plus loin encore et la fiction collective est elle-même issue du caractère intangible des règles du jeu, caractéristique technique qui interdit radicalement le transfert : Le modèle Dupuy/Lacan fait des règles sociales une extériorité radicale : les humains ne peuvent y toucher. La loi ne se discute pas et se trouve indépendante de leur volonté. Sans doute s’agit-il d’une aliénation empêchant de se rendre compte que la loi n’est qu’une convention humaine. Mais c’est précisément parce qu’il y a aliénation qu'il faut inventer le pacte social, ici le pacte du chameau.

La France et son peuple d’individus désirants

 Globalement, le fonctionnement d’une société passe par une extériorité qui surplombe la communauté. Une extériorité qui crée du collectif et produit une réalité anthropologique c’est-à-dire selon le langage de Bruno Latour un « mode d’existence ». Si cette extériorité s’affaisse progressivement - pensons à la naissance d’un droit naturel, puis d’un droit construit par les hommes comme purement conventionnel, affaissement pouvant donner naissance à une simple foule d’individus désirants, c’est-à-dire un autre « mode d’existence » -  alors il est probable que ce qui reste du champ politique s’affaisse tout doucement dans un même mouvement. Et c’est précisément ce que nous constatons depuis longtemps en France, et sa mise en pleine lumière aujourd’hui, avec un rejet/émiettement des entreprises politiques censées produire du pacte social. Avec l’émergence du simple individu désirant, ce que nous avons souvent appelé le « consommateur souverain » ; avec la contestation de plus en plus radicale de la règle en tant qu’extériorité qui lui est associée, la France est susceptible de  connaître de grandes ruptures institutionnelles. Et des ruptures qui risquent de rester tempêtes dans un verre d’eau si les consommateurs souverains s’avèrent insusceptibles de retrouver une extériorité porteuse de collectif.

Concrètement, la crise politique que nous vivons est un peu la perte du pacte du chameau et la tentative pour le retrouver, d’abord sous la forme d’un exécutif stable. Parce que tout exécutif risque d’être minoritaire, les citoyens disparus au profit de consommateurs souverains se retrouvent dans la situation des héritiers du propriétaire des chameaux...sans le pacte du chameau.  Concrètement peu de négociations possibles et vote rapide de la censure parlementaire. Sans le pacte, l’héritage était bloqué. Aujourd’hui, sans extériorité qui donne du sens à une foule errante, le jeu politique est bloqué.

Ce qu’il faut donc faire naître est un consensus relatif, une véritable majorité (289 voix) laquelle ne peut se construire… qu’en donnant la plus grande satisfaction individuelle aux participants de la foule. Si l’on revient au modèle, sans l’intangibilité des règles et donc sans la fiction du chameau emprunté sur un extérieur, les héritiers se seraient accordés par le biais d’un non- respect des règles : soit le nom respect des quotas de partage, soit le découpage des chameaux, soit les deux. Sans pacte du chameau, il n’y a plus que le bricolage des règles. Qu’en est-il pour une France qui ne connait plus que la foule ?

La foule invite les marchés politiques à surproduire un cadre réglementaire incohérent

Bien évidemment, le nombre de règles du jeu social est infiniment plus important que dans le cas du partage des chameaux. Toutes ces règles sont discutables et aucune n’est intangible. Elles n’expriment même plus un universel tant elles sont adaptées aux situations les plus particulières et les plus individuelles. La disparition de l’extériorité au profit de la foule se lit aussi dans la surproduction de l’usine qui fabrique le droit : le Journal Officiel ne cesse de s’épaissir et le secrétariat général du gouvernement comme le Conseil d’Etat sont en suractivité. De surcroit ,on ne connait pas de façon précise les effets collectifs d’une évolution de la montagne des règles, ce que l’on traduit par les nombreuses critiques sur l’insuffisance des outils d’évaluation des politiques publiques. Ce que dans un autre vocabulaire nous avons appelé « incohérences programmatiques ». Parvenir à une majorité de 289 voix consistera donc à donner satisfaction à une multitude d’acteurs aux intérêts opposés.

Dans un tel contexte est-il possible de retrouver un pacte du chameau ? Du point de vue du Président de la République, l’effacement progressif de l’extériorité devient le problème que ne rencontrait pas le propriétaire des chameaux. Avec la crise politique il n’est plus -au mieux- que simple patron tentant de construire une holding politique produisant des règles du jeu favorables aux consommateurs souverains. De quoi accumuler des marchandises plutôt que de la lumière. L’intangibilité d’un corpus juridique n’a plus aucun sens dans un monde devenu complètement opportuniste. Nous ne sommes plus à l’époque où un Pierre Cot pouvait se proposer de « balayer les escaliers au service de la France » : il suffisait, en ces temps de guerre, de balayer pour faire réapparaître un pacte du chameau. Reconstruire la France était l’équivalent du pacte du chameau. Aujourd’hui les choses sont infiniment plus difficiles. Signalons aussi qu’il n’est pas dans l’agenda du Président de la République de chercher un premier ministre qui serait en dehors du paraître et de la course aux médias : la foule des consommateurs souverains tant droguée à la publicité et la communication ne comprendrait pas. Les entreprises politiques complètement déboussolées ne peuvent plus proposer de programmes et se contentent de multiplier des produits politiques insignifiants pour, comme dans la distribution, attirer l’acheteur englué dans la marchandise.

Vers la « tragédie des communs ».

Concrètement, l’Etat devrait encore grossir avec de nouvelles dépenses exigées par les consommateurs souverains débarrassés de toute forme d’extériorité venant encadrer et canaliser leurs exigences. Et ces dépenses seront concentrées sur ce sur quoi les députés ont la charge, à savoir tout ce qui relève de l’Etat-providence, lui-même élargi à une composante sociétale non limitée (les minorités bruyantes). Ce grossissement sera enclenché par des votes rassemblant une coalition d’intérêts politiques à L’Assemblée Nationale. Bien évidemment, les tentatives pour limiter les déficits publics correspondants (hausses de pressions fiscales diverses) seront, dans un monde ouvert, peu efficaces : fuite des gros revenus à l’étranger, fuite de l’épargne, chute de l’investissement dans un contexte de rentabilité affaiblie, hausse du coût de la dette publique, etc.

Globalement parce que le monde est devenu foule de consommateurs souverains et que les limites à la dépense reculent en raison de la nécessaire et très difficile fabrication d’une majorité à L’Assemblée nationale, nous nous retrouvons, plus que jamais, dans ce que les économistes appelaient « la tragédie des communs » laquelle devrait inclure celle de l’environnement. De la même façon que la concurrence entre pêcheurs dans un monde non régulé entraîne un sur-prélèvement et l’appauvrissement des océans, la crise politique entraîne un processus semblable que nous proposons d’appeler « surexploitation du PIB » (la bataille sur les marchés politiques favorisera une foule dépensant un revenu qui n’est pas produit). C’est l’extériorité radicale qui, dans le modèle de Dupuy, permettait les transactions entre héritiers. C’est sa disparition qui aggravera en France la surexploitation du PIB (et probablement de l’environnement) par ce qui est devenu la foule. Avec une conséquence évidente et oubliée : un déficit extérieur abyssal.  Avec bien évidemment des conséquences sur les marchés financiers et au niveau bruxellois sous la forme de procédures de surveillance voire de sanctions diverses jusqu’ici jamais appliquées.

 Un « mode d’existence » travaillé par la fiche d’identité monétaire

Dans le modèle social-démocrate français antérieur, celui d’avant la monnaie unique, le risque existait déjà, mais la sanction était rapide : toute surexploitation du PIB se payait d’une dévaluation. Cette dernière faisant office d’externalité. Cette surexploitation du PIB était moins le produit d’un consommateur souverain encore embryonnaire que celle de la lutte des classes que l’on régulait par de l’inflation. Finalement, il fallait respecter les règles du jeu et donc la monnaie nationale était un peu l’équivalent de la fiction du chameau dans le modèle de Dupuy. Au fond la monnaie nationale empêchait que le citoyen ne se transforme plus complètement en consommateur souverain. Plus encore, la monnaie nationale protégeait le modèle anthropologique, le « mode d’existence » de Latour. Dans la présente situation, cette surexploitation du PIB est plus durable et comme les entrepreneurs politiques le disent stupidement ou malhonnêtement : l’euro protège. Plus sérieusement il prolonge une tragédie des communs. Plus concrètement encore la monnaie unique élargit l’espace d’errance de la foule et entretient son ADN : l’euro est une liberté nouvelle pour les consommateurs souverains. Il entretient un nouveau « mode d’existence ». Que deviendraient ces millions de français qui pratiquent tant le tourisme à l’étranger avec une monnaie surévaluée par rapport à ce que serait la monnaie nationale ?

Un Président de la République marchant sur un fil

Le président de la République est ainsi amené à poursuivre sa dangereuse marche sur un fil. Pour conserver le pouvoir, il ne peut qu’aller dans le sens de la foule des consommateurs souverains qui sont aussi, pour certains, défenseurs de la souveraineté absolue du capital, donc de son errance. Une errance que l’on va tenter de réduire avec la prise de conscience du drame de la désindustrialisation. Mais, en même temps, il doit veiller à ne pas affoler ses collègues bruxellois dont il espère la reconnaissance future dans sa candidature à la présidence d’une fédération d’Etats européens. Le choix du futur premier ministre dépendra de la seule capacité de ce dernier à accompagner le parcours privé du Président de la République sur le très haut câble aérien qui doit le mener jusqu’à Bruxelles pour y saisir un gain politique nouveau. Simple contrainte  de carrière toute personnelle.

 Observons pour terminer  que ce choix est en rupture avec l’idéal néo-libéral. Ce dernier fabrique un nouveau modèle anthropologique, mais un modèle ancré dans l’intangibilité d’un corpus juridique très responsabilisant : consommateur oui, mais foule errante attirée par les cadeaux offerts sur les marchés politiques, non. D’une certaine façon, il est censé reproduire le modèle de Dupuy. A l’inverse, notre présent monde refuse le pacte du chameau et généralise l’irresponsabilité de tous les acteurs. Ce modèle anthropologique a-t-il de l’avenir ?

 

 

 

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1 août 2024 4 01 /08 /août /2024 05:27

Il est logique que la disparition de la société (évoquée dans notre article précédent [1]) entraîne - pour les entrepreneurs politiques assis sur les bancs de l’Assemblée Nationale -l’unique souci de la gestion du seul présent. Les lois votées ou leurs amendements n’entraînent plus que de simples modifications dans la répartition du bien-être entre les anciens citoyens  devenus consommateurs souverains selon le terme retenu dans l’article précédent. La disparition de la croissance confirme que le jeu politique devient effectivement, au mieux, jeu à somme nulle. Les députés, entrepreneurs politiques en concurrence, souvent simples franchisés d’entreprises plus vastes -les partis- et rarement entrepreneurs politiques individuels, se battent sur des textes produisant des rentes de marchés, ou de bien être pour certains et des coûts pour d’autres. Ces déplacements entraînent des rentes politiques pour ceux des députés qui auront gagné au jeu du déplacement : satisfaction de la clientèle électorale (consommateurs souverains) et espérance de reconduction/ prise du pouvoir. Avec la disparition de la croissance, les gains potentiels se réduisent pour les consommateurs souverains d’où l’absentéisme croissant lors des élections (le jour du marché) et le rejet croissant des entrepreneurs politiques. Un peu comme dans la grande distribution et le rejet de ses formes les plus anciennes.

Au niveau de l’usine Assemblée Nationale le déplacement de bien-être obéit à la règle de la majorité (289 voix). Cette même usine étant devenue plus émiettée avec l’éclatement de la société, il n’existe plus de duopole (droite/ gauche) et Il faut construire un cartel politique – une « coalition » dans le langage courant - pour obtenir une loi participant à la redistribution du bien-être.

En abandonnant  momentanément la question du LR, 3 grandes entreprises ou groupes d’entreprises sont aujourd’hui présentes : NFP, ex majorité, RN. Dans une logique majoritaire, celle qui permet la naissance d’un produit politique et du gain correspondant, 3 figures de Cartel peuvent se constituer : NFP/ex-majorité ; Ex-majorité/RN ; NFP/RN. Il est clair que dans un ordre spontané de marché (en dehors d’un grand régulateur type Président de la République) la figure de Cartel qui doit l’emporter est celle qui maximisera les gains pour les entrepreneurs politiques gagnants, ceux qui encaisseront les gains politiques en termes de fidélité d’électeurs devenus consommateurs souverains. Ces gains peuvent théoriquement se manifester dans les niches du grand marché : le régalien (armée, justice, etc.), l’économie (globalement tout ce qui peut maximiser la réussite entrepreneuriale), le social (santé retraite, logement, etc.), enfin le sociétal (globalement tout ce qui concerne le rapport à l’altérité). Toutes ces niches sont un peu déprimées avec la déconstruction de la société mais elles existent encore, non plus comme pièces à emboiter dans un projet de monde collectivement enviable, mais comme outil de réalisation du moi, ce qu’attendent les consommateurs souverains des marchés politiques.

Quels sont les gains selon les types de cartellisation ?

Le cartel NFP/ex-majorité ne produit aucun gain pour aucun participant : pas de majorité possible ni pour le régalien,  ni pour le social ou l’économique. La seule niche serait éventuellement le sociétal où le cartel pourrait produire quelques rentes politiques obtenues auprès des minorités bruyantes. D’où parfois ce parfum de Mélanchonisme dans le Macronisme ou de Macronisme dans le Mélanchonisme. Globalement parce que  cette figure ne produirait rien (aucun texte ne serait adopté, donc aucun gain politique entre les divers partenaires) l’usine Assemblée Nationale ne saurait mobiliser un tel rassemblement d’entrepreneurs politiques. Le marché politique qui devrait comme tout marché produire des gains à l’échange ne fonctionne pas.

Le cartel ex-majorité/RN ne procure aucune rente et ce pour tous les acteurs : pas de majorité possible que ce soit dans le régalien, l’économique, le social, ou le sociétal. Là encore l’usine Assemblée Nationale ne produirait rien et le marché politique ne peut fonctionner.

Le cartel NFP/RN ne produit évidemment aucun gain sur les marchés du régalien, probablement rien sur l’économique et encore moins sur le sociétal. Par contre, il peut produire de très gros gains sur la niche sociale. Ainsi on parle déjà d’une loi d’abrogation de la réforme des retraites qui serait validée, non par un cartel constitué, ce qui serait impensable, mais par le biais d’une stratégie de passager clandestin de la part du RN. Une telle stratégie, celle du cartel caché, régulièrement rencontrée dans le monde économique – pensons au cartel pétrolier jusqu’en 1970 - permettrait de retrouver sans le dire quelque chose comme la sociale-démocratie d’avant le néolibéralisme.  

Compte tenu des résultats électoraux, ce type de cartel caché est spontanément le résultat le plus probable. Avec bien évidemment des gains, puisqu’au moins dans un premier temps les entrepreneurs politiques qui y gagnent sont à l’abri de toute motion de censure (l’addition des entrepreneurs politiques du NFP et du RN dépasse les 330 députés). Bien évidemment, l’incohérence programmatique est au rendez-vous d’un tel scénario, avec élévation très rapide de la barrière de la finance (dette publique incontrôlable, hausse des taux, sanctions bruxelloises, etc…). Il n’est toutefois pas dit que la violence de la crise qui en résulterait mettrait fin à la cartellisation cachée car la France est un vrai poids lourd dans la finance mondiale. La dite barrière pourrait en effet aboutir à une solidarité plus forte entre les 2 partenaires et à une modification radicale de l’architecture monétaire et financière du pays et au moins de l’ensemble de la zone euro. De quoi aboutir à un durcissement du pouvoir politique, une vraie révolution et peut-être une guerre civile.

Le vote des parlementaires à l’intérieur de l’hémicycle est-il plus puissant que celui des investisseurs et des spéculateurs dans le parlement virtuel des marchés financiers ? S’il est difficile de répondre à la question il est pourtant essentiel de bien la poser[2].

Si l’on compare les diverses stratégies de cartel il est clair que le jeu du marché libre à l’intérieur de l’hémicycle devrait aboutir à un accord caché entre NFP et RN, le second devenant passager clandestin de celui qui pourra afficher les gains politiques d’une coopération masquée. Il est donc de l’intérêt de NFP de précipiter l’avènement de ce type d’accord - spontané mais masqué - en proposant un premier ministre. De quoi précipiter le résultat du marché libre à l’intérieur de l’hémicycle.

C’est la raison pour laquelle ce mouvement spontané vers une cartellisation cachée entre NFP et RN sera interdit par ce grand régulateur du marché qu’est le président de la République, lui-même consommateur souverain ayant comme projet très personnel et très privé sa nomination à la présidence d’une Europe devenue fédérale. Ce n’est que près de 70 années après sa création que l’on se rend compte que La Constitution de la cinquième République peut, potentiellement, établir un marché régulé dans l’hémicycle, avec au final des entreprises politiques filiales d’un patron de holding qui peut dans certaines limites jouer au mécano.  Le cartel caché sera donc interdit fin Août au profit d’un cartel plus complexe : Ex majorité présidentielle/LR/ quelques autres députés ? Le régulateur du grand marché politique jouera au mécano et imposera si possible sa cartellisation bien davantage tournée vers le succès de sa future carrière professionnelle.

 Il est très difficile d’envisager les chances et modalités de ce type de scénario qui sera assurément retenu. Il sera pourtant internationalement soutenu et en particulier par le parlement virtuel  des marchés financiers qui verront, dans ce type de cartel imposé la seule et dernière voie de salut. Le risque est évidemment interne puisqu’il sera considéré comme irrespectueux des résultats de la dissolution et donc sera probablement rapidement détruit par une motion de censure… La Constitution permet de jouer au mécano… encore faut-il que les pièces soient bien ajustées…

 

A moins d’aboutir à un cartel tellement large que la rente politique qui en résulterait, aboutirait à un ruissellement considérable sur les consommateurs souverains les plus éloignés. En toute logique un cartel très large, susceptible de rassembler jusqu’à 289 députés travaillant sur des marchés forts différents, se paie d’incohérences programmatiques lourdes débouchant sur un Etat encore plus obèse : probablement un peu plus de recettes fiscales (ISF ?) et beaucoup plus de dépenses publiques. Ce que les juristes/politistes/constitutionnalistes ne voient guère dans l’idée souvent avancée de coalition, laquelle suppose des échanges mutuellement avantageux entre partis. Au détriment de qui ? Un cartel élargi aux fins d’aboutir à une majorité entrainerait probablement de nouveaux déficits[3].   La réalité est donc plutôt complètement inverse et respecter les contraintes Bruxelloises  et des marchés suppose aujourd’hui un ruissellement à l’envers, ruissellement qu’on peut lire dans la dernière note du Conseil d’Analyse Economique. Ainsi il est proposé une diminution des aides à l’apprentissage, de supprimer les exonérations de cotisations sociales au dessus de 2,5 smic, de réduire les dispositifs d’exonération sur les droits de succession, de réduire le crédit d’impôt recherche, de sous indexer les dépenses et tranches d’imposition, etc. Un dispositif aux effets de réduction d’une croissance déjà nulle  depuis quelques mois. Les gains politiques pour les entrepreneurs politiques qui se risqueraient à produire de telles nouvelles règles à l’Assemblée Nationale, seraient des plus ténus. Les modifications de répartition du bien-être devenant production de mal-être au détriment d’une majorité de consommateurs souverains et au profit d’une finance obscure arguant de la souveraineté du capital.

Même en supposant qu’elle puisse fonctionner, la production future de l’usine Assemblé Nationale ne satisfera en aucune façon les anciens citoyens devenus consommateurs souverains. De quoi les éloigner encore davantage de l’idée de démocratie, un concept il est vrai devenu obsolète dans un monde où la société disparait.


[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/07/notre-naufrage-politique-simple-effet-de-la-disparition-de-la-societe.html

 

[2] De ce point de vue, il serait très intéressant d’examiner le travail des anthropologues, philosophes et sociologues qui,  tel celui d’un Jean-Pierre Dupuy, étudie la transformation brutale de la non société, la foule désordonnée, (ici approximativement l’individu souverain) en ordre social ultra contraignant par un processus de panique. On ne peut que regretter de ce point de vue que les économistes et juristes en particulier travaillent en silo et désertent le champ des autres disciplines.

[3] De ce point de vue la distinction entre coalition gouvernementale et Cartel est importante. Dans une coalition les partenaires se livrent à des négociations mutuellement avantageuses dans le respect d’un cadre les dépassant réellement ou idéologiquement. C’est peut-être encore le cas dans les pays qui se livrent à ce type de pratique. La société se défait mais on croit encore à un intérêt général. La négociation à l’intérieur de la coalition ne peut se nourrir de ce que l’on croit être la richesse commune. Ainsi en Allemagne on ne saurait négocier des gains allant contre la stabilité monétaire.

 Quand le monde est plus complètement déconstruit, ce qui est plus particulièrement le cas de la France, les entreprises politiques peuvent devenir plus radicales et on passe à la logique du donnant/donnant sans trop se soucier d’un extérieur commun : le cartel va plus loin que la coalition et devient la nouvelle pratique. Cet extérieur commun oublié peut encore être l’armature monétaire et financière : la finance se nourrit encore de la dette. On peut donc penser que la France ira jusqu’au bout de son endettement et que le grand régulateur qu’est le président de la République continuera, le plus longtemps possible, de marcher sur un fil.

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4 juillet 2024 4 04 /07 /juillet /2024 16:15

La réponse de chat GPT à la question de la nature de l’entrepreneuriat politique que l’on trouve dans la première partie de la présente note était très intéressante. On peut en reprendre les termes :

Les entrepreneurs politiques sont des individus ou des groupes qui cherchent à influencer le processus politique pour atteindre des objectifs spécifiques, comme l’adoption de lois ou des politiques publiques favorables à leurs intérêts. Ils peuvent utiliser des stratégies de lobbying, de plaidoyer ou de campagnes pour atteindre leurs objectifs.

Cette réponse qui est dans la « tête de Chat GPT » ne fait que refléter la culture ambiante du moment. Ainsi, on est surpris de constater que le personnel politique n’est pas directement mentionné, que le mot « démocratie » est absent et surtout qu’il n’est guère question de l’idée d’un « intérêt général » comme horizon du « processus politique ». Cet oubli de l’IA se vérifie naturellement dans les faits. Quels sont, au-delà de l’intérêt privé très légitime, les objectifs globaux d’une entreprise politique, « démocrate chrétienne », « centre-droit », « gaulliste », etc. ? Bien sûr on ne saurait contester la réalité de « l’utilisation de la puissance publique à des fins privées » donc la réalité d’une « capture de ladite puissance » mais il est aujourd’hui surprenant que les idées des entrepreneurs politiques aient disparu au profit de l’affichage de la simple compétence technocratique et de ses outils. Alors que naguère l’entrepreneur politique était porteur d’un idéal rassembleur, parfois grandiose comme le marxisme, il est aujourd’hui simple émetteur d’une pensée vide. Le plein – parfois trop plein- est devenu le vide.

Ce passage du plein vers le vide n’est que le respect de la congruence avec celui d’une économie qui s’est complètement transformée. Proposition à démontrer.

Nous n’allons pas reprendre toutes les circonstances qui ont entrainé la fin de l’entreprise fordienne de naguère. Elles sont longuement argumentées sur le Blog : émergence d’un capitalisme spéculatif à partir de la fin de Bretton Woods, fin des taux de change fixes, liberté de circulation du capital, dérèglementation généralisée, boursouflure financière, développement de la concurrence, fin de l’entreprise institution sécurisée et sécurisante, fin de la complémentarité organisée par les entrepreneurs politiques entre capital et travail et « troisième voie gaullienne », prise du pouvoir par les actionnaires qui vont transformer l’entreprise institution en simple objet de paris financiers, abandon de la production de richesse au profit de la simple valeur, rémunération du capital par rachats d’actions et simple hausse des cours, développement sans limite des indicateurs et du reporting transformant le travail d’un encadrement devenu taylorisé, priorité du court terme sur l’investissement de long terme etc. Toute cette mutation fut accompagnée par les entrepreneurs politiques de l’époque qui, par effet d’imitation,  vont se concurrencer pour avancer plus vite vers le marché généralisé, ce que nous avons appelé le passage de l’âge institutionnel de l’Etat à son âge relationnel. Courses entre entrepreneurs politiques qui, au final,  fera que la gauche sera de droite et  la droite sera de gauche, d’où ultérieurement- 2017- l’arrivée d’une cartellisation/rachat  dite « macroniste ».

Les entrepreneurs politiques, prenant la tête de la course à la grande transformation souhaitée par les entrepreneurs économiques, se concurrencent non plus par des idées mais des pratiques technocratiques tels les « nudges » censés faciliter le bon graissage des rouages du marché. Le tout n’étant plus guidé par des grands principes sur l’ordre du monde à construire mais par la seule théorie économique qui devient la nouvelle théologie de l’humanité en voie de mondialisation.  L’entreprise fordienne se liquéfie dans le grand marché et donc la société elle-même doit se dissoudre dans ledit marché.

Il appartiendra aux entrepreneurs politiques de faciliter la révolution anthropologique impulsée par les nouvelles réalités économiques. Exercice difficile dans un pays comme la France qui reste attachée à la valeur égalité et à la puissance d’un Etat s’étant construit sur plus de 1000 ans et Etat devenu enfin sécurisant. Une sécurité qui, tel un lego, s’emboitait dans l’entreprise fordienne

Depuis plusieurs dizaines d’années, les entrepreneurs politiques français se sont épuisés à tenter de remédier aux effets dont ils chérissaient les causes. Et parce que baignant dans la rationalité de la théorie économique propre à produire l’adhésion au nouveau monde, ils se sont attachés à réguler les aspects accessoires, à savoir ce qui est de l’ordre du sociétal. Parce qu’il était devenu impossible dans l’entrepris nouvelle - trop tournée vers son élite actionnariale mondialisée sécessionniste - de produire de l’émancipation économique et sociale, les mêmes entrepreneurs politiques se sont tournés vers l’émancipation sociétale. D'où une nouvelle classe de produits politiques à offrir sur le marché. L’égalité ne pouvant plus passer par un combat central sur l’économie, il faudra passer par des combats secondaires tel le genre, ou la couleur de la peau. Le paradigme peut rester le même mais l’égalité ne passe plus dans la transformation des « rapports sociaux  de production », mais dans celle de la fin de discriminations, d’injustices sociétales, de mépris réels ou supposés, la quête de libertés nouvelles, etc. Ce faisant ils travaillent pour un changement culturel et aident la culture narcissique qui est le complément de la spéculation généralisée : l’attention extrême du marketing aux singularités et à la mise en avant du moi.

L’entrepreneur politique du marché mondialisé n’a plus la hauteur de celui qui naguère pouvait produire un intérêt général. Certes, il était comme tout entrepreneur animé par l’intérêt, ici le pouvoir et ses avantages essentiellement symboliques, mais il pouvait se cacher derrière un intérêt général, reconnu comme tel car consacré par le résultat du marché politique. Parce que le collectif semble avoir disparu avec la puissance du moi, l’entrepreneur politique perd l’essentiel de sa légitimité : son discours est celui du vide, et sa position est au mieux rentière. Curieusement, sur plusieurs dizaines d’années il fut amené à scier la branche sur laquelle il était assis. Sa réalité bancale est désormais en pleine lumière. Et si demain devait émerger une nouvelle réalité anthropologique il serait balayé.  

En attendant les entrepreneurs politiques de l'âge de la mondialisation se concurrencent non plus en construisant et en développant un projet commun, mais en fragmentant toujours un peu ce qui reste de société par la multiplication de produits politiques dérisoires et aux  effets délétères sur les anciens citoyens devenus simples consommateurs. Il suffit de jeter un regard sur l'industreie de la publicité et des produits qui y sont engendrés pour s'en rendre compte. De quoi faire exploser les violences mimétiques chères à René Girard et répandre une culture de la haine prenant la place de l'ancien conflit de classes.

 Le Président de la République française est hélas le modèle le plus parfait de ce type d’entrepreneurs politiques.

 

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2 juillet 2024 2 02 /07 /juillet /2024 09:23

Face aux résultats des élections législatives on peut aujourd’hui « saisir à livre ouvert » la nature profonde de ce qu’est devenu l’entrepreneuriat politique français. Nous tenterons prochainement de faire l’analyse d’une mutation. En attendant nous proposons la relecture d’un texte relativement ancien, ainsi qu’une réponse laconique proposés par Cap GVT sur nos questions concernant la nature de l’entrepreneuriat politique.

 Voici ce que nous écrivions il y a maintenant une quinzaine d’années (27 novembre 2012) :

« Les entreprises politiques sont des organisations  en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent la puissance idéologique d'un "intérêt général",  et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre juridique général.Ces organisations sont peuplées d'acteurs validant une certaine division du travail dans l'exercice de leurs fonctions: militants, élus ou éligibles, dirigeants. 

Si les militants peuvent être assimilés à des actionnaires soucieux de bénéficier idéologiquement ou matériellement de l'activité des entreprises politiques, les élus ou éligibles peuvent difficilement être comparés aux salariés ou aux entrepreneurs du monde économique. A titre d'exemple, un député de démocratie parlementaire n'est pas salarié de l'entreprise politique à laquelle il est rattaché. De fait, il est bien plutôt un entrepreneur politique individuel qui a signé un contrat de franchise avec son parti de rattachement. Situation qui peut, à la limite et selon certaines configurations, être assimilée à de la servitude volontaire. (commentaire 2024 : en cas de difficulté de l’entreprise politique dans son marché les franchisés passent de la servitude volontaire au sauve qui peut)

Pour un entrepreneur politique individuel, il semble en effet évident que les coûts et "barrières à l'entrée" des marchés politiques sont hors de portée. Comme le sont par exemple les barrières à l'entrée du marché mondial de l'aviation civile pour un ingénieur aéronautique décidé à concurrencer directement BOEING ou EADS. Le passage par l'adoubement d'un parti, pouvant devenir passage en situation de servitude volontaire, est ainsi une démarche quasi obligatoire pour gagner un mandat sur les marchés politiques.  (Commentaire 2024 : Notons ici que Macron a réussi un tour de force : sans doute a- t-il été aidé, mais il est parvenu en 2017 à briser les barrières à l’entrée du marché politique)

 

   Le contrat de franchise est réellement asymétrique puisqu'il oppose une offre oligopolistique (les entreprises politiques sont souvent peu nombreuses ou cartellisées) à une demande atomistique (les candidats à l'entrepreneuriat politique sont nombreux). C'est du reste le dirigeant - lui-même plus ou moins élu- ou son entourage immédiat, qui distribue les contrats. Les entreprises politiques sont ainsi des organisations qui abritent des entrepreneurs politiques, lesquels sont aussi en concurrence pour l'accès à la distribution ou renouvellement des contrats. On comprend ainsi que les fonctions dirigeantes sont à la fois globales et singulières: elles font de son bénéficiaire un entrepreneur politique individuel, mais aussi un sélectionneur des autres entrepreneurs politiques qu'il franchise, contre redevance, prélevée sur la rémunération publique de l'entrepreneur politique individuel, ayant gagné sur les marchés son accès aux outils de la puissance publique.

   Dans le cadre général de la franchise, franchiseurs et franchisés s'adonnent à un travail   classique d’utilisation de la puissance publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes politiques se transformant en textes porteurs de réglementations, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques , ou se transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique. Dans le cadre de cette dernière activité,  ils se heurtent à d'autres organisations du monde économique ou de la société civile, lesquelles se rassemblent souvent en lobbys. De ceci se dégage - notamment en démocratie- un compromis assurant la conquête ou la reconduction au pouvoir.  

 La démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème et - de fait -  la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement concurrence à partir d’un "appel d’offres" appelé "élection" : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui - sous couvert du corpus idéologique "intérêt général"- s’imposent à tous, et sont donc bien œuvre d’une entité monopolistique à savoir l’Etat ? 

A ce stade, les idéalistes, en quête de perfection, se poseront la question de savoir si cet univers de fonctionnement des marchés politiques - notamment en démocratie- peut être amendé.

Un probable moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privées serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques et les entreprises qui les franchisent adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction, sans limite, au pouvoir. En démocratie représentative, la professionnalisation de la fonction politique est ainsi devenue un fait quasi hégémonique, et ce dans l'immense majorité des pays.

Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique, cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles gestionnaires d’une entité profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée, selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant surplombant tous les acteurs. (Commentaire 2024 : Notons que de ce point de vue le président Macron représente la pointe avancée de cette grande transformation)

 La crise de l'entrepreneuriat politique est un phénomène spécifique. Il peut exister des crises politiques en ce sens que, telle ou telle entreprise politique, est évincée du marché. Il peut aussi exister des crises de régime, avec passage d'une forme à l'autre de l'Etat. En revanche le « produit politique », en tant que « marchandises » aux formes infiniment variées, ne peut disparaitre. Comme si le marché de l'acier ou celui de l'automobile était éternel. La raison en est simple : le politique est une réalité humaine indépassable. »

Fin du texte de 2012.

Cette partie d’un texte déjà ancien, aurait pu être enrichie à partir de ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie des plateformes. Il reste pourtant très  actuel et pour nous rassurer nous avons interrogé Chat GPT sur la nature de l’entrepreneuriat politique.

 Voici la réponse :

Bonjour ! Les entrepreneurs politiques sont similaires aux entrepreneurs car ils doivent également faire preuve de compétences en leadership, en gestion des ressources et en prise de décision. Cependant, ils opèrent dans un environnement politique spécifique qui peut influencer la façon dont ils gèrent leur entreprise.

A cette autre question posée à l’IA: « peut-on comparer les entrepreneurs politiques aux entrepreneurs économiques , voici la réponse :

Bien sûr ! Les entrepreneurs politiques et les entrepreneurs économiques partagent quelques similitudes, mais ils opèrent dans des domaine différents.

Les entrepreneurs politiques sont des individus ou des groupes qui cherchent à influencer le processus politique pour atteindre des objectifs spécifiques, comme l’adoption de lois ou des politiques publiques favorables à leurs intérêts. Ils peuvent utiliser des stratégies de lobbying, de plaidoyer ou de campagnes pour atteindre leurs objectifs.

D’un autre côté, les entrepreneurs économiques sont des individus qui lancent et gèrent des entreprises dans le but de réaliser des profits. Ils prennent des risques et investissent dans des idées novatrices, en créant des produits ou des services, et en cherchant à satisfaire les besoins du marché.

En fin de compte, les deux types d’entrepreneurs partagent des traits tels que la prise de risques , la vision, la persévérance et la capacité à mobiliser des ressources pour atteindre leurs objectifs, même si les objectifs sont eux-mêmes différents.

 

Ces réponses de l’Intelligence Artificielle nous paraissent beaucoup plus modernes que notre texte de 2012. On y observe en effet la disparition de toute référence à la démocratie et l’intérêt général. En sorte qu’il semble que les entrepreneurs politiques d’aujourd’hui se servent encore du manteau d’un intérêt général mais n’y croient guère.

Et de ce point de vue ce qui se présente aujourd’hui est très révélateur de la fin  réelle des idéologies politiques susceptibles d’enthousiasmer les foules :  un président qui déclenche un « coup d’Etat soft » en comprimant le temps de l’organisation et de la réflexion ; des entrepreneurs politiques qui tentent désespérément de ne pas se noyer dans le marché et n’ont plus le temps de soigner une offre crédible, d’autres qui tentent de rester dans le marché en procédant à des pillages de programmes, et surtout une majorité d’entre eux qui restent peu soucieux de leurs  incohérences programmatiques.

Reste à expliquer sérieusement le pourquoi d’une telle situation. Ce que nous tenterons de faire dans une prochaine note.

Jean Claude Werrebrouck

 

 

 

 

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1 juin 2024 6 01 /06 /juin /2024 10:00

Le Rassemblement National est encore souvent qualifié d'organisation prorusse et  Il est vrai que son passé relativement proche peut encore justifier de telles alllégations. Il est encore probablement exact que certains de ses défenseurs restent prorusses. S'il parvient au pouvoir il sera probablement très sollicité par les agents du pouvoir russe qui tenteront une déstabilisation au détriment du nouveau gouvernement français. De ce point de vue le Rassemblement National pourrait se trouver intellectuellement en difficulté en raison d'une très grande méconnaissance de la réalité politique et anthropologique russe. A cet égard nous invitons les dirigeants du Rassemblement National à bien mûrir la  réflexion  que nous avons mené voici quelques temps et qui a fait l'objet d'un texte publié à la fin de l'hiver dernier. La Russie restera géographiquement proche de l'Europe mais il est illusoire d'imaginer que le type de relation à établir soit du même ordre que celles classiquement vécues entre nations démocratiques. 

Il est évident qu'une arrivée au pouvoir du Rassemblement National entrainerait un développement considérable de la propagande prorusse et donc un risque de déstabilisation. Il est même probable que le "despotisme oriental" qui sévit en Russie soit une opportunité dans son combat contre l'occident. De quoi se reproduire au pouvoir par la perspective potentielle d'un effondrement européen tant souhaité par ce même pouvoir.  Certes, le RN arrivé au pouvoir sera combattu  par de considérables forces d'opposition en matière financière, mais il aurait tort de négliger la propagande russe. Raison de plus pour bien saisir la nature profonde de l'Etat Russe.

27 mars 2024

La présente note s’intéresse moins à l’analyse de la faiblesse de l’impact des sanctions occidentales sur l’économie russe que sur la spécificité d’un modèle anthropologique jusqu’ici peu défriché. On peut en effet s’étonner de caractéristiques sociétales a priori assez éloignées de ce que l’on trouve dans l’occident classique : un Etat laissant très peu de place à la société civile, un demos davantage objet que sujet, un repli sur soi contrarié par une interaction sociale souvent brutale et violente, une très difficile émergence des droits de l’homme dont celui du respect de la vie. Ces caractéristiques sont elles-mêmes des qualificatifs divers d’une même réalité : la faculté d’un pouvoir très éloigné, à nier toute autonomie réelle à une population, simple moyen de sa propre fin, à savoir sa reconduction au pouvoir.

 1 - Anatomie de l’Etat Russe.

En Russie comme ailleurs, l’aventure étatique fût probablement la cristallisation d’une évolution qui selon l’expression de Pierre Clastres devait aboutir à ce que ce dernier appelait « un coup d’Etat fondant l’Etat ». Partout dans le monde le « big bang » des Etats fut l’appropriation du « commun » d’une société, ce que l’on appellerait dans le langage moderne les biens publics. L’histoire assez classique des Etats fut le passage d’un âge patrimonial plus ou moins long (le groupe au pouvoir gère le commun comme son bien propre), à un âge institutionnel (le groupe au pouvoir reconduit sa domination par un partage et la reconnaissance de droits attribués à un demos). Dans certains cas, l’âge institutionnel peut se déliter avec passage à un âge relationnel où l’Etat lui-même semble s’affaisser devant le marché (démocratie puis mondialisation). L’âge relationnel qui semble être le moment présent des Etats de l’UE délègue au marché et aux économistes l’édification d’un intérêt général. Le marché devenant la nouvelle patrie à défendre. Signalons qu’il n’existe aucune théorie de l’histoire et rien ne dit qu’il existe un passage ordonné entre les âges : des retours ou des ordres inversés sont toujours possibles. Rien ne dit non plus que la réalité correspond à des âges complètement séparés et complètement distincts. Ainsi il n’est pas impossible de penser que l’UE pourrait évoluer, après son âge plus ou moins relationnel  vers un stade intermédiaire que certains appellent déjà la marche vers « l’étaticité ».

Ce qui semble caractériser l’histoire de l’Etat russe est l’importance de l’âge patrimonial, la difficulté du passage à l’âge institutionnel et, plus récemment, sa greffe sur un âge relationnel qui lui reste fondamentalement étranger.

2- Une construction impériale sans équivalent.

L’âge patrimonial s’est parfaitement adapté à la construction d’un empire où - à l’inverse de ce qui se passait en occident (Grande-Bretagne et France arrimées depuis longtemps à l’âge institutionnel) - la métropole n’est pas géographiquement séparée des colonies. Alors que la France se distingue de l’Algérie par une frontière naturelle, il n’existe pas de barrière physique entre la colonie et l’Etat patrimonial russe. Et comme l’âge patrimonial est celui où les sujets sont dépourvus de l’essentiel de ce qu’on appelle les droits de l’homme, voire le simple respect de la dignité humaine, le colonisateur peut utiliser ses sujets comme matière première de la colonisation. Parce que dépourvus de droits de propriété qui n’existent que pour les dominants, les sujets peuvent être instruments de la colonisation et être déportés en masse vers de nouveaux lieux. D’où la multitude de groupes russophones dans des espaces a priori très éloignés mais jamais séparés de la métropole par une barrière naturelle qui n’existe pas. Phénomène que nous n’avons pas constaté avec les autres colonisations où, même en Algérie, il n’y avait pas de réelles déportations et où ce qu’on appelait les pieds noirs étaient des volontaires très autonomes au regard de l’Etat central. Les cas contraires - sauf l’énorme exception que fût le commerce triangulaire -  étaient marginaux et concernaient surtout une déportation des colonisés récalcitrants vers d’autres colonies, donc des personnes dépourvues des droits de propriétés de l’âge institutionnel de la métropole.

Dans le cas de la Russie, les moyens de production de la colonisation et de l’expansion de l’âge patrimonial, doivent historiquement rester ce qu’ils sont à peine d’effondrement de l’empire en expansion : les déportés doivent conserver leur rang et ne doivent jamais accéder aux droits de l’homme classiques. Il en résulte une distance réduite entre le colon et le colonisé, ce qui n’était pas le cas des empires coloniaux occidentaux. Dans le cas inverse, une stratégie d’accès aux classiques droits de l’homme entrainerait un effondrement de l’empire, ce que « Catherine la Grande » tentait d’expliquer aux philosophes des lumières et en particulier Diderot. Constatons qu’aujourd’hui encore les déportations restent une pratique assumée : enfants et familles ukrainiennes, minorités des espaces de l’Asie centrale, etc.

3 -  Un point d’appui sur des structures anthropologiques à privilégier.

 Les deux paramètres classiques des droits de l’homme : vie, liberté, reposent sur un troisième qui devient le point d’appui des deux premiers : la propriété. C’est dire que l’âge patrimonial de l’Etat russe ne permet pas l’arrimage à la notion classique de propriété : vie et liberté seront toujours sous la dépendance du pouvoir. D’où la difficulté de faire naître un âge institutionnel allant jusqu’à la démocratie. Au mieux, on aboutira à une citoyenneté qui restera bloquée sur le patriotisme ou le nationalisme alors qu’en Occident il sera possible d’aller plus loin. D’où l’asymétrie fondamentale dans une situation de guerre : un coût de la vie très élevé dans un cas ( l’Occident dépassant l’âge institutionnel et déjà plongé dans l’âge relationnel), et très faible dans l’autre (Russie dont l’âge institutionnel reste enkysté dans un âge patrimonial). Dans un cas nous avons la doctrine du zéro mort dans la guerre et dans l’autre il sera naturel d’extirper de l’univers carcéral des personnes que l’on enverra sur le front.

D’une certaine façon l’Etat russe se trouve très aidé par des structures familiales qui selon la classification d’Emmanuel Todd relèvent du type souche, voire communautaire, avec des caractéristiques culturelles qui restent éloignées de celles de l’occident classique où la valeur égalité l’emporte. Le poids de l’autorité indiscutable s’impose avec ses conséquences sur des droits de l’homme qui n’ont pas la même signification qu’en Occident. La dimension âge patrimonial de l’Etat Russe est ainsi en relative congruence avec des structures familiales qui ne vont pas contester frontalement la violence du pouvoir.  La perspective d’une révolution a ainsi beaucoup plus de chance de se réaliser par le haut que par le bas.

4 -  Un  point d’appui récent sur des Etats vivant l’âge relationnel.

Mais l’Etat russe qui passe déjà difficilement le cap de l’âge institutionnel est retenu, voire confirmé dans son âge patrimonial par sa greffe sur les Etats de l’âge relationnel (Occident). Les richesses de l’immense empire peuvent être valorisées auprès des Etats devenus vassaux d’un mercantilisme privé. C’est bien évidemment le cas -véritablement caricatural- de l’Allemagne dont le  mercantilisme permettra d’alimenter une rente gazière gigantesque accaparée par les détenteurs/défenseurs de l’âge patrimonial russe. De quoi nourrir- non pas avec des droits mais avec des marchandises- les dépendants du pouvoir russe. De quoi, par conséquent, légitimer la forme patrimoniale du pouvoir par une population qui reste à l’écart des agitations du post-modernisme occidental. Mieux : de quoi distribuer des salaires considérables et du capital qui l’est davantage encore, à ceux qui s’engagent dans la machinerie militaire. C’est dire que malgré une démographie très difficile l’Etat patrimonial russe peut encore alimenter la machine de guerre par une offre suffisante de personnel : les chaînes d’inscription à la guerre sont le point de départ d’un changement radical de niveau de vie pour nombre de familles de colons mais plus encore de colonisés dans l’immense empire. Au final de quoi connaître l’équivalent de la société de consommation occidentale dans un monde carcéral. Les immenses espaces de la Grande Distribution peuvent cohabiter avec ceux  des colonies pénitentiaires.

5 -  Un Etat sans limite territoriale

L’empire lui-même ne peut connaître de limite. Dans le cas de la colonisation occidentale, des barrières naturelles permettaient la distinction entre des colonies et des métropoles, elles-mêmes déjà marquées par les frontières des célèbres traités de Westphalie (1648). Simultanément, l’âge institutionnel et son débouché sur l’idée de citoyenneté et de droits de l’homme, délégitime rapidement le fait colonial occidental, lequel débouchera sur l’apparition de très nombreux Etats en formation au vingtième siècle. Historiquement, l’affaire ne fut pas facile et aurait pu l’être beaucoup moins encore en l’absence de barrières naturelles entre colonies et métropoles. Imaginons par exemple les difficultés supplémentaires- pourtant déjà  considérables- dans le cas de la France et de l’Algérie si cette dernière avait été directement accolée à la métropole.  Le cas de la Russie, au regard de l’idée de décolonisation est très différent. Parce que l’âge patrimonial peut se pérenniser et que la colonisation s’est accompagnée de déportations, il est très difficile de connaître une décolonisation. La violence naturelle de l’âge patrimonial s’y oppose, et surtout il est facile de compter sur ce qui est devenu les minorités russophones réparties sur l’immense territoire. C’est ce qui est présentement vécu avec un mouvement complexe de décolonisation/recolonisation. En occident parce que le colon était très différent du colonisé, la décolonisation s’en finit pas de se radicaliser y compris et surtout dans les anciennes métropoles. En Russie, colons et colonisés sont peu différents et le colonisé ne rejette pas la culture du colon. A priori impensable en occident, la recolonisation se trouve envisageable dans l’ordre Russe. Avec toutefois une limite : une colonisation vers des espaces fondamentalement étrangers à  l’espace russe (l’Afrique actuelle) se heurtera à des déboires majeurs. Il sera moins difficile de se réinstaller dans les ex territoires de l’Union Soviétique que d’occuper le sahel après évincement de la présence française.

6 -  Un Etat menaçant menacé ?

Et pourtant l’empire est plus ou moins menacé car les droits de l’homme frappent à la porte et les espoirs - fondés ou non - de l’âge relationnel s’affirment. Non pas nécessairement par le canal démocratique car une grande partie des droits de l’homme peut se vivre en dehors de la liberté démocratique, mais bien plutôt par le canal économique. L’économie prédatrice et rentière monopolisée par les tenants du pouvoir peut faire l’objet d’une contestation grandissante, voire se transformer en luttes de clans débouchant sur de possibles fragmentations. Et déjà, au quotidien, une difficulté croissante à gérer les conflits d’intérêts entre groupes de décisions et la peur qui, finalement, empêche toute innovation au niveau des microdécisions. Davantage encore, la digitalisation de l’économie et les espoirs du monde numérique favorisent la fuite hors de l’empire des plus modernes. De quoi accélérer la crise démographique. Au-delà des apparences nous sommes vraisemblablement dans la crise des Etats figés dans l’âge patrimonial.

7 -  Conclusions.

- Les réalités d’aujourd’hui sur le théâtre russe paraissent confirmer ce qui précède : le « sultanat électoral » que vient de vivre le pays ne semble guère embarrasser ce que chacun peut considérer comme une distraction dominicale où l’on est invité au jeu du plébiscite comme on peut l’être au jeu de monopoly. C’est dire que la liberté au sens occidental n’a encore que peu de sens.

- La guerre est coûteuse, et même avec une croissance ,  il deviendra de plus en plus difficile de jouer le jeu de la société de consommation avec des moyens de production qui se sont reconvertis en usines de guerre. La croissance peut certes s’accélérer  avec la généralisation d’une économie de guerre, mais elle ne pourra masquer durablement une perte des niveaux de vie.

-La guerre , elle-même, est un moyen de conserver un âge patrimonial menacé par des périphéries dissidentes qui pourraient déboucher sur  des exemples de réussite légitimant un âge relationnel : un succès économique et politique de l’Ukraine n’était pas acceptable. Une guerre qui soude une communauté est donc utile pour le pouvoir mais son coût devra se reporter sur les dépendants, plutôt sur les colonisés que sur les colons.

- Cette même guerre ne pourra que se limiter aux anciens espaces et La Russie, cruellement contestée dans sa volonté de devenir chef d’orchestre d’un Sud global,  devra probablement se retirer de l’Afrique.

- Enfin cette guerre développe ce qu’elle combat : le passage de l’Etat ukrainien d’un âge patrimonial à un âge institutionnel flirtant avec l’âge relationnel européen. Plus simplement exprimé, l’Etat Russe engendre à sa périphérie ce qu’il n’est pas,  et que classiquement on appelle « l’Etat Nation souverain ». Si le marché généralisé de l’âge relationnel connait quelque peine à souder une société,  La guerre de l’Etat Russe resté  patrimonial, ne permettra pas davantage de souder et développera  des risques de rupture.

 

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28 mai 2024 2 28 /05 /mai /2024 16:30

La reconstruction du pays doit aussi donner la priorité à l'indépendance énergétique et en particulier sa composante électricité dont  on sait que la part de marché devrait s'accroître considérablement au cours des prochaines années. La question est difficile et la confusion est entretenue par des candidats aux élections européennes qui visiblement maitrisent très mal le sujet. Nous avons beaucoup publié de notes concernant cette question et il nous parait utile de republier un texte de synthèse que l'on trouvera ci-dessous.

10 mai 2024

A un moment où les prix de l’énergie à l’échelle planétaire laissent hors course une Europe qui prend conscience de son handicap au regard des grands ensembles géopolitiques, il est intéressant d’examiner la position du Rassemblement National.

Il nous faut tout d’abord, au regard de l’extrême complexité de l’économie de l’énergie,  tenter de simplifier et donner au grand public accès à la réalité du problème.

Les spécificités de l’énergie en général et de l’électricité en particulier.

1 - D’une manière générale ce qu’on appelle économie n’est rien d’autre que de l’énergie transformée : Quelle que soit l’activité ou la spécialisation, rien ne peut se faire sans appel à l’énergie, ce qui potentiellement lui donne un statut d’universel comme l’est un bien public.

2 - L’électricité est la forme d’énergie qui devient quasi hégémonique : il s’agit d’une forme secondaire connaissant une très forte croissance issue de la transformation d’une énergie dite primaire.

3 - L’électricité devient ainsi potentiellement un bien public sous forme de réseau comme il existe un réseau routier, monétaire, ou ferroviaire.

4 - Simultanément,  cette énergie présente des caractéristiques très spécifiques : homogénéité (un KWH est partout un KWH), et non stockabilité (il faut produire et répondre de façon instantanée qualitativement et quantitativement à l’appel). Ces caractéristiques ne se retrouvent pas dans les biens marchands classiques.

Les modèles d’organisation de l’infrastructure électricité.

En simplifiant on peut retenir plusieurs types d’organisation de l’infrastructure électrique :

1 - autoproduction et autoconsommation (exemple : maison ou usine avec éolienne) ;

2 - réseau local ou régional de production et consommation (exemple : France d’avant la nationalisation de 1945) ;

3 - réseau organisé en marché (exemple : France d’aujourd’hui avec de nombreux offreurs et une infrastructure interconnectée nationalement et internationalement) ;

4 - réseau interconnecté et monopole de la production (exemple : France de 1945 jusqu’à la naissance d’un marché de l’électricité au début des années 2000).

La réalité est plus complexe encore et correspond parfois à une combinaison ou articulation de plusieurs types d’organisation.

Du point de vue politique, mais aussi du point de vue technologique, la question est de savoir quel modèle organisationnel il convient de retenir. C’est sans doute la question que semble aborder le Rassemblement National et ce, en rupture avec la présente organisation d’inspiration européenne. Curieusement, très peu de candidats aux élections européennes s’intéressent à la question essentielle de l’électricité.

Les déterminants d’un choix de modèle organisationnel

1 - Auto production et auto consommation ne semblent pas devoir poser de problème sauf à imaginer un raccordement à un réseau plus large pour gérer les excédents et déficits inhérents au dispositif. On peut d’ailleurs raisonnablement penser qu’il s’agit d’un modèle d’avenir en raison des techniques nouvelles qui posent de manière centrale la question de l’intermittence (solaire/éolien).

2 - Les réseaux locaux et régionaux sont économiquement dépassés puisqu’ils supposent des coûts anormalement élevés. Sans interconnexion large, chaque pôle doit être équipé pour les dates  de pic de consommation, ce qui suppose des capacités globales excédentaires et donc des coûts qui, à l’échelle macroéconomique, sont excessifs. L’infrastructure électrique du pays ne permet pas d’ approvisionner ce dernier de façon efficiente. Certes, on peut imaginer des contrats d’effacement pour libérer des capacités mais le jeu est trop limité. En clair, si les partis politiques travaillent pour un intérêt général, ils doivent s’éloigner de ce type organisationnel. On notera que c’est pourtant ce qui existait naguère dans nombre de pays dont la France d’avant EDF.

3 - Le réseau large, donc interconnecté à l’échelle nationale et internationale et surtout organisé en marché, correspond à la réalité européenne d’aujourd’hui. C’est ce type d’organisation que le Rassemblement National semble vouloir mettre en cause. S’il existe un vrai marché pour cette marchandise non stockable qu’est l’électricité, cela suppose que des entreprises contractent des accords afin de permettre le bon approvisionnement sans gaspillage de ressources. Ces accords doivent bien sûr se négocier autour d’un indicateur qui ne peut-être qu’un prix. Telle entreprise ne produit pas assez pour satisfaire ses clients et doit par conséquent trouver une entreprise sœur/concurrente qui accepte de lui fournir de l’électricité. Symétriquement, telle autre entreprise se trouve en excédent et essuie des pertes si elle ne trouve pas une entreprise sœur/concurrente qui lui achète ledit excédent. A quel prix doit se fixer la transaction ? L’entreprise excédentaire risque une perte marginale correspondant au coût de l’électricité potentiellement gaspillée si aucun acheteur ne se présente. L’entreprise déficitaire risque une perte marginale correspondant aux recettes sur clients qui, au final, ne paieront pas s’ils ne sont pas approvisionnés en électricité. Ce petit raisonnement nous permet de comprendre deux choses : La première est que ce qu’on appelle prix de l’électricité doit tourner autour du coût marginal. La seconde est que la puissance publique doit intervenir pour surveiller la réalité des transactions et garantir que le réseau ne dysfonctionne pas. Si l’électricité est un bien public, il faut surveiller un marché qui risque de ne pas fonctionner en cas de désaccords entre les entreprises offreuses d’électricité, toutes handicapées par la grave question de non stockabilité de la marchandise. La réalité est d’autant plus complexe s’il existe une volonté politique d’imposer la décarbonation par le biais d’un usage massif des techniques porteuses d’intermittence (éolien et solaire). Dans ce cas, il faut imposer une priorité à l’énergie intermittente ce qui suppose des pertes marginales des autres producteurs et imposent un surdimensionnement de l’ensemble de l’infrastructure. Ce type d’organisation est extrêmement complexe puisque les entreprises fournisseuses d’électricité sont à la fois isolées et en concurrence… et en même temps ont besoin de coopérer. D’où deux séries de prix qui matérialisent, l’un le mode de coopération totalement décentralisé pour accéder à la matière première, l’autre qui matérialise la concurrence au niveau de l’accès au consommateur final. On comprend que ce modèle d’organisation repose aussi sur la financiarisation : face à un modèle aussi risqué le recours à des bourses et produits de couvertures s’impose.   Au total, rien ne permet de dire que l’infrastructure qui ravitaille l’ensemble est optimale. D’où une bureaucratie de marché inhérente au modèle d’organisation retenu. Pour mieux percevoir l’étrangeté d’un tel modèle, il suffit de le comparer à un modèle classique par exemple celui de l’automobile. Pourrait on imaginer qu’une production de voitures en quantité insuffisante par rapport à la demande s’adressant à un producteur puisse être compensée par l’achat d’un excédent de voitures produites par un autre en vue de les céder aux clients finaux ?  Peut-on penser que Citroën - incapable de livrer les voitures achetées - demande à Renault de lui fournir des voitures excédentaires qu’il pourra livrer à ses propres clients ? Dans les marchés classiques, la régulation se fait par les prix et les stocks et surtout les marchandises ne sont pas homogènes, ce qui n’est pas le cas de l’électricité. N’entrons pas dans le détail de ce labyrinthe mais signalons que l’Etat français sera dans le cadre européen amené à ajouter une couche de complexité en détruisant le monopole public EDF et ce dans le cadre d’une belle unanimité des marchés politiques : fin du monopole (Chirac/Jospin) ; création d’une ponction permanente par le biais de l’ARENH laquelle permettra  de financer des concurrents qui ne produisent pas et se contentent de spéculer (Sarkozy) ; fermeture programmée de centrales (Hollande/Macron). De quoi détruire un outil de production avec savoirs et savoirs faire pour le faire entrer dans le marché. De quoi aussi ajouter à la bureaucratie de marché.

Dans ce type d’organisation très complexe si une crise d’offre se produit, le coût marginal peut se développer sans limite et ne plus correspondre à la réalité des coûts. C’est ce qui s’est passé avec la crise ukrainienne et la fin du gaz russe : globalement les entreprises se trouvent très nombreuses à être en déficit de production et donc les prix peuvent exploser. En même temps, les Etats qui ne peuvent que s’inquiéter de la nature bien public de l’électricité, ne peuvent en aucune façon maitriser les prix. Ils ajouteront à la complexité en inventant des boucliers tarifaires.                                                                                                                                                                                                                                                                     

4 - Le réseau interconnecté assorti d’un monopole de l’offre est le dernier dispositif organisationnel que nous avons mentionné. Il correspond à la situation de la France avant le passage au marché que nous venons très brièvement de déchiffrer. Ici il n’y a qu’un producteur (EDF) qui garantit une production adaptée aux fluctuations de la demande d’électricité. Disposant de plusieurs centaines d’unités de production dont les coûts d’exploitation sont divers, le monopoleur s’engage auprès de ses clients en activant les unités les moins coûteuses pour ne mettre en activité les plus coûteuses qu’aux pics de la demande. Avec l’interconnexion croissante au niveau européen, EDF peut encore compter sur des producteurs étrangers et ainsi comparer le coût marginal français et le coût européen. Si EDF se comportait en monopoleur privé, il pourrait fixer un prix égal au coût marginal croissant. Sans davantage préciser sa politique tarifaire, EDF n’a jamais récupéré de rente de monopole et pouvait essuyer des pertes marginales (coûts sur les dernières unités supérieurs au prix de vente) en les finançant sur les gains infra marginaux. Le plus important est ici de comprendre qu’EDF est totalement maître du jeu et ne fait pas négocier ses unités de production pour faire naître un prix comme dans le cas antérieur. La coopération entre les unités de production ne passe pas par le marché avec construction d’un prix, mais par une autorité chargée d’optimiser les coûts à tout instant. Clairement, il n’y a pas de marché de l’électricité et il n’y a pas à craindre d’accident de marché à surveiller par le biais d’une bureaucratie. Tout aussi clairement EDF peut pratiquer des prix proches des coûts de production, ce qui n’est pas le cas dans le modèle de marché qui doit suivre les coûts marginaux. Ce modèle fait de la centralité une souplesse alors que le modèle de marché développe incertitude et bureaucratie. Globalement, le Rassemblement National a raison de dire que sans le marché il eut été possible de ravitailler la France à des prix plus réduits lors de la crise russe.

Ce que devrait dire le Rassemblement National.

Pour autant, en hésitant sur l’idée de contrôle des prix, de mise à l’index d’un marché de l’électricité voire de retour au monopole public, le Rassemblement National révèle sa relative méconnaissance de la réalité. De ce point de vue on ne saurait trop le critiquer tant il est vrai que cette méconnaissance est répandue. D’un point de vue pratique éclairer les électeurs suppose plusieurs points à aborder :

1 - Reconnaître une responsabilité collective de destruction partagée d’un modèle qui assurait une partie de l’excellence française.

2 - Bien expliquer les énormes dysfonctionnements et difficultés de la réalité présente. Insister sur les bureaucraties inutiles, l'invraisemblable dossier de la fiscalité des rentes infra marginales, etc.

3 - Reconnaître que la reconstruction du monopole ne sera pas simple en raison d’une destruction programmée depuis près de 25 années.

4 - Ne pas attaquer le marché européen mais s’en séparer progressivement en maintenant voire en enrichissant les interconnexions qui permettent l’optimisation d’une infrastructure globale.

5 - Acheter et vendre à l’international au prix de marché par la seule EDF, les avantages et inconvénients très fortement liés à la décarbonation porteuse d’un accroissement de l’intermittence vont se poursuivre.

6 - Proposer la disparition des fausses entreprises fournisseuses d’électricité gavées à l’ARENH. Reconnaitre que cela posera des problèmes spécifiques pour Total Energie et ENGIE et que des négociations devront être conduites pour trouver une solution pour ces entreprises.

7 - Reconnaître qu’il faudra du temps pour faire rejoindre le prix de l’électricité sur le coût de production : reconstruire l’outil de production sur une base élargie ne sera pas simple et il faudra encore faire  gérer par EDF les difficultés liées à la situation géopolitique du monde sur de nombreuses années.

              

                                                                                                       Jean Claude Werrebrouck

 

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24 mai 2024 5 24 /05 /mai /2024 17:14

Les fondements monétaires et financiers étant redessinés (parties 1 et 2) il s'agit d'envisager maintenant les diverses composantes d'une reconstruction. Toutes s'inscrivent dans le rétablissement d'éléments de souveraineté permettant le retour d'une certaine sécurité. A cet égard, nous invitons le Rassemblement National parvenu au pouvoir, à réfléchir sur une réalité dont peu de personnes ont conscience et que nous  avons présenté à propos de la crise agricole. Ce qu'on appelle mondialisation était un processus rabotant la capacité des vieux Etats à gérer le commun d'une part, et à fournir de la puissance à des Etats nouveaux   ou à de vieux empires en réémergence d'autre part. Dans le grand rabotage des vieux Etats nous irons jusqu'à insécuriser des éléments fondamentaux de la vie : la nourriture et l'énergie. D'où les crises correspondantes que nous allons tenter d'exposer dans la suite de notre texte. Nous ne prétendons pas ici apporter de solutions techniques à ce qui sera peut-être le nouveau pouvoir. A lui de les imaginer comme nouveaux produits politiques. Par contre nous invitons ses dirigeants à mûrir leur réflexion à partir des analyses que nous proposons. Examinons d'abord les fondements de ce qu'on appelait l'hiver dernier la crise agricole pour laquelle nous avions publié le texte suivant :

25 février 2024

 

La présente note tente de proposer une grille de lecture intelligible de la multitude des faits qui accablent le monde agricole.

Depuis la nuit des temps, l’agriculture est une activité nécessaire à la conservation/reconstitution de la vie. Dans le monde moderne, point n’est besoin d’être économiste pour se rendre compte que cette conservation de la vie se déroule en dépensant tout ou partie de ce qu’on appelle un salaire dans ce qui est devenu la grande distribution, elle-même ravitaillée pour partie par le monde agricole. Plus les prix des produits de l’agriculture sont élevés et plus le coût de la vie est élevé et inversement plus les prix des produits agricoles sont bas et plus le coût de la vie est faible.

Logiquement,  si l’agriculture développe des gains de productivité, ce coût de la vie doit baisser. C’est ce que la France a bien connu au cours du siècle précédent avec une modernisation spectaculaire de son agriculture. Le prix des produits agricoles baissant ou augmentant plus faiblement que les salaires, il devait en résulter ce que simplement on appelle une hausse des niveaux de vie et l’avènement de l’immense classe moyenne qui devait caractériser la seconde partie du vingtième siècle.

Marx et les « biens salaires»… produits par les agriculteurs

Marx, très grand interprète des règles du jeu du capitalisme parlait de partage de la « plus-value relative » impulsée par la productivité. Dans son langage, si les biens de consommation – ce qu’il appelle les « biens salaires » - achetés avec les revenus distribués par les capitalistes voient leur valeur diminuer en raison de gains de productivité dans l’activité agricole, il doit en résulter logiquement une diminution des salaires, baisse résultant elle-même de la baisse du coût de la vie. Concrètement et simplement, si une vie de salarié est reproduite journellement par un kilogramme de pain et que le prix du pain diminue de moitié en conséquence d’un doublement des rendements agricoles, le coût de la vie est également divisé par 2 et donc le salaire peut lui-même être divisé par 2. Dans cette circonstance, les capitalistes récupèrent la totalité des gains de productivité, ce que Marx appelait la « plus-value relative », celle dépendant des gains de productivité donc de la « dévalorisation » des « biens salaires ». Si, maintenant, les salariés réussissent à maintenir le niveau de salaire, ces mêmes salariés empochent les gains de productivité. Dans un tel contexte, la lutte des classes au sens de Marx est aussi un combat autour du partage des gains de productivité. Bien sûr Marx emploie un langage beaucoup plus sophistiqué pour les besoins de ses démonstrations, mais il nous faut reconnaitre qu’il fût le grand théoricien de ce que lui-même appelait « l’embourgeoisement de la classe ouvrière », phénomène imaginé avec près d’un siècle d’avance sur la réalité. Un phénomène qui va progressivement se transformer et dont la configuration actuelle est elle-même appelée à se transformer.

Les transformations historiques de la  « plus-value relative ».

1 – Historiquement, il y a eu effectivement partage des gains de productivité et il en est résulté une première approche dans l’édification d’une immense classe moyenne. Globalement, les budgets consacrés à l’alimentation - ceux consacrés à l’achat de marchandises agricoles- vont régulièrement diminuer (13% aujourd’hui contre plus de 50% en 1950). En contrepartie ils vont laisser la place à de nouveaux biens, lesquels vont socialement devenir de nouveaux « biens salaires » au sens de Marx : logement, équipement ménager, téléphone, etc. Ces mêmes biens vont logiquement eux-mêmes bénéficier de gains de productivité à partager entre capitalistes et salariés.

2 - Les salariés pouvant désormais arbitrer entre divers « biens salaires » vont devenir de plus en plus exigeants et vont s’intéresser aux prix de ces premiers « biens salaires » que sont les produits de l’agriculture. Ils seront en cela aidés par la grande distribution qui fera pression pour une accélération des gains de productivité. Les agriculteurs doivent être compétitifs comme tous les acteurs de la vie économique. Déjà, des relations asymétriques entre entreprises agricoles nombreuses et grande distribution ou firmes agroalimentaires oligopolistiques vont se nouer. La pression sur les prix imposera une accélération de la modernisation de l’agriculture.

3 - La mondialisation permettra une accélération massive de la construction d’une « plus-value relative » d’un nouveau type. D’abord les entreprises pourront travailler dans des zones où la « valeur de la force de travail » est plus faible (le coût de la vie est plus faible en Asie, en Afrique, etc.). Si les biens fabriqués dans ces zones sont aussi des « biens salaires », il pourra en résulter une baisse de la valeur de la force de travail en Occident : les biens en question permettront de diminuer davantage le coût de la vie et la grande distribution et les firmes agroalimentaires s’y emploieront. De quoi comprendre les armadas d’acheteurs en route vers l’Asie…De quoi comprendre ce que naguère on appelait le grand accord entre WalMart et le parti communiste chinois…. Ce n’est plus WalMart et ses fournisseurs américains qui reproduiront la force de travail américaine mais des entreprises chinoises sur le sol chinois.

4 - Cette baisse de la valeur de la force de travail ne pourra plus nourrir aussi facilement que par le passé le partage des gains de productivité. C’est que la désindustrialisation fragilise la condition salariale et engendre un chômage qui pourra être plus ou moins masqué par le maintien d’un Etat-Providence qui lui aussi se trouve être le support d’une partie du coût de la vie. Ce qu’on appelle économie sociale se développe sans gains de productivité et le coût de la vie ne peut diminuer que par des importations massives en provenance du sud. Ce qui se met en place est la possible naissance de vastes zones de l’ex -Tiers monde chargées de la reproduction de la force de travail de l’Occident et, en particulier de la France qui se désindustrialise plus rapidement qu’ailleurs. En contrepartie de vastes zones de l’Occident et en particulier de la France deviennent des espaces où un revenu se dépense sans y avoir été produit. C’est par exemple le cas des espaces privilégiés occupés par des retraités ou inactifs dans le sud de la France… Des incohérences de territoires qui vont se multiplier…

5 - Les usines fabriquant les « biens salaires » disparaissent et se reconstruisent à la périphérie de l’Occident. Dans ce dernier monde et tout particulièrement en France, nous n’aurons plus que des entreprises de logistiques (les bien salaires produits à la périphérie doivent être distribués et nourrir le centre). Ainsi les entrepôts « Amazon » peuvent se développer sur les friches industrielles. A ces entreprises il faudra encore ajouter les entreprises agricoles jusqu’ici non délocalisées qui tenteront - fouettées par la grande distribution et les firmes agroalimentaires- d’apporter leur contribution à la baisse du coût de la vie. Le dernier ajout qui permettra de photographier le nouveau paysage est bien évidemment le maintien d’un Etat social très endetté. Bien évidemment tout ce qui n’est pas « biens salaires » peut encore subsister, notamment les industries de biens d’équipement, les industries de l’armement et toutes celles très nombreuses encore qui, techniquement, s’articulent à ces dernières.

6 - Mais la mondialisation est exigeante en termes de libéralisation des échanges et les traités de libre échange ne peuvent que se multiplier (plus de 40 par la seule UE) pour offrir des débouchés aux entreprises, soit celles restées dans le centre, soit celles déjà délocalisées et qui souhaitent voir croître leur part de marché dans le monde. L’UE est l’archétype de ce modèle et invente la concurrence libre et non faussée. Jusqu’ici l’agriculture n’était pas encore délocalisable comme l’était le capital industriel. Le facteur de production terre/environnement devait rester attaché à son antique espace national. Parce que les traités de libre échange se doivent être globaux et concernent toutes les marchandises, l’agriculture ne peut en être exclue. Cette dernière devra donc se soumettre et accepter que le coût de la vie au centre soit de plus en plus assuré par des firmes agricoles lointaines. La poursuite de l’éventuelle  baisse du coût de la vie doit se payer par une masse toujours croissante de biens salaires importée. Et le renard est entré dans le poulailler car les agricultures du centre se font concurrence et utilisent les outils de l’UE pour s’entredévorer : l’agriculture française est mangée par l’Espagnole ou celle de la Pologne, etc. Ce qui entretient le processus de dévalorisation de la force de travail. Il y a beaucoup plus que des chaussures, vêtements, jouets, appareils électroménagers, etc. qui doivent être importés. Il y a désormais à importer tous les produits agricoles qui étaient historiquement les premiers « biens salaires » : fruits, légumes, viandes, poisson, produits laitiers, etc.

7 - Aujourd’hui, nous sommes avec les questions liées au climat et à l’environnement arrivés au bout de la grande aventure consistant à faire produire à l’étranger la quasi-totalité des « biens salaires » consommés par les vieux Etats-Nations au premier desquels on trouve la France dont on vantait naguère l’excellence agricole. Non seulement l’agriculture européenne se doit d’être asservie par les règles du jeu du capitalisme mondialisé, mais elle est menacée de disparition par les règles concernant la protection du climat et de l’environnement. La course aux gains de productivité est certes désormais bloquée par la foule des règlements et normes concernant les intrants de la production, mais surtout par l’imposition d’un recul des surfaces autorisées à la culture ou l’élevage. Jadis le capital industriel délocalisé laissait à l’état d’abandon des friches industrielles. Aujourd’hui l’agriculture en délocalisation va laisser des jachères. Il ne restera plus que les traces des lieux où naguère la conservation/ reconstitution de la vie se déroulait.

8 - Ce grand mouvement est aussi la fin des classes moyennes protégées par le  capitalisme autocentré et efficient de la fin du vingtième siècle. Les « biens salaires » agricoles ou industriels majoritairement issus de la périphérie continuent de se dévaloriser au rythme des innovations et de la productivité. La concurrence en fait gonfler la quantité et la perte de valeur est surcompensée par des besoins artificiellement crées. La société de consommation devient hégémonique au sein de territoires où des revenus jamais produits et chargés de dettes sont « magiquement » dépensés. Il en résulte une disparition de la plus-value relative tandis que l’Etat social resté exigeant n’est plus finançable que par de la dette publique.

9 - Bien évidemment, ce grand mouvement aux conséquences géopolitiques majeures doit être arrêté et cela confirme bien les conclusions de nos précédents articles. Il sera toutefois très difficile de protéger l’agriculture. S’agissant de l’UE telle qu’elle est, on ne voit pas comment il serait possible de ne plus inclure l’agriculture dans les grands traités de libre-échange. Les avantages compétitifs de la périphérie de l’Occident sont bien évidemment concentrés dans  une agriculture où les taux de salaire et les normes sont très avantageux. Et c’est ainsi qu’au nom de la rationalité économique, l’Occident continuera probablement de confier la gestion du coût de la reproduction de sa force de travail dans les espaces que naguère il avait colonisé : Un libre échange où la baisse de la valeur de la force de travail continuera  d’être l’objectif probablement inconscient de ses promoteurs. Pourquoi, continuera-t-on de proclamer, renoncerait on à faire bénéficier le consommateur de prix à l’importation avantageux ? Pour la France le prix de cette rationalité stupidement économiciste sera plus élevé qu’ailleurs en raison de l’abandon complet de ce qui faisait une partie de son excellence.

Jean Claude Werrebrouck

 

 

La réflexion à partir du présent texte doit inviter le Rassemblement National parvenu au pouvoir à  découvrir les outils permettant la sécurisation d'un pays devenu très fragile dans une mondialisation qui n'avait rien d'heureuse. On sait maintenant que cette dernière n'était qu'un affaissement des vieux Etats au profit de nouveaux et plus encore au profit d'empires renaissants. 

L'agriculture est une pièce importante de la reconstruction. Le texte que l'on vient de lire permet de comprendre qu'elle fut élément important de la mondialisation avec un coctail d'effets sur des paramètres essentiels: cout de la vie, niveau de la rentabilité, regard sur l'environnement, niveau de cohérence territoriale, choix  géopolitiques. Clairement un pouvoir nouveau doit construire un modèle nouveau prenant en considération l'ensemble des paramètres. Plus clairement encore prendre en charge le dossier agricole c'est aller beaucoup plus loin que la PAC ou régler les  menus détails d'une réflementation. Si la France devait prendre en charge le dossier dans toute son ampleur elle pourrait contribuer au recul de qu'Emmanuel Todd appelle la 'défaite de l'Occident".

 

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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 10:27

La premiere partie de cette liste de conseils que nous tentons humblement de proposer au Rassemblement National a bien mis en évidence le coeur d'un projet de reconstruction : rien de sérieux ne peut être proposé sans  reconfiguration précise du système monétaire et financier. En même temps, la dite reconfiguration ne pouvait  apparaître comme défaite de l'Europe au regard de ses adversaires géopolitiques qui relèvent de ce qu'on appelait au dix huitième siècle le "despotisme oriental". D'où la proposition du maintien de l'euro dans un espace pourtant reconfiguré. Le Rassemblement National au pouvoir doit être très conscient de l'équilibre entre reconfiguration et affermissement de l'ordre européen. Tout autre chose que le slogan :  "plus d'Europe", tant vanté par les organisations politiques classiques.

Nous proposons ci dessous d'autres recommandations : 

20 octobre 2023

La circulation de l’argent entre les divers acteurs du jeu économique reste compliquée et donc coûteuse pour la collectivité. Elle était naturellement compliquée et coûteuse à l’époque de la monnaie métallique. Elle le restera avec l’apparition des billets de banques. Elle le restera encore à l’époque des chèques et cartes de paiement. Elle le reste aujourd’hui avec le téléphone devenu porte-monnaie. Encore aujourd’hui la mobilité de l’argent suppose des intermédiaires chargés de sa circulation sécurisée. Il faut en général au moins 2 banques, l’une faisant déplacer l’argent d’un compte à débiter vers l’autre qui va le recevoir et ainsi créditer un autre compte. Et comme la circulation de l’argent est le fait d’une multitude d’acteurs différents, rien ne dit qu’elle sera, à chaque instant équilibrée pour chacune des banques mobilisées. Ainsi, la banque A peut devoir créditer des comptes pour un montant supérieur à ce qu’elle devra débiter sur d’autres comptes. Si elle-même ne dispose pas de suffisamment de liquidités apparaissant sur un autre compte dont elle est titulaire, elle devra emprunter auprès d’autres banques qui, elles, ont la chance de connaître un solde excédentaire sur les opérations décidées par les acteurs économiques. Plus simplement exprimé, la circulation de la monnaie dans une infrastructure faite d’entités indépendantes - les banques - connaissent des fuites ou inondations monétaires permanentes qu’il faut en permanence contrôler. Face à la circulation nécessairement désordonnée des ordres des acteurs économiques, il faut donc créer un marché où vont s’échanger les créances et dettes de l’instant. Concrètement, cela s’appelle encore aujourd’hui le marché monétaire. Les coûts correspondants à cette circulation faisant intervenir ces intermédiaires que sont les banques, sont au fond des coûts de logistique, des coûts de transport. D’autres coûts interviennent car l’argent se métamorphose et peut prendre la forme d’espèces, voire de devises étrangères. D’où la présence d’un autre intermédiaire qui sera la banque centrale elle-même productrice des dites espèces. Cela suppose donc que les banques soient titulaires d’un compte à la banque centrale, compte qui pourra aussi être utilisé dans la gestion de la circulation de la monnaie entre banques. Ainsi quand la banque A devient momentanément déficitaire vis-à-vis de la banque B en raison des décisions d’échanges entre les acteurs économiques, la banque centrale pourra débiter le compte de A et créditer celui de B. Encore des coûts de simple logistique et de transport. Et bien sûr on peut imaginer que les distributeurs d’espèces qu’il faut alimenter, sécuriser et entretenir sont un élément important dans la chaîne des coûts.

Les nouvelles technologies peuvent bien sûr assurer des gains de productivité et par exemple les banques en ligne sont censées alléger la chaîne des coûts. Elles restent toutefois bloquées par l’architecture générale supposant l’existence de comptes dans des établissements en concurrence. Elles le sont davantage encore avec la difficile gestion des espèces.

Mais le problème se complique car les banques qui assurent la circulation de l’argent se servent aussi de cet argent comme matière première d’accroissement de la valeur et donc de profit. Nous y reviendrons.

En attendant, un examen lucide du circuit compliqué de la circulation de la valeur mais aussi des règles correspondantes,  nous invite à suggérer l’éviction des banques au profit de la seule banque centrale. En effet, on peut imaginer que cette dernière fasse disparaître les très coûteuses espèces au profit d’un porte-monnaie électronique, mais aussi fasse transférer tous les comptes de tous les acteurs économiques dans sa propre comptabilité. Que l’on soit entreprise, ménage, institution financière ou même Trésor public, tous disposeraient d’un compte à la banque centrale devenue infrastructure unique de circulation de la valeur. Une telle révolution ferait évidemment largement disparaître le marché monétaire. Simultanément, la chaîne logistique plus légère serait aussi complètement sécurisée. En particulier il n’y aurait plus de « bank-run » , c’est -à- dire des moments de panique au cours desquels chacun se précipite au guichet pour retrouver son capital. En effet, la banque centrale ne peut connaître, par construction, de risque d’insolvabilité.

Comment, du point de vue des acteurs économiques, un tel dispositif fonctionnerait ?

1 - Une banque centrale assurant le fonctionnement du réseau monétaire.

Toutes les relations des entreprises avec leurs correspondants relèveraient d’un jeu d’écritures entre leurs comptes à la banque centrale et les comptes de tous les correspondants situés eux-mêmes à la dite banque centrale. Chaque écriture se matérialisant par un débit et un crédit d’un même montant au passif de la banque. Cela signifie que la circulation monétaire n’en transforme pas son montant. La nouvelle banque centrale devient ainsi le logisticien unique dans la circulation monétaire. On passe ainsi d’un réseau fragmenté par l’existence d’une pluralité bancaire - une fragmentation risquée en raison de possibles maillons faibles - à un réseau unique et complètement sécurisé. Les titulaires d’un compte à la Banque centrale -en principe tous les acteurs du jeu économique- ne sont plus de simples créanciers pouvant perdre leurs avoirs liquides mais de réels propriétaires. Les droits de propriété sur la monnaie sont enfin garantis.

Au niveau international, la banque centrale gère les entrées et sorties de devises. Elle crédite et débite un compte en devises pour chaque entité et bien évidemment se trouve actrice sur le marché des changes. Le marché monétaire largement disparu au niveau interne reste au niveau externe et donc un marché monétaire entre banques centrales persiste.

2 - Statut des nouvelles banques.

Les banques,, désormais dépourvues de toute responsabilité en matière de logistique monétaire et des coûts correspondants peuvent continuer à développer leurs autres activités donc en particulier les opérations de crédit. Un crédit à un particulier ou entreprise se matérialiserait par un crédit au bénéficiaire sous la forme, d’un abondement sur le compte du particulier ou de l’entreprise figurant au passif de la banque centrale, et d’un débit sur le compte de la banque à la banque centrale. Nous constatons ici que le crédit n’est en aucune façon porteur de création monétaire, ce qui n’est pas le cas des opérations de crédit dans la configuration présente de l’architecture monétaire et financière. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, un crédit est un abondement de compte qui se matérialise par une création monétaire. Et cette création monétaire en vue d’un profit (le taux de l’intérêt associé) peut s’opérer tant que la banque responsable du crédit ne se trouve pas gênée par une entrée en déficit permanent vis-à-vis des autres banques sur le marché monétaire. En effet une création monétaire massive de la part d’une banque crée mécaniquement une fuite de monnaie vers d’autres banques (le bénéficiaire du crédit effectue des paiements envers des acteurs disposant de comptes sur d’autres banques). Dans le nouveau dispositif proposé, les banques peuvent consentir  des crédits, mais seulement à partir de leur compte à la banque centrale, un compte qui sera débité pour créditer le compte du client. Bien évidemment, une banque pourrait solliciter un prêt à la banque centrale aux fins d’élargir son activité de distribution de crédits, mais une telle opération est une création monétaire de la banque centrale et non de la banque elle-même. On constate donc que la nouvelle logistique monétaire coupe la fonction bancaire traditionnelle : les banques ne peuvent plus créer de monnaie. La conclusion est donc qu’elles deviennent des établissements financiers comparables aux établissements non bancaires.

3 -  Le Trésor.

Toutes ses opérations figurent sur le bilan de la banque centrale, laquelle crédite les bénéficiaires de la dépense publique et débite les sommes correspondantes sur le compte du Trésor. Si le Trésor s’endette, le montant emprunté sera crédité sur son compte et va correspondre à des débits sur les comptes à la banque centrale de ceux des acteurs qui auront acheté de la dette publique. Sans création monétaire nouvelle par la banque centrale, l’endettement du Trésor correspond à une épargne de la part des autres acteurs. Précisément, comment désormais concevoir la création monétaire ?

4 - La nouvelle création monétaire.

Répétons que la création monétaire est jusqu’à présent le fait des banques et de la banque centrale. Logiquement, elle contribue à développer la croissance  sauf comme ce fut le cas avec les QE   où la monnaie supplémentaire reste stockée dans les systèmes financiers et ne font qu’alimenter une logique de casino.

Si, dans le nouveau système, la banque centrale ne devait pas créer de monnaie la croissance serait freinée par la rareté monétaire. L’expression monétaire de chaque marchandise serait amenée à décroître, d’où un risque de déflation et de thésaurisation : pourquoi acheter et investir dans un monde où les actifs correspondants vont perdre de la valeur ? La banque centrale nouvelle formule se trouverait ainsi chargée d’une croissance de la masse monétaire adaptée à la croissance économique elle-même. N’étant que le grand logisticien de la circulation de la valeur, elle ne pourrait créer de la monnaie pour elle-même et devenir agent investisseur. Il faudrait donc qu’elle abonde les comptes figurant à son passif pour créer de la monnaie et autoriser la croissance. Bien évidemment, le volume créé tient aussi compte des relations économiques internationales, relations  pouvant introduire des fuites de capitaux en cas d’émission excessive.

Bien sûr, la banque centrale pourrait créditer le compte du Trésor, un abondement sans dette correspondante et donc sans charge de la dette pour lui et les contribuables. Bien évidemment un contrôle démocratique doit être mis en place pour éviter tous les opportunismes politiques concernant des dérives vers les facilités monétaires. La règle de base étant que la contribution au Trésor privilégie les seuls investissements collectivement discutés. Une autre règle de base serait que les contributions au trésor soient muselées par la croissance économique réelle.

Dans un cadre semblable, la banque centrale serait autorisée à abonder les comptes des banques classiques. La création de monnaie correspondante au profit du système bancaire se trouverait quantitativement limitée au taux de croissance de l’économie réelle. Et une limitation à l’intérieur d’une fourchette afin d’autoriser des actions de régulation de la conjoncture. Les banques bénéficieraient d’un traitement égal, ce qui veut dire un abondement monétaire proportionnel à la part de marché de chaque banque. Les banques seraient évidemment libres de négocier les prêts avec les demandeurs de crédits. Rationaliser l’infrastructure monétaire n’est pas mettre fin à la concurrence et au libéralisme. Comme RTE (gestionnaire du réseau de transport de l’électricité) dispose du monopole de transport de l’électricité sans mettre fin à la concurrence entre producteurs, la banque centrale disposerait du monopole de transport de la monnaie sans toucher aux règles de la concurrence.

Ajoutons que les banques seraient aussi autorisées à négocier des emprunts auprès de la banque centrale comme auprès de tous les acteurs économiques. La fonction d’intermédiation traditionnelle serait donc garantie.

  1. - Le bilan coût /avantage du modèle proposé.

Il est un coût considérable pour la finance qui verrait une réduction draconienne de son terrain de jeu : impossibilité de transformer le bien commun qu’est la monnaie en matière première privée providentielle et porteuse de profit ; forte limitation du poids de  la gestion de la dette publique, le Trésor pouvant emprunter à la banque centrale, mais pouvant aussi recevoir de la monnaie sans dette. Au-delà, il est évident qu’une partie de la machinerie bancaire deviendrait complètement inutile.  Nous n’entrons pas ici dans le débat sur la banque universelle, mais il est clair qu’une telle transformation y mettrait fin..

Il est un avantage pour les piliers de l’économie réelle : répercussions sur la fiscalité de la baisse du coût des activités du Trésor ; possibilité de financer sans dette la « réparation » de l’environnement : aspect fondamental car il est aujourd’hui impensable de rembourser un capital (coûts de la protection du climat, de l’environnement, etc.) avec les intérêts correspondants alors qu’il n’y a pas de production supplémentaire ; probable diminution globale du coût de l’endettement avec marges de compétitivité plus importantes à l’international, et donc perspectives alléchantes en termes d’IDE.

Il est aussi un avantage pour les ménages : la monnaie figurant sur les comptes bancaires cesse de n’être qu’un créance, toujours porteuse de risque et redevient la pleine propriété de ses détenteurs.

Plus globalement le projet est adaptable aux grands choix sociétaux : il est libéral au sens classique, et il peut devenir l’outil d’un réel interventionnisme…avec le risque qu’un déficit de contrôle démocratique puisse le transformer en un outil du totalitarisme. De ce point de vue, nous recommandons de suivre de près les travaux présents des banques centrales dans le projet MDBC (monnaie digitale de banque centrale).  

Jean Claude Werrebrouck (29 septembre 2023).

Conclusions pour un Rassemblement National au pouvoir:

La reconfiguration proposée dans ce texte déjà ancien, évince le pouvoir de la finance et donc sécurise toutes les politiques publiques imaginables pour redresser le pays. Ce texte est complémentaire de celui déjà rediffusé dans la première partie de notre article. Clairement, les dirigeants du Rassemblement National doivent comprendre que leurs propositions économiques souvent vilipendées par les partis encore au pouvoir aujourd'hui, ne peuvent se déployer dans le cadre du logiciel actuel. Clairement, ils doivent avoir le courage d'expliquer à peine d'être rapidement évincés et de connaître un échec historique. Clairement ils doivent expliquer l'indigence des propositions des divers politiques ou spécialistes que l'on trouve dans la grande presse voire des revues dites sérieuses: verdissement voire démocratisation de la BCE, évincement des investissements climatiques dans le calcul des déficits, mobilisation de l'épargne, création d'un marché financier européen, grand emprunt européen, etc. Mieux, ils peuvent prendre de l'avance sur les projets de monnaie digitale de banques centrales stupidement vantés par les dirigeants des banques centrales qui aujourd'hui semblent vouloir se démarquer du monde financier qu'ils sont censés protéger.

:Note au lecteur: les 2 premières parties que vous venez de lire constituent le socle indispensable à toute volonté sérieuse de reconstruire le pays. Il est, dans les conditions de la France,  un préalable indispensable. Nous publierons ultérieurement (troisième partie, quatrième partie, etc.) des réflexions et conseils plus sectoriels touchant aux politiques publiques. Il s'agira encore de textes récemment publiés et que la grande presse refuse de diffuser. 

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17 mai 2024 5 17 /05 /mai /2024 13:02

Nous publions à partir de ce jour quelques textes de recommandations à l'adresse des dirigeants du Rassemblement National. La prise du pouvoir est aujourd'hui envisageable et nous sommes convaincus que la rencontre avec le réel  sera très difficile.. Les dirigeants actuels risquent de travailler sur une matière première que fondamentalement ils ne connaissent que fort mal. .Les textes susvisés sont déjà accessibles sur le blog et nous les republierons à intervalles réguliers.  Aujourd'hui nous republions un texte diffusé le 1/1/2024.

1 janvier 2024

Nous avons montré dans les articles précédents[1] à quel point les gigantesques défis qui se posent aujourd’hui se heurtent à l’architecture monétaire et financière qui organise le monde. Nous avons également montré à quel point les partis politiques surplombés par ladite architecture étaient tous très éloignés de la simple possibilité d’imaginer des  propositions sérieuses. Nous tentons dans le texte suivant de proposer la colonne vertébrale d’une réponse adaptée à la hauteur des enjeux. De ce point de vue le texte qui suit n’est pas consacré à telle ou telle recommandation de politique publique. Il s’intéresse bien davantage aux fondations qui permettront d’édifier un avenir pour le pays. C’est la raison pour laquelle nous parlons de colonne vertébrale, c’est-à-dire ce sur quoi peut être imaginé un avenir démocratiquement défini. Bien évidemment, le texte n’évoque pas les réformes dites structurelles qui toutes sont des mesures en harmonie avec l’architecture monétaire actuelle et ne font que colmater les effets de l’inévitable entropie vécue par chacun. Le temps présent ne peut plus consister à nettoyer/lisser/perfectionner le terrain de jeu et  doit être désormais consacré au renversement des règles du jeu.

Petit rappel banal :

 Le devoir du politique est de permettre aux générations futures de s’épanouir dans un monde meilleur que celui hérité par ses actuels habitants. Ce n’est évidemment pas reconstruire ce qui existait. Et parce que la vie est porteuse d’une créance de sens, le devoir du politique est aussi celui de proposer un horizon désirable. Redessiner la France aujourd’hui ce n’est donc pas reproduire son passé supposé grand, c’est simplement, compte tenu du passé, la rendre habitable, confortable, et lui donner une signification. Le logiciel politique unique qui consiste depuis plusieurs décennies à  reproduire le présent  sans en saisir son inéluctable entropie doit donc être dépassé[2]. Et même le Nobel Angus Deaton semble aujourd’hui questionner l’entropie dans laquelle nous sommes[3].

Proposition de renversement des règles du jeu monétaire et financier.

1 - On peut certes respecter le cadre budgétaire européen, par exemple voter la loi budgétaire selon les règles du pacte de stabilité et de croissance, mais en même temps reprendre le contrôle de la Banque de France en lui donnant l’ordre (interdit dans le présent cadre) d’effectuer les dépenses décidées par le parlement et l’exécutif. Ce n’est plus la banque centrale qui domine le Trésor et c’est le Trésor qui domine la banque centrale. Dans un tel contexte il n’y a plus à lancer une souscription de bons du Trésor pour alimenter le compte du Trésor à la banque centrale. Le compte est toujours alimenté. Il n’y a plus à se poser la question du taux et des difficultés à placer un emprunt qui n’existe plus. L’Agence France Trésor et sa cohorte de banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) peut disparaître.

2 - Le nouveau cadre est un cycle qui, du point de vue du Trésor, commence par une dépense immédiate  suivie d’une recette à venir (impôt et épargne éventuelle transformée en bons du Trésor). Ce nouveau cadre est inversement - du point de vue des bénéficiaires de la dépense ( secteur privé interne et externe) - une recette suivie d’une dépense à venir[4]Le cycle provoque donc mécaniquement une pression déficitaire côté Trésor et une pression excédentaire d’un même montant côté secteur privé interne et externe. Et le moteur du cycle est bien le Trésor. La liquidité du secteur privé est en permanence assurée par le Trésor dans sa dépense. C’est le Trésor qui donne l’ordre d’ouverture du robinet à monnaie, et c’est le même Trésor qui éponge le trop de monnaie en captant l’impôt et le surplus d’épargne. Le Trésor n’attend plus - dans l’angoisse - que le marché veuille bien éponger son déficit. Bienveillant, Il tend désormais la main à ceux qui connaissent un surplus de liquidité et souhaitent acheter des bons du Trésor.  Maintenant passer de l’angoisse à la bienveillance doit aussi correspondre à une modification des prix (le taux de l’intérêt) : le Trésor est moins soumis aux prix de marché et plus décideur de la rémunération qu’il va consentir. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Les conséquences du renversement

Dans le cadre de la zone euro un tel système qui se mettrait en place en France développerait, en principe, les situations et effets suivants :

1 - Il y a tout d’abord un risque inflationniste si le moteur du cycle s’emballe et finit par produire plus de monnaie (dépense) qu’il n’en retire (impôts et bons du Trésor). La différence devenant déficit public trop important eu égard à une faiblesse des capacités matérielles propres à redessiner le pays. Ce risque doit être politiquement contrôlé sur la base d’une autorisation de création monétaire par les instances démocratiques.

2 - Il y a ensuite un risque extérieur se matérialisant par une relance…à l’étranger : la compétitivité française est trop faible et les intrants de la reconstruction sont importés massivement (pensons à la relance Mitterrand de 1981/1982).

3 - Ce second risque serait en principe très amorti en régime de taux de change flottants : le cours de la devise nationale fléchirait ce qui rendrait l’économie nationale plus compétitive, et donc l’excédent du secteur privé externe serait limité.

4 - Cette fuite très limitée au profit dudit secteur ne l’est plus avec le taux de change fixe existant à l’intérieur de la zone euro. La France ne peut pas dévaluer vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ces conditions cela signifie la possibilité d’un « déficit sans pleurs » pour la France. La hausse de la dépense publique, imposée à une banque de France devenue obéissante, transforme le pays en passager clandestin de la zone euro.  On peut même penser que le destin de la France serait celui d’un rentier de la zone euro. Les dépenses publiques croissantes effectuées par la banque de France nourrissent un flux croissant d’importations, marchandises produites dans le reste de la zone et consommées en France. On serait très loin d’une restructuration du pays, de la reconstruction du lien social, de son autonomie, etc. Une telle situation de passager clandestin, pourrait faire des émules et pourrait aboutir à un effondrement généralisé.

5 - Cette situation nous permet de mieux comprendre la logique institutionnelle européenne qui interdit toute tentative de clandestinité : Bruxelles ne peut accepter la production de monnaie par un Etat et   va par conséquent devoir mobiliser des centaines de fonctionnaires, d’abord pour vérifier que la banque centrale est réellement indépendante, ensuite  pour élaborer, mettre en œuvre et surveiller un pacte de responsabilité budgétaire….dont la complexité aux dires des dits fonctionnaires  s’ajoute à l’imprécision du langage adopté : que signifie réellement un déséquilibre « structurel » ? De la même façon le « Next generation EU », ou plan européen de relance de 2021 (807 milliards d’euros) ne correspond qu’à de nouvelles dettes et n’apporte aucune solution au regard des enjeux. Il s’agit toujours en effet de procéder par la seule logique de l’endettement.

6 - Une façon de retrouver la souveraineté pour redessiner le pays serait donc de passer de l’équilibre budgétaire à l’équilibre des comptes extérieurs. Simplement, il s’agit d’éviter la fuite et faire en sorte que la dépense publique, nourrie par création monétaire, soit effectivement mobilisée pour redessiner le pays. Cela suppose évidemment des mesures techniques empêchant le déséquilibre sur les diverses balances du compte extérieur : taxation des importations, quotas, restrictions à la circulation du capital, etc. Toutes mesures interdites dans le cadre bruxellois.

7 – Cette dernière solution est pourtant probablement la meilleure en ce que bien menée elle pourrait ne pas briser l’édifice européen. Tout d’abord si elle était décidée par la France, il est très probable qu’elle développerait un processus d’imitation. Elle présente en effet un certain nombre de qualités : elle s’annonce responsable en ce sens qu’on refuse clairement le statut de passager clandestin[5] ; elle ne met pas en cause l’euro comme monnaie unique et donc ne met pas fondamentalement en cause le projet européen ; elle autorise des dynamiques nationales qui s’ajoutent et donc globalement la fin des restrictions budgétaires qui elles aussi se sont imposées à tous et ont provoqué un décrochage de la zone par rapport aux autres régions du monde (croissance de 19,2% depuis 2017 aux USA contre seulement 7,6% dans la zone euro). Reste à convaincre en expliquant le plus honnêtement possible.

Les résultats attendus

Les points susvisés méritent quelques explications et précisions :

1 - Il faut tout d’abord bien comprendre que le taux de change de 1 contre 1 à l’intérieur de la zone euro (l’euro n’est convertible qu’en lui-même) est le moteur de l’attrition européenne au regard du reste du monde. Si l’on se borne au cas franco-allemand, le déséquilibre extérieur France/Allemagne est porteur d’une attrition et pour la France et pour l’Allemagne. Parce que la France dispose d’un euro largement surévalué, le taux de change lui garantit un déséquilibre commercial abyssal (191 milliards d’euros pour 2022). Celui signifie une production nationale perdue pour un même montant (les français « mangent » un revenu qui n’est pas produit). De façon très approximative cette production perdue ou sous production correspond à 7,5% du PIB, et un peu plus de 2 millions d’emplois.

Parallèlement, parce que l’Allemagne disposait jusqu’ici d’un euro largement sous-évalué, elle disposait d’un excédent commercial considérable la conduisant à une stratégie mercantiliste qui commence à être dénoncée. Elle maintient une épargne considérable qui aurait pu être transformée en dépenses nécessaires (infrastructures délabrées, retraites insuffisantes, etc.). Globalement l’Allemagne pouvait mieux dépenser et la France pouvait davantage produire. Le déséquilibre franco/allemand est donc porteur d’un déficit de croissance globale. Si les taux de change pouvaient être modifiés et si donc un euro français pouvait moins valoir qu’un euro allemand, la croissance allemande serait moins mercantile et la croissance française serait plus élevée. Le raisonnement peut être généralisé à l’ensemble de la zone euro et donc si cette dernière reste à la traîne du reste du monde c’est en raison de la fixité du taux de change infra-zone.

Il est donc urgent d’inventer un dispositif permettant de retrouver les capacités productives de tous les pays à déficit commercial. Le gain de croissance collective de la zone permettra en retour un taux de change plus faible de l’euro au regard des autres devises. Taux de change allant donc dans le sens de la fin des excédents considérables de la zone avec le reste du monde. Observons toutefois que ce raisonnement est quelque peu biaisé par le fait que les contraintes qui s’exerceraient pour la construction d’un équilibre extérieur sont des gains à l’échange contrariés et donc le gain de croissance global reste sans doute difficile à évaluer.

2 - Globalement le passage de la « surveillance » des budgets publics (la monnaie est contrôlée par la finance) à celle de la « surveillance » des comptes extérieurs (la monnaie est émise par l’Etat) passe par une collaboration d’abord bilatérale mais probablement rapidement multilatérale entre pays déficitaires et pays excédentaires. Par exemple, l’Allemagne désormais bloquée dans sa trajectoire mercantile (problème des sanctions pour la Russie, keynésianisme stratégique américain, réduction du débouché chinois) pourra éviter le chômage français en relançant la consommation voire l’investissement interne…tout en évitant son propre chômage. La France en bénéficiera mécaniquement (moins d’exportations allemandes vers le reste du monde contre plus d’importations en provenance de la France), mais bien évidemment il lui faudra travailler sa compétitivité extérieure, d’abord sans doute par des mesures restrictives mais aussi en mobilisant les opportunités offertes par une monnaie émise par l’Etat. Ces opportunités ne sont pas négligeables et correspondent aux sommes mobilisées improductivement aujourd’hui au titre de la charge de la dette publique (55 milliards d’euros pour la France en 2023). Ces sommes deviennent des outils de compensation des inconvénients créés par une monnaie unique inadaptée et par définition inutilisable pour la maitrise des taux de change. Le maintien de la monnaie unique a un prix qu’il faut hélas payer. A terme, l’ensemble de la zone verra ses forces d’attrition se relâcher par une dépréciation globale de l’euro vis- à- vis du reste du monde.

3 - Mécaniquement le primat de la monnaie, simple marchandise émise par les banques, devait progressivement imposer la fin du bilatéralisme et l’imposition d’un ordre multilatéral contrôlé par la finance et assurant la fin des souverainetés. Cette fin des souverainetés devait être garantie par l’indépendance des banques centrales qui elles-mêmes devenaient le support d’un ordre multilatéral. Sans cette garantie la finance ne pouvait s’étendre. L’ordre interne, c’est -à-dire le budget, est surveillé, tandis que les frontières doivent disparaître : il n’y a pas à s’occuper de l’équilibre des comptes extérieurs. Notons que ce raisonnement se vérifie dans la pratique de l’agenda des fonctionnaires bruxellois : les budgets sont dans le champ des radars et les comptes extérieurs y échappent.

Tout aussi mécaniquement le primat d’une monnaie émise par l’Etat renverse les choses : l’ordre interne, c’est -à-dire le budget cesse d’être surveillé, et les frontières font l’objet d’une grande attention. Le retour de la souveraineté ne peut accepter celle des banques centrales qui doivent impérativement se contenter d’obéir et de faire respecter le politique retrouvé dans le système financier. Les banques centrales qui, partout dans le monde furent historiquement les enfants des Etats, doivent après leur grande fugue mondialiste revenir à la maison.

4 - Globalement l’objectif d’un équilibre des échanges extérieurs est favorable à l’élaboration de stratégies coopératives entre Etats. La lutte pour l’équilibre est affaire de discussions entre le déficitaire et l’excédentaire, ce dernier se devant de prendre sa part de responsabilité. A l’inverse dans le cadre actuel, l’Allemagne n’a aucun intérêt à ne pas maximiser sa « rente de taux de change » en adoptant une stratégie ouvertement mercantiliste et peu coopérative.  Alors que les présentes règles sur le budget sont l’affaire de chacun pour plus de compétitivité, la règle de l’équilibre extérieur est ouvertement coopérative. Notons que cette coopération est aussi ce qui faciliterait l’émergence d’une union des marchés de capitaux (UMC).

5 - L’ordre multilatéral n’est pas incompatible avec le retour des souverainetés. L’équilibre des comptes ext[JW1] érieurs est  un objectif de négociation qui peut commencer avec une offre politique nouvelle, celle du pays qui aura, le premier décidé, de retrouver sa capacité à produire de la monnaie. Le début du processus peut être d’ordre bilatéral, mais il devrait par imitation reproduire un ordre multilatéral : La mondialisation devient une « association d’Etats souverains » si possible démocratiques. Elle cesse d’être un liquide noyant les Etats qui ne savent pas nager pour cause d’amputation monétaire.

6 - Le processus de transformation de la monnaie marchandise en monnaie politique participe à l’engendrement d’un ordre sociétal nouveau. Dans le paradigme de la monnaie marchandise il y a en devenir la fin des souverainetés, la mondialisation et l’affaissement des nations : les droits de l’homme enflent et deviennent un fleuve en crue noyant les droits et devoirs du citoyen. Dans le paradigme de la monnaie politique, les droits de l’homme retrouvent leur lit et les droits et devoirs du citoyen ne sont plus dévalorisés.

7 – Il est donc clair que la prise en charge sérieuse de l’avenir ne laisse qu’une place limitée aux partis de la droite traditionnelle qui se sont contentés de se lover dans ce qu’on appelle le néolibéralisme ou l’ordo-libéralisme. Il ne laisse guère non plus de place aux partis dits de gauche qui, ayant abandonné le champ des luttes économiques, se sont reconvertis dans celles qui affaissaient la citoyenneté. A leur décharge, reconnaissons qu’ils furent tous endoctrinés par les discours normatifs des économistes en difficulté avec la lecture du réel. Des économistes qui ne semblent pas connaître de révolution copernicienne et qui n’ont pas l’humilité des astrophysiciens, testant/contestant en permanence les modèles au regard des réalités qu’ils découvrent.  Redevenir sérieux ne consiste pas à construire des programmes détaillés à vendre sur des marchés politiques. Redevenir sérieux c’est d’abord observer et lire les faits en tentant de les rendre intelligibles aux fins de proposer un avenir désirable. Il est grand temps de voir les partis s’atteler à cet exercice plus difficile que celui de la communication.

Conclusion :

1 - Le scénario proposé avait aussi pour objet de répondre à la très  grande complexité de notre monde : climat, environnement, démondialisation ou « grande fragmentation », déchirures sociales, guerres de grande intensité. Nous avons tenté de montrer que cette complexité se traduit par une gigantesque montée des coûts de la production/protection d’un monde habitable. Et une montée des coûts qui ne peuvent plus être couverts par de la dette[6].

2 - Parce que le danger de réécriture d’un nouvel ordre est considérable dans le présent contexte, le scenario proposé reste modeste et tente d’apporter des solutions sans déchirures trop graves de l’ordre ancien. Ainsi Le contexte géopolitique ne peut nous autoriser la contestation trop radicale de l’ordre européen. D’où l’acceptation d’une monnaie unique certes très couteuse mais en même temps  symbole d’un rassemblement. On peut certes réduire le poids de la finance et faire disparaître la dette publique mais il nous semble très difficile d’aller plus loin. D’où aussi le maintien d’un authentique libéralisme qui autorise néanmoins le passage vers moins de compétition et davantage de coopération.

Nous n’avons évidemment pas abordé toutes les questions et certaines d’entre-elles ont déjà été partiellement évoquées dans l’article du 18 décembre : « la reconstruction passe par une bonne dose de dé financiarisation »[7]. Nous n’avons pas non plus traité de façon détaillée  la question de la création monétaire par l’Etat : faut-il passer à la monnaie numérique de banques centrales ? faut-il interdire la création monétaire par les banques ? etc. Ce qui nous renvoie à d’autres textes déjà publiés, notamment celui du 20 octobre dernier : « Reconstruire le système bancaire »[8] ou celui du 1er octobre : « Politique publique : entre la dette et le climat, il faut choisir »[9]. Notons enfin que les nouvelles technologies monétaires peuvent aider à l’émergence du scénario proposé.[10]

3 - Il existe présentement une conjoncture favorable à ce que la France se lance dans un tel scénario. D’abord une prise de conscience d’effets cumulés devenus insupportablement lourds :  prise de conscience que le pays est désormais le plus désindustrialisé de toute l’Europe, prise de conscience de déficits jumeaux (budget/ balance commerciale) parmi les plus lourds de toute l’Europe, prise de conscience d’un stock de dettes publiques le plus élevé de toute l’Europe. Le moment est donc venu d’un nécessaire changement de paradigme.

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                          

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