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1 mars 2021 1 01 /03 /mars /2021 05:00

Le présent texte consacré à la notion de frontière se veut loin des réflexions philosophiques de Régis Debray[1] ou de celles plus concrètes d’Anne-Laure Amilhar Szary[2] . A l’inverse, il se propose d’utiliser celles du paradigme libertarien de l’économie du droit, pour comprendre que l’idéologie de la fin des frontières proposée par la mondialisation, mais plus encore par l’Union européenne, est plus un déplacement, voire un émiettement complexe, qu’une disparition. 

La frontière, parfois très matérielle est aussi une abstraction sur laquelle s’édifie des règles très concrètes. Ainsi on prend appui sur elle pour codifier et préciser droits et devoirs des acteurs situés à l’intérieur comme à l’extérieur de son périmètre. Du plus simple au plus contraignant, par exemple l’obtention d’un visa ou à l’inverse « l’impôt du sang » en cas de guerre, tout repose sur l’idée de frontière. On conçoit ainsi que l’essentiel d’une législation s’enracine, d’une certaine façon et sans le dire, sur le concept de frontière.

On sait que, d’une façon générale, la règle de droit dessine l’éventail des comportements humains et donc l’architecture de l’interaction sociale. On sait aussi que toute modification de la règle de droit modifie la répartition du bien- être entre les acteurs. Par exemple la hausse d’un salaire minimal déplace du bien- être depuis les entreprises vers les salariés, une hausse de tarifs douaniers déplace du bien- être depuis les consommateurs vers les entreprises protégées, etc. On sait aussi que ces déplacements entrainent des effets de compensation souvent mal élucidés par les économistes. D’où les débats infinis sur l’efficacité des politiques publiques.

Une disparition de cette matière première législative qu’est la frontière doit logiquement développer des conséquences considérables entre les acteurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son périmètre. Globalement, il y a ainsi des gagnants et des perdants et il est très difficile d’en dresser une liste complète. Dans sa version économiciste, disons simplement que la frontière protégeait ceux qui pouvaient se méfier d’un grand marché et handicapait ceux qui pouvaient voir dans sa disparition un allègement des coûts et donc des perspectives accrues de rentabilité dans le monde des affaires. Plus généralement et de façon très simpliste,  on pourrait donc penser que la disparition des frontières déplace du bien-être sous toutes ses rubriques - anthropologiques, psychologiques, sociétales, économiques, etc... - de ce qui constitue les communautés humaines. A priori un éventail des possibles plus large, ce qui correspond bien au libéralisme. Mais un éventail des possibles qui peut aussi développer des externalités négatives, par exemple la fin de rentes de situations pour nombre d’institutions protectrices, voire l’horreur pour certains de se voir contester, par le biais d’une libre immigration, une identité culturelle.

Pour autant les choses sont encore   beaucoup plus complexes, car très concrètement, il n’y a pas et il n’y aura probablement jamais de disparition des frontières. On peut ainsi vérifier que dans le cas de la construction européenne, certains morceaux de la frontière peuvent disparaitre tandis que d’autres restent fondamentaux. Certains groupes peuvent être particulièrement attachés aux fameuses « 4 libertés », matières premières de base du marché unique. Ces mêmes groupes, défenseurs de ces principes qui effacent d’antiques frontières, restent pourtant attachés à des différences énormes en matière fiscale ou en matière de prélèvements sociaux. Et ces différences  ne survivent que protégées par le bouclier  de frontières qu’il est impensable de faire disparaitre. On peut du reste ici regretter que les pages du Monde du 11février dernier consacrés à « l’Openlux » n’aillent pas plus loin que la compréhensible indignation : la frontière n’y est pas le thème central qu’elle devrait être.

 De fait, les acteurs bénéficiaires de la disparition d’une partie des frontières ne souhaitent en aucune façon un démantèlement généralisé effaçant les avantages fiscaux, sociaux, voire règlementaire. Une frontière, si possible très solide, est ce qui permet à la mondialisation de se « sur-vitaminer » en laissant des grumeaux de souveraineté appelés « paradis fiscaux ».

Lorsque maintenant le processus de mondialisation du point de vue de certains acteurs reste imparfait, qu’il aboutit à des règles spécifiques à l’intérieur d’un espace plus limité que celui d’une planète simplement parsemée de paradis fiscaux, on peut comprendre des volontés de rupture pour davantage de mondialisation. C’est le cas de la City de Londres qui, sans doute, appuyait la construction européenne comme outil de mondialisation…. tout en le trouvant trop timoré.

La construction européenne,  parce que se méfiant  d’une finance totalement dérégulée, n’a opéré qu’un déplacement modéré des frontières. Mieux des directives vont progressivement aller dans le sens d’un accroissement des contraintes. C’est le cas de l’AIFM[3] qui va imposer un contrôle des régulateurs nationaux sur les investisseurs alternatifs. C’est aussi le cas des directives CRD3 et CRD4[4] qui vont limiter la titrisation, le shadow banking, et les bonus calculés sur les risques excessifs. C’est enfin le cas de la directive EMIR[5] qui viendra encadrer l’émission des dérivés et des opérations des hedges funds sur les marchés de gré à gré. Ces déplacements de frontières furent souvent contestés par la finance britannique, en particulier les adeptes  de la « seconde financiarisation », adeptes qui  viendront  appuyer les promoteurs du référendum sur le Brexit[6].  Sans perdre de temps, la Grande Bretagne se livre ainsi depuis quelques semaines, à redessiner ses frontières financières en adoptant une stratégie de « diplomatie réglementaire », aussi faite de "goutte à goutte normatif", qu’elle délègue à des institutions privées comme la Financial Conduct Authority (FCD).

Globalement, le processus de transformation permanent des frontières est le fait de l’acteur politique qui en principe dispose du pouvoir réglementaire. Ce faisant, il interprète les demandes des différents acteurs et de leurs représentants lobbystes ou médias : entreprises, citoyens, consommateurs, salariés, institutions financières, mais aussi les entreprises politiques chargées d’établir des synthèses et compromis, pour dessiner l’architecture générale d’une frontière qui n’est qu’un outil de filtration. Ce dernier dessine les contraintes et avantages des divers groupes sociaux en fonction d’une architecture qui peut constamment changer. Notons enfin que si ce pouvoir réglementaire est lui-même délégué à des agences privées, voire contesté et redéfini par le pouvoir des juges, il devient difficile d’imaginer qu’une frontière ainsi découpée à l’infini et peu contrôlée par quelque chose comme un pouvoir démocratique, n’aboutisse pas  à des résultats forts éloignés de ce qui serait un intérêt plus ou moins général.

Si le Limes romain était bien le fait du pouvoir politique, la frontière - idéologiquement disparue dans le mondialisme ambiant - reste tout autant présente… mais en devenant progressivement le produit d’intérêts strictement privés. Si maintenant certains sont plus habiles que d’autres, on peut comprendre qu’émergent, au-delà de paradis fiscaux artificiels, de véritables Etats classiques, Etats de droit ayant « pignon sur rue » mais, hélas, complètement mafieux. C’est bien le cas du Luxembourg, qui arbore fièrement le visage d’un Etat-Nation, membre fondateur de la communauté européenne, mais qui est réellement une institution largement peuplée d'acteurs - bien protégés par une frontière - au service d’une prédation planétaire.

 

[1] CF son ouvrage : « Eloge des frontières » ; Gallimard ; 2010.

[2] Cf :son ouvrage « Géopolitique des frontières ; Le cavalier bleu ;2020.

[3] Alternative Investment fund.

[4] Capital Requirement Directive.

[5] European Market Infrastructure Regulation.

[6] Voir ici l’ouvrage de Marlene Benquet et Theo Bougeron : « La finance autoritaire ; Vers la fin du néolibéralisme » ; Raisons d’agir éditions ; 2020.

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6 janvier 2021 3 06 /01 /janvier /2021 14:37

L’ouvrage de Christophe Guilluy commenté dans la partie 1 du présent article était finalement très optimiste, le grand retour des classes populaires pouvant donner lieu à un possible renouveau du contrat social.

Les choses se présentent fort différemment dans le livre d’Éric Sadin signalé dans la première partie de l’article[1]. Ici, il n’est fait aucune allusion à ce que certains appellent :  le possible grand retour de l’Etat comme solution aux grandes crises et en particulier celles de l’épidémie et du climat. Pas non plus de collectif qui serait issue de l’emprise du social à l’échelle mondiale[2] comme le pense un Bertrand Badie. Eric Sadin est ici beaucoup plus proche d’auteurs comme Christopher Lash[3] ou plus encore de Jean Claude Michéa[4]. Toutefois, pour lui, la désocialisation et sa résultante politique n’est plus le fait d’une sécession des élites (Lash), ni même d’un passage d’un gouvernement des hommes à une administration des choses (Michéa), mais à une décomposition beaucoup plus profonde au sein de ce formidable chaudron  technologique que serait le numérique. Avec au final une confrontation de rivalités entre individus atomisés, rendant irréaliste tout programme politique supposé rendre justice à tous les motifs centrifuges de rancœur personnalisée, ressentis par la multitude d’êtres qui depuis longtemps auraient abandonné leur qualité de citoyens ou  leur identité  de classe.

Sadin n’aborde les questions économiques que du point de vue d’un progressif passage de la reconstruction de l’après-guerre, vers la production de masse puis le néo-libéralisme d’aujourd’hui. Sans analyse fouillée il en conclue que la gouvernance ne cesse de se tromper quant aux vertus du présent modèle économique et qu’à ce titre le pouvoir politique fabrique, par ses mensonges répétés, son incapacité à gouverner réellement. Il y a là une insuffisance réelle : Pourquoi le tournant néo libéral ? Pourquoi une répétition de mensonges sur les résultats macroéconomiques et macrosociaux attendus par ce tournant ? Avec parfois des propos qui mériteraient mieux que des affirmations non démontrées par exemple celles concernant le recul de l’Etat- providence. N’analysant pas, comme le fait Michéa, que le tournant économique néo libéral s’est accompagné d’un tournant sociétal lui-même libéral, il passe rapidement à l’analyse des effets du numérique sur une matière première humaine encore citoyenne.

Pour autant les effets du chaudron technologique numérique sont étudiés avec une finesse remarquable. Partant d’internet et du smartphone, il en étudie tous les produits dérivés et leurs effets anthropologiques. Les premiers textes, données, images, contacts, etc. qui sont apparus avec les premiers dérivés d’internet ne sont plus des fenêtres sur le monde mais, pense Sadin, des horizons spatio -temporels infinis, horizons que produisent des moteurs de recherche censés aussi simplifier l’existence à coûts a priori nuls. D’autres outils veillent en permanence à s’ajuster aux habitudes et désirs de chacun. De quoi, pense Eric Sadin, augmenter la centralité de soi, mais aussi engendrer la perte d’une socialité qui peut se réduire à un compagnonnage entre l’être et la machine. Quelques années plus tard le smartphone et ses premières « applications » vont augmenter cette impression de centralité, avec ce sentiment que les choses viennent automatiquement vers nous et transforment l’homme moderne en roi de sa vie. Les objets et outils ainsi générés et conçus  construisent pour certains un eldorado économique d’autant plus grand qu’il situe l’individu au centre de toutes les préoccupations. Plus tard encore « you-tube » engagera, selon Sadin, chacun à devenir plus visible voire à se « diffuser », le célèbre « Broadcast yourself » ou le « you » proposant à l’homme moderne de devenir populaire, de se mettre en scène, voire même de se transformer en « individu multinationale » très lucrative. Au nom de la transparence et de la souveraineté de chacun, d’autres outils proposeront une « démocratie internet » permettant une transparence sans limite dans les affaires privées ou publiques ou d’en découdre avec tous les puissants, et ce, bien sûr, sans la délibération qui caractérise le vieux monde démocratique. Avec ici de grandes conséquences sur la transformation digitale des entreprises, qui vont permettre à l’actionnaire de mieux contrôler le manager et ses cadres, et autoriser le déploiement d’outils numériques de gestion allant toujours vers plus d’adaptabilité et de flexibilité continue à des fins de résultats plus performants. D’autres progrès comme les assistants numériques personnels vont désormais administrer une large part de l’existence en nouant une relation d’un nouveau genre, celle débarrassée de toute négativité, relation qui entraine selon l’expression d’Eric Sadin une véritable « sphérisation de la vie », faisant que chacun évolue à l’intérieur d’une bulle faite d’une attache privilégiée nouée avec des systèmes ne s’adressant qu’à lui[5]. La « sphérisation de la vie » réduit ainsi l’apport d’autrui à la portion congrue, voire apport inutile ou même nuisible : la voix « supérieure » de l’assistant étant nécessairement bienveillante. Eric Sadin multiplie les exemples : celui de Twitter qui n’aboutit au travers du « follower ou « retweet » qu’à une « boursoufflure du soi » et ne revient qu’à pérorer sans jamais agir ; celui du TripAdvisor qui généralise la notation de tous par tous , l’étalage des subjectivité devenant ainsi des « vérités » objectives. De notre point de vue, Sadin n’insiste pas suffisamment sur les effets divergents de cette notation dans les 2 mondes celui de l’économie, plus exactement celui de l’entreprise, et celui du sociétal : la notation de l’actionnaire dirigeant par le salarié ne modifiant pas la verticalité de la relation, tandis que la notation du professeur par l’élève promettant davantage d’horizontalité[6]. Par contre, il perçoit clairement que les techniques nouvelles génèrent aussi une économie où l’intermédiaire public deviendrait superflu. Idéologiquement, l’individu, désormais numériquement équipé, devenu souverain de lui-même, acteur devenu efficient et important, capable d’agir sans intervention publique, ne peut  qu’exiger davantage de marché, donc de liberté dans ce nouveau paradigme, de la part d’un Etat invité à se retirer du jeu. Et si les résultats globaux ne sont pas au rendez-vous c’est parce que l’Etat n’a pas été assez loin dans la libéralisation, l’extension continue de ce qui est marché, l’abaissement de toutes les barrières, certes économiques, mais bien davantage sociétales. En particulier la nouvelle technologie, et ses effets immenses sur l’homme moderne, mène à ce que les contraintes et interdits traditionnels soient dépassés, que les codes, règles et autres usages soient abandonnés. Parce que les êtres peuvent ne plus se rencontrer, les valeurs qui encadrent ce qui était la société ne sont plus justifiées. Dans  ce monde nouveau, ce qui entrave encore la « sphérisation » de la vie n’est plus acceptable, ce qui entrave encore la montée de la centralisation de soi n’est plus acceptable, ce qui limite la « boursoufflure » de soi n’est plus acceptable, etc. Dès lors s’effritent le principe d’autorité et celui de confiance accordée aux institutions. D’où, à la limite, la colère si un gouvernement ne se comporte pas comme un assistant numérique. D’où aussi, et probablement simple oubli de Sadin qui n’en parle pas, l’irruption d’une monnaie complètement privée tel le Bitcoin. Un objet technologique, la crypto monnaie, permet ainsi de se passer complètement d’un Etat que l’on imagine désormais dépourvu de fiabilité. Sa monnaie n’étant  plus considérée comme réserve de valeur, il faut recourir à une technique numérique (une limitation programmée de l’émission, et l’éviction de toutes formes de tiers) pour éviter ce que l’on croit être la planche à billets de l’Etat.

Désormais il ne serait plus d’ordre plus grand que soi et le libéralisme classique, celui qui garantit ce dernier en se conformant à un registre de valeurs et repères partagés, disparait au profit d’une constellation d’êtres mus par leurs seuls tropismes et à l’égard desquels il est demandé à l’ordre collectif de se changer : autoriser la « fluidité du genre, la « location d’adultes », la fin de « l’esclavage du patrimoine génétique », etc. Avec comme conséquence l’irruption des logiques marchandes dans toutes les sphères de la vie. La technologie numérique permettant aussi d’agréger les individus devenus isolés en  foules, il est aussi demandé à ce même ordre collectif de reconnaitre toute sa culpabilité envers toutes les formes de minorités : anciens colonisés, ethnies maltraitées[7], usurpation du pouvoir blanc masculin, dévoiement de l’universalisme républicain, langue et régime syntaxique reproduisant la domination sexuelle, etc. D’où le refus, voire la haine, de l’ordre majoritaire censé être devenue l’arme des dominants ou d’une élite corrompue…donc le refus de ce qu’on appelle la démocratie. Cette dernière n’est pas simplement affaire de libre élection, et Sadin pourrait y ajouter que la démocratie suppose, comme le note Michael Foessel[8], que vivre les uns avec les autres n’apparaisse pas comme une contrainte, ce qui exige un principe fondamental d’empathie, et principe disparu avec la « boursoufflure des moi » autorisé par la technologie numérique.

Les conclusions de Sadin sont sans appel l’autorité comme l’institution sont rejetées massivement et il n’est plus question d’accorder le moindre crédit au contrat social et donc à l’ordre politique existant.

On peut certes critiquer l’ouvrage : pandémie et dérèglement climatique avec les peurs engendrées ne sont-elles pas refondatrices d’un grand retour de l’Etat ? Le très envahissant univers numérique est-il la  source principale d’explication du rejet de la démocratie? N’existe-il pas d’autres explications telle le multilatéralisme géopolitique ou la juridiciarisation de la vie politique ? On peut aussi critiquer l’absence d’une articulation étudiée entre le néolibéralisme économique et le libéralisme sociétal, par exemple l’absence d’une prise de position au regard du choix des politiques publiques qui vont favoriser le principe de « diversité » contre celui de « l’égalité »[9]. L’analyse de cette articulation, notamment dans le temps, nous semble fondamentale pour comprendre en particulier l’effondrement de la gauche en France voire les difficultés du parti démocrate américain. On peut enfin se poser la question de la récupération des technologies numériques par les pouvoirs encore en place. A la rupture anthropologique affectant les anciens citoyens peut correspondre une rupture dans les stratégies de pouvoir : comment ne pas voir dans les futures monnaies digitales des Etats une réponse puissante et très autoritaire, pour ne pas dire totalitaire, au risque de décomposition sociale ? L’exemple de la Chine est là pour nous le montrer avec sa banque centrale qui prépare la fin du cash et la surveillance complète de quelque 300000 transactions par seconde effectuée par une foule de ce qui n’est plus que des sujets[10]. Ajoutons les « Nudges » des économistes …et il n’y aura plus que des marionnettes…..

Ces critiques ne sauraient effacer l’essentiel à savoir l’extrême difficulté dans laquelle se trouve et va se trouver le système politique français au printemps 2022. Comment les règles du jeu de la cinquième république vont-elles pouvoir fonctionner si les acteurs/électeurs qui croient encore à un ordre plus grand qu’eux se trouvent très minoritaires ? Si l’épuisement du politique est tel qu’il ne pourra que dessiner et remettre sur la table les contours anciens d’un monde disparu ou en voie de disparition, il est clair que le résultat de la campagne est déjà écrit. S’il y a impossibilité pour les divers candidats de faire naitre un ou des groupes instituant la tension la plus équitable et harmonieuse entre chaque être et l’ordre collectif, le conservatisme ou la peur l’emportera et fera apparaitre un second tour de campagne avec les mêmes personnages qu’en 2017.


[1] « L’Ere de l’individu tyran » ; Grasset ; 2020.

[2] Cf Bertrand Badie :"Inter-sociabilité, Le monde n'est plus géopolitique"; CNRS. 2020.  :

[3] Cf : « La révolte des élites et la trahison de la démocratie » ; Champs Essais;2020.

[4] Cf : « Le loup dans la bergerie socialiste » ; Climats ; 2018.

[5] On retient ici les intéressants développements des pages 140 et suivantes de l’ouvrage.

[6] Cette distinction révèle  que le libéralisme généralisé peut au fond masquer ce que Marx aurait désigné par « rapports sociaux de production ». Le monde du libéralisme est aussi un monde illibéral et même l’éventuelle fin du salariat ne permet pas de sortir de la dépendance du marché. Sur l’illibéralisme ou l’autoritarisme du libéralisme on pourra aussi consulter les textes de Carl Schmitt et d’Herman Heller rassemblés et publiés chez Zones : « Du libéralisme autoritaire » ; 2020.

[7] Cela peut donner lieu à des actions surprenantes, telle ce restaurateur Nantais victime de  moins de 100 internautes qui exigent de changer une appellation de l’établissement jugée inacceptable ( « Le nez grillé ») au vu du passé de la ville.

[8] CF Le Monde du 1 et 2 janvier 2021.

[9] On pourra ici consulter, parmi tant d’autres,  l’ouvrage de Walter Benn Michael : « La diversité contre l’égalité » ; Liber/Raison d’agir ; 2009.

[10] Cf Le monde du 5 janvier 2021.

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24 décembre 2020 4 24 /12 /décembre /2020 16:29

 

Deux ouvrages importants et à priori en opposition sont publiés en cette fin d'année, celui de Christophe Guilluy ( "Le temps des gens ordinaires"; Flammarion; 2020) et celui d'Eric Sadin (l'ère de l'individu tyran; Grasset; 2020)) Le premier accorde encore encore un peu de crédit au politique. Le second radicalement pessimiste parle ouvertement de la fin d'un monde commun et le passage progressif d'une situation où les individus, certes devenus solitaires, sont encore solidaires à un monde où ces mêmes individus deviennent des "isolés antagonistes". Nous aurons l'occasion de commenter ces 2 ouvrages à partir de la réflexion déjà menée dans le blog sur les doutes concernant l'utilité de la prochaine élection présidentielle ( voir les articles du 30 novembre et 14 décembre intitulés: "France: il n'y a pas grand chose à attendre de la future élection présidentielle ", partie 1 et 2). Nous aurons l'occasion d'y mêler des billets invités sur le blog dont celui d'Hélène Nouaille publié le 16 décembre et celui d'Olivier Passet publié le 7 décembre.

En attendant nous remercions la Fondation Res Publica et en particulier Joachim Imad qui vient de publier une brève note de lecture concernant l'ouvrage de Christophe Guilluy, commentaire que nous reproduisons ci-dessous. Bonne lecture.

Aux Trente Glorieuses, période de forte croissance et de relative domestication du capitalisme, a succédé un processus de marginalisation économique et culturelle des classes populaires. Analysant les conséquences de l'avènement du néolibéralisme, conjugué à des mutations technologiques rapides et au triomphe d'une nouvelle division international du travail, Christophe Guilluy évoque « le plus grand plan social de l'Histoire », à coups de précarisation, de désindustrialisation, de délocalisations et de chômage de masse. La ruralité et les petites et moyennes villes françaises en ont été les premières victimes, comme l'illustre la carte de France de l'indice de fragilité sociale des communes [1], un indicateur élaboré par le géographe à partir de onze critères (la part des ouvriers dans la population active, la part des employés et ouvriers dans la population active, l'évolution de la part des ouvriers et employés dans la population active, le revenu disponible médian des 60 ans et +, le taux de chômage, la part des actifs en temps partiel, la part des actifs en emploi précaire, la part des plus de 15 ans non diplômés, le revenu disponible médian des ménages, la part des propriétaires occupants sous seuil de pauvreté, la part des locataires du parc privé sous seuil de pauvreté).

Dans le même temps, les classes populaires ont perdu leur statut de référent culturel. Auparavant prescriptrice, enrichie par le travail remarquable de syndicats et de partis politiques comme le Parti communiste et magnifiée par des réalisateurs comme Jean Renoir, Marcel Carné ou Julien Duvivier, la culture populaire s'est retrouvée cantonnée aux marges de la société, au point de devenir une « sous-culture inquiétante », méprisée par les vainqueurs de la mondialisation et par des minorités acquises à l'idéologie libérale-libertaire.

Ce déclassement économique et culturel a enfin été aggravé par une relégation politique. Les partis de gouvernement qui avaient auparavant à cœur de défendre les intérêts des classes populaires s'en sont progressivement détournés, à gauche au nom d'un ralliement à la mondialisation au prétexte de l'idéologie européiste et d'une vision sociétaliste de l'avenir, à droite au nom d'une vision gestionnaire de l'économie et du dogmatisme néolibéral. Délaissées par les partis traditionnels et les élites anciennement industrialistes et confrontées à une détérioration de leurs conditions matérielles d'existence, les classes populaires n'ont eu d'autre choix que de basculer dans le vote pour le Rassemblement national (auparavant le Front national) ou dans l'abstention, alimentant ainsi la crise de la démocratie sur laquelle tant d'éditorialistes et d'universitaires se plaisent à disserter.

Ce constat, nourri par de nombreux exemples, s'inscrit dans la longue lignée des ouvrages de Christophe Guilluy qui, depuis Fractures françaises, met en évidence la persistance d'une conflictualité sociale que l'idéologie libérale s'efforce de dissimuler. L'originalité du Temps des gens ordinaires n'est pas là. Elle réside dans le constat, plutôt optimiste, que propose l'auteur d'un basculement des classes populaires dans la résistance. Refusant la place subalterne à laquelle la recomposition du capitalisme et l'idéologie dominante les assignent, celles-ci passent aujourd'hui de l'ombre à la lumière.

Cette résistance est d'abord pratique et va bien au-delà de ce qu'il convient d'appeler le populisme. Bien qu'il ait débouché sur un échec politique, le mouvement des gilets jaunes a par exemple fait entendre les exigences et le cri de détresse des couches populaires dont beaucoup avaient préféré oublier l'existence. Quelques mois plus tard, à l'heure du premier confinement et du passage d'une partie des Français en télétravail, ces mêmes gens ordinaires, qu'ils soient aides-soignants, caissiers, livreurs, éboueurs ou encore chauffeurs routiers, ont dû assumer presque seuls le principe de réalité et faire tourner ce qu'il convenait alors d'appeler « l'économie de guerre ». Nullement naïf sur le processus d'héroïsation dont ils ont pu faire l'objet (« L'héroïsation est une manière de garder la main, de continuer à objectiver les plus modestes mais certainement pas une façon de leur laisser la place. »), Christophe Guilluy observe que les classes populaires, et ce pour la première fois depuis des décennies, occupent désormais une large place de l'espace médiatique.

Cette visibilité nouvelle va de pair avec une renaissance culturelle. Négligées voire vilipendées par le monde de la culture depuis les années 1980, les classes populaires sont de nouveau des sujets de premier plan de la création artistique, en témoigne la multiplication des œuvres qui contestent les représentations dominantes du peuple. Pour étayer son propos, Christophe Guilluy cite de nombreux exemples issus aussi bien de la scène artistique française (le prix Goncourt attribué à Nicolas Matthieu, la descendance littéraire d'Annie Ernaux, etc.) qu'anglo-saxonne (le succès des films de Ken Loach, le phénomène autour du roman Hillbilly Elegy de J. D. Vance, les romans populistes de John King, etc.). On peut néanmoins s'interroger sur leur portée réelle. Ces œuvres ont rencontré un succès indéniable mais sans commune mesure avec celui d'œuvres invitant par exemple à jeter un regard nouveau sur les banlieues. Pensons par exemple à la notoriété immense de certains rappeurs ou à des phénomènes de société cinématographiques, à l'image de La haine de Mathieu Kassovitz ou, dans une moindre mesure aujourd'hui, Les misérables de Ladj Ly, prix du jury 2019 du Festival de Cannes.

En outre, les classes populaires tendent, aux yeux du géographe, à ne plus jouer sur le terrain du pouvoir et à s'autonomiser. Refusant « les faux débats sous contrôle » et « le piège de la récupération politique et syndicale », elles se recomposent autour des valeurs traditionnelles (besoin d'ancrages, attachement aux solidarités organiques, refus du progressisme diversitaire, etc.) et d'un diagnostic commun : l'échec de la globalisation, de la métropolisation et du multiculturalisme. Avant tout pragmatique, la France périphérique a tourné le dos à l'idée de révolution et aux grands récits ayant structuré le XXe siècle. Seule la préservation de l'essentiel lui importe dorénavant : « un niveau de vie, un niveau de protection sociale, mais aussi un environnement culturel qui favorise le bien commun ».

Consacrant de nombreuses pages aux enjeux migratoires et démographiques, Christophe Guilluy explique que la question identitaire s'avère fondamentale dans les milieux populaires, à la faveur notamment de l'ethnicisation des débats sociaux. En première ligne face à la crise de l'intégration, ceux-ci font le constat des tensions auxquelles conduit nécessairement « la société multiculturelle à 1000 euros par mois ». Loin des procès en repli sur soi et en xénophobie, le géographe rappelle cependant que l'hostilité des classes populaires au multiculturalisme et à l'immigration non-contrôlée ne découle pas d'un racisme renaissant mais bien d'un attachement à un mode de vie et à une culture façonnés par l'histoire : « Ce que les élites feignent de définir comme du racisme n'est en réalité que la volonté des plus modestes de vivre dans un environnement où leurs valeurs restent des références majoritaires. » Christophe Guilluy évite néanmoins, à raison, l'écueil consistant à accorder la primauté à la question identitaire sur la question sociale : « S'il partage ses valeurs et sa langue, un ouvrier européen se sentira toujours plus proche d'un ouvrier d'origine maghrébine ou africaine que d'un bobo parisien blanc. »

Cette renaissance des classes populaires s'accompagne d'un inévitable effondrement culturel et idéologique du monde d'en haut. Les gens ordinaires ne sont plus dupes sur l'écologisme, l'antiracisme et l'antifascisme de façade de celui-ci, comme l'exprime Guilluy par la formule lapidaire suivante : « La lessiveuse idéologique ne fonctionne plus. » Ces discours bienveillants peinent selon lui à dissimuler la réalité de la lutte des classes et le refus de la diversité sociale d'une large partie des élites, en témoigne par exemple l'inquiétante homogénéisation des métropoles que souligne Guilluy : « Pourtant bastions de la « société ouverte », les métropoles sont des lieux de ségrégation territoriale et d'exclusion sociale radicale des classes populaires. »

Conscientes de cette hypocrisie, les classes populaires contestent désormais avec virulence l'idéologie dite progressiste. Si celle-ci demeure hégémonique au sein du bloc élitaire, elle s'avère selon le géographe à bout de souffle, en témoigne par exemple la perte brutale d'attractivité des grandes villes, exprimée par des données très révélatrices compilées dans l'ouvrage. Christophe Guilluy rappelle par exemple que 600 000 à 800 000 personnes quittent les grandes villes françaises chaque année et que seuls 13% des Français vivant dans les espaces métropolitains désirent continuer à y résider. Lassés par l'hypermobilité propre aux métropoles et rêvant de « décélération », ceux-ci devraient à terme être amenés à renouer avec la sédentarité inhérente à la France périphérique (si l'on passe outre les mobilités contraintes liées à l'activité professionnelle). Comme l'écrit Christophe Guilluy, la mobilité, géographique comme sociale, pour tous est en effet un mythe. En 2016, 65 % des Français vivaient par exemple dans la région où ils sont nés, tandis que « les chances d'ascension sociale des individus d'origine populaire (soit les enfants d'ouvriers et d'employés) varient du simple au double selon les territoires de naissance. N'en déplaise aux thuriféraires du nomadisme, cette sédentarisation ne devrait faire que progresser du fait des grandes dynamiques anthropologiques caractéristiques de notre temps (augmentation de l'espérance de vie, vieillissement de la population en Occident, ralentissement de la croissance démographique mondiale, raréfaction des ressources, etc.).

Cet essoufflement du modèle néolibéral et de la métropolisation dissimule une crise beaucoup plus profonde. Christophe Guilluy juge qu'il ne faut pas seulement adapter marginalement le modèle à l'origine de la désindustrialisation - ce même modèle qui fait que pour la première fois de l'histoire, les gens ordinaires sont contraints de vivre sur les territoires qui créent le moins d'emplois - mais bien le transformer radicalement, ce qui implique un volontarisme politique accru, un changement de cap économique et une capacité à planifier que notre classe dirigeante a laissé en déshérence depuis des décennies.

Christophe Guilluy relève que les territoires périphériques demeurent les « heartlands » des démocraties occidentales et que la mécanique des gens ordinaires correspond non pas à une « entrave » mais au « mouvement du monde ». Au-delà de ce constat fort intéressant, il serait néanmoins nécessaire de poursuivre la réflexion sur les implications pratiques du changement de modèle que le géographe appelle de ses vœux (quid de l'articulation entre une élite responsable et des classes populaires exprimant une légitime demande de protection ?) et de réfléchir aux politiques ambitieuses qu'un bloc républicain devrait mettre en œuvre pour réorienter notre modèle économique vers un horizon souhaitable. [2]

Alors que la crise du coronavirus a mis en lumière nombre de nos dépendances et de nos faiblesses, contribuant ainsi à réhabiliter des notions depuis longtemps ostracisées dans le débat public, à l'instar de la souveraineté, de l'autonomie stratégique ou des frontières, ce travail intellectuel s'avère plus impératif que jamais.

Enregistrons bien cette analyse débouchant sur un possible retour des "gens ordinaires". Conclusion jugée positive et conclusion qui sera très critiquée dans l'ouvrage d'Eric Sadin, ouvrage qui sera bientôt commenté dans la partie 2 de cet article. 

Bonnes fêtes de fin d'année à toutes et à tous.

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[1] Carte de l'indice de fragilité des communes françaises (Données INSEE), p.97
[2] Voir le colloque organisé par la Fondation Res Publica « Quelle recomposition du paysage politique pour la France ? », 3 décembre 2019

 

16/12/2020

 

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14 décembre 2020 1 14 /12 /décembre /2020 08:48

En qualité de citoyen, nous pouvons imaginer un point de vue de relatif bons sens concernant la future élection présidentielle : quels sont, à priori, les probables problèmes du pays, et quelles sont les solutions raisonnablement envisageables. C’est ce que nous tentons d’évoquer ci-dessous en empruntant certaines idées émises par des correspondants et des collègues que nous remercions[1]. Pour autant l’émiettement de la pensée est devenu tel que le processus électoral risque de voir à son terme la continuité l’emporter sur le changement et c’est ce que nous envisagerons en conclusion.

Un premier constat est que  l’élection présidentielle ne permet   plus, depuis longtemps, d’exprimer clairement et efficacement le choix des français. Plusieurs raisons peuvent  être invoquées :   

- une constitution très présidentielle dont le jeu est mal compensé par le recours au referendum sur les grands sujets qui engagent la nation ;

- le système des partis, favorisé par une élection majoritaire à deux tours, sans proportionnelle, qui élimine du Parlement une proportion croissante de l'intention populaire ;

- des abandons imposés et massifs de souveraineté vers Bruxelles, Genève, Strasbourg, Luxembourg, Washington ;

- une perte de légitimité et un désintérêt marqué puisque, désormais, entre les non- inscrits sur les listes, les abstentions et les votes blancs ou nuls, moins de la moitié des citoyens expriment leur choix .

Il en résulte un affaissement dramatique de la démocratie face à une montée de nombreux dangers.

1 Une démocratie affaiblie face à de grandes menaces

1 Perte d’autonomie de la France, c'est à dire perte de sa souveraineté nationale et populaire, perte qui se manifeste sur tous les plans : politique, économique, monétaire, militaire, migratoire.

2 Dilution des repères qui forgent l’identité d’une nation, identité qui préserve le pays d’une   fragmentation aujourd’hui hélas très avancée, et fragmentation en opposition à la montée des Etats-Nations partout dans le monde en dehors du continent européen. Le large abandon de l'enseignement de l'histoire dans sa fonction identitaire et son accaparement par des groupes minoritaires à des fins d'instrumentalisations mémorielles dénonciatrices de la République aggrave cette fragmentation.

3 Augmentation sensible des ferments de la division économique et sociale : chômage de masse, paupérisations nouvelles et enrichissements exponentiels, sécession de l’élite, divisions qui contribuent à la fragmentation du territoire national entre zones branchées à "l'économie monde" et zones abandonnées.

4 Mondialisation économique non régulée, au nom de l’idéologie libre-échangiste, avec une fulgurante ascension des activités simplement spéculatives, financières ou rentières, mais aussi avec effacement des cohérences économiques noyées dans des chaines de la valeur illisibles, aux conséquences sociales et humaines désastreuses. En particulier, l’effondrement industriel correspond aussi à l’affaissement des gains de productivité donc de la croissance potentielle et à des disparitions de compétences difficilement récupérables (nucléaire, industrie manufacturière et de la défense, etc.). Cela correspond aussi à l’effondrement d’un futur désirable et de projets globaux négociés au profit de la  consommation vorace du simple présent.

5 Effacement de l’humanisme (transhumanisme, genrisme, fichages informatiques, capitalisme de surveillance, disparition du citoyen responsable au profit d’un consommateur docile ou capricieux, etc.) et de l’universalisme français (dictatures des minorités ethniques, raciales, religieuses, LGBTI, idéologiques, etc.)

6 Montée de l’intolérance, de la violence et de l’insécurité : quartiers interdits, groupes séditieux, déstabilisation de la dimension régalienne du pouvoir, effondrement du crédit porté à la parole institutionnelle et épidémie de fake news , affaiblissement de la fonction protectrice des institutions ,dialectique du complotisme et de l’anti-complotisme dans un monde devenant Orwellien,  gouvernement des juges en particulier sur les questions économiques et sociétales, terrorisme islamique, etc. 

7 Montée de l’insécurité écologique et climatologique avec au final pollution et dégradation qualitative et quantitative de l'air, de l’eau, des terres, et du vivant.

8 Affaissement   du potentiel scientifique, technologique voire simplement cognitif avec abaissement de la qualité des formations, tout au long des cursus,  chute des compétences et savoirs -faire, voire simple affaissement de la raison au profit des seules émotions ou idéologies. 

Quelles solutions envisageables?

II Reconstruire les chemins d’un vivre-ensemble apaisé et sécurisé….

1 Récupérer la souveraineté populaire :

- au sein de la nation c'est le peuple qui doit pouvoir décider de son destin : introduction de la proportionnelle à l’Assemblée nationale , référendum obligatoire sur les grands sujets, mais aussi référendum d'initiative populaire ;

- au sein des instances internationales (OMC, OTAN) qui imposent aux nations ce qu'elles ne veulent pas et les empêchent de se tourner vers ce qu'elles souhaitent. Cela passe en particulier par moins de multilatéralisme, une coopération active entre Etats, mais aussi par une sortie de l’OTAN ;

- au sein de l'UE, avec renégociation des traités laissant davantage de place aux citoyens de chaque nation et moins de place aux seuls dirigeants européens non élus. Les accords entre gouvernements doivent, chaque fois que cela est possible, l’emporter sur un multilatéralisme déresponsabilisant et non démocratique.

2 Récupérer la souveraineté économique par une planification simplement indicative aux fins d’une reconstruction de chaines de la valeur plus autocentrées sur le territoire ; d’une maitrise, en partenariat avec d’autres pays, des technologies d’avenir, avec investissements massifs et montée rapide des qualifications correspondantes ; d’une limitation de la financiarisation  et des activités spéculatives parasitaires et rentières ; d’une décarbonisation des activités ; du développement des filières écologiques, par exemple celle de l’économie circulaire ; d’une limitation à la libre circulation du capital ; etc. Ces changements de paradigme supposent au final le rétablissement de tout ou partie de la souveraineté monétaire.

 3 Utiliser la souveraineté économique pour rebâtir un monde moins concurrentiel et respectueux des valeurs françaises : rétablir des droits de douanes compensateurs des inégalités de protection sociale entre pays ; établir le principe d’un maxima des rémunérations ; imposer sur le territoire national les revenus qui y sont produits et perçus ; mettre fin aux détournements réglementaires et comptables permettant à des pays européens d’en prédater d’autres (Irlande, Luxembourg, Malte…) ; etc.  L’objectif final est la reconstruction, autour de la valeur travail restaurée, d’une immense classe moyenne aujourd’hui en perdition.

4 Conforter le projet de renaissance d’une classe moyenne quasi hégémonique en remobilisant les valeurs qui fondent l’histoire commune de l’immense majorité. Cela passe par une immigration choisie et le retour au pays des immigrants clandestins. Cela passe aussi par la suppression de la législation concernant le regroupement familial ; la prééminence du principe d’assimilation sur celui d’intégration ; la fin de la tyrannie des minorités, etc. De quoi éviter l’aggravation de la guerre civile de basse intensité dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui plongé.

5 Restaurer un vivre ensemble de qualité, avec pour finalité la reconstruction d’une immense classe moyenne, passe aussi par la protection d’une nouvelle démocratie, et ce, en évacuant le gouvernement des juges qu’ils soient nationaux ou supra nationaux : Conseil d’Etat, Cour Constitutionnelle, Cour européenne de justice, etc…  instances si souvent mobilisées par des minorités actives,  doivent  elles-mêmes être cadrées par des choix référendaires sur toutes les questions aux conséquences sociétales.

Ces constatations et préconisations que l’on vient d’évoquer sont  peu susceptibles de rencontrer une majorité de français.

III…Mais des chemins hélas largement impraticables….

Sans doute beaucoup de constatations et de propositions simplement énumérées ci-dessus sont -elles partagées par de très nombreux français. Pour autant ce qu’on appelle néo-libéralisme est aussi, au terme d’une longue et complexe évolution,  un nouvel arrangement social[2] qui a favorisé l’évaporation du citoyen, et  l’émergence de l’individu souverain. La souveraineté est ainsi passée de la communauté politique des citoyens, communauté par définition la plus large, à celle de «  l’individu désirant ». D’où des conséquences fondamentales débouchant sur une nouvelle sémiologie : les mots vont voir leur signification et leur charge symbolique se modifier. Prenons quelques exemples :

La souveraineté. Ce terme dans ce nouvel arrangement du monde est presque devenu une incongruité, voire une grossièreté ou une incorrection  taxant  de populiste celui qui l’emploie. Il en résultera, à titre de simple  exemple, que  la communauté écologiste veillera avec acharnement  à son abandon. L’ environnement naturel, dira t-on  ne connait pas de frontières politiques et donc il est impératif de s’éloigner d’une idéologie d’un autre âge. On pourrait prendre d’autres exemples allant dans le même sens : faible taille du pays l’empêchant de tenir son rang face à des géants, risque de dérive nationaliste derrière l’idée de souveraineté, etc. Une variété de thèmes s’additionnant pour former une probable majorité et interdire tout débat sérieux sur la notion de souveraineté.

Le politique et l’Etat. Le terme de « choix politique » perd beaucoup de signification dans un monde persuadé que la société n’est, au mieux, qu’une somme d’individus et qu’il ne saurait y avoir d’instance  surplombant chacun d’eux. Mieux, l’expérience concrète de l’anéantissement du lien social au profit de la seule relation individu/ordinateur semble révéler que la société elle-même disparait. Elle n’est même plus somme d’individus. On comprend dans ces conditions que la liberté est devenue, dans son exercice, radicalement  incompatible avec le politique. Le terme lui-même devient ainsi une autre incongruité, ce qui justifie idéologiquement qu’il serait temps de dépolitiser les débats au profit de simples mécanismes de marchés auto-régulateurs. Pensons, par exemple, à la retraite par points qui permettrait largement de passer, dans l’administration des retraites, par un automatisme plutôt que par un débat politique périodique  entre acteurs. Une foule d’autres exemples peut être avancé : indépendance des banques centrales, organismes de régulation indépendants, mise en concurrence forcée sous contrôle bureaucratique de ce qui est monopole naturel (EDF, SNCF) ; etc.

La frontière. L’exercice d’une liberté toujours plus grande et plus éloignée des contraintes politiques fait  que Le libre échange est un état rationnel qu’on ne saurait réduire à peine d’engendrer une perte de pouvoir d’achat du consommateur. A cet égard, les droits de douane mêmes dits égalisateurs des conditions sociales de la production sont vécus comme un impôt sur la consommation, paradigme universellement enseigné avec les habits et décors de la science et jamais contesté. Droits de douanes ou contrôle des frontières, encore une atteinte à la liberté que l’individu désirant ne saurait supporter.

La liberté. Cette dernière n’est plus elle-même le produit d’un arrangement social dans lequel la rencontre avec l’autre se doit d’être plus ou moins civilisée. Rencontrer l’altérité est aussi fait de comportements d’adaptation et de prudence, "règles de juste conduite" dirait un Hayek, comportements devenus largement inutiles dans le monde numérisé, lequel peut devenir lieu d’épanouissement d’une violence virale aux effets catastrophiques.  Une  liberté ainsi devenue dépourvue d’ ancrage social débouche naturellement vers une méfiance généralisée atteignant en particulier les institutions, le respect des savoirs, mais aussi permettant le développement d’une idéologie complotiste sans frontières. La liberté dans son sens français (dimension encore collective) devient  de plus en plus la liberté au sens anglo-saxon ( le bouclier « propriété » protège l’altérité invasive) d’essence beaucoup plus radicale et débouche, technologisme aidant,  sur un développement de la  "call culture" américaine (culture de la dénonciation) mais aussi de la simple violence. 

L’intérêt général. Parler d’un intérêt général au dessus des intérêts particuliers n’a plus de sens dans une société d’individus simplement consommateurs. Au mieux, ces derniers peuvent se rassembler en communautés, ou en tribus, mais il est très difficile d’introduire une citoyenneté devenue une incongruité ou un simple signe dépourvu de  signifiant. Un intérêt de groupe se déploie en surplomb d’un intérêt général devenu invisible. Et les communautaristes verront, dans un intérêt tribal, un intérêt général puisque la communauté politique disparait. L’intérêt général évaporé laisse ainsi la place aux dictatures des minorités, en particulier simplement ethniques. Le mixage de la dictature ethnique et de la liberté radicale digitalisée ou numérisée peut ainsi déboucher sur des appréciations différentes du terrorisme, celle de Gilles Kepel laissant plus de place aux considérations ethniques et celle d’Olivier Roy accordant à la nouvelle liberté, comme effondrement d’un monde commun, un rôle plus essentiel[3]. D’où les interrogations sur la radicalisation : est-elle un effet de l’islam conquérant sur un Occident en perdition ou islamisation de la radicalité, elle- même effet de la fin d’un monde commun? Des débats qui nous éloignent du vrai sujet : comment décider aujourd’hui d’un thème disparu qui était pourtant l’un des fondements de la démocratie ?

La République et la méritocratie. Cette dernière ne peut voir qu’un rétrécissement considérable de son périmètre. La nation et la citoyenneté disparaissant,. il ne reste plus que des minorités qu’il faut aider par le biais de stratégies discriminantes. La vieille passion de l’égalité à la française peut ainsi évoluer  lentement vers des logiques de quotas et de nouvelles formes de discriminations à forts retentissements médiatiques et juridiques (juges), eux-mêmes  porteurs de nouveaux ressentiments et de méfiance.

Toutes ces pertes de repères font que les individus ont de plus en plus de difficulté à entendre et comprendre, notamment durant les campagnes électorales,  les discours d’ acteurs politiques largement démonétisés.

Les acteurs politiques sont eux-mêmes le plus souvent assis entre 2 chaises. Parce qu’il est question d’une élection présidentielle comme avant, on utilise les mots d’avant avec parfois le sens qu’ils avaient (démocratie, intérêt général, liberté etc.), de quoi développer la méfiance de nouveaux électeurs habitant le nouveau monde où les dits mots se trouvent démonétisés. Mais dans le même temps, ces acteurs politiques se doivent d'être modernes et expliquer que le monde a changé; que la démocratie ne peut que s’estomper dans le vide d’une souveraineté disparue ; que les frontières ne peuvent être rétablies en raison des impératifs d’une mondialisation favorable à la croissance et à l’épanouissement toujours plus grand de la liberté, ou de la consommation; etc. Parce que discourant au milieu du gué, les paroles publiques deviennent inaudibles, voire ridicules,  pour une majorité d’électeurs. Nombre d’entre eux seront ainsi tentés par l’abstention.

Il n’y a donc rien à attendre de la prochaine élection présidentielle. Aucun projet, tel celui développé plus haut ne peut naitre des prochains débats. Le plus probable est donc que l’on retrouve le même résultat avec des acteurs désignés légalement mais aussi des acteurs encore plus délégitimés que ceux d’aujourd’hui.

Plus probable est donc le changement qui proviendra des banques centrales en particulier la BCE. Cette dernière confirme sa situation d'Etat d'un type nouveau avec pour effet de masquer les difficultés issues de la triple crise sanitaire, économique et financière. Les lecteurs du blog savent que sa transformation empêchera tout effondrement de l'énorme pyramide financière. En revanche, on sait aussi que ladite transformation de la banque centrale développe d'énormes effets pervers en termes  de valeur des actifs (dont les actifs immobiliers), en termes de sous investissements réels et d'inégalités sociales -que le maintien des réformes structurelles et de la crise en termes réels  aggrave - effets qu'elle impose à la société. 

La Banque Centrale dans sa toute puissance a encore théoriquement les moyens de masquer les énormes inégalités sociales qui se construisent à grande vitesse. On peut ainsi imaginer le passage de l'helicopter money masqué (aujourd'hui) à l'helicopter money clairement revendiqué... lequel supposerait toutefois l'approbation de l'Allemagne... Il est difficile d'aller plus loin et nul ne sait comment les choses vont évoluer. Le plus probable toutefois est la conjonction de l'illégitimité aveuglante  du politique après 2022 et l'impossibilité d'une gestion coordonnée des affaires européennes. De quoi imaginer un monde d'après qu'il faudra construire si possible démocratiquement, avec comme le souhaite un Bertrand Badie dans son dernier ouvrage la fin du géopolitique et son remplacement par "l'inter-socialité". ("Inter-sociabilité, Le monde n'est plus géopolitique"; CNRS. 2020). 


[1] Nous remercions en particulier Henri Temple et Philippe Murrer.

[2] Pour une explication de cette dialectique entre nouveau paradigme économique et arrangement social nous recommandons l’excellent ouvrage de Pierre-Yves Gomez : « l’Esprit malin du capitalisme ; Desclée De Brouwer ; 2019.

[3] « Islamisation de la radicalité et radicalisation de l’Islam », entretien avec Olivier Roy ; l’Obs ; n°2683- 7 avril 2018.

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1 décembre 2020 2 01 /12 /décembre /2020 07:43

Les partisans de l’ordre monétaire et financier actuel sont  sur la défensive quand on leur parle, depuis quelques jours, de l’opportunité d’une annulation de la dette COVID. C’est vrai qu’ils ne peuvent plus se cacher derrière la défense des investisseurs ou celle des épargnants, puisque ladite dette se trouve très largement logée à l’actif de la BCE, une institution qui ne repose pas sur de vrais créanciers potentiellement victimes d’indélicats défauts. Les arguments de défense empruntent alors la paresse du juridique : les traités interdisent l’annulation des dettes. Mais le politique n’est-il pas source de refondation du droit ? Ils empruntent aussi le scabreux argument de l’inflation qui résulterait d’un tel relâchement disciplinaire. Mais l’actuelle monétisation massive est- elle source d’inflation ?

En sorte qu’il existe probablement un risque caché, autrement plus important derrière cette mobilisation contre une annulation de la dette COVID. Quel est-il ?

Bien évidemment, à horizon assez bref, le roulement de la dette publique serait allégé. A priori de quoi limiter les déficits futurs ou baisser la pression fiscale ou augmenter les dépenses de reconstruction. Au total de quoi apporter de l’oxygène aux Etats les plus endettés. De quoi faire rêver un pays comme la France dont le gigantesque roulement de la dette n’est plus très éloigné du total de ses recettes fiscales. C’est oublier les réactions du marché et ce avant même de décider - par un Etat, voire plusieurs, voire même l’Union Européenne dans son ensemble -  l’annulation des dettes COVID.

Le fait d’en parler- à quelque niveau que ce soit, Etats, Conseil européen, Commission, etc.- entrainerait automatiquement une hausse des taux assortie de spreads considérables. La raison en est simple. Bien sûr aucun « investisseur » ou épargnant ne serait lésé puisque cette dette est, ou serait cantonnée, à l’actif de la seule banque centrale. Toutefois, une perte de confiance se manifesterait légitimement : les Etats ne vont-ils pas s’affranchir du respect qu’ils doivent à l’autre  partie de la dette publique, celle acquise par des investisseurs et qui figure dans des patrimoines privés, voire publics ? Plus simplement après avoir « tiré » sur une cible largement virtuelle - la BCE - ne vont-ils pas « tirer à balles réelles » sur les épargnants ?

Il est clair qu’un « bouquet » de hausse des taux s’élèverait rapidement et qu’un comportement de contagion mimétique s’enclencherait avec la vitesse de l’éclair. Dans le même temps, et à l’échelle planétaire, tous les produits financiers incorporant de la dette publique européenne verraient leur valeur s’affaisser avec effet boule de neige sur la plupart des titres mondiaux. N’oublions pas non plus les effets dévastateurs sur les dettes des pays émergents.  Bref, une série « d’événements » qui ferait  disparaître rapidement l’espoir d’une diminution du roulement de la dette et mettrait en cause la signature, donc les cotations, de la totalité des pays de l’Union Européenne

C’est dire que les principaux acteurs qui récemment sont intervenus après les propos du Secrétaire d’Etat italien Riccardo Fraccado, (le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau ; le chef Economiste du Trésor, Agnés Benassy-Quéret ; mais aussi Bruno Le Maire  et beaucoup d’économistes) ont utilisé des arguments qui cachaient le véritable objectif : celui de maintenir en l’état le dispositif monétaire et financier. La crise financière serait d’une telle puissance que l’ensemble de l’édifice financier serait détruit, laissant alors la place à un tout autre monde qu’il faudrait construire. Soyons donc rassurés, tout sera mis en œuvre pour entretenir la fiction d’un remboursement de la dette. C’est très difficile, mais il faut y arriver.

 Et donc tout sera mis en œuvre pour poursuivre les réformes structurelles censées participer au redressement des finances publiques… comprenons ici le maintien de la rentabilité des grandes entreprises financiarisées…. avec ses effets en chaîne sur les petites entreprises dépendantes toujours enkystées dans un taux de change irréaliste… lesquelles  attendent des réformes structurelles en compensation de la faiblesse des marges laissées par les grandes entreprises qui nourrissent leurs carnets de commande….

 Il est évident que l’annulation des dettes COVID ne lèse aucun épargnant, mais il faut surtout ne pas en parler.

 

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24 septembre 2020 4 24 /09 /septembre /2020 13:52

On en sait maintenant davantage sur le plan de relance européen et ses conséquences pour la France. Celle-ci recevra une subvention de 37,39 milliards d’euro. Compte tenu de sa participation d’un peu plus de 17% au budget européen, cela signifie mécaniquement que le pays devra rembourser 17% de 390 milliards de « subventions » offertes par la Commission, soit 66,3 milliards. En admettant que les taux de l’intérêt soient nuls comme ils le sont en utilisant les services de l’Agence France Trésor (AFT), cela signifie une perte de 28,9 milliards. Par comparaison, l’Allemagne recevra 22,72 milliards et remboursera 78 milliards (transfert de 55,28 milliards), l’Italie recevra 65,46 milliards et remboursera 54,6 milliards (gain de 10,86), et l’Espagne recevra 59,17 milliards pour un remboursement de 37 milliards (gain de 22).

Globalement, nous confirmons notre point de vue du 24 août dernier, [1]la France, pays beaucoup plus proche du sud que du nord est très mal traitée dans l’accord bruxellois du 21 juillet dernier. Notons également la relative faiblesse des gains pour le sud.

Le plus important toutefois est l’ensemble de contraintes associées au versement des fonds : disponibilité éloignée (jusque 2023), conditionnalité avec imposition d’une articulation des subventions aux plans nationaux et droits de regard de la commission sur l’ensemble, etc. A cet égard cette dernière vient de publier un « formulaire modèle » de 44 pages[2], que chaque gouvernement devra remplir, afin d’assurer une grande transparence de l’audit de recevabilité des projets. Bien évidemment seront retrouvées, dans les conditions de  la recevabilité, les anciennes « recommandations » concernant les réformes du marché du travail et les systèmes de retraites. La précision des demandes devra être appuyée sur une liste d’indicateurs chiffrés que chaque gouvernement devra construire d’ici le 15 octobre. On notera l’aspect humiliant de la procédure en examinant le document susvisé, notamment sa page 35 ramenant le dirigeant politique élu, au statut d’exclu implorant une aide auprès d’une administration. L’accord du 21 juillet est donc bien une montée en puissance de la Commission et une avancée spectaculaire dans la servitude des Etats…. toujours applaudie par leurs personnels politico-administratifs respectifs…

Cet aspect est d’une certaine façon bien plus important que les chiffres susvisés. Les remboursements des « subventions » ne commencent qu’en 2028 et vont s’échelonner jusqu’en 2058. Cela signifie que le coût économique, y compris pour l’Allemagne, sera négligeable ( 1, 8 milliards d’euros l’an…. et seulement à partir de 2028, soit moins de 0,01% du PIB allemand d’aujourd’hui). Par contre, l’avantage symbolique est important et surtout il y a une avancée significative d’un fédéralisme non démocratique et en toute hypothèse non adapté à un certain nombre de pays dont la France.

Il existait probablement d’autres voies pour financer la relance. Nous voudrions dans cet article évoquer celle de la crypto-monnaie nationale.

Une crypto-monnaie nationale.

L’idée est de s’extirper des contraintes de l’euro qui a construit les grandes faiblesses du pays. Parce que l’économie française s’est trouvée devoir s’appuyer, d’abord sur un « Franc fort », ensuite  sur une monnaie confirmant un taux de change durablement inadapté, le pays s’est acheminé vers des politiques de dévaluations internes masquées qui ont construit progressivement et durablement sa fragilité.

Sa première fragilité, souvent exprimée, est l’importance excessive des dépenses sociales. A ce titre, il est généralement affirmé qu’elles constituent le premier chantier des nécessaires réformes. C’est pourtant oublier que ces dépenses constituent la contrepartie, probablement involontaire, d’un déficit de compétitivité dû au taux de change. Parce que la dévaluation externe est devenue impossible depuis l’époque du Franc fort (Bérégovoy), il a bien fallu payer le prix du refus socialement exprimé de la dévaluation interne. Logiquement, parce que la masse des salaires est une composante macroéconomique fondamentale, la dévaluation se devait d’être essentiellement salariale : prise en charge du chômage résultant de l’implacable désindustrialisation, outils bureaucratiques de couvertures de dépenses sociales, de compensation du délitement économique, prise en charge par l’Etat de cotisations etc. La dévaluation interne directe sur les salaires s’avérant politiquement impossible, le déficit budgétaire est devenu le prix réel de ce refus. Avec bien sûr,, des conséquences sur d’autres dépenses. Nous y reviendrons. Globalement nous avons l’œil sur les réformes portant sur la boursouflure du social, question réelle, sans se poser la question de l’origine première de cette dernière.

Face à cet enfermement, la mise en place d’une crypto-monnaie nationale permettrait-elle de quitter les contraintes de l’euro et la pérennisation du modèle social français devenu dans le présent contexte impraticable ? Clairement existe-t-il une voie permettant de respecter plus ou moins les contraintes de l’euro tout en refusant la pleine dévaluation interne frappant ouvertement les salaires ?

La mise en place d’une crypto-monnaie nationale.

Le gouvernement Chinois, soucieux de sa pleine souveraineté teste actuellement avec l’aide de sa banque centrale, sa propre crypto-monnaie. Cette dernière permettrait aussi une traçabilité complète des échanges à l’intérieur du territoire. Il n’est évidemment pas question de demander à la Banque de France de produire une crypto-monnaie nationale : la banque étant soumise à l’euro-système, seule le Trésor serait en mesure, en toute liberté, de créer une crypto-monnaie dont l’usage serait la relance. De ce point de vue, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’est en aucune manière trahi par une telle décision. Techniquement, les choses sont aisées et la gestion de la pandémie avec l’aide massive du Trésor et de ses satellites a montré, au printemps dernier, que l’administration française était suffisamment équipée : elle possède l’identité des comptes bancaires et coordonnées de tous les agents économiques, en particulier ceux des entreprises et des ménages. Plutôt que d’envisager un plan de relance en euros, très long à mettre en place,  avec forte surveillance de la bureaucratie bruxelloise prenant en charge une partie des projets (à hauteur de 37,39 milliards),  il s’agirait de mettre en place un plan adapté et souple permettant la fin des dévaluations internes et une authentique reconstruction du pays.

Une crypto-monnaie du Trésor pourrait s’appeler « crypto-euro », serait parfaitement convertible avec l’euro au taux de 1 contre 1, et détiendrait un pouvoir légal et libératoire sans limite. Pour autant, aurait-elle les moyens d’assurer une relance quelconque sans entrer en contradiction avec ce qui est devenu l’autorité bruxelloise ?

Logiquement, au titre de la relance dont il faudra présenter la philosophie générale, il y a émission de monnaie nouvelle, donc dépense publique supplémentaire qui n’affecte pas le solde public en euros :la dépense publique supplémentaire s’effectue dans une nouvelle monnaie souveraine. Les ressources distribuées sont des moyens de paiement pour tous les agents. Aucun agent n’est censé la refuser en raison de la parfaite convertibilité et du cours légal. Toutefois, on peut penser que la loi de Gresham va s’appliquer, aussi en raison de l’énorme scandale provoqué, bien sûr auprès des autorités européennes, mais au-delà, à l’échelle du monde. Cela signifie que le circuit du Trésor va s’appliquer de façon intégrale : les agents économiques auront le souci de payer la totalité de leurs impôts et autres prélèvements publics obligatoires en crypto-euros. Bien sûr, fort classiquement, aux dépenses publiques nouvelles -circuit du Trésor oblige- se trouvent assorties des recettes induites. Elles seront logiquement libellées en crypto-euros. Mais, loi de Gresham aidant, les recettes publiques jusqu’ici payées en euros seront payées en crypto-euros et ce jusqu’au dernier centime. Les administrations publiques vont donc perdre des recettes en euros. Et donc l’utilisation de la crypto monnaie ne sera pas neutre sur le déficit « officiel » en euros. Dans un dispositif de relance en crypto-monnaie, le déficit supplémentaire en euros provient des recettes et non des dépenses, alors que dans un dispositif de relance en euros, le déficit provient des dépenses et non des recettes. Il est toutefois difficile de dire si l’un domine l’autre en termes d’effet sur le budget officiel.

L’utilisation d’une crypto-monnaie publique, sans renverser le dispositif européen, présente donc des effets difficilement évaluables. On peut penser que la propension à épargner (ici propension marginale) serait proche de zéro en raison de la possible loi de Gresham. Mais il peut y avoir substitution en raison du cours légal et donc apparition d’une propension marginale en euros…Il est donc difficile d’évaluer l’effet multiplicateur de la relance par la crypto-monnaie et de le comparer avec celui obtenu par l’euro. Nous y reviendrons. Dans le même ordre d’idées, on pourrait penser à de possibles réactions sur le marché officiel de la dette publique. Difficile de répondre à des questions qu’aucun modèle économétrique ne pourrait trancher.

Au-delà, en supposant que les effets pervers de la relance par crypto-monnaie soient sous contrôle, les avantages d’un retour partiel à la souveraineté vont se heurter à la question du taux de change.

Peut-on sauter au -dessus de la barrière de l’euro sans le faire tomber ?

Bien évidemment, le dispositif de crypto-monnaie permet d’échapper aux contraintes bruxelloises qui confondent les causes avec leurs effets : la situation très difficile du pays a moins pour cause des structures sociales à corriger, et bien davantage une  question de compétitivité.

En attendant, le retour de la souveraineté permettrait d’effacer une partie des dégâts provoqués par la servitude volontaire de nos personnels politico-administratifs. Les dévaluations internes masquées, et non assumées, ne  sont pas remarquées par la seule dette publique. De fait, c’est tout un ensemble de politiques qui se sont trouvées dans l’étau de la nécessaire dévaluation interne imposée par l’euro.

 On peut en citer quelques-unes. Ainsi les grandes infrastructures montées durant les trente glorieuses, sont relativement mal dotées, d’où des milliers de ponts devenus dangereux, un réseau routier insuffisamment entretenu, des voies ferrées dans un état désastreux, etc. Ainsi, des structures de recherche de moins en moins pourvues, tels le CNRS, l’INSERM, les Universités, etc. Ainsi les structures hospitalières victimes d’un ONDAM muselé transformant la T2A en « points flottants » continuellement décroissants. Ainsi, la spectaculaire diminution des dépenses militaires ( 3,5% de PIB en 1990 contre moins de 2% aujourd’hui) ou les insuffisances criantes sur l’appareil judiciaire. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini et viennent s’ajouter aux énormes dépenses sociales qui ne sont, au moins partiellement, que la conséquence de l’effondrement progressif des structures productives du pays.

 L’essentiel de cet effondrement est, d’abord et surtout, celui des entreprises exposées à la concurrence internationale victimes d’un système de prix ne leur permettant plus de dégager des marges suffisantes pour investir. Elles aussi, en première ligne, furent et sont encore soumises à dévaluation interne. Ainsi le taux de marge ( Excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée brute)  ne cesse de baisser depuis 2000 et se trouve aujourd’hui près de 11 points inférieur au taux allemand (environ 3O% contre 41 pour les entreprises allemandes) . Et là encore la  dévaluation fut plus ou moins masquée par des dispositifs malsains -tel celui du CICE- qui ont davantage préservés des emplois plutôt que d’en créer ou de contribuer à la modernisation.

Bien évidemment, une relance par le biais de la crypto-monnaie pourrait gommer cet ensemble de dévaluations internes.

En commençant par le début, il serait possible de revitaliser les entreprises par un apport massif de capitaux propres  dont certains pourraient être dépourvus de droits de vote, et ce afin d’éviter l’accusation d’étatisation. Il s’agirait non seulement de réduire leur endettement (près de 2000 milliards d’euros) mais de permettre une rupture soit technologique, soit de marché et d’autoriser une productivité permettant d’effacer la grande barrière de l’euro et d’entrer dans une compétitivité plus saine. L’enjeu est énorme car il s’agit de réduire un déficit commercial de 3 points de PIB (70 milliards d’euros) venant aussi affaisser le multiplicateur.

Pour réussir, une telle mise à niveau doit s’effectuer de façon simultanée et il ne peut plus être question de dévaluation interne masquée qui, depuis trente-cinq ans, pénalise directement certains agents pour en sauver d’autres. Clairement, les forces armées, l’hôpital, la science, les services publics, etc. ne doivent plus payer le prix d’un sauvetage d’entreprises menacées par le mur de l’euro et ses nécessaires compléments en termes de libre circulation du capital. Clairement, il faut à la fois aborder la question d’une réindustrialisation et la reconstruction de tout ce qui a été perdu sur l’hôtel de l’euro…y compris la qualité du lien social.

Cela signifie que la relance par la crypto-monnaie est plus affaire de projet global, ce qui implique que le volume de monnaie émise soit suffisamment important pour aborder tous les sujets, et ce de manière rapide.

Techniquement cela est possible puisque les lourdeurs bureaucratiques seraient allégées du détournement obligatoire et hautement surveillé de la Commission. De la même façon il ne sera plus question des réformes structurelles imposées par les exigences de l’euro-système, mais simplement choisies par un peuple souverain. De quoi renouer avec une culture commune et donc un lien social de meilleure qualité.

De ce point de vue, on peut être partiellement rassuré en revenant sur l’examen des déficits entrainés par la nouvelle monnaie. Prenons l’exemple d’une dépense supplémentaire de 100.

 Logiquement, pour un multiplicateur d’une unité, le retour correspond aux prélèvements classiques des administrations publiques, soit environ 45 pour la France. La loi de Gresham dont nous supposons l’application mécanique transformera ce retour en 100 unités puisque les agents voudront se débarrasser de la totalité de la monnaie nouvelle réputée « mauvaise monnaie ». Cela signifie en recettes une perte de 55 en euros sur le budget officiel surveillé par Bruxelles. D’où une aggravation du déficit officiel de 55.

Si maintenant, la relance ne  se fait pas par la nouvelle monnaie mais en utilisant l’euro, nous constatons le même résultat : Depense supplémentaire de 100 en euros et recettes publiques de 45, d’où un déficit accru de 55.

Bien évidemment, l’exemple est simplifié et évacue les remarques antérieures. Toutefois, nous pouvons choisir des multiplicateurs de valeurs différentes, le résultat est le même : le déficit est le même quelle que soit la voie empruntée.

Faire le choix d’une crypto-monnaie pour assurer une authentique transformation du pays n’est sans doute pas sans risque. Il est toutefois bien meilleur que celui consistant à aggraver le processus de dévaluation interne, aggravation autorisée par une Commission européenne qui, par le biais des modalités concrètes de son propre plan de relance, en arrive à contrôler le détail des plans nationaux. Parce que le plan de relance français, sous couvert de modernisation de « verdisation » et de « digitalisation » devient directement intégré  au contrôle européen à des fins de dévaluations internes, il est urgent d’envisager d’autres voies. Celle de la crypto-monnaie nationale en est une.

 

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15 septembre 2020 2 15 /09 /septembre /2020 13:24

Quelques  idées complémentaires sont abordées dans ce papier :

  1. La forte montée de l’incertitude globale et mondiale engendrée par la pandémie détruit un capital social déjà fortement abimé. Les coûts de reconstruction de ce capital ne sont pas comptabilisés dans les plans de relance.
  2. L’oligopole asymétrique, et fortement coordonné des banques centrales autour de la FED, apparait faussement comme la solution présente à l’incertitude globale et mondiale.
  3.  Cet oligopole a pour actionnaires un duopole complexe fait de la finance mondialisée (actionnaire principal) et des organisations politico-administratives encore plus ou moins nationales (actionnaires secondaires ayant fait le choix de la servitude volontaire). L’oligopole asymétrique présente les caractéristiques d’un proto-Etat.
  4. Une façon de limiter la négativité de l’incertitude globale et la fausse solution d’un oligopole asymétrique se transformant en proto-Etat est le rétablissement de la souveraineté monétaire. Cette souveraineté peut profiter des technologies numériques et permet de remettre en pleine lumière ce qui fut historiquement la naissance du couple Etat/monnaie.

Le coût de la levée de l’incertitude et de la demande de protection

Les humains en tant que cellules formant un ensemble appelé « société » ont à régler les grands   problèmes de la vie : conservation, reproduction, régulation de l’ensemble. D’abord   conservation   qui oblige à absorber des éléments extérieurs (air, aliments) pour se maintenir en vie. Ensuite, reproduction qui, historiquement, a consisté à organiser la sexualité en vue d’une reproduction du monde. Enfin, régulation qui consiste en la mise à disposition d’un ensemble d’outils pour que la société fonctionne.

La résolution de ces grands défis a donné lieu à d’infinies variations de règles de fonctionnement d’où des cultures très diverses, voire des civilisations.

Ce phénomène de développement culturel répondant à des questions de vie est largement un fait         social émergent spontanément. De ce point de vue, Hayek a raison contre Descartes lorsqu’il affirme que si ce capital social (normes, visions, valeurs, morale, etc.) nous est largement utile dans notre interaction sociale quotidienne, nous n’en avons pas véritablement conscience. Clairement, notre action prend appui sur un capital socialement construit par les hommes mais très largement en dehors de leurs intentions.

Pour autant, ce capital est sécurisant puisque situé au-dessus de chacun d’eux, il est un langage commun sur le monde. Il permet d’anticiper assez largement les intentions des uns et des autres et fait que les sociétés humaines fonctionnent le plus souvent en dehors du risque de chaos. Ce capital forge des certitudes et de la confiance dans des actions concrètes jugées naturelles ou rationnelles et dont on attend un résultat avantageux.

On peut en déduire que la mise à disposition, toujours gratuite, de certitudes au profit d’un ensemble humain est fondamental. A contrario, l’apparition d’incertitudes provoque tout aussi naturellement un désordre qu’il faut éventuellement combler par des mesures réparatrices dont le coût est probablement proportionnel à la densité sociale, c’est-à-dire à la quantité des interactions sociales

C’est très exactement ce que nous rencontrons aujourd’hui avec la pandémie. Si un capital social plus ou moins dense permet de produire l’illusion sécurisante de contrôle du monde, la pandémie ouvre une période d’incertitudes difficiles à réduire en raison de l’extrême densité sociale qui caractérise le monde d’aujourd’hui. Inutile de rappeler ici toutes les mésaventures de l’interaction sociale que nous rencontrons.

Prenons simplement l’exemple de l’école et de la fermeture d’une classe pour risque sanitaire. L’extrême densité sociale fera que cela entrainera dans un certain nombre de cas, la mise au chômage partiel des parents et ce, avec des conséquences débouchant sur davantage d’incertitudes, pour les finances publiques, pour les charges des entreprises, pour leur fonctionnement concret avec toutes les conséquences pour la réalisation des contrats en cours ou marchés prévisibles, etc. Il n’y a pas que le virus qui est rhizomatique, et l’incertitude globale qu’il crée à partir d’une simple classe d’enfants d’âge scolaire concerne tous les aspects de la rencontre sociale et ce, à l’échelle de la société.

Nous ne parlerons pas ici des coûts de rétablissement du capital social. Ils sont probablement gigantesques à l’échelle de la planète. Signalons simplement qu’ils ne sont pas mesurables et ne peuvent pas être pris en considération dans les enveloppes des plans de relance de chaque pays. C’est dire aussi que ces enveloppes déjà non finançables sur les marchés classiques de la dette publique, devront probablement être corrigées à la hausse et ce, tant qu’un capital social suffisamment sécurisé ne sera pas rétabli. En attendant il semble qu’une sécurisation plus ou moins précaire apparaisse avec la montée en puissance d’un nouvel acteur dans le jeu social : le proto-Etat.

La fausse sécurisation par l’apparition de proto-Etats

L’élément, à première vue stable, qui produit encore un peu de certitudes dans un monde en déshérence, est sans doute le réseau des banques centrales dont on peut se demander s’il ne constitue pas les prémisses d’un ou de plusieurs proto-Etats.

De ce point de vue, il est clair que les banques centrales ont quitté leur métier de base consistant à valider le statut de simples infrastructures de marché, lesquelles autorisent le fonctionnement quotidien des banques et se trouvent faites logiquement de créances et de dettes à très court terme (prises en pension). Aujourd’hui, près de 80% du bilan de la BCE est constitué de prêts à moyen et long terme auprès du système bancaire (18%) et de prêts aux Etats (59%). Les montants correspondants sont colossaux : 1300 milliards pour 700 banques en juillet 2020, et un cumul au 19 juin 2020 de 3326 milliards d’euros pour les Etats. Dans le même temps est proposé un programme d’achat d’obligations d’entreprises, dont le contenu qualitatif serait finement précisé : éligibilité à la collatéralisation, à la cause climatique, etc. le tout assorti de protocoles de reporting tout aussi précis. Clairement, nous nous acheminons vers un dispositif d’aide au profit de la plupart des acteurs, les banques elles-mêmes avec un taux négatif permettant de remédier à leur rentabilité insuffisante, les Etats qui voient leurs engagements considérablement augmentés et sont tétanisés par la réapparition de spreads de taux, les entreprises qui, par le biais des 2 premiers acteurs, se maintiennent à flot par perfusion financière (20 points de valeur ajoutée pour les seules entreprises françaises). Comment ne pas découvrir une nouvelle réalité au-delà du voile déchiré de l’indépendance de la Banque centrale ? Comment ne pas voir qu’elle devient un proto-Etat chargé de la régulation d’un ensemble devenu chaotique ? Comment ne pas voir que de fait, elle a désormais pour acteurs un duopole composé de la finance et d’organisations politico-admiratives multiples (les Etats) ayant choisi la servitude volontaire pour se sauver elles-mêmes en sauvant les acteurs dont ils ont la charge (entreprises chargées de l’emploi du « demos ») ?

La FED est dans une situation analogue. Son bilan s’est accru de 3000 milliards de dollars pour soutenir un Trésor chargé d’un budget s’acheminant vers un déficit de 18,7 points de PIB en 2020. Simultanément, la FED s’est portée acheteuse sur le marché des ETF, marché qui représente les fonds indiciels et donc l’ensemble du paysage financier. Cette disposition ajoute à la grande porosité entre les deux marchés, celui des actions et celui des obligations, porosité déjà lisible avec les obligations convertibles et les obligations hybrides qui permettent à bon compte une augmentation des fonds propres.

 Tout aussi simultanément, la FED organise à des fins de protection à l’échelle planétaire la gestion de la dette des pays émergents. Pour se faire elle propose des swaps de devises entre banques centrales afin d’assurer une liquidité qui, en cas de disparition, pourrait avoir des conséquences à l’échelle du monde. Signalons enfin qu’une réflexion plus ou moins avancée concerne le projet de création d’une crypto-monnaie FED, dont l’usage serait proche de ce que l’on appelait « l’hélicoptère-monnaie ». Là encore comment ne pas voir l’apparition d’un couple finance/Etat, dont, il est vrai, la complexité en termes de rapports de forces est extrême (12 Banques centrales privées avec dominante de la Banque centrale de New York, elle-même dominée par 2 banques, Citigroup et JP Morgan ; articulation à un « Federal Open Market Comitee » (FOMC) présidé par le gouverneur de la Banque centrale de NY mais avec très fort poids du Trésor américain…..etc. ).

Plus globalement, la monnaie américaine étant encore la véritable monnaie de réserve, on comprend qu’il existe une certaine solidarité entre toutes les banques centrales occidentales avec, de fait, l’apparition d’un oligopole asymétrique avec dominance de la FED et des actionnaires, parmi lesquels les personnels politico-administratifs des Etats sont de fait en situation de servitude volontaire. Cette centralisation planétaire semble encore l’instrument le plus à même d’assurer la sécurisation évoquée plus haut.

 Le monde est devenu complètement instable, complètement imprévisible, et seul un proto-Etat composite ou multiple est encore capable de créer un minimum de sécurité. On en connait pourtant les inconvénients majeurs avec la croissance inéluctable des inégalités de patrimoine et de revenus correspondants, notamment des revenus insuffisants pour l’accès au logement de ceux qui ne sont pas rentiers. Question très débattue que nous n’aborderons pas tant elle est connue. L’avenir de ce faux pôle de stabilité reste évidemment un mystère. On peut certes penser à davantage de sélectivité dans la partie bancaire de la finance et ce, afin de restaurer des marges (une partie des actionnaires du proto-Etat ou des proto-Etats se révolte), mais les actionnaires principaux -conscients du risque accru de déflation et d’explosion sociale- ont les moyens d’éteindre l’incendie possible en subventionnant les banques avec des taux négatifs. Restaurer des marges avec de la déflation ou inonder les banques avec les subventions du ou des proto-Etats, bien malin qui pourra dire quelle solution, toujours précaire, émergera.

Le rétablissement d’une souveraineté monétaire par des Etats mettant fin à leur propre servitude ?

Au final c’est l’abandon soit d’une authentique souveraineté monétaire (Europe) ou son partage avec la finance (USA) qui questionne le retour à un monde plus stable. Or de ce point de vue nous avons déjà signalé les projets de crypto-monnaies souveraines par des proto-Etats Ces dernières, à supposer qu’elles puissent émerger,  peuvent-elles échapper à l’emprise de la finance ?

Dans la partie occidentale de notre monde nous avons, en dehors du projet américain encore très vague, des plans de création de monnaie centrale mais sans les caractéristiques de ce qu’était l’Etat souverain et démocratique, tel qu’il se manifestait encore avant l’ère de la prétendue indépendance des banques centrales. Curieusement, cette innovation semble être une copie moderne de ce qui fut la création historique des premiers Etats, lesquels se sont appuyés sur un objet de pouvoir qui allait devenir monnaie. Ce point mérite une explication.

Revenons quelques instants sur le capital social (normes, valeurs, visions, morale, etc). Produit par tous et n’appartenant à personne, il est, dans les sociétés premières, l’objet de questionnement dont la réponse est universelle : notre réalité est le fait des dieux, ce qui veut dire que la vie est un don de l’au-delà auquel il faut répondre par un contre-don. Fondamentalement, les humains sont des endettés. Ce que Pierre Clastres va appeler coup d’Etat fondant les premiers Etats est un processus historique, au terme duquel des individus vont prendre une partie de la place des dieux et devenir des créanciers vis-à-vis d’un « demos » désormais endetté. De ce point de vue on peut penser que la naissance des Etats est un premier exemple de privatisation et, ce qu’on appelle le personnel politico administratif, est le bénéficiaire de cette dernière : les anciens sacrifices envers les dieux deviennent des dettes envers des hommes (despotes, empereurs, princes, etc.), des dettes appelées plus tard impôts. Ces processus de privatisation de ce qui était commun s’est historiquement développé en de nombreux endroits, d’où une concurrence entre les gagnants de la privatisation.

Spontanément la dette doit aussi être réserve de valeur liquide d’où l’apparition des premiers circuits du Trésor : Contrôle d’une mine de métal précieux par le nouveau pouvoir étatique, transformation du métal en monnaie, circulation de la monnaie à l’intérieur de l’espace social soumis au phénomène étatique, retour au moins partiel vers l’Etat sous la forme de l’impôt.

En exigeant de la Banque centrale de Chine la création d’un devise numérique (« Central Bank Digital Currency » ou CBDC), le pouvoir chinois renoue spectaculairement avec l’antique modèle du couple Etat/monnaie. Chacun sait que l’indépendance des banques centrales est pure plaisanterie. Il en va évidemment de même pour la Banque centrale de Chine, laquelle pourra désormais être comparée aux vieux hôtels des monnaies de notre moyen-âge. Derrière cette construction nous retrouvons la question historique de la fusion entre Trésor et Banque centrale, lesquels ne font plus qu’un. Et déjà des journalistes évoquent, sans s’en rendre compte, le rétablissement du circuit du Trésor : la Banque centrale chinoise  commence à payer en cryptomonnaie des fonctionnaires qui peuvent ainsi payer leur cotisation au parti communiste Chinois….

Du point de vue du pouvoir, il s’agit de lutter contre les crypto-monnaies privées qui, en Chine, sont très répandues et sont considérées comme une menace : spéculation dans le champ de la finance de l’ombre (Shadow Banking) et surtout fuite des capitaux. Il s’agir de retrouver la centralité monétaire.

Y a-t-il risque d’une fuite devant la crypto- monnaie centrale et au final un destin tel celui des assignats des années 1790 en France ? La réponse parait négative car au-delà de la souveraineté classique, il y a en Chine une réalité identitaire : la souveraineté chinoise est aussi un nationalisme clairement affirmé. Et nationalisme qui se manifeste aussi dans les entreprises dont nombre d’entre-elles connaissent au passif de leur bilan une participation publique. De plus, sans connaitre davantage la réalité de la nouvelle monnaie, rien n’empêche de lui donner cours légal et cours obligatoire. En sorte que le destin de la monnaie numérique chinoise nous apparait être plutôt celui des effets « MEFO » de l’Allemagne nazie que celui des assignats dans une période où le capital social du royaume s’est largement effondré.

Au-delà des intérêts politiques dominants en France, rien n’interdit aujourd’hui le personnel politico-administratif français de créer une crypto-monnaie de nature identique. Bien évidemment, il ne peut utiliser la Banque de France prisonnière de l’euro-système. Par contre, il peut directement utiliser le Trésor. De ce point de vue la vitesse avec laquelle Bercy et ses satellites sociaux ont pu exécuter, lors du confinement, les décisions du pouvoir en matière d’aides aux ménages et aux entreprises, montre qu’il suffisait d’un simple changement de désignation de la monnaie pour échapper aux contraintes de l’euro.

 De quoi créer une monnaie locale à vocation nationale et ainsi restaurer les marges de manœuvre d’un Etat enfin rétabli dans la puissance conférée par la souveraineté. Une puissance évidemment contrôlée dans un cadre démocratique.

 S’agira-t-il de la prochaine étape dans la gestion de la crise ?

 

 

 

 

 

 

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23 avril 2020 4 23 /04 /avril /2020 08:57

L’énorme crise économique à venir n’est plus gérable avec les règles de la mondialisation et plus encore, avec celles  de la communauté européenne.

Les différents instituts statistiques qu’il soient internationaux ou nationaux, privés ou publics s’orientent tous sur des scénarios de retour vers les chemins antérieurs de croissance. Les nuances se  font autour des formes de ce retour : « rattrapage », « récupération rapide », « longue traine » , « grande dépression ». Le vocabulaire utilisé en dit long sur la difficulté de penser le monde autrement.

S’agissant de la France une relance classique est aujourd’hui impensable pour toute une série de raisons.

La première obéit à un principe de réalité élémentaire : l’énormité des déficits publics dépasse de très loin les possibilités d’une gestion raisonnable de la dette. L’agence France Trésor chargée de commercialiser la dette devra cette année, au moins doubler ses efforts de commercialisation de nos OAT et autres titres publics (Passage de moins de 200 milliards d’euros à probablement près de 400 milliards d’euros). Cela signifie aussi qu’environ 70% des dépenses de l’Etat central correspondront à du crédit…à la consommation pour l’essentiel… Même avec une charge de la dette nulle (taux de l’intérêt proche de zéro) son simple roulement sera impraticable.

La seconde est d’abord une logique de méfiance qui, déjà fort présente au regard des politiques publiques menées depuis plusieurs décennies, va considérablement s’aggraver au regard d’une crise sanitaire difficile. Cette logique a pour premier effet de développer l’épargne au détriment de la consommation et de l’investissement. Déjà vérifiée dans les pays au déconfinement avancé (Chine) elle ne peut que s’amplifier au regard des grandes inconnues de la crise : seconde vague ? quelle immunité ? quels décalages chronologiques dans les rythmes de la crise entre les zones géographiques ? Face à une offre globale difficile à rétablir va correspondre une demande durablement faible.

La troisième est, probablement, un début de prise de conscience que la dérégulation généralisée et que l’hypothèse d’un individu entrepreneur de lui-même, totalement délié au sein d’une société complètement liquide, est une erreur scientifique : les humains restent dans la nature, qu’ils façonnent  en y développant aussi des externalités… qui peuvent l’anéantir et ainsi détruire tous les calculs microéconomiques savamment menés. C’est ce que nous enseigne la crise sanitaire.  Nous retrouvons là le défi de la complexité chère à Edgar Morin, défi hélas complètement oublié dans les modèles économiques classiques enseignés dans les Universités.

Ces trois arguments se combinent pour toucher davantage la France que les autres pays. La dérégulation généralisée avec la fin du monopole monétaire, la sanctuarisation des 4 libertés, l’interdit de toute politique publique sérieuse, etc. était beaucoup plus choquante pour les français que pour les citoyens des autres pays. La raison est d’ordre culturel ou historique et le pays s’est très largement construit, beaucoup plus qu’ailleurs, autour de son Etat. C’est précisément parce que la culture française accorde une importance considérable à son Etat, que la rétraction industrielle du pays, la désertification des campagnes, la dérégulation financière,  la fuite des grands ingénieurs techniques vers la finance, la  transformation des entreprises en productrices de simples valeurs comptables, la confusion de l’investissement et de la spéculation, la transformation des cadres en agents taylorisés d’un reporting, devenu bible de bonne gestion,  la transformation des grandes écoles d’ingénieurs et des universités en écoles de commerce, etc. est, au final, très mal vécue.  Bien évidemment se trouve également, très mal vécu le délabrement progressif d’un hôpital public soumis aux réformes structurelles étonnamment bureaucratiques, et pourtant imposées par la dérégulation généralisée.

Cette place singulière de l’Etat en France mérite davantage d’explication. La clé de celle- ci se trouve probablement dans une identité culturelle pluriséculaire qui marque l’histoire du pays et en font sa singularité. Sans reprendre les travaux d’un Philippe d’Iribarne, on peut la dessiner par quelques traits : position honorable pour tous, passion de la grandeur, participation égale à la noblesse, passion de l’égalité exacerbée par une vision hiérarchique du monde, place non centrale de la propriété, méfiance vis-à-vis du marché.

Chacune de ces caractéristiques qui fixe la réalité culturelle française et la singularise par rapport à toutes les autres, peut être mobilisée pour comprendre des réalités concrètes. En particulier, elle permet de comprendre les difficultés humaines de l’entreprise française noyée dans les exigences de la finance : un contrat de travail n’est pas un contrat banal en France ; les inégalités salariales sont plus mal vécues, tous les métiers sont d’égale noblesse, et on préfère la logique des concours à celle des DRH recruteurs ; la haute fonction publique relève d’une noblesse d’Etat ;  le libre marché provoque des inégalités ; la rente est illégitime ; l’entreprise n’est pas un espace démocratique, etc.

Ces caractéristiques culturelles pluriséculaires furent historiquement protégées par un grand Etat devenu aussi au siècle dernier un Etat protecteur. Lorsque le capitalisme se trouve dans sa phase fordienne (gains de productivités considérables aisément partageables dans le cadre de l’Etat-Nation), il est clair que la France est un pays qui rayonne plus que d’autres : croissance au-dessus de la moyenne avec rayonnement de son socle culturel partout dans le monde. D’où la France des grands projets, celle capable en quelques années d’assurer une indépendance énergétique à nulle autre pareille, celle capable de construire un outil militaire, certes petit, mais sans égal dans le monde,  celle d’un rayonnement scientifique exceptionnel (Mathématiciens monopolisant la médaille Field, physiciens, astrophysiciens) ; celle d’un rayonnement technologique faisant jeu égal avec la première puissance du monde, celle d’un rayonnement culturel, philosophique et artistique, mondialement exportable (« French theory », écrivains, etc.). Une liste exhaustive serait difficile à établir.

Lorsque maintenant, il est décidé de passer de l’internationalisation à la mondialisation, passage qui est aussi celui du passage du capitalisme accumulatif au capitalisme spéculatif, et lorsqu’il est décidé de construire une Europe qui n’est qu’un édifice marchand, la France se tourne vers des choix impossibles en ce qu’ils ne correspondent pas à sa réalité culturelle et historique. Ce qui n’est pas le cas de nombres de partenaires pour qui le marché fait partie d’une liberté retrouvée ou à conquérir.

Dés lors, la réalité française va devenir schizophrène : ses élites vont se confondre de plus en plus avec celles du marché, et il faudra trouver des compensations pour la majorité qui refuse, avec détermination, la grande transformation.

L’élite découvre dans cette dernière, une réalité confortable : on continue d’aduler l’Etat tout en étant plongé dans les délices du marché, d’où par exemple le grand principe des « portes tournantes » à Bercy. D’où toute l’histoire bien connue du changement de statut, avec des grands commis qui deviennent dirigeants d’entreprises que l’on privatise, des dirigeants qui, petit à petit, auront pour interlocuteurs non plus des salariés, non plus des actionnaires bien légitimes, mais des fonds spéculatifs qui s’intéressent beaucoup moins à l’investissement -la réalité de l’entreprise- et bien davantage à la simple « valeur actionnariale »…parfois obtenue par des procédés douteux comme le rachat massif d’actions. Une réalité qui, étrangement, va générer une énorme bureaucratie chargée de surveiller l’efficience des grandes entreprises et de toutes leurs filiales, non celle assurant une réelle accumulation du capital avec croissance véritable et emplois réels mais - comme le dit, avec humour, un Jean-Luc Gréau, ou plus de tristesse, un Pierre-Yves Gomez - une « accumulation comptable ». D’où la multiplication d’experts à l’interne, en systèmes de paramétrages, en prescripteurs d’objectifs, en contrôle des activités, en calculs des écarts, en systèmes d’alertes, etc. D’où aussi à l’externe des consultants, des évaluateurs, des comptables, des juristes, des marchands de sécurité .financière, des notateurs, des organisateurs, des communicants, des lobbystes, des marchands de bonnes pratiques ou d’efficience managériale, des virtuoses en optimisation fiscale, en « Tarification à l’Activité » (Hôpitaux) ou en « Taux d’Occupation » (EHPAD), etc. La liste composant cette boursoufflure tant du « back office microéconomique » que du « back office macroéconomique » serait impossible à établir.

 Et chacun, constatant la probable démesure de cette liste, pose la question de l’évaporation des  producteurs réels. C’est pourtant dans cette boursoufflure qu’une bonne partie de la jeunesse diplômée  trouve son emploi, une jeunesse ainsi amenée à croire qu’il s’agit là d’un monde rationnel. Un monde qui, en quête permanente d’efficience, débouche sur son envers : une chute vertigineuse de sa croissance potentielle et ce depuis les oukases mondialistes et surtout européistes. Et, sans oublier la question majeure de l’environnement, Le monde fonctionne à rendements décroissants et ne peut plus satisfaire le système de valeurs qui fait la spécificité de la France.

Cette énorme bureaucratie copie singulièrement celle de l’Etat protecteur traditionnel qui, pour continuer jusqu’à l’impossible sa protection, s’enlise lui -même dans sa propre bureaucratie,  une bureaucratie qu’il importe maladroitement - gestion hospitalière par exemple-  depuis le secteur privé jugé rationnel. D’où au final une  quasi-généralisation des « Bullshit jobs » privés et publics tant décrits par David Graeber ;  jobs  qui parfois ressemblent à ceux  des acteurs du vieux monde soviétique empêtré dans les sables du « Gosplan ».

Le prix à payer est énorme car la vieille culture est toujours présente chez les plus nombreux et l’Etat se doit-être d’autant plus protecteur que, dans sa schizophrénie, il abandonne tous ses leviers et perd les ressources traditionnelles de son action. Curieusement, il ne peut que grossir avec une croissance dont le rythme ne peut que diminuer avec la chute de l’investissement productif national : ses moyens diminuent mais il faut compenser les désastres sociaux impulsés par la grande transformation. On comprend alors la litanie des 40 années de déficit public, des dépense publiques énormes , essentiellement sociales qui ne peuvent que croitre, sauf à abandonner les valeurs traditionnelles du pays.

La France n’est pas malade parce que, par rapport à l’Allemagne, ses dépenses publiques sont de 10 points de PIB supérieurs. la France est d’abord malade de sa schizophrénie : être dans la mondialisation tout en la refusant  foncièrement . Etre dedans tout en le refusant c’est bien sûr un double déficit, celui de la compétitivité, prix d’une protection coûteuse qui est, elle-même, le prix d’un abandon de l’internationalisation au profit d’une   mondialisation devenue dangereuse et faussement productive car assise sur un capitalisme spéculatif et non plus accumulatif. La conséquence ultime de cette schizophrénie est bien évidemment un délitement social de plus en plus dangereux. Inutile d’insister sur l’évidence des faits.

Cette constatation doit-être le point de départ de toute réflexion stratégique concernant le pays. Il ne peut, vu l’énorme puissance de la crise, y avoir de relance ni pour la France ni probablement  pour nombre d’autres  pays. Il ne peut plus y avoir de réformes structurelles qui s’attaquent stupidement aux valeurs fondamentales du pays… D’où l’abandon probablement intégral des réformes entreprises si l’actuel pouvoir se pense concerné par le souci de sa reconduction…

Il ne faut pas se tromper et la réflexion stratégique à mener doit d’abord concerner toutes les règles antérieures et en particulier celles de l’Union Européenne. S’il s’avère politiquement impossible de revenir sur la question de la monnaie unique, celle du marché unique, la question du  libre -échange, etc. Il faut impérativement réfléchir sur la question de leur contournement radical : rétablissement de barrières douanières ? émission d’une monnaie parallèle par une banque de France soumise ? restrictions sur les mouvements de capitaux ? Il n’y a plus à faire semblant de négocier avec des acteurs qui ne respectent pas fondamentalement les valeurs essentielles du pays. Et il n’y a plus à faire semblant de se réjouir sur les résultats des dernières négociations bruxelloises qui ne peuvent que prolonger l’agonie.

Tout aussi importante est celle du « containment » de la finance. L’entreprise doit retrouver un minimum de souveraineté avec la fin de sa soumission quasi-complète aux seuls intérêts d’acteurs qui se livrent à un quasi-détournement des droits de propriété. Actionnaires réels et collaborateurs réels doivent retrouver leur légitime place dans l’entreprise. C’est la condition fondamentale de sa résurrection, de son autonomie et du rétablissement du sens dans le travail de ses cadres. Cela passe par un bouleversement radical de la finance et une reprise en main sérieuse, et du système bancaire, et du « shadow banking » qui lui est associé. Sans pouvoir dessiner ce que serait le nouveau système, il est clair que l’activité financière doit se détourner complètement de ce qui est devenu un gigantesque casino où s’élaborent des paris sur fluctuations de prix, pour en revenir à sa fonction première : prendre des risques en finançant des investissements productifs. La refonte financière est probablement la mère de toutes les réformes mettant fin à la schizophrénie du pays.

Parce que nul ne peut s’attaquer à un système de valeurs et donc à une culture, mettre fin à la schizophrénie de la France suppose la mise en place de règles fondamentalement éthiques : celles qui respectent les méta-règles de son jeu social.

Mettre fin à la schizophrénie, c’est aussi faire le choix de l’entre- deux : ni fermeture d’un Etat-Nation à l’ancienne, ni ouverture sans dures négociations. Ni fermeture en raison de l’universalisme de ce qui se dégage des vieilles valeurs du pays et qui en font sa grandeur. Ni ouverture sans récupération de tout ce qui participe à sa complète résilience : santé, éducation, énergie, environnement, agriculture, sûreté nationale, outils numériques, sont des « communs » qui, tout ou partie, peuvent échapper à une logique strictement marchande et doivent être repositionnés sur le territoire. De ce point de vue, les réussites des industries de l’armement peuvent aider à la réflexion.

 

 

 

 

 

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10 janvier 2020 5 10 /01 /janvier /2020 16:40

Tel que présenté dans le projet de loi, beaucoup en conflueront que la bureaucratie va accoucher d’une nouvelle usine à gaz. Un nouvel établissement public va naitre, établissement pantin d’un marionnettiste appelé Etat, lequel va fixer les paramètres du nouveau système de retraite. De quoi dépolitiser une fois pour toutes l’un des cadres fondamentaux de nos sociétés.  

Il y a dépolitisation puisque la règle sera vécue comme une extériorité radicale, une raison supérieure sur laquelle personne ne peut avoir de prise. Cette raison radicale est aussi la fin d’un système de solidarité : chacun étant entrepreneur de lui-même pourra, par le biais d’une analyse coût/ avantage complétement individualisée, acquérir une quantité jugée « optimale » de points.

Mais ce n’est pas parce que l’on aura dépolitisé l’un des cadres de la vie, qu’on aura réussi à transformer la retraite en marchandise. La suite de l’aventure sera bien évidemment l’exigence de transformation de cet objet administré qu’est le point de retraite en objet échangeable sur un marché. Impossible dira- t-on puisque la loi l’interdira.

Pour autant cette loi risque vite d’apparaitre comme une insupportable répression des gains potentiels à l’échange  entre acteurs dont certains désirent  davantage de points de retraites, et dont d’autres y voient un actif mobilisable au profit d’ actifs de nature différente. Par exemple, diront les économistes, le calcul coûts/avantages chez les moins de trente ans et chez les plus de 60 ans, fera que ces derniers seront éventuellement acheteurs de points de retraite, tandis que les premiers seront souvent vendeurs. La position des uns et des autres dans le temps de la vie, fait qu’un échange mutuellement avantageux existe potentiellement. Ainsi un jeune pourra trouver intéressant de vendre ses points pour rendre plus aisé l’acquisition d’un logement, tandis qu’un sexagénaire ayant épargné compléterait volontiers sa retraite par acquisition de points supplémentaires.

Il n’y a aucune raison de considérer que la grande vague de financiarisation des activités humaines s’arrêtera à la question des retraites. Bien sûr, existe déjà la retraite classique par capitalisation. Mais cette dernière repose sur des actifs financiers dont on sait qu’ils sont soumis à des crises régulières, des crises qui restent dans la mémoire des retraités, notamment anglo-saxons, qui en furent victimes voici une bonne dizaine d’années.

L’avantage du point bureaucratique de retraite est que sa valeur est administrativement fixée. Il n’y a pas risque de tromperie sur la marchandise comme cela est si souvent le cas sur les marchés financiers qui doivent se protéger pas de couteuses dépenses de couverture. En clair le point de retraite est potentiellement l’un de ces actifs sans risques tant recherchés par la finance.

La liquéfaction croissante de notre société passe donc par un marché du point de retraite, marché dont la naissance sera probablement exigée par tous les « modernisateurs » de la société, et marché que l’on ne peut concevoir à l’échelle de l’artisanat.

Il semble évident que les grandes institutions financières vont plutôt bouder les dangereux marchés de la retraite par capitalisation, pour exiger la naissance d’un confortable marché des points bureaucratiques. En cela elles s’annonceront porteuses de services « d’intérêt  général »: assurer la liquidité du marché. Les jeunes pourront facilement vendre leur portefeuille naissant et les vieux facilement ajouter au confort de leur retraite. A partir de là, toute une nouvelle pyramide financière pourra naitre et demain nous verrons peut-être les points bureaucratiques dans les « appels de marge », dans les « fonds propres », dans les « produits structurés », etc.

Bien évidemment, si un tel marché devait advenir le prix du point de retraite pourra s’éloigner de la valeur administrativement fixée, un peu comme du temps de l’étalon- or où chaque monnaie pouvait connaitre un cours légèrement différent de celui défini par le poids en métal précieux. C’est dire que sur une valeur solide,( merci la bureaucratie), les traders à venir, pourront parier sur les fluctuations de prix et s’octroyer de généreux bonus au nom d’un intérêt général bien compris.

Black rock a mieux à faire que de  s’attaquer à des « bouts de retraite par capitalisation ». S’il veut faire du lobbying intelligent, il doit attendre la fin des grèves,  attendre la fin de la résistance populaire, et proposer, à terme, un gigantesque marché des points de retraite. Mais peut-être y -a- t-il pensé avant nous.

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6 janvier 2020 1 06 /01 /janvier /2020 13:49

Nous proposons, dans le très bref texte qui suit, l’examen des fondements de ce qui pourrait justifier une refonte en profondeur de l’organisation du système des retraites.

Il convient tout d’abord de considérer que ce qu’on appelle retraite, est une partie du « coût de la vie humaine », partie que l’on peut désigner par « coûts d’entretien de la vieillesse ». Ces coûts sont en quelque sorte la fin d’une longue série : « coûts de la production et de la formation » ( il faut élever les enfants et les former) ; « coûts du travail consommé » ( l’employeur doit aujourd’hui rémunérer les salariés dont il consomme le travail et les compétences qui s’y rattachent) ; « coûts intermédiaires » ( la vie est aussi parcourue par la maladie, voire de l’inadaptabilité au travail, laquelle correspond en particulier au chômage possible).

En très longue période, on peut constater que l’humanité a toujours recherché à retarder la « sortie de la vie » en construisant des outils propres à la sécuriser et à la prolonger. Globalement, l’augmentation considérable de l’espérance de vie est un fait récent à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Elle est liée à l’augmentation considérable des « coûts de la production et de la formation » (on entre beaucoup plus tard sur le marché du travail). Elle est aussi liée à une augmentation « du coût d’entretien de la vieillesse ».

Dans le monde d'aujourd'hui, le coût complet de la vie (production, formation, travail consommé, coûts intermédiaires, coût d’entretien de la vieillesse) est globalement assuré par une Institution appelée « Entreprise ». Cette dernière distribue chaque mois des « bons » appelés « salaire », et « bons » qui prennent en charge les « coûts du travail consommé ». Au-delà,  les modernes fiches de paye, révèlent que l’institution « Entreprise » verse des « bons indirects » appelés charges sociales, lesquelles feront face à nombre d’ autres coûts de la vie ( allocations familiales, logement, chômage, maladie, vieillesse, etc.). c’est dire que l’institution « Entreprise » est au centre d’un réseau qui permet de solidariser le coût complet de la vie humaine. Au sommet de ce dernier se trouve l’Etat, acteur plus ou moins interventionniste dans un système social producteur de la dite solidarité. Empiriquement, on a pris l’habitude de distinguer un modèle social « bismarkien » d’un modèle « beveridgien », la réalité concrète étant souvent un mixe de ces deux modèles. Tout aussi empiriquement, on sait aussi que le coût complet de la vie n’a pas toujours été assuré par l’institution « Entreprise » et qu’il fut historiquement assuré par une cellule domestique plus ou moins élargie.

On oublie souvent que la prolongation de la vie est assortie d’un coût croissant : produire plus de temps de vie est assorti d’un coût croissant en charges indirectes : il faut beaucoup de formation, d’intelligence, de capitaux, pour améliorer l’espérance de vie par le biais d’un système de santé. C’est dire que le coût global de la vie, qui est aussi dans notre monde le coût global du travail, ne peut qu’augmenter. Lorsque l’on commence en France, à s’intéresser au risque de la vieillesse dans les années 30, on imagine déjà une augmentation du coût global du travail. Toutefois, le chemin est encore long car les salariés meurent peu de temps après la fin du travail. Il en résulte assez mécaniquement que même faibles les cotisations dépassent de loin les versements, et que naturellement le système des retraites devient un système excédentaire, pour lequel il faudra trouver des instruments de placement …..nous en sommes loin aujourd’hui

Et si, présentement, on dépense plus en soins pour prolonger la vie (12 points de PIB aujourd’hui contre moins de 1 point au début du siècle passé), le coût global du travail augmente par deux canaux : les dépenses croissantes de santé d’une part et celles tout aussi croissantes de retraites. Ces dernières ont en effet augmenté dans les mêmes proportions et vont passer de moins de 2 points de PIB au début du siècle précédent à 14 points aujourd’hui.

Quand on vit dans la période des 30 glorieuses, un système bismarkien est presque idéal. Il est un moment de social-démocratie où les partenaires sociaux, appuyés par un Etat bienveillant et bien nourri par un fort rendement de l’impôt, se partagent les gigantesques gains de productivité de l’époque ( 3 à 4% contre moins de 1% aujourd’hui). La hausse permanente du coût global du travail de l’époque est payée par les gains de productivité lesquels pourront aussi payer des hausses de profit justifiant des investissements eux-mêmes exigés par la hausse des dépenses salariales…Nous sommes dans un cercle vertueux.

Tel n’est plus le cas dans une économie mondialisée, où le coût global du travail perd sa contrepartie « débouché » pour n’être qu’un seul « coût » à comparer avec celui existant dans les pays émergents : Le coût global du travail ne peut plus augmenter. Si, au-delà, une monnaie unique fait disparaître l’outil "taux de change", et qu’en outre le taux initialement choisi est trop élevé, alors le coût global du travail doit impérativement baisser. Un malheur n’arrivant jamais seul, les dépenses croissantes de santé n’ assurent que peu de naissances supplémentaires mais sont la cause directe de beaucoup moins de décès. D’où la question démographique avec 0,74 retraité par actif aujourd’hui contre 0,24 en 1959.

Les entrepreneurs politiques qui ont mis en place, voici une quarantaine d’années, l’enveloppe règlementaire de la mondialisation, se doivent d’être cohérents et ne peuvent plus conforter un modèle bismarkien, ou social-démocrate qui, par ailleurs n’intéressent plus que les syndicats de salariés. C’est qu’en effet le basculement vers la mondialisation en provoque un autre : les entreprises ont davantage intérêt à négocier directement avec l’Etat et moins avec des syndicats restés enkystés sur un territoire jugé trop étroit.

La cohérence vise par conséquent à transformer le modèle bismarkien en modèle beveridgien. De ce point de vue, le projet gouvernemental - s’il ne dérape pas - est en parfaite adéquation avec les exigences de la monnaie unique. Il en est même une prothèse indispensable. On ne sait pas encore précisément comment fonctionnera la Caisse Nationale de Retraite Universelle, mais on sait déjà qu’elle sera, de fait, une agence centrale d’Etat dépourvue, à l’inverse des Autorités Administratives Indépendantes, d’une réelle autonomie. Les caisses existantes seront fermées et il sera ainsi mis fin au subventionnement de leurs déficits éventuels par le Trésor. C’est là un premier canal de diminution du coût global du travail.

La gouvernance de ce qui serait la « CNRU » sera paritaire mais des représentants de l’Etat y figureront comme employeurs, ce qui développe des conséquences essentielles.

En effet, les partenaires seront peut-être censés fixer chaque année la valeur du point, l’âge d’équilibre, le taux de cotisation, l’indexation des pensions, etc. Mais il ne s’agit que d’une illusion puisque la Caisse étant universelle, de telles prérogatives toucheraient immanquablement la loi budgétaire dont l’artisan est Constitutionnellement le seul Parlement. Parce que les pensionnés de l’Etat sont couverts par la loi budgétaire, des acteurs étrangers au parlement ne peuvent décider d’un des chapitres du budget de la Nation. Clairement le projet de loi concernant la réforme des retraites devra obligatoirement prévoir la valeur simplement consultative des propositions des partenaires sociaux. Derrière l’apparente bienveillance du terme « universel » se cache une formidable reprise du pouvoir sur une partie essentielle du coût global du travail.

Nous serons donc bien dans un système où l’Etat reprendra l’essentiel des commandes et pourra lui-même procéder souverainement à la diminution du coût global du travail , ici, par la diminution sensible des pensions. Les instances de concertation seront le décor, mais le vrai partenariat sera celui entre les entrepreneurs politiques et les entrepreneurs économiques plongés dans le grand bain de la mondialisation.

Reste évidemment la question de la résistance syndicale vis-à-vis d’un basculement dont ils ne comprennent pas le principe, ni à fortiori le lien direct avec la question de l’euro. Il est très clair que, bizarrement, la négociation actuelle porte sur le prix de vente de la réforme. L’exemple des discussions ministérielles avec les enseignants est ici très symbolique. Dans notre langage, ce prix consisterait à relever de façon assez spectaculaire ce que nous avons appelé les « coûts du travail consommé ». Travail de gribouille pour les entrepreneurs politiques au pouvoir envers lesquels l’institution « Entreprise » exige une véritable diminution du coût global du travail, et non  du bricolage. La fin des corps intermédiaires au profit du partenariat entrepreneurs politiques/entrepreneurs économiques ne sera pas de tout repos.

Le premier tour de l’élection présidentielle de 2022 se jouera sur l’aptitude réelle du pouvoir à concrétiser l’exigence de baisse non dissimulée du coût global du travail. Les lecteurs de ce blog savent qu'il existe d'autres solutions que celles qui réaniment la Haine entre classes sociales. Celle du  rétablissement de l'Etat-Nation en est une....encore, il est vrai, peu déchiffrable sur les marchés politiques.

 

 

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