Dans le monde des apparences le gouvernement est tombé à la suite de très graves difficultés financières du pays. Pour autant derrière le déficit se cache des réalités plus crues que l’on cache ou que l’on refuse de reconnaitre. La suite du présent texte tente rapidement de comprendre la réalité française.
Pour bien comprendre, Imaginons un pays où tout est trop cher par rapport au reste du monde : matières premières, coût du capital, coût du travail, etc. Logiquement ce pays – s’il reste totalement ouvert - doit connaître une attrition : diminution des exportations, augmentation des importations, faiblesse d’une production nationale concurrencée par les économies étrangères. Manifestement, cette situation caractérise le cas français : la production nationale est trop coûteuse pour exporter et les productions étrangères plus compétitives favorisent les importations. Champs abandonnés et friches industrielles se développent au profit d’entrepôts et de magasins de distribution abritant des marchandises étrangères. Ce que chacun peut constater.
On ne peut parler du prix sans connaître la valeur de la monnaie.
L’expression « tout est trop cher » n’a toutefois de sens que par rapport à un taux de change. Si le prix en devises étrangères des marchandises du pays en question devient très faible parce qu’une dévaluation massive est intervenue, sa compétitivité se trouve rétablie. Les exportations vont augmenter et symétriquement les importations vont diminuer tandis que la production nationale augmente. Concrètement l’exportateur -à prix inchangé au niveau de l’acheteur étranger- va recevoir plus de monnaie nationale et verra mécaniquement ses marges augmenter. A l’inverse, l’importateur national limitera le volume acheté devenu trop cher, à moins que l’exportateur étranger ne baisse ses prix et limite ses marges. De quoi imaginer une production nationale nouvelle remplaçant des importations devenues trop coûteuses.
S’il n’existe plus de monnaie nationale, il faut trouver une autre solution lorsque l’on reste trop cher. Evidemment, la plus simple est celle de la « générosité » de l’étranger qui va accorder des crédits illimités au pays dans lequel tout est trop cher. C’est un peu le cas des USA qui comblent des déficits colossaux en captant l’épargne internationale… mais l’avantage des USA est que leur monnaie est en même temps la monnaie mondiale. En dehors du cas particulier américain, le crédit est dans doute avantageux pour le développement d’une finance qui trouve dans le déficit extérieur un marché, mais il ne peut être une solution durable pour tous les pays où « tout est trop cher ».
Dévaluation externe facile et dévaluation interne difficile
La solution qui s’impose progressivement est donc une dévaluation interne, c’est à dire une baisse généralisée des coûts de production pour tous les acteurs. Puisque la dévaluation externe devient impossible, il faut mener une politique de dévaluation interne. Notons que la disparition de la monnaie nationale retarde les douloureuses prises de décision. Par exemple à l’époque du Franc, il fallait réagir très vite sur les coûts pour éviter le déséquilibre extérieur et la chute du franc. Ce n’est plus le cas avec l’euro qui permet une politique beaucoup plus paresseuse : on peut se permettre un déficit extérieur plus ou moins indolore, car la valeur de la monnaie euro ne sera pas tout de suite affectée. D’où le slogan intellectuellement indigent : « l’euro nous protège ».
La dévaluation interne doit ou devrait se déployer concrètement de diverses manières : baisse des marges pour les entreprises qui tentent de maintenir une compétitivité de bricolage[1], baisse des salaires sous formes multiples (allongement du temps de travail, intensité plus grande du travail, baisse des charges sociales, privatisation des dépenses de santé ou des coûts de la vieillesse, etc.), baisse de la fiscalité, subventionnement des entreprises, etc.
La grande migration du déséquilibre extérieur vers l’abîme du déficit public.
Mécaniquement, le pays où « tout est trop cher » va voir son déficit extérieur se déplacer partiellement vers un déficit budgétaire. Parce que les acteurs internes du jeu économique n’acceptent pas facilement la dévaluation interne et donc n’acceptent pas de payer la facture du déficit extérieur, ils reportent ce dernier à la charge des finances publiques. De ce point de vue, la France constitue un modèle exemplaire de régulation par essaimage du déficit extérieur vers un déficit public. Toutefois si le pays reste trop cher la situation ne pourra que s’aggraver et les politiques dites d’austérité s’approfondir. La baisse de rentabilité du capital invite davantage à la délocalisation et moins à des investissements de productivité et de modernisation faisant disparaître la réputation de « pays trop cher ». Les entreprises s’engourdissent dans la marée montante des subventions et nombreuses sont celles dont la présence ne se justifie plus. L’Etat se bat contre son déficit en appauvrissant l’ensemble de ses activités régaliennes, d’où sa réputation qu’il dépense trop et se trouve en même temps incapable d’assurer la bonne tenue des services publics : écoles, hôpitaux, armée, etc.
L’aggravation de la situation se matérialisera par un déficit budgétaire mobilisant une épargne gigantesque laquelle va assurer une redistribution à l’envers : les classes aisées, fiscalement protégées pour ne pas les inciter à quitter le territoire, achètent une dette publique dont le coût -charges d’intérêts- se trouve reporté sur l’ensemble des agents[2]. L’Assurance-vie est un modèle de cette redistribution à l’envers.
Les français se débattent dans l’imbroglio du déficit public. Personne n’évoque les causes fondamentales de la réalité et les moyens qui en découlent pour sortir de l’impasse. Chacun constate l’effacement de ce qui faisait l’exception de la France et de son immense succès. Les institutions se délitent et les citoyens deviennent des individus naufragés se battant autour de bouées de sauvetage… remboursement des médicaments, revalorisation des retraites, taxe sur l’électricité... Le lieu du naufrage était et reste celui où se noue la balance extérieure et la foule paniquée se presse en grand désordre vers le navire Etat, déjà déséquilibré, pour le faire basculer.
Durant le naufrage l’ensemble du personnel politico-administratif poursuit ses pitreries devenues inaudibles.
[1] La marge brute d’autofinancement des entreprises françaises est passée depuis l’avènement de l’euro de 28% du CA à moins de 20% aujourd’hui.