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8 juin 2022 3 08 /06 /juin /2022 19:09

Le pouvoir en cours d’installation évoque l’idée de planification écologique et plus encore d’un Conseil National de la Refondation. Faut-il y voir le retour d’un Conseil National de la Résistance ou de celui de la planification de la quatrième république et des débuts de la cinquième ?

Nous tenterons ici de montrer qu’une telle  orientation suppose de renoncer aux institutions mises en place pour la mondialisation et, qu’au-delà, elle impliquerait une véritable contradiction avec le modèle anthropologique qui s’est progressivement constitué au cours de ces trente dernières années.

Historiquement, la planification à la française s’est échafaudée   sur la nécessité de reconstruire dans un environnement de rareté. D’où un enracinement dans la production essentiellement industrielle et agricole et non dans le simple échange. Plus particulièrement il s’agira, sans épargne préalable, de produire des moyens de production permettant une production dont on envisagera ultérieurement le partage entre partenaires sociaux. Dans cette configuration, le monde que l’on construit est largement vertical, avec un principe organisationnel et des outils tel que celui produit par l’INSEE, qui va imaginer une « matrice des échanges interindustriels » (TEI) et des « coefficients techniques de production »  dont la valeur devient un indice de résilience du pays tout entier. Le plan concerne ainsi bien plus que ce qu’on appelle l’économie : il est l’instrument de production et de protection d’une société qui cherche comme par le passé à sécuriser sa vie dans la cohérence et les meilleures conditions possibles. Et parce que la cohérence est produite dans un univers de ressources rares, elle se déploie davantage dans la verticalité, dans la hiérarchie, ou dans un ordre obéissant à un principe directeur, que par le recours au marché libre. Cela signifie la domination du principe de coordination autour d’un projet partagé sur celui d’une confrontation entre compétiteurs. Dans ce monde, la puissance des lobbys est relativement limitée.

 On est loin de l’idéologie d’une création de valeur par l’échange libre au sein d’un système ouvert. Ce n’est que plus tard (années 60)  que l’on veillera à l’efficience dans un cadre d’ouverture des frontières et de libéralisation financière. Et c’est la mondialisation ultérieure qui affaissera la figure du producteur au profit de celle du consommateur et de l’épargnant.

La réflexion sur la planification avec le retour d’un commissariat du plan, un ministre de la transition écologique, un plan de relance « France 2030 » etc. devrait imaginer un univers complètement étranger à celui qui s’est progressivement édifié au cours des trente dernières années.

Cet univers qu’il faudrait quitter rapidement en raison de contraintes climatiques et de nouvelles raretés comme l’énergie, l’eau, certains métaux voire des granulats ou des terres cultivables, etc. fonctionne, lui, selon des principes organisationnels forts différents. Les acteurs ou pièces du système ne sont plus des ensembles agrégés à coordonner, les fameux corps intermédiaires, mais des individus en compétition sur des marchés infiniment vastes (le monde) et infiniment nombreux. Le système était naguère compliqué et sans doute bureaucratique mais il était relativement contrôlable. Il est aujourd’hui complexe c’est-à-dire constitué d’une infinité d’acteurs nouant une infinité d’interactions sur la base d’un principe simple : la concurrence sur le marché. Selon les économistes, le système complexe d’aujourd’hui produit, par la multiplication infinie des échanges, de la valeur. Et une valeur qui n’est pas planifiable car le système dépasse tous les participants lesquels doivent lui obéir.

Dans la mondialisation, le système complexe permet de dépolitiser toutes les interactions et il n’est plus question pour ce qui reste de l’ordre politique de contester la supériorité du système complexe sur le système compliqué de naguère. Le consommateur et l’actionnaire devenus rois sont les seuls à pouvoir définir l’ordre de la production. D’où la naissance de machines bureaucratiques propres à générer le marché là ou sa naissance était difficile, c’est-à-dire les autorités dites de régulation sous la forme d’une multitude d’Autorités Administratives Indépendantes. Pensons par exemple à la Commission de Régulation de l’Energie dont l’objet était d’assurer au final la protection du consommateur…. en faisant naitre une multitude d’échangistes sur des bases très artificielles….les fameux « marchands d’électricité » dont la survie dépend d’un large financement public. Ces autorités de régulation sont aussi des proies chassées par de puissants lobbys. Nous sommes loin de la coordination entre branches d’activités pour lesquelles un objectif de « noircissement » de la matrice des échanges interindustriels serait collectivement planifié…Cette pression pour engendrer le système complexe sur la seule base d’une règle simple, celle de la force concurrentielle, fut généralisée à toutes les activités et va aboutir à la l’évaporation de l’ancien système trop simplement compliqué. On peut citer, à titre d’exemple, le cas du CNES (Centre National de Etudes Spatiales) fondé en 1961 dans ce qui était à l’époque la planification et l’ordre compliqué. Cet organisme est aujourd’hui détaché du ministère de la recherche pour un rattachement direct à Bercy en vue de faciliter le passage au « new space » et accélérer la naissance des start-up de l’espace, lui-même perçu comme marché à promouvoir dans le cadre de « France 2030 ». La conquête spatiale n'est plus un projet dans l’imaginaire collectif mais une simple affaire d’approfondissement et de perfectionnement des marchés obtenue par subventions distribuées par des personnalités qualifiées proches des marchés. On passe de la verticalité idéologiquement chargée à l’horizontalité marchande.

Bien sûr, la sublimation du système compliqué en système complexe n’est pas parfaite. D’où les déboires et dérives d’un Etat devenu actionnaire alors que sa fonction stratégique reste en mémoire : injonctions contradictoires en direction  des patrons  du secteur public (Air- France, EDF, SNCF, etc.) , contradictions entre une agence de participations de l’Etat en recherche de rente dans le soucis de protéger la dette publique et une Banque Publique d’Investissements soucieuse d’entrepreneuriat et d’innovation , emballement du manège des « portes tournantes » chez les hauts fonctionnaires  etc.

Le retour d’une planification qui se mettrait en place, est une grande transformation qui dépasse de loin les dispositifs technocratiques qui pourraient s’établir à la hâte. Une première grande résistance est d’ordre anthropologique et les acteurs ne sont plus des groupes intégrés dans des corps en négociation autour d’un projet. Fondamentalement, l’attachement aux nouvelles formes de liberté engendre  une préférence pour un système complexe au détriment d’un système compliqué. On veut bien se rapprocher des fontaines à subventions mais on se méfie d’un ordre possiblement resté vertical. Une seconde résistance provient du problème lui-même : une rareté nouvelle - devenant  véritable mur -  que la logique du fonctionnement du marché ne peut que très difficilement réduire. Il s’agit de ce qu’on appelle « l’effet rebond » provoqué par une efficience accrue : une technologie plus efficiente concernant la production d’une ressource rare permet d’en utiliser davantage ou/et  introduit un report sur d’autres ressources rares. Nous avons typiquement ici le cas de la voiture électrique qui introduit plus de difficultés que de solutions au problème posé dans l’utilisation des ressources rares. On pourrait multiplier les exemples et on sait qu'historiquement les énergies ne furent pas substituables: la production croissante de charbon s'est accompagnée d'une multiplication des moulins à vent, celle du pétrole s'est accompagnée d'une consommation croissante de charbon pour produire l'acier des voitures, etc.

La première résistance est sans doute partiellement atténuable   par des comportements d’adaptation qui, petit à petit, réduisent la compétition et la concurrence au profit de la coopération. C’est le cas des entreprises qui collaborent pour sécuriser la gestion des stocks, ou pour reproduire localement de façon partagée. L’effet rebond dans toute sa complexité est sans doute  plus difficile à gérer. Comment lutter contre l’effet pluriel des pénuries qui elles - mêmes sont aggravées par de nouveaux risques de type sociaux (migrations) ou géopolitiques (guerres) ?

Avant de mettre en place un Conseil National de la Refondation, il serait intéressant d’interroger   les questions fondamentales : Un retour à la verticalité même décentralisée est-il possible ? Est-il possible de réintroduire une vision collective du futur avec la charge symbolique qui lui correspond? Comment limiter er répartir les contraintes de la nouvelle coopération  à engager ? Comment réduire la pression concurrentielle et introduire les logiques coopératives ? Peut-on mesurer les effets écosystémiques des décisions aussi facilement qu’au temps des trente glorieuses ? Comment encadrer le principe d’efficience dans ses effets pervers ? Quelle reconversion pour les milliers de salariés affectés jusqu’ici à la seule promotion du système complexe dans des autorités de régulation ? Etc…

Autant de questions qu’on ne voit pas émerger sur lede s marchés politiques.

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8 décembre 2021 3 08 /12 /décembre /2021 10:50

Pandémie et "grande peur" climatique sont porteuses d’effets  conjugués sous la forme d’un processus généralisé de digitalisation du monde. Et cette digitalisation, simple moyen, affecte bien évidemment le capitalisme de l’économie réelle comme il affecte le capitalisme financier.

La digitalisation s’apprécie d’abord au plan micro et méso-économique.

Au plan micro, il s’agit de rechercher des gains de productivité par une automatisation accrue des process, celle permise par exemple par les nouvelles  chaînes de robots connectés. Cette recherche donne naissance à une multitude d’entreprises dites du numérique, des biotechnologies, de la santé, du dernier kilomètre, du big data, de la fintech, avec évidemment tout ce qui de près ou de loin se rapproche de l’intelligence artificielle. Cette automatisation généralisée signifie aussi parfois le retour à un taylorisme d’un autre âge, par exemple celui constaté dans la livraison en France d’un milliard de colis annuel dans le e-commerce. Il s’agit aussi de construire des protections contre les secousses nouvelles qui apparaissent sur les chaînes de la valeur, par exemple celles de considérables fluctuations de prix, d’où un fantastique développement des positions non commerciales sur les marchés à terme (par exemple 600 000 contrats présents, donc des paris, sur le seul marché du bois de construction contre zéro contrat avant la pandémie). Il s’agit également de s’avancer vers les problématiques d’un télétravail aux conséquences inexplorées et pourtant probablement considérables. D’où de grandes questions : Nouvelle fracture sociale entre les assignés aux postes physiques et un back office de plus en plus éloigné ? Séparation beaucoup plus radicale entre cols blancs et cols bleus ? Déliaison sociale dans un monde -l’entreprise- qui était l’un des derniers lieux de socialisation ? Salariés, notamment cadres, redevenus simples mercenaires ? Fin d’une commune culture faite de codes respectés ? Forme modernisée du vieux travail à domicile à l’aube du capitalisme industriel ? Nouvelle forme de délocalisation dans une mondialisation renouvelée ? Quel avenir pour les locaux libérés ? Quelles conséquences pour les services associés (repas, transports, etc.) ? S’agit-il des prémices d’une future expulsion des derniers gagnants nationaux de la mondialisation ? Quel bilan coûts/ avantages ?

A mi-chemin entre le micro-économique et le méso-économique, il s’agit de mesurer les conséquences d’un choix très particulier de la protection des communs. C’est finalement le marché -et non la gouvernance polycentrique chère à Ostrom- qui doit prendre en responsabilité la transition climatique. Dans ce paradigme, les atteintes au milieu naturel sont une défaillance du marché qu’il faut éradiquer par des incitations et un marché des droits à polluer. Pour défendre la nature contre la prédation capitaliste, il s’agit de transformer la nature en capital. D’où un nouveau champ d’investigation pour la finance avec les expressions correspondantes : « finance durable », « responsabilité sociale de l’entreprise » (RSE), « financement participatif », « Investissement à impact » etc. D’où la volonté de monétiser la performance non financière des entreprises avec la construction de nouvelles formes de comptabilité….

Avec des conséquences gigantesques si le prix du carbone devait s’accroître de façon importante. Ainsi quel impact sur les bilans consolidés des 6 grands groupes bancaires (BNP, SG, Crédit Agricole, BPCE, Banque Postale, Crédit Mutuel) dont l’impact carbone est 7,9 fois supérieur à celui de la France ? Quel impact sur la valeur des cryptomonnaies privées qui, utilisatrices de Blockchains, consomment des quantités considérables d’électricité produites à partir de matières premières carbonées ? Sur le plan méso-économique des branches entières sont dès aujourd’hui soumises à de grandes contraintes et surtout de grandes interrogations quant à leur avenir : industrie automobile, industrie pétrolière aux actifs carbonés gigantesques, Aéronautique, industries cimentières et bétonnières, sidérurgie, cristallerie, etc.

Et dans ce contexte, il faut se souvenir des propos visionnaires tenus par John Perry Barlow dans le Davos de 1998 : «Gouvernements du monde industriel, vous, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit. Au nom du futur, je vous demande  de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté là où nous nous rassemblons. »  Effectivement, les grandes peurs qui précipitent l’accélération de la digitalisation généralisée font naître des entreprises monopolistiques (GAFAM) qui, elles-mêmes, questionnent la souveraineté classique. Comment ne pas s’inquiéter de l’avenir de la Grande Distribution française, notamment les difficultés du groupe Mulliez  face à AMAZONE après une expérience malheureuse avec ALIBABA ? Quel avenir pour les 3,5 millions de salariés français dans la Grande Distribution ? On pourrait multiplier les questionnements.

Sur le plan macroéconomique, il est inutile de rappeler les effets de la première grande peur, celle de la pandémie. On sait simplement que raréfier brutalement l’offre globale tout en maintenant les revenus présente des conséquences évidentes : maintien d’entreprises zombies, une rémunération du travail qui passe directement par l’Etat comme au temps du speenhamland system anglais du 18ième siècle, un déséquilibre public en très forte hausse,  un déséquilibre extérieur accru, un recul de la consommation et une hausse de l’épargne, un désœuvrement débouchant parfois vers une  « démocratisation » des activités boursières, etc.

Plus important serait de s’interroger sur les effets de la seconde grande peur sur le climat avec les décisions concernant le prix du carbone. Les coûts macroéconomiques concernent d’abord l’augmentation générale des prix à la consommation. Il ne s’agit pas de l’actuelle hausse des prix qui résulte des secousses sur les chaînes de la valeur et qui ne seront probablement pas durables. Pour autant existe une vraie controverse sur un retour de l’inflation. Pour les optimistes il existe une indexation assez générale du cours des matières premières sur le pétrole et les USA disposent aujourd’hui du pouvoir politique de fixer les prix par action sur le volume des réserves stratégiques et surtout le contrôle de l’extraction. Pour ces optimistes, l’inflation ne serait pas durable et déjà le cours du brut baisse. Pour d’autres, l’inflation serait durable et affecterait de façon très différentielle les pays de la zone euro, avec des chiffres qui interrogent : 8% pour la Lituanie, mais simplement 2% pour le Portugal, ce qui pose et repose la question de la divergence croissante entre pays…et la stabilité de l’Euro.

  Au-delà il faudra - sur le moyen et le long terme - évaluer les conséquences de l’intégration de la taxe carbone sur la totalité des émissions de gaz à effets de serre. L’étude de Diego Kansig de la London Business School tend à montrer un lien entre prix du carbone et nombre de brevets déposés au titre de l’énergie verte, avec effets rapides sur la transformation des combinaisons productives et une production plus décarbonée. La demande globale correspondante se transforme qualitativement avec un maintien des dépenses des ménages aisés et une chute significative de celles des ménages à bas revenus. L’étude conclut que la taxation carbone est efficiente pour la modification de l’architecture générale  de la production, mais  qu’elle doit s’accompagner de sa redistribution vers les ménages les moins aisés. Le coût de la transition énergétique varie en fonction des pays, de leur niveau de diversification, et de leur niveau de développement. La France dispose de ce point de vue d’un avantage reposant sur son parc électronucléaire, avantage qui peut encore être contesté par Bruxelles dans sa classification taxonomique.

 

La digitalisation accélérée sur un monde qui veut rester complètement marchand -y compris pour vaincre la grande peur sur le climat- facilite (comme précédemment rappelé) le champ d’action de la finance. Puisque tout est marchandise et que tout peut être représenté par des chiffres, il apparait assez logique que la finance soit à priori la grande gestionnaire du monde : les professionnels de la politique se doivent de devenir de simples collaborateurs des professionnels de la finance.

Ainsi que nous allons tenter de le montrer, les choses vont pourtant devenir plus complexes.

Sans aborder ici la question de « l’Union bancaire » qui relève des problèmes liés à la monnaie unique, il faut savoir que le  système bancaire devient  étrangement menacé par la financiarisation généralisée. Au-delà de son actif bilantaire lourdement carboné, il est aussi menacé directement par la digitalisation généralisée. Il est menacé d’abord par les nouvelles banques en ligne, mais il est aussi menacé par les nouveaux moyens de paiement qui, de fait, assurent une marginalisation progressive du système bancaire classique. Il y a d’abord la disparition de la monnaie fiduciaire qui ne correspond pas au soulagement normalement attendu s’il est remplacé progressivement par la multitude des cryptomonnaies privées. On peut aussi souligner le poids de ces cryptomonnaies qui, de fait, font disparaître des ressources à un moment où la décarbonisation des bilans imposera de multiplier les provisions sur les actifs ( aujourd’hui 1000 milliards de dollars sont transformés en bitcoins et assèchent les comptes figurant au bilan des banques). De ce point de vue, la nouvelle informatique et en particulier la technologie blockchain permet aujourd’hui d’assurer une grande partie des métiers bancaires en se passant de toute forme d’intermédiaires. Alors que les paiements étaient jadis le fait d’un système solidarisé par une banque centrale, ils peuvent aujourd’hui se passer de tout système. La banque risque ainsi de devenir dans un monde entièrement digitalisée la voiture hippomobile à l’époque de l’industrie automobile. Le système tente de survivre en nouant des interdépendances avec les géants de la tech, en pratiquant le « beyond banking » et en multipliant d’autres interdépendances avec la finance de l’ombre.

Face à cette situation, la Banque centrale mène une stratégie ambigüe : devenue proto-Etat en garantissant la solvabilité des acteurs principaux (Etat et système financier global) qui eux-mêmes garantissent la solvabilité de tous les autres au regard des « grandes peurs », elle prépare déjà le monde de demain. Parce que nouvelle institution assurant - à l’intérieur de l’espace marchand- l’ordre chez les humains, elle est bien une sorte d’Etat en formation. La « guerre de tous contre tous » est ainsi contenue par la proto-Etat banque centrale.

Cette activité de proto-Etat -qui se ramène à monétiser toutes les dettes et maintenir à flot la valeur des actifs- développe d’innombrables effets pervers souvent recensés : taux d’intérêts négatifs ou proches de zéro, maintien d’entreprises zombis, inflation des actifs avec bulles financières et immobilières, etc. Sachant qu’il est devenu impossible pour la Banque centrale de compenser les effets pervers principaux et qu’il faut pourtant continuer à éviter que les « grandes peurs » ne se transforment en panique, la réflexion se porte sur l’interdiction des cryptomonnaies et leur remplacement par une cryptomonnaie de banque centrale. Une réflexion qui devient sous la houlette de la BRI ( Banque des Règlements Internationaux) un grand projet.

Il y a d’abord la prise de conscience que les cryptomonnaies sont une menace pour les banques, pour l’économie et pour la société : aucun investissement économiquement et socialement utile, impossibilité technique de gérer de grandes masses de transactions à l’instar de Visa ou Mastercard, participation au détournement d’une épargne à investir dans l’économie réelle vers  une inflation d’actifs spéculatifs, instrument de blanchiment de revenus illicites, aucune transparence, aucune sécurité,  etc. Mais il y a ensuite la prise de conscience par les autorités monétaires que la nouvelle technologie numérique permet de construire un système financier permettant de mieux contrôler l’activité bancaire et financière dans des conditions nouvelles : gains de productivité, confiance pour l’ensemble des agents, possibilité de mettre un terme à l’ensemble des dérives d’un monde insuffisamment régulé.

Dans son sens le plus fort, la cryptomonnaie de banque centrale peut faire disparaître tout ce qui constitue l’infrastructure monétaire du système bancaire actuel. Elle peut renouer avec le slogan de  « destruction créatrice » cher à Schumpeter. Les moyens sont simples : chaque agent (Etat, ménages, entreprises) dispose d’un compte à la banque centrale laquelle effectue automatiquement les milliards d’opérations journalières entre les participants. Clairement ce que fait le système bancaire au quotidien, c’est-à-dire assurer la circulation de la monnaie entre tous les agents, la banque centrale équipée de sa monnaie numérique peut l’assurer dans des conditions de rapidité et de sécurité incomparables. Il n’est plus question de tensions sur un marché monétaire fait de méfiance concernant la solvabilité de tel ou tel partenaire bancaire. Il n’est plus question de « bank run » et des paniques associées. A l’échelle de la zone euro, la nouvelle monnaie numérique peut aussi techniquement assurer une union des transferts entre pays cigales et pays frugaux : les soldes « Target 2 » deviennent invisibles. Bien évidemment il ne s’agit que d’un masque, mais la métamorphose partielle de la Banque centrale en véritable Etat permet, à priori, de mieux sécuriser l’attelage. Au final on pourrait imaginer un partage des tâches entre banque centrale qui aurait le monopole de la création et de l’infrastructure monétaire, et les banques qui, privées de la création, conserveraient toutes les opérations classiques sous la houlette de la Banque centrale….en espérant que l’Etat reprenne un maximum de responsabilité dans le cadre d’une politique économique capable d’assurer la maitrise des « grandes peurs ».

Il est difficile d’aller plus loin dans cette réflexion tant il est vrai que propositions/décisions et résistances de la finance seront d’une extraordinaire puissance. La finance d’aujourd’hui est autrement puissante que les producteurs de calèches d’hier face à l’industrie automobile naissante. Au surplus la banque centrale fonctionnant encore au service de la finance, il lui sera difficile de faire sécession puis de se renier. Pour autant elle pourrait trouver l’appui des entrepreneurs politiques qui eux-mêmes prendraient conscience de leur servitude au regard de la finance et appuieraient - voire prendraient en charge- un projet de grande transformation.

 

 

 

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24 novembre 2021 3 24 /11 /novembre /2021 10:52

La première partie de l’article portant sur un « coût de la vie » directement pris en charge par la monétisation de la dépense publique a pu montrer que le coût salarial véritable devenait de plus en plus partagé entre l’Etat et les entreprises. C’était le cas de diverses primes dont  celles dites d’activité ou d’inflation directement prises en charge par un Etat impécunieux. Cette prise en charge par la simple monétisation est aujourd’hui une opportunité pour les entreprises, et une opportunité représentant entre 15 et 20% du coût du travail de qualification moyenne ou faible. Elle correspond aussi à une fragilisation du rapport salarial avec effets pervers pour les entreprises, effets évoqués rapidement dans la première partie de l’article.

Il existe une source plus ancienne de fragilisation, celle résultant d’une baisse des charges patronales qui, jusqu’ici, n’ont concerné que les rémunérations les plus faibles. De fait, depuis la création de l’euro, les baisses de cotisations patronales sont devenues majeures pour les rémunérations proches du SMIC (4,5% du salaire brut). Cette baisse est de fait cofinancée par des charges fiscales nouvelles, des avances budgétaires relevant de la monétisation, ou des dettes sociales aboutissant elles aussi dans le trou noir de la monétisation. Comme elle concerne, vu le nombre de salariés concernés, des montants considérables, ces baisses se sont jusqu’ici cantonnées aux rémunérations les plus proches du SMIC. Dès que lesdites rémunérations quittent la zone plancher, les cotisations patronales deviennent importantes voire très importantes. Ainsi,  avec des rémunérations qui passent de 1 puis à 1,3 puis 1,5 et 1,6 SMIC -  des rémunérations encore relativement modestes -  les taux de cotisations passent respectivement de 4,5 à 20, puis 25 et enfin à 35%. Cela signifie qu’il existe un taux marginal très fortement croissant des prélèvements.

On comprend ainsi qu’il est très difficile pour les salariés de négocier une hausse des rémunérations. Pour celles d’entre-elles se situant entre 1 et 1,5 SMIC une hausse de 10% correspondrait à une augmentation de la charge salariale de 18 à 19%. Cela n’est guère envisageable pour les employeurs des salariés correspondants, lesquels sont massivement impliqués dans des branches à faible valeur ajoutée et aux gains potentiels de productivité très faibles ( services à la personne, hôtels/ restaurants, hôpitaux, secteur médicosocial, etc.) Et même, pour des activités supposant traditionnellement des rémunérations plus élevées, par exemple 2,5 Smic, une hausse très modeste de 2% se traduirait par une hausse de la masse salariale de 7%, ce qui est loin d’être négligeable dans des secteurs (ici probablement l’industrie) très soumis à la concurrence internationale.

Cette situation est spécifique à la France, pays dans lequel le consensus s’est matérialisé par un taux marginal fortement croissant des cotisations. Partout ailleurs, et en particulier dans les pays de l’UE, les taux sont simplement proportionnels, voire décroissants. Cela signifie clairement que dans ces pays les négociations salariales concernant la hausse des rémunérations sont plus aisées : une hausse de 10% des rémunérations aboutit à une hausse de 10% du coût du travail…et non à 18 ou 19% comme dans le cas de la France.

Au-delà, cette situation de taux marginaux fortement croissants aboutit à des réalités déjà entrevues dans la première partie de l’article : difficulté pour une stratégie d’ascension sociale et maintien d’une foule d’activités mal rémunérées et sans véritable espoir d’en changer. Clairement, l’emploi ne se développe relativement bien que dans les branches où le travail est peu qualifié. Avec bien évidemment, un sentiment de déclassement pour les jeunes diplômés de plus en plus nombreux à obtenir des contrats très mal rémunérés. Mais ce déclassement est aussi celui des entreprises qui sont pénalisées en se lançant vers des activités risquées et porteuses d’avenir : le coût du travail qualifié voire très qualifié devient rapidement inabordable. Enfin ce déclassement est aussi celui du pays tout entier : productivité comparée en baisse, perte de parts de marché à l’international comme à l’interne, et bien évidemment balance extérieure de plus en plus déficitaire. Avec un effet de retour : si le pays produit peu le taux d’activité chez les plus jeunes et les plus âgés se trouve durablement faible, d’où les éternels débats sur l’âge de la retraite ou le trop d’assistanat.

Quelle solution ?

 

 

 

 

 

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17 novembre 2021 3 17 /11 /novembre /2021 13:22

La gestion politique de la pandémie et des diverses mesures prises récemment en faveur des revenus des ménages, semble marquer une dissociation de plus en plus grande entre ce que gagnent les agents au titre de leur travail et ce qu’ils perçoivent réellement. Avec cette impression générale que ce qu’on appelle le coût de la vie est partiellement pris en charge par l’Etat. Plus simplement encore, les agents auraient de moins en moins besoin de travailler pour vivre. Au-delà des mécanismes de la sécurité sociale qui reposent essentiellement sur le travail, il y aurait un Etat bienveillant qui assurerait des rémunérations hors travail. C’est le sens qu’il faut donner à la rémunération du chômage de confinement, à l’ancienne prime pour l’emploi souvent revalorisée,  à la prime d’activité régulièrement revalorisée, à l’indemnité d’inflation, etc. En se cantonnant aux rémunérations les plus proches du Smic, et hors politique sociale directe, c’est aujourd’hui entre 15 et 20% des revenus qui, normalement  rattachés à l’emploi, sont aujourd’hui supportés par l’Etat.

N'abordons pas ici les grandes théories macroéconomiques et contentons-nous du simple bon sens. Dans un capitalisme classique, l’argent des salariés  -directement ou indirectement perçu- provient tout entier du collectif entreprises. Globalement, cet argent est un revenu correspondant à ce qu’on appelle un coût de la vie, lequel est socialement et historiquement déterminé. Ce dernier aspect est important car le salaire « coût de la vie » est chargé de valeur individuelle et sociale considérable : il est contrepartie d’un travail dont le titulaire est fier, et preuve d’une insertion de l’individu dans la société. Mais cet argent qui est un coût pour les entreprises devient simultanément un chiffre d’affaires pour ces mêmes  entreprises. Globalement, le salaire est un coût mais aussi un débouché de même montant. Bien sûr existe une épargne mais celle-ci se trouve sur des actifs bancaires, immobiliers ou financiers qui, logiquement, en longue période, vont alimenter l’économie réelle, donc les entreprises.

Le fait qu’une partie du coût de la vie soit désormais prise en charge directement par l’Etat, et ce en dehors des contraintes du travail, entraîne mécaniquement une hausse de la rentabilité des entreprises à la seule condition que cette prise en charge ne relève pas d’un impôt nouveau censé la couvrir. Dans ce cas, les entreprises ne supportent plus que partiellement le coût du travail mais sont censées percevoir sa contrepartie sous forme de chiffre d’affaires. Mieux, et c’est le cas du chômage de confinement, au-delà du maintien du cadre juridique, elles n’emploient plus réellement les salariés qui cessent de produire, alors même que le chiffre d’affaires global se maintient. Cette contradiction se lève bien sûr par le canal des importations : le chiffres d’affaires devient celui d’entreprises étrangères. Le pays produit moins mais les revenus étant maintenus, l’écart est comblé par un supplément d’importations. Empiriquement, l’espace de circulation de la valeur reste inchangé (les échanges sont importants), tandis que celui de la production s’étiole.

D’où déjà des conclusions partielles concernant cette politique nouvelle : cadeau empoisonné fait aux entreprises nationales qui ne sont pas incitées à élever la productivité et peuvent parfois s’assoupir sur des logiques rentières ; cadeau réel fait aux entreprises du reste du monde qui peuvent plus facilement exporter vers la France (déficit français de plus de 85 milliards d’euros pour 2021). Cadeau empoisonné fait aux salariés qui, peu encouragés à la recherche d’emplois de meilleure qualité, constatent tristement que leur travail n’est pas reconnu correctement par leur employeur. De quoi les éloigner de toutes les valeurs symboliques rattachées au travail. Circonstance aggravée avec parfois l’ajout d’un télétravail aux propriétés potentiellement désocialisantes.

Mais aussi une conclusion plus globale :  A partir du moment où une partie du coût de la vie est pris en charge par un Etat qui monétise sa dette avec la complicité d’une banque centrale qui garantit des taux négatifs, la ronde de la circulation générale des marchandises n’est en aucune façon entamée et d’une certaine façon « tout va bien ». Cette circulation est même accélérée par nombre de start-up spécialisées dans les seuls gains à l’échange. Les entreprises, mêmes les plus douteuses ne se portent pas mal et peuvent faire face à leurs engagements financiers (peu de dépôts de bilan). Les banques ne craignent rien car l’Etat garantissant les débouchés, et la banque centrale garantissant des prêts colossaux à taux négatifs (plusieurs centaines de milliards d’euros à -0,1%), les échéances concernant leurs engagements sont couvertes. Les financiers sont eux-mêmes rassurés par des actifs dont les cours peuvent monter jusqu’au ciel et sont en permanence gonflés par un excès de liquidité créé par la banque centrale soucieuse de ne pas gêner la politique économique…. et de  ne pas voir l’édifice financier s’effondrer…

Globalement, les intérêts privés sont bien garantis. Même les salariés pauvres peuvent avoir le sentiment qu’ils ne sont pas oubliés alors qu’ils notent par ailleurs que le travail insuffisamment rémunéré leur fait toucher du doigt qu’ils ne sont pas reconnus. D’où l’affaissement de ce qu’on appelait la loyauté vis-à-vis de l’entreprise, le manque d’implication et la recherche d’un ailleurs davantage porteur de valeurs. Dans cette affaire, si les intérêts privés sont relativement protégés, le pays, lui, continue de s’effondrer :  la production nationale ne fait que s’étioler et laisse une place croissante à des entreprises étrangères qui raflent la mise. Un effet d’aubaine qui provient directement de l’extérieur sous la forme d’importations massives, mais aussi de l’intérieur sous la forme d’investissements directs attirés par l’aisance apparente du pays, et investissements qui vont être vécus comme victoire d’une politique économique : la France est devenue attractive !

De quoi faciliter la vie de tous les marchands de programmes politiques qui, dans un complet brouillard, seront avec une belle assurance fiers de révéler leur complète ignorance de la réalité.

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8 novembre 2021 1 08 /11 /novembre /2021 09:34

Résumé : Le monopole public EDF fut longtemps moteur et catalyseur d’une économie de marché performante. La construction d’une politique tarifaire intelligente fut le principe actif de cette performance pendant des décennies. Le passage à un système de prix violant les règles élémentaires de ce qu’on appelle un marché, a détruit une architecture institutionnelle et technologique dont la France pouvait être fière. Les débats concernant la  prochaine élection présidentielle devraient être l’occasion d’un retour au bon sens et une invitation à  la fin de turpitudes par ailleurs trop méconnues

Sans reprendre ici les travaux complexes des économistes qui ont longuement réfléchi sur les prix de l’électricité qu’il fallait pratiquer à la naissance d’EDF en 1946, on peut résumer en quelques points les grandes lignes doctrinales qui vont organiser l’entreprise jusqu’au début des années 2000.

1 - L’électricité est un bien commun accessible à tous. A ce titre, il n’est pas une marchandise et se trouve hors commerce.

2 - L’électricité doit obéir à un principe de « MiniMax » garantissant, au- delà de l’accessibilité à tous, un intérêt général. Il s’agit pour un assemblage de facteurs de production donné d’assurer un maximum de satisfaction pour les utilisateurs. La préoccupation fondamentale d’EDF est donc celle du rendement maximal de son activité.

3 - La traduction concrète de ce principe fait que les prix doivent indiquer aux utilisateurs, de façon aussi précise que possible, la rareté de la ressource. Dit autrement l’utilisateur doit savoir par le montant payé, ce qu’est le coût exact de la ressource. Cette stratégie n’est possible que pour des monopoles publics, et ne convient pas à des monopoles privés lesquels peuvent par segmentation du marché parvenir à une maximisation de la rente de monopole et entrainer une limitation des quantités offertes. Ce qu’on appelle dans les manuels d’économie le malthusianisme du monopoleur privé.

4 - Consommateurs et utilisateurs en général sont des agents libres effectuant des choix libres sur les marchés. L’objectif de rendement maximal passe par cette liberté de choix. Si le prix est inférieur à la dépense pour produire le KWh acheté, nous ne sommes pas dans la logique du rendement maximal et l’utilisateur ne dispose pas d’une information objective lui permettant d’effectuer lui-même des choix rationnels. A l’inverse si le prix est supérieur à la dépense pour produire le KWh acheté, l’utilisateur n’est pas non plus correctement informé et se prive de choix qu’il aurait pu envisager à prix moindre. Le lecteur avisé sait que ce type de réflexion mènera à la tarification au coût marginal, c’est-à-dire le cout de production du KWh supplémentaire.

5 - Dans la pratique fort complexe de la gestion du parc de production du monopole, la tarification au coût marginal doit se comprendre de façon large. Elle ne peut se ramener à un prix nul en raison du fait que sur une même unité de production un KWh supplémentaire ne coûte que les charges variables supplémentaires soit une quantité infiniment faible de matière première. Le tarif retenu du KWh deviendra alors le coût de la réadaptation, sur le long terme, du parc productif à la production au moindre coût du KWh supplémentaire. La réadaptation est ainsi optimisée, ce qui veut dire que le monopole est aussi rationnellement guidé dans sa politique d’investissement par la tarification au coût marginal. Bien évidemment ce principe de tarification ne peut être rigoureusement tenu en raison de la complexité du réel, la réadaptation continue du parc, la non stockabilité de l’électricité, la gestion des pointes de consommation, etc.

6 - La logique du rendement maximal de la production d’électricité – production en amont de toutes les activités, toutes les combinaisons productives mais aussi la consommation des ménages et la production d’autres biens communs (éclairage public par exemple) - est aussi celle qui permet les bons choix dans le cadre de toutes ces activités.

7 - La logique du bien commun et de l’intérêt général ne sont pas des principes de redistribution et EDF ne devait que se soucier de ces quelques règles. En ce sens, le monopole public recevant sa mission d’organiser un « Minimax » aux conséquences à la fois micro et macroéconomiques n’a pas à se préoccuper de politiques industrielles ou sociales. Ces dernières politiques devraient donc être assurées par l’Etat lui -même en laissant au monopole le travail quotidien de la tarification aux fins du respect du principe du rendement maximal. On sait bien évidemment que ce principe fut historiquement quelque peu contrarié.

La libéralisation du marché de l’électricité - exigé par Bruxelles- devait faire disparaitre ces principes organisationnels qui avaient fait d’EDF l’entreprise la plus efficiente du monde dans son secteur.

La fin du monopole et l’irruption de la concurrence devait fondamentalement changer la politique de tarification.

Le principe du bien commun, notamment dans sa dimension hors commerce est maintenu. Le consommateur peut rester client de l’ex-monopoleur lequel appliquera en principe une tarification hors marché, ce qu’on appelle encore le tarif réglementé.

Par contre, la réorganisation institutionnelle va développer des changements majeurs avec au final irruption de prix qui vont davantage se rapprocher de préoccupations mercantiles éloignées d’un intérêt général.

La réorganisation institutionnelle porte sur la fin du monopole public, son démantèlement avec séparation entre les divers stades de la vieille intégration verticale : production, transport, distribution, mais aussi l’irruption des marchands d’électricité (une quarantaine aujourd’hui). Il convient bien sûr de détailler cette transformation.

Tout d’abord, la commission bruxelloise reconnait que l’électricité n’est pas une marchandise comme les autres, qu’elle est probablement un bien commun voire un bien de souveraineté économique. Il convient donc de marier des acteurs dont certains seront soumis à des contraintes publiques et d’autres soumis à de simples engagements contractuels. La logique d’un « Minimax » se trouve ainsi quelque peu ébranlée. EDF peut  se charger d’un intérêt public avec maintien de politiques tarifaires spécifiques, mais il doit laisser une place majeure à de prétendues entreprises d’électricité qui, bien évidemment, incapables de concurrencer les coûts du nucléaire vont devenir agents parasites à l’intérieur du dispositif appelé ARENH (Accès Réglementé à L’Energie Nucléaire Historique).  Ce dispositif lui-même très règlementé donne accès à 25% de la production nucléaire à des prix inférieurs aux coûts unitaires. EDF ne peut donc obéir à ses   règles lui permettant de construire -au-delà de celles constitutives du bien commun- l’intérêt général. En particulier l‘actuel prix de l’ARENH -42 euro/MWh-est très inférieur au cout marginal en développement du nucléaire (EPR). Les marchands d’électricité de plus en plus nombreux engendrent parfois des situations ubuesques. Ainsi celle du groupe Total qui rebaptisé en « Total Energie » se transforme en marchand d’électricité pour connaitre un accès à l’ARENH. Face à un tel désordre de prétendu marché, on peut se demander avec humour  si en contrepartie EDF dispose de droits d’accès aux énergies fossiles produites par le groupe Total. Des situations finalement peu éloignées de celles que l’on connaissait en URSS à la veille de son effondrement.

 La multiplicité des acteurs aux intérêts divergents et le mélange privé/public complexifie les choses à l’extrême et l’on comprend que si EDF sans bureaucratie excessive dans sa gestion rationnelle devait simplement être surveillée par la puissance publique, il faudra maintenant passer au stade de la régulation bureaucratique d’un ensemble beaucoup plus vaste. Ce sera la mission d’une autorité administrative indépendante- véritable fragment de «  Gosplan »- la Commission de Régulation de l’Energie, (CRE) peuplée de 250 fonctionnaires travaillant quotidiennement avec des centaines d’autres fonctionnaires notamment bruxellois, et des acteurs de marché improductifs donc largement inutiles au monde.

L’interconnexion entre les réseaux nationaux devrait logiquement permettre, grâce à des bourses d’échanges d’électricité, la formation d’un prix de gros européen. En particulier les prix qui devraient s’y former sont assez naturellement ceux du coût marginal. La raison en est simple : les acteurs qui se présentent sur les bourses sont peu efficients et n’échangent que des quantités d’électricité produites à partir d’unités coûteuses (énergies fossiles). Logiquement il n’y a pas d’électricité nucléaire échangeable sur les bourses de gros, les possesseurs voulant la conserver pour la revente sur le marché du détail, et les candidats acheteurs sont surtout attirés par les seuls contrats ARENH. Le marché de gros est donc bien ancré sur les coûts marginaux eux-mêmes constitués pour l’essentiel par les prix de marché des énergies fossiles…qu’il faut décarboner…. en utilisant aussi  les bourses d’échange de carbone…. la spéculation sur la transition écologique faisant grimper les cours des uns et des autres.

Pour les consommateurs français, la belle histoire de la tarification au coût marginal perd tout le sens qu’elle avait au temps du monopole public. Le prix égal au coût marginal révélait bien la rareté de la ressource électricité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où il ne fait que révéler une rareté qui se trouve ….dans les autres pays européens, et rareté aggravée par le capitalisme spéculatif constructeur de rentes. Sans décision majeure concernant un marché de l’électricité complètement inventé et allant contre les intérêts supérieurs de la France, les usagers seront contraints par des prix anormalement élevés, eux-mêmes  animés de mouvements erratiques au gré de la spéculation sur les bourses. De quoi déstabiliser une économie qui a tant besoin d’un approvisionnement stable autorisant des investissements éclairés.

Il n’y a pas encore de véritables prix de marché européen car les contraintes techniques sont encore loin d’être levées : non homogénéité du marché en raison d’une interconnexion imparfaite, et imperfection augmentée des surcharges en cascades, des écroulements de tension ou de fréquences, etc.  Le capitalisme spéculatif est donc encore entravé par des frontières que la commission de Bruxelles continue à vouloir faire disparaitre.

Pour la France qui est victime d’une institution qui vilipende son avance technologique, il existe une solution rapide : celle de ne plus respecter les règles d’une concurrence artificiellement construite. En clair, mettre fin à L’ARENH et donc probablement provoquer la disparition des prétendues entreprises marchandes d’électricité. Une telle décision permettrait déjà à EDF de récupérer, du jour au lendemain, 25% de sa puissance  et de  diriger immédiatement un morceau de sa contrepartie financière vers des installations gérant les pointes. Un autre morceau pourrait être consacré à la reprise de contrats des marchands d’électricité déchus, reprise assortie d’une substantielle baisse de prix représentant les coûts inutiles et la marge des dites entreprises. Un troisième morceau pourrait servir d’appui à une baisse des tarifs classiques. 

Dans un second temps, il faudra bien encore accepter de payer des  pointes devenues plus rares avec des coûts marginaux très élevés mais qui ici ne seront plus représentatifs de la réalité massive de l’entreprise.   Le monopole public reconstitué pourra proposer des tarifs sur des coûts reflétant davantage la réalité d’un nucléaire compétitif dont l’économie nationale a tant besoin. La réforme proposée ne coûte rien, ne suppose aucune transformation des infrastructures de production, de transport et de distribution, et peut par conséquent être très rapidement menée. Peut aussi être très rapidement menée la disparition des structures bureaucratiques qui tant à Bruxelles qu’en France et  dans l’entreprise EDF elle-même  ne sont que les échafaudages permettant de faire tenir debout un marché artificiel. La contrepartie de cet échafaudage pouvant apparaitre comme élément de réduction du cout de fonctionnement des administrations publiques. La réforme n’est donc qu’un simple retour à la raison et l’éloignement d’une idéologie mortifère.

 Il n’y a aucune raison de voir le prix de l’électricité flamber en France. Beau sujet pour les candidats à la prochaine élection présidentielle.

 

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1 novembre 2021 1 01 /11 /novembre /2021 15:36

Jusque dans les années 90,  l’entreprise EDF était de très loin l’entreprise d’électricité la plus moderne et la plus efficiente du monde. A cette époque, l’électricité était un service public ou plus exactement  un bien commun au sens de celui que   la commission Rodotà définira beaucoup plus tard : « utilité fonctionnelle à l’exercice des droits fondamentaux », « protection au bénéfice des générations futures », « participation à la gestion » et système tenu « hors commerce »[1].

La bonne gestion du monopoleur qu’était EDF consistait à mettre en activité les quelques centaines de centrales selon un ordre décroissant : d’abord les unités les plus performantes et, selon l’appel de la demande, les unités de moins en moins performantes. S’il n’était que monopoleur classique sur un simple marché, EDF aurait poussé  sa production jusqu’au moment où la recette marginale (le prix de vente) serait égale au coût marginal , c’est-à-dire le coût de production de la centrale la moins compétitive mise en activité pour répondre à une hausse de demande. Comme le prix était « hors commerce » et qu’il convenait de répondre positivement à tous les aspects de ce qu’on appelle un bien commun, EDF pratiquait une politique tarifaire soucieuse à la fois du dit bien commun et de l’efficience. Ainsi les tarifs pouvaient être modulés afin de répartir l’appel et éviter des pointes de demandes exigeant des mises en activités de centrales trop peu performantes.

Une France honteuse de sa réussite.

Toujours en terme de bonne gestion et de respect du bien commun, le gouvernement français aurait pu résister à ce que Bruxelles  a appelé au début des années 2000, la nécessaire « libéralisation du marché de l’électricité ». Clairement on pouvait -fort de la sur-compétitivité d’EDF- proposer l’élargissement à l’échelle de l’Europe du principe du bien commun et cela, associé à une gestion rationnelle. On peut ainsi imaginer l’implantation de filiales d’EDF sous forme de centrales nucléaires dans nombre de pays, ce qui aurait autorisé partout en Europe un accès à une électricité beaucoup moins coûteuse que sur les autres continents. Bien évidemment, il fallait imaginer l’interconnexion des réseaux nationaux et bénéficier d’une mutualisation ou d’une solidarité dans la gestion des pointes de la demande. Très simplement, plutôt que de réserver nationalement des centrales complémentaires au titre des pointes, on pouvait envisager un lissage à l’échelle européenne, lissage facilité par les différences climatiques entre pays, par les horaires différents, des modes de vie différents, etc. A l’échelle d’une dizaine d’années l’Europe aurait pu ainsi bénéficier de l’électricité la plus compétitive du monde, mais aussi d’une grande indépendance énergétique et tout ceci dans le cadre « hors commerce » constitutif de la réalité « bien commun ».

La France n’a pas cru bon de participer à une construction européenne un peu sérieuse et ne s’est pas opposée dans les négociations qui devaient aboutir à l’édification d’un prix, cette fois de marché, dont le « coût » devait être la destruction d’EDF. Comme il fallait à l’interne (nationalement) maintenir la fiction d’un bien commun, et à l’externe (au niveau européen) respecter un ordre de marché, on aboutira à l’édification d’un monstre bureaucratique.

La construction d’un monstre bureaucratique

Cet ordre commence par la séparation des différentes pièces de l’édifice : production, transport, distribution. Avec toutefois pour des raisons évidentes de rationalité le maintien de l’infrastructure de réseau sous forme de monopole. Mais puisqu’il faut passer à un ordre de marché il fallait aussi construire une concurrence au niveau production ce qui était extrêmement difficile en raison de la sur- compétitivité d’EDF. Aucun producteur ne pouvant en permanence - c’est-à-dire quel que soit le niveau de la demande d’électricité- concurrencer EDF, il fallait imaginer une vente forcée d’électricité nucléaire à des prix extrêmement bas à de simples marchands de kilowattheures. Cette vente forcée était d’autant plus nécessaire que l’interconnexion du réseau à l’échelle européenne interdisait la possibilité pour un marchand de proposer un tarif plus élevé aux consommateurs. Ce point mérite explication : Il est clair que l’inter-connection devait aboutir, à l’échelle européenne, à la formation d’un prix européen. Comme dans le cas de la situation d’avant la libéralisation, le prix devait refléter le coût marginal. Il ne peut être supérieur car - en régime de concurrence- des producteurs marginaux ont intérêt à produire et donc l’offre augmente avec un coût marginal qui rejoint le prix. Mais il ne peut être inférieur car il y a perte sur les producteurs marginaux lesquels arrêtent de produire ce qui fait à nouveau coller prix et coût marginal. Dans de telles conditions, il est impossible pour les marchands -que l’on souhaite faire naître - contre tout bon sens- au nom de la concurrence - de connaître une quelconque rentabilité sans tordre le bras à EDF. Ce qui fût fait après de difficiles négociations avec la création du monstre bureaucratique appelé ARENH[2]. Parce que les marchands veulent gagner leur vie sur un marché qu’ils ne maîtrisent pas et à partir d’un métier qu’ils ne pratiquent pas, il fallait construire une marge sur le dos de la valeur ajoutée EDF. Bien évidemment, les quantités d’électricité nucléaire négociées entre les marchands et EDF n’ont rien à voir avec la logique de l’échange marchand traditionnel. Ici point d’automaticité des marchés et plutôt autorité brutale prise sous la forme de règlements ubuesques : prix et quantités imposés selon des règles précises, répartition du gâteau électricité nucléaire entre les marchands selon des règles tout aussi précises, réglementation concernant la gestion des conflits, la formation des prétendus contrats, etc. De quoi construire des programmes de travail pour une multitude de fonctionnaires bruxellois, de quasi-fonctionnaires d’autorités administratives indépendantes comme ceux de la CRE[3], de salariés d’EDF, de cabinets d’avocats et de conseils, voire de syndicats comme l’ANODE[4] et de lobbystes contestant tel ou tel arrêté concernant les modalités de fonctionnement de l’ARENH.

Des circonstances aggravantes.

Mais il faut aller plus loin, car l’électricité n’étant pas stockable les bourses de marché[5] utilisées dans les échanges ne peuvent se contenter d’un « prix spot » logiquement aligné- heure par heure- sur le coût marginal. Les marchands spéculent en effet sur le devenir des prix, d’abord en spéculant sur la demande à venir mais aussi en fonction d’une foule d’autres critères, d’où des marchés à termes lesquels vont utiliser toute la panoplie des instruments financiers au titre des couvertures[6]. Tant que les situations économiques, climatiques, géopolitiques, sont relativement stables les marchands d’électricité peuvent contrôler leurs marges. Ils sont d’ailleurs aidés en cela par l’accès à L’ARENH qui peut -moyennant rémunération- autoriser des différences entre l’appel négocié (demande programmée d’électricité) et l’appel réalisé (électricité nucléaire réellement achetée).

Tel n’est plus le cas si les coûts marginaux fluctuent de manière incontrôlée, par exemple avec la pandémie qui va voir le prix des énergies fossiles s’effondrer et, à l’inverse, s’envoler avec la reprise et surtout le risque climatique.

Durant la pandémie, les marchands d’électricité ont pu accroître leurs marges en spéculant à la baisse sur les prix de gros. Outre l’approvisionnement ARENH, on pouvait gonfler les contrats octroyés aux consommateurs avec un accès à très bon marché de l’électricité dont le coût marginal baissait en raison de centrales qui, désormais, connaissaient elles-mêmes un accès bon marché aux énergies fossiles. La pandémie perdurant, les marchands d’électricité pouvaient même prendre le risque de ne pas se protéger sur les marchés de couverture. Tout change avec la brutale et forte reprise : la spéculation à la baisse est devenue catastrophe et les marges disparaissent… alors même que l’accès à l’ARENH demeure inchangé. Les solutions sont logiques : des marchands doivent disparaître - éventuellement en ne respectant plus leurs propres engagements avec les consommateurs d’électricité- ce qui veut dire que malgré toutes les précautions, la clause du « hors commerce » qui caractérise le bien commun n’existe plus. L’autre solution consiste alors - lobbying  aidant- à tordre un peu plus le bras d’EDF et à exiger un déblocage de l’ARENH aux fins  d’obtenir des quantités croissantes d’électricité nucléaire[7].

Nous sommes de plus en plus loin… et du marché et du bien commun…. pour se rapprocher d’un ordre de plus en plus bureaucratique et complètement illégitime.

Les choses ne pourront que s’aggraver en enkystant le prix de l’électricité à un niveau durablement élevé.

Le coût d’un retour à la raison

En effet, la gestion de la transition climatique se base sur un marché du carbone dont on connait des limites finalement assez peu éloignées de celui de l’électricité. Sans exhaustivité on peut citer quelques difficultés majeures : difficulté de définir ce qu’on appelle les gaz à effet de serre, difficulté de définir la certification de l’émission carbone évitée ou échangée, manipulation du marché par des effets d’annonce tel celui du Green Deal de la Commission européenne ou de la taxe carbone, à venir aux frontières de l’UE, financiarisation excessive avec irruption des hedge funds dans le cadre de « l’Emission Trading System »[8], fraudes et comportements de passagers clandestins,  etc[9]. Cette gestion devenue parfois panique vient considérablement et durablement relever le coût marginal puisque les dernières centrales électrique mises en activité au titre des besoins de la relance sont pénalisées par la spéculation sur la transition climatique. Parce que ces centrales sont animées par de l’énergie fossile elles contribuent - marché du carbone oblige- à augmenter considérablement le prix de l’électricité, mais aussi ses fluctuations et ainsi à transformer l’énergie électrique  en bien marchand complètement instable : Prix élevés et instables qui handicapent et désorganisent une partie de l’industrie.

Ainsi l’ensemble de l’industrie sidérurgique[10] est profondément touchée par le phénomène, d’où le nouveau bricolage qui consiste à prévoir dans la partie décarbonation du plan de relance français une aide au profit de l’industrie victime des nouveaux prix de l’électricité. Au final la fin d’une électricité comme bien commun handicape gravement une industrie qui voit dans la montée de ses coûts une barrière aux investissements de décarbonation.

La France peut-elle rompre avec le processus de libéralisation du prix de l’électricité ? En théorie, en acceptant de tordre le bras de la réglementation, il est possible d’en revenir au modèle antérieur. Il est donc possible de retrouver un prix permettant de renouer avec l’idée de bien commun, un prix entre le coût du nucléaire et celui des centrales classiques. Cela suppose la fin de l’interconnexion du réseau au sein de l’espace européen et de retrouver le monopole national sur les frontières de l’hexagone. Mais là aussi existe un prix à payer. Il faudrait en effet prévoir rapidement la construction de centrales nouvelles permettant de faire face aux pointes de demande que la mutualisation permettait d’aborder plus aisément. Contrairement à ce qu’a affirmé le président de la CRE, il ne faudrait pas construire 40 centrales au gaz mais probablement quelques unes qui en toute hypothèse viendraient amoindrir la compétitivité. La très grave erreur de la France qui n’a pas été capable de résister à l’aube des années 2000 aux pressions bruxelloises, ne se réparera pas facilement. Ajoutons à cela que la critique permanente du nucléaire français a fait disparaître des générations d’ingénieurs et d’étudiants qui se sont investis ailleurs. Des générations remplacées- au-delà des marchands sans boussoles- par des fonctionnaires à cheval sur le monstre « marché de l’électricité », fonctionnaires aidés par des prédateurs financiers  armés de juristes et prétendus gestionnaires,  qui ne produisent que du désordre. Comme quoi une politique économique sérieuse ne peut être laissée à des amateurs.

 


[1] Rodotà S ; « Vers les biens communs. Souveraineté et propriété au 21ième siècle » Tracés, 2016.

[2] Accès Réglementé à l’Energie Nucléaire Historique.

[3] Commission de Régulation de l’Energie. Nous invitons le lecteur à se rendre sur le site de CRE pour qu’il puisse se rendre compte du caractère proprement ubuesque des décisions prises par ce type d’instance qui dans son idéologie officielle est préoccupée par la transparence du marché.

[4] Association Nationle des Opérateurs Détaillants en Energie.

[5] Epexspot, Nordpool, Omel.

[6] Puisque le marché à terme est aussi un pari sur un prix futur il faut se couvrir financièrement sur le risque correspondant et donc la couverture est l’opération financière qui permet de limiter  le risque pris.

[7] C’est très exactement ce que demande l’ANODE auprès de tous les bureaucrates qui tournent autour de l’ARENH.

[8] Bourse mise en place par La Commission Européenne.

[9] Sur toutes ces questions on pourra consulter l’excellent ouvrage de Benjamin Coriat : « Le bien commun, le climat et le Marché, Réponse à Jean Tirole » ; Les liens qui libérent ; 2021.

[10] Cf Le Monde du 27 octobre 2021 : « Pour les aciéries, la facture d’électricité » flambe » ; Laurie Monier.

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29 août 2021 7 29 /08 /août /2021 14:20

Le principe d’explication du passage de l’accumulation fordienne classique - celle des trente glorieuses- à l’accumulation spéculative- celle qui repose sur les paris sur fluctuations de prix et implique une immense transformation du monde- a été expliqué au cours des 2 premières parties du présent article, la première étant publiée le 20 août et la seconde le 26 août dernier. Répétons encore une fois que cette transformation est globale : économique (rappelons-nous de « l’entreprise-tableur » de Gomez), sociale, politique, idéologique.

Répétons aussi que si cette transformation concerne tous les pays de l’OCDE, elle n’est pas vécue de la même façon en raison des caractéristiques culturelles propres à chacun des pays. Globalement les pays anglo-saxons et de l’Europe du nord étaient beaucoup mieux armés aux principes d’individualisation, d’autonomie, de responsabilité personnelle, de méfiance vis-à-vis de la loi, etc. qui fertilisaient déjà le monde de la spéculation à venir. En revanche, la France fût amenée à souffrir beaucoup plus en raison d’une culture nationale très adaptée au fordisme classique et très étrangère au capitalisme spéculatif. La France se distinguait déjà et se distingue encore par des traits que l’on ne retrouve nulle part ailleurs : sa passion pour l’égalité, une autre plus limitée pour la propriété, une  recherche de position honorable pour tous avec des valeurs telles la logique de l’honneur, la fierté d’être citoyen, la laïcité,  les droits de l’homme,  l’idée de mérite ; une méfiance au regard du marché débouchant sur la préférence de la loi sur le contrat. Et une « loi » qui peut être rapidement changée par un Etat soucieux de respecter Les « valeurs fondamentales ». Rien à voir avec la « règle » intangible que l’on retrouve dans les cultures plus ordo-libérales en particulier celle du monde germanique où la justice est d’abord procédurale, et la « règle » méta-constitutionnelle. A l’inverse, dans le monde français, les jeux économiques s’enracinaient dans l’idée d’une « justice résultats », et s’ils apparaissaient inacceptables au regard d’une majorité, il convenait de corriger le marché pour se diriger vers davantage d’égalité. Cette quête, certes avec moins de force que par le passé, reste encore d’actualité.

De ce point de vue l’entreprise fordienne classique, celle qui travaillait dans un monde sécurisé par un ordre monétaire sécurisant ; celle qui pouvait partager des gains de productivité importants ; celle qui pouvait protéger une relative égalité ; celle qui pouvait maintenir des corporations, des statuts, des régimes spéciaux ; celle qui pouvait contenir le « mépris de ceux d’en haut » qui eux-mêmes restaient présents dans l’usine, etc. était un lieu acceptable pour une communauté de destin. Au fond l’entreprise fordienne était aussi l’outil susceptible de faire vivre l’idéal révolutionnaire français dans lequel - non pas la « Nation »- mais « l’entreprise », devient « un corps d’associés vivant sous une loi commune »….on est loin du monde qui devait naitre avec sa division entre les « sommewhere » et les anywhere »…

Et parce que sa disparition mettait fondamentalement en cause le contrat social français il appartenait à l’Etat-providence de très rapidement se substituer à son absence. D’où par exemple la  montée des dépenses sociales et des prélèvements obligatoires dès l’époque du président Giscard d’Estaing, c’est -à-dire quelques années après la fin de Bretton woods et des déverrouillages correspondants. Le résultat est ainsi très clair : Le gigantesque Etat providence français est le produit d’une contradiction fondamentale entre l’ordre spéculatif, celui dont la réalité intime est un gigantesque ordre de parieurs sur de simples fluctuations de prix, et une réalité culturelle qui invite , consciemment ou non, à ne pas l’accepter.

Mais il faut aller plus loin car l’ordre nouveau, incapable même là où il est accepté de produire des gains de productivité partageables, sera bien sûr incapable de réaliser des prouesses là où il est très contraint c’est-à-dire en France. Les parieurs français et même ceux qui restent « capitalistes à l’ancienne » ont raison de se plaindre de la faiblesse de rentabilités mangées par l’Etat- providence. Ils ont raison de se plaindre car même les vrais paris, ceux de l’investissement industriel réel, sont difficiles à envisager en raison de la faiblesse des marges et de la rentabilité. Phénomène qui accélère une désindustrialisation plus rapide que partout ailleurs. Avec des phénomènes aberrants, par exemple le départ d’usines dans le sud pour retrouver de la rentabilité et, en contrepartie,  l’arrivée de populations de ce même sud attiré par les merveilles de l’Etat providence français….La France se vide de ses usines mais se remplit de personnes en quête d’un mieux vivre. Tel est l’effet de l’étrangeté de la nouvelle organisation du monde face à la culture française. Avec cette conclusion fondamentale peu connue : l’économique nouveau est responsable de l’obésité croissante d’un l’Etat-providence qui vient étouffer l’économique….

Depuis plusieurs dizaines d’années, les entrepreneurs politiques français se sont épuisés à tenter de remédier aux effets dont ils chérissaient les causes. Et parce que baignant dans la rationalité de la théorie économique propre à produire l’adhésion au nouveau monde, ils se sont attachés à réguler les phénomènes accessoires, à savoir ce qui est de l’ordre du sociétal. Parce qu’il était devenu impossible de produire de l’émancipation économique et sociale, les mêmes entrepreneurs politiques se sont tournés vers l’émancipation sociétale. L’égalité ne pouvant plus passer par un combat central sur l’économie, il faudra passer par des combats secondaires tels le genre, ou la couleur de la peau. Le paradigme peut rester le même mais l’égalité ne passe plus dans la transformation des « rapports sociaux  de production », mais dans celle de la fin de discriminations, d’injustices sociétales, de mépris réels ou supposés, la quête de libertés nouvelles, etc. Ce faisant ils travaillent pour un changement culturel et aident la culture narcissique qui est le complément de la spéculation généralisée : l’attention extrême du marketing aux singularités et à la mise en avant du moi. Choix difficile car, ainsi que le rappelle Kaufmann,[1] la mise en avant du moi et des libertés correspondantes s’accompagnent nécessairement d’un cadre normatif contraignant[2]…lequel sera lui-même contesté au nom des exigences de la liberté…

Mais les entrepreneurs politiques français savent aussi qu’il faudrait sortir par le haut de la contradiction entre les valeurs françaises et l’ordre nouveau. C’est ainsi qu’ils  voient dans le « progressisme » l’ultime possibilité de s’en extirper : le oui généralisé à de nouvelles revendications sociétales réelles ou supposées se doit d’être accompagné de réformes structurelles exigées par les parieurs. Nous resterons enkystés dans les réformes des retraites, du financement de la sécurité sociale, celui du chômage, etc….sans même jamais parler d’une réforme de la finance.

Au terme de plusieurs dizaines d’années  de politiques publiques désastreuses, force est de constater que ni la voie sociétale, plutôt de gauche, ni la voie économique, plutôt de droite, ne sont capables d’extirper la France de son bourbier. Ces mêmes voies toutes pratiquées depuis plusieurs dizaines d’années,  se méfient probablement de l’idée d’un grand soir qui fait peur à tous les entrepreneurs politiques. La France est ainsi au pied du mur : elle constate son quasi effondrement multidimensionnel, mais une grande peur l’empêche de se tourner vers un grand soir dans un contexte d’incertitude sanitaire, climatologique, environnementale, géopolitique.

L’élection présidentielle prochaine sera donc comme les autres : un choix entre personnes tournées délibérément vers l’impuissance. Et un choix qui pourra s’appuyer sur de nombreux travaux académiques, qui à l’instar de ceux déjà signalés dans la fin de la partie 2[3] du présent article, ne vont pas jusqu’au bout des causes de notre drame, à savoir l’inadaptation radicale entre le monde exigé et régulé par les parieurs et une réalité culturelle qui certes évolue mais beaucoup moins rapidement que ce qui est attendu.

Les entrepreneurs politiques n’osent pas s’attaquer au cœur du système, à savoir une finance mondialisée regroupant des millions d’acteurs solidaires disposant de l’allumette fatale. Ils constatent probablement que ces millions d’acteurs ont de fait provoqué la transformation des entreprises, que des  managers - beaucoup plus nombreux encore- ne sont plus que des esclaves du reporting[4], que les cadres les mieux formés sont impliqués dans des activités nuisibles[5], etc. Ils ne sont pas armés pour comprendre la mécanique profonde du nouveau monde et ne sont pas aidés par les économistes qui continuent selon le mot de Noam Chomsky à « fabriquer du consentement [6]».

Pour autant la présente situation de monétisation massive pourrait devenir le point d’appui d’une prise de conscience et de la clé de voûte d’un programme. Et sans parler de grand soir, un candidat qui chercherait à sortir de l’impuissance générale pourrait introduire une réflexion de bon sens : « la monnaie est un bien commun, comme l’eau ou l’électricité, et à ce titre ne peut être fabriquée par une instance indépendante de la communauté politique au seul profit de la valorisation d’actifs financiers détenus par une petite minorité ».

De cette réflexion pourrait découler un programme basé sur le retour du caractère commun de la monnaie ce qui implique le contrôle  de la banque de France par l’Etat. Cela passe par un acte de souveraineté dont la portée se dirait limitée en négociant le maintien de la Banque de France dans le Système européen de banques centrales.

A ce niveau, nous laissons au candidat le soin d’imaginer la forme de son programme. Toutefois il devrait suivre une articulation dont nous présentons les principaux points à partir d’un outil fondamental et devenant, bizarrement,  très à la mode à savoir la monnaie digitale de banque centrale (MDBC). Nous avons déjà souvent évoqué l’idée de MDBC et renvoyons à divers articles du blog consacré à cette innovation[7].

On trouvera ci-dessous la piste générale qui autoriserait le point de départ de la reconstruction générale du pays. Un chemin que nous considérons comme préambule à tout programme politique concret à présenter lors de la prochaine élection présidentielle. Et un programme qui serait une rupture sans produire la grande peur d’un grand soir annoncé.

1 - Il est proposé d’ouvrir pour chaque agent (citoyen, entreprise, etc) un compte en monnaie digitale de la banque de France. Appelé « portefeuille digital » il remplacerait classiquement billets et pièces.

2 - Les banques sont invitées à effectuer les opérations nécessaires auprès de la Banque de France qui devient au-delà de son statut de banque centrale, l’établissement bancaire de tous les français.

3 - les banques sont invitées à transférer, selon les désirs des clients et très progressivement, une partie de plus en plus importante des dépôts dont elles avaient la garde jusqu’ici.

4 - A moyen terme (5 années ?) la banque de France devient l’infrastructure générale de la circulation monétaire, son travail consistant au niveau d’un bilan beaucoup plus important à enregistrer des milliards de décisions quotidiennes effectuées par les divers agents depuis leur portefeuille numérique.

5 - le projet doit être politiquement vendu comme mesure de rationalisation autorisée par les nouvelles technologies, les infrastructures monétaires d’aujourd’hui, peuplées d’intermédiaires bancaires, étant devenues obsolètes. Le projet est donc présenté comme moderne et idéologiquement « progressiste ».

6 la Banque de France devient seule créatrice de monnaie. Au-delà, la monétisation actuelle des dettes publiques et privées est remplacée par des interventions hors marché. Le compte du Trésor est ainsi abondé sans passer par la spéculation sur les dettes. L’Agence France Trésor abandonne progressivement ses activités de financement de l’Etat. Ce grand remplacement est progressif et programmé dans le temps.

7 -  La banque de France prend progressivement en responsabilité le travail de couverture sur les marchés des devises, des crédits et des taux. Son travail de sécurisation réduit progressivement les paris correspondants, ces derniers devenant inutiles et coûteux pour l’économie réelle. Cette prise en responsabilité des couvertures devient concrètement pour les agents, notamment ceux impliqués dans les activité internationales, un rétablissement des taux de change fixes.

8 -  La prise en responsabilité des couvertures pour la circulation de capital est décidée par une Banque de France  désormais sous l’autorité de L’Etat.

9 -  La banque de France est autorisée à intervenir sur tous les marchés à terme de marchandises afin de réduire les bulles spéculatives.

10 -  Le paiement de l’impôt se fait progressivement en monnaie digitale de banque centrale. Se rétablit ainsi progressivement le circuit du Trésor cher à Block Lainé.

11 -  le rachat d’actions devient interdit et pénalement sanctionné.

12 -  les banques se réorientent dans les activités de crédit et de financement des investissements à partir d’une épargne collectée sur les marchés. Les activités dits de « haute banque » restent naturellement autorisées. Les activités de paris sur simples fluctuations de prix à très court terme leur sont strictement interdites.

13 - Le « Shadow banking » aligne ses activités sur celles des banques et les paris sur simples fluctuations de prix à très court terme leurs sont aussi strictement interdites.

14 -  Les banques  pourront bénéficier de la monnaie de la Banque de France sur la base d’engagements précis au titre de la reconstruction du pays. Des « contrats de création monétaires » donneront une priorité aux activités productives soucieuses des risques environnementaux et climatiques. Des contrats du même type fixeront un objectif d’accroissement de la population active occupée.

Bien sûr le lecteur averti se rend compte que de telles propositions ne peuvent laisser insensible la question de l'euro. L'interrogation  est ici de savoir dans quelle mesure une monnaie digitale de banque centrale peut être une solution à la pérennisation de la monnaie unique. Nous y reviendrons.

Il est évident que de telles propositions se heurteront  à la puissance de lobbys qui avanceront mille questions juridiques. Des questions qui là encore feront apparaître une opposition culturelle à trancher de façon très claire. Passer par le Parlement c’est passer par une loi qui, du point de vue ordo-libéral, ne respecterait plus la « règle ». Rappelons que la règle est dans ce monde au dessus de la loi et qu’elle est de portée constitutionnelle voire méta-constitutionnelle. La question de cette grande transformation comme préalable à tout programme de redressement du pays doit donc passer par voie référendaire.

Ces quelques principes qu’il faudrait bien sûr détailler et expliquer sont une condition nécessaire au dépassement des politiques publiques qui depuis près de 50 années ont dramatiquement affaibli le pays. Mais là encore l’acceptation des changements proposés doit reposer sur la reconnaissance d’un diagnostic partagé, celui d’une contradiction entre un socle culturel  et des pratiques spéculatives qui exigent son effacement. Un débat qui doit être lancé sans délai.

 

[1] Cf l’article : « Sur les libertés nous confondons le principe et la réalité » publié dans le Monde du 27 aout 2021.

[2] Cette question non abordée dans le cadre du présent article est fondamentale et questionne le monde spéculatif. Ainsi la grande liberté des parieurs se traduira par des exigences considérables en termes de management. Il faut tout connaitre de l’entreprise sur laquelle on spécule et c’est la raison pour laquelle on entoure tous les stades du management d’un foule d’exigences et de contraintes. Ce que nous avions déjà évoqué dans la partie 2 du présent article. Le monde de la spéculation est donc d’abord un monde très bureaucratique entrainant l’affaissement généralisé du principe de liberté managériale. Cela fait partie des ressentiments constatées dans toutes les organisations nouvelles.

[3] Notamment Pierre Rosanvallon et Patrick Artus.

[4] Les « bulshit jobs » chers au regretté David Graeber

[5] Par exemple l’énorme consommation de grands mathématiciens qui préfèrent la finance à l’industrie.

[6] C’est le titre de son ouvrage traduit et publié en 2008 chez Contre-feux – Agone.

[7] Notamment : http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/01/l-enjeu-politique-des-monnaies-digitales-de-banques-centrales.html

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20 août 2021 5 20 /08 /août /2021 09:38

 Les handicaps du capitalisme spéculatif dans les anciens pays développés sont aujourd’hui connus et ne souffrent plus  de contestations. La liste est longue et peut être déclinée sous la forme d’un enchaînement plus ou moins approximatif de causes et d’effets : mode organisationnel de plus en plus déséquilibré entre propriétaires ( actionnaires) et salariés[1] ; faible investissement dans l’économie réelle[2] et financiarisation croissante de toutes les activités humaines ; croissance faible ; disparition des gains de productivité et perte de compétitivité au profit de géants asiatiques ; endettement devenu colossal des acteurs privés (ménages, entreprises) ; dette publique devenue abyssale débouchant de plus en plus sur une simple monétisation ; hausse considérable des prix des actifs, accumulation patrimoniale déséquilibrée génératrice de très fortes inégalités sociales[3] ; concentration croissante dans toutes les branches d’activités avec formation de rentes défavorables à la recherche et l’innovation[4].

La France ajoute à ces caractéristiques communes ses propres spécificités. La non acclimatation du néolibéralisme à la culture fondamentale du pays a entrainé des politiques de compensation, avec en particulier la prise en charge par l’Etat des effets les plus contestés des caractéristiques organisationnelles imposées à l’échelle mondiale. D’où des dépenses sociales - très bureaucratisées- beaucoup plus élevées que dans l‘ensemble des pays de l’OCDE ; d’où aussi des prélèvements obligatoires plus importants et au final une dette publique très élevée dans un contexte de sous compétitivité et de désindustrialisation plus marquée que dans les autres pays. La crise sanitaire vient d’élargir le périmètre de cet interventionnisme avec les programmes d’aides aux entreprises, programmes correspondant à un travail de « zombification » partielle de nombre d’entreprises déjà malades de la mondialisation.

Cet ensemble de handicaps qui caractérise le capitalisme moderne, est bien sûr à comparer à l’ancien régime d’accumulation autrefois appelé fordisme. Dans ce régime, le rapport de forces au sein de la grande entreprise était fort différent et les actionnaires y tenaient une place beaucoup plus réduite. Ce type organisationnel fut largement théorisé par James Burnham[5], à la suite d’autres auteurs américains qui avaient déjà observé concrètement la puissance des managers vis-à-vis des propriétaires[6]. Ce rapport de force fort différent explique largement les caractéristiques essentielles du capitalisme de l’époque : investissement matériel beaucoup plus élevé assurant la construction du pouvoir symbolique de managers non propriétaires ; croissance globale beaucoup plus élevée ; recherche de rationalisation et d’innovations elles-mêmes porteuses de pouvoirs symboliques ; gains de productivité très élevés ; redistribution de ces gains aux salariés dans un contexte d’actionnariat non dominant ; demande globale nourrie par des profits qui se réinvestissent massivement et des salaires qui se dépensent. Dans le cas français, les choses sont encore plus simples car un tel modèle correspond davantage à la culture française où la liberté est beaucoup moins ancrée dans la propriété que dans le monde anglo-saxon. C’est dire que culturellement ce qu’on appelait fordisme correspondait à une sorte d’idéal français avec, de fait, un travail coordonné entre « managers/organisateurs » publics et « managers/organisateurs » privés . D’où une planification indicative fort éloignée du « Nudgisme » et plus proche de l’idéologie d’un intérêt général. D’où aussi une cohésion sociale moins difficile car moins inégalitaire que dans le capitalisme de spéculation[7].

Le moteur du passage de l’accumulation fordienne à l’accumulation spéculative est bien évidemment la finance qui, en se développant, va donner des armes à l’actionnaire et lui permettre de changer le rapport de forces à l’intérieur de l’entreprise et transformer le manager en serviteur volontaire de la finance. Reste à savoir pourquoi elle va se développer, et progressivement transformer tous les acteurs internes de l’entreprise en esclaves de sa logique. Nous renvoyons ici à la lecture d’un ouvrage fondamental rédigé par notre collègue Pierre-Yves Gomez[8]. Cet auteur explique de façon détaillée la métamorphose de l’entreprise, à partir d’une décision du gouvernement américain, dans un contexte a priori très éloigné de notre sujet[9]. Nous souhaitons quant à nous aller plus loin, et voir que  c’est la fin du système monétaire de Bretton Woods[10], qui est peut-être le premier  big bang de l’accumulation spéculative.

Parce que le système de Bretton Woods restait encore rattaché - certes de très loin- au métal précieux, le monde vivait plus ou moins encore dans le système d’étalon-or du 19ième siècle. Il était donc fait de rigidités : difficultés d’imprimer des dollars au-delà d’une certaine limite, en raison de la menace de la conversion en or par des banques centrales partenaires, tenues en laisse par les Etats participants. N’oublions pas qu’à l’époque, les dites banques ne jouissaient pas de la fiction d’une indépendance leur permettant d’être au service de la finance comme aujourd’hui. Cela signifiait qu’il fallait aussi limiter la création monétaire par les banques américaines dont une partie de l’activité internationale permettait le développement du déficit de la balance des paiements ; donc  le gonflement des « balances dollars », dont le montant était régulièrement comparé à la masse de métal tenu par le gouvernement américain. La rigidité était aussi celle des taux de change qui ne pouvaient connaître de variations qu’à l’intérieur d’un couloir très étroit (plus ou moins 1%).

Globalement, le système de Bretton Woods était encore le frein d’un nomadisme financier toujours prêt à sortir de sa marmite. La spéculation sur les taux de change était peu envisageable car peu rentable : les modifications de parité sont  -politiquement non pas interdites- mais très difficiles à envisager. Cela signifie un commerce international sécurisé. Les mouvements de capitaux sont limités et un contrôle des changes vient brider le nomadisme afin de respecter l’engagement sur la fixité des taux. Le déficit américain doit rester contenu et sa pression inflationniste sur les autres pays doit être limitée pour - là encore- maintenir la fixité des taux. Au-delà, nous sommes  encore dans un monde où, selon la thèse de Burnham et ses nombreux collègues[11], « l’Organisateur » public ou privé est un être rationnel au service d’une idéologie de l’intérêt général qu’il veut servir pour en tirer des avantages symboliques. Et cet organisateur rationnel veut de la stabilité. Cela signifie que la finance ne peut se déployer à partir de « paris » sur de simples fluctuations de prix. Les seuls risques éthiquement envisageables se font sur l’investissement matériel, lequel doit se déployer dans un monde stable et sécurisé. C’est ainsi qu’à l’interdiction de la spéculation sur la monnaie va, de fait, s’ajouter  une certaine interdiction de la spéculation sur la plupart des autres marchandises. Le système organisationnel mondial chapeauté par celui de Bretton Woods fera que nombre de marchandises internationales verront leur prix fluctuer dans d’étroites limites. C’est bien évidemment le cas du pétrole dont la valeur du baril va rester stable jusqu’au début des années 70…précisément jusqu’à l’écroulement de Bretton Woods….

La fin de Bretton Woods est précisément la fin d’un monde sécurisé lequel deviendra un gigantesque marché pour une finance libérée. Concrètement la fin de la convertibilité du dollar en or débouchera en 1974 -et plus encore en 1976 avec les accords dits de la Jamaïque-  sur la fin des taux de change fixes, et donc sur des risques majeurs de changement de parité, à l’adresse de tous les acteurs du commerce international. L’économie financière qui, à quelques exceptions près, se confondait avec l’économie réelle et les limites étroites de ses investissements très matériels, va pouvoir s’en détacher. Désormais, elle va pouvoir s’annoncer comme marchande de sécurité sur une réalité mondiale économiquement désécurisée. Son premier très gros marché sera celui des devises abandonnées par la disparition de l’ordre de Bretton Woods. Il est aujourd’hui un marché quotidien représentant environ 3 fois le PIB annuel de la France. Exprimé autrement ses échanges quotidiens sont plus de 1000 fois supérieurs à la production matérielle quotidienne de la France… Et puisque ce premier gigantesque marché est un achat/ vente de couverture de risques (chaque opération est un risque qu’il faut couvrir car l’objet échangé n’est qu’un gain ou une perte future), il faut bien que le « parieur » (trader)  puisse reporter le risque sur un autre. Par essence le marché de la couverture de l’insécurité ne peut être que fortement croissant. Développer l’insécurité devient ainsi la matière première ultime de la finance[12].

Désormais, le vieux fordisme n’est plus accompagné dans sa logique rationnelle par une finance qu’il contient et qu’il maitrise. C’est, à l’inverse, une  finance dévorante qui doit être accompagnée et aidée par ce même vieux fordisme. Ce dernier doit donc se transformer radicalement avec l’émergence d’entreprises d’un nouveau type dont la seule vocation sera de produire de la valeur. Est-ce à dire que les anciennes entreprises dites fordiennes ne produisaient pas de richesses ?

Nous approfondirons ultérieurement ce thème dans une seconde partie.


[1] Au cours des 30 dernières années, dans les pays de l’OCDE, les salariés ne récupèrent que 45% des gains de productivité du travail du travail, le solde allant directement vers les actionnaires.

[2] Par le biais de rachats massifs d’actions dans les 500 plus grandes entreprises américaines, c’est seulement 7% des profits réalisés au cours de la dernière décennie qui vont se transformer en investissements dans l’économie réelle.

[3] La seule richesse immobilière passe d’une valeur de 70% du PIB en 1998 à 340% en 2020.

[4] La concentration se mesure par l’élévation de la part de marché dans les différentes branches au profit des entreprises les plus importantes. Cette concentration s’est considérablement élevée aux USA au cours de ces dernières années, phénomène accéléré par la crise sanitaire.

[5] Sa thèse fondamentale ne fût traduite en France qu’en 1947 chez Calmann-Lévy. Son titre : « l’Ere des organisateurs ».

[6] On peut citer ici les travaux d’Adolf Berle et Gardiner Means.

[7] Ce point est sans doute à nuancer car, bien avant le capitalisme spéculatif, il existait aux USA une certaine coordination entre ce qu’on appelait le « big business » et le « big government » .

[8] « L’esprit Malin du capitalisme » ; Desclée De Brouwer ; 2019.

[9] Il s’agit de la loi ERISA (Employer Retirement Income Security Act) du 2 septembre 1974 qui va transformer les caisses de retraites des entreprises en établissements financiers autonomes désormais chargés de diversifier leurs placements. Cette loi est le point de départ d’un fantastique développement de la Bourse et le fait que désormais une partie des retraites ne dépend plus de l’entreprise concrète de jadis mais du rendement d’un capital devenu abstrait. La richesse dépendra de moins en moins de l’économie réelle et de plus en plus de l’économie financière.

[10] Nous venons d’enregistrer le cinquantième anniversaire de sa disparition le 15 aout 1971.

[11] Collègues comme John Kenneth Galbraith et Alfred Chandler aux USA ou Michel Crozier voire Alfred Sauvy en France.

[12] Les outils de la finance sont bien sûr connus des praticiens. Pour autant Ceux -ci n’ont qu’une conscience limitée de la réalité de leurs pratiques. Pour une analyse détaillée des mécanismes fondamentaux de la finance le lecteur pourra se reporter sur l’article suivant : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-finance-et-droit-le-couple-impossible-122457721.html

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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 09:18

La pandémie semble bouleverser bien des points de vue et il parait aujourd’hui probable que les politiques industrielles constitueront une pièce majeure des débats lors de l’échéance présidentielle de 2022. Toutefois on parlera beaucoup d’industrie mais beaucoup moins du vecteur monétaire et en particulier la question de l’euro ne sera, à priori, plus à l’ordre du jour.

Dans un monde qui ne remettra pas en question l’économie de marché, l’industrie, comme les autres activités se déploie dans un canevas monétaire qui vient en dessiner la structure et les contours. Par exemple, côté structure, c’est bien aussi les prix relatifs du capital et du travail qui viennent dessiner le choix de la combinaison productive. Par exemple si le prix du travail diminue et que celui du capital augmente on privilégiera des organisations plus utilisatrices de travail.  Côté contour, c’est bien un système de prix qui vient fixer le poids et la qualité de la production par rapport à celui des services et des échanges, la part des importations et des exportations, etc.

On voit aussi que le système de prix est lui-même hiérarchisé et que l’un d’entre-eux, le taux de change,  est en réalité la clé de voûte de l’ensemble, avec d’emblée un statut de variable explicative, au moins partielle, de la totalité  macroéconomique étudiée.

Très simplement dans le cas de l’Europe, c’est bien un taux  de change d’un  type nouveau qui va massivement redessiner la macro économie grecque depuis le début du 21ième siècle. Parce que ce taux devient étranger à la réalité grecque- cotation élevée de l’euro contre Drachme de valeur faible-  les investissements se détourneront de la production au profit du commerce et de la distribution . Produire dans une zone déjà peu industrialisée  avec un taux de change élevé n’est guère rationnel, et ce qui pouvait être exporté avec un taux de change faible ne l’est plus avec un taux plus élevé. Par contre distribuer devient très rationnel et le taux de change élevé devient gain de pouvoir d’achat international. On comprend par conséquent la suite  des évènements : on produit moins, on consomme davantage, une consommation elle-même aidée par une autre distribution , celle du crédit…. et donc l’endettement est au bout du chemin.

Ce petit rappel d’une grande banalité doit être au cœur des réflexions de ceux qui dans beaucoup de mouvements politiques veulent reconstruire les bases industrielles de la France.

En allant plus loin, ce même petit rappel montre à quel point le taux de change était  un outil essentiel hélas perdu . Pour un pays comme la Grèce et bien d’autres pays du sud, son abandon  vient dessiner un système de prix aux  conséquences  majeures :

Le taux de l’intérêt se trouve plus faible qu’à l’époque de la Dracme, de la Peseta, de la lire, du Franc, etc; Le niveau de  dépense publique se trouve moins contraint que par le passé ; les contraintes en termes de recettes fiscales fléchissent ; l’endettement privé qu’elle qu’en soit sa destination devient plus aisé ; les importations moins couteuses peuvent croitre ; le prix du travail devient trop élevé ; l’investissement interne devient moins rentable ; l’investissement externe l’est davantage ; les exportations deviennent peu compétitives ; le cout des services explose ; etc.

De quoi modifier tous les comportements de tous les acteurs et d’entrainer des conséquences macroéconomiques majeures.

Ces modifications d’un système de prix orchestrées par un taux de change inadapté va aussi développer des effets majeurs sur les soldes financiers traditionnels, ceux désignés par les comptables nationaux par les expressions classiques suivantes : « secteur des administrations publiques », « secteur privé » (ménages et entreprises financières ou non), et « reste du monde ». Comptablement on sait que la somme algébrique des soldes financiers de ces 3 secteurs est égale à zéro. Ainsi quand la somme des soldes internes est négative (administration publique + secteur privé) cela signifie que le reste du monde bénéficie d’un solde positif pour un même montant…ou autre façon, plus simple, de s’exprimer : le pays entre en déficit au regard de son extérieur.

Quand par conséquent le vecteur monétaire est inadapté - dans le cas de l’Europe du sud, lorsque le taux de change est trop élevé par rapport au reste du monde y compris l’Europe du nord- l’évolution des soldes financiers devient problématique : déficit des administrations publiques, excédent du reste du monde ( donc déficit de la balance extérieure du pays) et solde de l’économie interne qui n’est que la conséquence des deux premiers. 2 situations possibles : si le déficit des administrations publiques est inférieur à celui de la balance extérieure, le secteur privé devient déficitaire ; à l’inverse si le déficit des administrations publiques est supérieur à celui de la balance  extérieure le secteur privé devient excédentaire.

Dans le premier cas, à solde extérieur donné,  le secteur privé laisse apparaitre un déficit financier résultant d’une alimentation trop faible en termes de ressources publiques. A  solde public donné, ce même secteur privé souffre d’une fuite de ressources vers l’extérieur. Le secteur privé (entreprises et ménages) s’étiole. Une situation d’étiolement qui peut connaitre des configurations variées par exemple en termes d’endettement trop lourd des entreprises, en termes d’épargne insuffisante des ménages, en termes de taux de marge trop faible eu égard à la concurrence, en termes de gains de productivité durablement inférieurs à ceux de la concurrence externe, en termes d’investissements de rente et non d’affrontements concurrentiels, etc. des configurations diverses qui hélas caractérisent assez bien  la réalité  des pays du sud de l’UE.

Dans le second cas, le secteur privé souffre d’une fuite vers l’extérieur mais se trouve surcompensée par l’alimentation publique.

Bien évidemment le second cas est préférable mais il se heurte à l’absence de souveraineté monétaire. En effet la grande question est de savoir comment financer le surplus de dépense publique, et un financement qui relève, on le comprend mieux maintenant, de la monétisation. Cette dernière ne pose pas de problème insoluble lorsque le pays concerné est monétairement souverain. Même lorsque la banque centrale est indépendante et que la dette publique fait l’objet d’un marché, un pays monétairement souverain développe une coopération entre sa banque centrale et son administration du Trésor. C’est en particulier le cas des USA où la Réserve fédérale soutient les « primary dealers » (l’équivalent des spécialistes en valeurs du Trésor de notre agence France Trésor) et veille à l’implication et  la rentabilité de ces derniers afin d’assurer le bon placement de la totalité des bons du Trésor. Avec une telle coopération même le gigantesque déficit engendré par les plans Biden se trouve financé avec des taux durablement faibles. Bien évidemment une telle coopération suppose une attention sur les risques inflationnistes, toutefois eux-mêmes maitrisables en raison d’un retour à forte croissance et donc à forte exigence en termes de disponibilités monétaires. Au-delà des modalités techniques de cette coopération entre Département du Trésor et Réserve fédérale, chacun aura compris qu’i y a mix des marchés primaire et secondaire de la dette publique, et qu’il y a donc complet dépassement de l’idée d’indépendance de la Réserve fédérale.

L’Union Européenne est l’inverse d’une zone de souveraineté monétaire et donc les pays du sud handicapés par une fuite vers l’extérieur ( taux de change trop élevé) ne peuvent compenser le saignement du secteur privé par un déficit lourd des administrations publiques. La BCE ne peut – au moins jusqu’à maintenant-répondre facilement et directement aux appels des Trésors en difficulté dans le sud de la zone. Ce fût le cas de la Grèce avec une BCE qui ferme le robinet. C’est potentiellement encore le cas de l’ensemble du sud si la même BCE n’arrive pas à s’extirper de la main allemande[1].

Présentement, tant que la BCE reste encore fondamentalement ce qu’elle est, les réformes structurelles se doivent de rester à la mode. Puisque le secteur privé (ensemble entreprises et ménages) ne peut compenser le saignement ( tendance fondamentale au déficit extérieur résultant d’un  taux de change irréaliste) par la dérive des finances publiques, la solution réside dans sa dévaluation interne : moins d’Etat social, diminution du cout du travail, baisse du montant des retraites, etc. Et une baisse d’autant plus forte qu’il faut aussi rendre plus compétitif le sous- ensemble entreprises du secteur privé : baisse de l’impôt sur les sociétés, disparition des impôts de production, allégement de la normalisation et de la réglementation, regroupement des agences de régulation  etc. Ajoutons que cette recherche de compétitivité doit aussi se faire compte tenu d’un partenaire nouveau : un environnement économique et climatique qui  doit de plus en plus être respecté, ce qui oblige une  grand rigueur sur les objectifs de la dévaluation interne. Très concrètement le cout de la « loi climat » ne peut se financer que sur les gains de la dévaluation interne.

Tant que fondamentalement le corset monétaire reste ce qu’il est, il est très difficile pour une éventuelle politique industrielle de s’abstraire de la logique des réformes structurelles. C’est en particulier ce que l’on constate en France avec le plan de relance : pas de retour à une stratégie de branche, pas de vision claire à long terme, et simple accompagnement de la logique de la recherche de compétitivité.

Bien sûr la BCE va encore beaucoup évoluer et probablement va-t-elle réussir à s’extirper de la main allemande. Toutefois même en faisant disparaitre les dettes du sud par inondation monétaire ciblée, la question du saignement par le déséquilibre extérieur restera posée. Et il sera difficile de muscler le secteur privé en particulier le sous ensemble des entreprises en abandonnant toutes les règles européennes qui ne sont que règles complémentaires et indispensable au fonctionnement de l’euro zone.

Une réindustrialisation est un processus lourd et difficile. Mais sans souveraineté monétaire permettant le choix du taux de change, la démarche s’avère complètement impossible. La contrainte monétaire, avec bien sûr ces conditions telle celle de la liberté de circulation du capital, sera pourtant totalement exclue des débats à l’occasion de la future élection présidentielle française. A l’inverse on voit déjà se dessiner des morceaux d’embryons de programmes où l’on retrouve « ripolinisées » les vieux slogans de la compétitivité et de la concurrence : « capitalisme responsable avec objectifs sociaux », « performance ESG » (environnement/social/gouvernance), « fin de la logique du « fair value » dans les normes financières et comptables », « réglementation souple sur la commande publique », « pouvoir d’adaptation de la réglementation », « création d’ une agence des technologies de rupture », « rationalisation des aides à l’investissement », « abolition de l’extra territorialisation du droit américain ». La liste n’est limitée que par le manque d’imagination des joueurs sur les marchés politiques. Des joueurs qui bien sagement jouent à l’intérieur des règles du jeu d’aujourd’hui. Le lecteur constatera que même les joueurs les plus hardis semblent se recentrer sur les règles et ce afin de jouer dans la même cour que tous les autres.


[1] Il est sans doute possible de nuancer ce jugement à la lumière de nos nombreux articles sur le présent blog qui s’interrogent sur la transformation de la BCE en « proto-Etat ». De la même façon, nous semblons assister en Europe aux prémices d’une coopération entre Trésors et BCE, un peu à l’image de ce qui se passe aux USA. C’est ainsi que les Hedg funds spéculent sur les dettes européennes en se portant acquéreurs massifs sur les marchés primaires pour revendre dès le lendemain à la BCE, laquelle achète en se couvrant derrière ses programmes d’achats de titres destinés à soutenir l’économie. Ce type de comportement permet aussi de comprendre que depuis plusieurs mois les carnets d’ordre sont parfois 10 fois supérieurs aux quotas d’émissions (Cf Les Echos du 12 avril 2021).

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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 10:24

 

Beaucoup s’étonnent du double mouvement de la croissance de la dette et de l’épargne. Les valeurs correspondantes n’ont jamais été aussi élevées[1] et il conviendrait d’en expliquer le moteur à un moment où l’on voit la finance s’intéresser à la réforme des retraites en proposant les services d’une capitalisation. Le présent article tente de proposer un éclairage sur la question.

Une réalité fort banale

Raisonnons sur un monde clos composé d’acteurs : ménages, entreprises, Etat etc., qui se livrent classiquement à des activités économiques avec leurs échanges correspondants. A un instant quelconque, on peut construire la comptabilité de ces activités et constater logiquement que certains acteurs seront en « capacité de financement » : ils auront constitué une épargne, tandis que d’autres seront en « besoin de financement » et devront s’endetter. Tout aussi logiquement certains vont donc détenir des créances sur d’autres. 2 constatations s’imposent :

  • La dette et l’épargne sont les deux faces d’une même réalité ;
  • La somme des « besoins de financement » est strictement égale à la somme des « capacités de financement ».

Le lecteur pourrait s’étonner et se poser la question d’une situation dans laquelle tous les acteurs seraient des fourmis dépensières… Dans ce cas, il n’y aurait tout simplement ni épargne ni dette… et la somme des capacités et des besoins serait égale à zéro…  Les économistes diraient que la somme algébrique des créances et des dettes est nulle.

Le monde n’est toutefois pas clos et les agents économiques se livrent à des échanges avec l’étranger : exportation, tourisme, placement de capitaux à l’étranger, revenus de capitaux issus de l’étranger, etc. Les économistes vont donc intégrer ces relations dans le système initialement clos et vont produire la comptabilité d’un ensemble plus vaste. Pourtant, rien ne va changer car ces relations avec le reste du monde feront introduire par les comptables nationaux, un agent appelé précisément « reste du monde », agent qui permettra de retrouver la clôture d’un système plus global. C’est dire qu’au terme des activités des uns et des autres, on va retrouver des agents en « capacité de financement » et des agents à « besoin de financement ». Le lecteur comprendra que le compte  « reste du monde » n’est que le miroir de la « balance des paiements », et que, là encore, la somme algébrique des créances et des dettes est égale à zéro. Nous retrouvons toujours la même réalité : si « A » a pu s’endetter vis-à-vis de « B », c’est que « B » disposait des moyens nécessaires et donc, qu’il a financé « A » à partir de son épargne. Classiquement, si le solde des activités des agents internes d’un pays   est un « besoin de financement », le solde de la balance des paiements dudit pays révèlera un endettement vis-à-vis d’un « reste du monde » devenu créancier. Plus concrètement encore, si les ménages français connaissent un « besoin de financement » et s’il en est de même des autres agents (Etat en déficit, entreprises qui s’endettent etc.), cela signifie que ces besoins ont été comblés par une épargne en provenance du « reste du monde  : achat d’entreprises françaises, achat de dette publique française, couverture du déficit de la sécurité sociale française par émission d’obligations internationales, etc.  Cette dernière situation est un peu celle de nombre de pays y compris les USA où le gigantesque « besoin de financement » interne, essentiellement provoqué par le déficit du Trésor américain (6 points de PIB), est compensé par des achats de dette publique par le reste du monde, essentiellement la Chine qui en fut grosse acheteuse pendant de très nombreuses années.

Globalement, pour un pays quelconque, le « besoin de financement » de certains de ses acteurs et les modalités de son comblement (souscription d’actions, souscription d’obligations, prêts, titres de dette publique, etc.), n’est que la contrepartie des « capacités de financement » d’autres acteurs, des acteurs qui ont dégagé une épargne, laquelle va se matérialiser par les instruments financiers susvisés. Il y a donc bien identité formelle entre dette et épargne.

L’introduction de la finance.

L’introduction du système financier dans le raisonnement vient compliquer les choses. Les banques sont des outils permettant de combler les besoins de financement des agents déficitaires…et à priori sans mobiliser une épargne puisque lesdites banques ont la possibilité de créer de la monnaie. Les banques ne sont pas de simples intermédiaires transformateurs d’une épargne - une « capacité de financement » - en dette pour des agents révélant un « besoin de financement » : les banques créent de la monnaie. Cette création est a priori une richesse qui n’existe pas. Il y a bien identité comptable sur le bilan du système bancaire pris dans son ensemble, mais il faut bien comprendre que la hausse de l’actif n’est qu’une promesse.

A l’inverse, dans un système qui ne prévoit pas de création monétaire, « besoins de financement » et « capacités de financement » sont des réalités tangibles. Si les acteurs « A », au terme de leurs opérations, ne disposent pas d’assez de moyens pour s’équiper de tel ou tel bien (voiture, machine, etc.), ils pourront s’endetter (combler leurs « besoins de financement ») auprès d’acteurs « B », qui eux, au terme de leurs opérations, disposent d’un excédent en biens déjà créés (voitures, machines, etc.). Bien sûr, il y a toujours le risque d’un non- respect des contrats, les acteurs « A » ne remboursant jamais les avances des acteurs « B ». Toutefois, dès qu’il y a création monétaire par les banques, il y a création d’une dette dont le remboursement relève d’un pari double : l’honnêteté des acteurs « A », mais aussi l’impossibilité potentielle pour ces derniers de rembourser en raison d’une promesse de richesse supplémentaire qui ne s’est pas réalisée. Dès que la finance s’en mêle, on comprend que dette et épargne ne sont plus les deux faces d’une même réalité.

On comprend aussi que le métier de banquier est de créer un maximum de dettes (faire grossir les « besoins de financement ») par le truchement d’une épargne fictive et surtout gratuite (émission monétaire). Quand, par conséquent, on introduit la finance dans l’équilibre comptable des besoins et capacités de financement, et donc dans l’équilibre de la dette et de l’épargne, on oublie de mentionner qu’une partie des capacités de financement - la soi-disant épargne- est purement fictive…. et donc inquiétante. Chacun aura ici en tête le crédit à la consommation qui n’est pas créateur de richesse, ou la dette publique dont une bonne partie ne correspond à aucun investissement. Il suffit ici d’avoir en tête l’activité de la CADES en France (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale). Alors que, traditionnellement, on définit l’épargne comme la différence entre le revenu et la consommation, nous sommes au niveau macroéconomique dans une situation où un surcroit de consommation est autorisé par un revenu fictivement construit. Chacun aura ici en tête la crise financière de 2008 reposant sur l’épargne fictive d’américains endettés dans l’immobilier par le jeu des célèbres « Subprime ».

Cette épargne est aujourd’hui devenue aussi grosse que la dette (il ne saurait en être autrement) mais son caractère fictif et son risque d’évaporation se trouvent au cœur de toute crise financière.

Concrètement une crise financière est d’abord un actif devenu illiquide, ou simplement dévalorisé qui, de proche en proche, contamine l’ensemble du système financier, avec au final la disparition de l’épargne des ménages qui apparait au passif du bilan des banques. Comme en 2008, on sait aujourd’hui qu’une partie des dettes publiques et privées sont de fait « actifs pourris » dans les banques. C’est dire que le passif des dites banques, massivement faits de comptes privés représentant une bonne partie de l’épargne, notamment celle des ménages, est devenu lui-même pourri…. concrètement une épargne qui s’évapore.

L’introduction de la Banque centrale

Bien évidemment il y a le prêteur en dernier ressort qu’est la Banque centrale. Alors que les banques comblent les « besoins de financement » (la dette) par des « capacités de financement » partiellement fictives, et souvent dangereuses (les crises financières), la banque centrale reste un roc indestructible.

Elle peut, en principe, nettoyer les bilans bancaires en achetant la dette pourrie et inonder le monde de liquidités. Les spécialistes diront qu’elle fait « grossir » son bilan en y inscrivant à son actif la dette pourrie et à son passif l’émission monétaire nettoyant l’actif des banques.

De ce point de vue, les exemples de la FED et de la BCE sont intéressants.

 L’endettement du Trésor américain en 2019 fut tel qu’il a fallu émettre 11500 Milliards de dollars d’obligations publiques, soit plus de la moitié du PIB américain. Aucune épargne correspondante ne pouvant absorber une telle masse, un marché sensible, celui du « REPO », - le lieu d’échanges de liquidités à court terme entre institutions financières - devait en conséquence connaitre une brusque hausse des taux. Devant les conséquences de ce danger immédiat (dévalorisation massive de l’ensemble des actifs et effondrement des cours en Bourse) la FED est intervenue pour créer fictivement l’épargne correspondante…avec bien sûr alourdissement de son bilan à l’actif et au passif. Au moment où nous écrivons ces lignes la FED continue d’éteindre l’incendie sur le « REPO ».

L’exemple de la BCE, bien que fort différent, va dans le même sens. Dans le cas européen, la dette publique de bonne qualité ( la dette allemande) est trop rare en raison du faible endettement allemand et des exigences impulsées par « L’EMIR »[2]. La dette publique de la zone euro suppose toujours des monétisations massives de la part de la BCE (épargne fictice donc dette accrue) mais dans le respect des poids économiques de chaque pays. Cela signifie que, pour empêcher l’emballement des taux comme la FED aux USA, il faut ici, pour soutenir largement les dettes faibles (celles du sud de la zone)  acheter de la dette de qualité  ( les bons allemands) relativement rare. Il en résulte mécaniquement des taux négatifs en particulier sur la dette allemande (la demande est plus forte que l’offre).

Ainsi les banques centrales restent le roc indestructible sur quoi repose une finance hors-sol…. mais en artificialisant les taux et en créant une épargne de plus en plus fictive qui inonde le monde….

Quelles en sont les conséquences ?

Bien sûr, en inondant le monde de liquidités, la création monétaire sans retenue permet l’élargissement sans limite des jeux financiers avec, au final, la financiarisation de toutes les activités humaines.[3] On en connait les effets pervers souvent décrits sur ce blog : aggravation des inégalités, rachats massifs d’actions[4], spéculation immobilière, artificialisation des bilans, rentabilité affaiblie des banques et compagnies d’assurance, couples entreprises/banques zombies, etc.

Ces faits sont évidemment très graves mais l’essentiel est sans doute ailleurs. L’artificialisation des taux ne permet plus l’allocation efficiente du capital et autorise toutes les dérives sur l’économie réelle. Affirmation qui mérite le détour d’une explication.

 Lorsque les taux d’intérêt sont positifs, ils sont naturellement l’élément central de l’allocation : je vais affecter mon épargne à tel usage si ce dernier m’apporte un rendement supérieur ou égal au taux de l’intérêt. Si les taux sont très faibles- parce que les dettes sont devenues gigantesques et qu’il a fallu produire une non moins gigantesque épargne artificielle - alors il devient possible d’allouer le capital vers des zones moins efficientes, mais aussi obligatoire de rendre ces dernières brutalement plus efficaces. L’endettement facile permet en effet d’acheter à prix élevés des entreprises peu rentables…et de les rentabiliser par un management ou une réorganisation brutale. Les anciens actionnaires sont gagnants, et les nouveaux deviennent obligatoirement brutaux pour rembourser l’épargne artificielle mise à leur disposition. Dans nombre de cas, la valeur ajoutée produite n’augmente pas et se trouve simplement redistribuée entre actionnaires ou financiers et salariés. Ce qui nous renvoie à une logique de croissance faible et de fort développement des inégalités. Ce n’est plus le talent schumpetérien qui est rémunéré, mais la cupidité de simples rentiers. Globalement l’artificialisation de l’égalité des « besoins de financement » et des « capacités de financement » engendre des effets macroéconomiques et macrosociaux contestables.

Alors, retraite par capitalisation ?

Si dans la grande correspondance entre besoins et capacités de financement on vient greffer l’idée de retraite par capitalisation, on   ajoute au grand tumulte de la finance. Les fonds de pension, acteurs et utilisateurs des marchés financiers, ne peuvent que jouer à l’intérieur des règles du jeu et voient leurs actifs plonger dans le grand bain de l’incertitude radicale. Certes, les fonds en question peuvent privilégier la propriété plutôt que la dette et ainsi préférer le marché des actions à celui des obligations[5]. C’est toutefois méconnaitre que, par le biais de l’adoption généralisée de la norme IFRS09, le principe de la « fair value » concerne tous les bilans, lesquels sont affectés par l’irruption des fluctuations de prix sur lesquelles il est devenu impossible de ne point spéculer, ne serait-ce que pour se protéger. D’où, l’effacement progressif de la distinction entre une propriété jugée sécurisante (les actions) et la dette jugée plus dangereuse (les obligations). La retraite par capitalisation, contrairement à ce qu’affirment ses défenseurs, ne fait pas automatiquement grossir l’investissement macroéconomique. A l’inverse, elle déplace le centre de gravité du jeu économique : moins d’économie réelle et hypertrophie d’une finance simplement spéculative et improductive. Le résultat est une croissance quantitativement plus faible, et qualitativement plus inégale.

De tout ceci, il faut tirer une conclusion fort pratique : parce que l’économie réelle est plus solide que l’économie financière, il est sage de faire reposer l’avenir des retraites sur le travail et donc la répartition. Mais Il faut aussi immédiatement ajouter que la répartition également affectée - certes de plus loin -  par la financiarisation généralisée, une véritable réforme des retraites passe aussi par la dé- financiarisation de l’économie. Ce qui nous renvoie en priorité sur la « mère des réformes », c’est-à-dire la réappropriation par les Etats de tout ce qui est en amont de la finance, et en premier lieu la création monétaire. Ceci nous renvoie à l’important dossier de la « monnaie pleine » sur lequel le blog s’est parfois penché.

Tout ancrage de l’avenir des retraites sur les marchés financiers tels qu’ils sont, est une opération extrêmement risquée.


[1] La dette mondiale serait aujourd’hui, selon   l’Institut de la finance internationale, (« IIF »), de 246000 milliards de dollars (320% du PIB Mondial). Dans le même temps, l’épargne mondiale ne fait qu’augmenter. En particulier, les ménages français ont,  entre 2015 et 2019 ajouté à leur stock d’épargne un montant anormalement élevé, avec,  par exemple des dépôts courants qui ont augmenté de 34% dans une contexte de croissance très faible.

 

[2] « European Market Infrastructure Régulation ». Il s’agit d’un texte, fort contesté aujourd’hui, qui impose en Chambres de Compensation des « appels de marge », c’est-à-dire de garanties  prenant la forme de dette publique de qualité.

[3] Nous renvoyons ici à notre texte : http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/10/les-nouvelles-pluies-de-monnaie.html

[4] Ces rachats prennent des dimensions spectaculaires : Plus de 3000 milliards de dollars sur les 5 dernières années pour les entreprises américaines (sources : analystes de Yardeni Research)…Soit plus que le PIB de la France ….

[5] De plus en plus les fonds de pension sont invités à travailler  sur des « Exchange Credit Funds » ( les célèbres ETF)  ou « Trackers ». Titres fondés sur les seuls indices boursiers ou des indices obligataires, ils deviennent une matière première privilégiée pour les plans d’épargne retraite (PER) et les plans d’épargnes en actions (PEA). Ces fonds indiciels sont aussi favorisés par la réglementation internationale mais aussi la fiscalité française.

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