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7 octobre 2023 6 07 /10 /octobre /2023 09:41

Le climat est un bien commun dont la vulnérabilité est le fait d’acteurs divers qui coopèrent au sein d’un système humain, c’est-à-dire une société concrète. Ce qui caractérise l’Occident et ce qu’on appelle la modernité  est la relative  méconnaissance de  son inclusion dans un système global appelé nature. De fait, dans ce type de monde, la nature est idéologiquement à la disposition des hommes et les externalités qu’ils y développent sont jusqu’ici assez largement négligées. Voilà pour l’angle anthropologique de la question.

Vu sous l’angle économique, la notion d’externalité fut d’abord seulement réservée aux interactions de marché, ce que l’on trouve encore de façon amusante  dans les manuels d’économie , par exemple le fait que les tanneurs ne peuvent polluer une rivière dont l’eau est utilisée par une brasserie située en aval. Et de ce raisonnement devait émerger le grand principe du pollueur payeur que l’on utilise encore de façon plus ou moins raffinée dans ce qu’on appelle le marché du carbone. Dans cette façon de raisonner, la question de l’environnement reste secondaire par rapport à celle complètement centrale : le droit à une onde pure qu’il faut préserver par des coûts de dépollution à imposer aux tanneurs. Dans un tel contexte si l’on préserve la nature c’est d’abord pour préserver un bon fonctionnement des marchés : les tanneurs doivent payer le coût complet de leur activité et ne pas imposer à la brasserie des dommages économiques. Le but n’est pas la préservation de la nature mais son utilisation à des fins d’optimisation des marchés. Clairement, la préservation de la nature est un moyen et non une fin. Nous avons là la traduction économique de l’axiome anthropologique de l’Occident.

Il est possible d’approfondir la question des externalités à partir de notre exemple en posant la question de la disponibilité quantitative de l’eau : Pour tous les utilisateurs, elle devient un bien commun gérable par une collectivité ou un Etat. A ce titre il y a des dépenses de protection à prévoir qui vont apparaître comme un prix ou une taxe. Le plus souvent, on reste dans le même logiciel et la même économicité : la nature reste un moyen - une matière première de l’économie - et non une fin. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui la décarbonation peine à quitter une problématique de marché. Elle en connait toutes les contradictions, par exemple : comment sortir les actifs carbonés des bilans, en particulier bilans bancaires ? De ce point de vue, des activités, par exemple les producteurs d’énergie fossile, apparaissent aujourd’hui aussi obsolètes que les producteurs de carrosse dans l’industrie automobile. On veut mettre un prix à la nature pour la préserver et donc  sanctionner certaines activités et on se retrouve dans une difficulté de marché. Par exemple, comment empêcher que la taxe carbone aux frontières de l’Europe que l’on vient de mettre en place ne débouche pas sur de nouvelles délocalisations ? Les producteurs de carrosses mourraient broyés sur le mur du marché alors que l’industrie européenne, affectée par une taxe carbone aux frontières, n’est que blessée et donc  peut se redéployer dans un espace plus accueillant. Se battre contre le marché n’est pas chose simple et les conséquences inattendues sont nombreuses.

On peut aller plus loin dans la préservation de la nature  et déclarer  que celle-ci  dispose de droits opposables aux humains. Dans ce cas, il appartiendrait  à tous les acteurs humains de respecter les droits de la nature. Cela suppose naturellement un principe d’universalité acceptée par tous les Etats. Mais là encore pure illusion puisque nombre d’Etats en formation se servent du marché pour se construire et s’affirmer. C’est le cas de la Russie qui vient de déclarer qu’elle s’opposerait à toute réduction de la production d’énergies fossiles. C’est le cas de  la Chine, laquelle ne peut accepter une telle norme qui bloquerait sa politique de puissance.

Il faut en conclure que la gestion des communs suppose un coût qu’aucun acteur ne peut clairement accepter dans le cadre d’une société globale reposant sur le seul marché. On voit mal qu’en un point quelconque du monde, en raison d’un principe universel, une entreprise, quelle que soit sa nationalité puisse être condamnée par un tribunal mondial, à verser des réparations à la nature. Et la question est d’autant plus difficile que la nature est d’une formidable complexité (climat, biodiversité, adaptation au réchauffement, etc.) et qu’elle ne se résume pas à la seule question de la température de la planète.

La contrainte environnementale ne  peut donc qu’être gérée par tout ou partie d’une renoncement à la logique mondiale des marchés. Une logique qui jusqu’ici correspondait bien à l’axiome anthropologique de l’Occident.  Dans un monde en quête de compétitivité permanente, la pression sur l’environnement reste majeure. Nous en restons sans le dire à la « tragédie des biens communs » et les solutions des spécialistes de ces questions ne sont ni la collectivisation/nationalisation (Garret Hardin) ni la privatisation généralisée (solution libertarienne ) ni l’auto-gouvernance ( Elinor Ostrom). D’où les débats incessants sur la réalité du problème. D’où les légitimes interrogations en France sur la publication du « rapport sur l’impact environnemental du budget de l’Etat », document annexé au projet de loi de finances.

Et la pression sur l’environnement n’est pas la seule externalité globale des marchés mondialisés. Bien avant que les questions environnementales ne soient clairement posées, la recherche de compétitivité a déployé d’autres pressions : celle sur la fiscalité qu’il faut limiter en raison de la concurrence, mais aussi celle sur le fonctionnement des Etats qui devront limiter leurs dépenses régaliennes et de plus en plus celles sur le service public lui-même. La première signifie l’enkystement dans une dette croissante pour la plupart des Etats, la seconde signifie la dégradation voire l’inadaptation croissante des services publics pour ces mêmes Etats désormais noyés dans un « new public management », toujours revisité et toujours revisitable, pour le plus grand bonheur des marchands de management. Cette dernière dégradation en entraîne une autre celle de la démocratie de plus en plus contestée car devenue incapable d’apporter les réponses exigées par les citoyens.

Le FMI lui-même s’affole  en prenant conscience d’un prix du carbone qu’il faudrait multiplier par 12,  d’une dette publique qu’il faudrait accroître massivement (10 à 15 points de PIB) pour les pays développés, et bien davantage encore pour les pays émergents et en développement. Curieusement ce même FMI considère que face à cette quasi-impossibilité il faudrait avoir recours au secteur privé pour financer la transition énergétique.

Il sera très difficile d’échapper à la nouvelle, et beaucoup plus dangereuse, tragédie des communs, celle qui s’articule et prend force autour de plusieurs axes : environnement, dette, dysfonctionnement public, démocratie. La solution que nous avons proposée dans notre article précédent (http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/politique-publique-entre-la-dette-et-le-climat-il-faut-choisir.html) réduit la douleur mais ne fait pas disparaître la maladie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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28 août 2023 1 28 /08 /août /2023 14:52

 

Les statistiques chinoises nous laissent parfois dans l’interrogation. La courte note qui suit, est consacrée au taux de croissance pour lequel les autorités chinoises parient encore sur le chiffre de 5% de hausse pour l’année 2023. Un pari intenable… et durablement intenable.

La croissance du PIB d’un pays dépend de beaucoup de paramètres dont 2 sont déterminants :  l‘évolution de la population active et l’efficacité de l’outil de production, c’est-à-dire ce qu’on appelle les gains de productivité. De ces deux paramètres - qu’il nous faut examiner-  dépend la croissance attendue pour 2023.

Ce que l’on annonce à grands cris, est bien évidemment la question de la démographie chinoise qui fait que le pays voit désormais sa population globale diminuer, une diminution estimée à plus d’un million de personnes pour 2023 et qui va prendre, mécaniquement, une ampleur croissante dans l’avenir. Le taux de reproduction - autour de 1- est aujourd’hui l’un des plus faibles du monde. Ce que l’on sait moins est qu’en conséquence la population en âge de travailler diminue elle aussi. En la matière, on trouve dans la littérature beaucoup de chiffres fantaisistes ou des estimations qui ont beaucoup changé au cours du temps. Ce que l’on sait est que depuis plusieurs années les villes chinoises ne voient plus leur taille augmenter par l’afflux de paysans. Cela signifie   que l’exode rural se termine, avec pour conséquence une grande quantité de logements inoccupés… et des usines qui ne peuvent plus recruter comme par le passé. Les estimations les plus fiables évoquent le chiffre de 770 millions de travailleurs actifs pour 2022. Avec toutefois une perspective très négative : le stock de population active devrait diminuer de 40 millions de travailleurs d’ici 2030. Jadis les taux de croissance très élevés correspondaient à un exode rural considérable et donc au passage d’activités de faible productivité ( celles des campagnes) vers des activités plus productives de valeur ( celle des usines au sein de villes nouvelles). Aujourd’hui, les flux d’entrée dans les villes sont taris et les départs en retraite gonflent. Alors que l’exode rural dopait la croissance, les départs massifs à la retraite vont dégonfler cette même croissance.

Sans efficacité croissante de l’outil de production, le PIB chinois ne peut donc que diminuer. Clairement, pour maintenir un taux de 5% de croissance, un taux qui permettrait mécaniquement de dépasser les USA et faire de la Chine la première puissance du monde, il faudrait que l’outil de production assure une croissance de la valeur produite supérieure à 5%. Un chiffre qui permettrait aussi de gommer la diminution inexorable et durable de la population active.

Hélas cette croissance de l’efficience ne sera pas au rendez-vous. Plusieurs arguments majeurs peuvent être invoqués.

Tout d’abord - nous venons de le voir - il n’y a plus à espérer les gains de modernisation entrainés par le passage d’une agriculture traditionnelle faiblement productive vers une industrie beaucoup plus productive : l’exode rural se termine.

Ensuite les transferts de technologie par imitation, par copiage, ou par non-respect de contrats avec les entreprises occidentales, sont eux-mêmes entrés en phase descendante. La marque première de ce déclin se lit dans les flux d’IDE ( Investissements Directs à l’Etranger) qui s’effacent rapidement de l’espace Chinois. Les entreprises occidentales, volontairement ou de façon plus contrainte quittent  la chine. Si en longue période les flux entrants d’IDE furent croissants et vont culminer en 2022 (189 milliards de dollars ), l’année 2023 sera catastrophique avec seulement 4, 9 milliards de dollars pour le second trimestre.

Au-delà, la politique d’un développement beaucoup plus autocentré, imposé par le pouvoir va aggraver les tendances lourdes d’un management centralisé et structurellement peu ouvert à l’innovation. Concrètement dans les grandes entreprises chinoises, qu’elles soient sur le territoire national ou implantées à l’étranger, le groupe des décideurs est peuplé de nationaux et le nombre de cadres étrangers ouverts aux autres cultures reste limité. Le conservatisme managérial bloque le progrès et il est plus difficile de développer une créativité qui suppose une ouverture maximale dans le groupe des décideurs. De ce point de vue, la Chine se contente de développer de coûteuses routes de la soie alors que les entreprise occidentales se nourrissent des différences apportées par un multiculturalisme savamment cultivé. De petits pays, sans grands débouchés nationaux, (Suisse par exemple) peuvent ainsi disposer d’entreprises planétaires à forte croissance en bénéficiant d’une politique d’ouverture maximale dans un encadrement qui a cessé d’être national depuis de longues années (Nestlé par exemple). De ce point de vue la Chine, malgré de solides réussites, reste mal classée dans l’indice mondial de l’innovation (Onzième rang mondial et seulement troisième rang au niveau du continent asiatique selon le « Global Innovation Index » de 2022).

Pour ces trois raisons susvisées, il est clair que  le taux de 5% de croissance pour 2023 est inatteignable. Au-delà, la Chine se dirige au mieux vers la stagnation et plus vraisemblablement vers un affaissement durable de son PIB

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18 avril 2023 2 18 /04 /avril /2023 08:34

Il n’y a plus à dénoncer un endettement et plus encore une spéculation pharaonique à l’échelle mondiale, une réalité  que chacun dénonce, croit en percevoir les dangers, mais pour laquelle aucune solution  n’est envisagée. Pour autant, si l’on veut une démarche sérieuse concernant l’analyse de la réalité et les éventuelles solutions, il faut savoir en démonter l’architecture et les origines de sa construction. Cela passe par le repérage d’enchaînements historiques.

Bien évidemment, l’endettement et surtout la spéculation relève d’une histoire déjà très ancienne : spéculation sur les moulins dans l’antique Athènes, « Système de Law » beaucoup plus tard, paris sur l’évolution de prix des matières premières et des produits agricoles…à toutes les époques, etc. Par contre ce qu’il faut noter c’est, qu’à la différence d’aujourd’hui tout reposait sur la richesse matérielle des biens produits : On spécule sur le devenir de ces derniers. Même chose avec le développement du capitalisme avec des modèles juridiques qui autorisent la liquidité du capital (les actions s’achètent et se revendent), tout en laissant encore ce dernier rattaché à la matérialité physique et à son devenir en termes de richesse. On sait que tel n’est plus le cas avec les produits dérivés qui n’ont qu’un lien très éloigné avec la richesse. Et quand les produits financiers n’ont plus pour objectif que de couvrir la spéculation elle-même, le lien avec la richesse est réellement coupé. D’où cette idée qu’il y aurait aujourd’hui une sphère réelle apparemment  séparée de la sphère financière.

Configuration d’un monde imperméable à la finance.

Le point de départ de cette séparation doit être recherché dans l’effritement de configurations institutionnelles rigides : préférence générale pour le faire soi-même plutôt que d’externaliser (d’où l’idée des grandes organisations chères à Burnham), taux de change fixes, contrôle de la circulation du capital et contrôle des changes, frontières et droits de douanes, prix contrôlés et stabilisés y compris parfois à l’échelle planétaire (pétrole à l’époque des « 7 sœurs » du cartel pétrolier). De quoi ne laisser la finance se déployer que dans les marges du monde. Cette rigidité correspondait aussi à un état technique du monde : la faiblesse des moyens d’informations, et coûts de transports élevés entravaient matériellement la recherche de paris financiers à l’échelle planétaire. Elle correspondait sans doute aussi à un état de la société où la réalité des institutions était aussi faite de corps intermédiaires, et plus généralement de corps politiques composés de grands partis porteurs de projets collectifs. L’individu esseulé et désirant n’était pas encore né.

A partir du début des années 70 tout une série de choix vont intervenir et transformer -petit à petit, par essais et erreurs, par ajustements- le monde. Ces choix vont largement être reliés par un enchaînement, plus ou moins multi-causal, qui, au total, accouchera du monstre financier actuel. Il n’y a pas eu de « grand architecte » ou de « grands comploteurs », mais des choix collectifs, voire individuels, ici ou là, qui vont en entrainer d’autres jusqu’à l’époque présente. La réalité du monde n’est pas celle d’un déterminisme historique.

Un monde qui laisse des zones de perméabilité prometteuses à la finance.

En un peu plus de 3 ans (Aout 1971- septembre 1974) 3 évènements, à priori non reliés, vont devenir les aiguilles qui vont déchirer progressivement les anciennes institutions et coudre, tout aussi progressivement, et sans doute de bric et de broc, la toile de la finance : fin du système de Bretton woods, révolution pétrolière, naissance des fonds modernes de pension.

Le premier, (15 août 1971) met fin sur décision américaine au système de taux de change fixes et à l’interdit des manipulations monétaires. Le second (septembre 1973) met fin au cartel pétrolier et libère complètement les prix du pétrole, lequel devient un instrument de pure spéculation. Le troisième (septembre 1974) désenchasse, au nom de la loi,  les caisses de retraites des grandes entreprises américaines, caisses qui deviennent des organismes financiers complètement autonomes.

Les zones de perméabilité peuvent s’grandir et devenir envahissantes

Les deux premiers évènements vont affecter tous les systèmes de prix. Certes, ces derniers étaient encore à l’époque marqués par une inflation non négligeable, mais ce qu’il y a de nouveau c’est qu’ils vont devenir instables, une caractéristique les transformant en matière première pour la spéculation au quotidien. Jusqu’alors il y avait certes de grands moments spéculatifs, par exemple ceux qui vont mener à la fin de la convertibilité du dollar, mais ces derniers concernaient essentiellement les Etats et leur monnaie dont la parité, garantie par ces derniers, pouvait le cas échéant être contestée. Désormais, le monde jusqu’ici largement sécurisé, devient officiellement insécure…et source du développement sans limite d’un marché de la sécurité à l’échelle planétaire (la fin de Bretton-Woods concerne toute la planète) … Toute une partie de la finance prend son essor sur la vente de produits nouveaux de sécurité financière. Et comme le risque de prix peut être techniquement reporté  (marché de la « couverture » et de ses produits) sans  jamais disparaître, d’emblée la finance se doit d’exiger un périmètre d’activité qui ne peut être que croissant. Et bien sûr, un périmètre qui ne peut s’ouvrir qu’avec du carburant monétaire généré par de la dette. Bien évidemment l’activité correspondante justifie un nouveau type d’emplois et de nouveaux métiers : ceux du marché que l’on vient de créer par modification de règles du jeu entre acteurs du monde. Il n’y a aucune production nouvelle et aucune croissance économique nouvelle, il n’y a qu’une modification de règles. Des règles qui permettent à des entreprises qui ne produisent rien de devenir quasiment aussi  grosses que les entreprises qui produisent. C’est le cas dans le secteur de l’énergie où le trader VITOL basé à Genève peut se comparer à Total Energies.  Les nouveaux emplois et nouveaux métiers générés par millions sont-ils productifs ?

Le troisième évènement est a priori moins visible que les deux premiers. Signal faible, Il est pourtant tout aussi efficace. Les caisses de retraites des entreprises étaient à l’abri de ces dernières. Devenues autonomes de par la loi, elles correspondent aux premières formes d’externalisations, vont devoir voler de leurs propres ailes et entrer en concurrence pour l’accès aux ressources permettant de s’acquitter des pensions. Ces ressources sont des actifs financiers (bons du Trésor ou titres d’entreprises) qu’il faudra désormais surveiller. Alors que les caisses de retraites des grandes entreprises n’avaient pas le pouvoir de surveiller l’entreprise qui les abritait, désormais il faudra se montrer très regardant si l’on veut disposer des moyens suffisants pour payer les retraites. Désormais le monde de l’entreprise doit être sous surveillance :  les cadres et managers conservent une apparence mais ne sont plus dans la réalité que les exécutants de décisions actionnariales.

Les abris ne sont plus possibles

Il faudra donc développer des outils anciens, par exemple les bourses qui vont devenir instrument de mesure, heure par heure, de ce qui se passe dans les entreprises. Bien sûr il faudra une ouverture et une cotation en continu. Il faudra aussi prévoir des liens entre toutes les Bourses de la planète. Et pour mieux surveiller les entreprises, il faudra aussi pouvoir les mettre en concurrence à l’échelle de la planète, ce qui suppose une totale liberté de circulation du capital, circulation qu’il faudra politiquement exiger. Mais la bourse elle-même doit être alimentée par de bonnes informations en provenance des entreprises. Celles-ci doivent par conséquent devenir transparentes et montrer -avec des chiffres- que toutes leurs composantes, toutes leurs  branches, voire tous leurs bureaux et ateliers sont réellement producteurs de valeurs actionnariales. C’est dire que l’externalisation doit se développer en continu, que l’entreprise doit se démanteler au profit d’une chaine planétaire de la valeur.

Parmi les titres à surveiller dans la nouvelle organisation des caisses de retraites il y a les bons du Trésor. Là aussi, il faut surveiller et veiller à la qualité organisationnelle des Etats. Et donc si l’architecture des entreprises est appelée à se modifier, il en est de même des composantes des Etats. D’où ici ou là des réformes structurelles à imposer si l’on veut que la dette publique maintienne une certaine crédibilité. Il n’y a pas que l’économie à surveiller, il y a aussi le politique.

La dynamique des 3 évènements qui se sont matérialisés au début des année 70 n’avait rien de mécanique et l’histoire aurait pu être autre. Par contre, on peut aussi dire que ces évènements sont probablement porteurs d’une réalité potentielle proche ou voisine de ce que l’on connait. Et cette probabilité est renforcée par le fait que ces trois évènements sont amenés à se mutualiser -sans doute avec des conflits secondaires- et à renforcer la puissance de leurs effets sur la réalité institutionnelle. D’abord l’intérêt est commun : les acteurs qui les font vivre ont intérêt à ce que le terrain de jeu s’élargisse. Par exemple les paris sur fluctuation de prix (évènements 1 et 2) offrent des garanties à la libre circulation mondiale du capital laquelle permet sa meilleure valorisation (évènement 3). Les acteurs qui vivent ces transformations institutionnelles ont ainsi intérêt à travailler ensemble et à produire des outils communs voire des exigences politiques communes. De ce point de vue le système bancaire est un haut lieu de rapprochement entre les divers acteurs : il faut développer la capacité à créer le carburant monétaire de la finance, et il faut profiter des anciennes compétences bancaires pour mieux surveiller la bonne valorisation du capital réel. Fonds de pension, assurances, banques doivent se rassembler et édifier des ensembles dont le total du bilan atteindra des hauteurs ahurissantes. De ce point de vue, il sera exigé que les Etats se retirent progressivement de la banque de jadis et que la dette publique cesse d’être, comme dans le cas de la France d’avant 1970, « hors marché » : il ne doit plus être question de planchers de bons du Trésor à geler dans les actifs bancaires. Il ne doit plus être question de « circuit du Trésor » cher à Block- Lainé. Bien évidemment il est urgent de supprimer tout financement direct du Trésor par la banque centrale, un tel financement rétrécirait le nouveau jeu de la finance.

 Ce travail en commun pour les porteurs de ces nouveaux métiers de la finance n’est pas exempt de contradictions : Il existe des conflits objectifs qu’il faudra dépasser. Ainsi la naissance de la monnaie unique (euro) est un formidable avantage pour la bonne circulation du capital et une meilleure homogénéisation dans la surveillance des marchés, mais il est un affaissement du terrain de jeu pour les spéculateurs sur les taux de change. Cela importera peu si l’euro permet davantage d’innovations financières et si au total l’élargissement planétaire des chaines de la valeur fait grossir le marché mondial des changes et les outils qui y sont vendus pour assurer la protection.

Une transparence faite d’opacité et de perte des repères.

La transparence exigée au regard du fonctionnement des entreprises de l’économie réelle et des Etats s’accompagne curieusement d’une opacité sur les flux monétaires. Ainsi l’épargnant ne sait plus ce que devient son épargne et ce qui se déroule à partir de son compte bancaire. Il croit que l’épargne sert à l’investissement alors qu’il n’est plus qu’une pièce dans la formidable machine à créer de la monnaie. Est-elle devenue machine, équipement, bien immobilier ? un swaps de prix ou de taux ? une garantie sur « Notionnel » ? Un « Credit Default Swaps » (CDS) ? une pièce de « Special Purpose Acquisition Companies » (SPAC) ? une subvention ? une promesse de disruption radicale ? une aide sociale ? un support de rémunération ? un support « d’ETF »(Exchange Traded Funds) ? Nul ne sait car nul ne sait comment s’est matérialisé le formidable pouvoir créateur des banques et le shadow banking qui lui est associé. Par contre, ce qu’il y a de sûr est que cette accumulation ne repose que sur une pointe d’épargne et un énorme corps de dettes.

Que les innombrables produits financiers soient obscurs et parfois incompréhensibles, qu’ils soient complètement étrangers à la réalité économique et surtout qu’ils pèsent de plus en plus lourds dans les PIB ne posent pas de véritables problèmes, s’il est possible d’en accroître en continu la valeur de marché. C’est très exactement ce qui se passe avec les diverses multiples opérations de quantitative easing. Que l’investissement réel diminue et que l’investissement financier  augmente sans limite ne gène plus si la rentabilité du second se trouve durablement garantie. C’est manifestement aujourd’hui le rôle des banques centrales qui achètent sans limite de la dette d’Etats mais aussi des titres privés dont la dette d’entreprise et plus encore des ETF. On peut même dans ce nouveau monde contribuer à tuer des territoires entiers en faisant apparaître des profits qui deviennent de plus en plus mystérieux. C’est, par exemple, le cas du Japon dont la banque centrale achète indifféremment d’énormes quantités de titres…qui contribue à l’affaissement du Yen…qui contribue au profit des entreprises nippones qui ont déserté le pays et se sont installées à l’étranger. C’est par exemple le cas des USA dont le congrès ne pourra dans les semaines à venir que voter pour un nouvel élargissement de la dette fédérale. Jadis il était culturellement osé de bloquer politiquement une crise financière. Curieusement, alors que le politique se trouve a priori écarté du jeu financier, et qu’il a juste le droit de s’intéresser aux réformes dites structurelles, il lui est asséné un devoir :  celui de maintenir la croissance et la bonne santé du monstre financier. Même la Suisse se trouve soumise à cette loi d’airain. Jusqu’à quand ?

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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 06:54

 

Sur le terrain de l’électricité la  bataille européenne continue et les divers acteurs - Etats, régulateurs, entreprises, voire économistes- après avoir présenté des projets de réformes spécifiques attendent ce mois de mars avec la publication du projet de la Commission Européenne. Pendant ce temps, les industriels, gros consommateurs qui ont dû renégocier leurs contrats  depuis le printemps 2021, continuent de souffrir, d’où des stratégies de mise au repos de l’outil de production, ce qu’on appelle parfois la mise en « position latérale de sécurité », tandis que d’autres entreprises sont parfois amenées à disparaitre (boulangers). Et dans le même temps, les consommateurs de bon sens, continuent de s’étonner du décalage entre un prix de marché piloté par le cours d’un gaz fort peu utilisé en France et une réalité économique fondamentale faite d’un accès massif à un nucléaire peu couteux. Toujours dans le même temps des boucliers tarifaires devenus simples bouées de flottaison  fonctionnent à grands coups de déficit public.

La présente note se propose de montrer que pour la France c’est bien le contexte institutionnel du marché qui a généré et amplifié la déroute. A ce titre nous verrons qu’il convient de supprimer de façon radicale le dit marché si l’on veut aborder de façon plus sécurisée les tempêtes futures d’un mondialisation qui a cessé d’être heureuse. Pour cela nous allons comparer des modèles d’infrastructures électriques différends quant à  leur résilience au regard d’une tempête géopolitique.

Tempête géopolitique sur  infrastructure électrique « bunkerisée ».

Soit un système monobloc, par exemple public, fait d’un ensemble fonctionnant en continu ( par exemple du nucléaire) pour un montant de 90TWH, et d’un autre ensemble plus adapté aux fluctuations des appels ( par exemple du gaz importé) pour un montant de 10TWH . Si les couts complets sont ( pour simplifier) identiques et si l’expression monétaire de ces couts est de 10 unités le TWH, la valeur produite est de 90X10 +10X10 = 1000.

Cette valeur produite dans un modèle monobloc n’apparait pas sous la forme d’un prix de marché qui n’existe pas. Il y a simplement infrastructure publique monopolistique avec des couts estimés et des tarifs administrés à des usagers qui n’achètent pas une marchandise mais paient une redevance appelée « tarif de l’électricité ». Dans ce cadre une politique tarifaire peut orienter les usages qualitatifs et quantitatifs pour optimiser la taille de l’infrastructure « centrales à gaz » et ainsi limiter le risque de rendements décroissants.

Si maintenant une tempête sur le gaz fait doubler le cout de l’électricité sur centrales à gaz, la valeur produite et disponible devient 90X10 + 10 X20 = 1100. La différence (100 unités monétaires) est ici un « prix » qui correspond à un prélèvement international sur l’économie française. Globalement la nouvelle valeur dont une partie n’est qu’une rente internationale doit être payée par les utilisateurs. Notre infrastructure monobloc va pouvoir imposer de nouveaux tarifs propres à récupérer 1100 de valeur, nouveaux tarifs devant répartir la rente internationale sur les utilisateurs,  l’Etat propriétaire, voire l’infrastructure elle -même. Si donc il y a (dans notre exemple) doublement du prix de marché du gaz, il n’y a aucune raison de voir un doublement des tarifs : le cout marginal nouveau (100) n’est pas auteur de prix doublés et donc le bon  sens des consommateurs qui protestent aujourd’hui n’est pas infondé. Les boulangers, les syndics d’immeubles collectifs, etc. ont raison de dire que les nouveaux tarifs proposés sont irrecevables.

De fait si chacun connait de gros ennuis avec ce que l’on croit être une crise de l’énergie, c’est en raison d’un modèle d’infrastructure qui fut radicalement transformé par d’invraisemblables  décisions politiques.

Tempête géopolitique sur infrastructure malade d’attrition et de fragmentation.

L’attrition est celle d’EDF dont l’offre est devenue très insuffisante dans un contexte de demande à perspective fortement croissante. Il y a eu attrition interne sous l’effet d’un abandon relatif du nucléaire et aussi d’une capacité de production abandonnée à des acteurs nouveaux politiquement introduits par la loi (ARENH). Il y a aussi d’une certaine façon attrition externe par le biais du développement d’une idéologie de l’ économie sans production et surtout sans usines…de quoi croire pendant 20 ans que l’électricité serait excédentaire par rapport aux besoins….

Plus grave il y a eu fragmentation politiquement organisée. Désormais, tout acteur y compris non industriel et surtout non électricien peut devenir acteur de l’infrastructure en ayant recours à un système d’achats et de ventes d’électricité dont bien sûr les volumes ARENH généreusement distribués par EDF. Pour se faire on imagine une organisation des échanges par le biais de bourses européennes sur lesquelles ne se forment plus un tarif mais des prix de marché. Des marchés de gros vont permettre l’émergence de contrats à terme sur de grandes quantités, et des marchés de détail vont réguler un quotidien qui désormais sera divisible en minutes. Les tarifs de naguère parce que fixes évacuaient jusqu’à l’idée même de contrat. Dans un modèle bunkérisé le temps était naturellement très long. Les prix d’aujourd’hui parce que libres supposent une solide armature juridique pour sécuriser les nouveaux acteurs. Ainsi le boulanger voudra -t-il être sécurisé par un contrat de moyen terme, ce qui supposera que le fournisseur d’électricité soit sécurisé dans sa politique d’achat de gros. Le temps est devenu très court et il faudra sécuriser alors même que les prix peuvent varier à chaque minute….Il faudra par conséquent nécessairement tout financiariser : les contrats doivent être couverts par tous les outils classiques de la finance. Si tel fournisseur est engagé sur des prix faibles alors que le cours flambe sur le marché de gros, il faudra se couvrir par des contrats baissiers type SWAPS de prix….Etc.

Le nouveau modèle, compte tenu de la chute de la capacité de production et de l’ARENH peut, par exemple, s’écrire de la façon suivante :

50X10 + 20X10 + 10X10 = 800.  EDF a perdu ici, dans notre exemple, 40TWH par ses abandons et restrictions de capacité, et 20TWH au titre de l’ARENH. Si l’on retient une demande d’électricité de 1000 pour reprendre le modèle précédent, nous aboutissons à un déficit de 200 qui sera mal couvert par les fournisseurs nouveaux qui très majoritairement ne sont que des start-up de la finance flirtant au mieux avec des éoliennes économiquement protégées par des subventions, et par l’importation.

Le nouveau système victime d’attrition et de fragmentation est aussi très fragilisé car il ne développe pas l’offre. Curieusement si le modèle ancien était d’abord peuplé d’industriels, le modèle nouveau se trouve largement peuplé de gestionnaires et de financiers, en particulier un nombre considérable de traders. Et même EDF finira par connaitre une attrition d’ingénieurs pour embaucher jusqu’à près de 800 financiers dans son « EDF Trading ».  Toute tempête géopolitique- qui n’était dans notre exemple qu’un prélèvement de rente internationale pour un montant de 100 unités monétaires- devient un tsunami. Alors que le modèle bunker « contient » le prélèvement de la rente internationale, le nouveau système, véritable château de cartes  mis en place sur décision politique, ruine les acteurs. Alors que le modèle bunker permettait l’internalisation du prélèvement international, le nouveau modèle ouvre la porte à une externalisation généralisée désormais mal contenue par un EDF affaibli. Les start-ups mal couvertes par des aléas imprévisibles externalisent sur leurs clients au prix fort, celui du prix du gaz, auteur de la tempête. Les clients victimes tentent de renégocier et se retournent vers un EDF affaibli qui lui-même deviendra victime du cours du gaz et achètera de l’électricité au prix fort…. Jusqu’ici cédée à ses concurrents (ARENH)…. Des start-up disparaissent et laissent des ardoises financières par essence contagieuses….Tous les acteurs qui avaient quitté EDF et ses tarifs pour croire au miracle des contrats négociés se trouvent dans la position de victimes du prix du gaz. Et nous retrouvons la crique de bon sens : il n’est pas acceptable d’être victimes de prix aussi élevés alors qu’en France le cout moyen de l’électricité reste faible. Pour comprendre la réalité il fallait d’abord comprendre que nous avons abandonné un modèle donnant toutes satisfactions au profit d’ un autre économiquement et politiquement aberrant.

La clé n’est pas sous le lampadaire

Pour autant le combat continue et la plupart des notes des différents décideurs qui vont se retrouver dans quelques jours dans les bureaux de la Commission bruxelloise, n’imaginent à aucun instant que le retour de la raison soit possible. Tel est évidemment le cas de la position du gouvernement français et de la  CRE dont les quelque 200 fonctionnaires restent attachés à la liberté du marché. Il n’y a donc pas à s’émouvoir des propos d’un Benoit Coeuré (président de l’Autorité de la Concurrence) qui dans les Echos du 4 mars dernier continue d’affirmer que la concurrence est bonne et qu’elle favorise l’émergence d’acteurs innovants. Sans doute ne pensait-il pas dans son intervention au marché de l’électricité qui a tant fait pour dissoudre le tissu industriel français. Alors que le modèle « bunker » consolidait en permanence un tissu industriel d’exceptionnelle qualité, le nouveau modèle apportera la désolation industrielle. Qui en a pris conscience ?

 

 

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20 février 2023 1 20 /02 /février /2023 18:27

Nous reprenons ici une récente vidéo (Thinkerview)  présentant le point de vue d'Hevé Machenaud ancien directeur exécutif du groupe EDF. Sa réflexion concernant l'ARENH et les fournisseurs d'électricité est exposée entre 1h16 et 1h31. Hervé Machenaud s'interroge bien sûr à cette volonté de créer un marché européen de l'électricité et y voit une forte pression de l'Allemagne bien décidée à tuer le nucléaire français.. Nous voudrions ci-dessous apporter quelques compléments de réflexion sur le scandale de l'ARENH qu'il dénonce..

Ce dispositif censé être la porte d'entrée  d'un marché qu'il fallait créer est précisément l'outil d'une violence juridique, symbolique et économique. 

Concrètement l'ARENH est une obligation légale de céder 25% de l'électricité nucléaire d'EDF à tout fournisseur ayant décidé de s'investir sur le nouveau marché et apportant la preuve d'un portefeuille de clients acheteurs d'électricité. Les fournisseurs -jusqu'à près d'une centaine avant la crise et beaucoup moins aujourd'hui- se répartissaient le volume d'ARENH proportionnellement au portefeuille. Bien évidemment il ne s'agit pas officiellement d'une subvention puisqu'il existe un prix fixé par l'administration. De nombreux débats se sont déroulés y compris au niveau de la Cour des Comptes pour s'interroger sur le prix.  S'agit-il d'un cout complet, y compris le cout du démantèlement des centrales, ou d'un prix ne permettant pas à EFD de couvrir ses couts? Sans entrer dans le débat, il suffisait de voir au niveau du régulateur, c'est à dire la CRE, pour constater que la demande dépassait largement le quota ARENH, preuve que le prix était et reste extraordinairement intéressant. Il s'agit donc d'un détournement de valeur  d'une richesse produite par EDF, laquelle est pourtant une entreprise que l'on veut classique en la plongeant dans le bain de la concurrence. Il s'agit donc d'un détournement, d'un délit, couvert par l'administration et que les surveillants de l'Etat de droit ( Conseil d'Etat et Conseil Constitutionnel) n'ont pas voulu repérer.... ce qui ne peut que décrédibiliser les institutions. Ce détournement est devenu scandale lorsqu'avec la crise, EDF s'est vu imposé un montant accru d'ARENH, détournement nouveau entrainant une pénurie pour l'entreprise et obligeant cette dernière à acheter à des prix ahurissants de quoi satisfaire sa propre clientèle.

Symboliquement l'ARENH est insupportable pour les équipes de l'entreprise y compris ses dirigeants puisque l'on détourne de la valeur pour l'offrir à des concurrents nouveaux qui n'ont sauf de très rares cas '(Total Energies ou Engie) aucune compétence spécifique en matière industrielle. La seule compétence des équipes de ces concurrents n'est que de révéler  une habileté commerciale et spéculative puisque désormais le bien électricité n'est plus qu'un actif marchand sur lequel peut se construire une multitude d'actifs financiers d'un montant très supérieur à l'actif réel.... On s'éloigne de la question de l'énergie pour entrainer dans la finance spéculative les jeunes générations dont le talent pourrait se déployer sur les réalités économiques. L'ARENH c'est aussi le rétrécissement des emplois productifs et la promotion des activités inutiles voire nuisibles. C'est sans doute la critique la plus grave.

La réalité est d'autant plus scandaleuse dans sa violence que l'on cherche à promouvoir les lois du marché sans en connaitre les règles profondes. Rappelons en effet qu'un marché quelconque suppose la liberté de contracter pour tous les participants et le strict respect des droits de propriété sur les biens échangés. Sur les marchés classiques dans un Etat qui se dit de droit, les acteurs ne font l'objet d'aucune violence entrainant la limitations des droits de propriété. Le marché de l'électricité ne respecte pas ces axiomes de base: nul respect des acteurs et nul respect de la propriété de ce qui est échangé. 

Je laisse la place à Hervé Machenaud. Bonne écoute.

 

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6 février 2023 1 06 /02 /février /2023 10:43

EDF était naguère une entreprise intégrée allant de la production à la distribution et surtout disposant d’une situation de monopole. Durant de très nombreuses années ses dirigeants ont considéré que l’entreprise relevait d’un monopole naturel qui à ce titre fonctionnait à rendements continuellement croissants. Dans le cas considéré, l’entreprise constituée d’une multitude d’unités de production (hydraulique, nucléaire, charbon, fuel, gaz),  devait en principe couvrir  ses coûts (charges fixes + charges variables) par le jeu d’un tarif fixé par EDF et son actionnaire c’est -à-dire l’Etat.

EDF et ses couts marginaux

En pénétrant plus loin dans l’analyse ce qu’on appelle coût marginal, comme coût de l’unité supplémentaire produite peut être analysé au niveau de l’entreprise ou au niveau de chaque unité productrice d’électricité. L’habitude a été prise qu’on ne s’intéresse au coût marginal que pour exprimer le coût de la mise en service d’unités supplémentaires pour couvrir une hausse d’appel d’électrons par le marché. Dans la réalité gestionnaire cette pratique correspond aussi à une régulation de l’ensemble : EDF met en service d’abord les unités les plus efficientes et n’actionne les moins efficientes  qu’en respectant  une logique de coûts croissants. Ainsi à tout moment, et en dehors de la question de la tarification, EDF fonctionnait dans un rationalité économique parfaite : il n’était pas possible dans les conditions techniques, scientifiques et sociales du moment de faire mieux.

EDF et l’idée de rendements continuellement croissants

Le raisonnement allait plus loin encore en précisant que la production en continuelle augmentation permettait de bénéficier de rendements continuellement croissants. Bien sûr la croissance économique supposait la mise à disposition des usagers de quantités croissantes d’électricité, donc de plus en plus de centrales. Même en laissant de côté le progrès technique et en supposant inchangées les productivités des divers facteurs de production il est évident que l’infrastructure EDF allait bénéficier d’économies d’échelle. Clairement tout au long de l’aventure du monopole les charges fixes unitaires ne pouvaient en tendance longue que décroitre. Certes il pouvait y avoir  à tel ou tel moment une hausse des charges fixes, par exemple celles correspondant à l’élargissement du réseau de transport, mais ces charges nouvelles devaient s’évanouir dans la mesure où la circulation d’électrons se faisait plus grande. Il existait donc bien chez EDF une loi des rendement continuellement croissants justifiant l’idée de monopole naturel.

EDF et sa maitrise technique des rendements croissants

Toujours dans la pratique, EDF pouvait veiller à ce que son rendement reste maximal en évitant de mettre en réserve trop d’unités porteuses de charges fixes, donc en tentant de mettre en place des outils de lissage de la demande. Ainsi plutôt que de s’orienter vers des charges fixes unitaires plus lourdes, il sera préféré d’inviter l’usager à des effacements de demande pour lequel il sera rémunéré (heures creuses ou majorées, tarif de nuit, etc.). Le même souci entrainera l’ouverture du réseau et sa progressive interconnexion avec les réseaux étrangers.

EDF et sa maitrise politique des rendements croissants

Les ingénieurs économistes qui pilotaient EDF à l’époque du monopole connaissaient sans doute mieux les principes des rendements croissants que les actionnaires/fonctionnaires de l’Etat. A ce titre ces mêmes ingénieurs économistes se posaient presque souverainement la question du devenir de cette efficience maximale contenue dans le strict respect de la loi des rendements croissants. Plusieurs possibilités théoriques : la diffusion la plus large de l’efficience par le biais de prix continuellement toujours plus bas au bénéfice des usagers, la rétribution de l’actionnaire public lequel par voie fiscale ou réglementaire pourra rediffuser l’efficience, le maintien dans l’entreprise sous la forme d’investissements nouveaux continuellement croissants, enfin une combinaison de ses diverses possibilités. Si l’on compare l’évolution en longue période des prix de l’électricité entre les divers pays européens, on s’aperçoit que c’est plutôt le choix de la diffusion vers tous les usagers qui fut retenue : les électrons d’EDF deviennent  le  principe actif majeur de la compétitivité de l’économie française. Aux commandes de l’immense machine EDF, les ingénieurs économistes, aussi serviteurs de la Nation, vont en quelque sorte prendre le pouvoir sur l’actionnaire d’où le développement de l’idée d’un « Etat EDF ». Et un Etat qu’il faudra combattre de plus en plus avec la disparition progressive de ce que Bourdieu appelait de noblesse d’Etat et son remplacement par une noblesse managériale nouvelle, celle à cheval entre secteur privé et secteur public.

Une autre vision du monde implique la fin des rendements croissants

Tout va changer avec la naissance de la concurrence et la victoire de la noblesse managériale d’aujourd’hui. La concurrence introduit le principe d’émiettement de l’outil de production avec pour effet majeur la fin des rendements croissants.

                    -Ajustement complexifié de l’offre à la demande

Cette fin des rendements croissants commence avec le traitement difficile de l’ajustement offre/demande d’électrons. Cet ajustement instantané et infiniment précis était centralisé et s’opérait selon le principe d’autorité : toutes les unités de production obéissent strictement aux mouvements de la demande. L’entreprise dans sa diversité est unique et obéit à l’autorité qui centralise et commande l’ajustement. Le cout du non ajustement étant très élevé (variations de la fréquence avec accidents, délestages dramatiques et rupture des rendements croissants) le principe d’autorité -dans ce contexte de contrainte d’ajustement très élevé- est celui qui permet le mieux la coordination entre les  unités productives. Désormais, c’est -à-dire aujourd’hui, la coordination se passe par le marché et ses couts augmentent avec la nécessité d’introduire une bureaucratie réglementaire extérieure aux acteurs du marché. Inventer un marché et se mettre à jouer suppose la mise en place de règles afin d’anticiper et réguler une coordination d’acteurs qui ne sauraient avoir spontanément une vue d’ensemble.  D’où le CRE occupé par la nouvelle noblesse managériale et ses annexes.

                       -Les lourdeurs de l’intermittence

Mais la fin des rendements croissants repose aussi sur l’introduction d’unités de production dites intermittentes qu’il faudra épauler de diverses façons : doublement des unités de production d’électricité type éoliennes par des centrales classiques à actionner en cas d’absence de vent, principe de priorité de ces mêmes unités au détriment du classique en cas de vent important, subventionnement majeur de ces mêmes unités. Au-delà il faudra tenter de surplomber les lois simples et indépassables de la physique en tentant un stockage extraordinairement couteux : hydrogène, batteries et plus généralement les diverses stations de transfert d’énergie. Enfin la concurrence ne pourra naitre qu’avec la garantie de trouver auprès d’EDF des ressources sûres (ARENH).

La création artificielle d’un marché de l’électricité met ainsi fin au principe d’efficience maximale. Jadis les ingénieurs économistes d’EDF se servaient des prix pour valider une idée d’Etat providence : le monopole utilise le système des prix pour aboutir à un progrès que l’on vit encore comme aventure collective. Aujourd’hui les managers à cheval entre le public et le privé voient dans le marché artificiel et bureaucratisé l’exercice de la simple  liberté individuelle : l’Etat providence efficient laisse la place à la providence du marché. Avec souvent les rentes correspondantes, par essence privées, qu’au nom du respect du marché on ne saurait taxer. Désormais le prix ne peut que se fixer sur le cout marginal et les productions les plus rentables ne sauraient être taxées.  

Le  chemin à l’envers de l’industrie

Très curieusement au moins une partie du monde industriel semble parcourir le chemin inverse de celui d’EDF. Classiquement parce que le principe de coordination offre/demande est beaucoup plus aisé dans les marchandises classiques que dans le cas des électrons (le stockage, notamment y est possible) la concurrence s’avère techniquement facile et les divers acteurs s’y déploient sur un véritable marché autorégulé. Bien évidemment le principe d’efficience est toujours recherché, d’où une recherche continuelle de gains de productivité mais aussi la recherche d’effets d’échelle. La mondialisation fut sans doute un moment très important de recherche d’efficience avec spécialisation par pays et recherche d’avantages comparatifs notamment sur les couts de la mains d’œuvre. Parvenues à l’optimisation extrême dans un monde très concurrentiel, les entreprises industrielles sont de plus en plus à la recherche de nouveaux rendements croissants et de ce point de vue, sans le théoriser, elles aimeraient découvrir ce qui faisait le logiciel d’EDF : comment homogénéiser la production, la répartir entre toutes les unités disponibles jusqu’ici en concurrence et aboutir à des rendements fortement croissants ? Cela passe évidemment par une cartellisation masquée…un peu comme EDF n’était au fond qu’un cartel- il est vrai officiel- d’unités de production.

Cette cartellisation a commencé il y a bien longtemps avec les intrants techniques des diverses marchandises produites : les marchandises ne sont pas homogènes, notamment les marques comptent énormément, toutefois les composants et pièces élémentaires le sont davantage. Dans l’industrie automobile les choses iront très loin avec par exemple la construction d’unités de moteurs pour une diversité de marques. Aujourd’hui avec la numérisation et la flexibilisation des chaines il est possible d’aller beaucoup plus loin et garantir la baisse continue des charges fixes pour l’ensemble de la branche. Parce que les chaines ne sont plus spécialisées, qu’elles peuvent produire indifféremment et sans délais des voitures techniquement différentes et de marques différentes, on se retrouve dans la situation d’EDF monopoleur qui pouvait ajuster dans l’instantanéité l’ensemble de son parc. Les différentes entreprises restent en concurrence mais le poids de cette dernière est absorbée par un bloc productif de plus en plus solidaire, de fait de plus en plus monolithique, permettent de découvrir une loi des rendements croissants. Alors que la séparation technique des chaines entrainait des gaspillages de charges fixes notamment sous forme de productions inférieures aux capacités, désormais il est techniquement possible de faire disparaitre ce gaspillage et donc d’aller plus loin dans la course aux rendements. Reste évidemment à partager les charges fixes économisées, ce qui passe par une plateforme d’échanges. Allant plus loin le modèle d’EDF reste une référence et l’intégration complète justifie toute la réflexion actuelle sur la disparition des concessionnaires de l’industrie automobile. EDF fut obligée de se séparer de son véhicule de transport et de distribution mais l’industrie automobile cherche à découvrir et parcourir le chemin inverse….On pourrait bien sûr multiplier les exemples.

Bien évidemment cette tentative de cartellisation masquée se heurte aux dures réalités d’un monde en grande perturbation : chaines de la valeur brisées par les nouvelles constructions géopolitiques, barrières technologiques nouvelles, protectionnisme, fractionnement normatif, blocus divers, etc.

 

 

 

 

 

 

 

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1 décembre 2022 4 01 /12 /décembre /2022 07:49

 

Le dogme de la concurrence empêche aujourd’hui et probablement demain de procéder à la bifurcation de nos choix en matière d’électricité. Hélas ce même dogme avait déjà entrainé les catastrophiques décisions concernant EDF…

Un  monopole  théoriquement bon gestionnaire de la rareté des ressources.

 Ce que certains appelaient « l’Etat EDF » représenté par Marcel Boiteux, son emblématique président, ne correspondait qu’à la volonté de produire une infrastructure énergétique la plus efficiente au profit des usagers de l’industrie et des consommateurs. A cette époque Marcel Boiteux, déjà théoricien (théorème de « Ramsey-Boiteux ») et élève du prix Nobel Maurice Allais utilisait le cout marginal pour bien indiquer à l’usager la rareté de la ressource et en prendre conscience. Imposer un prix supérieur au cout marginal interdisait à l’usager de profiter d’une électricité moins couteuse ce qui l’invitait à faire des choix moins efficients donc gaspilleurs de ressources. Imposer un prix inférieur au cout marginal représentait aussi un gaspillage économique : les utilisateurs n’allouent pas leurs ressources selon les meilleurs choix et reçoivent un mauvais indicateur de rareté. A l’époque de Marcel Boiteux la gestion des « pointes » en termes de « capacité » et « d’effacement » utilisait donc le cout marginal comme outil d’orientation vers les meilleurs choix possible pour l’ensemble de la collectivité. D’où une politique tarifaire intégrant des variations selon les heures ou jours de consommation.

A l’époque du monopole, le cout marginal ne correspondait pas pour autant à un prix de marché. Concrètement les différentes centrales étaient classées selon leurs couts d’exploitation. La bonne gestion supposait que leur mise en œuvre, selon l’état de la demande, soit progressive : d’abord les unités les moins couteuses, puis progressivement mise en activité de celles qui le sont davantage. Le cout d’exploitation de la dernière unité, le cout marginal, correspondant à celui de la quantité d’électricité qu’il faut ajouter pour satisfaire la demande.  Si maintenant pour une raison ou une autre il y avait un « grand saut » de cout entre la centrale qu’il faut mettre en activité et les centrales inframarginales, EDF n’était pas obligé d’aligner le tarif de l’électricité sur la centrale marginale pour laquelle la mise en activité s’imposait. Clairement si EDF avait connu la crise du gaz russe, le prix de l’électricité aurait pu rester relativement stable, car en moyenne le cout moyen n’aurait que très  peu augmenté. Ce qui déterminait la grande solidité d’EDF, dans sa fonction très sécurisante d’infrastructure énergétique, était  sa configuration de monopole. Le cout marginal était un outil de bonne gestion mais il ne pouvait devenir un prix directeur quelle que soit la situation géopolitique rencontrée.

Parce qu’il a été décidé d’obéir au dogme de la concurrence, nous avons construit un système pluriel- incorporant plusieurs dizaines d’entreprises simplement fournisseuses d’électricité - où le cout marginal devenait automatiquement prix de marché. Si donc le cout marginal devient pour diverses raisons complètement différent des couts moyens, les prix ne correspondent plus aux réalités économiques de la production d’électricité. C’est évidemment le cas aujourd’hui où le prix du gaz consommé, engendre un cout très élevé, de très loin supérieur au cout moyen obtenu sur les centrales nucléaires, lequel devient mécaniquement un prix de marché, ne correspondant plus à la réalité d’un parc encore massivement nucléaire.

C’est la cassure du monopole et l’éparpillement entre unités concurrentes, et ce à l’échelle européenne, qui transforme le cout marginal en prix de vente. Face à la demande croissante d’électricité le prix de vente autorise la mise en exploitation d’unités plus couteuses. Si le prix n’atteint pas ce niveau, les centrales en concurrence correspondantes ne sont pas activées et il y a rupture d’approvisionnement. Si maintenant, malgré un prix de marché qui autorise la mise en exploitation, les gestionnaires renoncent à produire, ils se privent d’un profit : le cout marginal est censé représenté tous les couts y compris la rémunération du capital. Si maintenant pour des causes géopolitiques le cout marginal s’envole, alors la pénurie d’électricité se soldera par une formidable hause de prix. Ce que nous constatons aujourd’hui. Rien ne peut obliger un producteur utilisant des centrales à gaz de produire à pertes, pertes qui signifient la disparition à court terme dudit producteur. Le mécanisme du marché se trouve donc incapable d’assurer la sécurité qu’EDF en tant que monopole pouvait mener sans difficulté.

Un monopole partiellement contestable mais devenu victime d’une bureaucratie de marché

Pour autant Marcel Boiteux n’avait  pas complètement raison et il est vrai qu’en qualité de monopole, EDF n’était guère incité à imaginer des innovations sur les diverses façons d’envisager la production de l’énergie. EDF était capable de classer son parc global d’unités en activant d’abord les centrales les plus performantes et en réservant les moins performantes – celles disposant d’un cout très élevé- pour la gestion des pointes, mais il ne recevait pas les incitations autorisant des innovations de rupture. Pas de producteurs en concurrence pour engendrer de nouvelles technologies plus efficientes. Parce que monopole, aucun marché ne venait dynamiser les structures de production de l’électricité.

Pour autant EDF transmettait aux usagers les bonnes informations quant à la manière d’aborder l’utilisation rationnelle de l’électricité : « attention , moi EDF, chargée d’une mission de service public le plus efficient possible,  je met en place un tarif spécial car nous sommes en pointe et le cout marginal devient trop élevé ». Chaque usager était ainsi invité à prendre les décisions qui au-delà de ses intérêts privés rejoignaient l’intérêt général. EDF ravitaillait ainsi la France dans les meilleures conditions possibles étant donné l’état des techniques du moment.

Tout cela sera balayé avec le dogme de la concurrence et sa traduction dans l’édification d’une bureaucratie gigantesque censée garantir la matérialisation du dogme. Bureaucratie très visible dans la loi NOME et ses décrets d’application.

Si l’on dresse un bilan global depuis la loi NOME, EDF n’a reçu que des incitations négatives : part de marché du nucléaire à réduire sous forme d’oukase politique ; vente obligatoire à de faux/ vrais concurrents sous la forme du ponctionnement ARENH ; concurrents artificiels relevant d’un capitalisme de connivence sous la houlette du dogme du marché ; prise en charge de la mission de service public au regard des défaillances des systèmes simplement intermittents ; etc. Pas de limite à l’édification des murailles bureaucratiques : Commission de Régulation de l’Energie, surveillance des capacités, opérateurs d’effacement, EPEX Spot, Commissariat bruxellois de la concurrence, surveillance ARENH, surveillance des fournisseurs, etc.

Sous les décombres un peu de lumière ?

Une résistance semble vouloir s’instituer. Si la parole académique semble particulièrement silencieuse, on commence à enregistrer de vraies protestations de la part des acteurs – certes anciens- de la pratique industrielle. C’est le cas de Louis Gallois qui s’insurge contre les propositions européennes concernant le simple prix plafond du gaz pour résoudre la crise. C’est plus encore le cas de Jean Peyrelevade qui va jusqu’à proposer le retour du monopole public concernant le segment distribution de la filière électrique. Très curieusement, dans un article des « Echos » en date du 23 novembre dernier, il va jusqu’à voir dans le nouveau monopole qu’il propose un rôle semblable à celui de RTE. Plus encore il propose de confier à RTE cette charge nouvelle. Une véritable rupture épistémologique….

Dans une telle situation la concurrence sur les prix de vente disparaitrait et seule celle reposant sur les innovations technologiques garantirait le progrès de la branche. De quoi ne plus étrangler la France et son économie dans les conséquences des sanctions prises contre la Russie.

Il s’agit là d’un point de vue très intéressant en rupture avec le dogme bruxellois de la concurrence. Dans le contexte proposé beaucoup de questions restent posées. Que deviennent les fournisseurs qui ne sont mêmes pas nationalisables car ne correspondant pas à une véritable réalité économique ? Y a-t-il à craindre un tsunami financier contagieux face à une  rupture qui démonétiserait la pyramide des produits structurés et leurs porteurs ? Que deviennent les producteurs intermittents ? Que faire de la rente des intermittents à couts marginaux nuls (barrages) ? Etc.

Beaucoup de questions difficiles mais piste intéressante.

 

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22 novembre 2022 2 22 /11 /novembre /2022 08:51

Si la hausse des taux des banques centrales a pu mettre en difficulté les fonds de pension britanniques en septembre dernier, il est à craindre que ce que l’on appelle la crise de l’énergie aura des effets financiers autrement redoutables.

Lorsque les systèmes énergétiques sont globalement de nature monopolistique les différentes pièces du lego (production, transport, distribution, commercialisation) sont étroitement imbriquées dans un ensemble unique et la notion de prix de marché n’existe pas. C’était le cas d’EDF qui n’était en aucune façon géné par des variations du coût marginal. C’était toujours le cas pour ce même EDF qui gérait centralement les pointes de consommation en hiver avec ses stratégies  de « capacité » et « d’effacement ». La « maison » est « tenue » et la tarification, sans oublier les coûts moyens, peut obéir à une logique d’intérêt général. Avec la libéralisation, les différentes pièces cessent d’être articulées et surtout un grand nombre d’acteurs nouveaux intervient.

 Au titre d’une première vague de nouveaux acteurs d’un marché naissant, nous aurons un très grand nombre de producteurs nouveaux qui en France ne peuvent être, pour l’essentiel que des fournisseurs non producteurs en raison de la forte concurrence d’EDF. Et bien évidemment il faudra relier les différentes pièces par le jeu d’un marché qu’il faut inventer et sur lequel devrait se former un système de prix.

En raison de la nature de la marchandise électricité ( à l’inverse des biens classiques, homogénéité parfaite du produit et surtout sa non stockabilité)  ces fournisseurs ne produisent que rarement, ne transportent pas, ne distribuent pas, ne savent pas combien consomment leurs clients, lesquels ne savent pas d’où provient l’électricité utilisée. Au fond, ils sont déjà un peu dans la sphère financière purement spéculative où l’on échange des titres. Ils achètent et vendent en tentant d’édifier une marge sur un produit qu’ils n’ont jamais rencontré.

L’Etat se retire mais il sait aussi que le marché ne peut fonctionner correctement et assurer la parfaite continuité entre production et appel de consommation. Parce que l’intérêt privé l’emporte il est clair que les investissements de capacité ne peuvent qu’être oubliés et donc la gestion des pointes ne peut être correctement assurée. Il faut donc à côté d’un Etat qui se retire, imaginer une autorité de régulation et de surveillance bureaucratique. Les choses étaient simples sous la houlette du monopole, elles deviennent extraordinairement complexes sous celle d’un marché qui ne peut être que défaillant sans une épaisse bureaucratie. Ce sera le cas avec les « certificats de capacité » et leur gestion qui va regrouper un grand nombre d’institutions et acteurs : Commission de Régulation de l’Energie, RTE, opérateurs d’effacement, fournisseurs et producteurs, EPEX Spot. D’où aussi l’appel au monde académique pour tenter de rationaliser  la bureaucratie qui s’est mise en place. Curieusement les propositions académiques  orientées massivement dans la logique du libéralisme Coasien n’ont jamais évalué les couts de ladite bureaucratie et ce en contravention avec les travaux de Coase lui-même.

Maintenant puisqu’on échange, il faudra trouver un lieu virtuel ou réel dans lequel les fournisseurs rencontreront de vrais producteurs. C’est le cas des bourses d’électricité. Sur ces bourses se forment des prix  représentant l’état du marché pour une transaction déterminée, en un lieu géographique et à un instant donné. Sans présager des conditions futures, se sont ajoutés des marchés plus élaborés faisant intervenir la notion d’anticipation temporelle : les prix des contrats à terme (futures) et les échanges à terme (forward). Ce qu’il convient de comprendre c’est que la libéralisation fait que les échanges et les prix correspondants ne sont plus garantis, qu’il faut par conséquent se protéger des risques de prix, ce que l’on appelle les produits de couvertures que sont par exemple les swaps de prix.

C’est dire que la première vague d’acteurs nouveaux en induit une seconde complètement financière. La première vague faisait des échangistes des acteurs assez semblables à ceux de la finance pure. La seconde beaucoup plus nombreuse est faite de purs spéculateurs censés apporter liquidité et surtout sécurité. Le poids du secteur énergétique dans ses diverses dimensions (électricité, fuel, gaz, charbon, renouvelable dans sa propre diversité), son poids dans les contraintes macroéconomiques (l’économie est souvent toute entière de la production/transformation/consommation d’énergie), et surtout sa dimension géopolitique, font que la volatilité des prix est naturellement plus importante que sur toutes les autres matières premières. L’immensité et la complexité d’un marché mondial de l’énergie devient une source d’opportunités nouvelles pour la finance purement spéculative avec la formation perverse d’anticipations auto-réalisatrices et globalement ce qu’on appelle une exubérance irrationnelle.

Les agents économiques véritables, par exemple les entreprises, victimes de l’exubérance irrationnelle peuvent eux-mêmes se couvrir, par exemple par des swaps de prix sur l’énergie. Les entreprises négocient ainsi un contrat fixant un prix convenu avec un agent financier, le plus souvent une banque. Sur la base d’un notionnel (un montant physique d’énergie) et de périodes convenues, entreprises et financiers échangent des sommes représentant la différence entre l’évolution du prix de marché et le prix convenu. Si le prix de l’énergie augmente, et si le contrat qui relie l’entreprise à son fournisseur ne prévoit pas lui-même une couverture, alors c’est l’agent financier qui versera une compensation à l’entreprise. Dans le cas inverse c’est l’entreprise qui compensera la banque. Comme les fluctuations de prix sont considérables les swaps deviennent des outils risqués eux-mêmes susceptibles d’appels de marge. Parce que la finance ne fait que transmettre les risques on voit immédiatement que les swaps peuvent figurer dans d’autres produits structurés et ce à la dimension de l’inventivité financière. D’où un dangereux effet contagion.

La libéralisation du marché de l’énergie, en faisant naître un marché et une concurrence que la France avait jugé nuisible dans sa longue phase de prospérite, risque de devenir source active de la prochaine crise financière.

Cette source active va être renforcée par le développement des boucliers tarifaires qui représentent aujourd’hui environ 2% du PIB. Parce que ces boucliers, dans leur lourdeur, vont  aggraver considérablement  le déficit français (5 points de PIB contre seulement 3 pour l'Italie et 0,5 pour l'Allemagne selon la projection 2027 du FMI) nous aurons  là,  une force nouvelle qui pourra se conjuguer avec celle de l'overdose financière pour aboutir à la situation britannique de septembre dernier : crise purement financière et crise des finances publiques. 

 

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28 octobre 2022 5 28 /10 /octobre /2022 06:00

L’Europe se divise autour de la question de la crise énergétique. Aucun pays n’ose aborder la question centrale du marché de l’électricité dont le prix se fixe sur un coût marginal construit autour du gaz. La France est de ce point de vue le pays qui aurait le plus besoin de l’abolition du marché et le retour au système antérieur pratiqué par EDF. Parce que personne n’aborde cette question tabou - alors que le prix de marché est devenu meurtrier pour tous les usagers- les rencontres européennes sont devenues lieu de propositions entre tricheurs : on ne peut plus supporter le signal prix de marché, mais  parce qu’ on ne peut en parler , alors on multiplie les propositions pour cacher le problème. Ainsi on tente d’inventer d’autres « signaux-prix » en contournant le marché sans le renier. Tel est le cas de la position allemande qui tout en sacralisant le marché se propose néanmoins de le contourner par des aides publiques massives qui elles -mêmes présentent le gros défaut de délaisser les règles du marché unique. Tel est aussi le cas de la position française qui veut bloquer le prix de marché par l’idée de plafond. Tel est aussi le cas de la position de la Commission qui évoque un cartel européen (une plateforme selon le langage moderne) des achats pour améliorer artificiellement une position de marché. Tel est enfin le cas de la même Commission qui se propose de limiter la volatilité des prix en contournant les règles de la finance de marché. Les notes techniques des différents acteurs et de leurs personnels – (pensons à ces veilleurs de la concurrence que sont les personnels du CRE en France)- sont de plus en plus complexes et difficiles à comprendre. Elles matérialisent aussi (tout en les cachant) les oppositions frontales des intérêts entre les différents pays. C’est la raison pour laquelle nous proposons ce matin de reprendre les propos très abordables d’une syndicaliste très compétente et très claire sur le sujet pour approcher cette question centrale. Nous nous permettons ainsi de reproduire l’interview d’Anne Debrégéas réalisé par « Basta ! ». Les propos tenus par l’intéressée ne sont pas exempts d’oublis et de critiques et nous y reviendrons dans un prochain article.

Bonne lecture.

INTERVIEW d'ANNE DEBREGEAS

Avec la guerre en Ukraine et les tensions autour des approvisionnements en gaz, le grand public a découvert, fort étonné, que le prix de l’électricité dépendait des cours mondiaux du gaz. Comment est-ce possible ? A fortiori en France où l’essentiel de la production électrique est d’origine nucléaire ?

Anne Debrégéas : Pour comprendre, il faut revenir sur la manière dont est fixé le prix de l’électricité. Pour produire de l’électricité, on a des coûts fixes - frais de construction des centrales, frais de raccordement et d’entretien qui doivent être assumés, que la centrale produise ou pas – et des coûts variables, qui s’y ajoutent. C’est essentiellement le coût des combustibles, mais également d’autres coûts comme le « coût du CO2 » (qui pénalise les types d’énergies les plus fortement émettrices de gaz à effet

Pour fournir l’électricité correspondant à la consommation, les producteurs « appellent » en premier lieu les centrales qui leur coûtent le moins cher en termes de « coût variable », en l’occurrence les énergies renouvelables. Viennent ensuite le nucléaire, puis les centrales à base de combustible fossile, dans un ordre qui dépend des cours des différents combustibles, actuellement le charbon puis le gaz, et si nécessaire, le fioul. Et pour chaque filière, les centrales les plus efficaces sont appelées en premier : ainsi les centrales à cycle combiné gaz (CCG) sont appelées avant les turbines à gaz dont le rendement est moins bon.

Or, le prix du marché est fixé en fonction du coût variable de la centrale la plus chère disponible au niveau européen pour produire une unité (un MWh) supplémentaire, c’est-à-dire le plus souvent une centrale à gaz, même si elle n’entre que pour une faible part dans la production totale d’électricité. C’est ce qu’on appelle le coût marginal, soit le coût d’une production supplémentaire d’un MWh. C’est pourquoi le prix de l’électricité est extrêmement dépendant du cours du gaz, qui a beaucoup augmenté ces derniers mois.

Quelles sont les raisons de cette augmentation des cours du gaz ?

Cela s’est fait en plusieurs phases. Il y a eu une augmentation de la demande après le Covid, au printemps 2021, notamment en Asie ; et des problèmes techniques du côté des moyens de production, également liés au Covid, notamment en Norvège. Ensuite, les acteurs gaziers n’ont pas suffisamment rempli les stocks de gaz avant l’hiver, dans une gestion spéculative de court terme, et pour le gazier russe Gazprom en prévision des tensions géostratégiques à venir. Il y a aussi eu les problèmes et conflits autour du gazoduc Nord Stream 2, qui relie la Russie à l’Allemagne en passant sous la mer Baltique. Et enfin, la guerre en Ukraine, qui a tout fait flamber à partir de février 2022. L’Europe a dû mettre en service aussi vite que possible des terminaux méthaniers permettant de faire venir du gaz liquéfié par bateau, en provenance par exemple du Qatar ou des États-Unis (gaz de schiste). On arrive à des prix de marché qui ont dépassé 1000 euros le MWh cet été et qui sont aujourd’hui aux alentours de 500 ou 600 euros le MWh, soit une multiplication par 10 à 20 par rapport aux prix d’avant la crise !

Ces prix n’ont rien à voir avec les coûts de production de l’électricité en Europe, et encore moins en France même si ceux-ci ont augmenté ces derniers mois…

Effectivement. En France, en 2021, le coût de production du MWh a augmenté d’environ 4 %, pour atteindre environ 60 euros/MWh. En 2022, l’augmentation du coût de production a été bien supérieure. D’une part parce que le parc nucléaire ne produit pas du tout ce qu’il devrait produire – beaucoup de centrales sont à l’arrêt – et d’autre part parce que la production hydroélectrique est également en forte baisse cette année, du fait de la sécheresse. Nos centrales à gaz, bien que pénalisées par un coût du gaz très élevé, ont tourné davantage et la France a également dû importer davantage d’électricité au prix du marché, qui a explosé. En conséquence, le coût de production de l’électricité consommée en France en 2022 aura probablement plus ou moins doublé, mais nous ne disposons pas encore de toutes les données. On reste cependant loin du prix de vente, à 500 ou 600 euros le MWh !

« Ces fortes variations de prix menacent le budget des ménages et des communes, la survie des entreprises et la capacité des consommateurs à investir dans l'isolation »

Selon la théorie ultralibérale de l’Union européenne (UE), ces prix de marché, très volatils, devraient être parfaitement reportés dans les factures des usagers. La Commission européenne a ainsi imposé à tous les fournisseurs de proposer à ses clients une offre en tarification dynamique, qui reflète le plus possible, jour par jour, voire heure par heure, les prix de marché. C’est ce type d’offres qui a conduit des familles texanes à se retrouver avec des factures à plusieurs milliers de dollars, à la suite d’un épisode de grand froid dramatique durant l’hiver 2020-2021. C’est également ce qui a conduit les consommateurs espagnols à voir leurs factures augmenter très vite, dès l’été 2021, à la suite de l’envolée du prix du gaz. Très bonne élève de l’UE, l’Espagne avait appliqué des tarifications reflétant très bien les prix de marché. « L’exception ibérique », qui a conduit l’Espagne et le Portugal à obtenir une dérogation au marché, ne provenait pas du tout de leur situation moins bien interconnectée au réseau européen ni à la part de renouvelables dans leur parc de production, comme cela a été dit, mais bien de choix politiques.

Ces fortes variations de prix menacent le budget des ménages et des communes, la survie des entreprises et la capacité de tous les consommateurs à investir en faveur de la réduction de la consommation et de la décarbonation, notamment par l’isolation des bâtiments ou l’électrification de procédés industriels et des usages résidentiels.

Face à ces variations, il existe le tarif « réglementé », c’est-à-dire en partie encadré par l’État. Comment protège-t-il les particuliers ?

Avant l’ouverture des marchés au début des années 2000, il n’y avait qu’une seule grille tarifaire pour tout le monde, basée sur le coût de production de l’électricité en France. Cette grille se déclinait en différents tarifs selon les niveaux de consommation, la répartition de la consommation dans la journée (notamment la part de consommation aux heures de forte tension, dites « heures pleines ») et la capacité de baisser la consommation certains jours (option Tempo). Depuis 2015, seuls les particuliers, les toutes petites entreprises et les toutes petites collectivités peuvent encore en bénéficier. Donc les autres sont exposés de plein fouet au marché.

Certaines communes ont vu leurs factures multipliées par quatre, voire dix et certaines entreprises, également. Par ailleurs, le tarif réglementé qui subsiste pour les particuliers, les toutes petites entreprises et les communes a été dénaturé. Son mode de calcul a été modifié dans le but de favoriser la concurrence. Même le tarif réglementé se trouve ainsi partiellement indexé sur les prix de marché ! Dénaturé, inaccessible pour une catégorie de consommateurs, il protège donc de manière insuffisante. De plus, il est appelé à disparaître à terme, tout comme le tarif réglementé du gaz qui s’éteindra en juillet prochain, malgré la crise.

Vous dites que la concurrence, indispensable selon l’UE et le gouvernement français est « impossible » dans le secteur électrique. Pourquoi ?

Qu’est-ce qu’un système électrique ? Un réseau et des centrales de production. Tout le monde s’accorde pour dire qu’il n’y a pas de concurrence possible sur les réseaux. Que c’est un monopole naturel, avec essentiellement des coûts fixes. Une fois que les lignes sont construites, qu’elles servent ou pas, cela ne change rien en termes de coût. Personne ne pense pour le moment que ce serait malin de construire plus de lignes qu’il n’en faut pour ensuite les mettre en concurrence.

Même chose pour les centrales de production. Ce qui coûte, c’est essentiellement d’investir dans des centrales qui vont durer plusieurs décennies. Donc, c’est une vue de l’esprit que d’imaginer qu’on va construire plus de centrales qu’il n’en faut pour ensuite les mettre en concurrence. Ce serait un délire économique et écologique. Seul l’État est à même de planifier les investissements nécessaires pour que, même en pic de demande, on ait suffisamment de production pour satisfaire tout le monde.

Il faut en plus une parfaite correspondance entre la production et la consommation alors même que ladite consommation est difficile à prévoir, car elle dépend beaucoup de la météo, de même que la production. Ajoutons que l’on a peu de moyens pour stocker. L’équilibre parfait entre consommation et production, indispensable pour ne pas aller au black-out, est donc très compliqué à maintenir et exige d’utiliser la complémentarité de chaque centrale (certaines sont plus adaptées pour fonctionner de manière régulière toute l’année, d’autres sont plus flexibles, mais plus chères, etc.). On imagine difficilement une entreprise privée gérer cette complexité.

On entend bien sûr des gens nous dire que l’on peut introduire de la concurrence dans la production d’électricité, mais il s’agit en fait de délégation de service public. C’est toujours l’État qui planifie combien on doit construire de centrales nucléaires, ou de centrales renouvelables. Ensuite, il fait un appel d’offres et là, on a des entreprises privées qui se font concurrence. Mais c’est en amont du système de production. Une fois qu’elles ont gagné l’appel d’offres, elles ont un prix d’achat de l’électricité garanti sur la durée de vie de la centrale.

« Le fournisseur ne peut pas choisir son électricité, c’est la même pour tout le monde. Il met juste son logo sur la facture »

Ce développement du parc de production par planification et rémunération par des mécanismes hors marché basés sur des rémunérations garanties par l’État a toujours existé en France, à l’exception près du développement des cycles combinés gaz (CCG) pendant une courte période, peu avant 2008 : les investissements ont été guidés par le marché, avec une rémunération basée sur les prix de marché. Mais l’effondrement qui a suivi de ces prix de marché a provoqué des difficultés financières et des mises sous cocon, obligeant l’État à intervenir et mettant fin à cette seule expérience d’investissement piloté par le marché.

Hormis cette exception, le parc historique (principalement nucléaire et hydraulique) a été développé par le monopole public sur décision et financement publics. Il est d’ailleurs regrettable que ce parc largement amorti vende aujourd’hui une partie de son électricité sur les marchés, engendrant des sur-rémunérations très importantes dont une partie revient aux actionnaires des entreprises productrices au détriment des consommateurs.

Devant l’impossibilité d’introduire la concurrence dans la production d’électricité et les réseaux de distribution, ses partisans l’ont fait dans la commercialisation de l’électricité qui ne représente qu’une toute petite partie du coût final et qui est factice, dites-vous. Pourquoi ?

Pourquoi factice ? Parce qu’il n’y a pas vraiment d’activité de vente de l’électricité. Dans l’alimentaire, on peut avoir des entreprises qui sont des détaillants, qui vont aller chercher la nourriture, la transporter, la « packager », etc. En électricité, cela ne marche pas du tout comme ça. Le fournisseur, il ne peut pas choisir son électricité, c’est la même pour tout le monde. Il ne peut même pas dire : telle centrale va alimenter tel client. Il ne la transporte pas non plus, ne la distribue pas, il ne la stocke pas. Il ne compte même pas combien son client a consommé, c’est Enedis (le gestionnaire du réseau de distribution) qui le fait. Donc, finalement, le fournisseur ne fait rien du tout. Il met juste son logo sur la facture.

Aujourd’hui, la seule différence entre les fournisseurs, c’est le prix, car plus personne ne croit à la promesse des « offres vertes ». La décision d’avoir plus ou moins d’énergies renouvelables, cela se fait au moment où on investit dans le parc, pas une fois que le parc est construit. Et ce ne sont pas des tarifs différenciés d’achat de l’électricité qui vont permettre d’investir significativement dans des moyens de production : ce sont des décisions politiques, au travers de la planification et des mécanismes de tarif d’achat garanti. Ces décisions devraient être davantage contrôlées par les citoyens, par exemple par un vote sur le scénario énergétique mis en œuvre (définissant la part des différentes énergies), mais cela ne peut pas se faire par le marché.

Pour quelles raisons le gouvernement, et l’Europe, sont-ils si attachés alors à ce système de faux-semblant qui n’a pas l’air de fonctionner ?

C’est du pur dogmatisme. Ils ne veulent pas sortir du marché. Ni admettre que la concurrence n’est pas possible en électricité, et qu’elle ne sert à rien, et surtout pas à faire baisser les prix. Pourtant, ils reconnaissent aujourd’hui que ce système est absurde. Notre ministre de l’Économie Bruno Le Maire a, semble-t-il, découvert il y a un an qu’il était aberrant que le prix du gaz détermine le prix de l’électricité . Emmanuel Macron a dit la même chose en juin dernier, lors du G7 qui s’est tenu en Bavière. Plusieurs pays qui disaient que le marché fonctionnait très bien, comme l’Allemagne ou l’Autriche, commencent à reconnaître qu’il y a de très gros problèmes. Même Ursula Von der Leyen, la présidente de la commission a dit que cela ne fonctionnait plus – comme si cela avait déjà fonctionné ! – et qu’il fallait donc une réforme en profondeur.

« Les consommateurs, les grandes entreprises, et même le Medef, demandent un coût fixe et stable, et de la visibilité »

De plus en plus de gens disent que le prix de marché ne peut pas servir à rémunérer les moyens de production, car ils sont trop volatils. Mais rien ne bouge, car ils ne veulent pas sortir du marché. Ils essaient donc de faire des bidouilles pour garder ce prix de marché complètement aberrant en plafonnant par exemple la partie du gaz qui sert à produire de l’électricité. Des mécanismes complexes, difficiles à appliquer, auxquels personne ne comprend rien et qui ne vont pas résoudre durablement le problème. Au mieux, ce sera « moins pire » qu’actuellement, mais on ne peut pas s’en contenter !

Que faudrait-il faire, alors, pour calculer le prix de l’électricité ?

Tout ce que demandent les consommateurs, y compris les grandes entreprises et même le Medef, c’est un coût fixe et stable, et de la visibilité. Il faut donc revenir à une grille tarifaire basée sur les coûts de production. C’est la seule manière de garantir les investissements que l’on fait et d’assurer une équité de traitement des consommateurs. Avec les marchés, chacun se débrouille seul avec ses fournisseurs, certains payent plus cher que d’autres. C’est invraisemblable pour un bien commun.

La mise en place d’une grille tarifaire n’empêche pas d’avoir des objectifs écologiques et sociaux. On peut décider que l’on va pénaliser les fortes consommations et donner de la gratuité pour les premiers usages par exemple.

Est-ce possible d’adopter cette stratégie rapidement ?

Bien sûr. L’idéal ce serait de dire : on sort du marché à la maille européenne et on met en place un opérateur public qui exploite le système européen comme faisait EDF à la maille française. Mais il faut convaincre tous les pays. En attendant, la France peut d’ores et déjà décider d’avoir un seul acteur public avec des tarifs basés sur les coûts de production. Cet acteur public peut très bien s’intégrer dans le marché européen : les bourses européennes verront l’acteur public comme elles voient aujourd’hui plein d’acteurs privés ou partiellement publics et on continuera à payer nos interconnexions au prix du marché si on n’arrive pas à faire mieux. Cela ne remet pas du tout en cause le fonctionnement des autres. C’est possible techniquement, relativement simple à mettre en place, et l’efficacité est garantie.

N’est-ce pas contraire aux textes européens ?

Si. Car ces textes disent qu’il doit y avoir la concurrence au niveau des fournisseurs, et que les prix de marché sont obligatoires. Les directives relatives à la libéralisation du secteur de l’électricité et du gaz sont clairement antinomiques avec le principe d’un monopole public dans le secteur électrique. Mais en ce moment, il y a sans arrêt des dérogations parce que tout le monde voit bien que ça ne marche pas. Donc, c’est peut-être le bon moment pour dire : les textes, ça ne marche pas donc nous on fait autrement. Cela n’engage à rien pour les autres, cela ne change en rien nos modes d’échanges avec les autres, cela ne va pas changer la solidarité européenne, mais chez nous, cela va protéger les consommateurs de prix complètement aberrants et favoriser l’investissement dans la transition énergétique. Qu’est-ce qui va se passer si on fait ça ? Pas grand-chose, me semble-t-il…

Notre ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, mais elle n’est pas la seule, dit que cette sortie du marché européen est impossible, car cela reviendrait à se passer de la solidarité européenne, c’est-à-dire des importations d’électricité dont nous avons besoin. Qu’en pensez-vous ?

Je trouve cela honteux. Soit notre ministre ne comprend rien au système électrique, soit elle ment sciemment. Sortir du marché européen ne remet pas en cause les échanges transfrontaliers avec nos voisins européens. D’ailleurs, ces interconnexions sont bien antérieures à la mise en place des marchés et la France n’a pas connu d’évolution significative des volumes exportés depuis l’ouverture des marchés. L’interconnexion physique, c’est-à-dire le développement ou le renforcement de lignes transfrontalières, est déterminée en fonction des coûts du système électrique et non des prix de marché, impossibles à estimer sur des horizons de plusieurs décennies.

Les 13 et 14 septembre dernier, des députés de la NUPES ont interpellé le gouvernement sur ce point, pour demander si revenir à un système public remettrait, ou pas, en cause le système européen. Ils ont refusé de répondre. Nos entreprises EDF et RTE pourraient dire, elles aussi, que ce n’est pas vrai. Mais tout le monde se tait. Sur cette question du marché de l’électricité, il y a les intérêts privés d’entreprises comme TotalEnergie qui se rémunèrent grassement, mais il y a aussi une sorte d’autocensure à tous les niveaux. On est face à une montagne. Tout se passe dans l’ombre. Ce sont des négociations européennes, on ne sait jamais clairement quelle position la France va défendre, on peut encore moins en débattre. C’est incroyable !

Propos recueillis par Nolwenn Weiler
 

 

 

 

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14 septembre 2022 3 14 /09 /septembre /2022 16:55

Les ministres de l’économie des pays de  l’Union européenne sont en recherche de solutions pour assurer une maîtrise des prix de l’électricité tout en maintenant plus ou moins l’idée de marché. En cela, ils souhaitent respecter l’édifice juridique et institutionnel qui, tout au long de la construction européenne, s’inspirait de l’idée que l’électricité est une marchandise comme les autres et se doit  d'être mise à la disposition du consommateur européen par des mécanismes de marchés.

1 - Ce qu’implique un marché européen de l’électricité.

Plusieurs caractéristiques se doivent d’être mentionnées.

Une interconnexion permettant l’émergence d’un fort complexe prix unique.

Concrètement, les divers pays connaissant des situations très variables se devaient de procéder à des investissements d’interconnexion entre les réseaux nationaux. L’électricité n’étant plus une affaire de marché intérieur ou de service public, le consommateur européen devait pouvoir se ravitailler auprès du producteur de son choix quelle que soit son origine ou sa nationalité. Cela signifiait la construction progressive d’un prix unique sur lequel aucun pays n’a prise. Construction difficile car les réalités nationales sont très différentes. D’où, à titre d’exemple, gérer l’ultra compétitif EDF - ex monopoleur qu’il faut abattre pour créer le marché concurrentiel-  et  inventer l’étonnant prix règlementé d’accès au nucléaire dit historique (ARENH). On sait qu’historiquement cette initiative durement négociée, devait aboutir à l’artificialisation d’un marché de l’électricité avec des entreprises qui n’ont rien à voir avec l’industrie correspondante et, pour l’essentiel, ne sont que des entités factices se déployant dans un capitalisme de connivence accroché à une bureaucratie règlementaire nationale et européenne.

Un prix qui est un coût marginal.

Parce que l’électricité est toutefois élaborée dans des conditions techniques forts variables à l’intérieur de chaque pays et entre  pays - conditions qui relèvent de l’histoire ( par exemple choix de l’hydroélectricité puis du nucléaire en France) et de dotations naturelles ( sous- sol plus ou moins riche, montagnes etc.)- mais  surtout parce que l’électricité n’est pas stockable, le prix reflète en permanence la situation de plus ou moins grande tension entre l’offre et la demande. Logiquement, lorsque la demande est faible les différents systèmes nationaux produisent à partir des équipements les moins coûteux. Si la demande augmente, les producteurs procèdent à la mise en  activité d’unités jusqu’alors en sommeil. Logiquement cette mise en activité s’opère lorsque le prix de l’électricité dépasse les coûts variables. Si le prix baisse, les unités en question seront remises en sommeil. Il en va théoriquement ainsi dans toute l’Europe désormais interconnectée. On comprend ainsi que le prix de marché de l’électricité reflète les coûts des unités les moins efficaces.

Un coût marginal qui dépend d’autres prix.

Dans un pays quelconque, soulignons que les différentes unités de production sont technologiquement très variables : utilisation de l’eau, du vent, du soleil, du charbon, du pétrole, du gaz, de l’énergie nucléaire, etc. Les différences de coût de production sont importantes et assurent des rentes différentielles aux technologies les plus efficaces. Des rentes d’autant plus importantes que la demande exige des mises en activités d’unités peu efficaces. Mais cette efficacité dépend aussi très naturellement du prix des matières premières utilisées. Par exemple si le prix du gaz est, sur le marché correspondant,  très faible (début des années 2000), les centrales au gaz seront très compétitives et vont se ranger aux premiers rangs dans la classification des différentes unités de production de l’électricité. A ce titre, elles bénéficieront d’une rente différentielle. Si, à l’inverse, le prix du gaz est considérable (cas aujourd’hui), les centrales au gaz seront moins bien classées et d’autres technologies bénéficieront de la rente différentielle. Et une rente d’autant plus importante que le prix du gaz s’envole. Ce que médiatiquement on appellera des « surprofits ».

Des prix instables qu’il faut sécuriser par la finance.

Sans interconnexion, on pourrait imaginer un Etat interventionniste qui viendrait réguler le marché. C’est d’ailleurs encore plus ou moins le cas avec les unités de production que, politiquement, on veut protéger (éoliennes, panneaux solaires). C’est encore le cas pour tout ce qui est tarifs réglementés encore autorisés par les autorités européennes. Mais, pour l’essentiel, les Etats ne peuvent intervenir sur les interconnexions puisque cela reviendrait à contrôler les exportations ou importations d’électricité. Le marché doit être respecté et la bureaucratie européenne y veille. Le prix de marché est ainsi d’autant plus volatile que la demande varie dans l’instantanéité et qu’encore une fois il est matériellement impossible pour les producteurs de constituer des stocks. Il faut  ainsi matériellement imaginer au niveau européen une structure d’échange très transparente qui sera la Bourse des échanges d’électricité avec ou sans chambre de compensation (échange over the counters ou OTC). Que l’on soit consommateur ou producteur il s’agit de contrôler/sécuriser  les prix et quantités par des contrats sur des marchés à terme où se fixent des paris sur les fluctuations de prix. Les paris ont un prix, ce qu’on appelle le coût des couvertures sur risques, lesquels mobilisent d’importants moyens financiers (le collatéral) à priori étrangers à l’industrie électrique elle-même. Mais ces contrats sont d’autant plus sécurisants que le nombre d’acteurs est grand sur le marché : il faut par conséquent ouvrir la bourse des échanges à des acteurs qui n’ont rien à voir avec l’industrie. Il s’agit par conséquent de l’ensemble des acteurs de la finance qui seront ainsi chargés d’assurer la bonne liquidité sur les paris, bonne liquidité assurant in fine le bon échange de l’électricité réelle sur le marché réel….Concrètement cette bonne liquidité, aussi assurée par des opérations d’arbitrage entre toutes les bourses d’électricité, suppose un marché des échanges de paris plusieurs dizaines de fois supérieur aux échanges réels.

La présente crise, faite d’un prix aligné sur un coût marginal explosif est naturellement constitutive de prix beaucoup trop élevés pour nombre d’activités et bien sûr pour les consommateurs finaux. Elle produit en conséquence d’énormes rentes différentielles pour les acteurs des unités infra marginales.

2 - Les fausses solutions  à l’intérieur des cadres du marché européen.

Parce qu’il n’est pas imaginé de sortir d’un cadre général de marché, nous avons les possibilités classiques d’actions sur les prix, d’actions sur la formation de ces derniers soit d’actions sur les quantités.

Un écrémage des rentes différentielles

Une première piste étudiée au niveau européen est celle   d’un écrémage des rentes différentielles sous la forme d’une législation type « windfall profits tax » ( profits tombés du ciel) déjà utilisée aux USA lors de la première crise pétrolière durant les années 80. Ce que médiatiquement on appelle la « taxation des superprofits ». Il s’agirait de mobiliser les fonds rassemblés pour les redistribuer auprès des utilisateurs/consommateurs, avec comme conséquence un approfondissement des responsabilités européennes en matière de prélèvement et de redistribution entre pays. Pour le reste on ne touche pas au marché et à la formation des prix. Le chantier est d’une grande complexité technique et politique : comment saisir les hauteurs des rentes ? comment les apprécier ? sont-elles de véritables rentes ou bien sont-elles les effets d’un entrepreneuriat dynamique ? faut-il taxer ou bien imaginer un versement volontaire au titre d’un bien commun (abondement d’un fond vert) ? Peut-on venir en secours à la liquidité sur la finance en utilisant le produit de la capture des rentes différentielles ? Quelles clés de répartition des rentes captées entre les Etats ? Cette voie est manifestement un approfondissement de la bureaucratie de marché : une énorme armature réglementaire se rajoutant aux autres pour maintenir quoi qu’il en coûte un marché européen de l’électricité. Cette voie est aussi celle qui est logiquement défendue par de très nombreux acteurs et structures : personnels politico-administratifs des Etats et de Bruxelles toujours aidés de leurs agences dites indépendantes et de leurs entreprises de conseil, financiers et traders enracinés dans leurs régulateurs, cadres et dirigeants des entreprises de pacotille du secteur, etc.

Un bouclier tarifaire

Une  piste parallèle, voire complémentaire de celle  de l’écrémage des  rentes différentielles consiste à maintenir le marché en intervenant sur les prix qui s’y forment. Ici les rentes différentielles sont partiellement écrémées et les unités de production marginales, celles dont le coût variable est supérieur au prix autoritairement déterminé, sont subventionnées. Il s’agit du bouclier tarifaire dont vont bénéficier les utilisateurs. Ce boucler peut être infiniment variable et dépend des choix politiques et sociaux des divers pays. A peine de sortir de la règle du marché unique européen - ce qu’ont obtenu l’Espagne et le Portugal- la fiction du marché se maintient  et l’interconnexion généralisée continuera de permettre la formation d’un prix unique. Cette piste parallèle pose évidemment les mêmes questions et renforce celles liées aux entreprises de pacotilles qui se voient doublement subventionnées par l’ARENH d’une part et par la garantie de prix désormais administrés : c’est désormais l’administration qui fixe tous les prix, ce qui permet de vivre dans un cocon réglementaire complet très éloigné de l’entreprise classique. Avec bien sûr le transfert de tous les risques de prix à l’administration elle-même, laquelle les reportera sur les contribuables, et donc l’émergence partielle d’un monde complètement renversé….

Un prix plafond

Une autre piste en réflexion est celle d’un plafond sur les prix d’achat du gaz auprès du fournisseur russe, plafond venant limiter les prix de l’électricité et les rentes différentielles au profit des producteurs les plus efficaces. Cette pratique suppose l’acceptation d’un monopole bilatéral avec en face de Gazprom la seule administration bruxelloise. Ce choix est difficilement tenable car il s’agirait d’empêcher les comportements de passagers clandestins à l’intérieur de l’union européenne : Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, comportements favorisés par la Russie. Il est également une réalité contestable au niveau des autres producteurs qui pourraient revendiquer le prix plafond pour leurs exportations vers l’union européenne.

Un rationnement

Une dernière piste est bien évidemment celle d’un rationnement quantitatif soit contractuel soit imposé. Le rationnement contractuel ne pose guère de difficultés et il est technologiquement aisé de mettre aux enchères des périodes d’effacement dont le coût pourrait être financé par une taxation des rentes différentielles. Une autre solution celle de "l'Ecowatt" de RTE peut aussi s'avérer intéressante. Le rationnement imposé supposerait des interventions autoritaires et naturellement bureaucratiques. Soulignons toutefois que cette dernière piste maintient les difficultés déjà envisagées dans les pistes antérieures.

Entre le rationnement et le bouclier tarifaire il est aussi possible d’utiliser des mécanismes particulièrement complexes très difficiles à qualifier et qui, de fait, concerne une manipulation des bourses européennes de l’électricité. Tel est le cas du relèvement automatique du prix maximum que l’on vient de suspendre au terme d’une difficile négociation entre l’association des dirigeants des bourses, le régulateur européen et la commission[1]

Globalement les solutions sus énoncées présentent le défaut de ne pas s'attaque au problème central: celui d'un service public qui  ne peut s'appuyer sur le marché qu'en le contournant par l'édification d'une bureaucratie métastasique. 

3 - S’éloigner du marché européen et rétablir le service public en France

La spécificité de la France est que sa branche électricité bénéficie d’un coût unitaire moyen plus faible que partout ailleurs en Europe. Cela résulte de ses choix antérieurs qui font que les centrales à coûts variables élevés ( fuel, charbon, gaz) sont peu nombreuses. Toutefois le prix de marché s’alignant sur les unités de production les moins efficaces, l’excellente performance globale de la branche n’irrigue pas les utilisateurs. Il convient donc de rétablir cette irrigation par  une nationalisation qui va bien au-delà de celle envisagée pour EDF. Plusieurs propositions sont à envisager allant dans le sens d’un  rétablissement de  la mission d’EDF à produire du service public.

La disparition de l’ARENH

Le dispositif ARENH doit être abandonné et EDF doit pouvoir vendre la totalité de sa  production aux utilisateurs finaux. Il en résultera mécaniquement la disparition de toutes les entreprises et administrations de pacotille et la fin de l’emploi de milliers de cadres et salariés occupés dans des activités complètement improductives voire nuisibles à tout intérêt général. Ces derniers souvent hautement qualifiés peuvent se redéployer sans difficulté dans des activités productives. Au-delà la fin du marché français de l’électricité mettra  fin aux risques de marché tel celui miraculeusement évité par une erreur dans la spéculation chez « Electricité de Strasbourg »[2] début septembre. Des erreurs techniques peuvent toujours se matérialiser mais il est possible d’éviter les erreurs de marché en le supprimant. Il est donc important de supprimer le marché.

Un prix administré

La politique tarifaire d’EDF, libérée du poids de l’ARENH doit se situer entre le coût unitaire moyen du nucléaire et les coûts variables pour les centrales les moins efficientes. Le tarif correspondant doit lui-même être imposé aux producteurs d’énergie électrique intermittente et renouvelable. Leur survie dépendra de leur propre efficience ou promesse d’efficience, et il n’est plus question de laisser en jachère des unités de production EDF pour venir au secours d’unités intermittentes. Cela signifie la disparition du gaspillage de capital (2 capacités pour une unité produite).

Une interconnexion qui cesse d’être une atteinte à la souveraineté.

L’interconnexion avec les autres Etats européens est bien évidemment maintenue dans un esprit de secours mutuel. Les bouses à l’international sont maintenues mais EDF doit y  retrouver son monopole d’exportation et d’importation. Il n’existe donc pas de barrières à l’entrée ou à la sortie et EDF peut   acheter et vendre de l’électricité à l’étranger. Les activités de transport voire de distribution peuvent rester inchangées.

Le retour de l’efficience

La fin de l’électricité marchandise au profit du service public permet à EDF de récupérer une grande partie de sa rente nucléaire. Elle-même rente différentielle, elle permet à l’entreprise de retrouver progressivement des marges jusqu’alors perdues dans les coûts des entreprises de pacotille disparues, donc de retrouver les moyens de son développement. Une autre partie de la rente nucléaire est captée par les utilisateurs qui progressivement cesseront d’être victimes d’un marché conçu en dehors de toute réflexion géopolitique sérieuse (l’Allemagne face à Gazprom).

A plus long terme, avec la reconstruction de ce qui a été détruit par plus de 20 années de domination de  l’idéologie du marché, il sera possible de mettre fin à la crise de l’énergie.


[1] Le très bureaucratique marché avait été conçu de telle sorte qu’à chaque seuil de prix administrativement imaginé, un saut de 1000 euros le MWh était imposé aux fins de limiter la demande en faisant augmenter les prix. Ce mécanisme vient d’être abandonné et les opérateurs de marché ne peuvent plus jouer sur les prix pour répondre à la demande de leurs clients, d’où un report sur les marchés journaliers et une forte incitation aux économies d’énergie.

[2] La perte de marché résultant d’une vente massive suivie d’un rachat tout aussi massif s’est montée d’après le Financial Times du 11 septembre à 60 millions d’euros et a mobilisé RTE pour des compensations en provenance du Royaume-Uni et de l’Espagne.

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