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20 août 2021 5 20 /08 /août /2021 09:38

 Les handicaps du capitalisme spéculatif dans les anciens pays développés sont aujourd’hui connus et ne souffrent plus  de contestations. La liste est longue et peut être déclinée sous la forme d’un enchaînement plus ou moins approximatif de causes et d’effets : mode organisationnel de plus en plus déséquilibré entre propriétaires ( actionnaires) et salariés[1] ; faible investissement dans l’économie réelle[2] et financiarisation croissante de toutes les activités humaines ; croissance faible ; disparition des gains de productivité et perte de compétitivité au profit de géants asiatiques ; endettement devenu colossal des acteurs privés (ménages, entreprises) ; dette publique devenue abyssale débouchant de plus en plus sur une simple monétisation ; hausse considérable des prix des actifs, accumulation patrimoniale déséquilibrée génératrice de très fortes inégalités sociales[3] ; concentration croissante dans toutes les branches d’activités avec formation de rentes défavorables à la recherche et l’innovation[4].

La France ajoute à ces caractéristiques communes ses propres spécificités. La non acclimatation du néolibéralisme à la culture fondamentale du pays a entrainé des politiques de compensation, avec en particulier la prise en charge par l’Etat des effets les plus contestés des caractéristiques organisationnelles imposées à l’échelle mondiale. D’où des dépenses sociales - très bureaucratisées- beaucoup plus élevées que dans l‘ensemble des pays de l’OCDE ; d’où aussi des prélèvements obligatoires plus importants et au final une dette publique très élevée dans un contexte de sous compétitivité et de désindustrialisation plus marquée que dans les autres pays. La crise sanitaire vient d’élargir le périmètre de cet interventionnisme avec les programmes d’aides aux entreprises, programmes correspondant à un travail de « zombification » partielle de nombre d’entreprises déjà malades de la mondialisation.

Cet ensemble de handicaps qui caractérise le capitalisme moderne, est bien sûr à comparer à l’ancien régime d’accumulation autrefois appelé fordisme. Dans ce régime, le rapport de forces au sein de la grande entreprise était fort différent et les actionnaires y tenaient une place beaucoup plus réduite. Ce type organisationnel fut largement théorisé par James Burnham[5], à la suite d’autres auteurs américains qui avaient déjà observé concrètement la puissance des managers vis-à-vis des propriétaires[6]. Ce rapport de force fort différent explique largement les caractéristiques essentielles du capitalisme de l’époque : investissement matériel beaucoup plus élevé assurant la construction du pouvoir symbolique de managers non propriétaires ; croissance globale beaucoup plus élevée ; recherche de rationalisation et d’innovations elles-mêmes porteuses de pouvoirs symboliques ; gains de productivité très élevés ; redistribution de ces gains aux salariés dans un contexte d’actionnariat non dominant ; demande globale nourrie par des profits qui se réinvestissent massivement et des salaires qui se dépensent. Dans le cas français, les choses sont encore plus simples car un tel modèle correspond davantage à la culture française où la liberté est beaucoup moins ancrée dans la propriété que dans le monde anglo-saxon. C’est dire que culturellement ce qu’on appelait fordisme correspondait à une sorte d’idéal français avec, de fait, un travail coordonné entre « managers/organisateurs » publics et « managers/organisateurs » privés . D’où une planification indicative fort éloignée du « Nudgisme » et plus proche de l’idéologie d’un intérêt général. D’où aussi une cohésion sociale moins difficile car moins inégalitaire que dans le capitalisme de spéculation[7].

Le moteur du passage de l’accumulation fordienne à l’accumulation spéculative est bien évidemment la finance qui, en se développant, va donner des armes à l’actionnaire et lui permettre de changer le rapport de forces à l’intérieur de l’entreprise et transformer le manager en serviteur volontaire de la finance. Reste à savoir pourquoi elle va se développer, et progressivement transformer tous les acteurs internes de l’entreprise en esclaves de sa logique. Nous renvoyons ici à la lecture d’un ouvrage fondamental rédigé par notre collègue Pierre-Yves Gomez[8]. Cet auteur explique de façon détaillée la métamorphose de l’entreprise, à partir d’une décision du gouvernement américain, dans un contexte a priori très éloigné de notre sujet[9]. Nous souhaitons quant à nous aller plus loin, et voir que  c’est la fin du système monétaire de Bretton Woods[10], qui est peut-être le premier  big bang de l’accumulation spéculative.

Parce que le système de Bretton Woods restait encore rattaché - certes de très loin- au métal précieux, le monde vivait plus ou moins encore dans le système d’étalon-or du 19ième siècle. Il était donc fait de rigidités : difficultés d’imprimer des dollars au-delà d’une certaine limite, en raison de la menace de la conversion en or par des banques centrales partenaires, tenues en laisse par les Etats participants. N’oublions pas qu’à l’époque, les dites banques ne jouissaient pas de la fiction d’une indépendance leur permettant d’être au service de la finance comme aujourd’hui. Cela signifiait qu’il fallait aussi limiter la création monétaire par les banques américaines dont une partie de l’activité internationale permettait le développement du déficit de la balance des paiements ; donc  le gonflement des « balances dollars », dont le montant était régulièrement comparé à la masse de métal tenu par le gouvernement américain. La rigidité était aussi celle des taux de change qui ne pouvaient connaître de variations qu’à l’intérieur d’un couloir très étroit (plus ou moins 1%).

Globalement, le système de Bretton Woods était encore le frein d’un nomadisme financier toujours prêt à sortir de sa marmite. La spéculation sur les taux de change était peu envisageable car peu rentable : les modifications de parité sont  -politiquement non pas interdites- mais très difficiles à envisager. Cela signifie un commerce international sécurisé. Les mouvements de capitaux sont limités et un contrôle des changes vient brider le nomadisme afin de respecter l’engagement sur la fixité des taux. Le déficit américain doit rester contenu et sa pression inflationniste sur les autres pays doit être limitée pour - là encore- maintenir la fixité des taux. Au-delà, nous sommes  encore dans un monde où, selon la thèse de Burnham et ses nombreux collègues[11], « l’Organisateur » public ou privé est un être rationnel au service d’une idéologie de l’intérêt général qu’il veut servir pour en tirer des avantages symboliques. Et cet organisateur rationnel veut de la stabilité. Cela signifie que la finance ne peut se déployer à partir de « paris » sur de simples fluctuations de prix. Les seuls risques éthiquement envisageables se font sur l’investissement matériel, lequel doit se déployer dans un monde stable et sécurisé. C’est ainsi qu’à l’interdiction de la spéculation sur la monnaie va, de fait, s’ajouter  une certaine interdiction de la spéculation sur la plupart des autres marchandises. Le système organisationnel mondial chapeauté par celui de Bretton Woods fera que nombre de marchandises internationales verront leur prix fluctuer dans d’étroites limites. C’est bien évidemment le cas du pétrole dont la valeur du baril va rester stable jusqu’au début des années 70…précisément jusqu’à l’écroulement de Bretton Woods….

La fin de Bretton Woods est précisément la fin d’un monde sécurisé lequel deviendra un gigantesque marché pour une finance libérée. Concrètement la fin de la convertibilité du dollar en or débouchera en 1974 -et plus encore en 1976 avec les accords dits de la Jamaïque-  sur la fin des taux de change fixes, et donc sur des risques majeurs de changement de parité, à l’adresse de tous les acteurs du commerce international. L’économie financière qui, à quelques exceptions près, se confondait avec l’économie réelle et les limites étroites de ses investissements très matériels, va pouvoir s’en détacher. Désormais, elle va pouvoir s’annoncer comme marchande de sécurité sur une réalité mondiale économiquement désécurisée. Son premier très gros marché sera celui des devises abandonnées par la disparition de l’ordre de Bretton Woods. Il est aujourd’hui un marché quotidien représentant environ 3 fois le PIB annuel de la France. Exprimé autrement ses échanges quotidiens sont plus de 1000 fois supérieurs à la production matérielle quotidienne de la France… Et puisque ce premier gigantesque marché est un achat/ vente de couverture de risques (chaque opération est un risque qu’il faut couvrir car l’objet échangé n’est qu’un gain ou une perte future), il faut bien que le « parieur » (trader)  puisse reporter le risque sur un autre. Par essence le marché de la couverture de l’insécurité ne peut être que fortement croissant. Développer l’insécurité devient ainsi la matière première ultime de la finance[12].

Désormais, le vieux fordisme n’est plus accompagné dans sa logique rationnelle par une finance qu’il contient et qu’il maitrise. C’est, à l’inverse, une  finance dévorante qui doit être accompagnée et aidée par ce même vieux fordisme. Ce dernier doit donc se transformer radicalement avec l’émergence d’entreprises d’un nouveau type dont la seule vocation sera de produire de la valeur. Est-ce à dire que les anciennes entreprises dites fordiennes ne produisaient pas de richesses ?

Nous approfondirons ultérieurement ce thème dans une seconde partie.


[1] Au cours des 30 dernières années, dans les pays de l’OCDE, les salariés ne récupèrent que 45% des gains de productivité du travail du travail, le solde allant directement vers les actionnaires.

[2] Par le biais de rachats massifs d’actions dans les 500 plus grandes entreprises américaines, c’est seulement 7% des profits réalisés au cours de la dernière décennie qui vont se transformer en investissements dans l’économie réelle.

[3] La seule richesse immobilière passe d’une valeur de 70% du PIB en 1998 à 340% en 2020.

[4] La concentration se mesure par l’élévation de la part de marché dans les différentes branches au profit des entreprises les plus importantes. Cette concentration s’est considérablement élevée aux USA au cours de ces dernières années, phénomène accéléré par la crise sanitaire.

[5] Sa thèse fondamentale ne fût traduite en France qu’en 1947 chez Calmann-Lévy. Son titre : « l’Ere des organisateurs ».

[6] On peut citer ici les travaux d’Adolf Berle et Gardiner Means.

[7] Ce point est sans doute à nuancer car, bien avant le capitalisme spéculatif, il existait aux USA une certaine coordination entre ce qu’on appelait le « big business » et le « big government » .

[8] « L’esprit Malin du capitalisme » ; Desclée De Brouwer ; 2019.

[9] Il s’agit de la loi ERISA (Employer Retirement Income Security Act) du 2 septembre 1974 qui va transformer les caisses de retraites des entreprises en établissements financiers autonomes désormais chargés de diversifier leurs placements. Cette loi est le point de départ d’un fantastique développement de la Bourse et le fait que désormais une partie des retraites ne dépend plus de l’entreprise concrète de jadis mais du rendement d’un capital devenu abstrait. La richesse dépendra de moins en moins de l’économie réelle et de plus en plus de l’économie financière.

[10] Nous venons d’enregistrer le cinquantième anniversaire de sa disparition le 15 aout 1971.

[11] Collègues comme John Kenneth Galbraith et Alfred Chandler aux USA ou Michel Crozier voire Alfred Sauvy en France.

[12] Les outils de la finance sont bien sûr connus des praticiens. Pour autant Ceux -ci n’ont qu’une conscience limitée de la réalité de leurs pratiques. Pour une analyse détaillée des mécanismes fondamentaux de la finance le lecteur pourra se reporter sur l’article suivant : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-finance-et-droit-le-couple-impossible-122457721.html

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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 09:18

La pandémie semble bouleverser bien des points de vue et il parait aujourd’hui probable que les politiques industrielles constitueront une pièce majeure des débats lors de l’échéance présidentielle de 2022. Toutefois on parlera beaucoup d’industrie mais beaucoup moins du vecteur monétaire et en particulier la question de l’euro ne sera, à priori, plus à l’ordre du jour.

Dans un monde qui ne remettra pas en question l’économie de marché, l’industrie, comme les autres activités se déploie dans un canevas monétaire qui vient en dessiner la structure et les contours. Par exemple, côté structure, c’est bien aussi les prix relatifs du capital et du travail qui viennent dessiner le choix de la combinaison productive. Par exemple si le prix du travail diminue et que celui du capital augmente on privilégiera des organisations plus utilisatrices de travail.  Côté contour, c’est bien un système de prix qui vient fixer le poids et la qualité de la production par rapport à celui des services et des échanges, la part des importations et des exportations, etc.

On voit aussi que le système de prix est lui-même hiérarchisé et que l’un d’entre-eux, le taux de change,  est en réalité la clé de voûte de l’ensemble, avec d’emblée un statut de variable explicative, au moins partielle, de la totalité  macroéconomique étudiée.

Très simplement dans le cas de l’Europe, c’est bien un taux  de change d’un  type nouveau qui va massivement redessiner la macro économie grecque depuis le début du 21ième siècle. Parce que ce taux devient étranger à la réalité grecque- cotation élevée de l’euro contre Drachme de valeur faible-  les investissements se détourneront de la production au profit du commerce et de la distribution . Produire dans une zone déjà peu industrialisée  avec un taux de change élevé n’est guère rationnel, et ce qui pouvait être exporté avec un taux de change faible ne l’est plus avec un taux plus élevé. Par contre distribuer devient très rationnel et le taux de change élevé devient gain de pouvoir d’achat international. On comprend par conséquent la suite  des évènements : on produit moins, on consomme davantage, une consommation elle-même aidée par une autre distribution , celle du crédit…. et donc l’endettement est au bout du chemin.

Ce petit rappel d’une grande banalité doit être au cœur des réflexions de ceux qui dans beaucoup de mouvements politiques veulent reconstruire les bases industrielles de la France.

En allant plus loin, ce même petit rappel montre à quel point le taux de change était  un outil essentiel hélas perdu . Pour un pays comme la Grèce et bien d’autres pays du sud, son abandon  vient dessiner un système de prix aux  conséquences  majeures :

Le taux de l’intérêt se trouve plus faible qu’à l’époque de la Dracme, de la Peseta, de la lire, du Franc, etc; Le niveau de  dépense publique se trouve moins contraint que par le passé ; les contraintes en termes de recettes fiscales fléchissent ; l’endettement privé qu’elle qu’en soit sa destination devient plus aisé ; les importations moins couteuses peuvent croitre ; le prix du travail devient trop élevé ; l’investissement interne devient moins rentable ; l’investissement externe l’est davantage ; les exportations deviennent peu compétitives ; le cout des services explose ; etc.

De quoi modifier tous les comportements de tous les acteurs et d’entrainer des conséquences macroéconomiques majeures.

Ces modifications d’un système de prix orchestrées par un taux de change inadapté va aussi développer des effets majeurs sur les soldes financiers traditionnels, ceux désignés par les comptables nationaux par les expressions classiques suivantes : « secteur des administrations publiques », « secteur privé » (ménages et entreprises financières ou non), et « reste du monde ». Comptablement on sait que la somme algébrique des soldes financiers de ces 3 secteurs est égale à zéro. Ainsi quand la somme des soldes internes est négative (administration publique + secteur privé) cela signifie que le reste du monde bénéficie d’un solde positif pour un même montant…ou autre façon, plus simple, de s’exprimer : le pays entre en déficit au regard de son extérieur.

Quand par conséquent le vecteur monétaire est inadapté - dans le cas de l’Europe du sud, lorsque le taux de change est trop élevé par rapport au reste du monde y compris l’Europe du nord- l’évolution des soldes financiers devient problématique : déficit des administrations publiques, excédent du reste du monde ( donc déficit de la balance extérieure du pays) et solde de l’économie interne qui n’est que la conséquence des deux premiers. 2 situations possibles : si le déficit des administrations publiques est inférieur à celui de la balance extérieure, le secteur privé devient déficitaire ; à l’inverse si le déficit des administrations publiques est supérieur à celui de la balance  extérieure le secteur privé devient excédentaire.

Dans le premier cas, à solde extérieur donné,  le secteur privé laisse apparaitre un déficit financier résultant d’une alimentation trop faible en termes de ressources publiques. A  solde public donné, ce même secteur privé souffre d’une fuite de ressources vers l’extérieur. Le secteur privé (entreprises et ménages) s’étiole. Une situation d’étiolement qui peut connaitre des configurations variées par exemple en termes d’endettement trop lourd des entreprises, en termes d’épargne insuffisante des ménages, en termes de taux de marge trop faible eu égard à la concurrence, en termes de gains de productivité durablement inférieurs à ceux de la concurrence externe, en termes d’investissements de rente et non d’affrontements concurrentiels, etc. des configurations diverses qui hélas caractérisent assez bien  la réalité  des pays du sud de l’UE.

Dans le second cas, le secteur privé souffre d’une fuite vers l’extérieur mais se trouve surcompensée par l’alimentation publique.

Bien évidemment le second cas est préférable mais il se heurte à l’absence de souveraineté monétaire. En effet la grande question est de savoir comment financer le surplus de dépense publique, et un financement qui relève, on le comprend mieux maintenant, de la monétisation. Cette dernière ne pose pas de problème insoluble lorsque le pays concerné est monétairement souverain. Même lorsque la banque centrale est indépendante et que la dette publique fait l’objet d’un marché, un pays monétairement souverain développe une coopération entre sa banque centrale et son administration du Trésor. C’est en particulier le cas des USA où la Réserve fédérale soutient les « primary dealers » (l’équivalent des spécialistes en valeurs du Trésor de notre agence France Trésor) et veille à l’implication et  la rentabilité de ces derniers afin d’assurer le bon placement de la totalité des bons du Trésor. Avec une telle coopération même le gigantesque déficit engendré par les plans Biden se trouve financé avec des taux durablement faibles. Bien évidemment une telle coopération suppose une attention sur les risques inflationnistes, toutefois eux-mêmes maitrisables en raison d’un retour à forte croissance et donc à forte exigence en termes de disponibilités monétaires. Au-delà des modalités techniques de cette coopération entre Département du Trésor et Réserve fédérale, chacun aura compris qu’i y a mix des marchés primaire et secondaire de la dette publique, et qu’il y a donc complet dépassement de l’idée d’indépendance de la Réserve fédérale.

L’Union Européenne est l’inverse d’une zone de souveraineté monétaire et donc les pays du sud handicapés par une fuite vers l’extérieur ( taux de change trop élevé) ne peuvent compenser le saignement du secteur privé par un déficit lourd des administrations publiques. La BCE ne peut – au moins jusqu’à maintenant-répondre facilement et directement aux appels des Trésors en difficulté dans le sud de la zone. Ce fût le cas de la Grèce avec une BCE qui ferme le robinet. C’est potentiellement encore le cas de l’ensemble du sud si la même BCE n’arrive pas à s’extirper de la main allemande[1].

Présentement, tant que la BCE reste encore fondamentalement ce qu’elle est, les réformes structurelles se doivent de rester à la mode. Puisque le secteur privé (ensemble entreprises et ménages) ne peut compenser le saignement ( tendance fondamentale au déficit extérieur résultant d’un  taux de change irréaliste) par la dérive des finances publiques, la solution réside dans sa dévaluation interne : moins d’Etat social, diminution du cout du travail, baisse du montant des retraites, etc. Et une baisse d’autant plus forte qu’il faut aussi rendre plus compétitif le sous- ensemble entreprises du secteur privé : baisse de l’impôt sur les sociétés, disparition des impôts de production, allégement de la normalisation et de la réglementation, regroupement des agences de régulation  etc. Ajoutons que cette recherche de compétitivité doit aussi se faire compte tenu d’un partenaire nouveau : un environnement économique et climatique qui  doit de plus en plus être respecté, ce qui oblige une  grand rigueur sur les objectifs de la dévaluation interne. Très concrètement le cout de la « loi climat » ne peut se financer que sur les gains de la dévaluation interne.

Tant que fondamentalement le corset monétaire reste ce qu’il est, il est très difficile pour une éventuelle politique industrielle de s’abstraire de la logique des réformes structurelles. C’est en particulier ce que l’on constate en France avec le plan de relance : pas de retour à une stratégie de branche, pas de vision claire à long terme, et simple accompagnement de la logique de la recherche de compétitivité.

Bien sûr la BCE va encore beaucoup évoluer et probablement va-t-elle réussir à s’extirper de la main allemande. Toutefois même en faisant disparaitre les dettes du sud par inondation monétaire ciblée, la question du saignement par le déséquilibre extérieur restera posée. Et il sera difficile de muscler le secteur privé en particulier le sous ensemble des entreprises en abandonnant toutes les règles européennes qui ne sont que règles complémentaires et indispensable au fonctionnement de l’euro zone.

Une réindustrialisation est un processus lourd et difficile. Mais sans souveraineté monétaire permettant le choix du taux de change, la démarche s’avère complètement impossible. La contrainte monétaire, avec bien sûr ces conditions telle celle de la liberté de circulation du capital, sera pourtant totalement exclue des débats à l’occasion de la future élection présidentielle française. A l’inverse on voit déjà se dessiner des morceaux d’embryons de programmes où l’on retrouve « ripolinisées » les vieux slogans de la compétitivité et de la concurrence : « capitalisme responsable avec objectifs sociaux », « performance ESG » (environnement/social/gouvernance), « fin de la logique du « fair value » dans les normes financières et comptables », « réglementation souple sur la commande publique », « pouvoir d’adaptation de la réglementation », « création d’ une agence des technologies de rupture », « rationalisation des aides à l’investissement », « abolition de l’extra territorialisation du droit américain ». La liste n’est limitée que par le manque d’imagination des joueurs sur les marchés politiques. Des joueurs qui bien sagement jouent à l’intérieur des règles du jeu d’aujourd’hui. Le lecteur constatera que même les joueurs les plus hardis semblent se recentrer sur les règles et ce afin de jouer dans la même cour que tous les autres.


[1] Il est sans doute possible de nuancer ce jugement à la lumière de nos nombreux articles sur le présent blog qui s’interrogent sur la transformation de la BCE en « proto-Etat ». De la même façon, nous semblons assister en Europe aux prémices d’une coopération entre Trésors et BCE, un peu à l’image de ce qui se passe aux USA. C’est ainsi que les Hedg funds spéculent sur les dettes européennes en se portant acquéreurs massifs sur les marchés primaires pour revendre dès le lendemain à la BCE, laquelle achète en se couvrant derrière ses programmes d’achats de titres destinés à soutenir l’économie. Ce type de comportement permet aussi de comprendre que depuis plusieurs mois les carnets d’ordre sont parfois 10 fois supérieurs aux quotas d’émissions (Cf Les Echos du 12 avril 2021).

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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 10:24

 

Beaucoup s’étonnent du double mouvement de la croissance de la dette et de l’épargne. Les valeurs correspondantes n’ont jamais été aussi élevées[1] et il conviendrait d’en expliquer le moteur à un moment où l’on voit la finance s’intéresser à la réforme des retraites en proposant les services d’une capitalisation. Le présent article tente de proposer un éclairage sur la question.

Une réalité fort banale

Raisonnons sur un monde clos composé d’acteurs : ménages, entreprises, Etat etc., qui se livrent classiquement à des activités économiques avec leurs échanges correspondants. A un instant quelconque, on peut construire la comptabilité de ces activités et constater logiquement que certains acteurs seront en « capacité de financement » : ils auront constitué une épargne, tandis que d’autres seront en « besoin de financement » et devront s’endetter. Tout aussi logiquement certains vont donc détenir des créances sur d’autres. 2 constatations s’imposent :

  • La dette et l’épargne sont les deux faces d’une même réalité ;
  • La somme des « besoins de financement » est strictement égale à la somme des « capacités de financement ».

Le lecteur pourrait s’étonner et se poser la question d’une situation dans laquelle tous les acteurs seraient des fourmis dépensières… Dans ce cas, il n’y aurait tout simplement ni épargne ni dette… et la somme des capacités et des besoins serait égale à zéro…  Les économistes diraient que la somme algébrique des créances et des dettes est nulle.

Le monde n’est toutefois pas clos et les agents économiques se livrent à des échanges avec l’étranger : exportation, tourisme, placement de capitaux à l’étranger, revenus de capitaux issus de l’étranger, etc. Les économistes vont donc intégrer ces relations dans le système initialement clos et vont produire la comptabilité d’un ensemble plus vaste. Pourtant, rien ne va changer car ces relations avec le reste du monde feront introduire par les comptables nationaux, un agent appelé précisément « reste du monde », agent qui permettra de retrouver la clôture d’un système plus global. C’est dire qu’au terme des activités des uns et des autres, on va retrouver des agents en « capacité de financement » et des agents à « besoin de financement ». Le lecteur comprendra que le compte  « reste du monde » n’est que le miroir de la « balance des paiements », et que, là encore, la somme algébrique des créances et des dettes est égale à zéro. Nous retrouvons toujours la même réalité : si « A » a pu s’endetter vis-à-vis de « B », c’est que « B » disposait des moyens nécessaires et donc, qu’il a financé « A » à partir de son épargne. Classiquement, si le solde des activités des agents internes d’un pays   est un « besoin de financement », le solde de la balance des paiements dudit pays révèlera un endettement vis-à-vis d’un « reste du monde » devenu créancier. Plus concrètement encore, si les ménages français connaissent un « besoin de financement » et s’il en est de même des autres agents (Etat en déficit, entreprises qui s’endettent etc.), cela signifie que ces besoins ont été comblés par une épargne en provenance du « reste du monde  : achat d’entreprises françaises, achat de dette publique française, couverture du déficit de la sécurité sociale française par émission d’obligations internationales, etc.  Cette dernière situation est un peu celle de nombre de pays y compris les USA où le gigantesque « besoin de financement » interne, essentiellement provoqué par le déficit du Trésor américain (6 points de PIB), est compensé par des achats de dette publique par le reste du monde, essentiellement la Chine qui en fut grosse acheteuse pendant de très nombreuses années.

Globalement, pour un pays quelconque, le « besoin de financement » de certains de ses acteurs et les modalités de son comblement (souscription d’actions, souscription d’obligations, prêts, titres de dette publique, etc.), n’est que la contrepartie des « capacités de financement » d’autres acteurs, des acteurs qui ont dégagé une épargne, laquelle va se matérialiser par les instruments financiers susvisés. Il y a donc bien identité formelle entre dette et épargne.

L’introduction de la finance.

L’introduction du système financier dans le raisonnement vient compliquer les choses. Les banques sont des outils permettant de combler les besoins de financement des agents déficitaires…et à priori sans mobiliser une épargne puisque lesdites banques ont la possibilité de créer de la monnaie. Les banques ne sont pas de simples intermédiaires transformateurs d’une épargne - une « capacité de financement » - en dette pour des agents révélant un « besoin de financement » : les banques créent de la monnaie. Cette création est a priori une richesse qui n’existe pas. Il y a bien identité comptable sur le bilan du système bancaire pris dans son ensemble, mais il faut bien comprendre que la hausse de l’actif n’est qu’une promesse.

A l’inverse, dans un système qui ne prévoit pas de création monétaire, « besoins de financement » et « capacités de financement » sont des réalités tangibles. Si les acteurs « A », au terme de leurs opérations, ne disposent pas d’assez de moyens pour s’équiper de tel ou tel bien (voiture, machine, etc.), ils pourront s’endetter (combler leurs « besoins de financement ») auprès d’acteurs « B », qui eux, au terme de leurs opérations, disposent d’un excédent en biens déjà créés (voitures, machines, etc.). Bien sûr, il y a toujours le risque d’un non- respect des contrats, les acteurs « A » ne remboursant jamais les avances des acteurs « B ». Toutefois, dès qu’il y a création monétaire par les banques, il y a création d’une dette dont le remboursement relève d’un pari double : l’honnêteté des acteurs « A », mais aussi l’impossibilité potentielle pour ces derniers de rembourser en raison d’une promesse de richesse supplémentaire qui ne s’est pas réalisée. Dès que la finance s’en mêle, on comprend que dette et épargne ne sont plus les deux faces d’une même réalité.

On comprend aussi que le métier de banquier est de créer un maximum de dettes (faire grossir les « besoins de financement ») par le truchement d’une épargne fictive et surtout gratuite (émission monétaire). Quand, par conséquent, on introduit la finance dans l’équilibre comptable des besoins et capacités de financement, et donc dans l’équilibre de la dette et de l’épargne, on oublie de mentionner qu’une partie des capacités de financement - la soi-disant épargne- est purement fictive…. et donc inquiétante. Chacun aura ici en tête le crédit à la consommation qui n’est pas créateur de richesse, ou la dette publique dont une bonne partie ne correspond à aucun investissement. Il suffit ici d’avoir en tête l’activité de la CADES en France (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale). Alors que, traditionnellement, on définit l’épargne comme la différence entre le revenu et la consommation, nous sommes au niveau macroéconomique dans une situation où un surcroit de consommation est autorisé par un revenu fictivement construit. Chacun aura ici en tête la crise financière de 2008 reposant sur l’épargne fictive d’américains endettés dans l’immobilier par le jeu des célèbres « Subprime ».

Cette épargne est aujourd’hui devenue aussi grosse que la dette (il ne saurait en être autrement) mais son caractère fictif et son risque d’évaporation se trouvent au cœur de toute crise financière.

Concrètement une crise financière est d’abord un actif devenu illiquide, ou simplement dévalorisé qui, de proche en proche, contamine l’ensemble du système financier, avec au final la disparition de l’épargne des ménages qui apparait au passif du bilan des banques. Comme en 2008, on sait aujourd’hui qu’une partie des dettes publiques et privées sont de fait « actifs pourris » dans les banques. C’est dire que le passif des dites banques, massivement faits de comptes privés représentant une bonne partie de l’épargne, notamment celle des ménages, est devenu lui-même pourri…. concrètement une épargne qui s’évapore.

L’introduction de la Banque centrale

Bien évidemment il y a le prêteur en dernier ressort qu’est la Banque centrale. Alors que les banques comblent les « besoins de financement » (la dette) par des « capacités de financement » partiellement fictives, et souvent dangereuses (les crises financières), la banque centrale reste un roc indestructible.

Elle peut, en principe, nettoyer les bilans bancaires en achetant la dette pourrie et inonder le monde de liquidités. Les spécialistes diront qu’elle fait « grossir » son bilan en y inscrivant à son actif la dette pourrie et à son passif l’émission monétaire nettoyant l’actif des banques.

De ce point de vue, les exemples de la FED et de la BCE sont intéressants.

 L’endettement du Trésor américain en 2019 fut tel qu’il a fallu émettre 11500 Milliards de dollars d’obligations publiques, soit plus de la moitié du PIB américain. Aucune épargne correspondante ne pouvant absorber une telle masse, un marché sensible, celui du « REPO », - le lieu d’échanges de liquidités à court terme entre institutions financières - devait en conséquence connaitre une brusque hausse des taux. Devant les conséquences de ce danger immédiat (dévalorisation massive de l’ensemble des actifs et effondrement des cours en Bourse) la FED est intervenue pour créer fictivement l’épargne correspondante…avec bien sûr alourdissement de son bilan à l’actif et au passif. Au moment où nous écrivons ces lignes la FED continue d’éteindre l’incendie sur le « REPO ».

L’exemple de la BCE, bien que fort différent, va dans le même sens. Dans le cas européen, la dette publique de bonne qualité ( la dette allemande) est trop rare en raison du faible endettement allemand et des exigences impulsées par « L’EMIR »[2]. La dette publique de la zone euro suppose toujours des monétisations massives de la part de la BCE (épargne fictice donc dette accrue) mais dans le respect des poids économiques de chaque pays. Cela signifie que, pour empêcher l’emballement des taux comme la FED aux USA, il faut ici, pour soutenir largement les dettes faibles (celles du sud de la zone)  acheter de la dette de qualité  ( les bons allemands) relativement rare. Il en résulte mécaniquement des taux négatifs en particulier sur la dette allemande (la demande est plus forte que l’offre).

Ainsi les banques centrales restent le roc indestructible sur quoi repose une finance hors-sol…. mais en artificialisant les taux et en créant une épargne de plus en plus fictive qui inonde le monde….

Quelles en sont les conséquences ?

Bien sûr, en inondant le monde de liquidités, la création monétaire sans retenue permet l’élargissement sans limite des jeux financiers avec, au final, la financiarisation de toutes les activités humaines.[3] On en connait les effets pervers souvent décrits sur ce blog : aggravation des inégalités, rachats massifs d’actions[4], spéculation immobilière, artificialisation des bilans, rentabilité affaiblie des banques et compagnies d’assurance, couples entreprises/banques zombies, etc.

Ces faits sont évidemment très graves mais l’essentiel est sans doute ailleurs. L’artificialisation des taux ne permet plus l’allocation efficiente du capital et autorise toutes les dérives sur l’économie réelle. Affirmation qui mérite le détour d’une explication.

 Lorsque les taux d’intérêt sont positifs, ils sont naturellement l’élément central de l’allocation : je vais affecter mon épargne à tel usage si ce dernier m’apporte un rendement supérieur ou égal au taux de l’intérêt. Si les taux sont très faibles- parce que les dettes sont devenues gigantesques et qu’il a fallu produire une non moins gigantesque épargne artificielle - alors il devient possible d’allouer le capital vers des zones moins efficientes, mais aussi obligatoire de rendre ces dernières brutalement plus efficaces. L’endettement facile permet en effet d’acheter à prix élevés des entreprises peu rentables…et de les rentabiliser par un management ou une réorganisation brutale. Les anciens actionnaires sont gagnants, et les nouveaux deviennent obligatoirement brutaux pour rembourser l’épargne artificielle mise à leur disposition. Dans nombre de cas, la valeur ajoutée produite n’augmente pas et se trouve simplement redistribuée entre actionnaires ou financiers et salariés. Ce qui nous renvoie à une logique de croissance faible et de fort développement des inégalités. Ce n’est plus le talent schumpetérien qui est rémunéré, mais la cupidité de simples rentiers. Globalement l’artificialisation de l’égalité des « besoins de financement » et des « capacités de financement » engendre des effets macroéconomiques et macrosociaux contestables.

Alors, retraite par capitalisation ?

Si dans la grande correspondance entre besoins et capacités de financement on vient greffer l’idée de retraite par capitalisation, on   ajoute au grand tumulte de la finance. Les fonds de pension, acteurs et utilisateurs des marchés financiers, ne peuvent que jouer à l’intérieur des règles du jeu et voient leurs actifs plonger dans le grand bain de l’incertitude radicale. Certes, les fonds en question peuvent privilégier la propriété plutôt que la dette et ainsi préférer le marché des actions à celui des obligations[5]. C’est toutefois méconnaitre que, par le biais de l’adoption généralisée de la norme IFRS09, le principe de la « fair value » concerne tous les bilans, lesquels sont affectés par l’irruption des fluctuations de prix sur lesquelles il est devenu impossible de ne point spéculer, ne serait-ce que pour se protéger. D’où, l’effacement progressif de la distinction entre une propriété jugée sécurisante (les actions) et la dette jugée plus dangereuse (les obligations). La retraite par capitalisation, contrairement à ce qu’affirment ses défenseurs, ne fait pas automatiquement grossir l’investissement macroéconomique. A l’inverse, elle déplace le centre de gravité du jeu économique : moins d’économie réelle et hypertrophie d’une finance simplement spéculative et improductive. Le résultat est une croissance quantitativement plus faible, et qualitativement plus inégale.

De tout ceci, il faut tirer une conclusion fort pratique : parce que l’économie réelle est plus solide que l’économie financière, il est sage de faire reposer l’avenir des retraites sur le travail et donc la répartition. Mais Il faut aussi immédiatement ajouter que la répartition également affectée - certes de plus loin -  par la financiarisation généralisée, une véritable réforme des retraites passe aussi par la dé- financiarisation de l’économie. Ce qui nous renvoie en priorité sur la « mère des réformes », c’est-à-dire la réappropriation par les Etats de tout ce qui est en amont de la finance, et en premier lieu la création monétaire. Ceci nous renvoie à l’important dossier de la « monnaie pleine » sur lequel le blog s’est parfois penché.

Tout ancrage de l’avenir des retraites sur les marchés financiers tels qu’ils sont, est une opération extrêmement risquée.


[1] La dette mondiale serait aujourd’hui, selon   l’Institut de la finance internationale, (« IIF »), de 246000 milliards de dollars (320% du PIB Mondial). Dans le même temps, l’épargne mondiale ne fait qu’augmenter. En particulier, les ménages français ont,  entre 2015 et 2019 ajouté à leur stock d’épargne un montant anormalement élevé, avec,  par exemple des dépôts courants qui ont augmenté de 34% dans une contexte de croissance très faible.

 

[2] « European Market Infrastructure Régulation ». Il s’agit d’un texte, fort contesté aujourd’hui, qui impose en Chambres de Compensation des « appels de marge », c’est-à-dire de garanties  prenant la forme de dette publique de qualité.

[3] Nous renvoyons ici à notre texte : http://www.lacrisedesannees2010.com/2019/10/les-nouvelles-pluies-de-monnaie.html

[4] Ces rachats prennent des dimensions spectaculaires : Plus de 3000 milliards de dollars sur les 5 dernières années pour les entreprises américaines (sources : analystes de Yardeni Research)…Soit plus que le PIB de la France ….

[5] De plus en plus les fonds de pension sont invités à travailler  sur des « Exchange Credit Funds » ( les célèbres ETF)  ou « Trackers ». Titres fondés sur les seuls indices boursiers ou des indices obligataires, ils deviennent une matière première privilégiée pour les plans d’épargne retraite (PER) et les plans d’épargnes en actions (PEA). Ces fonds indiciels sont aussi favorisés par la réglementation internationale mais aussi la fiscalité française.

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26 décembre 2019 4 26 /12 /décembre /2019 06:12

 

 

Le monde politico-médiatique ne permet en aucune façon de comprendre la nuisibilité génétique de l’Euro.

Bien sûr, il ne lui est plus possible, sous peine de décrédibilisation, de nier l’existence de difficultés gravissimes, mais la réponse est toujours la même : l’euro nous sauve de difficultés autrement plus graves, à savoir une faillite généralisée. Cette situation de non-dit est très dommageable car elle donne à toutes les politiques publiques une image détestable nourrissant le populisme. Le citoyen de base comprend difficilement l’acharnement sur les couts globaux du travail (salaires et rémunérations directes, charges sociales, budget santé, charges du chômage, retraites, etc.) alors même que la BCE continue de déverser des flots colossaux de monnaie sur le système financier.

Il est donc important d’expliquer, le plus simplement du monde, en quoi l’euro constitue l’une des grandes barrières de la marche de l’humanité vers plus de  solidarité aussi bien interne (protection sociale) qu’externe (respect des identités culturelles de chaque peuple). Pour le lecteur pressé nous commencerons par un bref résumé des points importants de l’article qui suit.

 

Points à retenir :

- La réduction des déséquilibres entre zones économiques inégales et de même monnaie suppose des transferts.

- « Machines à homogénéiser », les Etats voient dans les transferts une source de légitimation.

- L’outil de transfert, et donc de légitimation, souvent privilégié est « l’Etat Providence ».

- L’euro chevauchant des zones économiques inégales correspondant à des souverainetés différentes contrarie le fonctionnement normal des Etats dans leur travail de légitimation.

- L’Etat de l’économie la plus performante ne peut que s’opposer à des transferts.

- l’union monétaire produit de la désunion économique et sociale entre nations.

- L’union monétaire fabrique un ensemble articulé « centre/périphérie » produisant l’affaissement de toute possibilité de choix démocratique dans les zones périphériques.

- En raison d’un taux de change inadapté, il est pour toute périphérie très difficile de rejoindre le centre en respectant les « règles du jeu » de la monnaie unique.

- Cette difficie jonction concerne particulièrement « les Etats Providences » de la périphérie.

- La pérennisation de la monnaie unique engendre des effets dépressifs sur la zone en particulier sur son « Etat Providence collectif »,

- Les effets dépressifs se propagent sur l’ensemble de la planète en raison du poids important de l’économie européenne dans le monde.

- Le projet de construction d’un « Etat Providence » mondial est une utopie.

- La clé de la compréhension et du sens des politiques publiques française passe par la compréhension des formidables contraintes de la monnaie unique.

 

1) Bien fixer le cadre du raisonnement : La monnaie unique dans un espace national où les échanges entre régions sont déséquilibrés.

 

Pour cela, nous raisonnerons à partir d’un exemple très concret, celui d’un Etat-Nation où, bien sûr,

 une seule monnaie circule. Imaginons deux régions, l’ex-bassin minier du Nord et du Pas de Calais dans ses relations avec la région parisienne. Pour simplifier encore, nous supposerons que la France ne comporte que ces deux régions.

 Sans donner de chiffres, on sait immédiatement que la première est déficitaire, tandis que la seconde est excédentaire. Clairement, les houillères ayant disparu[1] pour ne laisser que du vide, un espace de consommation et de solidarité (personnes âgées, chômeurs, malades, personnes en situation de handicap) ne peut être assis sur un espace de production disparu et donc des transferts proviennent de la région réputée excédentaire.

 

Comment les choses se manifestent sur le plan du système financier et en particulier des banques ?

 Pour simplifier, nous imaginerons qu’il n’existe qu’une seule banque pour la région des Houillères (« banque des houillères » : BH) et une autre pour la région Parisienne (« Banque de Paris » : BP).

 

Puisque la première région est déficitaire, les flux financiers se dirigent depuis BH vers BP. Ces flux ne font que traduire le fait que, par exemple, les clients de BH paient leurs fournisseurs dont le compte se trouve sur BP. La monnaie « fuit » ainsi depuis BH pour se diriger vers BP. Matériellement, chaque banque bénéficiant d’un compte à la banque centrale, cette fuite se repère au niveau de cette dernière et celle-ci va débiter en continu le compte de BH et créditer celui de BP.

Matériellement, puisque la région des Houillères ne produit plus, les marchandises achetées proviennent de la région parisienne qui, elle, est censée produire beaucoup. A ce flux physique correspond un flux des paiements en sens contraire.

Constatant que BH se vide progressivement, quelles sont les solutions qui permettraient d’éviter la rupture entre les deux régions, avec en particulier la disparition du système de solidarité  dans les houillères ?

Il en existe théoriquement 6 :

1- BP accorde continuellement des crédits aux clients de BH, ce qui alimente les comptes clients qu’elle gère, et donc son compte à la banque centrale.

2- BP accorde continuellement des crédits à BH, laquelle peut ouvrir de nouveaux crédits à ses clients. Des moyens de paiement sont ainsi distribués que BH pourra transférer vers BP.

3- La Banque de France (la banque centrale) fait crédit à BH et alimente le compte de cette dernière. En retour BH pourra faire crédit à ses clients et l’équilibre des paiements sera à nouveau assuré.

4- Le Trésor qui est l’organisme financier public au-dessus des deux régions, subventionne la région des Houillères ( RSA pour les anciens mineurs, aides diverses, aide à l’investissement des entreprises, investissements publics, etc.) Ces subventions viennent compenser la fuite de monnaie de BH vers BP.

5- Aucun crédit ni subvention n’est accordé à personne et la région des Houillères se détache progressivement du reste du corps social et politique. Il n’y aurait pas à proprement parler de rupture, mais émergence d’une zone de marginalisation très éloignée des standards de la région parisienne. Laissons le lecteur imaginer ce que serait la région sans les retraites des houillères, la reconfiguration du patrimoine immobilier, l’absence de sécurité sociale, l’absence de réels outils de formation, l’absence du Fond d’Industrialisation du Bassin Minier (FIBM), etc. Il n’y aurait même pas les entreprises de la Grande Distribution qui constituent l’essentiel du tissu économique et qui, toutes, se nourrissent des seuls fonds de transferts….

6- L’Etat introduit une nouvelle monnaie dans les Houillères, une monnaie ne s’échangeant avec l’ancienne que sur la base d’un taux fort réduit. On peut ainsi espérer que les habitants de la région vont moins consommer de produits, devenus excessivement chers, en provenance de la région parisienne et vont créer des activités devenant compétitives en raison du taux de change. Le résultat sera une exportation vers la région parisienne. De quoi rééquilibrer les flux entre les deux banques. En attendant l’équilibre, le système de solidarité se fera plus réduit : moins de soins, moins de médicaments, moins d’aides diverses.

 

Laquelle ou lesquelles de ces 6 solutions, théoriquement envisageables, sera (seront) retenue(s) ?

Les solutions 1 et 2 ne sont évidemment pas crédibles et on ne voit pas pourquoi BP ferait crédit à des débiteurs insolvables.

La solution 3 est envisageable dans le cas d’une Banque centrale soumise au Trésor : l’Etat donne l’ordre de créer de la monnaie au profit de BH, laquelle ouvre des crédits auprès de ses clients. Proche d’un « Quantitative easing for the people » elle est peu pensable dans le cas d’une banque centrale indépendante.

La solution 4 est celle historiquement constatée dans à peu près tous les pays du monde : la région déficitaire est largement subventionnée par les pouvoirs publics. Son défaut est naturellement qu’elle alimente les clientélismes et devient un enjeu majeur des marchés politiques.

La solution 5 n’est envisageable que fort rarement et peu de nations laissent en déshérence complète une région. La raison en est que le fonctionnement normal des marchés politiques débouche sur des mesures d’homogénéisation, de mise à niveau au moins partielles ou approximatives, qui elles -mêmes fabriquent une forme de légitimation du pouvoir. Ce que nous appelons « marchés politiques ».

La solution 6 n’existe pas au sein des Etats classiques car historiquement la monnaie, attribut de la souveraineté est « une » et permet l’homogénéisation recherchée par le pouvoir. Elle peut se vivre dans des conglomérats, très rarement dans des Etats fédéraux ou des empires, mais jamais au sein d’Etats Nations classiques. Cela signifie que la fin de l’Union monétaire qui existe dans un Etat, est politiquement impensable. A Paris comme à Lens on utilisera la même monnaie. Il y a bien « irréversibilité » de la monnaie unique comme il est devenu habituel de le dire pour l’Euro.

A y regarder de plus près, les solutions 5 et 6 sont historiquement non vérifiées car elles sont contraires au principe même du fonctionnement des Etats. Sans revenir à la question de la nature profonde des Etats, souvent examinée sur mon  blog [2], on sait qu’un Etat est logiquement et le plus souvent producteur d’une identité commune, en ce sens qu il produit – répétons-le - de l’homogénéité et ce, même s’il est décentralisé (souveraineté sur un espace délimité par des frontières, système juridique, linguistique, monétaire, militaire, etc. mais aussi principes d’égalité, d’unité nationale et territoriale, etc. Mais enfin principes de solidarité entre citoyens, principes très souvent porteurs de légitimité politique)

Dans ces conditions lorsque des déséquilibres entre régions émergent les solutions 5 et 6 apparaissent comme des échecs politiques majeurs et au nom de la solidarité qui se niche dans l’idéologie d’un intérêt général, la solution des transferts et aides diverses s’impose… donc au final s’impose la solution 4.

 

Si l’on dresse le bilan des possibles face à un déséquilibre régional, nous avons :

- Sur le plan financier, Impossibilité du recours durable au crédit, surtout dans un monde où l’indépendance des banques centrales est la règle (solutions 1,2 et 3).

- Sur le plan politique, Impossibilité des choix sécessionnistes (solutions 5 et 6).

Le seul choix est donc celui des transferts dont les caractéristiques quantitatives et qualitatives sont historiquement très variables. Ainsi on peut avoir le choix de solutions complètement rentières (la population est subventionnée pour rester fidèle à l’ordre politique en place) ou au contraire de mise à niveau (la région déficitaire bénéficie d’un programme visant à l’alignement sur la productivité de la région excédentaire). Dans les faits, au gré des marchés politiques, c’est souvent un mix qui finira par s’imposer.

 

Les conséquences macro-économiques.

 

La solution des transferts pose celle de son financement.

 Dans notre exemple, le déséquilibre correspondait au fait que le charbon n’est plus acheté par la région parisienne, laquelle va acheter du pétrole et va ainsi bénéficier d’un effet coût et d’un effet revenu. Les parisiens feront des économies lesquelles pourront être redéployées vers de nouvelles consommations et/ou de nouvelles formes de solidarité. Les producteurs de la région parisienne verront leur efficience productive s’améliorer - une énergie moins coûteuse - et la valeur ajoutée correspondante pourra se déverser sous la forme de profits, de salaires, voire de baisse de prix. De la même façon, si l’on suppose que les producteurs de pétrole sont dans la région parisienne, les revenus de cette profession viendront s’ajouter à la demande globale.

En contrepartie, la région parisienne perd sa clientèle du bassin houiller. Le redéploiement, faisant suite à la fin du charbon, est toutefois globalement avantageux car le « système productif nouveau » (disparition du charbon couteux et généralisation du pétrole moins cher) est plus efficient. Si au-delà on raisonne en « économie ouverte » (avec échanges extérieurs) le changement risque d’autoriser de nouvelles exportations.

Si l’on raisonne en économie sans échanges extérieurs[3], ce que les économistes appellent « l’économie fermée », la solution politique des transferts ne peut se faire que sur la base d’un prélèvement fiscal supplémentaire venant largement gommer tous les effets positifs du passage au pétrole. En revanche, ce même prélèvement vient aussi gommer les effets négatifs de la perte de débouchés correspondants à la crise du bassin houiller.

D’où la conclusion : en économie fermée le rétablissement de l’équilibre régional par le biais des subventions permet de maintenir les débouchés (les subventions deviennent des chiffres d’affaires) tout en assurant la solidarité (les subventions sont des revenus, des marques de solidarité et des capitaux de substitution).

Remarque : C’est donc la solution 4 qui s’impose, celle que l’on pourrait désigner « solution de  l’Etat-Nation ». Dans les faits l’Etat-Nation c’est aussi une banque centrale sous contrôle de son ETAT, et donc la possibilité de passer par la solution 3. Macro économiquement, cette solution peut provoquer, sous la pression des marchés politiques, une demande globale excédentaire et des hausses de prix affectant la compétitivité externe. Historiquement la « solution de l’Etat-Nation » peut être un mix de solution 3 et 4, mix qui fût la grande caractéristique de la France avec son modèle social, avant la naissance du projet de monnaie unique. Observons que la réunification allemande du siècle dernier fut aussi celle de l’Etat-Nation empruntant non pas la solution 3 mais la solution 4.

 

2) L’application du raisonnement au cas de déséquilibres des échanges entre nations sous monnaie unique (zone euro).

 

Chacun a déjà pu comprendre que derrière l’exemple du bassin minier et de la région parisienne pouvait  se cacher celui de la Grèce et de l’Allemagne. Exemple qui restera probablement gravé dans l’histoire.

 

Ici bien sûr nous ne pouvons raisonner en économie fermée et la zone euro est elle-même ouverte sur le reste du monde.

 

Le dispositif TARGET 2 comme cadre des échanges entre pays de la zone euro.

 

Les raisonnements jusqu’ici menés entre régions d’une même nation sont à reconduire au niveau d’un espace de plusieurs nations. Lorsqu’il n’y a pas de monnaie commune, on sait bien que la fuite de monnaie précédemment analysée se trouve rapidement bloquée. Par exemple, si l’Italie dont la monnaie était la Lire, est en déficit vis-à-vis de la France, pays dont la monnaie était le franc, les échanges vont se bloquer rapidement, car on ne voit pas pourquoi la France viendrait subventionner les achats de l’Italie. Si par exemple le commerce entre France et Italie se fait en dollars, le déséquilibre italien fera que la France ne retrouvera jamais les dollars éventuellement prêtés à L’Italie. Historiquement la solution fut celle d’une restriction de la liberté des échanges, voire une manipulation des taux de change.

La construction européenne avec son projet de marché unique, de libre circulation des marchandises et du capital, ne peut dans le cadre de l’euro accepter de blocages. En clair, les problèmes perçus lors de l’exemple précédent entre BH et BP doivent, au niveau des nations, disparaître. Plus clairement encore, il fallait mettre en place un dispositif institutionnel efficace, garantissant la libre circulation des paiements sur toute la zone, et ce quelle que soit la situation des pays y adhérents.

Il faut bien comprendre le caractère fondamental de cette obligation. Si par exemple la Grèce est en déficit vis-à-vis de l’Allemagne parce qu’elle achète trop de voitures ou trop d’armes à ce dernier pays, il faut néanmoins assurer les paiements et transferts correspondants. Car, si ce n’était pas le cas cela voudrait dire que l’euro grec n’est pas équivalent à l’euro allemand…et donc il n’y aurait pas de monnaie unique…

Le dispositif retenu fut de maintenir des banques centrales nationales, mais banques centrales aussi chargées d’assurer les transferts entre banques classiques. Sans imaginer un quelconque transfert il fut décidé que les déficits, par exemple de la Grèce, deviendraient des créances allemandes automatiquement inscrites au bilan de la Banque centrale allemande. Ces créances s’appellent dans le jargon européen, « créances TARGET ».

Concrètement en cas de déséquilibres, des actifs figurant aux bilans des banques du pays déficitaire sont transférés au bilan de la banque centrale du pays excédentaire.

 

Déséquilibres récurrents et transferts théoriques dans le cadre de TARGET.

 

Prenons le cas de la Grèce en situation déficitaire et de l’Allemagne en situation excédentaire, et reprenons les différentes solutions envisagées dans le cadre du bassin minier et de la région parisienne

Réexaminons les diverses solutions précédemment envisagées.

Les solutions 1 et 2 ont d’une certaine façon largement fonctionné au service de la Grèce, de son Etat et de ses entreprises et ménages : Toutes les banques européennes se sont précipitées avec comme produit phare des taux d’intérêt très bas, inconnus jusqu’alors dans le cadre de la Drachme. D’où un déséquilibre qui ne pouvait être que croissant : les marchandises allemandes notamment celles exportées en Grèce sont largement financées par du crédit bon marché. Elles sont aussi favorisées par un taux de change qui ne peut plus bouger : La Grèce ne peut plus dévaluer pour résister à l’invasion des importations, voire exporter davantage : la monnaie unique devient une massue qui écrase l’économie grecque.

Bien évidemment, s’il n’y a pas de base productive suffisante en Grèce (comme plus haut dans le bassin minier orphelin de son charbon) capable de produire du revenu, le manège ne peut durer : il a cessé progressivement avec les plans d’aide de 2010 et 2012, puis l’arrivée de la « Troïka ». Et il faut bien comprendre cette arrivée à la lumière des créances TARGET : La banque centrale allemande s’inquiète des actifs grecs qu’elle doit réglementairement conserver à son bilan, actifs qui ne valent rien...

La solution 3 est juridiquement impossible car la BCE ne finance pas les Etats, sauf contournement des textes, ce qui s’est fait pour la Grèce[4] mais aussi pour nombre d’autres pays, comme l’Irlande ou le Portugal.

La solution 4 fut, de fait, largement pratiquée notamment par le biais des « fonds structurels » qui ont permis l’octroi à la Grèce d’environ 4% annuel de son PIB pendant de très nombreuses années. Elle s’est poursuivie avec le plan de 2012 qui a permis de faire passer la dette du secteur privé vers le secteur public.

La solution 5 n’a pas été retenue jusqu’à aujourd’hui et la Grèce n’était pas abandonnée par le reste de la zone.

La solution 6 est celle de la sortie de la Grèce de la zone euro.

Si l’on dresse un bilan des 6 solutions concernant les rapports entre Grèce et Allemagne, deux points doivent être retenus :

-il est erroné de dire que la Grèce n’a jamais bénéficié de transferts, simplement ceux-ci se sont concentrés dans les fonds structurels- environ 200 milliards d’euros depuis 1981- lesquels furent  largement gaspillés dans le cadre de lobbys, experts en jeux sur les marchés politiques, tant grecs qu’étrangers. La preuve en est le délabrement de l’économie grecque, avec en particulier, un recul des investissements, lesquels sont passés de 23,7 points de PIB en 2008 à 11,6 en 2014. Tous les Etats, y compris la Grèce sont responsables de cela. Par contre, les marchés politiques ont néanmoins autorisés l’affermissement d’un début d’Etat-Providence notamment dans le domaine sanitaire ou celui des retraites. Encore aujourd’hui, 16% du PIB grec est consacré au versement des retraites.

Globalement si la Grèce a bénéficié de transferts ils n’ont pu compenser les déséquilibres, eux mêmes aggravés par l’énorme chute de l’investissement (on ne prépare plus l’avenir) dans le cadre d’un taux de change fixe.

- Les solutions 1,2 et 3 ont fonctionné à l’excès  (une dette de plus en plus inquiétante en raison de sa masse et de l’étroitesse de son potentiel de solvabilité), d’où l’envolée des taux et les mémorandums imposés par la « Troïka ». Elles tentent de fonctionner depuis 5 ans  mais à l’envers en provoquant un  énorme effet dépressif : 26 points de PIB partis en fumée depuis 2009 et probablement d’autres points supplémentaires avec la mise en place du nouveau plan[5], points heureusement évités par le boum d’un tourisme se détournant de l’Afrique et du Moyen-Orient. Avec bien sûr des conséquences parfois dramatiques en termes d’effondrement d’un Etat-Providence qu’il faut impérativement dévaluer en dévaluant le cout global du travail. Et d’une certaine façon, il faut bien comprendre l’enfermement catastrophique de la position allemande. Sans ce fonctionnement à l’envers, sans dévaluation interne, les créances Target sur le bilan de la Banque centrale allemande sont de plus en plus problématiques : la Grèce transfère des créances, mais quelle valeur leur accorder ? Et si cette valeur est nulle cela veut dire dans l’idéologie allemande que la banque centrale est menacée…qu’elle doit être recapitalisée avec l’argent des contribuables allemands, etc.

La conclusion est donc celle de l’alternative entre une solution 5 ou 6, et celle d’un retour massif à la solution 4. Comme cette dernière solution n’est guère envisageable sur les marchés politiques du reste de l’Europe (Paris peut être solidaire avec Lens, mais Berlin ne veut pas être solidaire avec Athènes), il ne reste que le choix du départ ou de la marginalisation dans un espace très assombri.

L’Euro est venu détruire les productions locales comme le pétrole devait détruire le bassin minier du nord de la France.

  L’Euro devait assurer le rapprochement des économies : il en assure l’écartèlement avec bien sûr des conséquences en termes de solidarité et de protection sociale.

 

Quelles sont les conséquences macro –économiques ?

 

Le raisonnement mené sur les rapports entre Grèce et Allemagne peut être étendu à l’ensemble de la zone. Les solutions 1, 2, 3 et surtout 4 sont très limitées et se heurtent frontalement à l’impossibilité  d’envisager une réelle politique de transfert à l’intérieur de la zone. Alors que les transferts ne soulèvent que peu de difficultés à l’intérieur des Etats-Nations classiques, ils se heurtent à de grandes difficultés à l’intérieur de ce qui reste un espace international. Le choix de l’euro devenant celui de la servitude et la probable marginalisation pour les zones dont le taux de change unique est inadapté à la réalité économique. Globalement, il n’y aura pas de transferts du nord excédentaire vers le sud déficitaire. Ce que l’on savait en théorie est désormais confirmé par la réalité empirique : les négociations de la nuit du 12 au 13 juillet 2015 resteront une date dans l’histoire. L’inflexibilité allemande sur tout projet qui pourrait entrainer un risque de transfert  (union bancaire, budget de la zone euro, etc.) confirme quotidiennement cette réalité.

Parce que le système financier du sud voit la monnaie fuir  vers le nord (on peut reproduire le raisonnement mené plus haut entre BH et BP), parce que les solutions type endettement ont atteint leurs limites (solutions 1,2 et 3),  parce que les transferts sont interdits (solution 4), et  que le maintien de l’euro reste la « commune volonté » (l’euro constituerait une « irréversibilité »  donc il n’y aurait pas de solution 6),  la seule réalité qui s’impose est la cure durable d’austérité (marche forcée vers la solution 5). Economiquement cela correspond à une dévaluation interne, c’est-à-dire une politique brutale de dévaluation du cout global du travail

Mais cette « solution » est un drame pour l’ensemble de l’humanité puisqu’elle planifie durablement un déficit de la demande globale planétaire.

En effet, il faut empêcher la fuite de monnaie vers le nord, donc supprimer le déficit par la seule diminution des dépenses globales. Concrètement il faut moins consommer, moins investir, diminuer les dépenses publiques de toutes natures (régaliennes, sociales et de solidarité…) autant de diminutions qui correspondent à une contraction de  débouchés pour un même montant. Quand tout est bloqué, maintenir l’Euro, c’est provoquer un déficit global de débouchés et donc une tendance planétaire à la récession.

En plus clair encore : ce que nous avons démontré pour la relation Bassin minier/Région Parisienne dans le cadre d’un monde fermé, se retrouve à l’échelle planétaire. Avec toutefois une différence importante : le système fermé national pouvait théoriquement se rééquilibrer, en terme macro-économique, en abandonnant le bassin minier à son sort. Offres et demandes étaient remodelées dans la continuité d’un équilibre. Même chose dans le cas beaucoup plus probable de transferts financés par l’impôt. Tel n’est plus le cas du système planétaire : la demande globale  diminue sous l’effet de pays qui se maintiennent dans la zone sous régime  d’austérité obligatoire. L’offre étant inchangée, la tendance planétaire à la récession se confirme… sauf si, en d’autres points du monde, l’endettement peut se propager[6].

 Maintenant, il reste évident que, les plus performants pourront, dans un espace déprimé planétairement, tirer leur épingle du jeu. L’Allemagne a pu ainsi continuer à prospérer sur la base d’un mercantilisme ouvert. Par rapport à l’exemple de la Région Parisienne dont on supposait l’impossible exportation en contrepartie de la perte de débouchés dans le bassin houiller, l’Allemagne non alourdie pas le poids des transferts, a pu connaitre un excédent jusqu’à plus de 8 points de PIB… en 2015, avec il est vrai des dépenses de solidarité très inférieures à la France (25,4 points de PIB contre 31,7 pour la France). En jouant le jeu de la frayeur sur les créances TARGET, qui, il est vrai, continuent d’alourdir le bilan de la Banque centrale allemande, le pays correspondant a pu, jusqu’à une date très récente, être  le seul à tirer son épingle du jeu.

Les politiques d’austérité dans le sud finissent par gonfler ce qui est déjà un excédent de la zone vis-à-vis du reste du monde (3 points de PIB de la zone depuis 2015, soit en pourcentage le chiffre le plus élevé de la planète). Politique et résultats contestés par le reste du monde qui considère qu’il n’a pas à souffrir de la monnaie unique. Ainsi la Chine,  déjà intrinsèquement en difficulté,[7] se trouve face à une Europe où la pression déflationniste  ajoute brutalement à ses difficultés exportatrices. On peut évidemment énoncer les mêmes propos s’agissant des USA qui sous l’ère Trump, ne sont plus décidés à absorber les 180 milliards de dollars d’excédents européens contrepartie du déficit américain.

A l’échelle planétaire, parce que la monnaie unique interdit tout transfert, toute solidarité, elle exige aussi une sur compétitivité dont se trouvent victimes les pays candidats à la construction  d’Etats Providences nationaux. D’où les difficultés du Brésil, de l’Argentine, de l’Afrique du sud, et de tous les pays émergents avec bien sûr, au premier plan,  la Chine dont la croissance est devenue probablement inférieure à la croissance américaine….[8] D’où finalement des difficultés pour l’ensemble de la planète ainsi que  le reconnait la Fondation Bertelsmann[9].Comme la concurrence entre Etats n’en affaiblit pas le nombre, il est illusoire d’imaginer un monopole, c’est-à-dire un Etat mondial, harmonisant l’équilibre entre demande et offre planétaire, équilibre lui-même assorti de l’édification d’un Etat providence planétaire.

La conclusion est donc simple :

Sauf difficile retour à une certaine forme d’Etat-Nation, (celui qui reste soucieux de sa souveraineté monétaire),  « l’Etat social à la  française » est durablement menacé par la monnaie unique.

Le secteur sanitaire et social, dans toutes ses dimensions y compris celle du dispositif retraites ou gestion du chômage,  ne peut que tenir compte de cette situation. Il se doit naturellement d’accroitre son efficience intrinsèque : c’est le devoir de tout manager. Mais il doit comprendre qu’une partie de la réponse à la satisfaction des besoins à venir passe par le rétablissement de la complète souveraineté monétaire, une souveraineté vérifiée dans nombre de pays, mais interdite dans le cadre de la construction européenne. Cette souveraineté est l’aliment de la compétitivité, et donc d’une croissance pouvant faire face aux besoins.

C’est donc à la lumière de ce qui vient d’être expliqué qu’il faut comprendre la quasi-totalité des politiques publiques menées en France depuis un certain nombre d’années : ordonnances sur le droit du travail, loi PACTE, réforme SNCF, réforme de l’assurance chômage, réforme des retraites, etc. Dans chaque cas il s’agit de s’adapter, certes à la mondialisation classique mais, au-delà, de se plier aux formidables contraintes de la monnaie unique.

 

Note explicative  finale sur le sens à donner au mot « transfert ».

Nous venons de comprendre la nécessité des transferts là où une monnaie reste commune à un ensemble humain. Nous comprenons aussi que ces transferts sont un instrument de légitimation politique. Nous devons aussi comprendre qu’ils sont pour une large part des transferts sociaux et donc transferts plutôt logés dans le sous -ensemble « Etat Providence » que dans celui de l’« Etat Régalien ». Dans l’Etat régalien, il y a plutôt mutualisation des dépenses publiques et peu de transferts. Dans « l’Etat Providence » existe  bien davantage de transferts assis plus particulièrement sur une base redistributive.

On comprend du même coup que le pays qui refuse toute logique de transfert (Allemagne) est aussi un pays où les transferts internes sont assez modérés : l’Etat Providence  allemand n’est pas l’Etat Providence français. Et si les transferts entre allemands sont modérés, il faut comprendre qu’ils doivent- pour des raisons culturelles - rester inexistants entre allemands et « pays du club Med ».

 

 


[1] 220000 salariés en 1947…contre pratiquement zéro aujourd’hui, avec une population totale qui n’a pas beaucoup variée.

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/04/avenir-des-etats-declin-fragmentation-union-desunion-partie1.html

[3] Ce qui suppose dans notre exemple que le pétrole soit produit dans la région parisienne….

[4] Cf notamment : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=86184

[5] Lorsqu’on impose un excédent primaire pour rembourser la dette (solde budgétaire positif) on diminue la demande globale et le PIB se contracte. Pour plus de détails voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/07/peut-on-enfouir-la-bombe-atomique-grecque.html

[6] De ce point de vue il faut savoir que les banques centrales ont injecté plus de 40000 milliards de dollars dans les circuits financiers, soit environ 80% du total du PIB planéte. La taille du bilan des banques centrales mondiales, avec un doublement depuis 2012,  n’a jamais été aussi élevée. En 2018 l’endettement global mondial (public et privé) se montait à 230% du PIB planétaire. A cet égard la Banque mondiale dans son rapport « Les vagues mondiales de la dette » publié en décembre 2019, précise que la croissance de la dette des pays émergents augmente au rythme de 7% depuis 2010 : du jamais vu.

[7] Il n’a pas fallu attendre le président Trump pour que l’on puisse parler de guerre des monnaies. Dès 2915 La chine dévalue sa monnaie dans l’espoir de reprendre ses exportations vers l’Europe. Et cette baisse est immédiatement suivie d’autres : Taïwan, Malaisie, Corée du Sud, Singapour,  Australie, etc. De quoi se diriger vers une guerre commerciale aux fins de lutter contre la récession.

[8] La presse spécialisée parle encore de 5 à 6% de croissance. Pour autant Patrick Artus, chef économiste chez NATIXIS, prétend au terme d’une analyse économétrique minutieuse  que la croissance chinoise est aujourd’hui d’un peu plus de 2%.

[9] Cj l’étude de la Fondation : « Des temps difficiles pour le changement démocratique » commentée dans « Le Monde » du 29 février 2016.

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21 février 2018 3 21 /02 /février /2018 16:26

 

La croissance est de retour et semble connaitre une accélération pour 2018 avec déploiement sur tous les continents. Les prévisions du FMI sont les plus optimistes et désormais il est anticipé une croissance mondiale de 3,9%, tandis que la zone euro quitte son plancher pour se hisser à 2,7%. A l’intérieur de cette dernière les plus malades semblent recouvrer la santé et, même la Grèce, même l’Italie, vont retrouver une certaine croissance, alors qu’Espagne et Portugal s’envolent avec des taux supérieurs à ceux de nord de la zone euro.

Cette croissance retrouvée met-elle fin à la crise ? On peut sérieusement en douter et c’est la question que nous allons tenter d’aborder dans le court texte qui suit.

Acceptons de raisonner au niveau mondial afin de ne pas introduire la question des exportations et des importations. A ce niveau, la somme mondiale des exportations est nécessairement égale à celle des importations. Dés lors, le monde dispose d’une masse de richesses produites qu’il peut consommer ou investir. Cette masse pourra grossir (croissance) si elle comporte beaucoup de marchandises ayant vocation à devenir du capital productif. Jadis, plus particulièrement à l’époque du fordisme, la croissance élevée était aussi due à l’efficience croissante de la production, ce qu’on appelait la croissance de la productivité, laquelle était généralement proche de 2% l’an. On sait aujourd’hui que, pour de multiples raisons, cette croissance de la productivité s’est effondrée. D’où les actuels et lancinants propos concernant une croissance potentielle souvent inférieure à 1%, et propos s’enracinant aussi dans le dogme d’une « stagnation séculaire ».

La masse de richesse produite que l’on vient d’évoquer fait l’objet d’échanges sur le marché, d’où la nécessité d’introduire la monnaie dans le raisonnement. A l’instant T, il existe un stock de monnaie qui assure la circulation des marchandises. Ce stock est constitué de revenus issus de la production et se convertit en marchandises /biens de consommation et marchandises/ biens de production. Il peut se matérialiser sous forme d’une dette lorsque des agents se prêtent entre-eux des moyens de paiement. Ce sera le cas entre les ménages et l’Etat, qui pense ne pas disposer de moyens suffisants pour assurer les services qu’il croit devoir rendre, entre les entreprises soucieuses d’investir et les ménages, entre les ménages eux mêmes, etc. Ici créances et dettes se compensent et n’ont que peu d’impact sur la circulation des marchandises…sauf si la monnaie est délibérément stockée ou canalisée vers des activités spéculatives. Dans ce cas, le risque est de voir des marchandises stockées et non vendues correspondant au stockage de monnaie.

Dans le cas que nous venons d’examiner, la masse monétaire assure la circulation des marchandises, donne lieu à l’apparition de créances et de dettes, mais son volume n’est pas questionné.

Pour autant la masse monétaire n’est pas qu’un stock, elle peut aussi grandir en raison de la possibilité pour les banques de créer de la monnaie sans aucune contrepartie. Il convient d’ailleurs de penser que cette création est nécessaire en raison de la croissance elle-même, laquelle exprime des besoins croissants pour faire face à une masse plus importante de marchandises à faire circuler. On sait que la monnaie ainsi créée est de « l’argent dette » puisque cette création ne s’opère qu’à partir d’un crédit qu’il faudra un jour rembourser auprès de la banque.

Quand par conséquent on parle de dettes privées ou publiques et de son montant, on ne sait pas ce qui relève de l’épargne préalable (qui est elle-même la contrepartie d’une dette ancienne) et ce qui relève de crédits nouveaux. Ainsi lorsque les banques acheteuses de la dette publique française se présentent au guichet de l’Agence France Trésor, on ne sait pas si elles paient avec de la création monétaire nouvelle ou à partir de dépôts de ses clients[1].

Quoi qu’il en soit, on conviendra que la croissance économique mondiale, sera d’autant plus robuste que le stock de monnaie propre à faire circuler les marchandises s’agrandit de la création monétaire, elle-même contrepartie d’une dette nouvelle. Et cet « argent/ dette » nouveau est d’autant plus nécessaire qu’il peut se trouver des circonstances dans lesquelles de « l’argent dette » ancien se trouve immobilisé ou utilisé à des fins non productives. Tel est par exemple le cas aujourd’hui de ces firmes américaines qui conservent de gigantesques montants sous la forme de liquidités sans usage précis[2].

Aujourd’hui la croissance est relativement élevée en raison de l’explosion de toutes les dettes privées (ménages et entreprises) et publiques. On peut citer quelques chiffres. La somme des dettes privées et publiques atteindrait 242,6% du PIB mondial en 2017, ce qui constitue un record historique. La base monétaire qui ne représentait que 9% de PIB en 1990 en totalise 32% en 2017, nouveau record historique. La bulle financière (M2 + crédits + encours obligataire + capitalisation boursière qui totalisait 300% du PIB en 1994 se hisse à 475 du PIB en 2017, nouveau record historique. Plus proche de l’outil de circulation de la marchandise, la masse monétaire (M1) croit à des rythmes partout supérieurs à 6% en valeur, ce qui signifie que la demande globale est en permanence nourrie par un surplus de demande irrigant la croissance. Et, de ce point de vue, si les salaires n’ont plus aucune incidence sur l’inflation et ne peuvent plus – mondialisation oblige - se nourrir sur une croissance de la productivité qui elle-même est en déshérence, ils peuvent être artificiellement relevés par le crédit comme au temps des subprimes américains.

Il n’est guère possible de distinguer de matière précise ce qui, dans la croissance globale des dettes privées et publique, relève d’opérations de simples transferts ou de transformation et ce qui relève strictement de la croissance monétaire. Par contre, il faut souligner que c’est bien la création nette de monnaie qui gonfle une demande globale probablement insuffisante. Affirmation qu’il convient de justifier.

Plusieurs signes attestent de cette insuffisante demande globale. D’abord il existe - même en période de tassement des gains de productivité- une évolution négative des salaires. C’est ainsi qu’au niveau OCDE, les salaires réels par tête en longue période augmentent moins rapidement que la productivité par tête[3]. Il en résulte une déformation du partage de la valeur ajoutée au bénéfice des profits. C’est ainsi que - toujours pour la même zone- le ratio (profits+intérêts)/PIB passe de 13,5 en 1998 à 16,8 en 2017. La demande d’investissement ne suit que partiellement et les taux d’autofinancement passent de 72% en 2000 à 112% en 2017. Cela signifie une masse de cash-flow non productivement utilisée, et non orientée vers une réduction des taux d’endettement qui réduirait le rendement des fonds propres. A l’inverse, cette masse sera partiellement utilisée au rachat d’actions, rachat expliquant la curieuse émission nette négative d’actions, le tout permettant de dissocier le rendement des fonds propres du rendement du capital physique. Globalement la demande mondiale de marchandise souffre ainsi d’un déficit de demande issue de salaires qui ne suivent pas la productivité, et d’un déficit de demande de capital issue d’un investissement limité, et aussi réduit par les facilités de la financiarisation permettent de s’émanciper des dures constatations de l’économie réelle.

Ce déficit de demande globale est ainsi compensé, voire surcompensé, par la création monétaire nette qui vient réanimer une économie réelle devenue souffreteuse. D’où la « belle croissance », empiriquement constatée aujourd’hui, et pour laquelle on souhaiterait ne pas en limiter l’ampleur en s’attaquant à ses contraintes d’offre. Hélas,  cette belle croissance se nourrit d’une dette ( transfert d’épargne + création monétaire nette) qui est supérieure à la croissance économique elle-même. Le ratio (dettes privées + dettes publiques)/PIB  s’accroit aussi par la faiblesse de son dénominateur.

 La belle croissance est ainsi une course : si l’on veut une création monétaire nette comme solution au déficit de demande, il faut que la destruction de monnaie (effet récessif) soit inférieure aux nouvelles créations (effet d’expansion). Or plus l’endettement est grand et plus les remboursements de crédits sont élevés et donc la destruction de monnaie ne peut que s’emballer. Une destruction qu’il faudra surcompenser par une création plus grande, source de nouvelles augmentations de dettes…. Le mur de la crise est toujours bien présent et la « belle croissance » ne peut que s’y fracasser. Un phénomène qui confirmera ce qui a été appelé « paradoxe de Fisher » : « plus les débiteurs remboursent, plus ils doivent »[4]. Un phénomène qui rend aussi plus intéressant le grand débat sur la « monnaie pleine » qui agite la Suisse aujourd’hui. Il n’est pas inutile de s’attaquer aux contraintes de l’offre, mais le problème majeur de cette belle croissance est qu’elle rencontrera en priorité le mur de la demande.

 

 

[1] Pour être tout à fait correct on parlera de création nette de monnaie, c’est-à-dire la différence entre les crédits nouveaux et les remboursements de crédits anciens.

[2] Nous pensons plus particulièrement aux GAFA qui ont accumulé plusieurs milliers de milliards de dollars de cash de par le monde.

[3] Les salaires passent de l’indice 100 en 1996 à l’indice 120 en 2017, alors que dans le même temps la productivité passe de 100 à 132.

[4] Fisher : « la théorie des grandes dépressions par la dette et la déflation »,Revue française d’économie,vol.3,n°3, 1988, page 173. Ce texte est la reprise d’un article que l’auteur avait publié dans un numéro d’ « Econometrica » de 1933, à l’époque de la grande crise.

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27 septembre 2016 2 27 /09 /septembre /2016 14:11

 

Les programmes des candidats classiques à l’élection présidentielle placent en « tête de gondole » la baisse de la pression fiscale. Ils ont sans doute raison puisque le produit politique qui en résulte est électoralement plus attractif que la réduction du déficit budgétaire ou la baisse de la dépense publique. La course au moins-disant fiscal est ainsi l’effet du fonctionnement normal de la concurrence sur les marchés politiques.

Les modèles économétriques qui devraient sous-tendre et justifier les propositions correspondantes brillent par leur discrétion et il est vrai que le raisonnement économique est absent des programmes proposés.

Tentons de briser cette carence et envisageons de façon précise et argumentée les effets d’une forte diminution de la pression fiscale dans la France d’aujourd’hui.

 

LE CARACTERE IRRATIONNEL DES PROPOSITIONS DE DIMINUTION DES PRELEVEMENTS PUBLICS OBLIGATOIRES.

 

La diminution des prélèvements fiscaux peut se porter soit sur les ménages, soit sur les entreprises.

 1 -  Diminution du prélèvement sur les ménages.

Dans le cas des ménages[1] il en résulte mécaniquement une hausse des revenus avec interrogation sur leur répartition entre consommation additionnelle et épargne additionnelle. La consommation additionnelle peut entrainer une relance freinée par la propension marginale à importer. C’est effectivement le cas puisque, selon Natixis, 1 euro de hausse de demande intérieure génère 70 centimes d’importations supplémentaires[2]. Quant à l’épargne supplémentaire, elle reste largement accumulée[3] et ne génère aucune demande supplémentaire sous la forme d’investissements. La baisse de la fiscalité profite en retour aux pays fournisseurs de la France.

Effets très faibles mais prix très élevé puisqu’une telle baisse correspond mécaniquement à un déficit public accru d’un même montant. Sans doute pourrait-on financer la baisse de la pression fiscale par une diminution de la dépense publique pour un même montant, mais cela aurait pour effet de diminuer la demande globale et donc les débouchés pour d’éventuels investissements additionnels.

Le résultat est donc globalement négatif : choisir la baisse de la pression fiscale sur les ménages est avantageux car populaire sur le marché politique et désastreuse pour un pays qui n’a cessé de se désindustrialiser.

2 -  Diminution du prélèvement sur les entreprises.

Une première façon d’affaisser les prélèvements est de continuer à diminuer les charges sociales sur les bas salaires. Sachant que ces charges déjà rabotées par les dispositifs « Fillon » et « CICE » ne représentent plus que 7,3% au niveau du SMIG, il y a peu à gagner en terme de marge, le prix à payer étant, là aussi, la hausse du déficit ou la baisse de la dépense publique. Dans cette dernière hypothèse la hausse de marge ne se transforme pas aisément en investissements puisque les débouchés se raréfient du même montant. Certes, la marge nouvelle pourrait-elle être utilisée à des investissements de productivité renforçant la compétitivité. Toutefois, la mesure proposée favorise plutôt les productions bas de gamme et n’est pas une incitation à la robotisation : le coût relatif du travail par rapport au capital diminue et n’incite pas à la réallocation des facteurs vers une utilisation plus massive de capital.

Une telle mesure n’est donc pas souhaitable du point de vue de l’intérêt du pays.

Une façon plus intelligente de baisser les prélèvements est de les cibler sur les emplois plus productifs des activités exposées à la concurrence internationale. Il existe là une opportunité en raison de la relative bonne élasticité-prix des exportations françaises.[4] A déficit public inchangé il y aurait donc à comparer la hausse de la demande internationale et la baisse de la dépense publique. Le calcul révèle pourtant que l’élasticité est insuffisante pour obtenir un accroissement net de la demande. Et une élasticité beaucoup plus élevée ne serait rencontrée que si la France était beaucoup mieux placée dans l’échelle de la compétitivité coût …. Soit celle de l’Europe du sud. Clairement, il faudrait une diminution radicale du coût du travail….Notons, ce qui n’arrange pas les choses, qu’une baisse des prélèvements sur les salaires pourrait aussi bien se matérialiser par une hausse des salaires nets[5] et donc une hausse des revenus avec les effets négatifs déjà exposés.

Une dernière façon d’envisager la baisse de la pression sur les entreprises est de diminuer l’ensemble des autres impôts. Dans ce dernier cas de figure, il y a bien augmentation de la rentabilité des entreprises….payée par un déficit accru ou une dépense publique plus faible. La question est donc de savoir si la rentabilité accrue sera à l’origine d’un investissement plus élevé avec effets multiplicateurs sur la demande globale.

En théorie, il s’agit d’une solution efficiente si la hausse de la rentabilité ne se trouve pas minée par de nouvelles exigences salariales ou actionnariales. Mais un autre facteur vient limiter drastiquement l’efficience de la baisse de la pression fiscale sur les entreprises : le comportement des pays qui peuvent jouer sur le taux de change d’une part, et celui des pays dont les modèles sociaux parce que plus fragiles sont socialement plus facilement démontables que celui de la France. Natixis nous rappelle ainsi que les efforts de compétitivité de la France ont en très peu de temps été largement effacés par la baisse de la livre sterling et l’effort de compétitivité coût de l’Espagne[6].

Vers un effondrement civilisationnel ?

Plutôt que de regarder le doigt, il vaut mieux regarder la lune et les candidats à l’élection présidentielle feraient bien de poser le vrai problème : les règles du jeu imposées par la monnaie unique développent une concurrence qui, privée de l’arme du taux de change, se reporte sur les seuls coûts. Bien évidemment ces règles sont éminemment favorables aux gagnants de la mondialisation qui au nom de la concurrence en veulent plus et exigent le démantèlement de tout ce qui fait la nation. Il faut en effet comprendre que la baisse des prélèvements publics (cotisations sociales diverses et impôts de toute nature) est devenue le grand moteur de la concurrence destructrice du vivre ensemble : il génère un double déséquilibre : économique et social aux conséquences politiques dramatiques.

Le déséquilibre économique est simple à comprendre puisque la baisse des coûts a pour contrepartie une baisse de la consommation globale non compensée par une élévation de la proprension à investir. Ce déséquilibre pourrait se colmater par une montée du déficit public….lequel est interdit et par les règles …et par le marché de la dette publique effrayé par une montée de spreads de taux. Ce même déséquilibre devient l’avantage compétitif de ceux qui veulent se sortir du naufrage collectif : L’Espagne rogne sa demande interne pour être compétitive et obliger la France à entrer dans la danse de la diminution de sa demande globale interne. La concurrence agonistique, ou à tout le moins non coopérative, aboutit ainsi à l’impossible réduction d’un chômage qu’on ne peut plus financer par un Etat social qui perd progressivement ses ressources. Si dans les premiers temps de la crise il était possible de financer les dépenses sociales croissantes par une dette croissante, cela n’est évidemment plus le cas aujourd’hui.

Les règles du jeu de l’euro et au-delà de la mondialisation sont de par leur fonctionnement propre, consommatrices de « moins-disance » de prélèvements et, conséquemment, destructrices des anciennes formes de l’Etat social. Jadis, dans le cadre des espaces nationaux, la concurrence était à l’inverse déployée dans un contexte de montée homogène des prélèvements publics obligatoires eux-mêmes assis sur les gains de productivité. Dans un cas, une concurrence organisatrice de la construction d’un Etat social, et dans l’autre cas une concurrence destructrice de ce même Etat. Jadis la montée des prélèvements publics obligatoires, certes contestée par les dirigeants d’entreprises, n’affectait pas les conditions de la concurrence, puisque les mêmes règles s’imposaient à tous. Désormais l’unicité de la monnaie met à nu des règles inégales dans le jeu économique. La solution devient ainsi spontanément une course à l’éradication progressive des prélèvements…un peu comme la foule qui, prise dans un incendie, se dirige vers une porte de sortie trop étroite dans un mouvement de panique aux conséquences catastrophiques.

Et ce catastrophisme est amplifié par l’apparition de raisonnements délirants : à la « surface des faits » il apparait que l’Etat n’a plus les moyens de jadis (« on ne peut plus payer et il faut abandonner l’assistanat », message répété en boucle…[7]) alors que réellement les règles européistes interdisent – de façon bien sûr involontaire- l’épanouissement d’une croissance possible, un marché de l’emploi plus dynamique et un recul du périmètre (ou du « marché ») de l’Etat social.

Le déséquilibre social est tout aussi simple à comprendre et n’est que la conséquence du déséquilibre économique. Ce déséquilibre correspond à de multiples réalités qui touchent plus particulièrement la société française[8] : développement vertigineux des inégalités de revenus et surtout de patrimoine[9], apparition des « winer-take-all », stagnation du niveau des salaires des classes moyennes, rendements décroissants des études et dévalorisation sociale des diplômes, insécurisation croissante des contrats de travail et des supports sociaux qui leur correspondent, mobilité descendante, déclassement résidentiel, fin de la croyance à l’idée de progrès, fin de l’enracinement dans les organisations politiques ou syndicales,  prise de conscience de la perte de contrôle des institutions démocratiques, communautarisation de la société, etc.

Mais la sortie de la toile d’araignée  des  « règles » est très difficile.

Il est probable que les différents candidats n’ignorent pas le caractère irrationnel de leurs programmes. Mais ils savent peut-être aussi que le rejet des règles européennes reste impopulaire et éminemment dangereux. Parce que l’Euro est un Talisman, et à ce titre objet de vénération, on ne peut s’en séparer. Parce que la mondialisation est l’épanouissement de la liberté, on ne saurait la museler. Le produit politique « fin de l’euro » ou « rupture avec la mondialisation » ne dispose pas encore d’un solide marché.

Au-delà, il est d’une certaine façon déjà trop tard et le retour à la maitrise du taux de change ne peut donner de résultats immédiats en raison de l’état de déliquescence du tissu économique. Nous avons souvent signalé que les élasticité-prix aussi bien à l’exportation qu’à l’importation étaient devenues trop faibles en raison d’un euro qui les rabote depuis maintenant plus de 10 ans[10]. Dévaluer avec une élasticité-prix à l’importation strictement égale à zéro n’entraine qu’une baisse de la demande globale, tandis que les exportations additionnelles attendues sont limitées par la hausse des prix des consommations intermédiaires importées. Reconstruire des élasticité-prix efficaces suppose une recomposition des chaines de la valeur, donc un moyen ou long terme incompatible avec le court termisme des marchés politiques.

Il en résulte un risque de « collapsologie »[11] qui ne se déduit pas nécessairement de la question écologique mais à l’inverse de choix macroéconomiques désastreux.

L’euro fut d’abord une libération allant dans le sens de la « mondialisation heureuse ». Il permettait de ne plus subir la contrainte des échanges extérieurs et des ajustements douloureux sur le marché des changes. Il permettait aussi des taux sages sur le marché de la dette publique. Il permettait également une croissance facile pour les moins avancés (Espagne, Grèce, etc.) Il permettait enfin à l’Allemagne non seulement de ne plus être victime des ajustements monétaires de ses voisins, mais surtout de profiter du déficit sans pleurs des cigales dont elle favorisait la naissance et l’épanouissement[12]. Cet outil générant le bonheur de tous, devait logiquement se transformer en objet de culte, ce que nous avons appelé « l’euro Talisman »[13].

Avec le temps, pour les cigales mécaniquement engendrées par le simple fonctionnement de la zone, y compris la France, l’inflation de dettes s’est nourrie tout aussi mécaniquement de la perte d’activités : parce que la compétitivité est lourdement handicapée par un taux de change irréaliste, et que l’importation est facile, des pans entiers de productions nationales disparaissent aves les emplois correspondants. En retour, la base productive plus étriquée réduit la masse des prélèvements publics et aggrave le flux de dettes.

D’année en année, l’écart entre les nouveaux besoins sociaux issus du démantèlement de l’outil de production et l’offre possible de services sociaux se creuse. Un écart qui deviendra abîme lorsque les politiques restrictives se mettront en place et qu’elles viendront rogner les investissements constructeurs de l’avenir. Petit à petit la spirale du déclassement se met en place et la soutenabilité générationnelle du modèle socio-économique n’est plus assurée. L’aveuglement politique débouche ainsi sur un monde socialement inacceptable. Le modèle socio-économique de l’ile de pâques générant le monde des « Moaï » pouvant ainsi être comparé à celui de la zone euro : Ici une aliénation politico/monétaire, là une aliénation politico/religieuse, deux variantes parmi d’autres susceptibles de produire les mêmes effets, c’est-à-dire un effondrement civilisationnel.

Les candidats à l’élection présidentielle de 2017 feraient bien de ne plus s’intéresser au sexe des anges.

 


[1] Cotisations sociales des ménages+ impôts directs des ménages + TVA. On pourrait aussi ajouter les hausses de revenus procurées par la suppression des cotisations sociales sur les services à la personne que l’on trouve dans certains programmes.

[2] Flash Economie du 19 septembre 2016- 936.

[3] Les baisses ciblées d’impôts telles celles frappant les revenus d’actifs risqués étant d’effet peu significatifs.

[4] 0,8 selon Natixis.

[5] Hypothèse qui s’est déjà historiquement matérialisée et qui n’est pas irrationnelle : la hausse du salaire net ne vient pas rogner les marges si la dite hausse se trouve financée par la baisse des charges. Mais on peut aussi penser que la baisse des prélèvements entraine une hausse des dividendes.

[6] Flash Economie du 16 septembre 2016- 939. Parce que partenaires importants de la France les comportements de la Grande Bretagne (baisse de 10 points de taux de change) et de l’Espagne (baisse considérable des coûts salariaux) ont annulé 50% de l’amélioration de la compétitivité-coût de la France. Sur le plan microéconomique il peut y avoir des exceptions et par exemple une entreprise comme Valeo dont les sites français exportent 72% de leur production, supporte  avec 17% des effectifs mondiaux 50% de ses charges sociales mondiales. Son Président, Jacques Aschenbroich, considère qu'il faut évidemment réduire ce poids pour perenniser la compétitivité de l'entreprise. Ce même président pourrait se rendre compte qu'un  changement de parité monétaire permettrait sans réelle douleur d'assurer la compétitivité de l'entreprise, voire de relocaliser des sites sur le territoire français.

[7] Ce qui est visible est l’assistanat, ce qui est invisible est la réalité : un choix de règles dont le fonctionnement concret déclasse puis marginalise d’abord les individus les plus fragiles, puis d’autres pourtant mieux armés. Parce que le processus est l’inverse de ce qui s’était historiquement produit (trente glorieuses) il n’est pas socialement admis et, assistés et Etat social, deviennent des irresponsables et des coupables.

[8] On pourra ici se reporter à l’ouvrage de louis Chauvel : « la spirale du déclassement – Esai sur la société des illusions » Seuil – 2016.

[9] On parle aujourd’hui d’une repatrimonialisation que les 30 glorieuses avaient largement estompé.

[10] S’agissant de la France les modèles économétriques donnent les chiffres suivants ; O,8 pour l’élasticité-prix à l’exportation et zéro pour l’élasticité-prix à l’importation.

[11] Cf l’ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens : « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes »- Seuil- 2015.

[12] Comprenons en effet que ceux qui allaient entrer dans ce qu’on appelait « pays du club med » vont devenir victimes d’un taux de change immuable et surtout inapproprié, taux devant dévaster l’industrie manufacturière locale au profit d’importations massives financées par la délocalisation des banques du Nord et facilitées par la Grande Distribution elle-même déjà mondialisée. La Grèce restera de ce point de vue un cas d’école.

[13] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/08/l-euro-le-talisman-qui-a-bientot-fini-de-detruire-l-union-europeenne.html

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12 septembre 2016 1 12 /09 /septembre /2016 13:52


Deux études viennent confirmer l’inadéquation du taux de change de la France vis-à-vis de l’ensemble de ses partenaires européens ou non.

La première, issue du Think Tank « La fabrique de l’industrie »  réalisée par Pierre Noël Giraud et Philippe Frocrain révèle que lorsque 100 emplois exposés à la concurrence internationale apparaissent dans un bassin d’emplois de France métropolitaine, 64 emplois abrités supplémentaires apparaissent dans la zone. L’inverse étant approximativement constaté, cela signifie que le secteur exportateur ayant perdu 200000 postes entre 1999 et 2013, il a entrainé derrière lui la fermeture d’un nombre considérable de postes abrités. Les variations de l’emploi du secteur exposé développent donc des externalités sur l’emploi abrité et des liens qui sont pour partie des liens mécaniques mais pour partie aussi des déversements de revenus d’autant plus importants que les rémunérations du secteur exposés sont plus élevées  et traduisent des gains de productivité eux-mêmes plus élevés.

Vu de plus haut cette première étude révèle par conséquent qu’un taux de change trop élevé affaiblit la compétitivité du secteur exposé avec toutes ses conséquences sur l’emploi du secteur abrité. Mais aussi avec toutes ses conséquences sur la croissance puisque c’est le secteur exposé qui génère, le plus,  les gains de productivité et donc la croissance.

La seconde étude est celle de de 2 chercheurs, Pierre-André Buigues et Denis lacoste, de la Toulouse Business School qui se sont intéressés aux modalités de développement des entreprises multinationales allemandes et françaises. Deux paramètres parmi d’autres sont ainsi livrés à une analyse comparative du processus d’internationalisation :

Le déploiement international s’opère davantage par des exportations côté allemand et davantage par investissements directs à l’étranger côté français. Le stock d’investissements directs à l’étranger des entreprises françaises représentant 59,1% du PIB français, tandis que ce même stock ne représente que 43,3% du PIB côté Allemagne. Les deux chercheurs en déduisent que ces stratégies différenciées sont à rapprocher des évolutions du commerce extérieur des 2 pays, défavorable côté français et favorable côté allemand.

Le déploiement international des entreprises allemandes obéit à un modèle de division du travail assez clair : R§D non délocalisé, assemblage sur territoire national, composants délocalisés. Le même déploiement français aboutit plutôt à lé délocalisation de la plupart des maillons de la chaine de la valeur avec réimportation de la production finale. Ainsi en 2011,  74% des importations françaises de la branche automobile étaient constituées de voitures (59% dans le cas de L’Allemagne) et 26% de pièces détachées ( 41% dans le cas de L’Allemagne).

La stratégie française de redéploiement prend parfois des proportions inquiétantes avec notamment l’implantation à l’étranger de toute une branche. Tel est le cas de Renault et PSA au Maroc avec un déménagement quasi complet transformant peu à peu le pays en futur « Grand » de l’automobile. Il est ainsi prévu qu’en 2020 la production du pays sera de 1 million de véhicules produits par 175 000 salariés[1].

Cette seconde étude n’aborde que de façon elliptique les causes profondes de la stratégie différenciée de l’internalisation en mentionnant qu’il s’agit probablement d’un problème de compétitivité. Effectivement l’Allemagne disposant d’un taux de change favorable n’est pas pénalisée par le maintien des pièces centrales de la chaine de la valeur sur le territoire national, ce qui n’est pas le cas de la France dont le taux de change est trop élevé.

La première étude fort différente aboutit toutefois à la même conclusion : le secteur exposé qui représentait en 1999 30% du total des emplois, n’en représente plus que 26,8% en 2013 en raison de la compétitivité faible du pays.

Plus globalement avec un taux de change faible pour une production haut de gamme, l’Allemagne voit ses exportations garanties et peut même constater une baisse de son élasticité-prix des exportations en volume (0,40 sur la période 2002/2016, mais seulement 0,28 sur la période 2006/2016)[2]. A l’inverse, la France, avec un taux de change trop élevé par rapport à sa production plus orientée moyenne gamme, voit ses exportations à la peine et peut constater un maintien de son élasticité-prix à l’exportation (0,75) un chiffre plus élevé témoignant de sa plus grande sensibilité à l’effet prix.

Compte tenu de ses deux études et sachant que du point de vue des importations l’ élasticité correspondante est pour la France strictement égale à zéro[3], Quelles sont les priorités d’une politique industrielle libérée de la gangue de la monnaie unique ?

Logiquement, la politique industrielle d’un pouvoir libéré devrait obéir aux priorités suivantes :

1 - Mettre tout en œuvre pour générer des activités substitutives des importations afin de lutter contre les effets catastrophiques de l’élasticité/ prix des importations qui reviendrait à une augmentation importante des prix et donc des revenus correspondants. Avec des effets de second tour sur la demande globale. Cela passe aussi par des incitations puissantes à la relocalisation avec par exemple une aide égale aux charges sociales nouvelles générées par les nouveaux emplois relocalisés…donc une aide signifiant l’équivalent d’un zéro charges sociales pour tout emploi créé dans une activité de substitution.

L’aide à la relocalisation se doit de concerner toutes les activités c’est-à-dire les unités d’assemblage, mais aussi les unités de fabrication des composants. Il est en effet évident que c’est l’ensemble d’une chaine de valeur qui est concernée,  faute de quoi une unité d’assemblage relocalisée serait quand même pénalisée malgré l’aide en raison des surcoûts des intrants frappés par la baisse du taux de change. Un tel processus bien mené doit donc logiquement aboutir à un raccourcissement important des chaines de valeur[4]. Dans la pratique cela peut signifier des « contrats de relocalisation » avec préfinancement couvrant les coûts du redéploiement.[5] A terme la compétitivité nouvelle n’est plus assurée par un quelconque CICE budgétairement très coûteux mais par un changement de parité, lui-même accompagné d’investissements de capacité et de productivité.

Pour les branches dont l’élasticité/prix à l’importation n’est pas nulle mais reste très faible, le contrat de relocalisation se transforme en contrat de développement et se trouve assorti d’une aide. Il s’agit ici de dynamiser une activité en l’incitant - non pas à élever les prix et donc les marges et de capter les bénéfices de la dévaluation- mais à répondre à la demande et à embaucher. Là encore,  l’aide se fixe à la hauteur des nouvelles cotisations sociales résultant de l’embauche. Et Là encore le coût budgétaire est nul.

Resteraient à envisager les substitutions d’importations non pas par relocalisation mais par création d’activités nouvelles interdites jusqu’alors par l’inadaptation du taux de change. Il s’agit du cas le plus difficile, difficulté allant jusqu’à l’impossibilité temporaire de rassembler les compétences nécessaires issues de métiers disparus ou de métiers non validés sur le territoire.

Globalement,  il reste toutefois que le processus n’est pas simple, qu’il exige du temps, et qu’il n’est pleinement efficace que si les prix internes des nouvelles productions nationales rejoignent les prix des anciennes marchandises substituées. A défaut la demande globale interne restera affectée par le retour à la monnaie nationale.[6]

2- C’est la raison pour laquelle la seconde priorité sera de choisir délibérément l’industrie -et l’industrie haut de gamme- pour anticiper sur les gains de productivité à venir. Le haut de gamme ou tout simplement la modernisation de l’appareil productif doit en effet permettre d’assurer l’ancien pouvoir d’achat qui résultait de la force de l’euro. Il s’agit d’abord comme objectif prioritaire d’assurer le nivellement entre les productivités générant les anciennes importations et celles générant les nouvelles productions nationales. Cela passe évidemment par des investissements massifs publics et privés. Et cela passe par des investissements à classer en fonction de l’importance des externalités positives qu’ils sont capables d’engendrer. Clairement cela passe par ce qu'on appelle le "manufacturing 4-0", avec les robots collaboratifs, les dispositifs de réalité augmentée, l'Internet industriel, etc. le tout facilitant la "customisation de masse" et souvent la production locale au profit de débouchés locaux.

Auparavant, et à titre conservatoire, cela suppose la multiplication de contrats d’innovation qui permettront pour les usines installées de ne plus être menacées de perdre leur stock d’apprentissage par la financiarisation de leurs activités[7] .

Les investissements publics doivent d’abord assurer la qualité de la liaison entre les maillons des chaines de la valeur en voie de reconstitution. Ils doivent donc assurer la qualité et la fluidité des infrastructures de base. Ils permettent aussi de mobiliser massivement les chômeurs éloignés des compétences exigées par l’industrie et les services haut de gamme. Il faut en effet préciser que la réussite c’est aussi la rapidité et donc la diminution très rapide du chômage. Ces investissements publics sont aussi liés au domaine de la recherche développement dans le sens de la construction d’un Etat Stratège, qui permet de donner de la visibilité et une demande solvable aux investissements privés.

3 -  Le caractère massif de l’investissement pose évidemment la question de la nouvelle organisation financière. Il est évidemment impossible de reconstruire dans le long terme en restant victime de la tyrannie du court terme. Parce que les investissements doivent être massifs et porteurs de résultats immédiats et importants en termes de réduction du chômage, il est nécessaire de reconfigurer dans sa totalité le système bancaire et financier.

Le passage urgent et rapide à une économie décarbonée suppose des crédits qui ne se limitent pas à l’épargne constituée, et donc exige une émission monétaire à la hauteur des moyens techniques et humains mobilisables au titre de la décarbonisation. Cela suppose, en reprenant le schéma proposé par Michel Aglietta[8], la sélection et la certification des investissements bas carbone, leur financement par des banques avec la certitude de pouvoir les céder à la banque centrale pour la valeur inscrite. Au total,  le bilan de la Banque centrale s’accroit en actifs carbone, actifs dont la contrepartie au passif est l’augmentation de la réserve monétaire des banques. Il est possible d’envisager des procédures semblables pour les infrastructures et autres investissements moteurs de la relocalisation.

On comprend immédiatement que de tels schémas supposent la stricte obéissance de la Banque centrale envers les décideurs de l’Etat Stratège. On comprend aussi que le système bancaire doit être largement contraint par ce même Etat[9]. On comprend enfin que nous entrons dans une véritable économie de l’offre qui,  par la hauteur de l’investissement nouveau financé par création monétaire,  génère un flux de revenus  propre à réanimer la croissance.

4 -  Cette politique proactive suppose la mobilisation d’une main d’œuvre nouvelle devant s’adapter aux métiers correspondants. Pour cela le premier impératif porte sur la réquisition de l’ensemble des fonds de la formation professionnelle, 35 milliards d’euros, souvent improductivement dépensés. La réallocation autoritaire des ressources devra devenir l’outil au service des investissements industriels et de protection de l’environnement. En particulier cela passe par moins de légéreté au profit de formations de complaisance et la mise en place immédiate de filières industrielles d'excellence.  Cela passera aussi par des contrats de formation et d’emploi avec sanction lourde en cas de non-respect par les parties signataires. Il est en effet urgent de mettre fin au gaspillage de la formation continue Cela passera enfin par la modération des nouvelles dépenses aux services à la personne dont le fonctionnement ne génère pas de rendements croissants.

 


 

[1] Les Echos du 10 septembre 2016.

[2] Selon Natixis.

[3] Toujours selon Natixis.

[4] Raccourcissement et renationalisation des chaines de la valeur permet aussi de diminuer l’évaporation fiscale qui résulte notamment des prix de transferts toujours contestables, et des facilités offertes par les paradis fiscaux.

[5] Il s’agirait bien d’un préfinancement donc un crédit puisque les sommes avancées au titre du redéploiement ne seront de fait remboursées que sous la forme des cotisations sociales nouvelles entrainées par la relocalisation.

[6] Précisons toutefois qu’avec une élasticité/prix à l’exportation d’environ 0,75, le changement de parité devrait entrainer un gain d’exportation développant la demande globale.

[7] Nous pensons ici en particulier au cas d’Alstom, mais aussi à toutes les industries de l’armement.

[8] « La monnaie entre dettes et souveraineté »- Odile Jacob- 2016.

[9] A cet égard on pourrait aller beaucoup plus loin et imposer une renationalisation complète de la monnaie dans le cadre de ce qu’on appelle le 100% monnaie. Dans une telle hypothèse la monnaie créée par la banque centrale est créditée au compte du Trésor qui revend et répartit ladite monnaie au sein du système bancaire.

 

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