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7 septembre 2015 1 07 /09 /septembre /2015 15:20

 

On évoque de plus en plus la difficulté pour la Chine de s’orienter vers un nouveau modèle de développement. Il s’agit de passer d’un modèle extraverti vers un modèle plus auto centré. Une réalité qui se vit déjà puisque le rapport X+M/PIB[1] est passé de 65% en 2006 à 50% en 2010 et qu’il ne sera plus que de 40% en 2015.

Mais aussi un passage de plus en plus difficile que semble attester le très fort ralentissement de la croissance, un peu plus de 2% selon Patrick Artus (NATIXIS).

Nous voudrions montrer dans le présent article qu’il existe non une corrélation mais un lien de cause à effet entre hausse des salaires, chute du rapport X+M/PIB, chute de la croissance, et difficulté de construire une très large classe moyenne protégée par un Etat social puissant.

L’étincelle.

En simplifiant beaucoup une réalité infiniment complexe, on peut considérer que si brutalement existe dans une économie, un doublement des salaires ne représentant jusqu’ici que, par exemple  30% du PIB, on assistera dans le court terme à une hausse des prix de toutes les marchandises produites et consommées.

A court terme, sans modification de la mobilisation des facteurs de la production et sans gains de productivité, il faut s’attendre à une hausse de prix de 30%. En effet les salaires passent de 30 à 60 points de PIB et, toutes choses égales par ailleurs[2], l’expression monétaire du PIB passe de 100 à 130.

Le choc externe.

Le niveau général des prix étant plus élevé il affectera les exportations dont le volume variera  aussi en fonction de l’élasticité-prix. Dans la mesure où les exportations chinoises sont encore dans la gamme inférieure, la substituabilité est très forte ce qui signifie une élasticité élevée de la demande internationale. Si nous prenons pour cette dernière la valeur de  -1,25[3], cela signifie sur la base des exportations  2006[4] ( 35,65 points de PIB) une baisse potentielle de 37,5% des exportations ( -1,25X30), lesquelles ne vont plus représenter que 22,28 points de PIB , soit une chute de 13,33 points de PIB. Chiffre considérable.

Les importations sont aussi théoriquement affectées par le doublement des salaires et la hausse consécutive  des prix internes. Elles doivent logiquement bénéficier d’un effet revenu et d’un effet de substitution. Au-delà, et contradictoirement, elles vont surtout être affectées d’un effet mécanique consécutif à la baisse des exportations. N’oublions pas en effet qu’en sa qualité d’économie extravertie baignant dans un système mondialisé d’optimisation des chaines de la valeur, la chine est d’abord exportatrice de produits issus d’ateliers d’assemblage de matériaux importés. Les importations sont donc aussi  liées au flux des exportations, selon un multiplicateur de 0,35 d’après  l’OCDE. Finalement le passage de l’extraversion à l’auto centrage parce qu’agissant selon 2 forces de sens contraires peut être estimé sans grands effets sur les importations.

Au total la variation de la demande externe qui fait suite au doublement des salaires est de  - 13,33 points de PIB.

Le Choc interne.

Ce choc externe est toutefois à comparer au choc interne, qui lui, correspond à la hausse des salaires…et à ses effets sur les autres agents économiques.

A priori la demande interne augmente au rythme de la hausse des salaires, soit 30 points de PIB, et donc la demande interne augmenterait plus rapidement que ne se réduit la demande externe. C’est oublier 2 éléments, la hausse des prix qui fait dissocier salaire nominal et salaire réel d’une part, et l’impact d’une augmentation du cout du travail sur la demande d’investissements.

En termes réels, les salaires qui représentaient 30 points de PIB n’en présentent pas 60 après doublement mais 60/130 soit 46 points de PIB. Le choc positif interne à l’initiative de la dépense des salariés n’est plus que de 16points de PIB soit un niveau à peine supérieur à l’effet négatif du choc externe (16 contre 13 ,33).

Bilan et menace réelle.

Toutefois le nouveau partage salaires/ profit au détriment des profits réduit considérablement l’incitation à investir. D’où une chute de l’investissement productif.  Nous sommes donc dans une situation de déséquilibre macroéconomique qui doit d’abord se traduire par des surcapacités dans les branches produisant des biens capitaux comme l’acier ou le béton.

C’est dire que sans intervention gouvernementale massive le taux de croissance ne peut que s’effondrer. Le passage de l’extraversion à l’auto centrage est ainsi extrêmement difficile.

Mais les chinois aiment épargner.

De fait la difficulté apparait aussi grande si l’on enrichit le petit modèle présenté en y introduisant le comportement d’épargne des salariés chinois.

Si l’on suppose que la moitié de la hausse des salaires est épargnée, la hausse des prix se trouve plus faible et l’expression monétaire du PIB n’est plus de 130 mais de 115.

Cela signifie une moindre réduction du flux des exportations (- 1,25X 15= 18,75 % de baisse) , et au final une demande internationale qui ne chute que de 6,88 points de PIB.

Toutefois ce choc externe plus faible est à comparer au choc interne. En termes réels le doublement du salaire assorti de l’effet déflationniste de l’épargne fait que désormais le poids du salaire dans le PIB se trouve être de 60/115 soit 52 points de PIB, sur lequel l’épargne viendra contracter la demande globale. Au final les deux effets contradictoires sur la demande interne sont de 22 – 11 (épargne) = 11 points de PIB. L’écart entre les 2 chocs (externe et interne) est faiblement positif (11- 6,88= 5,12) mais là encore la nouvelle répartition salaires/profit fait s’effondrer l’investissement productif, et à sa suite celui de la croissance. D’où l’interventionnisme d’un Etat chargé de masquer la crise de surproduction par le développement de lourds investissements publics.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer ?

Le pouvoir chinois dispose d’énormes moyens pour mettre en place un Etat providence facilitant le passage au modèle que l’occident a pu construire au cours des 30 glorieuses : il lui suffit d’utiliser l’énorme épargne internationale accumulée lors de la phase extravertie de son développement. A priori ces énormes moyens pourraient aussi maintenir la croissance.

Curieusement il les utilise davantage selon les habitudes prises dans la phase antérieure : infrastructures colossales à rendements décroissants, constructions, etc.  Plutôt que vers la construction d’un Etat social : retraites, santé, etc.

Il est urgent mais très difficile de sortir de l’étape de la transition.

Urgent, car désormais il faut rapidement monter en gamme pour ne pas être concurrencé par les nouveaux pays émergents dont les taux de salaires sont plus faible. Mais on sait aussi que la montée en gamme se réalise par les services lesquels sont moins porteurs de gains de productivité…. La simple stagnation des salaires en Chine ne permettra pas la chute de ses parts de marché.

Très difficile car la baisse de l’incitation à investir diminue les chances d’une hausse de la productivité limitant la dite concurrence. Avec la grande difficulté pour Un Etat de se substituer à l’entreprise dans un monde beaucoup plus complexe que lors du démarrage des 30 glorieuses en Occident. Cette très grande difficulté risque d’engloutir une bonne parti du surplus accumulé lors des 30 dernières années. Elle risque aussi de laisser en panne la construction d’une authentique et très large classe moyenne en Chine.

L’accumulation auto centrée accoucheuse d’un Etat social était une phase beaucoup plus aisée dans l’Occident du début des 30 glorieuses :  gains de productivité très élevés en raison de la nature de l’accumulation de l’époque, une accumulation industrielle- plus simple que celle d’aujourd’hui- et non de services ; absence de nouveaux émergents et de concurrence ; plus largement un milieu international guidé par le « plan mondial [5]» américain qui nourrissait avec ses surplus[6] les demandes renaissantes sur des économies détruites par la guerre.

La Chine, en raison de son poids à largement bénéficié du dépeçage volontaire des anciens pays à développement auto centrés. Elle a nourri son modèle extraverti de ce dépeçage. Elle aura beaucoup de mal à construire un authentique développement auto centré.

 


[1] Dans le langage classique des économistes, X est le total des exportations et M le total des importations.

[2][2] Hypothèse bien sûr extrêmement simplificatrice mais qui permet de comprendre le raisonnement de base.

[3] Sources : Natixis.

[4] Nous prenons l’année 2006 de façon sans doute arbitraire mais elle est néanmoins  l’une des dernières à correspondre à la Chine des bas salaires.

[5] Expression que nous empruntons à l’excellent ouvrage de Yanis Varoufakis « Le minotaure planétaire », Editions du Cercle ; 2015.

[6] Plan Marshall.

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28 août 2015 5 28 /08 /août /2015 13:17

 

 

Les surcapacités de production semblent devoir constituer le souci principal de nombre de branches professionnelles en Chine : Industrie Automobile, bâtiment, acier etc. Parallèllement les réformes structurelles en Europe continuent de triompher avec l’exemple grec. Olivier Passet , dans sa vidéo : « La crise chinoise met l’Europe face à ses responsabilités mondiales » ( Xerfi, 24/0915) est l’un des rares observateurs à voir dans ce double mouvement le paradoxe de la crise planétaire de surproduction.

Profitons-en pour rappeler la réalité des choses : le déséquilibre entre offre et demande agrégée qui s’est progressivement construit autour de la mondialisation. Une réalité très éloignée de la vision produite par les spécialistes qui recherchent la clé dans des lieux où elle ne se trouve pas. Bornons-nous à quelques grandes étapes en insistant sur les rapports entre offre et demande.

La première étape est celle qui permit d’en finir avec la crise précédente et va assurer les « 30 glorieuses ».

1) « L’Etat –Nation fordien développé » et le « sous-développement ».

Tout a été dit sur cette phase qui correspond aussi à l’après seconde guerre mondiale, il est donc inutile d’insister. Signalons simplement que cette étape est celle d’une garantie de l’équilibre entre offre globale et demande globale par forte redistribution de gains de productivité abondants. La montée d’une Etat social servira aussi d’assurance de débouchés : les entrepreneurs économiques paient une prime d’assurance garantissant des débouchés croissants,  (taxation de l’activité et en particulier du travail s’agissant plus particulièrement de la France) assurance qui sera aussi celle des entrepreneurs politiques qui se produisent et se reproduisent au pouvoir en construisant le produit politique « Etat-providence ».

Parce que l’on en est encore au stade de l’Etat-Nation, cela suppose aussi de lourds transferts entre régions, et au final un processus d’homogénéisation renforçant l’équilibre entre offre globale et demande globale. Au niveau mondial, cette étape se caractérise par une croissance forte de ce qu’on appelle les pays développés et beaucoup plus faibles, pour ce qu’on va à l’époque appeler pays de la périphérie ou pays sous- développés : entre 5 et 7 ou 8% d’un côté et moins de 3% de l’autre. Sur le plan monétaire, le modèle allemand[3] ne s’est pas encore mondialement imposé : «  la loi d’airain » de la monnaie[4] est abandonnée et la création monétaire, qui est le fait des banques centrales et des banques de second rang, est bien présente pour assurer la croissance.

Cette croissance monétaire est bien sûr une croissance par endettement, mais celui-ci est contenu par une inflation qui participe largement de la répression financière de l’époque.

2) Mondialisation acte1 : L’émergence du couple USA/Chine.

Ce que certains ont appelé le « mariage de Wal-Mart et du parti communiste  chinois »[5] marque l’une des premières étapes de la forme moderne de la mondialisation.

Il s’agit de la première grande rupture entre offre globale et demande globale. La production chinoise est appelée à devenir très supérieure aux débouchés nationaux. Pour les USA, les choses deviennent complexes : La croissance de la production peut encore se maintenir car la  concurrence  des importations en provenance de chine créent suffisamment d’effet-revenu au profit des salariés qui peuvent ainsi alimenter une demande domestique supplémentaire. Toutefois on se dirige vers un déficit extérieur et une demande interne appelée – sauf ouverture croissante du crédit et de la dette - à  se comprimer. Avec le temps cette compression se fera croissante: les salaires américains se bloquent avec une contrepartie en termes de revenus qui devient facteur de blocage de la demande.  le déficit, quant à lui, correspond à une production et un revenu  associé qui n'est plus assuré sur le territoire américain, donc une demande potentiellement déclinante. Les USA consomment et la Chine produit.

Déficit d’un côté et excédent de l’autre, il peut encore y avoir un équilibre mondial tant que « l’armée industrielle de réserve chinoise » ne heurte pas plus frontalement les salaires américains.

Cette étape 2 concerne les années 80 lesquelles voient un redéploiement de la croissance : Les taux baissent dans les vieux pays développés et montent dans les autres : environ 3% contre 8 à 10 d’abord chez les « tigres asiatiques », ensuite et surtout en Chine. La création monétaire doit bien sûr suivre, et à l’endettement qui ne fait que suivre la croissance il faudra ajouter l’endettement du aux premiers lourds déséquilibres : l’Asie  finance de façon croissante l’endettement américain, le moteur de l’immense machine à recycler se trouvant à Wall-Street.

3) Mondialisation acte 2 :L’ère des bulles.

L’expression de « pays sous-développés » n’est plus seulement remplacée par celle de  « pays émergents » car nombre de ces derniers deviennent « pays émergés ». Sans toutefois, sauf pour certains d’entre-eux,  devenir des Etat-Nations fordiens classiques. Ainsi la Chine verra la part des salaires dans le PIB devenir l’un des plus faibles du monde : 35%. Son équilibre ne peut donc résulter que d’excédents extérieurs de plus en plus massifs.

 Le déficit américain devient abyssal, car l’économie américaine absorbe une bonne part des excédents chinois, lesquels participent activement à la désindustrialisation du pays, avec en corollaire : le blocage de longue période des rémunérations et l’explosion des inégalités.

Désormais toutes les autoroutes de la mondialisation fonctionnant sans péages [6], le nouveau capitalisme voit le principe moteur  de la concurrence passer des gains de productivité à celle de la course à la baisse des salaires. C’est tout le sens qu’il faut donner à l’allongement considérable des « chaines de la valeur », et au primat du « Buy » sur le « make » : il faut sans cesse externaliser et transformer radicalement l’entreprise, qui devient de plus en plus un corps apparemment démembré[7]. Le déséquilibre planétaire devient difficilement gérable et la production croissante voit ses débouchés se restreindre de façon massive.

Toutefois la crise est refoulée par la montée considérable du crédit et de l’endettement qui en découle : une bulle de dettes sur laquelle sont branchés tous les nouveaux instruments d’une créativité financière qui n’est plus muselée par la répression de jadis. Les salariés américains, dont beaucoup sont devenus précaires, continuent de consommer grâce au crédit. L’Etat fédéral poursuit ses dépenses militaires pharaoniques grâce à l’épargne chinoise. Dettes publiques et privées, s’épuisent à maintenir le niveau de demande mondiale globale garantissant la croissance de l’activité.

Cette dernière reste déséquilibrée en faveur des pays émergents (plus de 10% pour la Chine), avec toutefois maintien d’une croissance non négligeable, dopée par la dette dans les anciens pays développés (surtout les USA qui maintiennent durablement des taux supérieurs à 3%).

4) Mondialisation acte 3 : Explosion de la dette et fragile digue des Etats.

Inutile de rappeler les évènements de 2008/2009 tant ils sont connus. Les entrepreneurs politiques devenus dépendants de l’industrie financière [8], et parfois même se confondant avec les dirigeants de cette dernière [9], font le choix du « Bail-out ». Il en résulte que l’immense dette privée qui se cachait dans la bulle devient dette publique et vient accroitre le poids des charges qui accablaient déjà certains Etats fort endettés [10]. La spéculation sur la dette privée, devient aussi spéculation sur les dettes publiques, avec attaques sur les parties les plus fragiles de la grande digue des Etats : la dette européenne. La zone euro devient ainsi un lieu privilégié, avec prise de conscience par la spéculation que nombre de dettes publiques ne sont plus soutenables. Les entrepreneurs politiques de la zone, ardents défenseurs de la conception allemande de la monnaie, défense qui est aussi celle des grands gagnants de la mondialisation, adoptent à la hâte des mesures d’austérité visant à contenir la vague des déficits et le service de la dette correspondant. Chaque point de PIB de dépense publique gagnée dans la course à un désendettement impossible à atteindre, devient un point de demande globale en moins, d’où- sous l’effet du multiplicateur budgétaire-  l’aggravation de la crise. Ce qui était la première économie du monde devient la zone la plus dépressive du monde, zone qui en raison de son poids, vient affaisser des croissances mondiales déjà sur le déclin. Le prétendu « rétablissement », utilisant y compris des bricolages statistiques [11], n’est que l’aggravation planétaire de la crise. D’où la nécessité de construire de nouvelles digues.

5) Mondialisation acte 4 : La construction de la digue des banques centrales et ses effets.

Parce que la mondialisation est devenue une logique de destruction, creusant un fossé de plus en plus large, entre offre globale mondiale et demande globale mondiale, fossé que les Etats ne sont plus capables de combler par des déficits, il faudra mettre en ordre de bataille les banques centrales chargées de monétiser ou racheter de la dette. Cela commence très tôt avec la FED et 3 « quantitative easings » laquelle sera suivie par les banques d’Angleterre, puis du Japon et  enfin la BCE et ses « LTRO » et autre « OMT » ou encore taux d’intérêts négatifs. Le comblement du fossé entre offre globale et demande globale se mesure à la démesure croissante des bilans des dites banques centrales : plus du quart des PIB des Etats correspondants et la moitié du PIB japonais pour la banque du Japon.

Commencée avec la mise en place des autoroutes de la finance, et donc la fin de la répression financière et de l’euthanasie des rentiers, la mondialisation poursuit sa course destructrice, en  revenant vers cette dernière  de façon imprévisible et inattendue : Les Etats, y compris ceux du sud de l’euro zone,  retrouvent des conditions d’endettement qui ne sont plus celles de la loi d’airain de la monnaie[12]. De la même façon les entreprises non financières voient leur rentabilité augmenter en raison de la baisse des taux[13]. A l’inverse, la menace est grande pour les fonds de pension à prestations définies et les compagnies d’assurances. La nouvelle euthanasie des rentiers permettrait ainsi de ne plus évoquer stupidement le « sacrifice des générations futures »- les ménages jeunes bénéficient de taux faibles- et « l’égoïsme des ainés », qui cigales plus que fourmis, auraient scandaleusement endettés leur pays.

Conclusions

A l’échelle mondiale aucune  des mesures envisagées ne correspond à la bonne clé d’une sortie de crise et le fossé entre offre globale et demande globale ne cesse de s’élargir : le processus de dislocation ne s’achève pas. Il est même conforté par la digue ultime des banques centrales….des établissements dont le passif n’est jamais exigible[14]… Plus clairement encore, la course à la baisse mondiale de la part des salaires dans la valeur ajoutée peut se poursuivre [15], et la logique de destruction continuer : expulsion de ceux qui bénéficiaient d’un Etat-providence, d’un emploi stable, d’une appartenance à la classe moyenne, etc. Mais aussi expulsion des entrepreneurs politiques classiques désormais supplantés par des gangs ou « formations prédatrices » [16] faites d’une élite mondialisée, hors-sol, bénéficiant de capacités systémiques surpuissantes et finalement peu maitrisables[17] : banquiers, juristes, comptables, mathématiciens, journalistes, dirigeants de grandes entreprises, informaticiens, physiciens, lobbyistes, etc.[18]. Au total expulsion de la démocratie au profit d’une oligarchie, avec maintien, voire sacralisation de droits de l’homme dans leurs versions les plus épurées, c’est-à-dire anglo-saxonnes. Le triste spectacle de la Grèce est là pour le confirmer.

Plus proche de l’Europe, cette nouvelle donne n’entraine évidement aucune solution à la crise de l’euro. Les pays du sud ne peuvent en aucune façon espérer de soulagement dans la course à la baisse des salaires par une modification du taux de change : il faut imaginer l’impensable et le cruel retour à des époques que l’on croyait révolues. Non seulement l’Europe du sud doit accepter la dévaluation interne exigée par l’Allemagne[19], mais elle doit aussi subir les assauts d’un processus plus vaste encore, celui imposé par l’écart croissant entre offre et demande planétaire. La Grèce souffre de l’imposition du modèle allemand…mais une souffrance aussi augmentée des difficultés des « émergés ». Les chinois auront-ils encore les moyens de racheter Le Pirée ?

Dernier point : la nouvelle euthanasie des rentiers ne peut être une incitation à l’investissement productif. Constatons que si la baisse des taux a permis aux entreprises non financières (ENF) d’accéder à une rentabilité plus élevée, l’investissement ne peut s’envisager sur la base d’une demande globale en réduction, déficit d’investissement qui en retour affaisse davantage encore la demande globale mondiale et fait grandir le fossé avec l’offre correspondante.[20]

Et la France dans tout cela ?

La France se trouve de plus en plus mal placée, certains osant même affirmer qu’elle devient le "pays dernier de classe". Dans la guerre de la mondialisation les plus hardis peuvent relativement moins perdre que d’autres. Ainsi la baisse des salaires en Espagne permet de rétablir un semblant de compétitivité et  laisse à ce pays l’ambition de devenir une petite Chine. Le même raisonnement peut se faire pour d’autres pays qui se « réforment » plus vite que d’autres : les petites Chines peuvent se multiplier. La Tchéquie n’est –elle pas parvenue au plein-emploi ?  D’où les lamentations concernant une France qui n’arrive pas à se réformer, qui connait encore une hausse des salaires et qui en contrepartie encaisse des déficits publics et  extérieurs croissants, avec le chômage qui lui est associé….  au grand soulagement des petites Chines qui voient leur stratégie couronnée de succés….Merci la France qui, difficilement intégrée dans la mondialisation, en accepte pourtant la charge croissante: elle encaisse sous forme de déséquilibre extérieur et de chômage les exportations croissantes des petites Chine.

La clé de la sortie de crise est introuvable si l’on se borne à ne la rechercher que là où la lumière du lampadaire se fait suffisamment vive.

Certains pensent en avoir trouvé une dans le maquis des réformes qui pour l’essentiel concernent la baisse des salaires pour leur pays ou –par effets de gains de productivité-  imposent de telles baisses aux pays clients  moins productifs. Toutes ces clés, peut-être utiles à l’échelle d’un pays, produisent un drame planétaire. Les pays émergés connaissent ainsi un étouffement de la croissance, avec dans certains cas- le Brésil par exemple mais plus encore aujourd’hui la Chine- l’apparition d’une étonnante stagnation…. D’où le développement de théories acadabrantesques concernant la chute de la « croissance potentielle".....

 

[1] « Refusons les vieilles recettes de la vieille gauche taxophile », Le Monde du 25 juin 2014.

 

[2] « Le socialisme de l’offre est une impasse », Le Monde du 25 juin 2014.

 

[3]http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

 

[4]http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-d-airain-de-la-monnaie-medium-n-34-janvier-2013-114312510.html.

 

[5] Expression que nous devons à Jean- Michel Quatrepoint.

 

[6]http://www.lacrisedesannees2010.com/article-agonie-du-fordisme-forme-de-l-etat-et-gigantisme-financier-2-77358419.html

 

[7] La « tête » dans un pays, un bras sur un autre dans un autre continent, une jambe dans un troisième, etc.

 

[8]Phénomène bien expliqué dans l’ouvrage de Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat : « La capture » ; La Découverte ; 2014.

 

[9] Cf. l’étude de Daron Acemoglu (MIT) : « The value of Connections in Turbulent Times: Evidence from the United States, NBER Workink Papers n° 19701, novembre 2013.

 

 

[10]D’autres qui l’étaient peu le deviennent brutalement en raison du sauvetage financier : USA, Irlande, Espagne, etc.

 

[11] Parmi ces derniers signalons la redéfinition des règles comptables pour le calcul des PIB, (par exemple les dépenses de recherche et développement sont désormais comptabilisées dans la FBCF) ce qui entraine une croissance « inédite », et les exceptions aux règles de calcul du déficit pour les pays les plus en difficulté notamment la Grèce. De quoi améliorer les images statistiques et donc de rassurer.

 

[12] D’où les prétendus retours triomphaux des Etats du sud de la zone euro qui connaissent des taux enfin abordables, tandis que la France n’a jamais connue de taux aussi bas qu’en ce printemps 2014.

 

[13] Cette baisse aurait représenté 20% de la croissance des entreprises américaines entre 2007 et 2012. Cf l’article de Martin Wolf déjà cité.

 

[14] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-oui-le-passif-d-une-banque-centrale-est-non-exigible-une-aubaine-pour-la-finance-121560542.html

 

[15] D’où le blocage des nouvelles et importantes classes moyennes des émergents : Chine, Brésil, etc. ..concurrencées par de nouveaux salariés des nouvelles périphéries : Vietnam, Bengladesh, Ethiopie, etc. Pour ne prendre qu’un exemple la nouvelle classe moyenne chinoise se trouve désormais exposée à la baisse des salaires américains (l’écart de cout unitaire étant passé de 17,1$ en 2005 à 6,9 en 2012…écart  disparaissant avec les couts américains de l’énergie, d’où les nouveaux investissements chinois dans le sud des USA) mais aussi à l’énorme compétitivité de ses voisins immédiats (Vietnam et Cambodge) dont les salaires très inférieurs aux salaires chinois justifient les massives délocalisations chinoises vers ces pays pour l’industrie du jouet ou du textile. A une échelle plus réduite la moyennisation de l’espace européen devient avec l’euro, un leurre, et l’écart de 1à 20  (selon XERFY) entre les 10% les plus pauvres (plutôt des ménages portugais) et les 10% les plus riche (plutôt des ménages allemands et luxembourgeois) ne va guère se réduire avec les politiques d’austérité. Et que dire de la Grèce ?

[16] Terme emprunté à Saskia Sassen dans son ouvrage : « Expulsions. Brutality and complexity in the Global Economy »; Harvard University Press ; Mai 2014.

 

[17]L’industrie financière dérégulée est en effet non maitrisable y compris par ses acteurs, lesquels sont parfois inquiets d’une création à la fois voulue et subie. De la même façon qu’un accident nucléaire développe des évènements hors de contrôle, un accident financier développe des conséquences non planifiables.

 

[18] Cette élite mondialisée hors sol - bien sûr investie dans l’immense industrie financière -  n’est évidemment pas victime de l’euthanasie des rentiers. Cette élite vit en effet moins de taux que d’écarts de prix. Parce que l’industrie en question vit de la recherche de l’information, elle patauge nécessairement dans les marécages des délits d’initiés et autres conflits d’intérêt. C’est cette matière première qui fait l’immensité de sa prédation, une prédation vis-à-vis de  laquelle les « régulateurs » s’avèrent impuissants.

 

[19]Laquelle détenait le record des inégalités dans les grands pays industriels et vient seulement d’être rattrapée par les USA, ce qui explique aussi, partiellement, son attitude vis-à-vis d’une Grèce dont les ménages disposeraient d’un patrimoine trop important (Cf le rapport OCDE présenté dans les Echos des 2 et 3 mai 2014).

 

 

[20] Ajoutons que les investissements programmés ne sont pas orientés vers la productivité et, la  « destruction créatrice » chère à Schumpeter, est toujours annoncée… et peu constatée. Cf. à cet égard les thèses actuelles développées par Peter Thiel, Garry Kasparof, Robert Gordon mais aussi Jean Paul Pollin et tant d’autres, qui insistent sur l’idée de longue stagnation en matière de technologie et d’innovation. Ces idées sont aussi confirmées par l’estimation de la qualité des emplois crées en France à l’horizon 2018 (Cf. le rapport McKinsey d’Avril 2014) qui révèle clairement le choix de branches non porteuses de gains de productivité (Maintenance et entretien, services aux particulier, hébergement et restauration, santé, etc.).

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20 janvier 2015 2 20 /01 /janvier /2015 04:34

Résumé: Contrairement à ce qui est trop rapidement affirmé, le nouveau pétrole américain n'est pas menacé par la chute des prix du brut. A l'inverse, les USA vont redevenir le "faiseur de prix" à l'instar de ce qui existait au beau milieu du 20ème siècle. Parallèlement L'Arabie Saoudite risque de perdre définitivement sa place de "swing producer".

La littérature concernant l'évolution du marché pétrolier à moyen terme ne permet pas de s'appuyer sur des conclusions convergentes quant aux prix futurs. Certains voient un effondrement rapide de la production américaine et donc une hausse des prix dès l'été prochain, hausse qui résulterait d'une chute de l'offre. D'autres pensent que la production américaine pourrait se maintenir et ainsi contribuer au maintien de prix faibles.

Il est temps de reconsidérer les raisonnements à partir d'une analyse des coûts de production.

Depuis la naissance de l'industrie pétrolière en Pennsylvanie dans les années 1870/1880 jusqu'au début des années 2000, nous étions dans une configuration où au niveau de chaque puits, les charges fixes étaient importantes et le coût marginal proche de zéro. Il en était ainsi car l'ouverture plus grande de la tête de puits est une opération de coût nul générant un flux plus important d'huile. S'Il est vrai que lorsque furent entrepris -au cours de la seconde partie du vingtième siècle- les opérations de récupération assistée le coût marginal cessa d'être nul, il était pour autant très faible.

Cette caractéristique fût celle qui devait expliquer la stucture fortement oligopolistique de l'industrie correspondante. C'est que, dans un tel modèle, les rendements étant sans cesse croissants, la concurrence devient rapidement catastrophique. Par exemple les petits producteurs américains des années 1880, endettés au titre de l'achat des appareils de forage optimisaient leur gestion par l'ouverture maximale des têtes de puits, d'où une offre rapidement croissante, une baisse brutale de prix, et la ruine, elle-même souvent accompagnée d'une pollution de la nature puisqu'il devenait avantageuc de jeter l'huile dans les rivières.

La suite est historiquement connue avec la fin de la concurrence au profit de la naissance de la Standard Oil qui devait réguler l'offre et stabiliser le marché. Une histoire qui se pousuivra par une régulation par les "sept soeurs", un "posted price" unique et mondial, des "frets fantômes", des accords secrets entre compagnies, etc ; mais aussi la naisssance de l'OPEP et des compagnies nationales de pays producteurs. De quoi construire à partir de coûts marginaux nuls ou proches de zéro une immense rente pétrolière.

Dans cet état du monde, les schistes bitumineux et autres sables asphaltiques étaient tout simplement hors-jeu, tant les coûts d'accès étaient incomparablement plus élevés qu'au Moyen Orient.

Depuis le milieu des années 2000, nous nous dirigeons vers une structure de coûts complètement différente.

S'agissant des nouvelles huiles extraites, notamment aux Etats-Unis, nous rencontrons une structure de coûts beaucoup plus classique. Les coûts de forage sont très faibles comparés aux nouveaux coûts de forage pour les pétroles classiques. Il est difficile de pénétrer dans le secret des coûts, mais l'on croit savoir qu'ils sont incomparablement plus faibles que les coûts d'accès aux grandes profondeurs au large du Brésil voire en Sibérie ou en Alaska. Par contre, les forages ont un rendement qui diminue rapidement (division par 2 au bout de 6 mois d'exploitation) alors que le forage sur gisement classique peut produire pendant 30 ans. Cela signifie une multiplication régulière du nombre de forages sur un gisement (jusqu'à 50 fois plus que sur un gisement classique).

Par ailleurs, les coûts d'exploitation -même instantanés- ne sont plus proches de zéro, car il s'agit toujours d'une récupération très assistée par l'injection de  grandes quantités  de produits et de liquides divers pour obtenir l'extraction.

La période 2005-2015 est ainsi très différente de celle des années 1880. Il n'y a pas de concurrence catastrophique et nombre de producteurs américains sont nouveaux et de petite taille, ce qui n'a pas débouché sur de catastrophiques rendements croissants impliquant leur élimination, comme ce fut le cas en Pennsylvanie.

Au delà, la technologie qui correspond à cette nouvelle structure de coûts est aussi celle qui permet d'introduire dans l'industrie des réserves naturelles jusqu'alors inexploitables. Shistes bitumineux et sables asphaltiques ne sont plus en dehors du théatre pétrolier et vont prendre une place décisive.

Et c'est ici qu'il convient de proposer ce que nous croyons être le scénario d'une très nouvelle géopolitique du pétrole.

Beaucoup de choses ont été dites -sans apporter de preuves- sur des accords entre Russie et Arabie Saoudite, ou entre ce dernier pays et les USA, dans un cas pour géner les USA et dans l'autre pour géner la Russie. Avec des conséquences secondaires lourdes pour d'autres pays: Vénézuela, Algérie, Nigéria, Iran,etc.

De fait, nous pensons que les Etats-Unis vont conquérir seuls, une place déterminante leur conférant un poids géopolitique nouveau.

Tout d'abord, l'offre américaine ( près  de 10 millions de barils/jour) est devenue majeure et anéantit l'efficience de l'OPEP, lequel voit sa part de marché passer de 55% en 1973 à 35% aujourd'hui. Cela signifie que l'OPEP n'a plus les moyens de fixer le prix. A l'intérieur de l'OPEP, l'Arabie Saoudite perd aussi son statut de "swing producer" qui lui allait si bien en diminuant ou en augmentant voire en doublant sa production en quelques jours - ce qu'elle fit lors de la première guerre du Golfe - grâce à la vertue des rendements croisssants sur chaque puits.

Face à l'offre américaine nouvelle, l'Arabie Saoudite a fait le choix du maintien relatif de sa part de marché au détriment des prix : sa production s'est maintenue. Elle espère que ce choix, très coûteux en terme de rente pétrolière,  va éliminer les producteurs marginaux américains.

Il est possible que les coûts unitaires totaux du baril américain soient trop élevés (60/70 dollars?), d'où la très forte diminution -en quelques semaines- des investissements de forage dans certaines zones du territoire américain. Coûts trop élevés jusqu'ici protégés par des couvertures à termes, y compris des CDS, qui seront  (on parle de plusieurs centaines de milliards de dollars) peut-être une lourde perte pour le système financier américain dès la fin du printemps 2015. Lourde perte aussi de débouchés pour l'ensemble des fournisseurs de l'industrie pétrolière, y compris les sidérurgistes.

Pour autant, la continuîté de l'offre de pétrole américain ne peut plus être entamée.

Lors des révolutions pétrolières des années 70 qui vont porter le "posted price" d'environ 2 dollars le baril à quelque  40 dollars, l'écart des coûts avec les huiles potentielles était beaucoup trop important: les USA, sans offre nationale alternative, devaient simplement payer. Tout au plus pouvait -on maintenir les routes de l'approvisionnement grâce à l'outil militaire.

Le paysage est aujourd'hui très différent. Parce que les technologies de production nouvelles le permettent, il existe désormais une solution de continuïté entre les différents pétroles, et le gouvernement fédéral américain pourra décrêter des mesures protectionnistes sur la nouvelle industrie du pétrole. Il s'agira de protéger une " industrie dans l'enfance", alors qu'il s'agissait de protéger des routes maritimes avec la flotte.

De fait, sans retrouver le vieux "posted price" à prétention planétaire des ports américains du golfe du Mexique, les USA vont devenir faiseurs de prix. Si le prix de marché détruit des producteurs marginaux américains, il est probable qu'une taxation sur huiles importées interviendra, taxe flottante puisqu'au nom du libre échange elle pourra disparaitre si les prix permettent aux producteurs marginaux de vivre.

Le coût en développement de la nouvelle industrie pétrolière américaine devient ainsi le pivot du prix mondial du pétrole. Notons enfin que ce  coût est probablement inférieur au prix du pétrole, garantissant la plus ou moins grande stabilité sociale de nombre d'Etats pétroliers. Le prix du pétrole assurant la paix sociale en Algérie, au Nigéria, etc. (80, 100 dollars le baril?) est de loin supérieur au coût en développement de l'huile américaine. De quoi donner aux USA , dans le domaine pétrolier, un poids géopolitique qu'ils n'avaient pas au 20ème siècle. Avec une nuance importante : les gisements de nouvelle huile seront-ils  capables d'envisager des plans de production de long terme ? Concrètement, le poids nouveau des USA sera-il durable?

 

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15 décembre 2014 1 15 /12 /décembre /2014 17:01

 

Résumé :

Une littérature abondante se focalise aujourd’hui sur le prix du pétrole : Certains voyant les avantages d’une baisse et d’autres, les inconvénients. Il est bon de resituer les invariants d’une économie pétrolière devenue mondiale pour aborder de façon plus informée le contenu du marché pétrolier. On en déduit qu’il n’existera pas  de concurrence catastrophique avec élimination des productions coûteuses américaines et fin de l’essor énergétique des USA.

 

Le prix du pétrole fait à nouveau l’objet de toutes les attentions et commentaires. Au-delà de la chute des cours du baril, généralement attribuée au ralentissement de la croissance et à  l’émergence d’une nouvelle offre rapidement croissante (USA), les analyses se sont portées sur des considérations géopolitiques entre ce qui est considéré comme les trois acteurs fondamentaux : Arabie saoudite, Russie et Etats-Unis. Certains voient, dans le refus de l’Arabie de jouer son rôle traditionnel de « swing » producteur, l’indice d’un accord avec les USA contre la Russie, tandis que d’autres voient à l’inverse un pacte avec la Russie contre les Etats-Unis.

Nous pensons, qu’avant d’émettre tout jugement, il convient de souligner les fondamentaux historiques de l’économie pétrolière,  plus précisément ses invariants.

En 1859, la grande surprise du premier foreur de l’histoire- le colonel Drake qui voit le pétrole jaillir du forage qu’il vient de réaliser en Pennsylvanie - s’accompagne aussi d’une donnée majeure : la technique retenue offre une production dont le coût marginal est strictement nul. Tout accroissement de la production par ouverture plus importante de la tête de forage se réalise à coût strictement nul[1].

Cette donnée  signifie qu’au niveau de chaque puits, il n’est rencontré que des charges fixes : celles du coût complet des recherches et forages. Une donnée qui s’accompagne d’une autre : chaque propriétaire du sol est aussi en droit américain propriétaire du sous- sol et ce jusqu’au centre de la terre. Il va en résulter une exploitation et donc une économie pétrolière, où la concurrence entre petits producteurs de l’époque revêt mécaniquement une dimension catastrophique.

C’est que les charges fixes qui se ramènent beaucoup à l’époque au coût de l’endettement auprès des banquiers qui ont financé le matériel de forage, sont d’autant plus supportables qu’elles sont réparties sur de grandes quantités produites : l’optimum de gestion d’un puits est son débit maximum. On connait la suite : offre excédentaire, chute des prix qui renforce la tendance à produire davantage, laquelle en retour accélère la chute des prix avec ruine des producteurs. La disparition de nombre de producteurs rétablit les prix qui attirent de nouveaux producteurs pour une nouvelle concurrence catastrophique…

C’est Rockefeller qui, observant cela,  a sans doute été l’un des premiers à comprendre que le pétrole devait devenir une industrie à offre monopolistique. D’où la suite d’une histoire bien connue avec l’émergence de ce qui allait devenir le trop célèbre oligopole pétrolier du vingtième siècle[2].

Les crises pétrolières qui vont marquer le dernier quart de ce même siècle ne mettent pas fin à un marché qui a quitté le champ de la concurrence catastrophique.

En effet, l’oligopole privé cohabite d’une certaine façon avec un oligopole public constitué par les Etats de l’OPEP, Etats qui mettent en place des compagnies nationales. De fait, la fin du vingtième siècle se caractérise par une volonté de la part de tous les acteurs du théâtre pétrolier de récupérer l’essentiel de la rente pétrolière. Il s’agit, par la forte montée des prix[3], d’accroître la rente et d’en redessiner un partage de plus en plus favorable aux propriétaires fonciers étatiques[4]. On sait que du point de vue de la théorie, la rente pétrolière est une rente différentielle[5], évaluée sur la base de la différence entre coûts des énergies de substitution et coût du pétrole[6]. A l’époque des « posted price » (prix affichés), la rente était faible en raison de la volonté de l’oligopole de faire du pétrole une matière première quasi hégémonique. Dans un premier temps (années 70-80) les prix restent des prix décidés par une organisation oligopolistique. Ultérieurement, ils deviendront des prix de marché avec la multiplication des gros Etats producteurs dont bien sûr la Russie, mais aussi celle de compagnies pétrolières de taille plus réduite ( Cove Energy, PTT Exploration § Production, Anardako, Tullow, etc. Ajoutons que l’irruption du trading pétrolier fera de cette matière première un produit financier avec apparition d’un nombre considérable d’acteurs complètement étrangers au pétrole ( Traders de Genève, de Londres, de Singapour, etc.[7]).

Si toutefois la concurrence n’était pas catastrophique comme elle l’était au Dix-neuvième siècle, c’est, au-delà d’une demande en très forte expansion[8] , en raison du poids encore élevé des majors et surtout du poids de l’OPEP qui décidait  de la production et de sa répartition (les quotas des pays producteurs) entre Etats Pétroliers maitrisant de grandes compagnies publiques.

Les choses vont se transformer avec l’irruption d’un nouveau géant : les USA dont la production journalière rejoint présentement celle de l’Arabie et celle de la Russie[9]….dans un contexte – crise oblige- de demande quasi constante.

L’irruption massive des USA peut-elle réenclencher, à l’échelle planétaire, la concurrence catastrophique qui assombrissait la Pennsylvanie du dernier tiers du dix-neuvième siècle ?

Si le contexte est différent -les compagnies sont enkystées dans des Etats qui sont aussi acteurs- la baisse de prix constatée en cette fin 2014 entraîne des conséquences très négatives pour la plupart des acteurs : chute gigantesque des revenus des grands Etats pétroliers dont les entrepreneurs politiques se reproduisent au pouvoir par la redistribution de la rente : OPEP, Russie, Venezuela, etc[10]. Mais aussi, mise en difficulté de l’ensemble des gisements marginaux américains dont les coûts unitaires sont beaucoup plus élevés qu’au Moyen-Orient,[11]avec la particularité déjà constatée en Pennsylvanie au dix-neuvième siècle : beaucoup de gisements nouveaux nord-américains relèvent d’une mise en exploitation financée par de la dette que les banques titrisent… d’où des risques financiers[12] dans le cadre d’un marché type high yield que l’on dit généralement peu liquide.

La présente littérature qui prend souvent position dans ce qu’elle croit être un jeu entre Trois grands acteurs Russie, Arabie, USA, avec alliance de 2 contre 1 ne se rend pas compte du fait que si une concurrence catastrophique devait se déclencher, avec  ou sans l’aide de l’éclatement d’une bulle associée, les trois acteurs y seraient perdants.

De fait, il n’existe probablement pas de pacte, mais bien plutôt une nouvelle modalité du dilemme du prisonnier.

Face à la montée considérable de la production américaine, Russie et Arabie ne peuvent pas accepter une diminution de leur propre production pour maintenir les cours : cela réduirait tout d’abord leur part de marché et donc leurs revenus, mais cela permettrait aussi une augmentation de la part de marché américaine avec des producteurs américains qui exigent du gouvernement fédéral la possibilité d’exporter les nouvelles huiles de schiste. Il en résulte que le meilleur choix est de maintenir la production en espérant que la chute de prix soit douloureuse pour les producteurs américains qui, pris dans un piège type Pennsylvanie des années 1870, seraient acculés à la faillite. Faire chuter les prix à environ 60 dollars le baril, permettrait ainsi d’éliminer nombre de  producteurs américains et rétablirait un marché jugé plus sain.

Outre que le coût de ce rétablissement est politiquement très risqué pour nombre d’Etats trop habitués aux conforts de la rente pétrolière, il n’élimine pas la possibilité pour l’Etat américain de protéger, le cas échéant, ses nouveaux producteurs par une taxation des importations de pétrole. Il n’élimine pas non plus la possibilité pour ces mêmes producteurs américains de tenir au moins quelques mois en raison d’un coût marginal qui n’est certes plus nul pour l’huile de schiste mais qui est inférieur au prix de vente, même si ce dernier est ramené à moins de 60 dollars le baril. Exactement comme le faisaient les petits producteurs de Pennsylvanie avant l’arrivée de Rockefeller.

Parce que le marché du pétrole mixe aujourd’hui  des acteurs étatiques et des producteurs privés, ce qui n’était pas le cas au dix-neuvième siècle, la concurrence pétrolière ne peut pas se transformer en concurrence catastrophique et il faudra bien que les acteurs laissent toute sa place à la production américaine. Le seul espoir pour ces acteurs est que la production non conventionnelle soit un feu de paille en raison d’un épuisement très rapide des gisements.

 


[1] Cette « découverte » n’en est plus une aujourd’hui et, d’une certaine façon, l’économie des réseaux et plus encore l’économie numérique repose sur cette notion d’absence de charges variables dans le total des coûts de production.

[2] Ce que l’on appelait à l’époque les « 7 sœurs » : 3 américaine, 2 anglaise, une anglo-hollandaise et une française

[3] Passage par exemple de moins de 2 dollars le baril en 1972 à 11,652 dollar au 1er janvier 1973, puis à 40 dollars en 1979.

[4] Cf : Jean Claude Werrebrouck, « Evolution du marché pétrolier et nouveau partage de la rente pétrolière », Revue d’Economie Industrielle, N°34, 1985.

[5] Cf : Jean Claude Werrebrouck,« Contribution à la théorie de la rente pétrolière », Revue d’Economie Industrielle,N° 9, 1979.

[6] Cf : Jean Claude Werrebrouck, « Histoire de la concurrence entre énergies fossiles et construction de la rente pétrolière », in « Rente et structures des industries de l’énergie », PUG, collection Energie et Société, Octobre 1983.

[7] Les offreurs et demandeurs de pétrole sont aujourd’hui pour 99% d’entre-eux étrangers à l'usage de la  matière première.

[8] Industrialisation rapide de ceux que l’on va appeler les « émergents ».

[9] Environ 9,2 millions de barils journaliers en décembre 2014.

[10] Avec toutefois de grandes différences selon que l’on est un Etat très peuplé et jouissant d’une rente faible ou moyenne (Venezuela, Algérie, Nigéria, etc.) ou un Etat faiblement peuplé et jouissant d’une rente considérable ( principautés du golfe, Arabie,etc.)

[11] Environ 6O dollars le baril. Notons aussi que ce coût unitaire n’a qu’un sens limité en raison de la structure des coûts complets du pétrole telle que déjà évoquée.

[12] Le chiffre de 300 milliards de dollars est souvent évoqué.

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25 novembre 2014 2 25 /11 /novembre /2014 17:06

  Résumé:

Les difficultés qui sont le quotidien de la grande crise sont aussi le produit d'une difficulté croissante à envisager le vivre ensemble. La déconstruction de la société est le produit de la radicalisation de la modernité: plus rien n'est naturel et tout devient culturel, lequel est par essence individuellement ou socialement contestable.

De quoi détruire les repères et donc les marchés des entreprises politiques qui elles aussi ne peuvent que se déconstruire.                   

Pour les socio-biologistes il faudrait considérer la société comme une forme de super organisation du vivant. Dans cette perspective il faudrait s’appuyer sur le fait que  le vivant se caractériserait par 3 principes fondamentaux : l’auto-conservation ou auto-construction, l’auto-reproduction, et l’auto-régulation.[1]

Sociobiologistes et Ethnologues

Le premier principe signifie que toute organisation vivante est dotée d’un équipement qui lui permet de se maintenir en vie, équipement procédant par prélèvement sur l’extérieur et assimilation de ce qui est prélevé. C’est, par exemple, l’air ou la nourriture. Ce principe dans sa traduction sociale pourrait signifier l’activité économique et son organisation en tant qu’organisation de travail. Avec une conclusion morale possible : il faudrait travailler pour vivre.

Le second principe, celui d’auto-production, signifie que les organismes vivants sont équipés pour reproduire la vie et la propager. A l’échelle d’un organisme complet, cela signifie la multiplication cellulaire et la question de la  sexualité. Au niveau sociétal, cela signifie que la société peut être amenée à s’organiser pour reproduire la vie : famille, règles matrimoniales, etc. Historiquement la reproduction de la vie, et donc celle de la société, n’a rien d’évident et  un pouvoir fort sera souvent présent pour instituer et contrôler la famille.

L’auto régulation enfin, correspond à l’idée que tout organisme vivant est équipé pour coordonner les activités de la réalité biologique. Ce sont de véritables outils de régulation ou de protection de la vie (température, lumière, contrôle des qualités des ingrédients de ce qui est constitutif de la vie, etc.). Au niveau sociétal, on peut imaginer que les règles de droit et l’organisation institutionnelle sont les outils d’auto-régulation de la société. Notons enfin qu’au niveau sociétal ce principe d’auto organisation découle des deux premiers : il faut réguler la production et la distribution de la nourriture ou des biens économiques en général, et il faut réguler la fonction sexuelle chargée de reproduire le monde.

Ces deux régulations, celle de la production et celle de la reproduction n’ont pas nécessairement la même importance, et leur hiérarchisation est variable selon les lieux et les époques historiques.

Selon le paradigme marxien, le « développement des forces productives » serait le moteur d’un processus historique. Ce paradigme est aujourd’hui contesté et on croit savoir qu’à l’aube de l’humanité, le défi de la reproduction, était probablement plus important que celui de la production. D’où une régulation aboutissant au contrôle du sex- ratio entre groupes,  à l’engendrement de règles matrimoniales visant à assurer son équilibre,  donc à assurer la circulation équilibrée des femmes en tant « qu’outils de reproduction du monde » et assurant in fine chez les intéressées, une condition de dépendance[2].

A l’inverse des animaux qui - vivant souvent  en société -  semblent obéir à une logique de la vie qui les dépasse (les abeilles constituent une société mais ne connaissent pas d’Histoire), les humains ont un regard sur leur propre vie et jouissent d’une capacité à interpréter les contraintes d’une nature biologique à priori indépassable.

C’est cette interprétation variable selon les lieux et les époques qui font que les humains ont une Histoire, et qu’au cours d’une même époque, puisse cohabiter voire s’opposer des visions et pratiques sociales différentes. Nous proposons d’appeler : « Cultures » ces visions et pratiques. Il y a donc dans la culture une certaine vision de la condition humaine en tant qu’êtres biologiques.

Dans un monde concret, il est probable que les individus qui y vivent, auront des difficultés à distinguer ce qui relève de la condition biologique stricte et ce qui relève de la pratique culturelle qui lui est associée. Ainsi les mythes que l’on rencontre dans toutes les cultures et qui, bien évidemment, correspondent à des pratiques sociales sont vécus comme faits naturels et correspondent à des vérités indépassables.[3]

Petit détour chez les économistes

 Hayek qui travaille dans un tout autre registre que celui de l’Ethnologie  considère que l’auto régulation du monde n’est pas faite de règles inventées par une pensée organisatrice, lesquelles dépassent chacun des acteurs qui les reçoivent, et  sont vécues comme des faits de nature.[4]

Les deux régulations, qui expriment des visions et pratiques correspondantes et donc une culture, ne sont pourtant pas figées et il existe des transformations possibles, qui produiront  l’histoire de l’ensemble social.

Le même Hayek nous présente ainsi une théorie de l’évolution culturelle donc une réinterprétation plus ou moins continue des contraintes proprement biologiques. Evolution correspondant aux principes suivants :

- C’est l'efficience du groupe - efficience par rapport à ses contraintes biologiques -  qui est le critère de sélection des règles. Si une règle nouvelle profitable pour un individu mais nuisible pour le groupe émerge, elle ne deviendra jamais norme sociale, norme encore une fois vécue comme naturelle.

- Une règle ne s'apprécie jamais de façon intrinsèque, elle ne s'apprécie que dans un contexte de règles déjà existantes et d'un environnement. C'est la raison pour laquelle les normes sociales sont différentes d'un groupe à l'autre, d'une civilisation à l'autre, et qu’en  conséquence il existe des Histoires différentes.

- L’individu n'a pas besoin de comprendre comment fonctionne le groupe pour contribuer à le faire fonctionner. Il croit agir comme il l'entend, mais sa conduite- qu'il peut croire éventuellement libre- est de fait inscrite dans les règles faisant émerger l'ordre social. Il ne sait donc pas qu'il contribue à reproduire la société et ignore la genèse et le pourquoi des règles qu'il respecte et reproduit. Il sait seulement qu'il faut se comporter de telle ou telle façon.

-Les règles efficientes sont fixées par causalité circulaire. Le passage de la conduite innovante à la norme, est aidé par des mécanismes (louange ou blâme)   qui assurent l'imitation des comportements bénéfiques pour les nouveaux arrivants dans le groupe. Ces mécanismes permettent  une vitesse d'évolution plus grande que dans la biologie et, des groupes moins efficients, peuvent intégrer les règles de groupes plus efficients, ce qui est un processus courant dans l'histoire des civilisations.

Retour à l’Ethnologie

Parmi toutes les règles validées dans une culture - règles qui encore une fois correspondent à une interprétation, ou à une façon de répondre aux grands défis imposés par la vie – il y a la religion. Présente dans toutes les cultures, elle en est l’élément le plus important car elle assure une structuration complète du monde, en répondant aux questions que l’intelligence des hommes laisse être des angoisses et interrogations. Et là aussi, nous retrouvons dans l’invariant de toutes les religions les regards posés par les sociobiologistes : cette vie, qu’il faut maintenir et réguler socialement, est donnée par des forces qui dépassent les hommes. D’où la grande généralité des mythes selon lesquels les hommes seraient endettés vis-à-vis des Dieux : la dette de vie, qu’il faut régulièrement rembourser par le biais de l’institution du sacrifice. D’où aussi, la très grande généralité des croyances et règles comportementales associées, concernant le maintien d’une vie au-delà de la vie terrestre. Bien évidemment, l’enveloppe religieuse sera infiniment variée et dépendra encore une fois de la représentation que se font les hommes de leur condition biologique.

Elle pourra se confondre entièrement avec le monde visible (« La nature est enchantée par les dieux ») et fera que ce qui est complètement culturel - les pratiques sociales-  est lui-même invisible. Il n’existe pas à ce stade de séparation pensable entre nature et culture.

 Plus tard, ou en d’autres lieux, elle pourra créer un dualisme avec ce qui est une autorité terrestre. Nous avons là toute la problématique de l’apparition des Etats[5] en tant qu’autorité instituant des règles, avec des entrepreneurs politiques qui vont asseoir leur domination et leur capacité prédatrice, en se servant de l’enveloppe religieuse. Et plus l’enveloppe va s’abstraire et faire naitre l’idée d’universel (contestation des polythéismes et développement des monothéismes), et plus ces accapareurs de règles, qu’Hayek hésiterait à appeler « règles de juste conduite », seront -dans un mouvement inverse- amenés à déclarer naturelles les lois qu’ils émettent. Nous avons toujours l’idée de nature : les lois ne sont que déclaratives des lois naturelles[6]. L’ordre humain, les institutions, etc. sont un fait de nature et il n’appartient pas aux hommes de pouvoir s’en détacher.

Expansion du culturel et étiolement du naturel

Il faudra attendra la naissance de la modernité pour voir débuter une réelle révolution épistémologique[7] : les hommes prennent conscience que l’ordre de la société ne résulte que de leur propre action. Les règles du jeu social sont ainsi progressivement éloignées de l’ordre de la nature, pour rejoindre celui de la culture. La frontière se déplace massivement au profit de l’immense empire de la culture que l’on n’a pas fini d’explorer.

Mais les choses ne sont pas simples. Les dieux, parfois incarnés, du polythéisme disparaissent au profit d’un Dieu qui s’éloigne mais qui reste présent. Il n’est plus dans le monde des choses mais il reste présent dans les lois concernant les choses, et lois que les hommes peuvent découvrir. Enfin, il reste complètement dans la vie dont il est l’initiateur et le décideur ultime.

D’où l’ambiguïté qui pourra un jour apparaitre concernant les débats sur les droits de l’homme. Puisque toutes les pratiques sociales relèvent du culturel, toujours renégociables politiquement, tentons de découvrir ce qui relève de la seule nature et que l’homme ne peut toucher. Les libéraux, notamment anglo-saxons, vont énoncer l’existence de 3 droits naturels : vie, liberté, propriété, sans se rendre compte qu’ils peuvent donner lieu à débats sur l’authenticité de l’affichage  « droits naturels ».

A priori ces droits sont complémentaires, mais ils sont surtout hiérarchisés et tournent autour du socle de la propriété : pour me protéger contre ceux qui souhaitent prendre ma vie, il me faut  être propriétaire de cette dernière. Maintenant je ne suis libre, que s’il m’est possible de faire respecter mes droits de propriété. Les fonctions vitales dégagées par les sociobiologistes relèvent ainsi de l’activité volontaire, aux fins de conserver (auto conservation) la vie et de la  reproduire (auto production). On comprend dès lors que la vieille famille chargée de l’autoproduction, avec les rites sociaux qui lui étaient réservés, devient affaire de liberté contractuelle : nul pouvoir ne doit s’ingérer dans ce type d’affaires. Ce qu’on appelle droit de la famille ne saurait résulter d’injonctions de pouvoirs politiques ou religieux.

Pour autant, il existe une contradiction imaginable, celle fort inattendue entre les trois termes : propriétaire de mon corps, je puis décider (liberté) de me couper un doigt ou d’avorter. Dans ce dernier cas, il pourra être considéré qu’un tel geste, consiste à ne pas respecter le droit à la vie de celui qui n’est pas encore né. Une législation concernant l’avortement devient ainsi un fait culturel- donc fait relevant du politique- débouchant en toute hypothèse sur un non- respect de droits. Les droits de l’homme ne sont pas encore des droits naturels : ils ne se déduisent pas de la nature et restent politiques.

Si donc, le sujet n’est pas doté d’une nature de laquelle il serait possible d’extraire des droits, alors il devient un être indéterminé dont la seule nature serait d’être capable de revendiquer des aspirations.[8]Cela signifie que le rôle du politique revient alors, non pas à normaliser, mais à favoriser les opportunités ou les capabilités au sens d’Amartya[9] Sen ou de Martha Nussbaum[10]. Les sociologues en déduiront que les règles sociales qui limitent le champ des capabilités en introduisant une normalisation doivent être mises à distance. D’où « L’ABCD » de l’égalité dont il est parfois question aujourd’hui. Cette idée est déjà ancienne et reconnaissons qu’un Michel Maffesoli, avait il y a maintenant plus de 20ans  parler d’indifférenciation, d’effacement des repères, notamment l’identité sexuelle et familiale.[11]

Dans cette perspective, les révolutions technologiques notamment offertes par les sciences et technologies médicales, élargissent considérablement le champ des capabilités, avec l’idée d’un homme tellement « augmenté », devenu tellement « bionique » que l’on pourrait se diriger vers un « au-delà de l’humain ».

Que deviennent les marchés politiques lorsque le culturel perd son socle naturel ?

Bien évidemment de telles lignes de forces brouillent les repères les plus solidement établis et vont questionner l’ensemble des marchés politiques.

Les entreprises politiques, dites de droite, auront de plus en plus de difficultés à rassembler conservateurs et libéraux. Les premiers se raidissent et se fondent encore sur une religion qui, certes ne fait plus des hommes, des endettés, mais des êtres définis par les forces de l’au-delà. Ainsi Il existe encore une nature et l’arbitraire de l’illimitation reste un interdit radical[12]. Curieusement, ce raidissement ne s’accompagne pas d’une limitation du libéralisme économique, qui lui fabrique les outils de l’illimitation. Les seconds considèrent à l’inverse, que les nouveaux droits sont le prolongement de la logique d’un marché économique mondialisé que l’on ne saurait brider : libéralisme économique et libéralisme culturel marchent d’un même pas, la mondialisation produisant presqu’automatiquement, l’effacement des  vieux socles historiques des Etats et leurs traditions et valeurs dépassées. Bien évidemment, les conservateurs offriront beaucoup de résistance à l’effacement de l’Etat-nation, et les plus radicaux d’entre-eux, s’organiseront autour de rassemblements à forte identité tel celui qui anime le « printemps français ». Les libéraux peuvent aussi se diviser et se radicaliser, par exemple sur la question de l’avortement, dont on peut considérer qu’il est le lieu d’affrontement entre liberté, vie et propriété. Libéraux et conservateurs se divisent, mais la frontière est fort complexe et ne permet pas facilement d’identifier les groupes. Nous retrouvons Michel Maffesoli et l’idée de perte de sens des clivages politiques.

Les entreprises politiques dites de gauche, sont elles aussi en très grande difficulté car il apparait clairement que l’illimitation des droits dans le domaine culturel, ne peut logiquement pas entrer en contradiction avec une économie dont la régulation relèverait encore de l’Etat[13]. La liberté économique devenant ainsi un élément du stock de Capabilités qu’il faudrait développer. Le projet historique de la gauche libératrice ne veut plus connaitre de limites et l’encadrement des marchés économiques, devient fort curieusement une insupportable limitation de la liberté[14]. Le prix à payer est bien évidemment, la difficulté à intégrer tous les agents dans la grande machine salariale ou entrepreneuriale en situation de Grande crise. Les moins « productifs » qui, en raison de leur historicité, sont les mal placés de l’illimitation de l’économique, compenseront leurs difficultés par des revendications identitaires et tribales[15]. D’où une gauche qui, elle aussi, détruit le vieux socle de l’Etat-Nation. La branche libérale des entreprises politiques dites de droite peut s’allier à la nouvelle gauche. Bien évidemment, il y a la branche de la gauche qui n’en demandait pas tant et se contentait d’une libéralisation culturelle modeste, sans  la mondialisation et l’illimitation de l’économique.

Il devient difficile, par temps de brouillard, d’élaborer des plans marketing pour les grandes entreprises politiques. Le volcan des droits nouveaux, ne cesse de cracher de nouvelles revendications de la part de sujets qui ont perdu toute idée de citoyenneté. La fin des droits naturels, jusqu’ici bien repérables au profit d’une infinité de droits culturels, peut annoncer la fin des grands duopoles politiques, au profit de ce que l’on nomme encore des populismes qui eux-mêmes peuvent souffrir d’un manque d’homogénéité[16].

La politique du vivre ensemble dans le nouveau contexte.

Le politique était, avec l’apparition des Etats, l’appropriation à des fins privées de l’extériorité de tout groupe humain, et une extériorité reposant elle-même, sur des fondations imposées par des contraintes biologiques bien dessinées par les sociobiologistes. Si les contraintes biologiques peuvent désormais être travaillées : dissociation de la sexualité et de la procréation, modification de l’ADN, augmentation du cerveau, etc., alors les fondations de l’extériorité ne permettent plus à cette dernière d’être légitimée. C’est ce qui permet à Dominique Schnapper de s’inquiéter de ce qu’il croit être « l’ultra démocratie »[17] laquelle  deviendrait la corruption de la démocratie et au fond la fin de la société. De quoi détruire tout le raisonnement hayékien faisant émerger les « règles de juste conduite ».

Le politique, et ses entrepreneurs, peuvent-ils encore exister si le citoyen est complètement renversé au profit d’un nouveau souverain appelé individu désirant ? Il est sans doute difficile d’apporter une réponse précise, car si l’individu souverain rejette toute forme d’autorité et de contrainte publique- ce en quoi il conteste l’Etat qu’il juge être une externalité à réduire -  il est simultanément fortement consommateur d’interaction sociale, notamment celle qui répond à sa formidable appétence d’égalité et de protection, laquelle passe par une forme d’Etat-social à construire ou à reconstruire.

De cet écartèlement peut-il naitre un nouveau monde ?

 

 

 

 


[1] CF par exemple l’ouvrage de Jacques Golberg : « Ethologie et Sciences Sociales », L’harmattan,2010.

[2] CF en particulier les travaux de Claude Meillassoux, en particulier son ouvrage : « Femmes greniers et capitaux », Maspero, 1974.

[3] Paul Veyne , après une longue démonstration, termine son ouvrage « Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes » (seuil, 1992) en s’exclamant : « Mais bien sûr qu’ils y croyaient ! ». Notons toutefois que les Sophistes, en particulier Protagoras, Gorgias, Antiphon et sans doute d’autres encore, introduiront une première idée de distinction entre nature et culture dans les concepts de « phusis » et de « nomos ».

[4] Nous avons là tous ses développements  sur la qualification de ce qu’il appelle les «  règles de juste conduite » qui ne sont ni naturelles ni artificielles, qui sont entre l’instinct et la raison, mais que les agents vivent comme règles naturelles. Nous renvoyons ici au tome 1 « Règles et ordre » de « Droit Législation et Liberté »,PUF, 1985.

[5] CF : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-l-aventure-etatique-reprise-d-un-texte-ancien-119831125.html.

[6] C’est tout le sens qu’il faut donner à la réponse de François Quesnay au roi Louis XV qui lui demandait ce que devaient faire les princes : « Sire les princes n’ont rien à faire, ils doivent simplement  se borner à déclarer dans le droit positif l’ordre naturel des choses ».

[7] On trouvera une analyse très sérieuse et très pédagogique de la modernité dans l’ouvrage de Jean Marie Domenach : « Approche de la Modernité », Ellipse, 1990.

[8] Nous avons ici la position de Claude Lefort. On pourra consulter  une version résumée de ce point de vue chez Esteban Molina : « Le défi du Politique. Totalitarisme et Démocratie chez Claude Lefort », L’Harmattan, 2006

[9] Amartya Sen est prix Nobel d’économie et développe l’idée de Capabilité  notamment dans : «Rationalité et Liberté en économie » Odile Jacob,2005.

[10] Cf : La version française de son ouvrage est :« Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste », Climats,2012.

[11] CF : « Le temps des tribus », Livre de Poche, 1988. Remarquons que chez Maffesoli le passage à l’indifférenciation repose sur un processus, type fin de civilisation, et annonce d’un autre monde , problématique fort étrangère à l’idée de Capabilité, telle que comprise par les politistes et sociologues d’aujourd’hui.

[12] Un interdit qui peut aller jusqu’à l’interdit du libre exercice de la pratique scientifique. C’est ainsi qu’il faudrait mettre fin aux prétendues études du genre. La validité scientifique peut ainsi se décider sous la pression de la rue ou des sondages. Ce que dénoncent bien évidemment la plupart des politistes et sociologues. Nous retrouvons le débat du normatif et du cognitif :(http://www.lacrisedesannees2010.com/article-republique-monnaie-construction-europeenne-121969067.html). Notons enfin que la théorie du genre donne lieu à des débats parfois violents, ses détracteurs n’hésitant pas à la rapprocher du Lyssenkisme et à la pseudo science soviétique .

[13] Question bien analysée par Jean Claude Michéa notamment dans : « Les mystères de la gauche : de l’idéal des lumières au triomphe du capitalisme absolu », Climats, 2013.

[14] D’où de comiques débats à fronts renversés, où l’on voit un responsable européen de la régulation bancaire et financière, qui se dit de droite, défendre un projet de séparation bancaire (de gauche) contre un ministre socialiste des finances français, qui veut maintenir la banque universelle et ses pratiques fort libérales.

[15] D’où les rapports incertains concernant ce qui devrait être une politique moderne d’intégration des minorités : faut-il une égalité compensatrice ? créer des quotas ? faut-il réintroduire  les langues régionales ? récuser l’Odonnance de Villers Cotteret ? etc….

[16] C’est le cas de FN en France avec une clientèle de la zone sud très éloignée culturellement et socialement de celle du nord du Pays.

[17] CF son dernier ouvrage : « L’Esprit démocratique des lois », Gallimard, coll. NRF Essais, 2014.

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15 mai 2014 4 15 /05 /mai /2014 15:36

 

 Martin Wolf dans un article récent[1] évoque la « déficience chronique de la demande mondiale agrégée »,ce qui constitue une autre façon d’évoquer la crise mondiale de surproductioAn souvent mentionnée dans ce blog et en particulier les articles figurant dans le bloc « critique des raisonnements »[2]. Saluons cette prise de conscience, et profitons – en pour repréciser les grandes étapes qui mènent d’une grande crise de surproduction –celle de 1929 -  à l’autre, celle d’aujourd’hui.

La première étape est celle qui permet d’en finir avec la crise précédente et va assurer les « 30 glorieuses »

1) « L’Etat –Nation fordien développé » et le « sous-développement ».

Tout a été dit sur cette phase qui correspond aussi à l’après seconde guerre mondiale, il est donc inutile d’insister. Signalons simplement que cette étape est celle d’une garantie de l’équilibre entre offre globale et demande globale par forte redistribution de gains de productivité abondants. La montée d’une Etat social servira aussi d’assurance de débouchés : les entrepreneurs économiques paient une prime d’assurance garantissant des débouchés croissants,  (taxation de l’activité et en particulier du travail s’agissant plus particulièrement de la France) prime payée à des entrepreneurs politiques qui se produisent et se reproduisent au pouvoir en construisant le produit politique « Etat-providence ». Parce que l’on en est encore au stade de l’Etat-Nation, cela suppose aussi de lourds transferts entre régions, et au final un processus d’homogénéisation renforçant l’équilibre offre globale et demande globale. Au niveau mondial, cette étape se caractérise par une croissance forte de ce qu’on appelle les pays développés et beaucoup plus faibles, pour ce qu’on va à l’époque appeler pays de la périphérie ou pays sous- développés : entre 5 et 7 ou 8% d’un côté et moins de 3% de l’autre. Sur le plan monétaire, le modèle allemand[3] ne s’est pas encore mondialement imposé : «  la loi d’airain » de la monnaie[4] est abandonnée et la création monétaire, qui est le fait des banques centrales et des banques de second rang, est bien présente pour assurer la croissance. Cette croissance monétaire est bien sûr une croissance par endettement, mais celui-ci est contenu par une inflation qui participe largement de la répression financière de l’époque.

2) Mondialisation acte1 : L’émergence du couple USA/Chine.

Ce que certains ont appelé le « mariage de Wal-Mart et du parti communiste  chinois »[5] marque l’une des premières étapes de la forme moderne de la mondialisation.

Il s’agit de la première grande rupture entre offre globale et demande globale. La production chinoise est appelée à devenir très supérieure aux débouchés nationaux. Pour les USA, les choses deviennent complexes : La croissance de la production peut encore se maintenir car la  concurrence  des importations en provenance de chine créent suffisamment d’effet-revenu au profit des salariés qui peuvent ainsi nourrir une demande domestique supplémentaire. Toutefois on se dirige vers un déficit extérieur donc une demande appelée – sauf ouverture croissante du crédit et de la dette - à  se comprimer.

Déficit d’un côté et excédent de l’autre, il peut encore y avoir un équilibre mondial tant que « l’armée industrielle de réserve chinoise » ne heurte pas plus frontalement les salaires américains.

Cette étape 2 concerne les années 80 lesquelles voient un redéploiement de la croissance : Les taux baissent dans les vieux pays développés et montent dans les autres : environ 3% contre 8 à 10 d’abord chez les « tigres asiatiques », ensuite et surtout en Chine. La création monétaire doit bien sûr suivre, et à l’endettement qui ne fait que suivre la croissance il faudra ajouter l’endettement du aux premiers lourds déséquilibres : l’Asie doit commencer à financer l’endettement américain.

3) Mondialisation acte 2 :L’ère des bulles.

L’expression de « pays sous-développés » n’est plus seulement remplacée par celle de  « pays émergents » car nombre de ces derniers deviennent « pays émergés ». Sans toutefois, sauf pour certains d’entre-eux,  devenir des Etat-Nations fordiens classiques. Ainsi la Chine verra la part des salaires dans le PIB devenir l’un des plus faibles du monde : 35%. Son équilibre ne peut donc résulter que d’excédents extérieurs de plus en plus massifs.

 Le déficit américain devient abyssal, car l’économie américaine absorbe une bonne part des excédents chinois, lesquels participent activement à la désindustrialisation du pays, avec en corollaire le blocage de longue période des rémunérations et l’explosion des inégalités.

Désormais toutes les autoroutes de la mondialisation fonctionnant sans péages[6], le nouveau capitalisme voit le principe moteur  de la concurrence passer des gains de productivité à celle de la course à la baisse des salaires. C’est tout le sens qu’il faut donner à l’allongement considérable des « chaines de la valeur », et au primat du « Buy » sur le « make » : il faut sans cesse externaliser et transformer radicalement l’entreprise, qui devient de plus en plus corps apparemment démembrée[7]. Le déséquilibre planétaire devient difficilement gérable et la production croissante voit ses débouchés se restreindre de façon massive.

Toutefois la crise est refoulée par la montée considérable du crédit et de l’endettement qui en découle : une bulle de dettes sur laquelle sont branchés tous les nouveaux instruments d’une créativité financière qui n’est plus muselée par la répression de jadis. Les salariés américains, dont beaucoup sont devenus précaires, continuent de consommer grâce au crédit. L’Etat fédéral poursuit ses dépenses militaires pharaoniques grâce à l’épargne chinoise. Dettes publiques et privées, s’épuisent à maintenir le niveau de demande mondiale globale garantissant la croissance de l’activité.

Cette dernière reste déséquilibrée en faveur des pays émergents (plus de 10% pour la Chine), avec toutefois maintien d’une croissance non négligeable, dopée par la dette dans les anciens pays développés (surtout les USA qui maintiennent durablement des taux supérieurs à 3%).

4) Mondialisation acte 3 : Explosion de la dette et fragile digue des Etats.

Inutile de rappeler les évènements de 2008/2009 tant ils sont connus. Les entrepreneurs politiques devenus dépendants de l’industrie financière[8], et parfois même se confondant avec les dirigeants de cette dernière, font le choix du « Bail-out ». Il en résulte que l’immense dette privée qui se cachait dans la bulle devient dette publique et vient accroitre le poids des charges qui accablaient déjà certains Etats fort endettés[9]. La spéculation sur la dette privée, devient aussi spéculation sur les dettes publiques, avec attaques sur les parties les plus fragiles de la grande digue des Etats : la dette européenne. La zone euro devient ainsi un lieu privilégié, avec prise de conscience par la spéculation que nombre de dettes publiques ne sont plus soutenables. Les entrepreneurs politiques de la zone, ardent défenseurs de la conception allemande de la monnaie, défense qui est aussi celle des grands gagnants de la mondialisation, adoptent à la hâte des mesures d’austérité visant à contenir la vague des déficits et le service de la dette correspondant. Chaque point de PIB de dépense publique gagnée dans la course à un désendettement impossible à atteindre, devient un point de demande globale en moins, d’où- sous l’effet du multiplicateur budgétaire-  l’aggravation de la crise. Ce qui était la première économie du monde devient la zone la plus dépressive du monde, zone qui en raison de son poids, vient affaisser des croissances mondiales déjà sur le déclin. Le prétendu « rétablissement », utilisant y compris des bricolages statistiques[10], n’est que l’aggravation planétaire de la crise. D’où la nécessité de construire de nouvelles digues.

5) Mondialisation acte 4 : La construction de la digue des banques centrales et ses effets.

Parce que la mondialisation est devenue une logique de destruction, creusant un fossé de plus en plus large, entre offre globale mondiale et demande globale mondiale, fossé que les Etats ne sont plus capables de combler par des déficits, il faudra mettre en ordre de bataille les banques centrales chargées de monétiser ou racheter de la dette. Cela commence très tôt avec la FED et 3 « quantitative easings » laquelle sera suivie par les banques d’Angleterre, puis du Japon et en enfin la BCE et ses « LTRO » et autre « OMT ». Le comblement du fossé entre offre globale et demande globale se mesure à la démesure croissante des bilans des dites banques centrales : plus du quart des PIB des Etats correspondants et la moitié du PIB japonais pour la banque du Japon.

Commencée avec la mise en place des autoroutes de la finance, et donc la fin de la répression financière et de l’euthanasie des rentiers, la mondialisation poursuit sa course destructrice en  revenant vers cette dernière  de façon imprévisible et inattendue : Les Etats, y compris ceux du sud de l’euro zone,  retrouvent des conditions d’endettement qui ne sont plus celles de la loi d’airain de la monnaie[11]. De la même façon les entreprises non financières voient leur rentabilité augmenter en raison de la baisse des taux[12]. A l’inverse, la menace est grande pour les fonds de pension à prestations définies et les compagnies d’assurances. La nouvelle euthanasie des rentiers permettrait ainsi de ne plus évoquer stupidement le « sacrifice des générations futures »- les ménages jeunes bénéficient de taux faibles- et l’égoïsme des ainés, qui cigales plus que fourmis, auraient scandaleusement endettés leur pays.

Conclusions

La nouvelle euthanasie des rentiers n’est pas celle obtenue à l’issue de la crise de 1929.

A l’échelle mondiale elle n’empêche nullement le fossé entre offre globale et demande globale de s’élargir : le processus de dislocation ne s’achève pas. Il est même conforté par la digue ultime des banques centrales….des établissements dont le passif n’est jamais exigible[13]… Plus clairement encore, la course à la baisse mondiale des salaires peut se poursuivre[14], et la logique de destruction continuer : expulsion de ceux qui bénéficiaient d’un Etat-providence, d’un emploi stable, d’une appartenance à la classe moyenne, etc. Mais aussi expulsion des entrepreneurs politiques classiques désormais supplantés par des gangs ou « formations prédatrices »[15] faites d’une élite mondialisée, hors-sol, bénéficiant de capacités systémiques surpuissantes et finalement peu maitrisables[16] : banquiers, juristes, comptables, mathématiciens, journalistes, dirigeants de grandes entreprises, informaticiens, physiciens, lobbyistes, etc.[17]. Au total expulsion de la démocratie au profit d’une oligarchie, avec maintien, voire sacralisation de droits de l’homme dans leurs versions les plus épurées, c’est-à-dire anglo-saxonnes.

Plus proche de l’Europe, cette euthanasie n’entraine évidement aucune solution à la crise de l’euro : les pays du sud ne peuvent en aucune façon espérer de soulagement dans la course à la baisse des salaires par une modification du taux de change : il faut imaginer l’impensable et le cruel retour à des époques que l’on croyait révolues. Non seulement l’Europe du sud doit accepter la dévaluation interne exigée par l’Allemagne[18], mais elle doit aussi subir les assauts d’un processus plus vaste encore, celui imposé par l’écart croissant entre offre et demande planétaire. Alors que la première euthanasie des rentiers correspondait à un moment d’inclusion de la plupart des groupes sociaux à l’intérieur de l’espace « Etat-Nation », la seconde procède par expulsion croissante.

Dernier point : la nouvelle euthanasie des rentiers ne peut être une incitation à l’investissement productif. Constatons que si la baisse des taux a permis aux entreprises non financières (ENF) d’accéder à une rentabilité plus élevée, l’investissement ne peut s’envisager sur la base d’une demande globale en réduction, déficit d’investissement qui en retour affaisse davantage encore la demande globale mondiale et fait grandir le fossé avec l’offre correspondante.[19]

Mais où se trouve donc l’économie de l’offre ?

 



[1]« Euthanasions les rentiers » ; Le Monde du 10 mai 2014.

[2] La plupart des 16 articles figurant sous cette rubrique fait mention d’une critique générale de la loi de Say. Ajoutons-y : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-mir-acles-de-l-offre-competitive-et-aggravation-de-la-crise-planetaire-de-surproduction-123382311.html.

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-d-airain-de-la-monnaie-medium-n-34-janvier-2013-114312510.html.

[5]Expression que nous devons à Jean- Michel Quatrepoint.

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-agonie-du-fordisme-forme-de-l-etat-et-gigantisme-financier-2-77358419.html

[7] La « tête » dans un pays, un bras sur un autre dans un autre continent, une jambe dans un troisième, etc.

[8]Phénomène bien expliqué dans l’ouvrage de Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat : « La capture » ; La Découverte ; 2014.

[9] D’autres qui l’étaient peu le deviennent brutalement en raison du sauvetage financier : USA, Irlande, Espagne, etc.

[10] Parmi ces derniers signalons la redéfinition des règles comptables pour le calcul des PIB, (par exemple les dépenses de recherche et développement sont désormais comptabilisées dans la FBCF) ce qui entraine une croissance « inédite », et les exceptions aux règles de calcul du déficit pour les pays les plus en difficulté notamment la Grèce. De quoi améliorer les images statistiques et donc de rassurer.

[11] D’où les prétendus retours triomphaux des Etats du sud de la zone euro qui connaissent des taux enfin abordables, tandis que la France n’a jamais connue de taux aussi bas qu’en ce printemps 2014.

[12] Cette baisse aurait représenté 20% de la croissance des entreprises américaines entre 2007 et 2012. Cf l’article de Martin Wolf déjà cité.

[13] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-oui-le-passif-d-une-banque-centrale-est-non-exigible-une-aubaine-pour-la-finance-121560542.html

[14] D’où le blocage des nouvelles et importantes classes moyennes des émergents : Chine, Brésil, etc. ..Concurrencées par de nouveaux salariés des nouvelles périphéries : Vietnam, Bengladesh, Ethiopie, etc. Pour ne prendre qu’un exemple la nouvelle classe moyenne chinoise se trouve désormais exposée à la baisse des salaires américains (l’écart de cout unitaire étant passé de 17,1$ en 2005 à 6,9 en 2012…écart  disparaissant avec les couts américains de l’énergie, d’où les nouveaux investissements chinois dans le sud des USA) mais aussi à l’énorme compétitivité de ses voisins immédiats (Vietnam et Cambodge) dont les salaires très inférieurs aux salaires chinois justifient les massives délocalisations chinoises vers ces pays pour l’industrie du jouet ou du textile. A une échelle plus réduite la moyennisation de l’espace européen devient avec l’euro, un leurre, et l’écart de 1à 20  (selon XERFY) entre les 10% les plus pauvres (plutôt des ménages portugais) et les 10% les plus riche (plutôt des ménages allemands et luxembourgeois) ne va guère se réduire avec les politiques d’austérité.

[15] Terme emprunté à Saskia Sassen dans son ouvrage : « Expulsions. Brutality and complexity in the Global Economy »; Harvard University Press ; Mai 2014.

[16]L’industrie financière dérégulée est en effet non maitrisable y compris par ses acteurs, lesquels sont parfois inquiets d’une création à la fois voulue et subie. De la même façon qu’un accident nucléaire développe des évènements hors de contrôle, un accident financier développe des conséquences non planifiables.

[17] Cette élite mondialisée hors sol - bien sûr investie dans l’immense industrie financière -  n’est évidemment pas victime de l’euthanasie des rentiers. Cette élite vit en effet moins de taux que d’écarts de prix. Parce que l’industrie en question vit de la recherche de l’information, elle patauge nécessairement dans les marécages des délits d’initiés et autres conflits d’intérêt. C’est cette matière première qui fait l’immensité de sa prédation, une prédation vis-à-vis de  laquelle les « régulateurs » s’avèrent impuissants.

[18]Laquelle détenait le record des inégalités dans les grands pays industriels et vient seulement d’être rattrapée par les USA, ce qui explique aussi, partiellement, son attitude vis-à-vis d’une Grèce dont les ménages disposeraient d’un patrimoine trop important (Cf le rapport OCDE présenté dans les Echos des 2 et 3 mai 2014).

[19] Ajoutons que les investissements programmés ne sont pas orientés vers la productivité et, la  « destruction créatrice » chère à Schumpeter, est toujours annoncée… et peu constatée. Cf. à cet égard les thèses actuelles développées par Peter Thiel, Garry Kasparof, Robert Gordon mais aussi Jean Paul Pollin et tant d’autres, qui insistent sur l’idée de longue stagnation en matière de technologie et d’innovation. Ces idées sont aussi confirmées par l’estimation de la qualité des emplois crées en France à l’horizon 2018 (Cf. le rapport McKinsey d’Avril 2014) qui révèle clairement le choix de branches non porteuses de gains de productivité (Maintenance et entretien, services aux particulier, hébergement et restauration, santé, etc.).

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12 mai 2014 1 12 /05 /mai /2014 09:00

 

 Martin Wolf dans un article récent[1] évoque la « déficience chronique de la demande mondiale agrégée »,ce qui constitue une autre façon d’évoquer la crise mondiale de surproduction souvent mentionnée dans ce blog et en particulier les articles figurant dans le bloc « critique des raisonnements »[2]. Saluons cette prise de conscience, et profitons – en pour repréciser les grandes étapes qui mènent d’une grande crise de surproduction –celle de 1929 -  à l’autre, celle d’aujourd’hui.

La première étape est celle qui permet d’en finir avec la crise précédente et va assurer les « 30 glorieuses »

1) « L’Etat –Nation fordien développé » et le « sous-développement ».

Tout a été dit sur cette phase qui correspond aussi à l’après seconde guerre mondiale, il est donc inutile d’insister. Signalons simplement que cette étape est celle d’une garantie de l’équilibre entre offre globale et demande globale par forte redistribution de gains de productivité abondants. La montée d’une Etat social servira aussi d’assurance de débouchés : les entrepreneurs économiques paient une prime d’assurance garantissant des débouchés croissants,  ( taxation de l’activité et en particulier du travail s’agissant plus particulièrement de la France) prime payée à des entrepreneurs politiques qui se produisent et se reproduisent au pouvoir en construisant le produit politique « Etat-providence ». Parce que l’on en est encore au stade de l’Etat-Nation, cela suppose aussi de lourds transferts entre régions, et au final un processus d’homogénéisation renforçant l’équilibre offre globale et demande globale. Au niveau mondial, cette étape se caractérise par une croissance forte de ce qu’on appelle les pays développés et beaucoup plus faibles, pour ce qu’on va à l’époque appeler pays de la périphérie ou pays sous- développés : entre 5 et 7 ou 8% d’un côté et moins de 3% de l’autre. Sur le plan monétaire, le modèle allemand[3] ne s’est pas encore mondialement imposé : «  la loi d’airain » de la monnaie[4] est abandonnée et la création monétaire, qui est le fait des banques centrales et des banques de second rang, est bien présente pour assurer la croissance. Cette croissance monétaire est bien sûr une croissance par endettement, mais celui-ci est contenu par une inflation qui participe largement de la répression financière de l’époque.

2) Mondialisation acte1 : L’émergence du couple USA/Chine.

Ce que certains ont appelé le « mariage de Wal-Mart et du parti communiste  chinois » marque l’une des premières étapes de la forme moderne de la mondialisation.

Il s’agit de la première grande rupture entre offre globale et demande globale. La production chinoise est appelée à devenir très supérieure aux débouchés nationaux. Pour les USA, les choses deviennent complexes : La croissance de la production peut encore se maintenir car la  concurrence  des importations en provenance de chine créent suffisamment d’effet-revenu au profit des salariés qui peuvent ainsi nourrir une demande domestique supplémentaire. Toutefois on se dirige vers un déficit extérieur donc une demande appelée – sauf ouverture croissante du crédit et de la dette - à  se comprimer.

Déficit d’un côté et excédent de l’autre, il peut encore y avoir un équilibre mondial tant que « l’armée industrielle de réserve chinoise » ne heurte pas plus frontalement les salaires américains.

Cette étape 2 concerne les années 80 lesquelles voient un redéploiement de la croissance : Les taux baissent dans les vieux pays développés et montent dans les autres : environ 3% contre 8 à 10 d’abord chez les « tigres asiatiques », ensuite et surtout en Chine. La création monétaire doit bien sûr suivre, et à l’endettement qui ne fait que suivre la croissance il faudra ajouter l’endettement du aux premiers lourds déséquilibres : l’Asie doit commencer à financer l’endettement américain.

3) Mondialisation acte 2 :L’ère des bulles.

L’expression de « pays sous-développés » n’est plus seulement remplacée par celle de  « pays émergents » car nombre de ces derniers deviennent « pays émergés ». Sans toutefois, sauf pour certains d’entre-eux,  devenir des Etat-Nations fordiens classiques. Ainsi la Chine verra la part des salaires dans le PIB devenir l’un des plus faibles du monde : 35%. Son équilibre ne peut donc résulter que d’excédents extérieurs de plus en plus massifs.

 Le déficit américain devient abyssal, car l’économie américaine absorbe une bonne part des excédents chinois, lesquels participent activement à la désindustrialisation du pays, avec en corollaire le blocage de longue période des rémunérations et l’explosion des inégalités.

Désormais toutes les autoroutes de la mondialisation fonctionnant sans péages[5], le nouveau capitalisme voit le principe moteur  de la concurrence passer des gains de productivité à celle de la course à la baisse des salaires. C’est tout le sens qu’il faut donner à l’allongement considérable des « chaines de la valeur », et au primat du « Buy » sur le « make » : il faut sans cesse externaliser et transformer radicalement l’entreprise, qui devient de plus en plus corps apparemment démembrée[6]. Le déséquilibre planétaire devient difficilement gérable et la production croissante voit ses débouchés se restreindre de façon massive.

Toutefois la crise est refoulée par la montée considérable du crédit et de l’endettement qui en découle : une bulle de dettes sur laquelle sont branchés tous les nouveaux instruments d’une créativité financière qui n’est plus muselée par la répression de jadis. Les salariés américains, dont beaucoup sont devenus précaires, continuent de consommer grâce au crédit. L’Etat fédéral poursuit ses dépenses militaires pharaoniques grâce à l’épargne chinoise. Dettes publiques et privées, s’épuisent à maintenir le niveau de demande mondiale globale garantissant la croissance de l’activité.

Cette dernière reste déséquilibrée en faveur des pays émergents (plus de 10% pour la Chine), avec toutefois maintien d’une croissance non négligeable, dopée par la dette dans les anciens pays développés (surtout les USA qui maintiennent durablement des taux supérieurs à 3%).

4) Mondialisation acte 3 : Explosion de la dette et fragile digue des Etats.

Inutile de rappeler les évènements de 2008/2009 tant ils sont connus. Les entrepreneurs politiques devenus dépendant de l’industrie financière, et parfois même se confondant avec les dirigeants de cette dernière, font le choix du « Bail-out ». Il en résulte que l’immense dette privée qui se cachait dans la bulle devient dette publique et vient accroitre le poids des charges qui accablaient déjà certains Etats fort endettés[7]. La spéculation sur la dette privée, devient aussi spéculation sur les dettes publiques, avec attaques sur les parties les plus fragiles de la grande digue des Etats : la dette européenne. La zone euro devient ainsi un lieu privilégié, avec prise de conscience par la spéculation que nombre de dettes publiques ne sont plus soutenables. Les entrepreneurs politiques de la zone, ardent défenseurs de la conception allemande de la monnaie, défense qui est aussi celle des grands gagnants de la mondialisation, adoptent à la hâte des mesures d’austérité visant à contenir la vague des déficits et le service de la dette correspondant. Chaque point de PIB de dépense publique gagnée dans la course à un désendettement impossible à atteindre, devient un point de demande globale en moins, d’où- sous l’effet du multiplicateur budgétaire-  l’aggravation de la crise. Ce qui était la première économie du monde devient la zone la plus dépressive du monde, zone qui en raison de son poids, vient affaisser des croissances mondiales déjà sur le déclin. Le prétendu « rétablissement », utilisant y compris des bricolages statistiques[8], n’est que l’aggravation planétaire de la crise. D’où la nécessité de construire de nouvelles digues.

5) Mondialisation acte 4 : La construction de la digue des banques centrales et ses effets.

Parce que la mondialisation est devenue une logique de destruction, creusant un fossé de plus en plus large, entre offre globale mondiale et demande globale mondiale, fossé que les Etats ne sont plus capables de combler par des déficits, il faudra mettre en ordre de bataille les banques centrales chargées de monétiser ou racheter de la dette. Cela commence très tôt avec la FED et 3 « quantitative easings » laquelle sera suivie par les banques d’Angleterre, puis du Japon et en enfin la BCE et ses « LTRO » et autre « OMT ». Le comblement du fossé entre offre globale et demande globale se mesure à la démesure croissante des bilans des dites banques centrales : plus du quart des PIB des Etats correspondants et la moitié du PIB japonais pour la banque du Japon.

Commencée avec la mise en place des autoroutes de la finance, et donc la fin de la répression financière et de l’euthanasie des rentiers, la mondialisation poursuit sa course destructrice en  revenant vers cette dernière  de façon imprévisible et inattendue : Les Etats, y compris ceux du sud de l’euro zone,  retrouvent des conditions d’endettement qui ne sont plus celles de la loi d’airain de la monnaie[9]. De la même façon les entreprises non financières voient leur rentabilité augmenter en raison de la baisse des taux[10]. A l’inverse, la menace est grande pour les fonds de pension à prestations définies et les compagnies d’assurances. La nouvelle euthanasie des rentiers permettrait ainsi de ne plus évoquer stupidement le « sacrifice des générations futures »- les ménages jeunes bénéficient de taux faibles- et l’égoïsme des ainés, qui cigales plus que fourmis, auraient scandaleusement endettés leur pays.

Conclusion

La nouvelle euthanasie des rentiers n’est pas celle obtenue à l’issue de la crise de 1929.

A l’échelle mondiale elle n’empêche nullement le fossé entre offre globale et demande globale de s’élargir : le processus de dislocation ne s’achève pas. Il est même conforté par la digue ultime des banques centrales….des établissements dont le passif n’est jamais exigible[11]… Plus clairement encore, la course à la baisse mondiale des salaires peut se poursuivre[12], et la logique de destruction continuer : expulsion de ceux qui bénéficiaient d’un Etat-providence, d’un emploi stable, d’une appartenance à la classe moyenne, etc. Mais aussi expulsion des entrepreneurs politiques classiques désormais supplantés par des gangs ou « formations prédatrices »[13] faites d’une élite mondialisée, hors-sol, bénéficiant de capacités systémiques surpuissantes et finalement peu maitrisables[14] : banquiers, juristes, comptables, mathématiciens, journalistes, dirigeants de grandes entreprises, informaticiens, physiciens, lobbyistes, etc.[15]. Au total expulsion de la démocratie au profit d’une oligarchie, avec maintien, voire sacralisation de droits de l’homme dans leurs versions les plus épurées, c’est-à-dire anglo-saxonnes.

Plus proche de l’Europe, cette euthanasie n’entraine évidement aucune solution à la crise de l’euro : les pays du sud ne peuvent en aucune façon espérer de soulagement dans la course à la baisse des salaires par une modification du taux de change : il faut imaginer l’impensable et le cruel retour à des époques que l’on croyait révolues. Non seulement l’Europe du sud doit accepter la dévaluation interne exigée par l’Allemagne[16], mais elle doit aussi subir les assauts d’un processus plus vaste encore, celui imposé par l’écart croissant entre offre et demande planétaire. Alors que la première euthanasie des rentiers correspondait à un moment d’inclusion de la plupart des groupes sociaux à l’intérieur de l’espace « Etat-Nation », la seconde procède par expulsion croissante.

Dernier point : la nouvelle euthanasie des rentiers ne peut être une incitation à l’investissement productif. Constatons que si la baisse des taux a permis aux entreprises non financières (ENF) d’accéder à une rentabilité plus élevée, l’investissement ne peut s’envisager sur la base d’une demande globale en réduction, déficit d’investissement qui en retour affaisse davantage encore la demande globale mondiale et fait grandir le fossé avec l’offre correspondante.[17]

Mais où se trouve donc l’économie de l’offre ?



[1]« Euthanasions les rentiers » ; Le Monde du 10 mai 2014.

[2] La plupart des 16 articles figurant sous cette rubrique fait mention d’une critique générale de la loi de Say. Ajoutons-y : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-mir-acles-de-l-offre-competitive-et-aggravation-de-la-crise-planetaire-de-surproduction-123382311.html.

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-d-airain-de-la-monnaie-medium-n-34-janvier-2013-114312510.html.

[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-agonie-du-fordisme-forme-de-l-etat-et-gigantisme-financier-2-77358419.html

[6] La « tête » dans un pays, un bras sur un autre dans un autre continent, une jambe dans un troisième, etc.

[7] D’autres qui l’étaient peu le deviennent brutalement en raison du sauvetage financier : USA, Irlande, Espagne, etc.

[8] Parmi ces derniers signalons la redéfinition des règles comptables pour le calcul des PIB, ce qui entraine une croissance « inédite », et les exceptions aux règles de calcul du déficit pour les pays les plus en difficulté notamment la Grèce. De quoi améliorer les images statistiques et donc de rassurer.

[9] D’où les prétendus retours triomphaux des Etats du sud de la zone euro qui connaissent des taux enfin abordables, tandis que la France n’a jamais connue de taux aussi bas qu’en ce printemps 2014.

[10] Cette baisse aurait représenté 20% de la croissance des entreprises américaines entre 2007 et 2012. Cf l’article de Martin Wolf déjà cité.

[11] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-oui-le-passif-d-une-banque-centrale-est-non-exigible-une-aubaine-pour-la-finance-121560542.html

[12] D’où le blocage des nouvelles et importantes classes moyennes des émergents : Chine, Brésil, etc. ..concurrencées par de nouveaux salariés des nouvelles périphéries : Vietnam, Bengladesh, Ethiopie,etc. Pour ne prendre qu’un exemple la nouvelle classe moyenne chinoise se trouve désormais exposée à la baisse des salaires américains (l’écart de cout unitaire étant passé de 17,1$ en 2005 à 6,9 en 2012…et disparaissant avec les couts de l’énergie d’où les nouveaux investissements chinois dans le sud des USA) mais aussi à l’énorme compétitivité de ses voisins immédiats (Vietnam et Cambodge) dont les salaires très inférieurs aux salaires chinois justifient les massives délocalisations chinoises vers ces pays pour l’industrie du jouet ou du textile.

[13] Terme emprunté à Saskia Sassen dans son ouvrage : « Expulsions. Brutality and complexity in the Global Economy »; Harvard University Press ; Mai 2014.

[14]L’industrie financière dérégulée est en effet non maitrisable y compris par ses acteurs, lesquels sont parfois inquiets d’une création à la fois voulue et subie. De la même façon qu’un accident nucléaire développe des évènements hors de contrôle, un accident financier développe des conséquences non planifiables.

[15] Cette élite mondialisée hors sol - bien sûr investie dans l’immense industrie financière -  n’est évidemment pas victime de l’euthanasie des rentiers. Cette élite vit en effet moins de taux que d’écarts de prix. Parce que l’industrie en question vit de la recherche de l’information, elle patauge nécessairement dans les marécages des délits d’initiés et autres conflits d’intérêt. C’est cette matière première qui fait l’immensité de sa prédation, une prédation vis-à-vis de  laquelle les « régulateurs » s’avèrent impuissants.

[16]Laquelle détenait le record des inégalités dans les grands pays industriels et vient seulement d’être rattrapée par les USA, ce qui explique aussi, partiellement, son attitude vis-à-vis d’une Grèce dont les ménages disposeraient d’un patrimoine trop important (Cf le rapport OCDE présenté dans les Echos des 2 et 3 mai 2014).

[17][17] Ajoutons que les investissements programmés ne sont pas orientés vers la productivité et, la  « destruction créatrice » chère à Schumpeter, est toujours annoncée… et peu constatée. Cf. à cet égard les thèses actuelles développées par Peter Thiel, Garry Kasparof, Robert Gordon mais aussi Jean Paul Pollin et tant d’autres, qui insistent sur l’idée de longue stagnation en matière de technologie et d’innovation. Ces idées sont aussi confirmées par l’estimation de la qualité des emplois crées en France à l’horizon 2018 (Cf rapport MCKinsey d’Avril 2014) qui révèlent clairement le choix de branches non porteuses de gains de productivité ( Maintenance et entretien, services aux particulier, hébergement et restauration, santé, etc.).

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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 04:20

Plutôt qu’étudier en profondeur la validité de la loi de Say, une bonne partie des théoriciens de l’offre continue à s’épancher sur les méfaits d’un keynésianisme qui, adapté à une reconstruction ou un rattrapage, deviendrait  inopérant dans  une économie de l’innovation.[1] En clair le texte de Franklin D. Roosevelt « Comment j’ai vaincu la crise » [2] serait aujourd’hui complètement inadapté.

 

 Prétendus méfaits d’un keynésianisme primaire.

La liste des méfaits d’une relance par la demande serait longue :

-Elle ne pourrait jouer positivement que si elle évite une montée des importations et donc se trouverait confortée par des entreprises domestiques plus compétitives, réalité qui supposerait une macroéconomie de l’offre. L’argument est fort et se trouve régulièrement repris par des auteurs qui constatent que c’est, curieusement, le keynésianisme français qui permet de rendre plus supportable les politiques d’austérité des pays du sud de la zone euro[3].

- La non réduction des dépenses publiques ne permettrait pas de relâcher la pression fiscale et ses effets d’encouragement sur l’offre et la compétitivité.

- Les politiques de subventionnement des entreprises ne permettent pas  une allocation optimale du capital (effets de rente ou de capture) et ses impacts sur une offre compétitive.

- Un smic trop élevé correspond à l’exclusion des jeunes et des travailleurs peu qualifiés, lesquels vont constituer une poche de pauvreté.

- Une demande trop sécurisée par une dépense publique abondante freine la concurrence, l’innovation, la productivité et la croissance. A titre d’exemple le poids garanti et croissant des dépenses d’éducation, n’empêcherait pas la diminution des performances des Tests PISA.

On pourrait multiplier les arguments visant à décrédibiliser le keynésianisme.

 

Prétendus bienfaits de l’offre compétitive.

A contrario, parce que la croissance nouvelle ne peut se nourrir d’une reconstruction ou d’un rattrapage, voire d’une simple généralisation d’une norme technologique[4], il serait nécessaire d’une part d’accroître la productivité de la machinerie gouvernementale  et, d’autre part,  d’adopter des mesures visant à accroitre la mobilité sociale.

L’amélioration de la productivité de la machinerie gouvernementale se matérialiserait par plusieurs canaux :

- La diminution de la pression fiscale, notamment sur le capital, permettrait l’encouragement de l’investissement et la croissance.

- la réorganisation de cette même pression en faveur d’outils dynamisant la croissance : orientation vers la TVA, vers les taxes sur les propriétés et transactions immobilières aux fins de décourager l’allocation de capital vers l’immobilier et favoriser l’entreprise, etc. Dans une perspective semblable on pourrait évoquer les mesures de simplifications administratives.

-  La suppression d’emplois publics dont les effets sur la demande globale sont immédiats permettrait toutefois une augmentation de l’offre de travail dans le secteur privé.

-  La réorganisation du système de soin passant par une réelle maitrise des dépenses et donc celles de la prescription médicale.

-  La réorganisation du système des retraites dont la simplification permettrait la fin de son illisibilité et des surcoûts de gestion qui lui sont associés. Cette réorganisation passerait probablement par une augmentation du nombre d’annuités  de cotisations.

 

L’accroissement de la mobilité sociale passerait elle aussi par de multiples canaux :

 - La réforme du marché du travail visant à augmenter le taux d’emploi des jeunes, à réduire la dualité du marché, à rendre efficace les dépenses de formation professionnelle, etc.

- La réorganisation du marché des biens et services avec la fin des professions fermées et branches d’activités sous régulation publique: énergie, distribution, industrie médicale, etc.

- La suppression des niches fiscales.

Nous retrouvons là nombre de propositions que l’on pouvait recenser dans le rapport Attali[5].

 

La bienfaitrice compétitivité… ou l’évidence suicidaire…

Bien évidemment les hausses de productivité sont intrinsèquement peu discutables : la machine économique globale est plus créatrice de richesse, si dans l’ensemble de ses composantes, il existe des diminutions de couts unitaires, soit par diminution de rentes organisationnelles soit par « destruction créatrice », ou diminution du coût direct du travail ou du capital. C’est au demeurant un tel processus qui a historiquement permis les 30 glorieuses du fordisme triomphant. Avec toutefois une condition fondamentale : l’offre toujours croissante et toujours plus compétitive, bénéficiait aussi d’une demande dont la croissance était elle-même planifiée et politiquement organisée à l’intérieur d’un espace défini comme « Etat-Nation ».

A l’époque c’est en rigidifiant les rémunérations que les débouchés d’une offre compétitive furent assurés : politiques de rémunération, développement d’annexes du salaire toujours plus importantes quantitativement et souvent assorties de clauses règlementaires fort contraignantes. Et ces éléments de rigidité furent introduits pour assurer – au sens de garantie assurantielle  indépendante de toute conjoncture économique-  ce qui ne l’était pas à l’aube du régime fordiste.

 Précisément, à cette époque – celle de l’aube du régime fordiste - existait ce que les marxistes appelaient une « contradiction entre la création et la réalisation de la valeur ». Le passage progressif au fordisme entrainait une augmentation considérable de la productivité dans les branches qui vivaient son éclosion, alors même que les rémunérations restaient celles de la période antérieure. A l’époque, sans augmentation rapide de la demande internationale, existait  un problème de débouchés, c’est-à-dire une demande insuffisante pour absorber une  production rapidement croissante. Cette contradiction devait engendrer la crise de 1929, laquelle sera finalement dépassée par la rigidification d’une demande dont la croissance devait suivre les gains de productivité. Cette dimension du problème bien perçue depuis fort longtemps est aujourd’hui complètement négligée par les théoriciens de l’offre[6].

Dans le contexte européen d’aujourd’hui, il faut pourtant signaler que cette compétitivité recherchée est davantage affaire de diminution de la rigidité des rémunérations que de réels gains de productivité[7]. Et donc la question se pose de savoir comment l’offre compétitive nouvelle, largement reflet d’une baisse globale des rémunérations, peut-elle se déployer et rencontrer les débouchés correspondants. Alors que jadis l’offre croissante se nourrissait de sécurisation de la demande, aujourd’hui elle semblerait se nourrir d’incertitudes elles-mêmes  effets de la flexibilité et de la baisse des rémunérations.[8] Le paradoxe de la situation ne peut être résolu que par le biais du recours aux exportations.

L’explication est simple : le débouché n’est plus local, mais mondial, il n’est garanti que par la  compétitivité. La libre circulation du capital permettant la dissémination des innovations de process et de production, il ne reste plus comme élément fondamental de différenciation que le niveau des rémunérations localement administrées. Cela signifie un marché intérieur déclinant au profit d’un marché extérieur croissant, avec toutes ses conséquences en termes de fin de l’auto centrage des activités au profit d’une extraversion vécue comme optimisation des chaines de la valeur. En clair il faut pour être compétitif, comprimer le marché intérieur (situation inverse de celle des trente glorieuses) qui seul pourra garantir la croissance des exportations. Jadis il fallait rigidifier et gonfler les rémunérations, aujourd’hui il faut les déréglementer et les diminuer. Jadis la compétitivité déployait ses effets revenus à l’intérieur du territoire de l’Etat- Nation. Aujourd’hui ses mêmes effets revenus ne sont plus maitrisables.

En mondialisation la compétitivité est incontournablecomme elle l’était au temps du vieux fordisme auto centré. Avec des conséquences très différentes : jadis la « destruction créatrice » engendrait mécaniquement une offre plus performante absorbée par une demande régulée, le tout se soldant par une croissance vigoureuse. Aujourd’hui, cette incontournable compétitivité, au-delà d’une tendance à la baisse planétaire des salaires,  se solde par une nouvelle contradiction entre la « création et la réalisation » donc une crise mondiale de surproduction[9], que la montée vertigineuse de la finance et de la dette tente vainement de gommer.

 

Miracles et destructions contagieuses.

Le théâtre planétaire de la crise de surproduction  est évidemment fortement contrasté. Ceux que l’on appelle les gagnants de la mondialisation, parce que plus compétitifs connaissent des taux de croissance très élevés et forts destructeurs pour les vieux pays qui n’arrivent pas assez vite dans la course à la baisse des rémunérations[10]. On notera toutefois que les zones de forte compétitivité se déplacent : La chine doit abandonner une partie de sa production textile au Bengladesh, au Cambodge, à l’Ethiopie, etc. Autant de déplacements engendrés par l’aggravation de la crise (les pays européens, notamment ceux du sud qui s’alignent sur la dominante de compétitivité offrent de moins en moins de débouchés aux émergents) et déplacements qui ne pourront que l’aggraver davantage encore : la Chine est elle- même invitée à fonctionner sur la base d’une dette continuellement croissante[11].

Il est donc logique que même les émergents les plus dynamiques finissent par rencontrer le piège de la crise : si la très forte croissance se fait quelque peur redistributive, cela signifie la perte de compétitivité et l’éloignement du miracle.

On comprend ici toute la difficulté du développement du marché intérieur chinois : celui-ci n’a de l’avenir qu’au prix d’un effondrement de compétitivité qui ne pourrait être combattu efficacement que par la construction d’un Etat-nation authentiquement fordien s’éloignant de la mondialisation…..

On comprend mieux aussi ce qu’on appelle la théorie du « piège du revenu intermédiaire [12]» qui s’étonne que les pays à forte croissance se trouvent soudainement bloqués lorsque le périmètre des classes moyenne,  suffisamment élargi,  concerne une part significative de la population. Ces pays, initialement bénéficiaires, c’est-à-dire ayant tiré leur épingle du jeu de la surproduction mondiale par rapport aux débouchés, en deviennent progressivement les nouvelles victimes. Après avoir longtemps exporté de la stagnation et importé de l’activité, la Chine est aujourd’hui de plus en plus obligée de créer localement de l’activité par des investissements publics lourds financés par de la dette. A contrario ses difficultés à exporter de la stagnation chez ses clients provoquent en retour de la stagnation chez ses fournisseurs, d’où un effet de dissémination de la crise[13].

La mondialisation a jusqu’ici imposé une compétitivité qui repose massivement sur la course à la baisse des rémunérations. Sa recherche éperdue qui a pris l’expression mondialement connue de « réformes structurelles » renforce la puissance de la grande crise des années 2010. La crise enlise les sociétés. Sortir de l’enlisement par les réformes structurelle consiste à passer du statut d’enlisé à celui d’englouti. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut rien réformer mais qu’il faut au préalable revoir complètement le cadre de l’actuelle mondialisation.



[1] Parmi les auteurs suspectant la non adaptation du keynésianisme nous avons au-delà des libéraux comme Hubert Landier et David Thesmar, des auteurs réformistes tels Philippe Aghion ou Gilbert Cette.

[2]« Comment j’ai vaincu la crise », ensemble de texte repris et publiés par Christian Chavagneux aux éditions  Les Petits Matins- Alternatives Economiques, 2014.

[3] Les tenants de ce point de vue sont par exemple en France Olivier Passet (XERFY) et Jean- Marc Vittori (Les Echos).

[4] Ce qui fut le cas du fordisme à l’issue de la seconde guerre mondiale. Notons au passage que les innovations de rupture sont aujourd’hui largement absentes et seraient à mettre en rapport avec le court-termisme de la finance ( cf l’article de Jean- Paul Pollin : « Mais où est passée la troisième révolution industrielle ?, Les Echos du 3/4/2014).

[5] Rapport sur la libération de la croissance française, La Documentation Française, 2008.

[6] Curieusement, dans les années 80 des économistes keynésiens- qui tout aussi curieusement   sont largement devenus des théoriciens de l’offre- ont lourdement insisté sur cet aspect des choses. Qu’on en juge : en parlant de cette période intermédiaire menant aux trente glorieuses, voici ce qu’écrivaient Jean-Hervé Lorenzi, Olivier Pastré et Joëlle Toledano : « Le taylorisme, mode de rationalisation du seul travail, définit les conditions d’une production de masse sans apporter une quelconque solution à l’écoulement de cette production. En cela, le taylorisme fait inconditionnellement sienne la célèbre loi des débouchés. La crise de 1929 va se charger de lui apporter le démenti des faits ». Cf  page 81 de : « La crise du XXIème siècle » Economica, 1980.

[7] Cf l’article de Jean Paul- Pollin déjà cité.

[8] Comment en effet comprendre que par exemple l’agence pour l’emploi grecque qui occupe dans des activités précaires 300000 chômeurs pour 486 euros versés pendant 5 mois peut faciliter les débouchés d’une offre compétitive nouvelle ?

[9]Christophe Ramaux note que la moitié de la consommation française (843 milliards d’euros sur 1673) est supportée par de la dépense publique) toute réduction de  cette dernière provoque des effets dépressifs. Cf  Le Monde du 19/4/2014 : « La dépense publique est un précieux levier de croissance ».

[10] Dans sa phase ultra-gagnante, la Chine a pu créer jusqu’à plus de 40 millions d’emplois par an…essentiellement dans des activités industrielles tournées vers l’exportation. De quoi considérer que la Chine exportait du chômage pour importer de l’emploi. Dans le même temps la sous consommation se développait : entre l’année 2000 et aujourd’hui la consommation passe de 50 à 35% du PIB.

[11] Cette dernière a commencé avec le pharaonique plan de relance de 2008 : 485 milliards d’euros …pour des infrastructures dont le taux d’engagement dans la réalité économique s’avère aujourd’hui problématique. Avec bien sûr une autre conséquence très lourde : l’accumulation de créances  douteuses, il est vrai garanties par une institution publique. Sans une fantastique accumulation de dettes, la croissance chinoise serait estimée à 3 ou 4% l’an.

[12] Le « Middle- income trap » fut identifié par Barry Eichegeen et repris par les travaux récents de Donghyun Park et Kwanho Shin.

[13] Selon le N° d’avril des « Perspectives économiques mondiales » du FMI, le recul de la croissance des émergents depuis 2012 est imputable pour 25% au ralentissement chinois. Phénomène qui va jusqu’à la désindustrialisation de ceux qui s’y étaient engagés : le Brésil par exemple. On pourrait multiplier les exemples. Ainsi le solde commercial entre l’Espagne et la France est passé d’un excédent (pour la France) de 6,3 milliards d’euros en 2007 à un déficit de 1,9 milliards entre mars 2013 et Mars 2014 : les réformes structurelles consistent ainsi à se passer les "patates chaudes" de la crise.

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1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 10:10

 

Dans la course à la dévaluation interne, le gouvernement espagnol semble vouloir frapper un grand coup en divisant par 4  les charges sur le salaire moyen[1]. Précisons que cette décision ne concerne que les emplois nouvellement crées sous la forme de CDI   ou de CDD de longue durée. Il s’agit donc d’une dévaluation à la marge concernant des flux et non des stocks comme c’est le cas pour la dévaluation interne française.

Quels sont les effets macro-économiques d’une telle décision ?

Deux scénarios se doivent d’être étudiés : le cout du travail ne baisse pas et la diminution des charges sociales est absorbée par une augmentation du salaire net. A l’inverse un scénario probablement plus réaliste part de l’hypothèse d’une baisse effective du cout du travail.

 

Scénario 1

La non dévaluation interne se traduit en marginal par une hausse du pouvoir d’achat et –toutes choses égales par ailleurs – par une aggravation des déficits publics.

A la marge, le supplément de demande globale résultant du pouvoir d’achat supplémentaire peut nourrir une offre supplémentaire, mais il n’existe aucune hausse de la compétitivité dans un contexte d’aggravation du déficit public[2], et de la dette publique[3].

Le scénario 2 est plus probable et aussi beaucoup plus intéressant.

 

Scénario 2 : la baisse du cout du travail.

Cette dernière développe des conséquences directes sur les entreprises, conséquences développant elles-mêmes des effets secondaires. Mais elle développe aussi des conséquences directes sur les Administrations Publiques, là aussi avec des effets secondaires.

A) Conséquences directes sur les entreprises et effets secondaires.

Les entreprises bénéficiant d’une marge plus importante peuvent la conserver ou, à l’inverse, la rétrocéder aux clients sous la forme d’une baisse de prix.

1) Le choix d’une conservation de la marge accrue.

Les prix restants inchangés, les profits augmentent. L’impact sur la demande globale dépend de l’affectation des profits : investissements nouveaux ? Ou épargne nouvelle à l’instar de ce qui se passe dans les grandes entreprises internationales? Et dans le cas de l’hypothèse d’investissements nouveaux, quel type ? Renouvellement ? Modernisation ? Capacité ? Degré d’attraction au regard des investisseurs étrangers ? Il est très difficile de répondre. L’offre devient plus compétitive mais peut-on faire confiance à la loi de Say ?

Maintenant que faut-il attendre des nouveaux salariés en termes de demande, le seul pouvoir d’achat supplémentaire n’étant que la différence entre le salaire nouveau et les anciennes prestations au titre du chômage ?

A l’international toutefois les choses sont plus claires et des investisseurs étrangers peuvent être attirés par des salaires devenant progressivement chinois à l’intérieur même du continent européen. La dévaluation interne espagnole peut donc redéfinir la fracturation des chaines mondiales de la valeur, avec des exportations supplémentaires et probablement les importations associées au surplus d’exportations. Dans ce cas il y a une compétitivité nouvelle, acquise au détriment des autres Etats devant encaisser une dégradation de leurs comptes extérieurs. C'est bien ce que confirme déjà les derniers chiffres de la balance courante espagnole avec un excédent de 7,1milliard d'euros constitué notamment par une croissance de 5,1% des exportations. Signalons aussi qu'une accumulation en 2013 de 88,8 de capitaux a probablement permise un début de reconfiguration des chaines de la valeur au bénéfice de l'Espagne.

2) Le choix d’une rétrocession de marge aux consommateurs.

Dans ce cas il y a baisse des prix à la marge (« le flux ») avec éventuelle concurrence déloyale au profit des entreprises redevables de charges inchangées (« le stock »). Un double effet « déflation/ hausse du pouvoir d’achat » s’enclenche sans qu’il soit possible d’énoncer un quelconque résultat sur la demande globale. Par contre au niveau international, si l’élasticité-prix des exportations est suffisante, il peut y avoir hausse de la demande et là aussi redéfinition de la fragmentation des chaines de valeurs.

B) Conséquences sur les Administrations Publiques et effets secondaires.

Les administrations publiques peuvent choisir d’aller jusqu’au bout du choix de la baisse du cout du travail et diminuent les prestations sociales (maladie, chômage, accident, vieillesse, etc.). Elles peuvent aussi choisir la voie d’une croissance de la dette.

1) Le choix d’une diminution des prestations sociales.

Les conséquences sont évidentes et les entités fournisseuses des services sociaux se heurtent à une perte de débouchés : Laboratoires pharmaceutiques et industrie médicale, établissements publics et privés d’accueil et de soins, entreprises dont le chiffre d’affaires repose sur les dépenses de revenus de transferts, etc. L’offre compétitive se heurte ainsi à une réduction de la demande globale.

2) Le choix de la croissance de la dette.

Dans ce scénario il n’y a pas véritablement baisse du coût total du travail, l’Etat-social se maintenant alors même qu’il a perdu une partie de son financement. Il n’existe donc pas de réduction de la demande globale et les effets signalés sur les entreprises ne sont pas pollués par une baisse des dépenses publiques.

 On peut observer que les Administrations Publiques espagnoles ont choisi un mix des deux solutions : durcissement des conditions d’accès aux revenus de substitution, aux soins médicaux, etc., et en même temps aggravation de la dette publique.

Conclusions.

La dévaluation interne espagnole est- elle un bon choix ?

Les développements précédents révèlent que la compétitivité recherchée n’apporte de solution satisfaisante en termes de dettes publiques et de chômage que si l’Espagne se construit des comptes extérieurs très fortement excédentaires. Un excédent lui-même issu d’une redéfinition des chaines de la valeur allant dans le sens de l’intérêt espagnol et donc au détriment des autres pays supports de la chaine. Le jeu est en effet à somme nulle y compris pour les plus compétitifs[4]. Ainsi l’Allemagne, grande animatrice des chaines européennes de la valeur, peut elle-même connaitre de nouvelles vagues de délocalisations vers une Espagne devenue Chine de L’Europe. Plus l’Europe reste la pointe avancée de la mondialisation et plus elle entre- plus que d’autres pays qui ont conservé au moins partiellement le stade de l’Etat-Nation -  dans une « coopération » improductive.

Le chômage, qui frappe 26% des actifs alors même que la population totale diminue[5], et la question de la dette ne peuvent être réglés par la compétitivité que si les autres pays acceptent le mercantilisme espagnol sans réagir. La baisse de la part des salaires dans le PIB - baisse partout constatée[6]- n’est pas le reflet d’un néo machinisme devenu puissance informatique ou « deuxième ère des machines » détruisant et abaissant mécaniquement le taux de salaire[7]. Ces phénomènes résultent bien plutôt de la forme prise par la mondialisation, forme dans laquelle les salaires ont perdu leur statut de débouché.[8]

Les entrepreneurs politiques espagnols en concurrence avec les entrepreneurs politiques des autres pays de la zone euro semblent vouloir devenir les champions de la course à la dévaluation interne. Se faisant - aussi en raison du poids de l’Espagne dans la zone euro[9] - ils aggravent, plus que d’autres, la crise générale et le risque de déflation[10], y compris là où la croissance – certes timide-  existe encore[11].

Cette stratégie suicidaire de la zone euro est, en raison de la disparition de toute politique monétaire, plus radicale que dans le reste du monde et correspond aussi, à la fin des classes moyennes que le Fordisme des trente glorieuses avait générées[12].

 



[1] Dans sa déclaration du 24 février dernier, Mariano Rajoy annonce que toute création d’emploi sera assortie d’un prélèvement unique de 100 euros par mois. Ainsi pour un salaire annuel brut de 20000 euros, les charges passeraient de 5700 à 1200 euros, soit une diminution de 75%. Cette mesure assez radicale de dévaluation prolonge et développe la course à la baisse du taux de salaire en Espagne. Aujourd’hui 50% des offres d’emplois sont proposées à moins de 1000 euros/mois, elles ne représentaient que 30% début 2013.

[2] - 5,8 points de PIB pour 2014 et en prévision – 6,5 pour 2015.

[3] 99 points de PIB pour 2014 et en prévision 103 pour 2015

[5] Solde migratoire négatif de 118238 personnes pour le seul premier semestre 2013.

[6] Cf L’Organisation Mondiale du Travail (OIT) et son Rapport Mondial sur les Salaires 2012/2013 qui évoque la diminution de la part salariale dans la valeur Ajoutée, réalité statistique parfois contestée.

[7] Question débattue depuis Ricardo en passant par le regretté Alfred Sauvy (« La machine et le chômage », Bordas/Dunod 1980) et aujourd’hui des membres du MIT comme Erik Brynjolfsson ou Andrew Mcafee.

[8] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-a-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html

[9] 12 points de PIB de la zone.

[10] Selon l’office fédéral des Statistiques, la hausse des prix  en Allemagne se rapproche dangereusement de la zone déflationniste : 1,4% en Décembre, 1,3 en Janvier, et 1,2 en février. Dans le même temps les salaires réels ont diminué  (-0,2%) en 2013.

[11] 0,4 points en Allemagne pour l’année 2013.

[12] Sur la fin des classes moyennes on pourra se reporter sur 2 ouvrages récents : « Average is Over. Powering America Beyond the Age of the Great Stagnation », Tyler Cowen, Dutton 2013 ; et « Broke. Who Killed the Middle Classes”, David Boyle, Fourth Estate,2013.

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29 janvier 2014 3 29 /01 /janvier /2014 09:17

 

  A plusieurs reprises, nous avons souligné la cause profonde de la grande crise, à savoir un choix de mondialisation oubliant dans l'explosion des échanges, la question fondamentale des balances des comptes courants de ce qui reste, les Etats-Nations.

Naguère, pour un bon keynésien, il fallait maitriser la demande interne en fonction de deux objectifs: sa capacité à offrir une quantité suffisante de débouchés internes (objectif 1)... dans la limite du risque d'inondation par les importations (objectif 2). A l'exception du seul pays à monnaie de réserve (les USA), il fallait pour les autres pays développés veiller à ce que la demande globale, largement travaillée par la construction d'un Etat-Social ne débouche pas sur un déséquilibre extérieur engendré par des flux d'importations trop importants.La France est historiquement l'un des pays qui a porté le plus loin possible ce keynésianisme en édifiant un grand Etat-social, ce dernier représentant aujourd'hui 33% de PIB contre une moyenne de 21,6% pour les pays de l'OCDE. Bien évidemment avec la sous-productivité qui, logiquement, caractérise tout système public: Absence du signaux envoyés par les  prix, privilége des structures monopolistiques, faible mise en situation de responsabilisation des acteurs, etc. De quoi engendrer sur les marchés politiques des rentes  solides. En contre partie, il est vrai qu'en privilégiant l'objectif 1 ci-dessus désigné, l'objectif 2 ne s'est maintenu qu'en ayant traditionnellement recours à des dévaluations. Autant de manipulations monétaires qui correspondent au coût d'opportunité de la construction d'un grand Etat social hors marché. 

En mondialisation non régulée, ce qui va compter est moins la demande domestique que la demande mondiale. Il faut donc une offre compétitive et davantage favoriser les exportations, les importations s'auto-limitant par la forte pression sur les salaires résultant de la mise en concurrence de l'ensemble de la main d'oeuvre mondiale. Tous limitent les importations par maitrise de la masse salariale, et tous favorisent les exportations aussi par maitrise de cette même masse salariale. La mondialisation est, par principe, l'avènement de l'économie de l'offre...et une offre par nature excédentaire en raison du choix organisationnel dans lequel elle va se déployer. D'où la crise générale et mondiale de surproduction que nous avons souvent évoquée dans le blog.

Charles Gave dans "Avis de Tempête" qu'il publie dans son Blog "Institut des Libertés" reprend très curieusement ce raisonnement à propos des doutes qui se manifestent de plus en plus clairement sur les émergents. Très curieusement, car de fait, et peut-être inconsciemment, il nie la loi des débouchés de J-B Say, alors qu'étant défenseur du libéralisme, il est officiellement un économiste de l'offre.

Son raisonnement est le suivant:

La politique monétaire américaine a permis d'affaisser durablement le dollar. A moyen terme, cette dévaluation a renforcé la compétitivité US, faisant passer le déficit des comptes courants de 7 points de PIB en 2006 à moins de 3 en 2013. La contrepartie dirait un économiste Keynésien correspond à 4 points de PIB américain que les pays émergents ne peuvent plus produire, ce qui entraine chez eux un effondrement de la croissance. Raisonnement Keynésien que Charles Gave reprend complètement en allant même plus loin. Et il est vrai que nous avons les enchainements logiques suivants:

Perte de PIB acquis sur les USA: 

             --> Recession

             --> Perte des débouchés américains = déséquilibre extérieur

             --> Politique restrictive pour comprimer la demande interne

              --> Baisse des importations

             --> Contagion récessionniste

Pendant de très nombreuses années, le déficit américain a permis à l'ensemble des emergents d'acquérir des points de PIB payés par de la dette américaine. Sans cette dette, les émergents auraient été invités à se développer sur la base d'un modèle beaucoup plus auto-centré.

Charles Gave en conclut brillamment que, chaque fois que le déficit américain se réduit,

 

   

   il en résulte une crise financière ainsi que l'atteste le schéma ci-dessus, extrait du site "Institut des Libertés". De fait cette crise financière doit être lue comme difficulté de la résolution des excédents de production par rapport à la demande globale. Difficultés croissantes avec le temps. Onubre Einz confirme ce résultat en montrant que pour 2013 il a fallu 2,5 dollars de dette publique supplémentaire pour créer un dollar additionnel de PIB américain. 

Bien évidemment le choix de la mondialisation dérégulée (celle qui fût historiquement validée) l'a emporté sur celui de la mondialisation préservant l'équilibre des comptes courants et donc les Etat-nations. La raison en est simple: nombre de groupes d'acteurs y avaient intérêt.

Bien évidemment les entrepreneurs économiques les plus dynamiques, qui par la liberté des mouvements de capitaux pouvaient bénéficier des zones de bas salaires.

Tout aussi évidemment les entrepreneurs de la finance qui -bien avant de se gaver de dettes publiques qu'ils allaient contribuer à générer-  avaient intérêt à la mise en place de structures monétaires et financières régulées par le seul marché afin d'engendrer "l'insécurité" que l'on pourra ensuite "revendre" comme produits de couverture et d'assurance.

Mais aussi les épargnants qui vont bénéficier des produits souvent complexes générés par des dettes de plus en plus importantes.

Peut-être même certains salariés qui vont béneficier de la "plus value relative" découverte par Marx il y a près de deux siècles en captant du pouvoir d'achat sur des marchandises importées à coûts dérisoires.

Et peut-être  également les entrepreneurs politiques des vieux Etat-Nations qui pourront offrir des produits de compromis - et beaucoup de rentes petites et grandes - à cet étrange attelage dont la convergence des intérêts n'est évidemment qu'une façade bien lézardée.

Le pouvoir médiatique - lui-même issu d'un capital approprié essentiellement par les entrepreneurs de l'économie et de la finance- se chargera de la promotion de l'idéologie d'un intérêt général- à défaut, celui du célèbre TINA ("There is no alternative) -  pour justifier le nouvel arrangement institutionnel ainsi créé. 

On notera que cette mondialisation dérégulée construite de façon adémocratique en Occident - avec sa pointe avancée dans ce modèle réduit presque parfait (théoriquement) qu'est l'eurozone - ne fut évidemment pas discutée là où elle s'est imposée dans le reste du monde. Les zones nouvelles de développement qui devaient devenir "les émergents" furent arrimées à la mondialisation alors même qu'elles étaient pour l'essentiel constituées de systèmes politiques dictatoriaux.

Le fonctionnement de la mondialisation dérégulée produit ainsi des déséquilibres qui ne sont contenus qu'en les élargissant: la croissance vertigineuse de la dette planétaire, les politiques d'ajustement structurels et d'austérité, et bien sûr leurs effets en termes de tensions sociétales croissantes.

De ce point de vue, les vieux Etats-Nations situés dans cette pointe avancée de la mondialisation qu'est l'euro-zone, sont plus particulièrement touchés: ils connaissaient - en particulier la France -  plus que d'autres la vieille cohérence de l'idée de nation et avaient depuis longtemps dépassé les déséquilibres macro-économiques.

Parce que la mondialisation dérégulée crée dans son fonctionnement plus de déséquilibres et de tensions sociétales, elle développe, en particulier en France des signes de grande dislocation: décrédibilisation générale de l'entrepreneuriat politique, cohabitation difficile entre laïcité et religions réarmées par la violence de la crise, contestation croissante de l'impôt et des formes collectives de protection contre les risques de la vie, développement de l'anomie et effacement de la frontière entre le légal et l'illégal ou le bien et le mal, résistance -face à cette anomie- par défense parfois violente des traditions domestiques ou des communautés renaissantes, etc. De quoi retrouver bientôt le tableau de Hobbes.

Mais de quoi aussi trouver le tableau assez présent de Heidegger:"Tout fonctionne. Voilà ce qui est précisément inquiétant, que cela fonctionne et que le fonctionnement pousse sans cesse plus loin vers plus de fonctionnement encore".

 

 

 

 

 

 

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