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12 mai 2014 1 12 /05 /mai /2014 09:00

 

 Martin Wolf dans un article récent[1] évoque la « déficience chronique de la demande mondiale agrégée »,ce qui constitue une autre façon d’évoquer la crise mondiale de surproduction souvent mentionnée dans ce blog et en particulier les articles figurant dans le bloc « critique des raisonnements »[2]. Saluons cette prise de conscience, et profitons – en pour repréciser les grandes étapes qui mènent d’une grande crise de surproduction –celle de 1929 -  à l’autre, celle d’aujourd’hui.

La première étape est celle qui permet d’en finir avec la crise précédente et va assurer les « 30 glorieuses »

1) « L’Etat –Nation fordien développé » et le « sous-développement ».

Tout a été dit sur cette phase qui correspond aussi à l’après seconde guerre mondiale, il est donc inutile d’insister. Signalons simplement que cette étape est celle d’une garantie de l’équilibre entre offre globale et demande globale par forte redistribution de gains de productivité abondants. La montée d’une Etat social servira aussi d’assurance de débouchés : les entrepreneurs économiques paient une prime d’assurance garantissant des débouchés croissants,  ( taxation de l’activité et en particulier du travail s’agissant plus particulièrement de la France) prime payée à des entrepreneurs politiques qui se produisent et se reproduisent au pouvoir en construisant le produit politique « Etat-providence ». Parce que l’on en est encore au stade de l’Etat-Nation, cela suppose aussi de lourds transferts entre régions, et au final un processus d’homogénéisation renforçant l’équilibre offre globale et demande globale. Au niveau mondial, cette étape se caractérise par une croissance forte de ce qu’on appelle les pays développés et beaucoup plus faibles, pour ce qu’on va à l’époque appeler pays de la périphérie ou pays sous- développés : entre 5 et 7 ou 8% d’un côté et moins de 3% de l’autre. Sur le plan monétaire, le modèle allemand[3] ne s’est pas encore mondialement imposé : «  la loi d’airain » de la monnaie[4] est abandonnée et la création monétaire, qui est le fait des banques centrales et des banques de second rang, est bien présente pour assurer la croissance. Cette croissance monétaire est bien sûr une croissance par endettement, mais celui-ci est contenu par une inflation qui participe largement de la répression financière de l’époque.

2) Mondialisation acte1 : L’émergence du couple USA/Chine.

Ce que certains ont appelé le « mariage de Wal-Mart et du parti communiste  chinois » marque l’une des premières étapes de la forme moderne de la mondialisation.

Il s’agit de la première grande rupture entre offre globale et demande globale. La production chinoise est appelée à devenir très supérieure aux débouchés nationaux. Pour les USA, les choses deviennent complexes : La croissance de la production peut encore se maintenir car la  concurrence  des importations en provenance de chine créent suffisamment d’effet-revenu au profit des salariés qui peuvent ainsi nourrir une demande domestique supplémentaire. Toutefois on se dirige vers un déficit extérieur donc une demande appelée – sauf ouverture croissante du crédit et de la dette - à  se comprimer.

Déficit d’un côté et excédent de l’autre, il peut encore y avoir un équilibre mondial tant que « l’armée industrielle de réserve chinoise » ne heurte pas plus frontalement les salaires américains.

Cette étape 2 concerne les années 80 lesquelles voient un redéploiement de la croissance : Les taux baissent dans les vieux pays développés et montent dans les autres : environ 3% contre 8 à 10 d’abord chez les « tigres asiatiques », ensuite et surtout en Chine. La création monétaire doit bien sûr suivre, et à l’endettement qui ne fait que suivre la croissance il faudra ajouter l’endettement du aux premiers lourds déséquilibres : l’Asie doit commencer à financer l’endettement américain.

3) Mondialisation acte 2 :L’ère des bulles.

L’expression de « pays sous-développés » n’est plus seulement remplacée par celle de  « pays émergents » car nombre de ces derniers deviennent « pays émergés ». Sans toutefois, sauf pour certains d’entre-eux,  devenir des Etat-Nations fordiens classiques. Ainsi la Chine verra la part des salaires dans le PIB devenir l’un des plus faibles du monde : 35%. Son équilibre ne peut donc résulter que d’excédents extérieurs de plus en plus massifs.

 Le déficit américain devient abyssal, car l’économie américaine absorbe une bonne part des excédents chinois, lesquels participent activement à la désindustrialisation du pays, avec en corollaire le blocage de longue période des rémunérations et l’explosion des inégalités.

Désormais toutes les autoroutes de la mondialisation fonctionnant sans péages[5], le nouveau capitalisme voit le principe moteur  de la concurrence passer des gains de productivité à celle de la course à la baisse des salaires. C’est tout le sens qu’il faut donner à l’allongement considérable des « chaines de la valeur », et au primat du « Buy » sur le « make » : il faut sans cesse externaliser et transformer radicalement l’entreprise, qui devient de plus en plus corps apparemment démembrée[6]. Le déséquilibre planétaire devient difficilement gérable et la production croissante voit ses débouchés se restreindre de façon massive.

Toutefois la crise est refoulée par la montée considérable du crédit et de l’endettement qui en découle : une bulle de dettes sur laquelle sont branchés tous les nouveaux instruments d’une créativité financière qui n’est plus muselée par la répression de jadis. Les salariés américains, dont beaucoup sont devenus précaires, continuent de consommer grâce au crédit. L’Etat fédéral poursuit ses dépenses militaires pharaoniques grâce à l’épargne chinoise. Dettes publiques et privées, s’épuisent à maintenir le niveau de demande mondiale globale garantissant la croissance de l’activité.

Cette dernière reste déséquilibrée en faveur des pays émergents (plus de 10% pour la Chine), avec toutefois maintien d’une croissance non négligeable, dopée par la dette dans les anciens pays développés (surtout les USA qui maintiennent durablement des taux supérieurs à 3%).

4) Mondialisation acte 3 : Explosion de la dette et fragile digue des Etats.

Inutile de rappeler les évènements de 2008/2009 tant ils sont connus. Les entrepreneurs politiques devenus dépendant de l’industrie financière, et parfois même se confondant avec les dirigeants de cette dernière, font le choix du « Bail-out ». Il en résulte que l’immense dette privée qui se cachait dans la bulle devient dette publique et vient accroitre le poids des charges qui accablaient déjà certains Etats fort endettés[7]. La spéculation sur la dette privée, devient aussi spéculation sur les dettes publiques, avec attaques sur les parties les plus fragiles de la grande digue des Etats : la dette européenne. La zone euro devient ainsi un lieu privilégié, avec prise de conscience par la spéculation que nombre de dettes publiques ne sont plus soutenables. Les entrepreneurs politiques de la zone, ardent défenseurs de la conception allemande de la monnaie, défense qui est aussi celle des grands gagnants de la mondialisation, adoptent à la hâte des mesures d’austérité visant à contenir la vague des déficits et le service de la dette correspondant. Chaque point de PIB de dépense publique gagnée dans la course à un désendettement impossible à atteindre, devient un point de demande globale en moins, d’où- sous l’effet du multiplicateur budgétaire-  l’aggravation de la crise. Ce qui était la première économie du monde devient la zone la plus dépressive du monde, zone qui en raison de son poids, vient affaisser des croissances mondiales déjà sur le déclin. Le prétendu « rétablissement », utilisant y compris des bricolages statistiques[8], n’est que l’aggravation planétaire de la crise. D’où la nécessité de construire de nouvelles digues.

5) Mondialisation acte 4 : La construction de la digue des banques centrales et ses effets.

Parce que la mondialisation est devenue une logique de destruction, creusant un fossé de plus en plus large, entre offre globale mondiale et demande globale mondiale, fossé que les Etats ne sont plus capables de combler par des déficits, il faudra mettre en ordre de bataille les banques centrales chargées de monétiser ou racheter de la dette. Cela commence très tôt avec la FED et 3 « quantitative easings » laquelle sera suivie par les banques d’Angleterre, puis du Japon et en enfin la BCE et ses « LTRO » et autre « OMT ». Le comblement du fossé entre offre globale et demande globale se mesure à la démesure croissante des bilans des dites banques centrales : plus du quart des PIB des Etats correspondants et la moitié du PIB japonais pour la banque du Japon.

Commencée avec la mise en place des autoroutes de la finance, et donc la fin de la répression financière et de l’euthanasie des rentiers, la mondialisation poursuit sa course destructrice en  revenant vers cette dernière  de façon imprévisible et inattendue : Les Etats, y compris ceux du sud de l’euro zone,  retrouvent des conditions d’endettement qui ne sont plus celles de la loi d’airain de la monnaie[9]. De la même façon les entreprises non financières voient leur rentabilité augmenter en raison de la baisse des taux[10]. A l’inverse, la menace est grande pour les fonds de pension à prestations définies et les compagnies d’assurances. La nouvelle euthanasie des rentiers permettrait ainsi de ne plus évoquer stupidement le « sacrifice des générations futures »- les ménages jeunes bénéficient de taux faibles- et l’égoïsme des ainés, qui cigales plus que fourmis, auraient scandaleusement endettés leur pays.

Conclusion

La nouvelle euthanasie des rentiers n’est pas celle obtenue à l’issue de la crise de 1929.

A l’échelle mondiale elle n’empêche nullement le fossé entre offre globale et demande globale de s’élargir : le processus de dislocation ne s’achève pas. Il est même conforté par la digue ultime des banques centrales….des établissements dont le passif n’est jamais exigible[11]… Plus clairement encore, la course à la baisse mondiale des salaires peut se poursuivre[12], et la logique de destruction continuer : expulsion de ceux qui bénéficiaient d’un Etat-providence, d’un emploi stable, d’une appartenance à la classe moyenne, etc. Mais aussi expulsion des entrepreneurs politiques classiques désormais supplantés par des gangs ou « formations prédatrices »[13] faites d’une élite mondialisée, hors-sol, bénéficiant de capacités systémiques surpuissantes et finalement peu maitrisables[14] : banquiers, juristes, comptables, mathématiciens, journalistes, dirigeants de grandes entreprises, informaticiens, physiciens, lobbyistes, etc.[15]. Au total expulsion de la démocratie au profit d’une oligarchie, avec maintien, voire sacralisation de droits de l’homme dans leurs versions les plus épurées, c’est-à-dire anglo-saxonnes.

Plus proche de l’Europe, cette euthanasie n’entraine évidement aucune solution à la crise de l’euro : les pays du sud ne peuvent en aucune façon espérer de soulagement dans la course à la baisse des salaires par une modification du taux de change : il faut imaginer l’impensable et le cruel retour à des époques que l’on croyait révolues. Non seulement l’Europe du sud doit accepter la dévaluation interne exigée par l’Allemagne[16], mais elle doit aussi subir les assauts d’un processus plus vaste encore, celui imposé par l’écart croissant entre offre et demande planétaire. Alors que la première euthanasie des rentiers correspondait à un moment d’inclusion de la plupart des groupes sociaux à l’intérieur de l’espace « Etat-Nation », la seconde procède par expulsion croissante.

Dernier point : la nouvelle euthanasie des rentiers ne peut être une incitation à l’investissement productif. Constatons que si la baisse des taux a permis aux entreprises non financières (ENF) d’accéder à une rentabilité plus élevée, l’investissement ne peut s’envisager sur la base d’une demande globale en réduction, déficit d’investissement qui en retour affaisse davantage encore la demande globale mondiale et fait grandir le fossé avec l’offre correspondante.[17]

Mais où se trouve donc l’économie de l’offre ?



[1]« Euthanasions les rentiers » ; Le Monde du 10 mai 2014.

[2] La plupart des 16 articles figurant sous cette rubrique fait mention d’une critique générale de la loi de Say. Ajoutons-y : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-mir-acles-de-l-offre-competitive-et-aggravation-de-la-crise-planetaire-de-surproduction-123382311.html.

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-d-airain-de-la-monnaie-medium-n-34-janvier-2013-114312510.html.

[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-agonie-du-fordisme-forme-de-l-etat-et-gigantisme-financier-2-77358419.html

[6] La « tête » dans un pays, un bras sur un autre dans un autre continent, une jambe dans un troisième, etc.

[7] D’autres qui l’étaient peu le deviennent brutalement en raison du sauvetage financier : USA, Irlande, Espagne, etc.

[8] Parmi ces derniers signalons la redéfinition des règles comptables pour le calcul des PIB, ce qui entraine une croissance « inédite », et les exceptions aux règles de calcul du déficit pour les pays les plus en difficulté notamment la Grèce. De quoi améliorer les images statistiques et donc de rassurer.

[9] D’où les prétendus retours triomphaux des Etats du sud de la zone euro qui connaissent des taux enfin abordables, tandis que la France n’a jamais connue de taux aussi bas qu’en ce printemps 2014.

[10] Cette baisse aurait représenté 20% de la croissance des entreprises américaines entre 2007 et 2012. Cf l’article de Martin Wolf déjà cité.

[11] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-oui-le-passif-d-une-banque-centrale-est-non-exigible-une-aubaine-pour-la-finance-121560542.html

[12] D’où le blocage des nouvelles et importantes classes moyennes des émergents : Chine, Brésil, etc. ..concurrencées par de nouveaux salariés des nouvelles périphéries : Vietnam, Bengladesh, Ethiopie,etc. Pour ne prendre qu’un exemple la nouvelle classe moyenne chinoise se trouve désormais exposée à la baisse des salaires américains (l’écart de cout unitaire étant passé de 17,1$ en 2005 à 6,9 en 2012…et disparaissant avec les couts de l’énergie d’où les nouveaux investissements chinois dans le sud des USA) mais aussi à l’énorme compétitivité de ses voisins immédiats (Vietnam et Cambodge) dont les salaires très inférieurs aux salaires chinois justifient les massives délocalisations chinoises vers ces pays pour l’industrie du jouet ou du textile.

[13] Terme emprunté à Saskia Sassen dans son ouvrage : « Expulsions. Brutality and complexity in the Global Economy »; Harvard University Press ; Mai 2014.

[14]L’industrie financière dérégulée est en effet non maitrisable y compris par ses acteurs, lesquels sont parfois inquiets d’une création à la fois voulue et subie. De la même façon qu’un accident nucléaire développe des évènements hors de contrôle, un accident financier développe des conséquences non planifiables.

[15] Cette élite mondialisée hors sol - bien sûr investie dans l’immense industrie financière -  n’est évidemment pas victime de l’euthanasie des rentiers. Cette élite vit en effet moins de taux que d’écarts de prix. Parce que l’industrie en question vit de la recherche de l’information, elle patauge nécessairement dans les marécages des délits d’initiés et autres conflits d’intérêt. C’est cette matière première qui fait l’immensité de sa prédation, une prédation vis-à-vis de  laquelle les « régulateurs » s’avèrent impuissants.

[16]Laquelle détenait le record des inégalités dans les grands pays industriels et vient seulement d’être rattrapée par les USA, ce qui explique aussi, partiellement, son attitude vis-à-vis d’une Grèce dont les ménages disposeraient d’un patrimoine trop important (Cf le rapport OCDE présenté dans les Echos des 2 et 3 mai 2014).

[17][17] Ajoutons que les investissements programmés ne sont pas orientés vers la productivité et, la  « destruction créatrice » chère à Schumpeter, est toujours annoncée… et peu constatée. Cf. à cet égard les thèses actuelles développées par Peter Thiel, Garry Kasparof, Robert Gordon mais aussi Jean Paul Pollin et tant d’autres, qui insistent sur l’idée de longue stagnation en matière de technologie et d’innovation. Ces idées sont aussi confirmées par l’estimation de la qualité des emplois crées en France à l’horizon 2018 (Cf rapport MCKinsey d’Avril 2014) qui révèlent clairement le choix de branches non porteuses de gains de productivité ( Maintenance et entretien, services aux particulier, hébergement et restauration, santé, etc.).

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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 04:20

Plutôt qu’étudier en profondeur la validité de la loi de Say, une bonne partie des théoriciens de l’offre continue à s’épancher sur les méfaits d’un keynésianisme qui, adapté à une reconstruction ou un rattrapage, deviendrait  inopérant dans  une économie de l’innovation.[1] En clair le texte de Franklin D. Roosevelt « Comment j’ai vaincu la crise » [2] serait aujourd’hui complètement inadapté.

 

 Prétendus méfaits d’un keynésianisme primaire.

La liste des méfaits d’une relance par la demande serait longue :

-Elle ne pourrait jouer positivement que si elle évite une montée des importations et donc se trouverait confortée par des entreprises domestiques plus compétitives, réalité qui supposerait une macroéconomie de l’offre. L’argument est fort et se trouve régulièrement repris par des auteurs qui constatent que c’est, curieusement, le keynésianisme français qui permet de rendre plus supportable les politiques d’austérité des pays du sud de la zone euro[3].

- La non réduction des dépenses publiques ne permettrait pas de relâcher la pression fiscale et ses effets d’encouragement sur l’offre et la compétitivité.

- Les politiques de subventionnement des entreprises ne permettent pas  une allocation optimale du capital (effets de rente ou de capture) et ses impacts sur une offre compétitive.

- Un smic trop élevé correspond à l’exclusion des jeunes et des travailleurs peu qualifiés, lesquels vont constituer une poche de pauvreté.

- Une demande trop sécurisée par une dépense publique abondante freine la concurrence, l’innovation, la productivité et la croissance. A titre d’exemple le poids garanti et croissant des dépenses d’éducation, n’empêcherait pas la diminution des performances des Tests PISA.

On pourrait multiplier les arguments visant à décrédibiliser le keynésianisme.

 

Prétendus bienfaits de l’offre compétitive.

A contrario, parce que la croissance nouvelle ne peut se nourrir d’une reconstruction ou d’un rattrapage, voire d’une simple généralisation d’une norme technologique[4], il serait nécessaire d’une part d’accroître la productivité de la machinerie gouvernementale  et, d’autre part,  d’adopter des mesures visant à accroitre la mobilité sociale.

L’amélioration de la productivité de la machinerie gouvernementale se matérialiserait par plusieurs canaux :

- La diminution de la pression fiscale, notamment sur le capital, permettrait l’encouragement de l’investissement et la croissance.

- la réorganisation de cette même pression en faveur d’outils dynamisant la croissance : orientation vers la TVA, vers les taxes sur les propriétés et transactions immobilières aux fins de décourager l’allocation de capital vers l’immobilier et favoriser l’entreprise, etc. Dans une perspective semblable on pourrait évoquer les mesures de simplifications administratives.

-  La suppression d’emplois publics dont les effets sur la demande globale sont immédiats permettrait toutefois une augmentation de l’offre de travail dans le secteur privé.

-  La réorganisation du système de soin passant par une réelle maitrise des dépenses et donc celles de la prescription médicale.

-  La réorganisation du système des retraites dont la simplification permettrait la fin de son illisibilité et des surcoûts de gestion qui lui sont associés. Cette réorganisation passerait probablement par une augmentation du nombre d’annuités  de cotisations.

 

L’accroissement de la mobilité sociale passerait elle aussi par de multiples canaux :

 - La réforme du marché du travail visant à augmenter le taux d’emploi des jeunes, à réduire la dualité du marché, à rendre efficace les dépenses de formation professionnelle, etc.

- La réorganisation du marché des biens et services avec la fin des professions fermées et branches d’activités sous régulation publique: énergie, distribution, industrie médicale, etc.

- La suppression des niches fiscales.

Nous retrouvons là nombre de propositions que l’on pouvait recenser dans le rapport Attali[5].

 

La bienfaitrice compétitivité… ou l’évidence suicidaire…

Bien évidemment les hausses de productivité sont intrinsèquement peu discutables : la machine économique globale est plus créatrice de richesse, si dans l’ensemble de ses composantes, il existe des diminutions de couts unitaires, soit par diminution de rentes organisationnelles soit par « destruction créatrice », ou diminution du coût direct du travail ou du capital. C’est au demeurant un tel processus qui a historiquement permis les 30 glorieuses du fordisme triomphant. Avec toutefois une condition fondamentale : l’offre toujours croissante et toujours plus compétitive, bénéficiait aussi d’une demande dont la croissance était elle-même planifiée et politiquement organisée à l’intérieur d’un espace défini comme « Etat-Nation ».

A l’époque c’est en rigidifiant les rémunérations que les débouchés d’une offre compétitive furent assurés : politiques de rémunération, développement d’annexes du salaire toujours plus importantes quantitativement et souvent assorties de clauses règlementaires fort contraignantes. Et ces éléments de rigidité furent introduits pour assurer – au sens de garantie assurantielle  indépendante de toute conjoncture économique-  ce qui ne l’était pas à l’aube du régime fordiste.

 Précisément, à cette époque – celle de l’aube du régime fordiste - existait ce que les marxistes appelaient une « contradiction entre la création et la réalisation de la valeur ». Le passage progressif au fordisme entrainait une augmentation considérable de la productivité dans les branches qui vivaient son éclosion, alors même que les rémunérations restaient celles de la période antérieure. A l’époque, sans augmentation rapide de la demande internationale, existait  un problème de débouchés, c’est-à-dire une demande insuffisante pour absorber une  production rapidement croissante. Cette contradiction devait engendrer la crise de 1929, laquelle sera finalement dépassée par la rigidification d’une demande dont la croissance devait suivre les gains de productivité. Cette dimension du problème bien perçue depuis fort longtemps est aujourd’hui complètement négligée par les théoriciens de l’offre[6].

Dans le contexte européen d’aujourd’hui, il faut pourtant signaler que cette compétitivité recherchée est davantage affaire de diminution de la rigidité des rémunérations que de réels gains de productivité[7]. Et donc la question se pose de savoir comment l’offre compétitive nouvelle, largement reflet d’une baisse globale des rémunérations, peut-elle se déployer et rencontrer les débouchés correspondants. Alors que jadis l’offre croissante se nourrissait de sécurisation de la demande, aujourd’hui elle semblerait se nourrir d’incertitudes elles-mêmes  effets de la flexibilité et de la baisse des rémunérations.[8] Le paradoxe de la situation ne peut être résolu que par le biais du recours aux exportations.

L’explication est simple : le débouché n’est plus local, mais mondial, il n’est garanti que par la  compétitivité. La libre circulation du capital permettant la dissémination des innovations de process et de production, il ne reste plus comme élément fondamental de différenciation que le niveau des rémunérations localement administrées. Cela signifie un marché intérieur déclinant au profit d’un marché extérieur croissant, avec toutes ses conséquences en termes de fin de l’auto centrage des activités au profit d’une extraversion vécue comme optimisation des chaines de la valeur. En clair il faut pour être compétitif, comprimer le marché intérieur (situation inverse de celle des trente glorieuses) qui seul pourra garantir la croissance des exportations. Jadis il fallait rigidifier et gonfler les rémunérations, aujourd’hui il faut les déréglementer et les diminuer. Jadis la compétitivité déployait ses effets revenus à l’intérieur du territoire de l’Etat- Nation. Aujourd’hui ses mêmes effets revenus ne sont plus maitrisables.

En mondialisation la compétitivité est incontournablecomme elle l’était au temps du vieux fordisme auto centré. Avec des conséquences très différentes : jadis la « destruction créatrice » engendrait mécaniquement une offre plus performante absorbée par une demande régulée, le tout se soldant par une croissance vigoureuse. Aujourd’hui, cette incontournable compétitivité, au-delà d’une tendance à la baisse planétaire des salaires,  se solde par une nouvelle contradiction entre la « création et la réalisation » donc une crise mondiale de surproduction[9], que la montée vertigineuse de la finance et de la dette tente vainement de gommer.

 

Miracles et destructions contagieuses.

Le théâtre planétaire de la crise de surproduction  est évidemment fortement contrasté. Ceux que l’on appelle les gagnants de la mondialisation, parce que plus compétitifs connaissent des taux de croissance très élevés et forts destructeurs pour les vieux pays qui n’arrivent pas assez vite dans la course à la baisse des rémunérations[10]. On notera toutefois que les zones de forte compétitivité se déplacent : La chine doit abandonner une partie de sa production textile au Bengladesh, au Cambodge, à l’Ethiopie, etc. Autant de déplacements engendrés par l’aggravation de la crise (les pays européens, notamment ceux du sud qui s’alignent sur la dominante de compétitivité offrent de moins en moins de débouchés aux émergents) et déplacements qui ne pourront que l’aggraver davantage encore : la Chine est elle- même invitée à fonctionner sur la base d’une dette continuellement croissante[11].

Il est donc logique que même les émergents les plus dynamiques finissent par rencontrer le piège de la crise : si la très forte croissance se fait quelque peur redistributive, cela signifie la perte de compétitivité et l’éloignement du miracle.

On comprend ici toute la difficulté du développement du marché intérieur chinois : celui-ci n’a de l’avenir qu’au prix d’un effondrement de compétitivité qui ne pourrait être combattu efficacement que par la construction d’un Etat-nation authentiquement fordien s’éloignant de la mondialisation…..

On comprend mieux aussi ce qu’on appelle la théorie du « piège du revenu intermédiaire [12]» qui s’étonne que les pays à forte croissance se trouvent soudainement bloqués lorsque le périmètre des classes moyenne,  suffisamment élargi,  concerne une part significative de la population. Ces pays, initialement bénéficiaires, c’est-à-dire ayant tiré leur épingle du jeu de la surproduction mondiale par rapport aux débouchés, en deviennent progressivement les nouvelles victimes. Après avoir longtemps exporté de la stagnation et importé de l’activité, la Chine est aujourd’hui de plus en plus obligée de créer localement de l’activité par des investissements publics lourds financés par de la dette. A contrario ses difficultés à exporter de la stagnation chez ses clients provoquent en retour de la stagnation chez ses fournisseurs, d’où un effet de dissémination de la crise[13].

La mondialisation a jusqu’ici imposé une compétitivité qui repose massivement sur la course à la baisse des rémunérations. Sa recherche éperdue qui a pris l’expression mondialement connue de « réformes structurelles » renforce la puissance de la grande crise des années 2010. La crise enlise les sociétés. Sortir de l’enlisement par les réformes structurelle consiste à passer du statut d’enlisé à celui d’englouti. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut rien réformer mais qu’il faut au préalable revoir complètement le cadre de l’actuelle mondialisation.



[1] Parmi les auteurs suspectant la non adaptation du keynésianisme nous avons au-delà des libéraux comme Hubert Landier et David Thesmar, des auteurs réformistes tels Philippe Aghion ou Gilbert Cette.

[2]« Comment j’ai vaincu la crise », ensemble de texte repris et publiés par Christian Chavagneux aux éditions  Les Petits Matins- Alternatives Economiques, 2014.

[3] Les tenants de ce point de vue sont par exemple en France Olivier Passet (XERFY) et Jean- Marc Vittori (Les Echos).

[4] Ce qui fut le cas du fordisme à l’issue de la seconde guerre mondiale. Notons au passage que les innovations de rupture sont aujourd’hui largement absentes et seraient à mettre en rapport avec le court-termisme de la finance ( cf l’article de Jean- Paul Pollin : « Mais où est passée la troisième révolution industrielle ?, Les Echos du 3/4/2014).

[5] Rapport sur la libération de la croissance française, La Documentation Française, 2008.

[6] Curieusement, dans les années 80 des économistes keynésiens- qui tout aussi curieusement   sont largement devenus des théoriciens de l’offre- ont lourdement insisté sur cet aspect des choses. Qu’on en juge : en parlant de cette période intermédiaire menant aux trente glorieuses, voici ce qu’écrivaient Jean-Hervé Lorenzi, Olivier Pastré et Joëlle Toledano : « Le taylorisme, mode de rationalisation du seul travail, définit les conditions d’une production de masse sans apporter une quelconque solution à l’écoulement de cette production. En cela, le taylorisme fait inconditionnellement sienne la célèbre loi des débouchés. La crise de 1929 va se charger de lui apporter le démenti des faits ». Cf  page 81 de : « La crise du XXIème siècle » Economica, 1980.

[7] Cf l’article de Jean Paul- Pollin déjà cité.

[8] Comment en effet comprendre que par exemple l’agence pour l’emploi grecque qui occupe dans des activités précaires 300000 chômeurs pour 486 euros versés pendant 5 mois peut faciliter les débouchés d’une offre compétitive nouvelle ?

[9]Christophe Ramaux note que la moitié de la consommation française (843 milliards d’euros sur 1673) est supportée par de la dépense publique) toute réduction de  cette dernière provoque des effets dépressifs. Cf  Le Monde du 19/4/2014 : « La dépense publique est un précieux levier de croissance ».

[10] Dans sa phase ultra-gagnante, la Chine a pu créer jusqu’à plus de 40 millions d’emplois par an…essentiellement dans des activités industrielles tournées vers l’exportation. De quoi considérer que la Chine exportait du chômage pour importer de l’emploi. Dans le même temps la sous consommation se développait : entre l’année 2000 et aujourd’hui la consommation passe de 50 à 35% du PIB.

[11] Cette dernière a commencé avec le pharaonique plan de relance de 2008 : 485 milliards d’euros …pour des infrastructures dont le taux d’engagement dans la réalité économique s’avère aujourd’hui problématique. Avec bien sûr une autre conséquence très lourde : l’accumulation de créances  douteuses, il est vrai garanties par une institution publique. Sans une fantastique accumulation de dettes, la croissance chinoise serait estimée à 3 ou 4% l’an.

[12] Le « Middle- income trap » fut identifié par Barry Eichegeen et repris par les travaux récents de Donghyun Park et Kwanho Shin.

[13] Selon le N° d’avril des « Perspectives économiques mondiales » du FMI, le recul de la croissance des émergents depuis 2012 est imputable pour 25% au ralentissement chinois. Phénomène qui va jusqu’à la désindustrialisation de ceux qui s’y étaient engagés : le Brésil par exemple. On pourrait multiplier les exemples. Ainsi le solde commercial entre l’Espagne et la France est passé d’un excédent (pour la France) de 6,3 milliards d’euros en 2007 à un déficit de 1,9 milliards entre mars 2013 et Mars 2014 : les réformes structurelles consistent ainsi à se passer les "patates chaudes" de la crise.

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1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 10:10

 

Dans la course à la dévaluation interne, le gouvernement espagnol semble vouloir frapper un grand coup en divisant par 4  les charges sur le salaire moyen[1]. Précisons que cette décision ne concerne que les emplois nouvellement crées sous la forme de CDI   ou de CDD de longue durée. Il s’agit donc d’une dévaluation à la marge concernant des flux et non des stocks comme c’est le cas pour la dévaluation interne française.

Quels sont les effets macro-économiques d’une telle décision ?

Deux scénarios se doivent d’être étudiés : le cout du travail ne baisse pas et la diminution des charges sociales est absorbée par une augmentation du salaire net. A l’inverse un scénario probablement plus réaliste part de l’hypothèse d’une baisse effective du cout du travail.

 

Scénario 1

La non dévaluation interne se traduit en marginal par une hausse du pouvoir d’achat et –toutes choses égales par ailleurs – par une aggravation des déficits publics.

A la marge, le supplément de demande globale résultant du pouvoir d’achat supplémentaire peut nourrir une offre supplémentaire, mais il n’existe aucune hausse de la compétitivité dans un contexte d’aggravation du déficit public[2], et de la dette publique[3].

Le scénario 2 est plus probable et aussi beaucoup plus intéressant.

 

Scénario 2 : la baisse du cout du travail.

Cette dernière développe des conséquences directes sur les entreprises, conséquences développant elles-mêmes des effets secondaires. Mais elle développe aussi des conséquences directes sur les Administrations Publiques, là aussi avec des effets secondaires.

A) Conséquences directes sur les entreprises et effets secondaires.

Les entreprises bénéficiant d’une marge plus importante peuvent la conserver ou, à l’inverse, la rétrocéder aux clients sous la forme d’une baisse de prix.

1) Le choix d’une conservation de la marge accrue.

Les prix restants inchangés, les profits augmentent. L’impact sur la demande globale dépend de l’affectation des profits : investissements nouveaux ? Ou épargne nouvelle à l’instar de ce qui se passe dans les grandes entreprises internationales? Et dans le cas de l’hypothèse d’investissements nouveaux, quel type ? Renouvellement ? Modernisation ? Capacité ? Degré d’attraction au regard des investisseurs étrangers ? Il est très difficile de répondre. L’offre devient plus compétitive mais peut-on faire confiance à la loi de Say ?

Maintenant que faut-il attendre des nouveaux salariés en termes de demande, le seul pouvoir d’achat supplémentaire n’étant que la différence entre le salaire nouveau et les anciennes prestations au titre du chômage ?

A l’international toutefois les choses sont plus claires et des investisseurs étrangers peuvent être attirés par des salaires devenant progressivement chinois à l’intérieur même du continent européen. La dévaluation interne espagnole peut donc redéfinir la fracturation des chaines mondiales de la valeur, avec des exportations supplémentaires et probablement les importations associées au surplus d’exportations. Dans ce cas il y a une compétitivité nouvelle, acquise au détriment des autres Etats devant encaisser une dégradation de leurs comptes extérieurs. C'est bien ce que confirme déjà les derniers chiffres de la balance courante espagnole avec un excédent de 7,1milliard d'euros constitué notamment par une croissance de 5,1% des exportations. Signalons aussi qu'une accumulation en 2013 de 88,8 de capitaux a probablement permise un début de reconfiguration des chaines de la valeur au bénéfice de l'Espagne.

2) Le choix d’une rétrocession de marge aux consommateurs.

Dans ce cas il y a baisse des prix à la marge (« le flux ») avec éventuelle concurrence déloyale au profit des entreprises redevables de charges inchangées (« le stock »). Un double effet « déflation/ hausse du pouvoir d’achat » s’enclenche sans qu’il soit possible d’énoncer un quelconque résultat sur la demande globale. Par contre au niveau international, si l’élasticité-prix des exportations est suffisante, il peut y avoir hausse de la demande et là aussi redéfinition de la fragmentation des chaines de valeurs.

B) Conséquences sur les Administrations Publiques et effets secondaires.

Les administrations publiques peuvent choisir d’aller jusqu’au bout du choix de la baisse du cout du travail et diminuent les prestations sociales (maladie, chômage, accident, vieillesse, etc.). Elles peuvent aussi choisir la voie d’une croissance de la dette.

1) Le choix d’une diminution des prestations sociales.

Les conséquences sont évidentes et les entités fournisseuses des services sociaux se heurtent à une perte de débouchés : Laboratoires pharmaceutiques et industrie médicale, établissements publics et privés d’accueil et de soins, entreprises dont le chiffre d’affaires repose sur les dépenses de revenus de transferts, etc. L’offre compétitive se heurte ainsi à une réduction de la demande globale.

2) Le choix de la croissance de la dette.

Dans ce scénario il n’y a pas véritablement baisse du coût total du travail, l’Etat-social se maintenant alors même qu’il a perdu une partie de son financement. Il n’existe donc pas de réduction de la demande globale et les effets signalés sur les entreprises ne sont pas pollués par une baisse des dépenses publiques.

 On peut observer que les Administrations Publiques espagnoles ont choisi un mix des deux solutions : durcissement des conditions d’accès aux revenus de substitution, aux soins médicaux, etc., et en même temps aggravation de la dette publique.

Conclusions.

La dévaluation interne espagnole est- elle un bon choix ?

Les développements précédents révèlent que la compétitivité recherchée n’apporte de solution satisfaisante en termes de dettes publiques et de chômage que si l’Espagne se construit des comptes extérieurs très fortement excédentaires. Un excédent lui-même issu d’une redéfinition des chaines de la valeur allant dans le sens de l’intérêt espagnol et donc au détriment des autres pays supports de la chaine. Le jeu est en effet à somme nulle y compris pour les plus compétitifs[4]. Ainsi l’Allemagne, grande animatrice des chaines européennes de la valeur, peut elle-même connaitre de nouvelles vagues de délocalisations vers une Espagne devenue Chine de L’Europe. Plus l’Europe reste la pointe avancée de la mondialisation et plus elle entre- plus que d’autres pays qui ont conservé au moins partiellement le stade de l’Etat-Nation -  dans une « coopération » improductive.

Le chômage, qui frappe 26% des actifs alors même que la population totale diminue[5], et la question de la dette ne peuvent être réglés par la compétitivité que si les autres pays acceptent le mercantilisme espagnol sans réagir. La baisse de la part des salaires dans le PIB - baisse partout constatée[6]- n’est pas le reflet d’un néo machinisme devenu puissance informatique ou « deuxième ère des machines » détruisant et abaissant mécaniquement le taux de salaire[7]. Ces phénomènes résultent bien plutôt de la forme prise par la mondialisation, forme dans laquelle les salaires ont perdu leur statut de débouché.[8]

Les entrepreneurs politiques espagnols en concurrence avec les entrepreneurs politiques des autres pays de la zone euro semblent vouloir devenir les champions de la course à la dévaluation interne. Se faisant - aussi en raison du poids de l’Espagne dans la zone euro[9] - ils aggravent, plus que d’autres, la crise générale et le risque de déflation[10], y compris là où la croissance – certes timide-  existe encore[11].

Cette stratégie suicidaire de la zone euro est, en raison de la disparition de toute politique monétaire, plus radicale que dans le reste du monde et correspond aussi, à la fin des classes moyennes que le Fordisme des trente glorieuses avait générées[12].

 



[1] Dans sa déclaration du 24 février dernier, Mariano Rajoy annonce que toute création d’emploi sera assortie d’un prélèvement unique de 100 euros par mois. Ainsi pour un salaire annuel brut de 20000 euros, les charges passeraient de 5700 à 1200 euros, soit une diminution de 75%. Cette mesure assez radicale de dévaluation prolonge et développe la course à la baisse du taux de salaire en Espagne. Aujourd’hui 50% des offres d’emplois sont proposées à moins de 1000 euros/mois, elles ne représentaient que 30% début 2013.

[2] - 5,8 points de PIB pour 2014 et en prévision – 6,5 pour 2015.

[3] 99 points de PIB pour 2014 et en prévision 103 pour 2015

[5] Solde migratoire négatif de 118238 personnes pour le seul premier semestre 2013.

[6] Cf L’Organisation Mondiale du Travail (OIT) et son Rapport Mondial sur les Salaires 2012/2013 qui évoque la diminution de la part salariale dans la valeur Ajoutée, réalité statistique parfois contestée.

[7] Question débattue depuis Ricardo en passant par le regretté Alfred Sauvy (« La machine et le chômage », Bordas/Dunod 1980) et aujourd’hui des membres du MIT comme Erik Brynjolfsson ou Andrew Mcafee.

[8] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-a-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html

[9] 12 points de PIB de la zone.

[10] Selon l’office fédéral des Statistiques, la hausse des prix  en Allemagne se rapproche dangereusement de la zone déflationniste : 1,4% en Décembre, 1,3 en Janvier, et 1,2 en février. Dans le même temps les salaires réels ont diminué  (-0,2%) en 2013.

[11] 0,4 points en Allemagne pour l’année 2013.

[12] Sur la fin des classes moyennes on pourra se reporter sur 2 ouvrages récents : « Average is Over. Powering America Beyond the Age of the Great Stagnation », Tyler Cowen, Dutton 2013 ; et « Broke. Who Killed the Middle Classes”, David Boyle, Fourth Estate,2013.

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29 janvier 2014 3 29 /01 /janvier /2014 09:17

 

  A plusieurs reprises, nous avons souligné la cause profonde de la grande crise, à savoir un choix de mondialisation oubliant dans l'explosion des échanges, la question fondamentale des balances des comptes courants de ce qui reste, les Etats-Nations.

Naguère, pour un bon keynésien, il fallait maitriser la demande interne en fonction de deux objectifs: sa capacité à offrir une quantité suffisante de débouchés internes (objectif 1)... dans la limite du risque d'inondation par les importations (objectif 2). A l'exception du seul pays à monnaie de réserve (les USA), il fallait pour les autres pays développés veiller à ce que la demande globale, largement travaillée par la construction d'un Etat-Social ne débouche pas sur un déséquilibre extérieur engendré par des flux d'importations trop importants.La France est historiquement l'un des pays qui a porté le plus loin possible ce keynésianisme en édifiant un grand Etat-social, ce dernier représentant aujourd'hui 33% de PIB contre une moyenne de 21,6% pour les pays de l'OCDE. Bien évidemment avec la sous-productivité qui, logiquement, caractérise tout système public: Absence du signaux envoyés par les  prix, privilége des structures monopolistiques, faible mise en situation de responsabilisation des acteurs, etc. De quoi engendrer sur les marchés politiques des rentes  solides. En contre partie, il est vrai qu'en privilégiant l'objectif 1 ci-dessus désigné, l'objectif 2 ne s'est maintenu qu'en ayant traditionnellement recours à des dévaluations. Autant de manipulations monétaires qui correspondent au coût d'opportunité de la construction d'un grand Etat social hors marché. 

En mondialisation non régulée, ce qui va compter est moins la demande domestique que la demande mondiale. Il faut donc une offre compétitive et davantage favoriser les exportations, les importations s'auto-limitant par la forte pression sur les salaires résultant de la mise en concurrence de l'ensemble de la main d'oeuvre mondiale. Tous limitent les importations par maitrise de la masse salariale, et tous favorisent les exportations aussi par maitrise de cette même masse salariale. La mondialisation est, par principe, l'avènement de l'économie de l'offre...et une offre par nature excédentaire en raison du choix organisationnel dans lequel elle va se déployer. D'où la crise générale et mondiale de surproduction que nous avons souvent évoquée dans le blog.

Charles Gave dans "Avis de Tempête" qu'il publie dans son Blog "Institut des Libertés" reprend très curieusement ce raisonnement à propos des doutes qui se manifestent de plus en plus clairement sur les émergents. Très curieusement, car de fait, et peut-être inconsciemment, il nie la loi des débouchés de J-B Say, alors qu'étant défenseur du libéralisme, il est officiellement un économiste de l'offre.

Son raisonnement est le suivant:

La politique monétaire américaine a permis d'affaisser durablement le dollar. A moyen terme, cette dévaluation a renforcé la compétitivité US, faisant passer le déficit des comptes courants de 7 points de PIB en 2006 à moins de 3 en 2013. La contrepartie dirait un économiste Keynésien correspond à 4 points de PIB américain que les pays émergents ne peuvent plus produire, ce qui entraine chez eux un effondrement de la croissance. Raisonnement Keynésien que Charles Gave reprend complètement en allant même plus loin. Et il est vrai que nous avons les enchainements logiques suivants:

Perte de PIB acquis sur les USA: 

             --> Recession

             --> Perte des débouchés américains = déséquilibre extérieur

             --> Politique restrictive pour comprimer la demande interne

              --> Baisse des importations

             --> Contagion récessionniste

Pendant de très nombreuses années, le déficit américain a permis à l'ensemble des emergents d'acquérir des points de PIB payés par de la dette américaine. Sans cette dette, les émergents auraient été invités à se développer sur la base d'un modèle beaucoup plus auto-centré.

Charles Gave en conclut brillamment que, chaque fois que le déficit américain se réduit,

 

   

   il en résulte une crise financière ainsi que l'atteste le schéma ci-dessus, extrait du site "Institut des Libertés". De fait cette crise financière doit être lue comme difficulté de la résolution des excédents de production par rapport à la demande globale. Difficultés croissantes avec le temps. Onubre Einz confirme ce résultat en montrant que pour 2013 il a fallu 2,5 dollars de dette publique supplémentaire pour créer un dollar additionnel de PIB américain. 

Bien évidemment le choix de la mondialisation dérégulée (celle qui fût historiquement validée) l'a emporté sur celui de la mondialisation préservant l'équilibre des comptes courants et donc les Etat-nations. La raison en est simple: nombre de groupes d'acteurs y avaient intérêt.

Bien évidemment les entrepreneurs économiques les plus dynamiques, qui par la liberté des mouvements de capitaux pouvaient bénéficier des zones de bas salaires.

Tout aussi évidemment les entrepreneurs de la finance qui -bien avant de se gaver de dettes publiques qu'ils allaient contribuer à générer-  avaient intérêt à la mise en place de structures monétaires et financières régulées par le seul marché afin d'engendrer "l'insécurité" que l'on pourra ensuite "revendre" comme produits de couverture et d'assurance.

Mais aussi les épargnants qui vont bénéficier des produits souvent complexes générés par des dettes de plus en plus importantes.

Peut-être même certains salariés qui vont béneficier de la "plus value relative" découverte par Marx il y a près de deux siècles en captant du pouvoir d'achat sur des marchandises importées à coûts dérisoires.

Et peut-être  également les entrepreneurs politiques des vieux Etat-Nations qui pourront offrir des produits de compromis - et beaucoup de rentes petites et grandes - à cet étrange attelage dont la convergence des intérêts n'est évidemment qu'une façade bien lézardée.

Le pouvoir médiatique - lui-même issu d'un capital approprié essentiellement par les entrepreneurs de l'économie et de la finance- se chargera de la promotion de l'idéologie d'un intérêt général- à défaut, celui du célèbre TINA ("There is no alternative) -  pour justifier le nouvel arrangement institutionnel ainsi créé. 

On notera que cette mondialisation dérégulée construite de façon adémocratique en Occident - avec sa pointe avancée dans ce modèle réduit presque parfait (théoriquement) qu'est l'eurozone - ne fut évidemment pas discutée là où elle s'est imposée dans le reste du monde. Les zones nouvelles de développement qui devaient devenir "les émergents" furent arrimées à la mondialisation alors même qu'elles étaient pour l'essentiel constituées de systèmes politiques dictatoriaux.

Le fonctionnement de la mondialisation dérégulée produit ainsi des déséquilibres qui ne sont contenus qu'en les élargissant: la croissance vertigineuse de la dette planétaire, les politiques d'ajustement structurels et d'austérité, et bien sûr leurs effets en termes de tensions sociétales croissantes.

De ce point de vue, les vieux Etats-Nations situés dans cette pointe avancée de la mondialisation qu'est l'euro-zone, sont plus particulièrement touchés: ils connaissaient - en particulier la France -  plus que d'autres la vieille cohérence de l'idée de nation et avaient depuis longtemps dépassé les déséquilibres macro-économiques.

Parce que la mondialisation dérégulée crée dans son fonctionnement plus de déséquilibres et de tensions sociétales, elle développe, en particulier en France des signes de grande dislocation: décrédibilisation générale de l'entrepreneuriat politique, cohabitation difficile entre laïcité et religions réarmées par la violence de la crise, contestation croissante de l'impôt et des formes collectives de protection contre les risques de la vie, développement de l'anomie et effacement de la frontière entre le légal et l'illégal ou le bien et le mal, résistance -face à cette anomie- par défense parfois violente des traditions domestiques ou des communautés renaissantes, etc. De quoi retrouver bientôt le tableau de Hobbes.

Mais de quoi aussi trouver le tableau assez présent de Heidegger:"Tout fonctionne. Voilà ce qui est précisément inquiétant, que cela fonctionne et que le fonctionnement pousse sans cesse plus loin vers plus de fonctionnement encore".

 

 

 

 

 

 

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20 septembre 2013 5 20 /09 /septembre /2013 22:00

 

Alain Touraine vient de publier au SEUIL un très long ouvrage (656 pages) intitulé « La fin des sociétés ». Ce livre présenté comme le couronnement théorique de son œuvre peut aussi se percevoir comme ouvrage d’économie dans la mesure où l’apparition de nouveaux acteurs du jeu social permettrait le redressement économique, comme ce fut – selon l’auteur - le cas à la fin de la seconde guerre mondiale avec l’émergence d’un cycle nouveau appelé les « trente glorieuses ».

Ces nouveaux individus sont ce qu’Alain Touraine appelle depuis de très nombreuses années le « retour de l’acteur », acteurs collectifs , capables d’engendrer une fin de crise par la promulgation de nouveaux droits issus de principes éthiques. Et l’auteur voit dans l’émergence de pôles de résistance à la mécanique infernale de la crise – ce qu’on a appelé par exemple les mouvements d’indignés de la Puerta Del Sol ou les militants des printemps arabes – les prémisses d’une réorganisation générale des règles de fonctionnement de l’économie.

Nous voudrions, dans le présent texte, évoquer l’intérêt et les limites de la construction d’Alain Touraine.

Exprimer pour un sociologue l’idée de « fin des sociétés », de « l’après social », et même d’individus acteurs autonomisés par rapport au social est évidemment énigmatique et tendrait à le rapprocher du paradigme libéral d’entrée dans la connaissance des phénomènes sociaux. En ce sens l’acteur d’Alain Touraine est-il comparable à celui des libertariens tel celui analysé par un Friedrich A. Hayek ? Pour en juger il faut en revenir sur la vision libérale en particulier celle Hayekienne des mécanismes de l’inter-action sociale .

 

L’individu et le social chez Hayek

 

La première grande idée est que le jeu social n'est pas une construction humaine mais se trouve être le produit d'une évolution non rationnelle. D’où sa célèbre  critique de Descartes.

 Le rationalisme cartésien n'est pas scientifiquement acceptable pour Hayek et  les institutions critiquées par l’auteur du Discours de la Méthode ne sont pas le fait d'une construction humaine maladroite, construction qu’il faudrait revoir, alors qu'en réalité la société n'a jamais été fabriquée par un quelconque architecte, et qu'il est toujours tout aussi impossible de la fabriquer aujourd’hui.

Les hommes ne peuvent pas bâtir consciemment un ordre social complet à la manière d'une machine tout simplement parce que la société dépasse l'entendement. Alors qu’il est possible de maîtriser toute la technique permettant la construction d’une machine, il est impossible de maîtriser la technique humaine et maîtriser tout le savoir humain. Ainsi je ne puis, pense Hayek- remplacer le marché par une super planification car je ne puis maîtriser toutes les connaissances particulières qui fabriquent le marché.

La seconde grande idée est que l’évolution non rationnelle de l'humanité n'est que le résultat d'essais et d'erreurs, idée dont on voit déjà qu’elle éloignera complètement Hayek des théories normatives si souvent  rencontrées dans les sciences humaines, et théories qui décrédibilisent leurs auteurs : La science n’a pas à dire ce qu’il faut faire mais à dévoiler ce qui est.

Selon Hayek, pour comprendre le lien social et la coopération, il faut comprendre la logique de l'action des hommes. Et cette action doit être sous-tendue par une logique de perception : j'agis en fonction de ce que je crois être la situation.

Précisément la connaissance de la situation est souvent un savoir pratique non sous- tendu par un savoir théorique et rationnel. Ainsi le bon joueur de billard réussit des coups sans passer par une connaissance très complexe de la mécanique et qui plus est, son intelligence   est peu mobilisée .

Il existerait donc un savoir pratique conditionné par la présence dans le cerveau de ce que Hayek appelle  "schèmes",  c'est à dire une réalité mentale capable d'associer directement à la perception d'un certain type de situation, un certain type de réponse adaptée. Un schème est donc tout simplement une « carte »  permettant de se repérer et de se situer par rapport à l'extérieur.

Ces schèmes qui permettent de percevoir les situations, sont complètement associés à d'autres schèmes qui impliquent l'action et souvent il y a intégration des deux catégories, car la perception suppose aussi l'action: regarder suppose de s'orienter, toucher suppose un geste de la main etc..

La « perception-action » serait adaptative dans le sens de la conservation de la vie. Ainsi, Il y aurait progressivement sélection naturelle de la bonne perception et de la bonne action , bonne en ce sens qu'elle permet de réussir et d'être efficace  au regard de la protection de la vie .

Cela se comprend aisément. Si le schème ( la « carte » ) qui  permet de se situer est erroné en ce qu'il ne  renseigne pas correctement le sujet , l’intégrité physique peut-être menacée. Par exemple le risque d'être renversé par une voiture si l’acteur ne se rend pas compte qu’il marche au beau milieu d'une route.

Mais cette adaptation ne serait pas aussi frustre, en particulier chez l'homme, et ne se ramènerait pas toujours à un réflexe. Les schèmes pourraient être d'une grande perfection, et ainsi percevoir qu'aucune situation n'est exactement semblable à une autre, ce qui  entraînerait une action spécifique et donc une grande variété de comportements adaptés. Et cette adaptation se réaliserait au travers d'essais et d'erreurs qui vont représenter selon Hayek le processus d'évolution.

Par exemple, pour en revenir au jeu de billard, la situation n'est jamais exactement la même (les boules ne sont jamais les unes par rapport aux autres dans la même situation) et au schème de perception ( ce qui procure la « carte » ) va correspondre un schème d'action complètement spécifique ( les coups ne sont jamais les mêmes ) et pourtant effectués sans calcul fastidieux .

Pour Hayek, les schèmes encadrent la conscience et celle-ci n'émerge que lorsque l'environnement ne correspond pas exactement aux anticipations des schèmes, donc lorsqu'il y a un imprévu.

Ainsi, dans le cas de la conduite automobile, il y a bien en permanence perception et action dans le sens de la conservation de la vie, toutefois la conduite est très largement automatique et donc relativement inconsciente. Ce n'est que lorsqu'un événement imprévu se manifeste ( un obstacle par exemple) que l'on sort d'une certaine torpeur et qu'il y a prise de conscience.

 Il y aurait donc des règles inconscientes qui guident notre action, des automatismes qui peuvent être chez l'homme la morale ou le droit. Ces éléments, Morale et droit, seraient très largement des guides à notre action, et des guides relativement inconscients. Et il s'agirait bien de schèmes d'action: à la lecture du réel (schème de perception, ) correspondrait un schème d'action "programmé" par la morale ou le droit. La morale ou le droit  font en effet, que face à telle ou telle situation ,l'action appropriée est orientée de telle ou telle façon. Constatons que cette conclusion hayékienne nous éloigne de l’individualisme méthodologique classique.

 

Mais morale et droit nous font déjà passer à la logique de l’interaction sociale.

 

Selon Hayek Il existerait une classe particulière de schèmes de perception et d’action, ceux permettant la communication, et donc le lien social, et qui seraient probablement des schèmes communs capables de nous comprendre, c'est à dire de comprendre l'autre. Et cette compréhension est encore une fois du savoir pratique que nul ne pourrait expliquer. Ainsi, par exemple, nous repérons l'humeur de l'autre à tel ou tel mouvement de son visage, mais s'il s'agit d'une connaissance le plus souvent vraie, on est bien incapable de  démontrer sa justesse par le raisonnement. La rationalité est ici impuissante.

Comment puis-je me guider par rapport à autrui? Précisément parce qu'il y a des schèmes communs, je puis dans une certaine mesure, prévoir le comportement de mes semblables, en particulier le fait que ces derniers s'abstiendront de certains types d'actions. Il y aurait alors des règles d'action qu'on appellera des "règles de juste conduite" et qui représenteraient un éventail de possibles.

L'éventail des possibles est donc ce qui permet la survie du groupe ou plus exactement la coopération entre les hommes : je puis élaborer des plans d'action car je sais que mon partenaire doit plutôt se comporter de telle ou telle façon.

 

Cet éventail des possibles serait dessiné par des schèmes, dont le contenu est fait de morale, de valeurs, de préceptes ou de règles qui se sont révélés bénéfiques pour le maintien du groupe humain considéré. Cet ensemble qui correspond aussi aux "règles du jeu" dans une société donnée, serait constitué de prescriptions génériques , censées s'appliquer à un nombre indéterminé de cas et d'individus: "respecter ses parents ","ne pas voler ou tuer ","aimer sa patrie", "gagner son pain à la sueur de son front" etc.. Et la conscience – selon Hayek- apparaît sur cet humus, c'est à dire que ce que nous appelons  " Raison " reposerait sur ces schèmes qui se seraient révélés bénéfiques au cours du temps.

Dit autrement, ce qu'on appelle Raison est encadré par ces prescriptions qui sont un peu le logiciel de la société considérée. Au fond, pour bien traduire Hayek, la raison travaille à l'intérieur et avec un « logiciel », de la même façon que l’on peut écrire un livre de philosophie à l'intérieur et avec un logiciel de traitement de textes.

De tout ceci, il résulte que contrairement à ce que pensait Descartes, la culture au sens le plus général, et les institutions humaines ne sont pas une construction qu'il faudrait remanier. De la même façon que pour écrire un livre nous restons prisonniers d’un "traitement de textes", nous restons prisonniers de notre culture et des institutions qui lui correspondent. Bien sûr cette culture et ces institutions ont été in fine  des structures construites par les hommes, mais elles constituent un cadre d'action sur lequel on ne saurait agir.

 

Pour Hayek la particularité de ces  structures, est  qu’elles sont à la fois ni naturelles ni artificielles.

Non naturelles car elles ne dépendent pas de l'environnement de façon  mécanique et ne sont pas intériorisées dans des gènes. Concrètement les règles morales ne sont pas inscrites dans les chromosomes, la preuve en est qu'il faut les enseigner. Cela s'appelle l'éducation.

Non artificielles, car il s'agit de structures qui "débordent" le cerveau humain et qui s'imposent à lui. Nul acteur de la société n’est ainsi capable de rompre avec sa culture. Sans doute ces structures, culture ou règles de juste conduite, dépendent de l'action des hommes, pour autant elles ne résultent pas de leurs intentions.       

 Morale, droit ,langage ,et d'une manière générale culture ,sont entre la nature et l'artificiel ,entre l'inné ou l'instinct et la raison. C'est cet  "entre -deux" qui permet à Hayek de construire une théorie de l'évolution culturelle.

C’est que les règles de juste conduite rendant possible l'interaction humaine évoluent dans le temps. Et une  évolution qui n'est ni    Darwinienne, ni planifiée par un organisateur.  Ce ne peut en toute hypothèse être un "organisateur" qui a inventé le jeu social, puisque la société humaine naissante, était déjà société -donc avec des règles- alors même que "l'organisateur" n'était point né .Esprit et société sont le résultat d'une coévolution, et donc le premier ne peut précéder la seconde.

S'il existe un ordre social, s’il existe une société, c'est que les schèmes de perception et d'action ne débouchent pas sur le chaos. Ainsi la règle "tuer l'autre " ou "fuir l'autre" empêcherait toute forme de coopération humaine. Et donc ces "règles là" n'avaient à priori aucun avenir.

Et la règle n'est pas inventée à priori, mais bien plutôt sélectionnée à postériori, à la faveur d'un processus d'essais et d'erreurs. Les règles permettant la coopération, ont donc été progressivement "filtrées" en raison de leur efficience sans bien sûr qu'il  y ait enracinement biologique.

A la place d'un enracinement biologique, il y a retransmission des règles sous la forme de valeurs ou de normes, et cette retransmission ne s'effectue que si un comportement nouveau s'est généralisé et s'est révélé bénéfique au groupe. Dès que le comportement nouveau est devenu norme, la société "compte sur lui" et le reproduit jusqu'au moment où il sera supplanté par une nouvelle norme plus efficiente pour le groupe.

Il existerait donc selon Hayek  une logique auto-organisatrice de l'ordre social de laquelle il est possible d'extraire quelques idées:

- c’est l'efficience du groupe - efficience par rapport à son environnement qui est le critère de sélection des règles. Si une règle nouvelle profitable pour un individu, mais nuisible pour le groupe émerge, elle ne deviendra jamais norme sociale.

-Une règle ne s'apprécie jamais de façon intrinsèque, elle ne s'apprécie que dans un contexte de règles déjà existantes et d'un environnement. C'est la raison pour laquelle les normes sociales sont différentes d'un groupe à l'autre, d'une civilisation à l'autre.

- L’individu n'a pas besoin de comprendre comment fonctionne le groupe pour contribuer à le faire fonctionner. Il croit agir comme il l'entend mais sa conduite- qu'il peut croire éventuellement libre- est de fait inscrit dans les règles faisant émerger l'ordre social. Il ne sait donc pas qu'il contribue à reproduire la société, et ignore la genèse et le pourquoi des règles qu'il respecte et reproduit. Il sait seulement qu'il faut se comporter de telle ou telle façon.

-Les règles efficientes sont fixées par causalité circulaire. Le passage de la conduite innovante à la norme, est aidé par des mécanismes (louange ou blâme)   qui assurent l'imitation des comportements bénéfiques pour les nouveaux arrivants dans le groupe. Ces mécanismes, permettent  une vitesse d'évolution plus grande que dans la biologie et des groupes moins efficients, peuvent intégrer les règles de groupes plus efficients, ce qui est un processus courant dans l'histoire des civilisations.

 

Voici sans doute trop brièvement résumé le point de vue Hayekien concernant l’interaction sociale. Ce qu’il convient de retenir, est que l’individualisme méthodologique généralement présenté comme socle de la théorie économique dominante, est un objet à nuancer. On pourrait même imaginer un certain rapprochement e,ntre règles de juste conduite, et le concept "d’Habitus", chez un Bourdieu pourtant fort éloigné d’Hayek.

Il existe dans toute organisation un éventail des possibles, dont l’envers est un ensemble d’interdits ou de comportements sans avenir, car non validés et généralisés à l’ensemble du groupe. Il existe donc pour reprendre la terminologie de Touraine un acteur chez Hayek, mais c’est acteur est socialement inséré et tenu de respecter les règles de juste conduite.

Qu’en est-il de l’acteur chez Touraine ?

 

 

L’individu et le social chez Alain Touraine

 

 

Il n’existe pas chez Touraine une théorie de l’acteur aussi élaborée que chez Hayek. Le « retour de l’acteur » est chez lui une volonté de réaction à la sociologie dominante des années 80, notamment celle du structuralisme, laquelle faisait du sujet un individu qui n’était rien d’autre que le produit des structures sociales. Ce dernier, désigné par l’expression « d’acteur » par Alain Touraine, n’est pas nécessairement individu isolé. Il est à l’inverse souvent  un collectif, non pas détaché du système social pris dans son ensemble- ce qui correspondrait à une variété d’individualisme méthodologique- mais un collectif qui n’est pas non plus la simple production de ce même système.

De ce point de vue, il y a une certaine parenté entre Hayek et Touraine : il existe un espace de liberté pour les individus, espace constituant un éventail des possibles.

Il existe toutefois une grande différence car le système social de Touraine, système qu’Hayek appelle ordre social, voire « ordre » tout court, est fait de conflits et de hiérarchies toujours discutées et contestées. Réalité qui pour autant ne fera pas de lui un marxiste car, pour Touraine, l’économie ne fait plus le grand principe d’organisation de la société. Il s’agit d’une différence importante avec Hayek pour qui les règles de juste conduite débouchent logiquement – et « idéalistement » pourrait-on dire – sur un « ordre spontané » qui est un ordre de marché, dans lequel chacun retire son épingle du jeu, sans aboutir à une société de classes antagonistes.

 

Ce qui est une réalité d’évidence chez Touraine – les acteurs sont naturellement en lutte dans un monde conflictuel – est à l’inverse un accident regrettable chez Hayek : Les règles de juste conduite peuvent connaitre un effet de cancérisation faisant émerger l’Etat, et ce qu’il appelle « une route de la servitude ». Ce qu’il appelle aussi le passage de « l’ordre spontané » - monde idéal et aussi idéel fait de règles simplement prohibitives, non finalisées, abstraites, universelles et permanentes – à « l’ordre organisé » qui est l’évolution monstrueuse du premier avec des règles finalisées – celles de l’Etat organisateur et prédateur- et règles non universelles et donc particulières assorties d’un niveau de contrôle élevé.

Ce qui est une dérive pour Hayek est la norme pour Touraine. Et cette norme serait devenue aujourd’hui objet en crise en raison de la globalisation: un phénomène entrainant la destruction des sociétés. Le phénomène n’est pas analysé et ne fait pas l’objet d’une démarche cognitive, par contre il se trouve abondamment décrit. C’est ainsi que l’on apprend que la globalisation économique, aurait engendrée une dissociation de la société et des moyens de l’Etat, en raison de l’autonomisation de la sphère de l’économie financière. Et une dissociation qui développerait une destruction des institutions sociales, dont l’école, la famille, la ville, la démocratie, la politique, etc. Il s’agirait donc de penser l’après social, sans même comprendre en profondeur les mécanismes de la crise.

Admettant sans l’expliquer, que la sphère marchande et financière n’est plus orientée vers la sphère sociale et politique, il voit dans cette séparation la progression d’un individualisme de consommation, facteur de désocialisation, et -plus encore - l’affirmation de cultures communautaristes orientées vers un repli identitaire. De façon plus générale, la crise développe chez les acteurs des conséquences différentes selon leur degré de résistance à la mondialisation productiviste : un individualisme radical chez les plus forts, les plus habiles, ou les plus chanceux, notamment ceux que l’on désigne maintenant par l’expression de « hors sol », et un repli communautaire pour les plus faibles, assignés sur leur lieu d’existence, tout en étant durablement éloignés du monde salarial .

Cette double réponse à la crise (hédonisme de l’individualisme de consommation et affirmation d’une appartenance à une catégorie) ne serait que la conséquence d’un problème et non sa solution.

D’où l’idée que la réponse se fera en termes de valeurs éthiques qui, progressivement ,viendront contester le modèle de pouvoir et de profit qui se dégage de la mondialisation. La solution à la crise de 1929 s’est imaginée sur la base de l’édification d’un Etat social, la solution à la présente crise se construisant sur la base d’une résistance éthique au pouvoir et au profit.

 Les acteurs du 21ième siècle sont ainsi, delon Touraine, demandeurs de nouveaux droits –qui ne sont plus ceux obtenus au cours des 30 glorieuses- et droits dont on va  affirmer qu’ils doivent être "au- dessus des lois". La conception rationaliste et utilitariste de la société qui était la trame des règles du jeu social et donc du droit ( Droit de propriété, liberté contractuelle, garantie du respect des contrats, etc.) doit être surplombée par une éthique garantissant de nouveaux droits. Et, ce serait cette éthique, qui se manifesterait dans de nouvelles revendications d’acteurs : manifestants de la place Tahrir au Caire, d’occupy Wall Street, ceux de Moscou contestant la réélection de Poutine, etc.

Resterait à comprendre comment les indignés engendrent une masse croissante  de dissidents, qui deviendront susceptibles d’imposer de nouveaux « droits au-dessus des lois ». Touraine pense que la vague de la dissidence- laquelle n’est pas une révolution au sens habituel du terme- découle assez naturellement de l’effacement progressif des vieilles instances de socialisation – famille , école, religion, lesquelles n’assurent plus la socialisation classique, ne sont plus capables d’orienter l’ensemble des conduites individuelles et collectives. Incapacité que l’on pourrait, pour mieux comprendre, comparer à celle d’une photocopieuse, dont la cartouche d’encre presque vide, ne produit plus que des documents de plus en plus pâles et illisibles.

Cela signifierait que, désormais les conduites sociales s’expliqueraient de moins en moins par le social – par la position des acteurs dans un champ de luttes objectives, telle une lutte de classes – et de plus en plus en des termes subjectifs personnels et éthiques. Les liens sociaux seraient ainsi de moins en moins lisibles au regard de statuts et d’appartenance à des institutions, et de plus en plus au regard de proximités affinitaires dans lesquelles l’égalité joue un rôle central. On ne veut plus être le salarié X ou Y, mais une personne singulière, d’où l’idée de subjectivation généralisée. Il n’y aurait donc plus de grandes luttes entre employeurs et salariés, mais des conflits aux fins  d’être reconnus dans la singularité individuelle de chacun : « moi, je veux être ».

 

Bien évidemment nous imaginons dépasser ici l’individualisme méthodologique Hayékien : l’éventail des possibles est-il plus large chez Touraine ? On pourrait le penser, puisque nous assisterions à la naissance, et peut-être la généralisation, de conduites et comportements qui ne sont plus guidés par des références sociales. Classe sociale, fonctions, rôles, statuts  sont de moins en moins les point d’ancrages des choix, lesquels désormais, se fixent sur la base d’une subjectivation du vécu.

Bien évidemment la question est de savoir si les dissidents vont devenir une nouvelle force sociale capable de renverser, ou plus modestement de contenir, le pouvoir économique  et financier. Et c’est ici que les choses peuvent paraitre beaucoup plus complexes que ne le pense Alain Touraine.  Certes l’auteur sent la difficulté, d’autant que la croyance collective au progrès, et en une possible révolution y conduisant, a disparue.

 

Comment donc créer une force sociale nouvelle à partir d’une rupture avec le social ? Comment passer d’une culture du désengagement, voire du doute, à celle d’un engagement ? Touraine pense que l’exacerbation de l’individualisme consumériste, peut aussi être une force revendicative : les individus consommateurs, veulent aussi être reconnus dans leur personnalité entière, et la généralisation de l’amour de soi, peut devenir problème ou nouveau problème de société.

L’auteur appuie ce qu’il croit être sa démonstration à partir de très nombreux exemples, dont celui  sans doute pertinent de la sexualité. Ainsi parce que la fonction sociale de la sexualité aurait disparue- instance essentielle dans un monde encore ancré dans l’organisation politique de la reproduction – elle devient du même coup, une dimension essentielle de la personnalité, et doit être reconnue sur la base d’un principe d’égalité des pratiques. Si la sexualité n’est plus un fait social sous contrôle, alors dans un monde devenu individualiste,  elle doit faire l’objet d’une reconnaissance égale qu’elles qu’en soient les pratiques. Et une reconnaissance égale qui deviendrait une pièce d’un nouvel universel à établir en tant qu’élément constitutif de droits de l’homme, que l’on complète et qu’on universalise davantage.

Le titre du livre d’Alain Touraine – « La fin des sociétés » - est bien sûr une provocation, puisque l’ouvrage se termine sur la base d’une refonte du contrat social. Pour autant, le réengagement à partir de considérations éthiques est-il susceptible d’éradiquer la crise économique ?

 

L’ Eradication de  la crise chez Touraine : un processus peu déchiffrable.

 

 

Peu déchiffrable tout d’abord parce que l’interaction sociale, telle que présentée par l’auteur, fait trop peu de place à l’analyse de la crise. Et, de ce point de vue, l’analyse Hayékienne permet d’appréhender de manière beaucoup satisfaisante la crise en tant que crise de la mondialisation.

Sans doute Hayek refuse  t-il d’analyser les conflits d’intérêts. Pour autant, c’est bien son analyse de l’interaction sociale qui permet de comprendre l’engendrement d’un ordre, qu’il rejette sans doute en raison de sa foi libérale,  mais qui historiquement est devenu majoritaire : l’ordre organisé de société.

Dans cet ordre  - sans doute mieux analysé dans son mouvement historique par Robert Nozick -  est apparu ce que nous appelons la « grande aventure de l’Etat », avec appropriation, par divers groupes sociaux, des outils de la contrainte publique. Touraine aurait pu ainsi introduire ces « acteurs » dans un jeu social complexe, faisant apparaitre ce que nous avons appelé les « producteurs de l’universel » ou les « entrepreneurs politique », les « producteurs de biens économiques », et l’immense catégorie des « citoyens/salariés/consommateurs/épargnants», laquelle se subdivise en groupes sociaux - pour reprendre le langage de Touraine-  dont les intérêts peuvent historiquement, parfois converger, et parfois diverger .

Ce que Touraine  appelle ainsi la fin de la société, ou la crise, n’est rien d’autre qu’un nouveau jeu social, avec irruption de nouvelles règles de juste conduite, entrainant une nouvelle forme d’Etat que nous avons qualifié "d’oligarchique". Il n’existe pas véritablement de destruction du social, simplement la mondialisation en a changé les règles, avec ce qui peut apparaitre des incohérences et des conflits d’intérêts à l’intérieur d’une même classe sociale, par exemple conflits entre la fonction épargne, la fonction consommation, la fonction salariale et la fonction citoyenne. Toutes choses que nous avons analysé dans notre article : « Le Monde tel qu’il est ». Et c’est aux acteurs de réinterprêter cet ensemble, en faisant émerger par innovation de nouvelles règles de juste conduite, lesquelles peuvent être celles tant mises en avant par Touraine à savoir l’éthique.

Sans doute la crise est-elle bien un processus de dislocation probablement planétaire, mais ce processus n’est guère analysé par Touraine, et ne permet pas de voir qu’il s’agit de nouvelles formes de captation des Etats par des groupes en lutte, certains cherchant à se reconduire au pouvoir ( entrepreneurs politiques), d’autres achetant les outils juridiques de la mondialisation (groupe mondialiste de la finance et des entrepreneurs économiques qui vont tenter d’utiliser les outils de la contrainte publique à leur profit), d’autres encore essayant d’en négocier le prix à leur avantage (consommateurs/ épargnants), tandis que d’autres résistent en tentant de capturer une partie de l’Etat social ( salariés, chômeurs, etc.). L’ensemble, se soldant par une production mondiale excédentaire par rapport aux revenus distribués, que compense une dette publique régulièrement ascendante.

 D’une certaine façon, la lecture de la crise est  simple, et le travail d’Alain Touraine  serait davantage compris, si un effort de présentation des mécanismes figurait dans le livre. Et ce travail était nécessaire, car il aurait débouché sur des nuances concernant le désengagement des acteurs. C’est que les marchés politiques ne sont pas, contrairement à l’ analyse d’Alain Touraine, universellement désertés. Il y a simplement changement des acteurs, avec l’émergence de groupes extrêmement engagés dans des activités de capture de la réglementation.

 

Mais l’éradication de la crise, est aussi peu déchiffrable chez Alain Touraine car le mouvement imaginé  : désengagement puis réengagement des acteurs, n’a rien d’évident. S’il y a bien dislocation et désordre, le processus de réengagement imaginé par Touraine, relève au moins pour partie d’un soubassement normatif dans la plupart des analyses : Les désengagés, en raison aussi d’un consumérisme croissant reposant sur le strict individualisme, en seront amenés à faire prévaloir de nouvelles valeurs universelles. Un raisonnement différent, pourrait entrainer de toutes autres conclusions.

 

Ainsi dans le langage de René Girard, le désordre de la crise peut tout aussi bien entrainer par mimétisme, l’émergence de boucs émissaires. Les valeurs véhiculées par l’idéal productiviste et consumériste, peuvent nourrir la stigmatisation de groupes sociaux qui ne les respectent pas. C’est d’ailleurs le point de vue d’un sociologue,  certes moins célèbre qu’Alain Touraine ( François Miquet Marty qui vient de publier : « Les nouvelles passions françaises- Refonder la société et sortir de la crise » aux éditions Michalon).Dans ce cas, les nouvelles éthiques proposées deviennent des projets de société plus difficiles : les « hors sol », peuvent ainsi mépriser la cohorte toujours plus nombreuses des assistés et autres inutiles au monde qui négligent l’effort et le travail. Les insérés dans le rapport salarial, peuvent mépriser les chômeurs et autres étrangers oisifs et irrespectueux. Etc.

 

L’issue de la grande crise des années 2010 n’a donc rien d’évident, et il reste très difficile d’écrire l’histoire avant que celle-ci ne se soit déployée.

 

 

 

           

 

 

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24 juillet 2013 3 24 /07 /juillet /2013 15:39

 

Derrière le débat concernant le redressement productif il y a celui de la ré industrialisation, celui de la relocalisation d’activités industrielles et en conséquence celui d’un rééquilibrage de la balance commerciale. De façon plus savante et probablement plus synthétique il y a celui du « re-noircissement »  de la matrice des échanges interindustriels[1].

Logiquement dans un espace mondialisé, cette matrice a tendance à se « blanchir », les échanges entre branches d’activités au sein d’un espace national tendant à s’appauvrir avec l’allongement de chaines de la valeur devenues mondiales. Concrètement les différentes branches d’activité, au sens de la comptabilité nationale, ne se créent plus mutuellement des débouchés et connaissent des liaisons aussi bien en amont qu’en aval avec un espace mondialisé. D’où la célèbre expression de Pascal Lamy : « made in the world ».

Au blanchiment de la matrice des échanges interindustriels devait correspondre un allongement de plus en plus important des chaines de la valeur et en conséquence un  blanchiment des matrices de la plupart des pays jouant le jeu de la mondialisation. Seule une matrice mondiale, si elle était construite par des comptables mondiaux comme il existe encore des comptables nationaux, pourrait être noire.

L’optimisation des chaines de la valeur, travail devenu celui d’entreprises spécialisées qui vendent leurs conseils, repose bien évidemment sur une question de coûts et de calculs de risques. Dans ce cadre chaque pays se trouve progressivement spécialisé dans son espace de compétence spécifique, et le produit final voit son coût unitaire mondial le plus faible possible.

Ce bref et très partiel exposé de ce qu’est la mondialisation industrielle explique déjà qu’un objectif macroéconomique de rééquilibrage des comptes extérieurs n’est pas simple. Une marchandise mondiale, assemblée dans un pays A, exportable mondialement et produite à partir d’importations de composants eux-mêmes mondialisés, agit simultanément sur les importations et les exportations du pays considéré. Cette marchandise ne peut s’exporter sans difficultés, c’est-à-dire de façon compétitive, que si la chaine de la valeur correspondante, parce que  bien optimisée, laisse des importations de composants eux même très compétitifs. D’où le titre d’un article paru récemment : « Cessons de craindre l’envolée des importations »[2]. Cela signifie par conséquent qu’en mondialisation, être plus compétitif et exporter davantage suppose aussi d’importer plus. Exportations et importations ne sont donc pas des variables indépendantes et le flux d’exportations dépend aussi – parmi d’autres variables- de la capacité à importer davantage. La capacité à exporter d’un pays en mondialisation dépend ainsi de la compétitivité de toutes les consommations intermédiaires générées sur les chaines mondialisées de la valeur.

Rééquilibrer une balance déficitaire par relocalisations d’activités- par exemple impulsées par des politiques publiques- n’est donc pas simple puisque, toutes choses égales par ailleurs, à une diminution des importations correspondantes peut logiquement succéder une diminution du flux des exportations. Bien sûr il peut y avoir des exceptions et cas particuliers, qui toutefois ne mettent pas en question l’essentiel du raisonnement[3].

A taux de change inchangé, une relocalisation n’est efficace que si elle s’effectue spontanément par le jeu de la compétitivité : telle maillon de la chaine mondiale est devenu moins compétitif que ce qui pourrait- être nationalement obtenu. Il s’ensuit naturellement un meilleur équilibre de la balance.

Toujours à taux de change inchangé, on peut imaginer que la partie nationale de la chaine devienne elle- même plus compétitive. On assiste là aussi à une amélioration de la balance.

On comprend toutefois, qu’en matière de relocalisation les possibilités se trouvent limitées puisqu’il faudrait que le pays dispose d’un avantage comparatif dans tous les domaines  où nombre de pays se sont spécialisés : devenir meilleur simultanément dans plusieurs domaines où d’autres pays s’étaient spécialisés. Un peu comme si, pour reprendre le célèbre exemple de Ricardo, l’Angleterre devenait meilleure que le Portugal , et pour la production de drap et pour la production de vin. Sans évidemment compter que les relocalisations devraient logiquement entrainer des réactions de compétitivité de la part de ceux qui vivraient une délocalisation. Signalons aussi que dans un certain nombre d’activités, notamment celles liées aux nouvelles technologies de l’internet, il est très difficile de relocaliser ce qui n’est pas localisable et qui plus est, fonctionne à rendements croissants et donc à coûts unitaires continuellement décroissants.

Maintenant il est sans doute vrai que d’autres nouvelles technologies – par exemple l’imprimante 3D- peuvent rebattre toutes les cartes et redessiner les chaines de la valeur. Dans le même sens et sans doute de façon plus globale, le passage d’une « mass production » à une « mass personalization », hypothèse chère à Peter Marsch[4]redessinerait aussi les chaines de la valeur avec l’apparition de micro-multinationales. Mais tout cela reste de la simple conjecture et surtout concerne le temps long.

En conséquence une stratégie de relocalisation et de rééquilibrage des comptes suppose une modification des taux de change. Si une modification externe du taux de change ne peut être obtenue en raison d’une base monétaire unique, il ne reste que la dévaluation interne laquelle passe par une diminution du coût du travail, assortie d’une flexibilité suffisante des prix. Il s’agit de la stratégie menée dans toute l’Europe et en particulier dans sa partie sud.

Même en  supposant  que cette stratégie développe la compétitivité, il ne peut s’en suivre une réelle sortie de crise. C’est que le redressement productif est appelé à  se dérouler dans le lit d’une concurrence généralisée qui réduit le salaire à sa seule dimension coût alors que dans l’espace plus national des 30 glorieuses, la dimension débouché était essentielle dans la régulation globale. Plus grave, un redressement productif sur base de dévaluation interne ne peut qu’aggraver la crise générale de surproduction mondiale, les pays dits émergents devant souffrir d’une perte de débouchés chez les « pays en voie de redressement productif ». Les chinois peuvent ainsi s’inquiéter d’une potentielle nouvelle compétitivité européenne les empêchant de ravitailler la grande distribution dont la clientèle est la masse des salariés européens munis de rémunérations  déjà diminuées.

Accroissement de la contradiction mondiale entre offre globale planétaire de marchandises et demande globale planétaire correspondante, mais aussi redressement productif régressif puisqu’il faut revenir sur ce qu’avaient autorisé les 30 glorieuses à savoir la hausse continue des rémunérations. En mondialisation acceptée, le re-noircissement de la matrice des échanges interindustriels ne peut se réaliser que sur base régressive. Et une régressivité d’autant plus lourde que l’Etat doit lui-même connaitre une dévaluation sur la base d’une fiscalité plus faible nourrissant la chute des prix internes et la compétitivité externe. Comme cette compétitivité externe doit aussi passer par des investissements d’infrastructures et d’avenir que l’Etat ne peut plus réaliser, il s’agit bien d’une adaptation régressive. Concrètement, l’Espagne ou la Grèce sont invités à se réindustrialiser dans un contexte qui ne justifie pas l’investissement privé et réduit drastiquement l’investissement public[5]. Le redressement productif est donc, sans changement fondamental des règles du jeu, un processus d’adaptation régressive à la mondialisation.

 



[1] A l’époque des 30 glorieuses, les spécialistes de ce qu’on appelait le « Développement » faisaient de l’examen de la matrice des échanges interindustriels un critère décisif, permettant de distinguer pays développés et pays en voie de développement. A l’époque, la notion de pays émergent ne figurait pas dans le vocabulaire des économistes. Un pays développé était ainsi un pays dont la matrice des échanges était « noire ». On voulait par cette expression, signifier  la présence de la  plupart des branches assortie de forts coefficients de liaisons entre –elles. Toutes les cases de la matrice étaient ainsi chargées de chiffres attestant de l’importance des liaisons interindustrielles. Parce que peu de cases étaient vides, on parlait de « matrice noire », à l’opposé de ce que l’on rencontrait dans les pays dits « sous- développés ». Dans ces conditions ce qu’on appelait « développement » était affaire de noircissement de la matrice. D’où toute une série de théories très utilitaires de politiques de développement, dont celle des « industries industrialisantes» restée célèbre par la planification autoritaire qu’elle supposait et ses échecs retentissants.

[2] Agnés Benassy dans « Les Echos » du 13 mars 2013.

[3] C’est par exemple le cas américain qui en raison de la révolution énergétique en cours connait un processus de relocalisation et aussi des capacités exportatrices nouvelles résultant d’une nouvelle compétitivité apportée par l’effondrement des coûts du gaz.

[4] « The new industrial révolution – Consumers, Globalization, and the end of mass production”; Yale University press; Yalebooks.com; 2013.

[5] Selon le FMI, sur une base 100 en 2008, la FBCF en Grèce ne sera que de 40 en 2013, la consommation des ménages passant dans le même temps à moins de 70. Chiffres confirmés par Eurostats qui divise par 2 la FBCF courante de la Grèce entre les deux dates. Notons aussi que l’Espagne- dont on loue dans la presse le renouveau industriel et sa marche vers l’équilibre des comptes extérieurs- se trouve dans une situation assez comparable avec un recul, toujours d’après Eurostats, de 41% de la FBCF entre 2008 et 2013.

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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 14:38

La société française est bien une exception: c'est elle qui historiquement a engendré la modernité ou le grand basculement du monde. En supprimant, il y a plus de deux siècles, une monarchie de droit divin, les sujets de l'époque - tout au moins certains d'entre eux -  ont brutalement pris conscience que le monde des humains avec ses règles et institutions n'avait rien de naturel et qu'il était une construction humaine. La modernité était née et nous n'avons pas tout de suite pris conscience de sa radicalité.

 

Si, effectivement, ce qui gère les rapports des hommes entre eux ( règles de droit, de pouvoir, habitudes, normes sociales y compris celles de l'espace domestique, valeurs et croyances, etc.) est une construction humaine, alors tout relève de l'arbitraire humain et tout peut être contesté et soumis à changements. La modernité naissante - celle de l'été 1789-  ne pouvait se borner à l'émergence d'une simple monarchie constitutionnelle et se devait d'être un processus beaucoup plus révolutionnaire dont le mariage pour tous devait en être un sous-produit parmi tant d'autres passés et à venir.

 

Les résistants à l'avalanche de la modernité ont  historiquement  connu une très longue série  d'échecs ou de replis dont le dernier en date est celui de la promulgation d'une loi concernant le mariage des homosexuels. Les débats concernant ladite loi se sont bien inscrits sur le même terrain ouvert en 1789: il existe des rapports domestiques qui relèvent de la nature et celle-ci est un sanctuaire qui ne peut être soumis à l'arbitraire d'une loi qui ne serait pas simplement déclarative de l'ordre naturel. Et puisqu'il fallait bien reculer comme ce fut toujours le cas depuis 1789, il fallait au moins que cette loi soit autre que celle promulguée par une simple majorité parlementaire. D'où l'idée de référendum.

 

Il n'est pas étrange que les groupes opposés au mariage pour tous flirtent aussi avec certains défenseurs de l'écologie qui n'acceptent pas que la nature puisse être aussi réduite et transformée par la grande machine de la modernité. Parce que dans le programme de cette dernière tout peut être transformée alors la nature devient elle-même assemblage technologique que l'on peut domestiquer ou reconfigurer. Ce que ne peuvent accepter les conservateurs pré-modernes.

 

Ces mêmes groupes sont parfois génés dans ce domaine particulier de l'interaction sociale qu'est l'économie. Plutôt conservateurs, ils se méfient de la mondialisation dont les acteurs sont beaucoup moins génés par une modernité dont ils n'ont pas connu l'acte de naissance: ne pas être français c'est ne point être enkylosé par une trop lourde histoire. D'où un mariage pour tous plus facile à obtenir dans nombre de pays occidentaux dont la culture est pourtant souvent conservatrice (Belgique Espagne,etc.)

Pour autant ces groupes de résistants français ne s'attaquent pas  à la dérive délinquante de la mondialisation financière.  Atteints malgré eux par la modernité triomphante, ils pensent sans doute sincèrement que l'économie et ses lois relèvent de la nature, et qu'à ce titre rien ne peut être fait pour en transformer le fonctionnement. Etre simplement keynésien n'est  pas envisageable pour ces résistants.

Ce faisant ils ne sont pas complètement séparés de ceux qui, continuant à croire aux mérites grandioses de la modernité, se sont trouvés bloqués par les mirages de l'économie : tout, absolument tout, peut être transformé, mais les lois de l'économie sont devenues pour eux aussi sacralisées que les princes de naguère. On peut légiférer sur le mariage, mais arrêter le glissement massif du secteur bancaire vers la délinquance est hors de portée pour ces défenseurs de la modernité.

Cette très vieille opposition entre groupes sociaux antagonistes fait le bonheur des vrais prédateurs.

Immanence et transcendance sont de très lours poids pour l'humanité. Plus particulièrement en France.

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28 mars 2013 4 28 /03 /mars /2013 18:06

 

 

 

 

Le système financier de Chypre bénéficiait d’un soutien exceptionnel à la liquidité bancaire depuis le Haircut grec. Ce soutien appelé  « Emergency Liquidity Assistance » est prévu par les statuts de la BCE et se trouve explicité dans un numéro de son Bulletin mensuel[1].

 

Un dispositif détourné de ces objectifs règlementaires

 

Dans le cadre de cette action les Banques centrales nationales sont entièrement autonomes mais sont tenues de respecter quelques principes : assistance aux problèmes de liquidité ne pouvant se régler sur le marché interbancaire, ce qui signifie bien évidemment un interdit absolu d’aide en situation d’insolvabilité, caractère exceptionnel et très temporaire de l’aide, taux pénalisant, et remise d’un collatéral de qualité.

 

Ce dispositif fût utilisé -sans en respecter les contraintes et donc d’une certaine façon illégalement – par la Banque centrale d’Irlande au début de l’année 2011 pour un montant de 70 milliards d’euros.

 

Ce même dispositif fût  utilisé par la Banque centrale de Chypre pour un montant de 9,2 milliards d’euros, soit relativement beaucoup plus que dans le cas Irlandais (54% du PIB contre « seulement » 33% pour l’Irlande)[2]. On ignore comment se déroule cette gigantesque création monétaire puisque l’opacité de la Banque centrale fait qu’aucune information n’est fournie sur la qualité du collatéral fourni par les bénéficiaires. On peut toutefois penser que les actifs remis notamment par Laïki Bank et Bank of Cyprus sont de qualité bien plus douteuse encore que ce qui avait été imaginé pour l’Irlande. Surtout le potentiel de l’Irlande est très supérieur en ce que ce dernier pays dispose d’une réelle compétitivité qui se matérialise par une légère  croissance de son PIB[3].

 

C’est probablement en raison de la gravité de la situation chypriote, elle-même pimentée par la réputation de lessiveuse de capitaux douteux, qui a déclenché l’ultimatum de la BCE et la « solution » que l’on connait.

 

Il convient toutefois de réfléchir sur la nature profonde de  cette massive création monétaire, et aux armes géopolitiques qu’elle peut donner aux entrepreneurs politiques russes.

 

Une véritable dilution de la monnaie unique

 

Nous ne sommes pas ici dans la situation classique d’émission monétaire accompagnant la croissance du PIB par le financement d’investissements dans l’économie réelle. Dans le classique système des réserves fractionnaires, les crédits à l’économie font les dépôts, et la Banque centrale accompagne le mouvement, par émission de monnaie légale issue de la production croissante de richesse. Si maintenant le revenu correspondant est entièrement dépensé, l’émission monétaire se trouve pleinement justifiée. Le statut de prêteur en dernier ressort, qui accompagne la croissance monétaire et la richesse distribuée qu’elle autorise, n’est donc  pas équivalent à celui de faussaire , ou d’acteur chargé de la  dilution des monnaies.

 

Historiquement, la dilution était pratique courante chez ces ancêtres des Banques centrales qu’étaient les hôtels des monnaies, ou plus tard, lorsque les modernes instituts d’émission étaient soumis aux entrepreneurs politiques, eux-mêmes aux prises avec des circonstances exceptionnelles.

 

Les statuts de la BCE n’évoquent évidemment pas le terme de dilution et s’en tiennent à priori au retour de la dure « loi d’airain de la monnaie »[4]. Pour autant les récents dispositifs mis en place, dont les LTRO , l’OMT et surtout le mécanisme appliqué à Chypre relèvent complètement du mécanisme de la dilution. Accepter  sans haircut de la part de Laïki Bank ou de Bank of Cyprus du collatéral exprimé en dette publique grecque, ou en dette privée non recouvrable, correspond très exactement à l’équivalent de l’amoindrissement de la teneur des pièces, refondues dans les ateliers de rénovation monétaire du moyen âge. Les quantités astronomiques de nouveaux euros généreusement distribués- notamment à Laïki Bank - sont invisiblement allégées comme l’étaient les nouvelles pièces sortant des ateliers de rénovation monétaire.[5]

 

La fin de la double lessiveuse

 

Le système bancaire chypriote est ainsi devenu le mécanisme de la double lessiveuse : du côté du passif du bilan on blanchit des dépôts, tandis que du côté de l’actif, autre forme de blanchiement, on requalifie la composition en échangeant des titres démonétisés contre de la monnaie légale. Et parce que le dispositif de dilution fonctionne, alors fonctionne celui du lessivage d’argent sale. Et un fonctionnement qui s’est accéléré dès juin 2012 : si des doutes se manifestent chez les déposants d’argent sale en raison d’interrogations sur le bien-fondé du dispositif ELA, il faut davantage soutenir le système  en renforçant la tuyauterie qui le relie à la Banque centrale. D’une certaine façon la situation ne pouvait pas durer et la BCE ne pouvait, en ne respectant pas ses propres règles de fonctionnement,  devenir complice actif de la lessiveuse. Nous disons bien actif, car auparavant, et ce jusqu’à la crise grecque elle n’embrassait  que le statut de complicité passive et se contentait simplement de fermer les yeux.

 

L’accord conclu le 22 mars dernier est exceptionnellement douloureux pour Chypre et pourrait sans doute être gommé, si un tel processus d’effacement devait correspondre aux intérêts des entrepreneurs politiques russes.

 

Hypothèse d'un ELA nouveau et possible avenir russe

 

Comme pour tous les Etats, quel qu’en soit son stade de développement, La fiction d’un intérêt général existe en Russie[6], fiction utilisée à des fins privées, comme partout ailleurs, par des entrepreneurs politiques. Dans le cas particulier de la Russie, la question est de savoir jusqu’à quel point le président russe peut  protéger  ses oligarques sans remettre en cause l’idéologie d’un intérêt général.

 

 De ce point de vue, mettre en avant le fait que la fuite des capitaux vers Chypre n’est que temporaire en ce que l’île est le premier investisseur étranger en Russie, et surtout avoir la possibilité de la détacher de l’Union européenne et l’arrimer à l’orbite russe, constituent un produit politique de premier choix[7]. Produit qui peut présenter un coût dans la question des rapports avec la Turquie, et coût difficile à estimer.

 

L’intérêt géopolitique des entrepreneurs politiques russes pourrait alors correspondre a un schéma financier que l’on peut brièvement décrire.

 

Dans un premier temps, la Banque centrale de Russie dont le gouverneur nouveau est peu indépendant[8], reçoit l’ordre de se substituer à la BCE dans le programme ELA. Concrètement des dépôts sont ouverts au passif de la BCR[9], dépôts alimentés par pure création monétaire au profit des banques chypriotes fonctionnant traditionnellement comme lessiveuse.

 

Aucun collatéral n’étant exigé, les banques chypriotes redeviennent solvables et sont heureuses de répondre positivement à l’offre de la BCR. Comme elles l’étaient quand la Banque centrale de Chypre alimentait généreusement leurs comptes .Le grand mensonge sur les respect de la loi d'airain de la monnaie ne saurait être le monopole de la BCE, et la BCR peut devenir un redoutable concurrent. 

 

Les dépôts des oligarques sont ainsi sécurisés et peuvent continuer à alimenter les investissements sur le territoire russe. Ils peuvent aussi être convertis en devises dans le cadre de la bande de fluctuation du rouble.

 

Chypre peut rester dans la zone euro et il est difficile pour la BCE de ne pas accepter la situation nouvelle engendrée par la BCR.

 

Bien évidemment le gouvernement chypriote et l’ensemble de la population de l’île peuvent se féliciter du sauvetage de Chypre par le gouvernement russe. Avec les conséquences que l’on peut imaginer…y compris sur le terrain des facilités militaires…

 

Ce schéma n’est évidemment que de la simple et trop facile prospective sur le fonctionnement à venir des marchés politiques.

 

Il montre néanmoins toute la fragilité de la construction européenne et en particulier de sa zone euro, dans sa présente configuration. Une monnaie, faut-il le rappeler est un objet politique central[10] : l’euro protégé et surtout englué dans une gigantesque technocratie est une monnaie orpheline et de redoutables prédateurs peuvent en abuser.

 

Il démasque aussi l’idéologie de la mondialisation : les Etats ne disparaissent pas et ne font que se reconfigurer avec la montée de l’économicité planétaire. Et dans une telle configuration, l’abandon du pouvoir monétaire est une catastrophe dont les conséquences relèvent aussi de considérations géopolitiques.

 

Les dirigeants européens ne comprennent pas la nécessaire congruence entre la monnaie européenne et la  souveraineté qui doit lui correspondre. La monnaie unique ne peut être qu’une fin de parcours politique : elle ne peut fonctionner que dans le cadre d’un grand Etat européen, un grand Etat dont la construction est aujourd’hui encore complètement irréaliste[11].

 

 

 

 

 



[1] Bulletin de Février 2007, pages 80 et 81.

[2] Le PIB Irlandais se montait à 217 milliards en 2011.

[3] Un peu plus de 1% pour 2013

[4] Cf jean Claude Werrebrouck dans le numéro 34 de la revue Médium pages 101-119, Janvier-février-mars 2013

[5]  Avec au moyen- âge, probablement plus de discernement : la dilution n’a jamais représenté en quelques mois 54% du PIB de l’époque.

[6]Cf :  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-euro-certains-furent-davantage-que-passagers-clandestins-45077391.html

[7]Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html

[8] Madame Elvira Nabioullina a été nommée gouverneur le 12 mars dernier par le président Poutine et a pour mission de baisser les taux pour relancer la croissance.

[9] Banque Centrale de Russie

[10] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-monnaie-bien-sous-tutelle-ou-objet-politique-central-115094856.html

[11] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-peut-on-fonder-un-ordre-europeen-rawlsien-114879217.html

 

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23 mars 2013 6 23 /03 /mars /2013 23:00

La crise chypriote est un bon motif pour reprendre des textes publiés depuis plusieurs années sur ce Blog. Le très court article suivant fait mention de réflexions antérieures qui permettent de bien comprendre le monde tel qu'il est.

 

 

La monnaie est bel et bien un objet politique central et le spectacle de la rue à Chypre est bien là pour nous le confirmer. Sa pénurie fait disparaitre l'ordre politique et un gouvernement régulièrement élu et surtout très fraichement élu - moins de 3 semaines - perd immédiatement toute légitimité.

Comme l'euro de Chypre, est comme tous les Euros, à savoir non pas une monnaie locale mais une monnaie moderne qui est donc aussi réserve de valeur, la violence à venir ne provient pas seulement de la disparition de la monnaie, mais de l'évaporation des patrimoines.

Si la monnaie chypriote était simplement monnaie locale, les billets en circulation pourraient assurer normalement le lien social. Et c'est du reste, ce qui se manifeste encore plus ou moins, dans les rues de Nicosie : on accepte les paiements en liquide qui, eux-mêmes, assureront d'autres paiements.

 Malheureusement, les billets sont aussi réserve de valeur et donc non seulement ils ne représentent qu'une faible part de la masse monétaire totale, mais au-delà, ils ont tendance à être thésaurisés. Il ne peut donc en résulter qu'une diminution drastique des échanges et, pour les moins pourvus, le recours à la seule violence : des magasins devraient logiquement être dévalisés si une solution rapide n'est pas imaginée. Toujours dette diablesse de "loi d'airain de la monnaie"!

Sans la présence d'une aide russe -question difficile car il n'est pas simple de savoir si le pouvoir correspondant représente d'autres forces que les seuls oligarques utilisateurs de la "lessiveuse" chypriote- le scénario le plus probable est, à court terme, le suivant : Les entrepreneurs politiques chypriotes vont porter sur la table bruxelloise un ensemble de coquilles vides - fonds national de solidarité, taxations de comptes au delà d'un certain montant, création d'une Bad Bank, etc. - mais coquilles qui permettront probablement au terme d'une négociation et d'une décision prise comme d'habitude à l'unanimité , de gagner une fois de plus un peu de temps. Et, devant un accord aussi unanime, la BCE s'empressera de maintenir le dispositif ELA ("Emergency  Liquidity Assistance").

Malheureusement le mal est fait et il sera difficile de rétablir l'ordre politique et l'ordre tout court car la fuite des capitaux, certes très probablemnt puissamment réprimée, correspondra aussi à la fin de la lessiveuse: s'il n'est plus possible de lessiver, alors il faut abandonner le pays.  

 Contexte très difficile pour mettre en place un prétendu fonds de solidarité, même en l'appuyant sur des recettes gazières futures généreuses. Qui peut répondre aux questions suivantes : Quelles sont les réserves? A qui appartiennent t-elles? Chypre ou Turquie, voire Israël? Quels investissements, sachant que l'on travaille en pleine mer? etc.

Le gain de temps sera donc beaucoup plus bref que dans les autres accidents de parcours de l'Euro (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal, Italie). Le maillon  actuellement mis sur le devant de la table est bel et bien le plus faible de la chaîne , mais cela  ne veut pas dire que c'est à partir de sa rupture que se déclenchera le Big Bang de la fin de l'Euro. D'autres maillons de la chaîne connaissent une fragilisation croissante malgré tous les plans de productivité. 

Parce qu'encore une fois, tous les passagers sont clandestins et qu'ils veulent le rester le plus longtemps possible, le Big Bang sera déclenché là où les secousses seront le plus durement ressenties.   

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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 17:36

 

Je vous propose une nouvelle vidéo sur la monnaie et le 100% Monnaie qui m'a été proposée.

www.centpourcentmonnaie.fr

Elle utilise la représentation visuelle de la feuille comptable afin de mieux appréhender les mécanismes monétaires en jeu. Je l’ai beaucoup appréciée et y ai trouvé un plus par rapport aux autres présentations que l’on trouve sur le marché notamment sur ce qui touche Bâle.

 

 

 

 

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