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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 14:11

                               

Avec la mise sur le devant de la scène d’une nouvelle aide aux banques, la grande crise des années 2010 semble avoir bouclé un premier tour de piste : sa présence jusqu’alors peu visible, s’est révélée fracassante avec la première crise bancaire (2007-2008), pour réapparaitre comme crise des Etats (2009 jusqu’à aujourd’hui), et revenir depuis cet automne sous sa forme de crise bancaire.

La question est alors de savoir si le cycle de ses métamorphoses peut se reproduire. La réponse est clairement négative.

La grande crise n’est pas une ronde

Plutôt crise américaine de dettes privées en 2008, ses métamorphoses en font en cette fin d’année 2011, une crise plutôt européenne et plutôt crise de dettes publiques. Transformation essentielle qui inaugure de l’impossibilité d’un nouveau tour de piste : la crise bancaire de 2008 pouvait connaitre l’apaisement dans la générosité des Etats ; celle de 2011 est indissolublement bancaire et publique. Et désormais le couple banques/ Etats ne pourra plus trouver de collaboration avantageuse : des solutions radicales finiront probablement par s’imposer.

En 2008 la collaboration fût avantageuse, et la survie du système financier, assurée par la générosité publique, fût payée d’un maintien de l’ordre social, ordre dont la charge revient traditionnellement aux Etats. On n’insistera jamais suffisamment sur les coûts liés à l’effondrement d’un système social  engendré par un « bank run » : la disparition de la monnaie, faisant apparaitre la brutalité du face- à- face, entre agents luttant pour leur simple survie. De ce point de vue, les banques ont d’une certaine façon assurée – sans aucun effort, certes -  la contre -partie de la gigantesque aide publique : l’ordre  a été maintenu.

En cette fin 2011, la collaboration est devenue impossible, et  la guerre à l’intérieur du couple devient – à très court terme – le  possible  avenir qu’il conviendrait d’éviter. En 2007/2008, il n’y avait apparemment qu’une crise, en 2011 il y en a 2 : bancaire et publique. Et il s’agit des 2 faces d’une même réalité : Parce que – souvent du fait de banques devenues à tout le moins fragiles  - des Etats sont devenus insolvables, les banques sont devenues des entités éminemment suspectes et dangereuses….qui en toute hypothèse ne peuvent qu’aggraver l’insolvabilité publique. Comme les Etats ne sont pas des abstractions mais des réalités travaillées par des marchés politiques reposant eux-mêmes sur des réalités socio-économiques  , ils réagiront sans doute avec plus ou moins de force.

En attendant  cette logique finissante - d’échanges mutuellement avantageux  à l’intérieur du couple- se manifeste clairement dans la question de la recapitalisation des banques. Sans –si l’on ose ainsi s’exprimer- un tiers acteur au delà du couple, il n’est plus  possible de recapitaliser les banques sans risques de marché pour les Etats fragilisés. Affirmation qu’il convient d’explorer.

Le couple Trésors/banques : il n’y a plus rien à échanger

Tout d’abord, on sait maintenant que la recapitalisation, longtemps évacuée, s’avère nécessaire. Parce que la valeur de nombre de dettes souveraines s’érode dans les actifs bancaires, les capitaux propres s’évaporent et la tentative de remédier à l’insolvabilité par amaigrissement des bilans se heurte à la pérennisation des activités de crédit… donc la croissance des PIB... et donc des ressources fiscales…et donc un maintien du « service de la dette », seul susceptible de maintenir à flots les banques.  Dans le même temps, s’agissant des banques européennes et notamment françaises, le refinancement en dollars pour les activités de financement et d’investissement est devenu problématique, tandis que les marchés interbancaires s’affaissent , avec la perte de confiance qui se manifeste, par des dépôts journaliers de plus en plus importants auprès de la BCE. Face à cette fragilisation, il ne peut y avoir de réel sauvetage , car le retour à la solidarité à l’intérieur du couple, suppose des prises de participations publiques , ou au moins des garanties ,qui ne peuvent qu’entrainer un climat de défiance sur les dettes souveraines : augmentation des taux  et prix des CDS sur dettes souveraines, avec augmentation du coût du service de la dette (5 milliards d’euros pour 100 points  de base s’agissant de la France). Défiance se soldant évidemment par une baisse de notation aux effets dévastateurs. Les actuelles péripéties concernant le second sauvetage de DEXIA sont à cet égard fort révélatrices : l’Etat français se cache derrière la Caisse des Dépôts et Consignations pour ne pas apparaitre en première ligne dans le sauvetage, toutefois la Caisse ne veut pas prendre le risque d’une baisse de notation l’affectant, d’où sa demande de garantie publique …que précisément le Trésor ne veut pas donner en raison des risques sur  sa propre notation. Le même Trésor pouvant considérer qu’il s’est déjà mis en danger, dans l’accord de garanties au titre des emprunts de DEXIA, pour financer des crédits toxiques auprès de collectivités publiques françaises. Tout aussi révélatrice est la décision provisoire de ne pas abonder le FESF, qui pourrait engager encore plus la France, au double risque d’une dégradation de note de ce dernier pays, et la montée sur le front de la seule Allemagne comme dernier rempart. On pourrait aussi prendre l’exemple de l’Espagne, dont l’Etat, pour se protéger, souhaite s’éloigner des banques, tout en sachant que ce n’est pas possible. Les agences de notation elles mêmes, savent implicitement qu’il n’y a plus de possibilités de gains à l’échange à l’intérieur du seul couple  Banques /Trésors, comme cela pouvait exister en 2008. Ainsi  Moody’s vient de baisser la note de nombre de banques britanniques au motif que l’Etat correspondant n’est plus en mesure de leur venir en aide. On pourrait multiplier les exemples montrant l’épuisement des solutions dans le cadre du couple traditionnel.  Même les partages des « tâches » entre les deux partenaires, s’avèrent impraticables : tel est le cas du plan volontaire d’échange de la dette grecque, qui se trouve victime d’un problème classique de passager clandestin, chaque banque ayant intérêt à laisser sa voisine annoncer un effort financier. Au total le volontariat des banques censé soulager les Etats devient refus non avoué. Stratégie qui sera finalement perdante, à l’instar de celle du célèbre « dilemme du prisonnier », puisque finalement les banques seront amenées, à perdre davantage dans le cadre du reprofilage de l’accord du 21 juillet sur la dette grecque.

A ce stade, le couple n’est pas en guerre, notamment dans les zones où -à tort ou à raison-  il est estimé que l’on peut encore gagner du temps et éviter une réelle recapitalisation. On reconnait ici le cas des banques françaises qui, très impliquées dans le sud de l’Europe, s’appuient encore totalement – avec beaucoup de rationalité et de pugnacité  -  sur l’aléa moral pour refuser toute recapitalisation aux effets internes jugés désagréables : dilution du capital, perte d’autonomie, surveillance des rémunérations, mise en cause du concept de banque universelle,  etc. Refus qui peut même devenir accusateur au niveau de la Fédération Bancaire Française (FBF), la recapitalisation y apparaissant comme bouc émissaire d’un Etat , cherchant à cacher ses propres difficultés en matière de dette  souveraine.

Vers un ménage à 3.

Le ménage à deux n’est plus en mesure de tenir le front de la crise très longtemps. Par contre, l’adjonction d’un tiers- la banque centrale-  peut s’avérer avantageux. Jusqu’ici cette dernière restait assez largement en dehors du couple,  et n’intervenait que pour garantir la grande inégalité entre les partenaires : la lutte contre l’inflation et l’application stricte de l’article 123 du traité de Lisbonne garantissaient institutionnellement « l’exploitation », au sens marxiste du terme, des Etats  par les banques.

De fait, il y a eu ménage à 3 dès les premiers développements de la grande crise : ce fût dès 2007 la mise en place de mesures dites non conventionnelles : achats massifs de titres toxiques, accès illimités à la liquidité, interventions sur les marchés secondaires de dettes souveraines, etc. En ce mois d’octobre, ce tiers sauveur qu’est la BCE réaffirme sa solidarité auprès des banques et renonce à son plan de lutte contre l’addiction à la liquidité. Elle accepte de fait un statut de « bad bank » pour des montants grandissants qu’elle ne peut contenir qu’en étoffant le système des assistances urgentes auprès des banques centrales domestiques ( « Emergency liquidity Assistance » - ELA).

Mais surtout, le tiers sauveur intervient de plus en plus massivement sur le cours des dettes souveraines malmenées (Grèce, Italie, Espagne, etc.), ce qui, d’un même geste , maintient plus ou moins artificiellement la solvabilité relative des banques , et les possibilités d’accès au crédit au profit des Etats. Les choses peuvent aller plus loin, et certains Etats affectionnent l’idée s’un subventionnement du FESF par la  BCE, subventionnement rendu possible par la transformation institutionnelle  du FESF en banque publique. Travail juridique de plus en plus sophistiqué, permettant,  progressivement, de  contourner l’article 123 du traité de Lisbonne.

Tout ceci pour encore gagner un peu de temps, et retarder de grandes décisions que les marchés politiques ne peuvent engendrer sans grands risques.

La prochaine étape est pourtant évidente, y compris pour les acteurs- à l’instar d’ Edouard Carmignac-  qui ont tant bénéficié, de la grande inégalité à l’intérieur du couple. Cette étape sera l’intervention massive de la BCE, non plus sur les banques et les marchés secondaires de la dette souveraine, mais directement sur les marchés primaires. Les entrepreneurs politiques, notamment français, auront beaucoup de difficultés à convaincre leurs collègues allemands, mais la violence de la crise laisse penser que cette étape sera franchie.  Ce qui ne veut évidement pas dire que tout sera alors réglé, puisque le défaut de construction de la zone euro restera un gros chantier. Et contrairement à ce que disent les nouveaux titulaires du prix Nobel de sciences économiques  (Sargent et Sims) la résolution de la crise , pour sa partie européenne,  n’est pas un jeu d’enfants :  nous ne sommes pas en 1787, et nous ne sommes pas aux Etats-Unis.

 

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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 08:02

 

Souvent nous nous sommes penchés sur les spécificités du système financier : gigantisme, profits et rémunérations hors normes, danger systémique permanent, enkystement des Etats dans les bilans bancaires,  proximité inquiétante entre régulateurs et régulés, etc.

Pour autant,  un regard naïf pourrait justifier au moins certaines spécificités, en affirmant haut et fort que le système répond aux besoins du 21 siècle comme l’automobile pouvait être le symbole des besoins du siècle précédent. C’est que la finance doit répondre de façon de plus en plus importante aux besoins des épargnants, comme l’automobile répondait et répond toujours aux besoins des consommateurs. La dette n’étant-  en toute première approximation - que l’autre face de l’épargne, il fallait construire une immense machine à fabriquer de la dette, comme on avait construit d’immenses usines chargées de fabriquer des automobiles.

Emprunter une telle  voie de raisonnement n’est pas neutre, et revient à considérer que  le système financier, souvent vilipendé,  produit et vend – au-delà de ses activités de prêts traditionnels - des supports d’épargne, comme l’industrie produisait et produit encore des biens industriels. Si tel est bien le cas, alors nécessairement l’idée de prédation ou  de rente qui lui est si souvent associée, devrait laisser la place à l’idée de valeur ajoutée. Et si dans l’industrie la valeur ajoutée se définit comme la différence entre la production et les consommations intermédiaires, il devrait en être de même pour le système financier. En sorte que contrairement à l’idée parfois émise, profits et bonus extravagants ne seraient pas prélevés sur l’économie réelle, mais sur la richesse produite par le secteur.

 C’est bien ce qu’admet la comptabilité nationale qui utilise aussi la notion de valeur ajoutée pour le système financier.

Dans une telle perspective, si la finance s’annonce gigantesque cela relève simplement de sa spécificité toute industrielle : sa production (supports d’épargne) est d’une nature « stockable » ( les patrimoines financiers augmentent avec le temps) et  la contrepartie se trouve dans le ventre de bilans qui ne peuvent que grossir. Le PIB des divers pays augmente, toutefois il n’est  qu’un flux  et démarre de Zéro en début de chaque année. Si donc l’épargne se maintient en valeur il est assez logique que – par effet d’accumulation- son montant finisse par dépasser le PIB. Le gigantisme et autres caractéristiques associées, seraient ainsi assez compréhensibles. L’industrie financière ne serait  qu’une forme de l’industrie en général, et de la même façon que l’industrie automobile transforme des bobines de tôle en carrosseries, l’industrie financière transforme une épargne en produits finis, par exemple des contrats d’assurance vie.

Les choses sont pourtant beaucoup plus complexes.

Un premier élément consiste à considérer que la distinction entre fournisseurs et clients est beaucoup plus difficile que dans l’industrie classique. Les sidérurgistes sont fournisseurs et les ménages sont clients dans l’industrie automobile . Dans l’industrie financière – même en simplifiant- les fournisseurs sont la Banque centrale, le Trésor, les ménages …et les banques elles-mêmes. Quant aux clients- toujours en simplifiant-  ils sont à la fois offreurs d’épargne (ménages, entreprises) et demandeurs ( Trésor, entreprises,  ménages).

Un second élément est que si l’industrie classique est un « commerce des réalités », l’industrie financière est un "commerce des promesses" avec le danger, outre celle du non respect des contrats, celle de l’évolution des valeurs des promesses échangées. Parce que gestion de flux, l’industrie classique sera moins préoccupée que l’industrie financière des risques d’inflation. Cette dernière, grosse d’actifs stockés, demande en premier lieu le respect de la loi de la stabilité monétaire. Fait majeur qui permet de mieux comprendre des institutions  concrètes acquises de haute lutte: Indépendance de la banque centrale, interdiction lui étant faite d’intervenir sur le marché primaire de la dette publique ; objectif statutaire de stabilité monétaire, etc. D’où l’idée souvent émise selon laquelle tout développement d’une industrie financière – autonome, c'est-à-dire non réprimée par l’Etat - peut aussi se lire comme la fin de l’inflation et le début de la dette. C’est dire que l’émergence d’une industrie financière exige un véritable basculement du monde, et ce au plus haut niveau. Et de la même façon qu’il pouvait exister un complexe militaro-industriel, il existe aujourd’hui un complexe politico-financier. Avec – pour poursuivre la comparaison - véritable course aux armements informationnels susceptibles de faire la différence …et donc la forte proximité avec la sphère des délits d’initiés et des conflits d’intérêts. Historiquement, la fin de l’inflation et le début de la dette,  correspond aux années 80 dans la plupart des pays occidentaux. Elle correspond aussi à ce qu’appelions dans un article précédent au passage de la « finance enkystée dans les Etats » aux « Etats enkystés dans la finance ».

Un troisième élément,  conséquence du second, est que l’industrie financière oriente son organisation – pour l’essentiel-sur l’investissement dans le marché (trading informatisé par exemple), alors que l’industrie automobile orientera son organisation – pour l’essentiel -  sur la production (lutte contre les temps morts sur les outils  par exemple): perfectionner les « paris » sur fluctuations de prix d’un côté,  et perfectionner l’efficacité de la chaîne de production de l’autre. Caractéristique qui nous fait penser que l’industrie financière ne trouve pas ses résultats dans la simple valeur ajoutée mais bien davantage sur des plus values construites sur des échanges ultra rapides.

 

Un quatrième élément relève de la valeur des matières premières utilisées dans les deux industries. Dans le cas de l’industrie classique, elle n’est jamais nulle. Dans celui de l’industrie financière, elle est souvent proche de zéro, notamment dans les pays occidentaux.

Le système de réserves fractionnaires qui s’est historiquement imposé, appuyé par la bancarisation qui laisse marginal le stock de  monnaie fiduciaire, et également appuyé par la déréglementation qui a fait chuter les taux de réserves obligatoires, a permis une hausse considérable du multiplicateur du crédit ( autour de 10 à 15 dans la zone euro selon Natixis). Les crédits multiplient de plus en plus les dépôts, et donc la puissance créatrice de monnaie gratuite  par les banques,  s’est considérablement accrue. Multiplication qui s’est aussi accrue en raison du fait que la mondialisation permet de transférer la base monétaire vers les pays déficitaires, notamment les USA  qui bénéficient des achats de bons du Trésor par les excédentaires. Par comparaison avec l’industrie automobile cela signifie – à partir d’un achat initial -le pouvoir de multiplier gratuitement les bobines de tôles susceptible d’être transformées.

Mais la matière première gratuite ou quasi gratuite est aussi obtenue auprès des banques centrales qui fournissent toute la liquidité nécessaire à des taux proches de zéro (1% en moyenne en Occident)…. Ce qui permet une énorme plus value au cours la vente de dette publique primaire par les   agences des divers Trésors. Enorme plus value payée par les contribuables de chaque pays. Comme si dans l’industrie, les sidérurgistes acceptaient de livrer gratuitement des bobines d’acier à l’industrie automobile, en ayant obtenu la promesse que l’Etat ,et donc ses contribuables, accepteraient de payer les dites bobines d’acier. Les choses peuvent même s’aggraver, et l’énorme plus value autorisée par le double comportement des banques centrales et des Trésors, pourrait aussi déboucher en théorie sur une recapitalisation des banques centrales également financée par les contribuables.

Un cinquième élément résulte de l’effet des deux précédents : les besoins en capitaux sont élevés dans l’industrie classique et faibles dans l’industrie financière, et ce même si la course à l’armement informationnel passe par la lourdeur du surarmement informatique. Il faut beaucoup de capital pour fabriquer une usine d’assemblage générant au terme de multiples opérations des automobiles. Il en faut très peu pour fabriquer de la dette. Ainsi  une quinzaine de banques européennes enregistrent un total d’actifs supérieur au PIB du pays d’origine avec des capitaux propres de 18 à 64 fois inférieurs. Et cette faiblesse extrême des capitaux propres peut être renforcée par la possibilité d’effectuer de multiples opérations hors bilan. Par comparaison, notons que le groupe Renault dispose de capitaux propres seulement 3 fois inférieurs au total de son bilan, lequel ne représente qu’un peu plus de 3% du PIB français. Toujours par comparaison,  notons que le groupe Total- grande entreprise industrielle classique- dispose de capitaux propres seulement 2,5 fois inférieurs au total de son bilan , lequel ne représente qu’un peu plus de 7% du PIB français. La faiblesse des capitaux propres, à l'origine de multiples dangers,  est une caractéristique essentielle de l’industrie financière.

De cette trop rapide comparaison il est possible de tirer quelques conclusions.

L’industrie classique, dans sa production de valeur ajoutée, est assez peu concernée par le basculement des choix : la fin de l’inflation et le commencement de la dette. Parce que les échanges tant au niveau fournisseurs qu’au niveau clients ne provoquent que forts peu d’effets dans le temps, le mode opératoire est peu affecté par un changement de régime.

Tel n’est pas le cas de l’industrie financière.

Lorsque l’on vit en régime d’inflation, ce qui correspond à ce qu’on appelait dans un article antérieur au moment politique où la finance est enkystée dans l’Etat, les bilans bancaires sont légers,  probablement davantage que les bilans industriels, et ce pour au moins deux raisons. Tout d’abord l’épargne n’est pas stockable en régime de monnaie fondante, ensuite faible bancarisation et taux de réserves obligatoires élevés interdisent une création monétaire importante : les crédits font peu de dépôts.

Le régime d’inflation correspond aussi à la répression financière,  et la valeur ajoutée bancaire se construit négativement : les crédits aux entreprises et aux particuliers et surtout à l’Etat (planchers des bons du Trésor) sont assortis d’un prix négatif ( la recette actualisée est inférieure à la dépense apparente), et la rentabilité ne proviendra que d’un faible multiplicateur et surtout d’une épargne à taux réel négatif. La répression financière est donc  un temps où la valeur des actifs financiers ne cesse de fondre, c'est-à-dire un temps où les droits de propriété- pour employer le langage des libéraux – ne sont pas respectés. C’est la raison pour laquelle les libéraux parlaient à l’époque de « répression financière »

 

Le passage au mode dette correspond à une inversion radicale : parce que désormais le nouveau commerce des promesses garantit la pérennisation de la valeur des actifs, les droits de propriété vont devenir – dans le monde des apparences respectés. L’épargne devient stockable, et va donc faire grossir le patrimoine des ménages et les bilans bancaires. Les prêts et crédits deviennent des actifs rentables, d’où leur multiplication par tous les moyens de l’innovation financière. Et multiplication qui va favoriser des bulles aux niveaux d’actifs non financiers, immobilier par exemple, justifiant en retour un endettement privé de plus en plus lourd. Mais surtout les actifs publics ne sont plus une forme d’impôt, mais une valeur sûre à même de devenir un collatéral universel. Dans le même temps, bancarisation et affaissement des taux de réserves obligatoires, vont permettre l’augmentation rapide de la création monétaire. Tout va dans le sens d’une explosion de la taille des bilans, et d’une explosion parallèle des profits. Et explosion parallèle du hors bilan : ainsi le BNP avec 15% de son énorme bilan (environ égal au PIB de la France) en produits dérivés,  peut envisager des paris sur fluctuations de prix pour un montant supérieur à 40000 milliards d’euros, soit 20 fois le PIB français. Nous sommes très loin de la famélique industrie automobile.

Ce basculement du monde est celui que nous désignions dans un article précédent par l’expression d’ « Etat enkysté dans la finance ». Et il est vrai que la répression financière s’est complètement renversée : nous sommes passés de la répression de la finance par l’Etat à la répression de l’Etat par la finance. En mode inflationniste, l’Etat ne payait aucun taux sur la banque centrale qui le ravitaillait, et surtout il spoliait les banques par le biais des planchers des bons du trésor, bons rapetissés à échéance par l’inflation. En mode dette, L’Etat est juridiquement tenu de passer par les seules banques pour s’endetter, lesquelles à l’inverse de l’industrie disposent d’une matière première quasi gratuite. En mode inflationniste les banques étaient spoliées par les entrepreneurs politiques et leurs électeurs attachés à la construction d’un Etat providence, spoliation reportée sur les épargnants ne disposant que d’un taux de l’intérêt négatif. En mode dette, les banques devenues industrie financière spolient les entrepreneurs politiques et leurs électeurs, ce qui lui permet de mieux respecter les épargnants. Avec pour effet une montée des inégalités sociales : tous sont fiscalement concernés par la dette publique, mais seuls les plus aisés, parce qu’épargnants vont bénéficier de la rente. Le régime dette devenant aussi un dispositif caché de redistribution à l’envers de la richesse.

Le mode inflationniste était l’alliance -par le biais des marchés politiques régulateurs- des citoyens, des salariés et des consommateurs au détriment des banquiers et des épargnants. La fameuse euthanasie des rentiers chère à Keynes. Le mode dette est l’alliance des financiers et des épargnants au détriment des citoyens et des salariés. Au détriment des citoyens en ce sens que les marchés financiers sont devenus le nouveau nom du pouvoir exécutif. Au détriment des salariés, en ce sens que les paris sur fluctuations de prix sont le nouveau nom – et la nouvelle réalité - de l’investissement productif.

Et derrière ce nouveau nom se cache une réalité économique sociale et culturelle fort différente. Les paris sur fluctuations de prix n’engendrent  plus de la valeur ajoutée comme pouvait l’engendrer les anciens investissements industriels : il s’agit d’une rente d’autant plus importante que l’on se trouve en situation de proximité vis-à-vis d’une possible manipulation de cours, c'est-à-dire aussi en situation de proximité au regard de la sphère des conflits d’intérêts, de la sphère des délits d’initiés voire de la fraude souvent techniquement indétectable. Avec ses conséquences sociales et culturelles. Alors que l’investissement industriel classique supposait techniquement la collaboration confiante des acteurs, et finalement œuvre commune justifiant des rémunérations peu individualisées, le pari sur fluctuation de prix suppose un travail radicalement individuel et méfiant- presque dans le secret-  et l’impossibilité managériale de ne pas individualiser les récompenses associées. L’envolée des rémunérations correspond à l’envolée de la rente, mais une rente entièrement construite sur des décisions strictement individualisées. Le profit cesse d’être œuvre commune et les cadres missionnaires de l’industrie classique deviennent des mercenaires de la rente.

Le grand basculement qui interdira juridiquement aux Etats la possibilité d’emprunter aux banques centrales, dont ils sont pourtant souvent les seuls propriétaires, laissera une énorme possibilité de construire à très bon compte des produits d’épargne aussi solides que les Etats eux-mêmes. D’où le succès – pour ne donner qu’un exemple - des assurances-vie, qui reposant pour l’essentiel sur de la dette souveraine,  représente pour les seuls épargnants français 75% du PIB du pays. Alliance du financier et de l’épargnant au détriment d’Etats qui – privés des possibilités de la répression financière- n’investissent plus et  en viennent à payer de la rente pour maintenir tout ou partie de ses services publics ( probablement plus de 45 milliards d’euros pour la seule France, soit approximativement 2% de son PIB en 2011…. et bientôt la même somme pour ce qui est de la Grèce, ce qui représentera 25% de son PIB). Pour en revenir à la France, les juteux contrats d’assurance vie des épargnants sont ainsi largement financés par les contribuables, la finance prélevant au passage sa dîme.

Le grand basculement est  un véritable renversement des alliances sous la houlette  des entrepreneurs politiques, et renversement impulsé par l’émergence de nouveaux besoins : l’inflation qui n’interdisait pas la consommation de masse du fordisme industriel classique, ni même la confection d’un patrimoine immobilier pour les classes moyennes, interdisait de fait la constitution d’une épargne financière. Si donc la protection d’une épargne jusqu’alors mangée par l’inflation devient un produit politique- parce que désormais on veut consommer des produits d’épargne comme on veut consommer des automobiles-  on comprend qu’une alliance pourra naître entre le banquier et l’épargnant. Alliance qui pourra se renforcer si d’aventure les dispositifs de protection qui fonctionnaient sur la base de la répartition- retraites par exemples- basculent progressivement sous la houlette de l’industrie financière vers des dispositifs reposant sur la capitalisation. A noter que la dépression démographique et le vieillissement encouragent généralement ce type de basculement.

 

Le passage du mode inflationniste au mode dette n’est nullement la victoire du libéralisme, mais celui de la rente. Le monde de l’inflation n’avait rien de libéral,  celui de la dette  ne l’est pas davantage. La position qui consiste à voir dans le basculement, la victoire d’un néolibéralisme est incorrecte. Un vrai libéralisme consisterait- en tout premier lieu - à libérer les Etats de la répression dont ils sont les victimes en leur interdisant d’user de leurs droits de propriété sur les banques centrales.

 

 

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 07:21

 

              

 

Le programme du parti socialiste publié le 5 Avril dernier, prévoit la création d’une banque publique d’investissement. Son architecture juridique n’est pas précisée. Toutefois, on lit dans le programme qu’elle sera « financée efficacement, mobilisable rapidement, délimitée territorialement sous forme de fonds régionaux, adossée à la Caisse des Dépôts, à la Banque de France, au Fonds Stratégique d’investissements, ou encore à OSEO ». Ses moyens ne sont pas non plus précisés. Toutefois, au vu de l’ambition, on peut les supposer considérables. C’est qu’elle semble devoir être le socle d’une « Politique industrielle pour la nation » permettant à l’Etat, assisté d’un « Comité  Prospectif » - nouveau Conseil National de la Résistance ?- de redevenir « stratège » ou « pilote industriel ». Et missions qui se déclinent en de nombreux axes : « favoriser la constitution d’entreprises de taille intermédiaires » (de 250 à 5000 salariés avec apport possible de capital) ; « investir dans les secteurs d’avenir », lesquels figurent dans le projet sous la forme d’une liste impressionnante ; « prévenir et réparer les dégâts humains et territoriaux de la désindustrialisation » ; s’engager vers « agriculture biologique intensive » ; « investir dans la recherche et la sciences » ; assurer la « relance du programme national de lignes à grandes vitesses » (TGV).

 

Le lecteur averti peut se poser la question de l’origine des moyens financiers –non chiffrés mais sans doute considérables- et pensera sans doute qu’au vu de la présente situation, la volonté affichée par ailleurs, de réduire l’endettement, même avec quasi disparition des dépenses fiscales, devient mission très difficile. Toutefois, la question est de savoir si les rédacteurs du projet n’ont pas pour ambition de passer à la monétisation, précisément en s’offrant les services d’une banque publique, masquant l’émission monétaire de la banque centrale effectuée à son  avantage, et au profit du programme de « l’Etat stratège ». Dans le langage de ce blog, il s’agirait de gérer une partie des dettes nouvelles « en mode hiérarchique » et donc d’abandonner partiellement le « mode marché de gestion de la dette ». C’est ce que laisse penser une autre phrase que l’on trouve dans le programme : « Nous proposons que les dépenses d’avenir utiles à la croissance et à l’emploi bénéficient d’un traitement distinct des autres dépenses ».

 

Phrase peu claire, mais probablement en congruence avec les idées des  partisans de la monétisation, lesquels considèrent que les dépenses publiques courantes, doivent être financées par l’impôt, tandis que les dépenses d’investissement doivent être financées par création monétaire, ce qui est largement le cas des investissements privés sur crédits bancaires. Et ici, dans le cas des investissements de l’Etat « pilote industriel », monétisation directe par la Banque centrale.

 

 Sans nous attarder sur la fort délicate question, du classement des dépenses publiques en dépenses courantes et dépenses d’avenir, on remarquera que la Banque publique d’investissement du projet socialiste peut ressembler à « l’Agence publique d’investissement », telle que prévue dans le texte « financer l’avenir sans creuser la dette », publié et discuté lors d’un séminaire organisé le 30 mars dernier par la Fondation Nicolas Hulot ( www.fnh.org).

 

Ce dernier texte fait largement référence aux travaux d’André- Jacques Holbecq ,qui ont l’immense mérite, de révéler une possible monétisation , sans entrer directement en contradiction avec l’interdit de l’article 123-1 du traité de Lisbonne. Holbecq prend en effet  appui sur l’alinéa 2 du même article, lequel stipule que l’interdit : « ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient , de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédits ». En clair, la création d’une banque publique d’investissement permet de contourner, au moins l’esprit, du Traité et de bénéficier de la liquidité centrale à coût très faible.

 

Cet alinéa 2 permet en effet de ne plus discriminer les Etats, lesquels auraient accès à la liquidité centrale à des conditions aussi avantageuses  que celles offertes aux  banques privées : le prix de la liquidité (taux de la Banque centrale) n’étant augmenté que du coût de fonctionnement de la banque publique. Ce dispositif étudié par la Fondation Nicolas Hulot , a le mérite de répondre, du point de vue de cette institution,  à la très grande difficulté de rassembler de gigantesques moyens, pour assurer la transition économique (600 Milliards d’euros entre 2012 et 2020 selon la FNH), dans un contexte d’insolvabilité généralisé.

 

La présentation détaillée de l’économie générale du dispositif importe peu. Ce qui compte, est qu’effectivement, il est possible de rétablir un Etat « pilote industriel », un Etat « stratège », sans l’automaticité d’une brutale  sanction des marchés, et sans heurter frontalement le dogme de l’indépendance de la Banque centrale. C’est qu’en effet, l’introduction d’une banque publique permet l’accès à la liquidité centrale,  sans augmenter la dette du Trésor, et donc en principe sans heurter les agences de notation et le marché : l’Etat récupère les marges de manœuvres abandonnées jusqu’ici par des politiques budgétaires restrictives. Au surplus, la nouvelle dette devient complètement nationale et n’est plus soumise aux caprices de la spéculation.

 

Il existe sans doute des effets pervers, avec en premier lieu, la possible émergence d’anticipations inflationnistes justifiées par l’augmentation de la base monétaire. Si aucune donnée économétrique sérieuse ne fait le lien entre la croissance du PIB et la croissance de la base monétaire, il est vrai que la nouvelle liquidité viendrait s’ajouter à celle engendrée par les déficits publics, et que cette nouvelle liquidité abonderait les dépôts bancaires, avec de possibles  effets de second tour sur la création monétaire privée.

 

Dans un tel scénario, il s’ensuivrait assez logiquement une hausse des taux sur la dette publique nouvelle, une augmentation des charges de remboursement de la dette, une baisse des cours sur les marchés secondaires et une dégradation des bilans bancaires. Ce scénario verrait ses conséquences amplifiées si la stratégie de contournement, ainsi amenée par un parti socialiste au pouvoir, décidé à changer réellement le cours des choses, était contestée avec force par les partenaires de la zone, avec de possibles effets sur le cours de l’euro. Maintenant- sous la pression mimétique des rentiers les plus conscients de l’enjeu- la peur de voir se développer une contestation beaucoup plus radicale du traité de Lisbonne, pourrait aggraver les effets pervers déjà signalés. Avec la mise sur le devant de la scène de l'identité du payeur final : le contribuable utilisateur des services publics, ou le rentier qui se gave de dettes publiques?

 

Autant d’hypothèses risquées, voire audacieuses ou mal fondées , tant il est difficile  d’anticiper les réactions entrainées, par un dispositif banque public d’investissement, qui serait monté avec la volonté de s’affranchir de la rigueur du Traité.

 

En revanche, il est opportun d’interroger les rédacteurs du projet sur le non- dit de la Banque publique d’investissement. Le parti socialiste français, est –il prêt à s’engager dans les premières formes de contestation de l’ordre monétaire européen, un ordre dont il avait négocié et fixé les règles avec le partenaire allemand voici près de 25 ans ?   Réforme d’un traité constitutionnel pour risquer un avenir, ou réforme de la Constitution pour vitrifier le caractère restrictif des politiques budgétaires ? Aux marchés politiques d’en décider.

 

 

 

 

 

 

 

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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 17:38

                            

Notre texte concernant le scénario pour 2010 publié le 1er janvier de la dite année se penchait longuement sur la question du retour à la souveraineté monétaire. Il était assez optimiste en ce qu’il annonçait la difficulté croissante à faire admettre par le contribuable qu’il devrait payer pour une dette publique dont la responsabilité reposait au moins partiellement  sur  la rente financière. La réalité 2010 de la crise, est qu’un certain nombre de pays ont malgré d’extrêmes difficultés, ouvertement choisi de satisfaire la rente au détriment des Etats providences et des contribuables : Grèce , Irlande, mais aussi à des degrés moindres, la quasi-totalité des Etats européens. Les propos de la chancelière de la république fédérale, consacrés au partage du fardeau de la dette avec les créanciers étant, était-il espéré, vite étouffés par de prétendus rédempteurs  resserrements budgétaires. Prétendus, car on sait depuis peu (Patrick Artus), que le multiplicateur budgétaire sur la Grèce et l’Irlande est élevé, ce qui signifie- en principe- effondrement de la croissance,  suite à une faible variation du déficit budgétaire.

Sur l’exercice des droits attachés aux propriétaires des banques centrales.

La monnaie fût de tout temps un outil privilégié permettant de déplacer- selon le vocabulaire économiciste - du bien être d’un groupe à l’autre. Avant l’Etat de droit, elle était une violence pratiquée essentiellement au profit des entrepreneurs politiques au pouvoir : seigneuriage, dilution etc. la même violence , toutefois adoucie s’exerçait dans les débuts de l’Etat de droit au profit de la rente, la dette d’Etat étant selon Léon Say et sous la 3ième république « un engagement sacré », avant de se retourner durement contre elle avec « l’euthanasie du rentier » chère à Keynes, et les inflations du 20ième  siècle.

Les choix des années 70 qui devaient construire les autoroutes de la mondialisation étaient clairs : la violence de la monnaie ne peut plus s’exercer à l’encontre de la rente : mieux, cette dernière, durement réprimée au 20ième siècle, se doit d’être financée par l’Etat lui-même. C’est le sens qu’il fallait donner en France, à la loi du 3 janvier 1973 déjà étudiée dans nombre d’articles de ce blog. Loi organisant l’extinction des droits du propriétaire de la banque centrale, et plus clairement l’alliance des entrepreneurs politiques au pouvoir et des rentiers, à l’encontre de l’avenir de l’Etat providence construit au cours de la période antérieure. La machine à prédater- l’Etat- s’étant donné un cadre légal , on peut s’étonner du brutal retournement dans le fonctionnement de la machine publique : le seul fait de « lutter contre l’inflation », terme à la mode à l’époque, suffisait à retrouver la forme moderne de «  l’engagement sacré », et donc le respect des droits de propriété des créanciers. Non, le texte du 3 janvier 1973 va plus loin, et  organise un véritable renversement puisque désormais tout déficit public, dès le  premier euro,  devient rente financière.

Ce dernier point mérite quelques explications. Entre 1914 et 1973 et plus particulièrement entre 1945 et 1973, existe un double financement du Trésor : La vente de bons du Trésor, vente parfois forcée, à des banques et des ménages, d’une part, et les « avances au trésor » par la banque centrale, d’autre part. La liquidité du Trésor était ainsi assurée par ce qu’on appelait le « circuit du trésor », circuit dont les fuites étaient contenues par des actes d’autorité : augmentation des « planchers de bons du Trésor », emprunts obligatoires (très fréquents et quelquefois à taux zéro) , financement obligatoire (et légalisé par vote parlementaire)  par la banque centrale, etc.

La répartition du financement du Trésor entre « dette payante » et « dette gratuite » était fixée dans le cadre d’une politique monétaire « conjointement élaborée » -si l’on ose dire- par la banque centrale et l’Etat. Et politique qui faisait bon compte d’une industrie de l’épargne ou de l’assurance, totalement dans les mains de l’Etat et souvent durement réprimée par lui : son volume dépendant très largement du poids des avances de la banque centrale au Trésor dans le total des besoins de financement de ce dernier, d’une part, et du différentiel des taux d’inflation et de l’intérêt, d’autre part. Lorsque le poids des avances directes au trésor diminuait, il y avait augmentation de la « part de marché » de la « dette payante »  et donc aide à l’épargne privée ou à l’assurance, donc à la rente. La loi du 3 janvier 1973 est ainsi un acte majeur, acte beaucoup plus important qu’on le pense généralement : elle fonde une aide publique à l’industrie de l’épargne et de l’assurance, aide dont la hauteur est fixée par celle du déficit budgétaire.

 Plus le déficit public- financé non plus par la banque centrale mais par des agents privés- devient important et plus la rente grossit. En ce sens, cette période qui marque l’irruption de la mondialisation, est aussi celle d’une aide publique de plus en plus importante à la rente.

Car il est clair que les obligations publiques, ne donnent pas lieu à versement de rente, comme des obligations privées, voire l’ensemble des titres privés. Intérêts et dividendes ne sont ici que de la redistribution d’un profit entre agents privés. A l’inverse, la rémunération d’un bon du trésor est issue de prélèvements publics obligatoires dont la nature, la hauteur, l’assiette etc. sont fixés par les entrepreneurs politiques qui ont eux même comme objectif leur reconduction au pouvoir.

L’enjeu de 2010 avec ce que l’on croyait- naïvement- être la fin possible de l’indépendance de la banque centrale et la fermeture de l’agence de financement de la dette publique- l’Agence France Trésor, pour ce qui est de la France- n’était au fond que l’avènement d’une certaine neutralité des Etats. L’Etat démocratique reste une machine prédatrice en ce qu’elle autorise toujours l’usage monopoliste  des outils de la contrainte publique- ici la monnaie-  à des fins privées. Le rentier, ici rentier public, s’opposant aux autres classes de la société. Mais, de fait, ne plus subventionner l’épargne en décidant de rétablir les droits de l’Etat sur sa banque centrale revient à tuer le rentier et  l’épargne correspondante… Et les services correspondants. Il est ainsi difficile d’être neutre et l’Etat moderne reste marqué par ce qui en fait son essence : il ne peut que représenter des intérêts particuliers. Et il n’est pas facile de faire basculer le savant équilibre des marchés politiques : la lutte de classes – pour reprendre un langage que l’on  a démonétisé-  entre le rentier sur titres publics  et le contribuable, ou le consommateur d’Etat- Providence. Lutte de classes  peut-être  assez claire, pour ceux qui analysent au plus prés l’évolution des coefficients de Gini,concernant la répartition des revenus, depuis la remontée de la rente,  mais lutte  évidemment obscurcie, voire niée, par ceux qui y ont intérêt. Ainsi sera mis en avant l’idée selon laquelle, il existe des rentiers, qui  « petits », sont néanmoins « trop gros » pour être aussi de larges consommateurs de l’Etat-providence. En sorte que tuer la rente par le rétablissement de la souveraineté monétaire, est aussi s’attaquer à certains éléments des classes moyennes…. lesquelles contiennent peut-être  aussi l’électeur médian… qu’il faut impérativement satisfaire à peine de perdre les élections.

Dans le cas de l’Europe, la question est autrement redoutable puisque le problème, ne consiste pas à redéfinir un équilibre de marchés politiques internes à un Etat, mais à un ensemble beaucoup plus vaste, et par nature extrêmement hétérogène. C’est que l’électeur médian irlandais ou belge  n’exprime probablement pas les mêmes préférences que l’électeur médian allemand,  italien, ou français. Et le problème se complique aussi en raison d’un processus de dénationalisation de la rente publique, processus largement  encouragé par les procédures d’adjudications de la dette, initiées par les agences chargées de sa commercialisation. C’est ainsi que la dette publique française est aujourd’hui détenue à 70% par des investisseurs étrangers, contre moins de 23% en 1998.

Sans doute le rétablissement de la souveraineté monétaire, ne développerait- elle pas de conséquence rétroactives, au détriment  des rentiers existants, lesquels verraient leurs intérêts garantis, le problème se poserait néanmoins pour l’avenir. Au final devant l’inextricabilité du problème - la rente est devenue insupportable avec un accroissement de dette publique hors de tout contrôle, mais on ne sait comment la réduire sauf à durcir brutalement la lutte de classes-  les entrepreneurs politiques essaieront encore de louvoyer et de gagner du temps…

Sur la légitimité des agences de notation.

L’évaluation de la dette publique par des agence privées, ne peut s’envisager que dans le cadre de périodes historiques, où les intérêts du rentier sur titres publics, l’emporte sur ceux des contribuables ou/et des consommateurs des services publics. Depuis l’apparition de l’actuelle grande crise, certains y ont même vu une collusion d’intérêts entre agences et rentiers. Dans les cas inverses, cas qui correspondent par exemple aux années d’après les deux grandes guerres mondiales, l’existence même de ces agences était à tout le moins impensable.

C’est que l’euthanasie des rentiers, s’envisage mieux dans la discrétion que dans la transparence médiatique des agences, et il faut avoir conscience que de telles organisations, auraient eues à affronter  de sévères lois répressives, probablement aussi répressives que celles concernant le non respect du cours forcé des billets en 1870, ou à partir de  1914. Qui peut imaginer Fitch ou Moody’s entre 1919 et 1926, dans les tumultes financiers, qui précèdent le retour de Poincaré ? Là encore, les dispositifs institutionnels ou réglementaires ne sont que le reflet des évolutions des marchés politiques et des intérêts qu’ils expriment.

Au final, lorsque les marchés politiques, orientent la production de cette "usine à textes" qu’est l’Etat, vers des dispositifs réglementaires instaurant la délégation de la fermeture du « circuit du Trésor » au marché, il est logique que naissent sur le riche terreau de ce dernier, des entreprises susceptibles d’en évaluer le fonctionnement. Les actuels Etats et leurs représentants, auraient donc tort  de critiquer ce qu’ils ont indirectement engendré. A l’inverse, lorsque le fonctionnement des marchés politiques débouche sur une auto production du service de la dette, il n’y a plus de pression des marchés…. Et plus de clients pour des organisations privées se chargeant d’une évaluation de la dette. Nous retrouvons curieusement, dans ce dernier raisonnement, l’un des aspects célèbres de la théorie micro-économique : la logique dite du « make or buy ». Oui, la nécessité objective de la fermeture du « circuit du trésor » fait apparaitre un choix : gérer la dette par le règlement, ou gérer la dette par le recours au marché, avec- entre ces deux extrêmes- des dosages infiniment variés de règlements et de marchés. Tout dépend du rapport des forces politiques, et de ce qu’ils traduisent en termes d’intérêts des différents acteurs sociaux.

La plus ou moins grande indépendance de la banque centrale fait partie du cadre ainsi repéré. Ainsi le rapport complexe entre Trésor US et FED fait plutôt penser que l’Etat libéral américaine est dans une logique mixte de gestion de la dette, tandis que l’absolutisme de l’indépendance de la BCE, fait pencher vers une externalisation radicale de la gestion des dettes des Etats européens.

Sans doute sommes nous entrés dans une phase de prise de conscience des effets du recours au marché. Mais quelles entreprises  politiques suffisamment généralistes peuvent prendre le risque d’un nouveau basculement de l’histoire ? Là encore le mot d’ordre sera de gagner du temps. Tout au plus, continue t’on de parler d’organiser le marché des agences, de créer une agence publique dans le cas européen, etc.  Ce qui ne ferait au mieux qu’ajouter de la méfiance chez les acteurs du marché. On ne peut plus être dans le « buy » mais le basculement dans le « make » apparait politiquement impensable, dans le cadre de l’idéologie officielle, et des intérêts qu’elle représente encore. Là aussi la situation est devenue inextricable.

Sur la résistance acharnée des drogués à la monnaie unique.

En la matière, la vraie question, est celle de la possibilité de mettre fin à la clandestinité des passagers, accrochés à une drogue monétaire finalement ruineuse pour beaucoup. Caractéristique étudiée dans notre article du 28 Janvier 2010 : « l’Euro, sursaut ou implosion » et  ceux qui lui ont fait suite tout au long de l’année. Question évidemment liée à celle des droits des propriétaires sur les banques centrales. Toute l’année 2010 fût consacrée à la lutte contre la clandestinité : comptes publics non sincères (Grèce), bilan bancaires maquillés (Irlande, Espagne, etc.) stratégies non coopératives (entre Etats européens notamment), édification fragile de dispositifs de responsabilisation et de sanctions (Commission européenne), etc.

La dernière étape de la tentative d’éradication de la clandestinité sera sans doute la naissance des « euro bonds » et de l’agence bruxelloise qui sera chargée de leur commercialisation. Etape qui sera peut-être franchie en 2011…. sans doute fort difficilement. La raison en est que les marchés politiques allemands, même conscients de l’intérêt d’une dette mutualisée, sont aussi conscients d’une forte opposition, et notamment du risque d’interdit en provenance de la cour constitutionnelle de Karlsruhe.

En admettant le franchissement de l’étape constitutionnelle, il resterait que le passage à  la « dette unique » ferait penser au passage à la « monnaie unique » Avec les mêmes risques de clandestinité et les mêmes inefficacités pour la limiter. Avec la dette unique il faudra inventer de nouveaux critères de Maastricht qu’il faudra d’autant plus contourner qu’ils seront édifiés en temps de crise lourde. Ceux de la monnaie unique n’étaient guère vraiment redoutés en vertu de la prospérité générale renforcée par la drogue Euro. Ceux à venir apparaitront vite insupportables. Dublin, Athènes, Lisbonne, Madrid, ne sont pas seulement victimes d’un spread de taux , ils sont aussi victime d’une insolvabilité radicale, qui fait que leur consommation de « dette unique » deviendra vite ingérable. Et il faudra bien rationner leur appétit, sauf à voir apparaitre un spread entre l’ancien taux allemand et le taux sur la dette unique.

Curieusement, un acteur nouveau se manifeste sur le terrain de l’Euro : la chine. Celle-ci dispose du pouvoir de maintenir la clandestinité de chacun des passagers, et donc de maintenir à flots le bateau. Parce que possiblement acteur public sur un marché primaire de la dette exclusivement réservé aux « SVT », donc des acteurs privés, la banque centrale chinoise, aux ordres de l’Etat Chinois et de ses entrepreneurs politiques, peut maintenir un taux de change élevé de l’euro. De quoi maintenir l’extraversion de l’économie chinoise et les intérêts politiques qui lui sont associés…les chinois aussi aiment se droguer à l’Euro…

Le débat - sauf hypothèse d’un effondrement - risque ainsi de continuer, autant que possible, en raison du fait que pour certains, le problème de l’euro serait d’abord celui de son taux de change. Une telle position méconnait de fait les vertus cachées de la monnaie unique : « s’offrir une monnaie de réserve à l’américaine » disions nous dans le texte du 28-01-10, c'est-à-dire pouvoir importer sans limite et à coût dérisoire, notamment pour les « petits un peu ronds » plus souvent désignés « PIGS ». Ces derniers et leurs entrepreneurs politiques  au pouvoir, n’ont effectivement aucune envie de voir la zone disparaitre, disparition sonnant le glas des avantages de la clandestinité. C’est dire que là aussi, la situation semble inextricable : le bateau des passagers clandestins  prend l’eau de toutes parts…mais personne ne souhaite vraiment changer de navire…. D’où le thème guerrier du « tout sera entrepris pour sauver l’Euro ».

                                         Je souhaite une excellente année 2011 à tous mes lecteurs.

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9 décembre 2010 4 09 /12 /décembre /2010 13:01

                           

                              

                           

                           

                            

                        Dans une longue conversation publiée par le Monde, en date du 8 décembre 2010, Jacques Delors revient longuement sur la question de l’Euro. L’ancien président de la commission, reste un grand défenseur de la monnaie unique, et considère qu’elle nous a protégés, tout en réduisant les écarts de revenus moyens, entre pays de la zone.

                      Il fait également état de nombreux  regrets : Absence de pacte de coordination des économies, banque centrale dépourvue de missions essentielles telle la surveillance du chômage, absence d’un fonds conjoncturel et d’un système d’euro-obligations, impérialité d’un système bancaire  faisant tremblerlesgouvernements ,etc.                                                                                                                               

                        Pour ce qui est de l’avenir , Jacques Delors se dit, selon la formule de Gramsci , « pessimiste actif », et voit malgré « l’affaiblissement de l’esprit européen » des sources d’espoir dans le futur fonds européen de stabilité, et les tout aussi futurs mécanismes de sanctions, à l’encontre des contrevenants d’un pacte de stabilité rénové.

                        Au-delà du caractère convenu des propos publiés dans Le Monde, il nous faut souligner « l’idéalisme » du « pessimiste actif ».

                        C’est que les faits et vœux évoqués, sont autant de mots inappropriés à la correcte désignation de la réalité. Des signifiants décalés par rapport au signifié, diraient les linguistes.

                        La réalité est, en effet, vraiment très différente de la représentation proposée. L’euro, construit aussi par Jacques Delors et son équipe, n’était, et n’est toujours, que le bateau des passagers clandestins.

                        Il est incorrect de dire qu’il protège contre nos laxismes et que sans lui « beaucoup de pays européens auraient souffert ». Nous avons montré dans « l’euro, sursaut ou implosion », à quel point il était une « drogue » pour les « petits un peu ronds », qui pouvaient ainsi s’offrir « une monnaie de réserve à l’Américaine ». Qu’il était également une « drogue » pour les « grands minces », qui s’assuraient ainsi contre les dévaluations continues des voisins. La construction de l’euro, était ainsi l’organisation d’une « grande fête », et à cette matérialité, devait correspondre la montée d’un « esprit européen ».

                       Maintenant que la consommation de drogue est proche de l’overdose, pour l’ensemble des passagers clandestins, passagers dont  beaucoup sont ruinés, les lampions de la fête s’éteignent, et avec cette nouvelle matérialité, correspond l’affaissement de l’esprit européen. Comme quoi, c’est bien la réalité matérielle qui ordonnance , malgré tout, le monde des opinions.

                        Loin d’un esprit européen, la construction de l’euro n’était réellement que la prolongation du stade de « l’Etat-Nation » par d’autres moyens. Comme la guerre, disait-on, était la poursuite de la politique par d'autres moyens. Cette variété de « petit un peu rond » qu’était la France ,  pays qui historiquement à imposé l’euro, n’a pas voulu construire une réalité qui la surplomberait. Elle a simplement cherché, à poursuivre son déficit budgétaire, sans les pleurs correspondants. Les entrepreneurs politiques français n’ont pas cherché à construire un « au delà de la nation » ; ils ont simplement cherché, à continuer à pouvoir se gaver de déficits publics, sans en payer le prix monétaire. Sans doute fallait-il pour cela, dénationaliser la monnaie, pour rejoindre  la volonté commune des entreprises politiques allemandes, d’où l’indépendance de la Banque centrale. Mais une dénationalisation, sans renationalisation à un stade situé au-dessus, de l’Etat-nation. D’où la naissance d’une « monnaie sans souverain » pour reprendre la terminologie de notre article « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux ».

                               Les discours idéalistes, tel celui de Jacques Delors - ou plus encore, celui de son partenaire de la construction européenne, Helmut Schmidt, lequel va jusqu’à regretter le « manque de charisme », voire de compétences des nouveaux dirigeants- ne font qu’épaissir le brouillard dans lequel se trouvent plongés les lecteurs qui veulent réellement comprendre le monde tel qu’il est. La réalité est suffisamment embrumée, pour ne pas lui adjoindre une couche d’opacifiant supplémentaire.

 

 

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26 août 2010 4 26 /08 /août /2010 13:40

             

Ce que nous appelions fordisme boiteux dans l’article du 19 juillet dernier correspondait à la construction – depuis la fin des trente glorieuses- d’un désajustement macroéconomique entre offre globale et demande globale. La mondialisation (étape 2) permet d’échapper au partage classique des gains de productivité. Mais la demande globale se maintient par « artificialisation de la plus value relative » (étape 3), mais aussi par la magie financière  au profit des ménages (étape 4) et la magie financière au profit des vieux Etats- providence ( étape 5) . La crise elle-même apparaissant comme le dépassement des limites autorisées par la fuite en avant par la dette et donc la dislocation de la magie financière.

Nous disions aussi qu’il n’y aurait pas de rétablissement du paradigme perdu.

 Certains souhaitent apparemment aggraver les choses,  et  soutiennent que  la crise n’est pas mondiale et se borne pour l’essentiel aux vieux pays victimes d’un défaut de productivité devenu abyssal. Point de vue jusqu’ici majoritaire, d’où les purges qu’il faudrait infliger, et que l’on inflige, par exemple aux pays du « club med ». Comme le rappelle fort justement Paul Fabra, la mondialisation est plus que le libre échange, et les « moins bons » ne disposent pas « d’avantages comparatifs » qui faisaient que dans le célèbre exemple du vieux Ricardo, l’Angleterre ne disparaissait pas malgré la surproductivité absolue  du Portugal. Aujourd’hui, la mondialisation, est en théorie, un déménagement autrement radical, puisque tout ou presque, peut être produit à meilleur compte en Asie. Le défaut de productivité n’est pas seulement abyssal : il est irrattrapable. D’où notre proposition -dans  notre article du 16 juillet- d’un accord international sur l’obligation réglementaire d’un équilibre des comptes extérieurs de chaque pays. Les entrepreneurs politiques au pouvoir dans la plupart des pays, parce que nourris à la théorie néoclassique dominante, pensent qu’il y a va de leur intérêt  de continuer à agir  comme avant  le séisme de la crise.

D’autres, apparemment  moins écoutés  par les entrepreneurs politiques présents, pensent que le conflit de répartition de la valeur ajoutée doit connaitre une modification des rapports de forces. S’il y a eu développement de la magie financière, ce que nous appelions la « gigantesque finance » dans notre article du 6 mars dernier, c’est précisément en raison de la chute - en longue période-  de la part des salaires  dans la valeur ajoutée brute. Point de vue repris dans nombre de travaux économétriques et parfois- mais très rarement- contestés s’agissant de la France (Denis Clerc). Approximativement, cette thèse repose sur le mythe du paradigme des 30 glorieuses qui par la redistribution des gains de productivité permettait un partage satisfaisant des PIB. Il s’agit donc d’une pensée issue de la famille keynésienne, pensée qui depuis quelques mois, se structure chez des auteurs anglo-saxons comme Krugman  ou français comme Artus.

Il est tout d’abord exact de constater que le conflit traditionnel de répartition de la valeur ajoutée brute continue de fonctionner au  désavantage des salariés. Le tableau suivant mérite attention :

 Variation prévue de la productivité      Variation prévue de la part des salaires

           Entre  2008 et 20  (en%)                          entre 2008 et 2010 (en%)

Irlande                                  8,8                                                     -1,6

Espagne                               5,5                                                     -0,7

USA                                       4,6                                                     -2,2

France                                  1                                                        -0,4

Zone euro                            -0,2                                                   0,9

Japon                                    -0,6                                                   -0,3

Italie                                      -0,9                                                   0,7

Grèce                                    -1,9                                                   1,2

RU                                          -2                                                       0,6

Allemagne                           -3,4                                                   1,4

 

Sources : Commission européenne et calculs Alternatives économiques 

Il révèle,  en premier lieu, une corrélation entre l’importance des gains de productivité et la chute de la part des salaires dans la valeur ajoutée brute. C’est particulièrement vrai pour le cas des USA. Cela signifie que la première économie mondiale (14204 milliard de dollars pour 2008 contre 13565 pour la zone euro et 4909 pour le Japon) souffre d’un déficit de demande interne qui ne justifie pas un investissement élevé malgré l’accroissement des profits. Les ménages titulaires de salaires, voient leurs revenus décroître, et se mettent à épargner 6% de ces mêmes revenus en 2010 contre 1% en 2007. Autant dire qu’il ne peut être mis fin à l’abyssal déficit fédéral  (plus de mille milliards de dollars) sans effondrement de l’économie américaine.

En second lieu si la zone euro est en meilleure position sur le plan de la demande globale, elle souffre d’une extrême  hétérogénéité. L’Irlande et l’Espagne sont dans une situation désespérée, et là aussi , une baisse en valeur absolue des déficits publics risque de se matérialiser par une hausse des valeurs relatives, le dénominateur  (PIB) baissant plus rapidement que le numérateur (déficit absolu).La position de Standard § Poor’s qui vient de dégrader la note de l’Irlande est probablement justifiée. Les chiffres concernant la Grèce, ne révèlent pas encore l’importance des mesures prises au printemps dernier, mais rejoindront bientôt ceux des deux pays sus visés : la chute brutale du niveau de l’emploi  se traduira par une augmentation rapide de la productivité et une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée brute.

De fait, si la zone euro est en meilleure position en termes de demande globale, c’est- fort peu- en raison de la position de la France et presqu’uniquement en raison de la position de l’Allemagne. Si dans ce dernier pays la productivité a beaucoup baissé, c’est en raison des mesures prises concernant le chômage partiel. De fait la croissance allemande nouvelle (jusqu’à plus de 3% de croissance prévue pour 2010) va se traduire par l’augmentation de la productivité sans qu’il soit possible de dire quoi que ce soit sur l’évolution future de la part des salaires.

Nous n’avions pas à notre disposition les chiffres concernant la Chine. Toutefois l’effet de l’énorme plan de relance  a logiquement abouti - en maintenant artificiellement une très forte croissance - à une chute de la part de la consommation dans le PIB, laquelle n’a -avec seulement 32% du PIB- jamais été aussi faible. La Chine est donc aussi dans une position de faiblesse de la demande globale, avec une consommation trop faible mal compensée par des investissements pharaoniques dans le secteur public ou immobilier ( 62 millions de logements neufs seraient aujourd’hui inoccupés).

Au niveau mondial maintenant, selon Natixis, la productivité par tête progresserait de 3% en 2010, tandis que le salaire réel ne progresserait que de 1,5%.

Au total, les partisans d’une répartition de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés semblent voir, dans l’inversion d’une tendance lourde d’augmentation de la part des profits, la solution à la crise, et la possibilité de voir le secteur privé, prendre le relai des relances publiques aujourd’hui à bout de souffle.

Les lecteurs de ce blog savent que les deux points de vue exposés mènent également à l’impasse.

 Les partisans de la « logique sacrificielle » ( Stiglitz) ne font qu’accélérer la catastrophe annoncée : la Grèce risque de mourir sur l’autel du « dieu productivité » lequel exige des  sacrifices toujours plus élevés et jamais libérateurs.  

Les partisans de la nouvelle répartition devraient comprendre que la mondialisation, telle que conçue jusqu’à maintenant, est une barrière à toute élévation de la demande globale. Dans les années 30, la barrière à l’élévation de la demande autorisant les débouchés à l’énorme production de masse d’un fordisme naissant, était l’absence d’entrepreneurs politiques, qui ne voyaient pas encore la gigantesque rente qu’ils pouvaient percevoir en faisant naître l’Etat- providence. Ce que Ford avait conçu par tâtonnements successifs : production de masse associée à des salaires élevés- le fameux « five dollars/day » de 1913-  n’était pas généralisable à l’ensemble de l’espace social. La barrière était la concurrence sauvage, empêchant une augmentation des salaires payée par la productivité, et assurant les débouchés de la production de masse. Ce sont les entrepreneurs politiques, qui ont vendu sur les marchés politiques, la régulation globale, c'est-à-dire la généralisation du fordisme : législation du travail, protection sociale etc. Pour le plus grand succès du paradigme fordien, et ce pendant plusieurs dizaines d’années dans beaucoup de pays. Aujourd’hui,c’est d’une nouvelle généralisation dont le monde a besoin. La forme nouvelle de la concurrence sauvage, est ce qu’on appelle la mondialisation dont on pense à tort, qu’elle est l’aboutissement naturel  du libre échange. Elle est au contraire ruineuse en ce qu’elle disloque les sociétés et contrarie des droits fondamentaux (cf. notre article du 5 juillet dernier). Les entrepreneurs politiques des pays dits émergents l’ont parfaitement compris. Les BRIC ne sont pas des entités solubles dans le marché mondial. Ce sont simplement des Etats en développement. Etats reprenant, de façon au moins temporaire,  tout ou partie des recettes qui firent le succès de l’occident.

La nouvelle généralisation, est pour le moment utopique en ce qu’elle bouleverse l’ordre des marchés politiques à l’échelle de la planète. C’est la raison pour laquelle, le paradigme qui sera plus probablement mis en place, passera par  la négociation planétaire de la sortie de la mondialisation. Comme on le sait, même pour ce qui n’est qu’un « second best », les esprits, comme les intérêts, sont encore très loin d’y voir autre chose qu’une utopie rétrograde. C’est la raison pour laquelle les idées en vogue aujourd’hui – idées que nous venons de rappeler dans le présent texte- additionnent leurs forces pour accélérer la course à la ruine généralisée.

Bonne rentrée à toutes et à tous.

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:01

 

Fondamentalement la grande crise est celle de l’effondrement des bricolages spontanément mis en place pour maintenir le paradigme finissant des 30 glorieuses. Ce que l’on peut aussi appeler l’effondrement du « fordisme devenu boiteux ». Ce qui correspond aussi à un effondrement du holisme correspondant et l’épanouissement d’un individualisme radical.

Principales étapes :

1)    Construction et privatisation des autoroutes de la finance avec totale liberté de circulation (années 70-80).

2)    La mondialisation devient pour les grandes entreprises préférable à l’ancien partage des gains de productivité (depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui).

3)    Maintien des revenus et du volume de la demande globale par « artificialisation de la plus value relative » : baisse de la valeur des biens importés issus de la mondialisation et construction des grands déséquilibres extérieurs (années 80, processus en voie de modération  aujourd’hui)

4)    Maintien des revenus et du volume de la demande globale par la magie financière : endettement croissant des ménages (années 90 jusqu’à aujourd’hui).

5)    Maintien du volume d’activités  des Etats- Providence par la magie financière  (depuis la fin des souverainetés monétaires jusqu’à aujourd’hui).

6)     Consommation croissante de marchandises internationales à partir de revenus non produits, avec en conséquences : divergence croissante entre citoyen en voie de disparition, salarié devenu davantage précaire ou flexible, et consommateur consumériste et parfois chômeur (depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui).

7)    Crise financière comme crise de surendettement (depuis l’été 2007  avec aggravation progressive depuis).

8)    Crise des Etats devenus incapables d’assumer leurs dettes et leurs « fonctions  protectrices » (prise de conscience aigüe depuis 2010).

Derrière ces étapes existent des groupes d’acteurs : financiers qui prendront une place centrale au terme de la mise en place des autoroutes de la finance ; grands industriels qui auront la capacité de s’arracher aux contraintes du fordisme ; petits entrepreneurs ; distributeurs, acteurs essentiels dans la chaîne de l’artificialisation de la plus value relative ; salariés ; consommateurs ; et bien sûr tout ce qui relève du personnel politico-administratif. Sans oublier que l’ensemble de ces acteurs se trouve plongé dans l’océan de la mondialisation, océan fortement peuplé d’acteurs nouveaux.

Les résultats du jeu des acteurs constituent chacune des étapes de la grande crise. Et ces résultats ne sont évidemment pas prédéterminés : l’humanité reste, aujourd’hui comme hier, complètement aveugle. Ils sont simplement le compromis de l’instant, compromis qui assure le pouvoir à ceux que nous appelons les entrepreneurs politiques du moment. Et, évidemment, le compromis n’est pas durable car ce qui caractérise une grande crise, c’est que le futur ne peut plus être la reconduction, même remaniée, du passé.

Il n’y aura pas de retour vers les  glorieuses et, ces trente cinq dernières années (1975-2010), correspondent au bricolage des acteurs en recherche du maintien du présent.  Sauf peut être pour la finance qui a du vivre la période des glorieuses, comme insupportable répression, et fût l’acteur révolutionnaire de la période suivante. Probablement pour le pire.

Ce qui caractérise une grande crise est le sentiment de l’impasse. En particulier impasse des Etats aujourd’hui, avec des entrepreneurs politiques qui doivent « relancer » mais en même temps assurent la déflation. Impossibilité de laisser les déficits, mais impossibilité de tirer la demande par des exportations nouvelles pour tous. Si tous exportent, qui achètera alors que la réduction des déficits est une diminution des demandes globales de tous ? Et une relance par redistribution du partage salaires /profit est impensable en mondialisation : la demande globale du pays qui s’y aventurerait serait complètement siphonnée par les concurrents. Et comment créer un régulateur au dessus des Etats lorsque les marchés politiques restent d’essence nationale, ont tendance à se multiplier plutôt qu’à se fédérer ?  

 Au total, impasse  du jeu global des acteurs qui fait émerger des états de plus en plus dégradés du monde des humains. Jeu global animé par des intérêts mais aussi des représentations du monde, telle celle figurant dans les théories économiques dominantes. Impasse qui est, en conséquence, aussi d’ordre épistémologique à l’instar de celle des mathématiciens grecs qui à partir de leur vision sur le concept de nombre seront dans l’impossibilité d’exprimer numériquement la diagonale du carré. Il n’y avait pas de solution pour calculer la diagonale du carré. Il fallait pour cela une autre vision du concept de nombre. Il n’y a pas de solution à la crise des années 2010 dans le paradigme d’aujourd’hui. Tout doit être réinventé.

Bonnes vacances à toutes et à tous.

 

 

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11 décembre 2009 5 11 /12 /décembre /2009 09:10

La théorie économique enseigne que toute perturbation réglementaire d'un marché, développe des effets contraires aux intentions qui présidaient à la prise de décisions. Taxer les bonus serait oeuvre de justice, puisque ce serait l'aidedes Etats, qui engendre aujourd'hui les profits de banques encore sous capitalisées. La taxation serait ainsi un juste retour des choses. Et du même coup, il est espéré que les banques, qui devront payer elles mêmes la taxe sur les bonus distribués, préféreront augmenter leurs capitaux propres.

Les effets probables risquent de décevoir le populisme des entrepreneurs politiques.

Les banques ne chercheront pas à dilluer le capital, tant que le floue existera sur la définition des capitaux propres, et tant que la liquidité procurée par les banques centrales sera quasi-illimitée, et surtout quasi-gratuite. l'argument selon lequel la taxation vaudrait la "fuite des meilleurs" , notamment vers Singapour, est sans doute plus discutable. Il est en effet de nombreux outils juridiques d'évaporation de la taxation. Celle-çi étant apparemment un tir à un seul coup (seule l'année 2009 serait concernée) , la possibilité de retarder le versement des bonus vient immédiatement à l'esprit. Mais surtout des aménagements juridiques peuvent être envisagées, comme par exemple le passage d'une partie des bonus dans la partie fixe des salaires, ou mieux encore, l'externalisation des activités de trading, faisant du trader un entrepreneur indépendant vendant ses services.

Plutôt que de s'attaquer aux effets, (Le bonus de ceux qui sont le facile bouc -émissaire) Il serait plus sérieux de s'attaquer aux causes du phénomène: les surprenants profits bancaires dans un contexte de crise économique grave. Et la cause ultime de ceux-çi, est bien dans le triangle relationnel entre banques centrales, banques, et Trésors publics.

La fort généreuse politique des banques centrales, vient gonfler sans limite les bilans des banques ,et fait remonter le prix de certains actifs que la crise considérait toxiques. En même temps, cette création de monnaie centrale devient endettement public par l'intermédiaire des banques,grosses acheteuses de cette dette, qui aujourd'hui encore sert à soutenir une demande globale de biens et de services très insuffisante partout dans le monde. Et tant que la demande privée ne prend pas le relai , il en sera ainsi. Les banques deviennent ainsi un intermédiare, prélevant, comme tous les intermédiaires, une marge au titre de l'achat de la dette publique. Comme le coût de la matière première monétaire est - en raison de la générosité des banques centrales-  proches de Zéro, la marge ou valeur ajoutée est pratiquement égale au coût de l'endettement public. Oui, les banques gagnent beaucoup d'argent sur le dos des Etats.

Une mesure plus sérieuse ,que celle de la populaire et populiste taxation des bonus, consisterait à se passer des banques, et  demander aux banques centrales de "ravitailler" les Etats- qui, il faut le rappeler, empêchent la demande globale de s'effondrer. Et de les ravitailler sans discriminations, c'est à dire aux prix pratiqués aujourd'hui au bénéfice des banques, soit un prix proche de la gratuité.

Evidemment le coût psychologique serait élevé: mettre les banques centrales sous l'autorité des Etats est une révolution Copernicienne.La violence de la crise mettra peut-être bientôt la rupture épistémologique à la portée de tous.

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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 12:19
G20 des 24 et 25 septembre : de la réalité à l’utopie

 

Voici ce que les chefs de gouvernement pourraient déclarer, s’agissant de la régulation financière à l’issue du G20 :

Considérant qu’en septembre 2008, le monde n’a échappé que d’extrême justesse à un effondrement monétaire complet, effondrement jusqu’ici jamais rencontré dans l’histoire ;

Considérant que le dit effondrement était lié à des phénomènes spéculatifs de très grande ampleur, eux même reliés à des endettements publics et privés d’une exceptionnelle amplitude ;

Considérant que l’ensemble de la régulation financière s’est nourrie à partir d’une représentation savante erronée de la réalité des marchés financiers ;

Les chefs de gouvernement décident de faire rentrer dans le droit positif de chaque Etat ou groupes d’Etats représentés  les dispositions suivantes :

1)      Il est mis fin à la déspécialisation des systèmes bancaires. Chaque système national est désormais composé de banques commerciales et de banques d’investissement totalement séparées  tant du point de vue juridique que du point de vue de la gestion.

2)      Aucune banque qu’elle qu’en soit la nature ne peut  dépasser un total de bilan représentant  le 1/10 du PIB de l’Etat dans lequel elle déploie ses activités.

3)      Les activités de titrisation mises en place au début des années 90 sont mises en extinction.

4)      Les activités de trading ne se conçoivent que pour le compte de tiers,  ce qui entraine un interdit général de ces mêmes activités pour compte propre des banques.

5)      Les effets de levier sont limités aux niveaux atteints au seuil des années 2000, soit un levier indépassable de 12.

6)      Les activités financières sur les marchés de taux, et sur les marchés des matières premières et des produits de base,  ne sont autorisées qu’aux seuls acteurs de l’économie réelle.

7)      Les activités sur les marchés de produits dérivés sont réservées aux seuls acteurs de l’économie réelle.

8)      Les plus-values de court terme (moins de 1 an) sont taxées à 100% et sont internationalement redistribuées en faveur du bien commun de l’humanité. Les plus –values de long terme (5 ans et plus) sont entièrement défiscalisées.

9)      Les innovations financières ne peuvent être mises en pratique sans une étude approfondie, d’une instance internationale seule habilitée à autoriser la mise sur le marché des dites innovations.

10)   Le régime fiscal s’appliquant à la distribution de crédits aux entreprises voit son assiette reposer sur une incitation à l’augmentation du volume des prêts accordés.

 

Au-delà, les chefs de gouvernements s’engagent à démocratiser et à confier des pouvoirs supranationaux aux différentes instances internationales de régulation économique et financière, l’objectif général étant de réduire les graves déséquilibres des comptes extérieurs de nombreux pays, et des monnaies qui leurs sont associées.
 
Fait à Pittsburg ce 25 septembre 2009.
 
Signature des représentants des 19 pays les plus importants de la planète et du représentant de l’union européenne.

Ces imaginaires décisions, ne relèvent pas de l’utopie, et seront peut-être prises un jour….hélas trop tardivement et dans un climat – l’approfondissement de la crise aidant-  beaucoup plus lourd. Ainsi va l’histoire des hommes…

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5 septembre 2009 6 05 /09 /septembre /2009 16:14

                                                                                                                                                                                                                                                                                               Sainte Hélène ou le poids d'une double histoire impériale.

 

 

Sainte Hélène est inaccessible, et c'est après un long voyage que vous empruntez l'escalier qui sépare l'océan du minuscule débarcadère utilisé par l'empereur des français un certain soir d'octobre 1815....

Si peu a changé! Vous n'avez pas besoin des panneaux de signalisation pour vous diriger. Vous pouvez même vous fier à la description précise que fait Las Cases , dans son mémorial, pour cheminer de James Town à Longwood: rien n'a réellement changé, si ce n'est qu'il n'y a plus aujourd'hui de  chevaux sur l'île mais prés de 2000 voitures qui encombrent ce qui reste des chemins bitumés.

Sainte Hélène, minuscule rocher dans ce qui fût l'immense empire, reste elle même le centre d'un empire en miniature. Son gouverneur, désigné par Londres, règne lui même sur d'autres îles: Tristan Da Cunha et Ascension. Les habitants de Sainte Hélène les considèrent comme leur banlieue, et ajoutent même les « falklands »puisque nombre d'entre eux y travaillent. Ainsi Sainte Hélène est elle la capitale de l'immense Atlantique Sud: au moins 15 millions de km2.

L'île était une place importante, avant le canal de suez, au temps de l'East Indian Company, et auparavant au temps de la VOC, la compagnie Hollandaise des Indes. C'est qu'en ces temps là, les voyages qui exigeaient le contournement de l'Afrique, étaient longs et il fallait trouver des relais  de ravitaillement pour l' eau, les légumes, les  fruits et la viande fraîche.

Découverte en 1502, Sainte Hélène devient ainsi pièce essentielle des empires... en particulier de celui qui devait l'emporter sur tous les autres: le « british empire »

Mais Sainte Hélène est surtout connue par le biais du héros d'un autre empire, celui qui avait presque réussi à refaire Rome, et affirmait construire une Europe, autre que celle que l'on construit aujourd'hui: Napoléon. Si Sainte Hélène est connue dans le monde entier, c'est grâce à lui. Qui dans le monde ne connait pas ce bout du bout du monde qu'est Longwood?

Bizarrement, l'avenir de l'île repose pour partie sur « Bonny » , surnom donné par les anglais à leur célèbre prisonnier. C'est qu'après qu' Hudson Lawe ait persécuté l'empereur, le gouvernement de Saint Hélène supplie aujourd'hui la France de rester dans l'île. Et sur un grand pied.

C'est que la France dispose d'un très vaste domaine sur Sainte Hélène, domaine concédé par la reine Victoria à Napoléon dit le « petit » en 1857. Ce domaine qui ne comprenait que la maison et les grands jardins de Longwood , et le vaste domaine de la tombe de la vallée des géraniums, s'est -plus récemment- agrandi, avec le don du pavillon des Briards par l'arrière petite fille de la très célèbre Betsy Balcombe en 1950. Il s'agrandit encore d'une certaine façon avec la restauration des appartements des généraux et du « Bertrand cottage ». L'ensemble dispose d'un statut d'ambassade et nous avons même un fonctionnaire qui gère le tout: Michel Martineau , qui dépend hiérarchiquement du consulat général de France au Cap. En mètres carrés « l'ambassade » à Sainte Hélène est plus vaste que la plupart de nos ambassades dans le monde.

Mais le rouleau compresseur de la RGPP (« Revue Générale des Politiques Publiques ») est passé par les Briards et Longwood: Il n'y a pas de petites économies. « Et si on fermait tout pour ne plus avoir de charges? » dit-on au quai d'Orsay. Intolérable, répondent nos amis britanniques par le biais de leurs représentants de Sainte Hélène: si la France abandonne son histoire, elle porte un coup sévère à la capitale de l'Atlantique Sud. C'est que l'inaccessibilité de l'île n'empêche pas de gros navires de croisières de passer par là et de faire goûter, pour quelques heures, aux charmes de la tombe impériale, à leurs milliers de touristes. Et si d'aventure il y avait un aéroport , Napoléon serait un bon substitut à l'absence radicale sur l'île , de ces machine à bronzer que sont les plages.

Londres se pose la question de l'avenir de l'île. Le projet d'aéroport qui a déjà coûté tant d'argent à la métropole en rapports divers, est aujourd'hui sur une voie de garage:trop coûteux. L'île perd ses habitants qui ne trouvent de l'emploi que sur les autres îles dont le statut est jugé stratégique: Falklands et Ascension, îles qui intéressent aussi les USA pour des raisons spatiales et militaires.

 

Sainte Hélène coûte cher, trop cher: prés de 20 millions de livres sterling en 2009, et à Londres existe aussi quelque chose comme la RGPP.... L'idée d'indépendance n'a évidemment aucun sens. Les 4000 habitants de l'île ne constituent pas une culture propre, ils  sont- pour beaucoup-  les descendants d'un féroce esclavagisme mené par l'empire. Le destin des ancêtres était aux mains des anglais. Ce sont les mêmes anglais qui décideront du sort de leurs enfants. Précisément des enfants qui oublient de naître: il n'y a eu que 36 naissances sur l'île en 2008. Il y en avait prés d'une centaine il y a moins de 20 ans. Dramatique. Si les expatriés ne reviennent plus pour leurs vieux jours, et s'il n'y a plus de quoi renouveler les générations, à quoi bon s'intéresser au développement de Sainte Hélène?

La France laissera tomber d'une façon ou d'une autre Sainte Hélène. Les anglais feront probablement de même. Une page de l'histoire se ferme tout doucement.....une page qui aura connu ses moments de gloire entre la chute de Constantinople et  l'ouverture du canal de Suez. Une page qui est aussi celle de deux empires aujourd'hui finissants...

            

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

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