Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 mai 2019 3 22 /05 /mai /2019 09:29

La publication d’un rapport encore provisoire du Conseil National de la Productivité[1] nous permet de nous interroger sur la notion d’objectivité dans les débats macrosociaux.

On sait que parmi les multiples recommandations des instance européennes, des conseils nationaux de productivité doivent être mise en place dans tous les pays de la zone euro. Il s’agit de produire une vision commune des réalités des pays de la zone en vue d’assurer une meilleure coordination des politiques économiques.

S’agissant de la France ce Conseil installé depuis le 23 juin 2018 est présidé par Philippe Martin, lui-même président du Conseil d’Analyse Economique. Il regroupe plusieurs dizaines d’experts de Bercy, de la Banque de France, etc. mais aussi quelques universitaires. Il vient de donner lieu à une publication  qui sera amendée par les représentants des partenaires sociaux.

Le rapport n’apporte pas d’informations ou de connaissances réellement nouvelles mais construit des propositions de politiques économiques à l’échelle de la zone. Constitué de 2 parties et 6 chapitres il s’interroge d’abord sur la productivité pour évoquer ensuite la compétitivité et conclure sur une offre de recommandations à des fins de consolidation de la zone euro.

On ne saurait reprocher une démarche entièrement constructiviste et on comprend naturellement qu’il s’agit de sauver ce qui peut l’être et à ce titre les interrogations concernant les taux de change intra-zone n’apparaissent qu’entre les lignes. On comprend ainsi parfaitement que le rôle fondamental de ce type de rapport est de contribuer à produire des outils qui sont censés permettre la survie de la monnaie unique, laquelle est vécue comme clé de voûte d’un édifice appelé à s’effondrer si d’aventure la clé devait céder. Pour autant le document se veut plus ou moins scientifique et cherche à découvrir ce qu’il croit être les causes des problèmes de la France et ceux de la zone Euro dans son ensemble.

Une sous- productivité en France ?

La partie consacrée à la productivité n’introduit pas une compréhension correcte des divergences européennes examinées dans la suite du rapport. Le rapport définit classiquement la productivité du travail par le rapport du PIB sur la quantité de travail utilisée. Au-delà des questions de mesure, il existe d’emblée un problème de comparaison et d’évolution des productivités à l’intérieur de la zone euro.

Prenons un exemple simple pour situer le problème

Supposons 2 Etats ne produisant que des oranges mais dont l’un est coupé du reste du monde et dont l’autre est relié par des réseaux de transports performants. Supposons en outre que les productivités strictement physiques soient égales, par exemple 100 oranges par unité de travail. S’agissant de l’Etat isolé la productivité en valeur (les oranges seront échangées à l’intérieur du périmètre des frontières) sera très certainement inférieure à celle de l’Etat ayant accès aux échanges internationaux. Les échanges étant muselés d’un côté et libérés de l’autre l’utilité totale obtenue- la somme des gains à l’échange- sera en principe plus grande dans l’économie ouverte. Ce résultat évident montre que la productivité du travail parce qu’elle s’exprime en valeur ne peut internationalement être comparée sans faire référence à un système de prix lui- même très affecté par un « prix chef d’orchestre » qui est un taux de change. Et si le « prix chef d’orchestre » est fixé à un niveau trop élevé, les acheteurs étrangers d’oranges se feront rares. En clair la productivité du travail risque d’être plus faible si le taux de change est trop élevé. Dire cela est déjà très important pour comprendre la langueur de l’économie française. Mais les choses sont plus graves encore car une productivité plus faible peut ne pas statistiquement apparaitre si dans le panel des activités, celles les moins productives disparaissent : des usines ferment et des emplois sont détruits, ce qui met en lumière les activités qui elles restent fortement productives.

Le rapport du Conseil National de la productivité ne peut pas aborder correctement cette question. Il reconnait une productivité française qui se maintient aussi par disparition d’activités et existence d’un fort chômage, mais ce dernier n’est pas imputé à un taux de change inadapté entre les divers pays. Par contre il est attribué à une question de compétence et de qualité de la main d’œuvre.

Un peuple handicapé ?

Cette qualité insuffisante est examinée avec le plus grand détail. 18 pages du rapport sont de fait consacrées à ce que l’on croit être des insuffisances spécifiquement françaises. En amont le système scolaire et universitaire, mais aussi l’appareil de formation continue sont mis en cause par leur très faible participation à la production des compétences recherchées, avec notamment leur incapacité à produire chez les formés de la confiance et l’esprit d’innovation nécessaire au dynamisme des entreprises. Ce handicap se reproduit naturellement au niveau du mangement lequel est jugé très inférieur à ce que l’on trouve dans nombre de pays, la France se classant dans les derniers rangs au niveau des indicateurs retenus dans ce que l’on croit être la plupart des études. On trouve également dans le rapport des aspects culturels qui seraient handicapants, ainsi la très forte méfiance vis-à-vis des entreprises et des institutions en général. Bien évidemment, même si le rapport ne fait qu’énumérer sans se livrer à une démarche réellement causale, il signale les rigidités multiples sur le marché du travail, celui de la réglementation, celui de la régulation, etc.

Ce que l’on peut lire comme une inadaptation assez générale à l’esprit de compétition se traduit naturellement  dans d’autres domaines : résistance à l’automatisation des process, au numérique, aux investissements de modernisation, etc.

L’économie française respire mieux lorsqu’elle s’éloigne de son peuple ?

Bref il ne ferait pas bon de produire en France, ce qui expliquerait que pour les esprits les plus dynamiques il vaut mieux quitter le pays et produire à l’étranger. Ici encore on peut empiriquement vérifier que la France de l’extérieur se porte bien. Le rapport n’évoque guère cette réalité, mais il faut souligner que les actifs français à l’étranger sont considérables et représentaient en 2017 1473 milliards de dollars, soit 56% du PIB de l’époque avec 12 entreprises dans le top 100 mondial des actifs implantés à l’étranger.  Ainsi la France se situe au troisième rang mondial, loin devant l’Allemagne ou la chine. L’emploi industriel dans les filiales étrangère représente 73% de l’emploi national, et celui dans les filières de groupes nationaux à l’étranger représente 6,1 millions de personnes contre seulement 5,7 pour une Allemagne dont le PIB est pourtant de 35% supérieur au PIB français. Au total cette France qui est sortie de ses frontières pour produire représente 33% de l’emploi marchand hexagonal contre seulement 17,8% pour l’Allemagne. Comme si la France faible à l’intérieur et forte à l’extérieur était un peu l’image inversée de l’Allemagne :  plus faible à l’extérieur et plus forte à l’intérieur.

Ces chiffres rassemblés par Xerfy sont peu connus et seraient certainement validés par les auteurs du rapport. Toutefois 2 explications peuvent se concurrencer : La France de l’étranger réussit parce que la réalité humaine et sociale de l’hexagone est devenue irrespirable pour l’économie ou bien la France a-t-elle du s’extravertir parce que le taux de change résultant de la mise en place de l’Euro a étouffé son économie, voire celles de nombreux pays de la zone ? On pourrait aussi aller plus loin,  reconnaitre les insuffisances humaines et sociales de la France qui très certainement peuvent handicaper le cout global du travail, et dire que la maitrise politique du taux de change était l’outil spécifiquement français qui naguère compensait, et assurait le rayonnement du pays. Bien évidemment pour les auteurs du rapport le choix est fait : il faut transformer le pays pour sauver l’euro. Le taux de chance n’est pas un paramètre central dans la productivité et seule les spécificités humaines et sociales le sont.

Des propositions révolutionnaires ?

Si donc la première partie du rapport rassure les défenseurs de l’Euro, encore faut-il que ses auteurs proposent des solutions au fonctionnement correct de la zone. De ce point de vue on peut constater dans le rapport un vrai progrès avec la prise de conscience que les politiques budgétaires imposées à l’issue de la crise n’étaient guère opportunes. A l’issue de la grande dépression, sauf le cas particulier de la France, les déficits extérieurs de ce qu’on appelait les PIGS ont disparu, tandis que les excédents du nord sont devenus gigantesques. Au total la zone connait un excèdent courant en 2017 de 3,5 points de PIB. D’où de nouveaux problèmes : risques de montée du cours de l’euro, maintien d’un excès d’offre, maintien d’une épargne excédentaire sur l’investissement, etc. De ce point de vue le rapport reconnait qu’il existe désormais au sein de la zone un important déficit de demande globale. Il faut aussi souligner la prise de conscience de la modification des politiques commerciales des USA qui de plus en plus évoque la notion de juste échange et dénonce les excédents européens et an particulier allemands.

La mise en avant de ces faits bien connus mais jusqu’ici peu évoqués dans les cercles bruxellois, débouche dans le rapport sur des solutions d’une certaine façon assez révolutionnaires : mise à l’index des procédures budgétaires issues de la crise, mise en avant d’une stratégie d’équilibre des comptes courants supportée par les excédentaires (essentiellement Allemagne et Hollande). S’agissant de ce dernier point, il est suggéré une modification des prix relatifs à l’intérieur de la zone, par le biais d’un différentiel d’inflation entre l’Allemagne (3,5%) et le reste de la zone (1,5%), différentiel obtenu par assouplissement budgétaire, relance de l’investissement public, voire de la consommation privée.  

Le rapport du Conseil national de la productivité ne dit pas comment il sera possible d’évoquer l’idée d’inflation dans la seule Allemagne. Il ne dit pas non plus comment envisager une politique monétaire unique dans une zone où durablement existeraient des niveaux d’inflation différents. Il fût très difficile d’imposer des dévaluations internes aux PIGS, ceux qu’on appelait les cigales parce que peu vertueux. Comment imposer une dévaluation interne aux fourmis (essentiellement Allemagne et Hollande) ?

Au total la lecture du rapport laisse voir des auteurs qui commencent à être déstabilisés par le mouvement du monde. On reste adepte des réformes structurelles classiques en soulignant une image assez dégradée de la société française. Simultanément on prend conscience d’une réalité des déséquilibres qui ne peut plus être évoquée par la petite histoire de la cigale et de la fourmi.

 


[1] Productivité et Compétitivité. Où en est la France aujourd’hui ? Premier rapport du Conseil National de Productivité. Avril 2019. 20 Avenue de Ségur, Paris.

Partager cet article
Repost0
8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 13:55

On sait que la monnaie unique a fait disparaitre le lien fondamental qui, historiquement, reliait la monnaie à l’Etat. Au moment où des partis eurosceptiques prennent le pouvoir, il n’est pas inutile de rappeler ce fait.  Ce que l’on peut désigner par « big bang » des Etats, c’est-à-dire leur origine et leur naissance se comprend le plus souvent comme un processus faisant apparaitre un lien entre un créancier - le prince - et des débiteurs - les sujets - lien largement confirmé par un objet politique qu’on appellera « monnaie ». Toujours sur le plan historique, cet objet sera du métal précieux contrôlé par le prince, métal qui, par sa suprême liquidité, pourra servir au paiement de mercenaires voire de dettes envers d’autres princes. Le pouvoir, en sélectionnant l’objet servant au paiement des dettes invente déjà ce qui sera ultérieurement le circuit du Trésor. Il faudra payer tout ou partie du montant de l’impôt en métal précieux, lequel redescendra dans la société par la voie de la dépense publique. Une bonne partie de l’histoire monétaire peut se lire au travers de 2 lignes de forces, l’une verticale, celle de l’Etat et de son circuit du Trésor, et celle horizontale des marchands et financiers qui chercheront à utiliser au mieux, voire à contrarier la puissance du prince. Dans ce monde, il est important de contrôler mines de métal et « hôtels des monnaies » qui, de fait, seront les premières banques centrales. A partir de ces dernières, un « seigneuriage » sera d’autant plus facilement prélevé que le métal étant « réserve de valeur » sa thésaurisation potentielle entraine une rareté elle-même accrue par les besoins d’une économie qui se développe.  

Il est important de rappeler cette trop rapide fresque historique pour comprendre le démantèlement des Etats résultant de la construction de « l’euro système ». La banque centrale est devenue un objet séparé des Etats avec l’idée d’indépendance de l’institut d’émission. Mieux, les Etats qui, encore au vingtième siècle, pouvaient partiellement se nourrir de seigneuriage, par exemple les fameuses « avances non remboursables » au Trésor sont devenus des « interdits bancaires ». Chaque Etat dispose d’un compte du Trésor à sa Banque centrale, mais il est interdit à ladite banque de lui accorder un quelconque crédit. Et s’il existe une politique monétaire, elle est le fait d’une institution complètement extérieure, la Banque Centrale européenne qui,  de par sa vocation holistique, ne peut s’adapter aux réalités économiques spécifiques de chacun des pays de la zone.

C’est dans ce contexte qu’il faut imaginer la volonté du nouveau pouvoir italien d’émettre des certificats de Trésorerie, un peu comme jadis les hôtels des Monnaies frappaient le métal. Et le but serait de remédier à une situation économique particulièrement difficile.

De façon très résumée cette situation économique de l’Italie résulte pour l’essentiel d’une stagnation, voire un déclin exceptionnel de la productivité du travail, laquelle passe de 100 en 1996 à 98 en 2018. Soulignons que, dans le même temps la productivité du travail est passée de 100 à 150 aux USA, de 100 à 130 en Grande Bretagne, et de 100 à 120 en Allemagne. Ce fait fondamental, assorti d’un partage des revenus défavorable aux entreprises, explique la faiblesse de la rentabilité du capital, celle de l’investissement et au final la stagnation en longue période du PIB. Stagnation qui entrainera un affaissement international du pays que l’on pourra mesurer par l’évolution relative de sa compétitivité internationale :  hausse de 70% du volume des exportations depuis l’avènement de la monnaie unique, à comparer avec les hausses correspondantes pour la France (130%), ou mieux l’Allemagne (230%). Bien évidemment, on notera une grande corrélation entre ces faits et l’irruption de la monnaie unique, et corrélation aussi entre les dévaluations régulières de la Lire de jadis et l’extraordinaire réussite industrielle italienne jusqu’à la fin des années 80. Une réussite qui se déversait, certes plus modestement, dans le sud du pays grâce à des taux de change tenant compte de l’improductivité relative du sud par rapport au nord. En clair une Italie hétérogène adoptant déjà une monnaie unique pour l’ensemble du pays, mais une monnaie adaptée à la région la moins prospère.

Côté financier,- il faut bien sûr rappeler une dette publique colossale (132% du PIB) et donc un service de la dette venant naturellement s’ajouter aux dépenses publiques. Il faut aussi rappeler un stock élevé de créances douteuses (plusieurs centaines de milliards d’euros) alourdissant les bilans d’un système bancaire fragile.

C’est dans ce contexte que vient l’idée de monnaie parallèle qui, de par son double effet apparent d’instrument supplémentaire de la dépense publique et de réducteur d’imposition, est un point d’accord entre des partis au pouvoir dont les buts sont divergents.

L ’objectif est bien évidemment de renouer avec une croissance forte elle-même nourrie par des gains de productivité élevés issus d’investissements de modernisation tout aussi (quantitativement et qualitativement) importants. Tout aussi évidemment, il s’agit de desserrer les contraintes de la monnaie unique qui, dans le cas italien, imposent un excédent budgétaire primaire très élevé en raison d’un service de la dette très lourd. Contraintes qui entrainent un climat continuellement récessif et le déclin marqué du pays.

La victoire des partis dits « populistes » correspond ainsi à la volonté de mettre fin à cette situation.

Le principe de la monnaie parallèle est alors assez simple : il s’agit de construire un instrument de paiement, qui ne peut être juridiquement interdit par Bruxelles et qui permet de desserrer l’étau de la contrainte budgétaire. Cet instrument est un « bon de Trésorerie » émis par le Trésor lui-même qui servira de paiement de tout ou partie de l’impôt pour son détenteur. Concrètement, l’Etat règle ses engagements (achats, subventions, dette) par des Bons, lesquels - au terme d’une circulation correspondant au monde des affaires - viendront en déduction des montants d’impôts à payer au Trésor. Beaucoup de choses peuvent être imaginées ici : qualité des bons assis sur différents types d’impôts (TVA, Revenu, etc.) échéance du titre (court terme, moyen terme, etc.), qualité des bénéficiaires (investisseurs, producteurs, consommateurs, etc.). On peut aussi imaginer un paiement du service de la dette publique par émission de bons de trésorerie, ce qui revient à diminuer la charge de ladite dette. On peut ainsi imaginer des modalités nombreuses qu’il convient d’instruire en fonction des objectifs et de leur efficience.

Mais beaucoup de questions se posent immédiatement : si le titre est un instrument de paiement, sera -t-il assorti d’un cours légal ? un cours forcé ? Y aura-t-il mécaniquement un marché secondaire du bon de trésorerie ? une « loi de Gresham»? Plus fondamentalement, les défenseurs de l’euro proclameront que le déficit caché ne peut l’être très longtemps puisque la procédure revient à augmenter les dépenses publiques tout en diminuant à terme les prélèvements. On cache le non-respect des traités aujourd’hui… mais ils réapparaitront demain affirment les défenseurs de la monnaie unique.

A ce risque, la réponse est simple et consiste à considérer que la croissance retrouvée permettra des recettes fiscales supérieures au volume des bons en circulation, croissance et réduction du déficit fiscal allant de pair. En allant plus loin dans le concret, on peut imaginer que le supplément de dépense publique, par son effet migratoire, allège successivement les contraintes comptables de toutes les instances productives ou consommatrices. Une commande publique redresse une rentabilité ici… qui permet un règlement de dette là, un crédit ailleurs, un investissement plus loin, etc. De quoi assainir une relation particulièrement complexe en Italie entre banques chargées de créances douteuses et entreprises en difficultés générant les dites créances, une situation qui rappelle un peu celle de l’aveugle et du paralytique. Plus la chaine est longue et plus l’efficience des bons de trésorerie est grande. Inversement plus elle est courte et plus l’efficience est faible.

C’est la raison pour laquelle, dans cette affaire, la confiance est importante : si les bons deviennent une quasi monnaie, l’économie italienne pourra redémarrer. Inversement si la confiance est faible ou fragile l’effet risque d’être catastrophique.

Cette confiance peut- elle -même- être mesurée par la différence entre taux italien et allemand sur la dette publique, ce qu’on appelle le « spread de taux ». Si le lancement des bons de trésorerie réduit le spread de taux, cela signifie qu’il n’y a pas de fuite de capitaux, que la confiance règne, et que rien n’est entrepris pour détruire les effets positifs des bons sur l’activité économique. Dans ce cas le succès est probable et, en longue période, cela peut signifier que le retour de gains importants de productivité peut éviter la dévaluation et le retour de la Lire. Bien entendu cela suppose que ces gains de productivité soient significativement supérieurs à ceux des voisins de l’euro zone et vienne ainsi permettre le maintien de la monnaie unique : l’équivalent d’une quasi dévaluation interne se substituant à une dévaluation externe qui continue de rôder….

Nous ne connaissons pas le chemin qui se dessinera mais il est intéressant de noter que le dispositif qui va peut-être émerger remet en selle des principes radicalement opposés à toutes les croyances et dogmes du monde de la finance. Les bons de trésorerie deviennent une quasi-émission monétaire orchestrée par l’Etat, soit l’équivalent de ce qui existait lorsque banques centrales et Etats ne formaient de fait qu’une seule et même institution. Réalité qui s’oppose au principe devenu planétaire depuis la prise progressive du pouvoir par la finance partout dans le monde et qui a partout exigé l’indépendance des banques centrales et la fin de toute forme de seigneuriage au profit des Etats.

Bien évidemment l’émission de bons risquera très vite, comme nous le suggérons, d’élargir le spread de taux ce qui peut amener le gouvernement italien à mettre en place un contrôle des changes ….et renforcer les doutes… d’où un cercle vicieux possiblement catastrophique. Il faut donc comprendre que logiquement les acteurs du monde de la finance vont entrer en guerre contre le gouvernement italien et, de fait, tenter de le décrédibiliser. L’arme privilégiée étant de proclamer haut et fort que le gouvernement va ruiner les épargnants…

La chose ne sera pourtant pas facile car l’arme en question peut très bien se retourner contre ses utilisateurs si l’Etat italien s’appuie sur une souveraineté réaffirmée. On peut en effet imaginer la contagion suivante :

-la hausse des taux sur la dette italienne débouche sur un contrôle des changes et un essaimage vers les pays les plus endettés (Espagne) ;

- La baisse des cours affaiblit les banques européennes porteuses de dettes italienne (soit selon les chiffres fournis par « l’European Banking Association » près de 25 milliards d’euros de titres  pour les banques espagnoles, 30 milliards d’euros pour les banques françaises… et 172 milliards d’euros pour les banques italiennes) ;

-Mais elle affaiblit aussi- par contamination-  les banques européennes porteuses de dette espagnole ( 13 milliards d’euros pour les banques françaises, 23 milliards pour les banques italiennes …et 211 pour les banques espagnoles) ;

-l’émission de bons de trésorerie entre en difficulté : on ne peut sauver les banques- en crise d’illiquidité- avec de tels titres , et plus encore on ne peut faire face au passif extérieur net (10 % du PIB italien selon NATIXIS) avec ces mêmes titres…tandis que l’Espagne contaminée ne peut honorer ses engagements extérieurs (80% de son PIB selon la même source) ;

- explosion finale de l’euro avec ses conséquences sur tout ou parti des actifs nets extérieurs allemands (60% de son PIB selon NATIXIS), ce qui représente une gigantesque perte en capital pour le pays, auquel il faut ajouter la disparition de sa « compétitivité cout » par une réévaluation élevée (30% ?)

L’exercice assumé de la souveraineté de l’Italie et la panique des marchés sont ainsi porteurs d’un rétablissement des souverainetés chez tous les voisins.

L’ampleur d’un tel processus, sans doute élargi encore par l’énormité des stocks de produits dérivés contaminés, est évidemment connu de nombre d’acteurs et Il est certes possible d’imaginer un autre scénario plus complaisant avec le rétablissement d’un circuit du Trésor en Italie. On peut imaginer une Allemagne, très inquiète devant un risque majeur, devenir réaliste et fermer les yeux sur la monnaie parallèle italienne…qui dès lors essaimerait dans d’autres pays…et finirait par transformer l’euro- quasi-spontanément- en monnaie commune. Un tel dispositif mettrait fin au grand démantèlement des Etats et permettrait à ces derniers de retrouver l’essentiel de leur souveraineté. Le couple monnaie/Etat, momentanément abandonné par l’aventure fort singulière de la monnaie unique, serait reconstitué et permettrait le retour des fondements démocratiques des sociétés européennes.

                                                                                                                      Jean Claude Werrebrouck

 

.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 09:56

 

Nous voudrions montrer dans ce chapitre que la monnaie est un marqueur fondamental de la forme de société dans laquelle on vit. En ce sens il ne serait pas idiot de s’exprimer en ces termes simplistes : « Dis-moi quel type de monnaie tu utilises et je te dirai dans quel monde tu vis ». Pour comprendre toute l’épaisseur de ce marqueur, nous interrogerons l’Histoire et verrons que la monnaie fut d’abord un instrument de construction des États et qu’elle est devenue aujourd’hui un instrument de leur affaissement. Avec en arrière-plan l’idée de souveraineté que l’on construit, puis que l’on détruit, petit à petit, en transformant l’outil monétaire. Et puisque derrière la souveraineté se cache l’enjeu fondamental de la démocratie, nous montrerons qu’un ordre démocratique ne peut se concevoir sans un certain type d’ordre monétaire en tant que condition nécessaire sinon suffisante.  Nous tenterons ainsi de montrer que les nations ne pourront survivre au XXIe siècle que sur la base d’une restauration des pouvoirs monétaires aujourd’hui largement abandonnés.

  1. La monnaie comme outil de construction de la souveraineté

Si des formes monétaires sont apparues avant les premiers États, il est aujourd’hui démontré que les constructeurs desdits États les ont façonnées aux seules fins de s’affirmer et se construire.

La monnaie comme enfant du sacré et de l’État[1] 

Les premières formes de ce qu’on appelle encore aujourd’hui la dette ne s’affichaient pas comme dette monétaire, mais comme dette de vie envers une extériorité radicale : l’au-delà de la condition terrestre. Les dieux ont donné une vie qu’il convient de rembourser notamment par l’institution du sacrifice, institution que l’on rencontre dans toutes les sociétés dites primitives. Et bien évidemment quand on parle de dette de vie, il s’agit d’un patrimoine culturel et social que chaque sujet rencontre à sa naissance comme « capital avancé », simplement remboursé par des rituels sacrés dans lesquels on trouve l’institution du sacrifice[2].

Ce que l’on peut appeler le « Big Bang » des États, c’est-à-dire le temps de leur apparition est, de fait, l’accaparement par certains individus de la dette sacrée jusqu’ici engendrée par la communauté. Le Pouvoir étatique est ainsi une prise du pouvoir sur les vieilles religions primitives. De ce point de vue, et l’ethnologue est ici en désaccord avec le juriste, l’État est un phénomène de privatisation du capital culturel et social, c’est-à-dire « l’extériorité de toute société »[3]. Une autre façon de lire cette même réalité est de considérer que le pouvoir politique est issu d’une prise de pouvoir sur la religion. Alors que le politique est une réalité qui, jusqu’ici, était inaccessible en raison de l’éloignement des hommes au regard des puissances de l’au-delà (tous sont démunis de ce pouvoir et les rapports entre les hommes sont dictés par l’au-delà), elle devient, par accaparement de cette puissance, une réalité tangible : des hommes vont dominer d’autres hommes.

Bien évidemment, la privatisation du sacré doit logiquement devenir privatisation de la dette de vie, et les hommes sont progressivement invités à devenir les débiteurs du pouvoir terrestre. La dette envers les dieux peut évidemment se poursuivre mais désormais elle s’accompagne d’une dette envers le souverain. En ce sens le « Big Bang » des États va aussi être une capture de la dette sacrée. Il en découle que logiquement l’endettement envers les Dieux deviendra progressivement un endettement croissant envers la puissance souveraine.

Cet endettement peut être encore de la dette de vie : dette de sang, esclavagisme, travail gratuit, mais aussi impôt, sous forme de prélèvements sur l’activité domestique ou économique, ou sous forme directement monétaire. En la matière, le signe monétaire retenu pour régler l’impôt ne peut être que choisi par le prince. Et le signe retenu est naturellement celui qui bénéficiera de la plus grande liquidité possible, une liquidité permettant au prince de régler ses propres dettes envers les autres princes avec lesquels il est en conflit, et celles envers les mercenaires qu’il emploie au titre des guerres qu’il entretient pour assurer son pouvoir et sa survie dans la communauté des puissants. Et quand on dit « puissants » on dit déjà « souverains », c’est-à-dire des individus qui n’acceptent pas de pouvoir « au-dessus », c’est-à-dire de lois qui pourraient s’imposer à eux. Le souverain est ainsi celui qui, tout au plus, peut accepter des règles de coordination sans jamais se soumettre à des règles de subordination.

Le motif de liquidité la plus grande nous fait comprendre que le signe retenu n’est pas la monnaie virtuelle d’aujourd’hui, mais le métal précieux, lequel va s’imposer au terme d’une sélection : le métal précieux est le seul objet dont la liquidité est parfaite, acceptée par la communauté des puissants et aussi acceptée par des mercenaires qui ne pourraient pas se contenter de titres illiquides[4].

La monnaie dans la dialectique de l’économie et de la puissance souveraine

On comprend désormais que le prince, né d’un « coup d’État fondant l’État[5] » et sa puissance souveraine, s’intéresse de près à ces premières formes de banques centrales que sont les mines de métal précieux…et les « Hôtels des monnaies » qui en sont le prolongement. Le prince fonde ainsi ce qui est déjà le premier « circuit du Trésor[6] » : il crée ou tente de créer la monnaie, dont il fera un monopole du règlement de la dette de ses sujets envers lui, c’est-à-dire l’impôt. La monnaie qu’il crée lui sert de règlement de sa propre dette (ses dépenses), règlement dont la circulation, sera soumise à l’impôt.

Mais le prince peut être gêné dans l’affirmation de sa puissance et de sa souveraineté par une caractéristique essentielle de la monnaie : elle est outil du pouvoir et du règlement de la dette envers le prince, mais elle est aussi réserve de valeur…et à ce titre peut être thésaurisée. Un phénomène qui implique sa rareté et une lutte perpétuelle pour la vaincre. Parce qu’outil parfait de la liquidité, caractéristique qui la rend susceptible de faire circuler toutes les marchandises, elle est appréciée pour elle-même et donc possiblement stockée…ce qui vient gêner le pouvoir dès lors que celui-ci ne maîtrise plus d’inépuisables mines de métal, ce qui le gène aussi lorsqu’il est impliqué dans d’innombrables guerres très coûteuses avec ses voisins. Par excellence concepteur et créateur de la liquidité, il peut lui-même entrer en position d’illiquidité et donc voir sa puissance érodée. L’histoire montre que l’ascension du politique et des États correspondants est faite de tentatives de contournements de ce qu’on peut appeler une véritable « loi d’airain de la monnaie[7] » : rendre la monnaie plus abondante par le biais de la dilution voire l’émission de papier, avec bien sûr les limites sociales de ce type de choix des souverains.

Cette faiblesse de la verticalité du pouvoir politique pourra être compensée par une coopération avec le monde horizontal de l’économie naissante. Car la monnaie, grande affaire du prince, est également celle des marchands et banquiers qui, eux aussi, se voient opposer la contrainte monétaire. Eux-aussi vont tenter de la contourner avec l’introduction de la lettre de change, avec la conversion des monnaies entre elles, etc. La montée de la puissance politique se nourrit de l’accroissement des recettes fiscales, la « dette » des « sujets », laquelle se nourrit elle-même de la montée de la puissance économique. L’intérêt du loup étant que les moutons soient gras, les princes ne s’opposeront pas à l’émergence des premières privatisations des monnaies : les banques vont émettre progressivement du papier non couvert intégralement par une base-or.

 En contrepartie, les banquiers déjà mondialisés viendront réduire les risques d’illiquidité, voire de solvabilité des princes dépensiers en achetant de la dette publique. Cette dernière et le taux d’intérêt qui lui sera associé, sont les marqueurs de la collaboration entre monde vertical, déjà en difficulté, et monde horizontal dont l’ascension ne fait que commencer. Le souverain ne peut plus vivre de la seule prédation sur ses sujets : il lui faut aussi solliciter des prêteurs.

Nous entrons ici dans les premières formes de délitement de la souveraineté : le monde vertical est amené à partager la souveraineté avec l’horizontalité marchande, un monde qui commence à capter la monnaie souveraine : des personnes privées vont émettre des signes monétaires qui emprunteront les marques de la puissance souveraine : dénomination, unité de compte, règles de monnayage, pouvoir libératoire. Le souverain – historiquement une personne privée accaparant et détournant l’extériorité d’une communauté humaine, à savoir la dette de vie – est amené à céder une part de l’outil de ce détournement/accaparement : battre monnaie sera de moins en moins un attribut de la souveraineté. L’État, né hors marché, n’est plus complètement « au-dessus du marché ». Le monde du pouvoir avec ses règles de subordination (verticalité) doit, en particulier avec une dette publique portant intérêt, collaborer et parfois se soumettre au monde marchand et ses règles de coordination contractuelles (horizontalité).

Cet affaissement n’est pourtant pas linéaire et la verticalité pourra encore se manifester clairement lorsqu’il apparaîtra que le monde financier et marchand ne peut se passer de la monnaie souveraine pour assurer le fonctionnement des affaires. Très simplement, les différentes monnaies privées des banques ne peuvent assurer la circulation monétaire exigée par le développement des échanges marchands que s’il y a compensation entre les dites banques et donc une monnaie commune de règlement des dettes entre elles, à savoir la monnaie  centrale définie par le souverain. Si les monnaies privées peuvent toutes se convertir en monnaie centrale définie par le prince alors elles sont convertibles entre elles et les règlements interbancaires sont assurés. En termes simples, l’horizontalité ne peut s’épanouir qu’en s’appuyant par la verticalité. Cette dernière apparaîtra sous la forme des premières banques centrales, à la fin du XVIIe siècle et surtout au XIXe siècle[8]. Ces dernières vont progressivement apparaître comme instrument de disparition de la loi d’airain de la monnaie, puisque les souverains peuvent trouver en elles un substitut aux mines d’or de jadis. Et peut-être même davantage car à l’inverse de la mine toujours limitée, la monnaie légale émise peut l’être de façon illimitée si le pouvoir est capable, notamment en raison de circonstances historiques, d’imposer le cours forcé et l’inconvertibilité des billets en métal précieux.

En la matière, la France avec sa longue histoire l’érigeant en Etat-Nation, sera l’une des premières à engendrer un pouvoir plaçant sa banque centrale au sommet d’un système bancaire hiérarchisé[9]. Il suffira de nationaliser ensuite cette banque centrale pour l’arrimer au Trésor et réinventer ce qui avait fait le succès du prince au moment de la construction des premiers États : le souverain Français, désormais peuple souverain, va devenir le principal émetteur de monnaie… et une monnaie retournant vers le peuple souverain, par le biais de ce qu’on a appelé le « circuit du Trésor ».

La dette publique de jadis, elle-même marqueur de l’affaissement de souveraineté, perd grandement de sa signification, puisque les dépenses publiques reviennent vers le Trésor (comme jadis les pièces d’or revenaient vers le souverain) en raison de l’obligation de nombreuses institutions financières de déposer leurs ressources sur un compte du Trésor. Plus clairement, les déficits publics viennent gonfler la liquidité de la plupart des institutions financières, organismes de crédits, Poste, Banques, etc, lesquelles ont l’obligation règlementaire de déposer tout ou partie de ces liquidités sur un compte du Trésor.

Ce retour de la verticalité est très net pour le système bancaire soumis à ce qu’on a longuement appelé la règle des « planchers des bons du Trésor[10] ». Les banques ne sont pas des correspondants du Trésor et ne sont pas soumises à l’obligation d’y déposer leurs liquidités, par contre elles ont l’obligation journalière de convertir une partie de leurs liquidités en achats de bons. Et un achat dont le prix – le taux – est fixé directement par le Trésor. Sans doute peut-il exister un déficit et une dette publique, mais celle-ci est hors-marché. Nous sommes dans la verticalité du peuple souverain et non dans l’horizontalité de l’ordre marchand. Très simplement, le capitalisme a pignon sur rue, mais il ne peut se métastaser en financiarisation généralisée et se trouve contenu dans le périmètre de l’économie réelle. Le peuple souverain reste souverain et se trouve protégé de l’émergence d’une inondation faisant de l’État une instance non souveraine car « en-dessous du marché ». Plus clairement encore, l’État ne risque ni l’illiquidité ni, a fortiori, l’insolvabilité. Il n’a donc pas besoin d’être noté par des agences comme c’est devenu le cas aujourd’hui.

Bien évidemment cette phase historique, de culture très française, se paie d’une répression financière dont il faut comprendre le mécanisme. L’épargne n’est pas alimentée par une dette publique qui vient s’ajouter aux profits financiers de l’économie réelle. C’est dire qu’elle n’est alimentée que par le canal des titres privés (actions et obligations des entreprises). Cette situation est très contraire à celle du XIXe siècle où la dette publique dite perpétuelle alimentait une foule de rentiers[11]. Elle est également très contraire à celle constatée jusqu’aux quantitatives easings, puisque la dette publique est devenue matière première de nombre de produits financiers soumis aux règles de l’horizontalité marchande[12]. Cette situation n’est évidemment pas bien vécue par des épargnants dont le nombre s’élève avec la croissance économique des Trente Glorieuses. Elle n’est pas non plus bien vécue par le système financier dont le périmètre d’activité est très étroit[13]. Elle correspond toutefois au choix de l’État-nation devenu démocratique.

Si l’on dresse le bilan d’une très longue période qui va du « big-bang des États » – il y a plusieurs milliers d’années – jusqu’à la financiarisation d’aujourd’hui, on peut constater que la monnaie est d’abord un objet politique. À ce titre, elle est un enjeu fondamental pour des forces a priori opposées – ce qu’on a appelé la verticalité face à l’horizontalité –, mais toutefois soumises à une certaine conjonction des contraires. La loi d’airain de la monnaie correspond à  la faiblesse historique du souverain et cette loi ne sera efficacement combattue qu’à un stade relativement tardif de la souveraineté démocratique, non celle de l’État-nation du XIXe siècle, mais plutôt celle de la seconde moitié du XXe siècle.

Il semble pourtant que nous rétablissions depuis une trentaine d’années la vieille loi d’airain de la monnaie qui nous entraîne vers la fin de l’État-nation souverain et démocratique.

 .

 

Partager cet article
Repost0
2 décembre 2017 6 02 /12 /décembre /2017 09:28

                                      

La monnaie unique peut-elle assurer le bien vivre ensemble au sein de nations structurellement diverses ? Cette question est la même que celle de l’ingénieur spécialiste des voies navigables qui réfléchit à la possibilité d’assurer dans le cadre d’un relief accidenté une navigation sans écluses… C’est ce que nous allons essayer de montrer.

Plan de l'intervention:

-La banalité d’un avant -euro.

-Tous sur le même canal

-Fin des écluses et navigation dangereuse

-La dette ou le renflouement par l’artifice des pompes

-Première pompe : acheter des marchandises allemandes avec du crédit bancaire

-Deuxième pompe : acheter des marchandises allemandes avec du déficit public

-Troisième pompe : acheter des marchandises allemandes avec les largesses de la BCE

-Des pompes : peut-être, mais… ; des transferts politiquement décidés : assurément jamais.

L’Allemagne schizophrène et autoritaire

-Vers l’extériorisation de la schizophrénie ?

 

La banalité d’un avant-euro

Les  nations qui s’acheminent vers l’ euro à la fin du siècle précédent sont, au regard d’une multitude de critères, très différentes : taille, forme d’Etat, systèmes politiques, fiscalité, administration, tradition culturelle, régime démographique, niveaux de formation, structures économiques, niveaux de développement, poids de l’internationalisation, systèmes monétaires et financiers, importance des avoirs et dettes vis à vis de l’étranger, inflation, croissance et gains de productivité, investissements en RD, etc. Et sans doute la productivité et son évolution sont de bons indicateurs de l’identité de ces passagers qui s’apprêtent à choisir la monnaie unique.

La mise en contact économique de mondes différents générait traditionnellement 2 prix fondamentaux : le taux de change et le taux de l’intérêt, le second étant lié au premier[1]. Ces deux prix sont ainsi les pièces permettant l’articulation -telle celle de deux portes d’écluse permettant la mise en contact entre deux biefs d’un canal-  de mondes différents. Ces deux prix ne sont pas nécessairement des prix de marché et l’écluse peut-être politiquement organisée : liberté ou pas de la circulation des capitaux ? contrôle des changes ou pas ? droits de douanes ? quotas d’importations ? protection réglementaire et normative ? quelle politique monétaire ? quelle politique budgétaire ? Bref, il existait comme sur les canaux des équipements ou outils secondaires permettant le bon fonctionnement de l’écluse.

Tous sur  le même canal.

Avec l’euro, les écluses sont supprimées et tout le monde va devoir apprendre à vivre et circuler sur un canal non régulé… selon notre image, sans bief amont et sans bief aval : monnaie unique et taux de change définitif…c’est-à-dire éternel…même banque centrale et même politique monétaire, politique budgétaire imposée, libre circulation du capital, marché unique, etc.

 Fin des écluses et navigation dangereuse.

Les diversités fort banales de l’avant euro vont devenir des lieux de divergences croissantes, lesquelles sont empiriquement constatées : hausse de 33% de la production industrielle en Allemagne mais baisse partout ailleurs…. Comme si ce bief aval que devient l’Allemagne se trouvait inondée par son industrie et les biefs amont asséchés.  Les inégales productivités et leurs croissances inégales vont très vite faire naitre des problèmes que l’on cherchera à masquer.

Les deux prix fondamentaux (taux de l’intérêt et taux de change) – devenus des extériorités pour chaque nation- vont imprimer des chemins divergents. L’Allemagne ne risque plus de dévaluation compétitive vis-à-vis de ses partenaires et donc le secteur exportateur industriel peut davantage investir sans risques. Parce que les traditionnelles fragilités monétaires des voisins disparaissent les taux de l’intérêt peuvent baisser sur le reste de l’Europe, d’où l’opportunité de diminuer les couts sur les dettes publiques françaises, ou italienne et bien sûr grecque. D’où un crédit à la consommation moins onéreux assorti d’une monnaie solide et donc le développement d’une consommation jusqu’ici muselée par les deux prix susvisés.

Les inégales productivités se renforcent et vont de plus en plus justifier des spécialisations catastrophiques : dépendance de l’Allemagne vis-à-vis de son secteur exportateur, de la France vis-à-vis de son Etat Providence qui se gonfle sous les effets de la désindustrialisation, de l’Espagne vis-à-vis de son secteur immobilier qui se nourrit de taux bas, de la Grèce vis-à-vis de sa consommation rapidement croissante de marchandises qu’elle ne produira plus. Et à force de s’industrialiser d’un côté et de s’acheminer fort logiquement et fort rationnellement vers d’autres choix ailleurs (immobilier, consommation, fonction publique) la divergence entre les productivités ne fera que s’accroitre, accroissant du même coup les forces centrifuges et tendances à l’écartèlement. Ces choix fondamentaux ne peuvent que s’autorenforcer car l’efficience productive est le propre de l’industrie et beaucoup moins celle des services. Il en découle que logiquement l’Allemagne doit être de plus en plus riche et le sud de plus en plus pauvre. La fin des écluses inonde le bief aval et dessèche les biefs amont.

La dette ou le renflouement par l’artifice des pompes.

 Les exportations allemandes vers le reste de la zone et en particulier le sud, doivent être payées par des clients qui, eux, situés dans des zones qui ne disposent pas de ressources pour exporter vers l’Allemagne. Clairement, ils ne disposent pas des réels moyens de paiement nécessaires à leurs achats de produits allemands. C’est donc avec des revenus insuffisants que l’on va acheter les exportations allemandes. D’où l’idée de dette. Il n’y a de surplus net de l’Allemagne que parce qu’il y a déficit net du sud. En reprenant la métaphore du canal, la circulation dans les biefs amont (les pays du sud) ne peut reprendre que si l’on arrive à faire remonter- par exemple à l’aide d’une pompe-  de l’eau depuis le bief aval (l’Allemagne). 3 types de pompes furent successivement employées

Première pompe : Acheter les marchandises allemandes avec des crédits bancaires : Des banques du nord, allemandes ou non, qui s’installent directement ou indirectement dans le sud, peuvent prêter à des acheteurs du sud lesquels importeront des marchandises allemandes. Avec cet argent, les fournisseurs allemands pourront faire face à leurs charges, pourront investir, moderniser leur outil de production. Au-delà, ils pourront aussi se constituer une épargne qui, par exemple, s’investira dans des fonds de pension, pouvant eux -mêmes recycler l’épargne constituée dans des crédits aux banques du nord effectuant des prêts dans le sud. ….Le circuit est rétabli et  la pompe du système financier vient se substituer aux écluses disparues…

Deuxième pompe : Acheter les marchandises allemandes avec du déficit budgétaire : les Etats du sud qui se désindustrialisent embaucheront des fonctionnaires, se livreront à de lourdes dépenses au profit des citoyens lesquels -bardés de revenus non économiquement créés-  pourront continuer à alimenter le surplus allemand. La dette publique ainsi émise pourra être achetée par des fonds de pension allemands accueillant la nouvelle épargne allemande résultant de la croissance du surplus allemand. Et si le surplus allemand se pérennise et s’accroit vis-à-vis du sud, alors logiquement la dette du sud doit tout aussi logiquement augmenter. Bien sûr il pourrait être mis fin au surplus s’il existait une barrière aux exportations allemandes (droits de douane, quotas, dévaluation, contrôle des changes, etc.), mais chacun sait que ces barrières sont interdites par les Traités et n’ont aucun sens sous le règne de l’euro. Et bien sûr cette fin du surplus serait aussi la diminution de la dette…et de l’épargne allemande figurant sous la forme de titres financiers. …Dans notre image du canal dépourvu d’écluses, si l’on met en place une pompe ce n’est pas pour en réduire son efficience…La bonne circulation dans le canal malgré la fin des écluses passe par une pompe….

Troisième pompe : Acheter les marchandises allemandes avec les largesses de la Banque centrale européenne : Les choses peuvent encore devenir plus folles, et si les banques du sud commencent à voir que la dette devient trop importante et trop risquée, alors il serait bon d’assurer un minimum de sécurité en impliquant directement les banques centrales. Globalement, les banques centrales des pays dont les citoyens achètent le surplus allemand, vont financer les banques de leur Etat, voire l’Etat lui-même, ce qui signifiera qu’elles s’endettent auprès de la BCE…. dont le principal actionnaire est l’Etat allemand. Nous avons là toute l’inquiétude qui se manifesta à propos des soldes « TARGET2 ». ..Selon notre image si les premières pompes s’avèrent insuffisantes alors mettons en place une nouvelle beaucoup plus puissante….

Les allemands ne sont pas nécessairement dupes et se rendent compte - depuis longtemps- de la folie du dispositif. Un certain vivre ensemble ne peut se constituer en Allemagne (plein emploi) que sur la seule base d’un mercantilisme qui lui-même ne peut s’avérer que de plus en plus fragile et contestable. Le contrat social allemand ne peut fonctionner qu’avec les pompes qui rendent solvables les clients de l’industrie allemande.

Des pompes :..peut-être, mais… ; des transferts politiquement décidés: assurément jamais.

Le relatif contrat social allemand repose sur les exportations qu’il faut à tout prix maintenir, en contenant les salaires internes, en rétablissant un impérium sur le centre de l’Europe[2] , en maintenant un euro, gros pourvoyeur de compétitivité par son taux de change[3], etc. Mais en même temps les plus lucides savent aussi qu’il faut un impérium y compris au détriment des grands voisins en veillant à ce  qu’aucun transfert ne se manifeste, par exemple au profit de ce grand déficitaire qu’est la France. Que diraient les électeurs allemands si - déjà soumis à la rigueur salariale- devaient au-delà s’acquitter de taxes supplémentaires au profit d’européens du sud voire de certains pays situés plus au nord ?

C’est qu’il faut choisir entre dettes croissantes et transferts. Les pompes ne génèrent que de la dette …et pour l’Allemagne, des actifs ,certes de plus en plus douteux…, mais préférables à des transferts nets de richesse depuis des agents économiques allemands vers des agents étrangers. C’est la raison pour laquelle les allemands se méfient de plus en plus de la dette des clients qu’ils aimeraient voir s’amincir par les célèbres « réformes structurelles » ; mais pour autant ils ne sont pas prêts à des transferts venant compenser toute l’eau dont ils bénéficient depuis la disparition des écluses…

L’Allemagne schizophrène et autoritaire.

Aucun transfert, donc, chez tous les pays clients, des politiques restrictives…. qui, pourtant, réduisent le terrain de jeu du surplus potentiel qu’il faut néanmoins maintenir….On ne peut avoir l’ambition de n’être qu’une « grosse Suisse » quand il faut surveiller voire devenir  autoritaire vis-à-vis de ses voisins…Et cette surveillance et cet autoritarisme sont en même temps illogiques puisque le respect intégral des « règles du jeu »  transformerait les voisins en exportateurs nets…ce que l’on ne souhaite pas….On ne peut pas tous devenir exportateurs nets…..sauf si la contradiction , comme nous le verrons, est évacuée vers le reste du monde.

L’épargnant allemand ne peut, lui aussi, être dupe et commence à se rendre compte que son épargne accumulée sur le surplus ne vaudra plus rien si d’aventure les clients débiteurs se rendaient compte que la dette est tellement gigantesque que l’impérium devient un tigre de papier…Un jour, les exportations risqueront de ne plus être payées tandis que l’épargne se sera évaporée….

On peut comprendre les grandes tensions politiques plus ou moins souterraines en Allemagne: comment avoir un emploi correct et ne pas être concurrencé par des étrangers ? comment garantir une épargne qui nourrit les retraites ? comment maintenir le surplus ? comment ne pas redevenir une nation agressive et avoir tout le monde contre soi aux tables de négociations ?

Vers l’extériorisation de la schizophrénie ?

Le débat entre les écologistes et les autres partis est certes fondamental, mais plus fondamental encore est celui entre les tenants de l’orthodoxie (épargnants vieillissants et groupe des grands exportateurs) et ceux qui veulent trouver une voie médiane permettant de sauver ce qui peut encore l’être….en militant pour un fédéralisme…de très basse intensité au sein de l’UE.

Les premiers ( FDP ? CSU ? AFD ? autres ?) peuvent estimer, que le surplus est maintenant acquis bien davantage sur des exportations vers le reste du monde que sur des ventes à l’intérieur de la zone euro[4]. Il est donc possible de maintenir la rigueur chez les voisins de la zone afin de n’en point subir les risques - hausse des taux sur les dettes publiques par exemple et effondrements menant à la disparition de l’euro- et maintenir les positions acquises sur le reste du monde à l’abri d’un euro dévalué[5].

Les seconds ( CDU, SPD, écologistes ? autres?) peuvent penser que la situation devient intenable et qu’une voie médiane doit être trouvée. Cette solution serait aussi favorisée par un précaire retour à une croissance européenne tirée par les exportations non plus de la seule Allemagne mais aussi celle résultant de 5 années de dévaluation interne faisant de certains pays du sud de nouveaux compétiteurs. Il s’agit au fond de reporter les effets de la contradiction interne sur l’extérieur et obtenir un excédent collectif sur le reste du monde. Cette solution est pourtant précaire et ne peut correspondre à la construction d’une Europe sociale puisque les dévaluations internes ne sont pas coopératives et ne mettent pas fin au long processus de divergence.

Ce schéma qui extériorise partiellement la contradiction interne, et qui est le plus probable à l’heure où ces lignes sont écrites, ne permet aucune solution au problème de l’euro.

Son cours sera probablement trop élevé et mangera les bénéfices des dévaluations internes du sud, tout en avantageant les chaines de la valeur allemande se nourrissant de consommations intermédiaires fabriquées dans une Europe centrale extérieure à la zone. Globalement, l’effet taux de change des dévaluations sera neutre et les divergences seront maintenues. Il n’existe pas de solution à la désertification des biefs amont lorsque les écluses disparaissent.

.

 

 

 

 

 

 

 

[1] La relation entre ces deux prix et leurs liens avec la productivité, elle-même reliée à nombre de caractéristiques qui forment une nation concrète ont été étudié par une foule d’économistes parmi lesquels on pourra citer : Balassa, Samuelson, Rogoff, Genberg, Mundell, Fleming, Lucas, etc.

[2] Cet impérium est aujourd’hui tel que les pays de l’Est (Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Pologne,etc) ne sont que les fournisseurs de composants assemblés en Allemagne. Ces fournisseurs génèrent d’importants gains de productivité absorbés non par les salariés locaux mais transférés vers l’industrie allemande. Nous avons là tout le malaise de ces pays qui constatent que leur intégration à l’UE n’est pas faite que d’avantages.

[3] Chacun sait que la disparition de l’euro entrainerait une hausse considérable d’un Mark restauré.

[4] C’était en 2016, près de 60% du surplus extérieur qui se réalisait avec l’extérieur de la zone euro, soit plus de 155 milliards d’euros. Il y a 8 ans le surplus ne se montait qu’à 130 milliards et se trouvait acquis d’abord sur les échanges intra-zone euro.

[5] Selon Le FMI la sous-évaluation de l’euro au regard de l’Allemagne serait de 15%, tandis que la sur -évaluation de ce même euro au regard de la France serait de 11%.

Partager cet article
Repost0
25 octobre 2017 3 25 /10 /octobre /2017 14:05

 

Un référendum concernant l’organisation du système monétaire sera l’an prochain organisé en Suisse. Les électeurs devront se prononcer sur l’adoption ou non du vieux principe de « monnaie pleine ». Il est curieux de constater que si nombre d’économistes étrangers débattent de la question des modalités de l’émission monétaire, aucun français – en dehors du regretté Maurice Allais-  n’aborde ce problème aujourd’hui. On trouvera ci-dessous un rappel de la question avec le concept central qui lui est associé : le « seigneuriage ».

 

Avant le seigneuriage

Sans revenir sur une très intéressante histoire de la monnaie[1], on sait que la forme primitive de celle-ci est -du point de vue des ethnologues- un instrument dont la circulation permettait de relier durablement, et probablement autoritairement, les hommes entre eux. La monnaie primitive consacrait ainsi la prééminence du tout sur les parties. Nous sommes de fait très loin des actuelles cryptomonnaies qui, à l’inverse, autorisent par le biais de la Blockchain un individualisme radical : les parties peuvent désormais oublier le tout.

On sait aussi que ces monnaies primitives vont avec le temps perdre leur statut de lien fondamental et devenir progressivement un moyen de paiement instituant la possible fin de toute réciprocité. Ce sera le cas avec le « paiement du sacrificateur » puis celui du « neuf[2] », ultérieurement encore avec les monnaies locales et les monnaies dites anonymes.

Ces dernières, parce que métalliques, deviendront progressivement les premières monnaies souveraines, par inscription symbolique du pouvoir politique sur ce qui devenait des pièces. Leur parfaite liquidité allait leur assurer une fonction réserve de la valeur toujours essentielle aujourd’hui. La frappe des monnaies issues de mines elles-mêmes politiquement contrôlées, allait devenir un monopole régalien. Désormais la « nomisma » (monnaie) devient affaire de « nomos » (la loi) qui définira  l’étalon et son « dokimon » (cours légal). C’est l’Etat qui, en imposant les règles du jeu, pourra payer ses créanciers et faire payer ses débiteurs « naturels » que sont ses sujets soumis à l’impôt.

Le seigneuriage comme enjeu de prédation

C’est à ce niveau que pourra se construire le « seigneuriage ». L’Etat naissant se fait certes créancier de ses sujets, mais il va plus loin en inventant une forme supplémentaire de prédation : Par le biais d’un jeu sur « l’aloi », il va tricher sur le contenu métallique et ainsi s’autoriser un prélèvement supplémentaire. L’histoire ultérieure sera toujours la même et aujourd’hui encore - sous des formes monétaires plus modernes- le seigneuriage se pérennise.

Simplement, il va se trouver progressivement partagé avec d’autres acteurs, notamment la finance, dans un contexte qu’il nous faut décrire. On sait que la monnaie métallique est limitée par la production minière, et qu’à ce titre elle se heurte aux besoins sans cesse croissants, de l’illimitation économique et de la thésaurisation issue de sa fonction de réserve de valeur. Il s’agit de ce qu’on appelle la « loi d’airain de la monnaie »[3] qui fait de cette dernière une denrée rare entrainant des pressions sans cesse déflationnistes. La monnaie fiduciaire est ainsi devenue progressivement un moyen de lutte contre l’implacable loi d’airain de la monnaie.

Dans ce contexte, la réalité du seigneuriage se déplace : il n’est plus simplement question de dilution (de fraude sur le contenu métallique), mais d’émettre des billets pour une valeur supérieure à la réserve de métal. Dit autrement, la réserve métallique n’est plus qu’une fraction de la masse des billets, d’où l’expression de « réserves fractionnaires ». Au-delà de quelques exemples qui furent des catastrophes historiques (Systèmes de Law puis des Assignats) ce sont plutôt les banques qui vont émettre au-delà du 100% de réserves, et ce faisant ce sont elles qui vont s’approprier -et donc privatiser- le  seigneuriage.

Cette question du seigneuriage sur la monnaie fiduciaire va se poursuivre longtemps et progressivement les Etats vont reprendre le contrôle sur la monnaie en élargissant le monopole d’émission d’une banque particulière qu’ils vont créer et qui sera désignée plus tard « banque centrale »[4].

Pour autant, le rétablissement de ce monopole ne sera pas durable et la bancarisation qui va accompagner les trente glorieuses verra le retour du seigneuriage privé. Ainsi les banques vont s’adonner à l’émission massive de monnaie scripturale. Réalité qui sera aussi celle d’une réponse aux besoins monétaires correspondant à une très forte croissance économique. Concrètement, la monnaie émise ne sera plus assise sur des dépôts, mais sur des crédits qui, eux-mêmes, vont alimenter des dépôts. Ces crédits sont donc une émission de monnaie donnant lieu à rémunération (le taux de l’intérêt), pour un coût de production nul et un coût du risque maitrisé… la différence devenant le nouveau seigneuriage privé. Aujourd’hui la masse monétaire appelée « M1 » par les spécialistes n’est plus que l’ensemble des comptes courants auxquels il faut ajouter la masse très réduite voire en voie de disparition des pièces et billets.

Ces comptes courants se développent par le biais d’une création sans retenue de monnaie nouvelle,  création résultant d’une augmentation du stock de dettes. Et puisqu’il est interdit à l’Etat de se financer auprès de sa banque centrale et de renouer avec le seigneuriage dont il pouvait bénéficier jadis, c’est le système financier qui va effectuer des crédits auprès du trésor et, à cette occasion, s’octroyer un seigneuriage d’autant plus large que le coût du risque est, jusqu’ici en matière de dette publique, proche de zéro.

C’est dans ce contexte que certains proposent la renationalisation de seigneuriage en introduisant ce qu’on appelle le « 100% monnaie » ou le principe de la « monnaie pleine ».

Le seigneuriage « resouverainisé »

Il s’agit alors d’étendre la pratique du seigneuriage jadis attribuée aux billets et aux pièces en voie de disparition, à celui de la totalité de la monnaie scripturale. De la même façon que l’émission de billets par les banques fut progressivement interdite, il s’agirait ici de reproduire le même mouvement sur la monnaie scripturale.

Concrètement, il deviendrait interdit aux banques de créer de la monnaie « à partir de rien »  (aujourd’hui simple ajout monétaire sur le compte d’un client à qui l’on octroie un crédit et qui se traduit par 2 écritures : l’une au passif et l’autre à l’actif du bilan bancaire) et de bénéficier ainsi d’un taux d’intérêt simplement justifié sur le seul risque et non sur un coût de production réel. En revanche l’émission monétaire « à partir de rien » est réservée à la seule banque centrale, émission pouvant se déployer au profit de 3 types d’agents et émission démocratiquement contrôlée :

- D’abord le Trésor lui-même, ce qui correspondrait au seigneuriage de jadis. Qu’il y ait ici un taux d’ intérêt ou pas ne change rien puisque le prix de la dette publique en cas de taux positif serait égal au profit que la banque centrale devrait reverser au Trésor. Les questions brûlantes de coût de la dette ou de son service seraient évacuées.

- Ensuite les banques elles-mêmes pourraient, par abondement de leur compte courant auprès de la banque centrale émettrice, bénéficier de monnaie créée « à partir de rien ». Ici le taux de l’intérêt demandé aux banques devient profit de la banque centrale, et profit reversé au Trésor qui voit ainsi son seigneuriage rétabli. L’ordre institutionnel que l’on croyait naturel est bouleversé : ce ne sont plus les Etats qui sont endettés vis-à-vis des banques mais les banques qui deviennent endettées vis-à-vis des Etats.

- Le cas échéant, la banque centrale peut « à partir de rien » soit créditer directement les entreprises ou les ménages, soit réaliser un profit reversé au Trésor (taux d’intérêt), soit subventionner gratuitement ces agents, et donc redistribuer le seigneuriage du Trésor au titre d’une politique publique économique ou d’une politique sociale.

Bien évidemment, le lecteur peut s’étonner de l’utilisation de l’expression « à partir de rien ». Il s’agit pourtant de ce qui se passe aujourd’hui avec les dangers que cela entraine. La politique quotidienne de la BCE, est celle d’une création monétaire « à partir de rien » et  se déroule au profit exclusif d’un système financier malade de l’économie basée sur la dette, qui produit des bilans bancaires  très alourdis d’actifs privés et publics douteux. Et c’est parce que les banques centrales peuvent produire de la monnaie « à partir de rien » que le système peut se maintenir tout en s’alourdissant. Un tel mouvement détruit l’indépendance des banques centrales qui deviennent dépendantes des banques… avec la dérive constatée, même pour les pays réputés sains.  Ainsi l’Allemagne, en longue période, voit sa masse monétaire augmenter 8 fois plus rapidement que son PIB réel.[5] On pourrait citer d’autres exemples qui, tous, aboutissent à cette prolifération gigantesque de la finance, dans un paysage de l’économie réelle, qui, elle, connait une croissance anormalement modérée.

Il est donc plus sain que le « à partir de rien » soit politiquement contrôlé par des règles du jeu qui fixent l’émission monétaire et le seigneuriage correspondant sur la base de la nouvelle richesse réelle annuellement créée. Concrètement encore, à vitesse de circulation de la monnaie inchangée, il serait possible de fixer le volume de monnaie nouvelle sur la base de la croissance prévisible. Et cette monnaie nouvelle serait autant de seigneuriage qu’il appartiendrait à l’Etat de répartir sur la base d’un contrat clair et démocratique avec sa banque centrale. De ce point de vue la politique du gouvernement algérien qui vient de décider de l’octroi par la banque centrale d’Algérie des moyens nécessaires aux charges de fonctionnement du Trésor est un « à partir de rien » contestable puisqu’il s’agit de régler le paiement programmé des salaires dans un contexte de diminution du PIB réel résultant lui- même d’un effondrement de la rente pétrolière. Ici le « à partir de rien » est directement inflationniste et correspond à un seigneuriage net égal à zéro, un peu selon le mode des périodes de guerre ou d’après-guerre.

Conséquences d’un seigneuriage « resouverainisé »

Au-delà des modifications législatives et surtout des modifications des traités que le dispositif monnaie pleine soulève, Il est bien sûr aisé de dresser une liste d’avantages :

 C’est, tout d’abord, la fin de l’exposition des Trésors aux marchés de la dette publique, avec la possibilité de limiter la pression fiscale du montant du seigneuriage, soit -pour la France- environ 40 milliards d’euros de service de la dette auquel il faudrait encore ajouter la même somme en provenance des bénéfices de la Banque centrale. C’est aussi la possibilité de choisir un dispositif d’allègement considérable des charges des entreprises par la baisse de la pression fiscale. C’est enfin la possibilité de créer le très discuté revenu de citoyenneté sans en supporter la charge budgétaire.

Bref une « combinaison de seigneuriages » jouant à la fois sur l’offre et la demande globale et donc sur une réanimation de la croissance et des perspectives positives quant au vivre ensemble.

Mais il est aussi possible d’en dresser les probables inconvénients et contournements :

Il est clair que le système financier pourra réagir à ce qui lui apparaitrait comme une insupportable mesure répressive. Alors qu’il dispose d’une matière première -la monnaie- à coût proche de zéro, désormais celle-ci devient coûteuse puisque c’est désormais à partir d’une épargne coûteuse que des prêts pourront être offerts. Ce seront les dépôts d’épargne qui feront les crédits et il n’y aura plus de crédits sans prêts. De la même façon, le marché de la dette publique disparait avec tous les avantages qui lui étaient associés en termes de sécurité et de contreparties dans les jeux financiers. Face à une telle situation on peut imaginer une possible élévation du coût de l’investissement et probablement une limitation des activités spéculatives. Les liquidités créées par la création monétaire disparaissant, la matière première de la spéculation se fera beaucoup plus rare. Le seigneuriage privé comme matière première des jeux financiers et des bulles correspondantes disparait.

Face à ce qui sera vécu comme une insupportable répression, on peut imaginer des comportements d’adaptation : délocalisation des banques, ou poursuite de l’activité sur la base d’une monnaie étrangère. On ne peut à priori pas exclure une dollarisation. Mais on peut aussi supposer une adaptation des modalités du seigneuriage, piloté par la banque centrale sous contrôle démocratique, avec des taux d’intérêt faibles pour sa partie prélevée sur le système financier.

On pourrait multiplier les scénarios de réactions issues de l’initiative « monnaie  pleine » mais il est très difficile d’imaginer toutes les conséquences possibles.

Peut-on mieux imaginer des conséquences plus globales telles, celles concernant le fonctionnement de la monnaie unique européenne ?

La monnaie pleine peut-elle solutionner la question de l’euro ?

Bien évidemment, on ne s’attardera pas sur les résistances de l’Allemagne et bien sûr la très difficile réécriture de l’article 123 du TFUE qu’il faudrait complètement renverser. Nous supposerons que cela est politiquement envisageable et accepté. On pourrait alors imaginer que le nouveau seigneuriage devienne le véhicule permettant les nécessaires transferts entre nations excédentaires et nations déficitaires. L’Allemagne trouve dans l’euro les moyens de sa prospérité[6], mais ne veut pas entendre parler des transferts vers ceux qui supportent le poids de ses excédents. Une façon de résoudre cette difficile question serait de répartir les seigneuriages calculés sur la base de la croissance potentielle sans respecter la proportionnalité des PIB des différents pays de la zone.

Concrètement, La BCE sous contrôle démocratique et sur la base d’une croissance de 2% du PIB devrait, compte tenu d’une masse monétaire M1 proche de 7000 milliards d’euros, émettre « à partir de rien » environ 140 milliards d’euros à répartir selon les PIB des divers pays. Si la répartition retenue est proportionnelle au poids de chaque pays, cela signifie que l’Allemagne en bénéficierait d’un peu plus de 40 milliards. Il faudrait alors comparer ce qui reste au bénéfice des autres pays (100 milliards) face aux besoins estimés de transferts vers le sud à partir de l’Allemagne pour assurer l’équilibre de la zone. Ces besoins sont régulièrement estimés entre 8 et 12% du PIB allemand soit entre 200 et 300 milliards d’euros. Le principe de la monnaie pleine s’avère donc insuffisant pour maintenir l’équilibre et supposerait une répartition ne respectant pas le principe de la proportionnalité alignée sur celle des PIB, mais sur un principe plus favorable au sud.

Il est très difficile d’aller plus loin, mais il semble que si l’Allemagne -en supposant son adhésion à la monnaie pleine- renonçait à son seigneuriage pour le redistribuer aux victimes de l’euro, la zone pourrait survivre dans de bien meilleures conditions. Encore faudrait-il que l’Allemagne accepte cette solution qui -sans la radicalité des transferts directs régulièrement évoqués- relève néanmoins de sa souveraineté.

La solution - très hypothétique- n’en resterait pas moins fort précaire et il faudrait que, sur de très longues années, les seigneuriages soient investis au service de l’amélioration de la compétitivité du sud. Beaucoup de conditions très difficiles à rassembler….

 

 


[1] On pourra consulter une synthèse de cette histoire, avec les références correspondantes dans : « Regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir », Jean Claude Werrebrouck, Economie appliquée, tome LXVI, 2013,N° 3 , P 151-177.

[2] CF Michel Aglietta et André Orléan: « La violence de la monnaie », PUF , 1984.

[3] CF Jean Claude Werrebrouck : « la loi d’airain de la monnaie », Revue Médium, N° 34, 2013.

[4] On aura un aperçu intéressant de ce débat en lisant l’article de JP Domin dans le numéro XLV-137, 2007 de la Revue européenne des sciences sociales : « La question du monopole d’émission de la monnaie : le débat banque centrale contre banque libre chez les économistes français (1860-1875).

[5] CF Joseph Huber dans l’opuscule « Réforme monnaie pleine » .

[6] Le FMI lui-même reconnait que l’euro permet une sous-évaluation massive du Mark autorisant une compétitivité artificielle du pays et des surplus extérieurs déloyaux.

Partager cet article
Repost0
10 février 2017 5 10 /02 /février /2017 09:34

Le tableau que l'on trouvera ci-dessous a déjà été publié sur le blog et offre une synthèse de notre ouvrage publié en 2012 (Banques Centrales, Indépendance ou soumission,  chez Yves Michel).

Il reste un bon outil pour les candidats souverainistes sérieux. Un souverainiste sérieux doit avoir le courage d'expliquer qu'une banque centrale ne saurait être une autorité indépendante, et qu'elle doit obéir au pouvoir politique régulièrement désigné par le peuple. C'est ce que nous avons appelé le "mode hiérarchique de gestion de la dette", mode à l'opposé de celui d'aujourd'hui où le souverain doit passer par le marché pour financer sa trésorerie et sa dette. Quand une banque centrale est autorité indépendante et qu'au surplus il lui est interdit de financer le Trésor, l'Etat correspondant cesse d'être souverain. Si les candidats souverainistes connaissaient l'histoire des Etats et la place déterminante qu'ils ont toujours accordée à la monnaie, ils comprendraient que le "mode marché de gestion de la dette" est une anomalie historique menant à une catastrophe planétaire.

 

La fin de cette anomalie permettrait de régler nombre de problèmes : boursoufflure de la finance dans le paysage de la société avec des banques anormalement grosses, avec un endettement de plus en plus massif pour produire de moins en moins de valeur ajoutée réelle, un détournement massif de l'économie réelle au profit des jeux financiers, un abandon des taux de change fixes au profit d'un marché près de 100 fois plus important que ce qui est nécessaire au commerce international, une totale liberté de circulation des capitaux autorisant des  chaines de la valeur optimisées pour bénéficier de coûts du travail mondialement plus faibles, des incohérences et contradictions de statuts avec des sujets devenus déboussolés et incapables de se repérer dans des cadres cohérents, une compétition  entre nations se transformant doucement en agressivité et rancœur, une montée du nationalisme voire du communautarisme pour les plus éloignés du marché compétitif, un retour aux formes les plus barbares de la religion, une dégradation de l'environnement, etc.

Que les candidats classiques des partis traditionnels soient incapables de proposer des solutions sérieuses est assez logique: ils sont issus des groupes d'acteurs qui sont à l'origine de la grande transformation menant à notre anomalie historique. Que les candidats souverainistes n'aient pas pris conscience de la radicalité des mesures à prendre est plus grave et témoigne d'une grande ignorance de l'histoire de la monnaie et des Etats. Ainsi nous continuerons au cours de la campagne à être les spectateurs de cette gravissime  inculture.

Êlections présidentielles: Ce que les souverainistes devraient avoir en tête
Êlections présidentielles: Ce que les souverainistes devraient avoir en tête
Partager cet article
Repost0
8 février 2017 3 08 /02 /février /2017 08:58

Dans un contexte économique devenu très difficile, la campagne électorale française tourne au cauchemar.

Effectivement le contexte est devenu très difficile et les  chiffres pour l'année 2016 du commerce extérieur (déficit de 48,1 milliards contre 45,7 en 2015, et ce, dans un environnement de baisse des prix du pétrole) confirment que Le CICE budgétairement très coûteux n'a eu que peu d'effet pour le rétablissement de la compétitivité du pays. Mieux, hors énergie et matériel militaire, le déficit n'a fait que régulièrement s'aggraver depuis 2013. A cela il faut opposer la croissance des excédents allemands désormais atteints de gigantisme: 297 milliards d'euros en 2016 (en augmentation de 15% sur l'année antérieure). cela fait de l'Allemagne le pays le plus excédentaire du monde, dépassant même la Chine qui, elle, voit son excédent s'effondrer en passant de 293 à 245 milliards d'euros entre 2015 et 2016.

Dans ce contexte de divorce croissant du prétendu couple franco-allemand - déficit de 48,1 contre excédent de 297 milliards d'euros - il est clair que les programmes des différents candidats apparaissent d'une grande frilosité. Abordant souvent des détails indignes au regard de l'enjeu, saupoudrant des mesures sans réflexion ni envergure réparties sur des centaines de propositions, ils masquent les vrais problèmes dont la solution pourrait assurer le retour d'une ambition, qui est  d'abord celle de refaire société en reconstruisant une immense classe moyenne aujourd'hui disparue.

Au delà des candidats qui proposent de rejoindre l'Allemagne par une austérité croissante, qui ne peut entrainer que l'aggravation d'une situation déjà difficile - la dévaluation interne comme seul moyen d'un retour à la compétitivité - il y a ceux qui croyant renverser la table proposent une TVA sociale supposée rétablir l'équilibre. Ce type de mesure peut tout au plus protéger contre l'hyper mercantilisme agressif, mais outre son impact sur les coûts internes, il ne peut rétablir la compétitivité externe.

Seuls 2 candidats proposent le rétablissement de la souveraineté monétaire, mais proposition quasiment honteuse - apparaissant comme mesure glissée sous des centaines d'autres-  dans un contexte de quasi peur d'une police politique affirmant brutalement que le retour à la monnaie nationale serait ruineux. Proposition honteuse donc car ayant conscience de ses effets sur les marchés financiers dès leur annonce... aussi délicate soit cette dernière.

Pour autant, on ne peut proposer une vraie ambition qu'en posant la question de manière ouverte, car nul programme de reconstruction du vivre ensemble, un tant soit peu crédible et approximativement chiffré, ne peut être cohérent sans passer par la clé de voûte de la monnaie.

C'est bien en raison d'un taux de change complètement inadapté qu'a pu se constituer le double mur du déficit d'un côté et de l'excédent de l'autre. Double mur mis en avant par le nouveau secrétaire d'Etat au commerce américain. Il n'est donc pas sérieux, dans un contexte de retour à la monnaie nationale, d'évoquer un programme de mesures prétendument chiffrées. Le retour d'un taux de change initie un prix général à partir duquel tous les autres prix vont s'exprimer et à partir desquels des choix de politique économique vont pouvoir s'initier. Comment en effet parler de façon détaillée de fiscalité, ou de dépenses publiques, si tout doit au préalable être modifié par ce prix pivot qu'est le taux de change, charriant nécessairement des taux d'intérêt, des nouvelles modalités de financement du Trésor, de nouveaux chemins de réduction de la dette, etc.?

Les candidats souverainistes devraient par conséquent abandonner leur programme pour expliquer le comment et le pourquoi du rétablissement de la souveraineté monétaire.

L'exercice n'est pas simple car il consiste à expliquer les vraies mesures à prendre pour assurer dans des conditions de sécurité suffisantes le passage d'un monde qui ne peut plus assurer le maintien d'une large classe moyenne - donc un monde faisant face à des désordres sociaux croissants et bientôt incontrôlables -  en un monde où la qualité du vivre ensemble se trouve progressivement rétablie.

A cet égard, nous ne changeons pas d'avis. Il est impératif que les candidats souverainistes expliquent clairement la situation: le grand écart à l'intérieur de la zone euro, l'effondrement de l'investissement sur toute la zone, l'excessive épargne de la zone (Près de 3% en 2016), la disparition des flux financiers intra-zone, la polarisation massive de la société dans tous les pays victimes de l'euro, la montée des rancœurs entre pays, la BCE devenue planche à billets, etc.. Cette campagne d'explication et d'objectivation de la réalité doit être au cœur des programmes. Et elle est essentielle en raison de la disparition générale de la raison au profit de la montée des émotions.

Mais les programmes doivent aussi expliquer comment s'y prendre pour changer les choses sans développer la panique provoquée par l'anticipation de la dévaluation: spread de taux, thésaurisation en billets, ouvertures de comptes en zone mark, krach obligataire, disparition de tout investissement, sur importations  de précaution, gel à l'étranger du produit des exportations, spéculations sur les marchés à termes, etc.

Prévenir la panique avant l'élection présidentielle, c'est:

     -  Placer au centre des débats la planche à billets dont il sera négocié la réorientation de ses bénéficiaires : l'économie réelle sous la forme d'investissements massifs publics et privés ( de quoi faire disparaître l'excès d'épargne de la zone), la diminution de la dette publique, la sanctuarisation de l'Etat-providence, la création massive d'emplois générés par l'investissement. A ce niveau les candidats peuvent se passer de chiffres mais ne peuvent  s'abstraire de la qualité des raisonnements.

       -  s'engager sur la négociation avec la seule Allemagne en proclamant haut et fort que la modification du statut de la BCE permettant la réorientation fondamentale de son activité est la seule possibilité pour le sud de la zone de continuer à lui appartenir.

Bien évidemment, les candidats souverainistes doivent aussi savoir que cette négociation est impossible pour les allemands et que, dans ces conditions, en cas de victoire à l'élection présidentielle, la réquisition de la banque de France interviendra sans délai, avant même tout épanouissement de la panique,  y compris en s'affranchissant de la légalité européenne. Une telle décision, par son caractère souverain entrainera l'effondrement complet de la zone avec le rétablissement d'un mark réévalué à hauteur d'environ 30%, ce qui permettra d'en finir avec la mercantilisme allemand.

Mais aussi une telle décision permettra  de donner crédit à l'objectif fondamental de refaire société à l'intérieur de chaque nation. Au delà elle permettra aussi de reconstruire une collaboration entre nations européennes sur une base de coopération. Les taux de change étant rétablis la compétitivité meurtrière à l'intérieur de la zone au profit de la seule Allemagne avec ses dangers majeurs aura disparu.

Bien évidemment, il faudra gérer les débuts difficiles de ce monde nouveau, et le nouveau président ne pourra guère pratiquer la langue de bois. Reconstruire une immense classe moyenne paisible ne sera pas une promenade de santé, mais le début du chemin qui y mène sera au moins emprunté, et surtout du sens sera retrouvé.

                                         

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
20 octobre 2016 4 20 /10 /octobre /2016 13:03
L'euro est-il mort?

L'euro est-il mort ? c'est le titre de l'ouvrage que nous publions aujourd'hui. Rédigé avec quelques collègues européens qui se rencontrent souvent pour enrichir le débat sur ce qui est devenu le drame de l'Europe et peut-être du monde, il aborde les questions essentielles de la désindustrialisation, de la divergence croissante entre les pays de la zone, de l'impossible réforme de la monnaie unique, et de ses conséquences catastrophiques sur une démocratie désormais largement disparue.

En finir avec l'euro, c'est la possibilité de soustraire les monnaies à l'empire mondial de la finance. C'est aussi le possible rétablissement des souverainetés disparues avec la fin de la privatisation des monnaies. C'est enfin le possible cheminement vers une forme moderne de l'Etat-Nation....avec l'espoir d'un renouveau démocratique.

Bonne lecture à toutes et à tous!

Partager cet article
Repost0
29 août 2016 1 29 /08 /août /2016 17:39

 

En réaction aux réflexions de nos collègues qui travaillent sur les questions monétaires dans le cadre du Programme de Nicola Dupont Aignan[1], je souligne les points suivants qui me paraissent fondamentaux :

1 On ne peut gagner des élections en affichant ouvertement la volonté de quitter l’euro. On peut le regretter mais c’est ainsi.

2 La « désobéissance » à l’UE par réquisition de la banque centrale inclut de facto l’évanouissement de l’article 123 du traité de Lisbonne.

3 La réquisition de la banque centrale française fait naturellement sauter l’Euro, mais ce n’est pas la France qui le fait sauter et c’est politiquement fondamental[2].

4 La barrière de la Lex Monetae sera naturellement contestée par des milliers de juristes, et c’est la raison pour laquelle je propose que la France s’engage sur un total respect des contrats, respect ancré sur un nouveau taux de change fixe[3].

5 Le respect des contrats supposera un financement par le Trésor, lui-même nourri par la banque centrale, au titre du dédommagement des non- résidents, lesquels seront payés en monnaie nationale.

6 Ce respect des contrats crée des « balances francs » contribuant à la diffusion de la monnaie nationale.

7 les non -résidents se trouvent ainsi protégés des éventuelles spéculations à la baisse de la devise française. Le maintien de la valeur ne passe pas par la vente de Francs mais par l’achat de marchandises françaises (consommation ou capital)

8 Le respect de tous les contrats doit logiquement permettre au taux de change fixe de « tenir », maintien bien évidemment aussi appuyé par un contrôle des changes et donc la fin de la liberté absolue de circulation du capital.

9 Le changement majeur ainsi engendré n’est crédible que si l’investissement appuyé par la réquisition de la banque centrale augmente dans des proportions immédiatement visibles par la population. La dette publique est sans importance, la hauteur de l’investissement est politiquement la seule variable fondamentale.

10 La création monétaire correspondante ne peut être fixée bureaucratiquement ( X milliards) mais dans les seules limites du possible déterminé par le plein emploi des facteurs, plein emploi à rétablir plutôt en termes de mois que d’années.

11 La France souveraine doit redevenir très rapidement la première puissance européenne.

Le premier point concernant la position des candidats sur l’euro est de loin le plus important et il faut avoir conscience que la monnaie européenne est anthropologiquement beaucoup plus qu’une monnaie, et qu’elle rejoint, dans l’imaginaire de nos sociétés, la position très enviable de Talisman[4].

C’est peut-être ce qu’à compris un candidat qui vient de se déclarer, Arnaud Montebourg, à Frangy le 21 Aout dernier. En liant son élection éventuelle à la présidence de la République à celui d’un « mandat non négociable, inflexible et irréfragable de dépassement des traités »[5] l’intéressé place la France dans une posture de désobéissance. Précisons d’ailleurs qu’il s’agit d’une posture de désobéissance y compris par rapport à la Constitution française laquelle dans son article 55 stipule que les Traités jouissent d’une autorité supérieure à celle des lois.

L’Euro n’est pas encore attaqué, pourtant, plus loin Arnaud Montebourg évoque un gouvernement économique de la zone euro, gouvernement sous contrôle d’un parlement démocratique pouvant contrôler les décisions de la BCE.

Bien évidemment le candidat n’entre pas dans les détails qui fâchent : Dans un parlement démocratique l’Allemagne deviendrait rapidement minoritaire, démograhie oblige, et donc elle serait amenée à céder sur le terrain de l’ordolibéralisme ce qui lui est constitutionnellement interdit et bien au-delà ce qu’elle ne peut politiquement accepter. Plus précisément on sait aussi que l’homogénéisation débouchant avec ce gouvernement économique ne saurait se contenter d’harmonisation sociale et fiscale, qu’en particulier la question des transferts[6] vers le sud sur une longue période resterait la condition nécessaire d’une authentique homogénéisation. Or ces transferts exigés par un taux de change complètement inadapté sont politiquement impossibles et surtout économiquement inenvisageables pour l’Allemagne.

Arnaud Montebourg ne peut évidemment parler de taux de change à l’intérieur de la zone sans bien sûr mettre en question la monnaie unique. Il est un candidat qui sans proposer la fin de l’Euro, propose des  mesures qui en tracent le chemin. Avec l’espérance que face à ces mesures l’Allemagne prenne la courageuse décision de claquer la porte….et de payer le prix – certes très élevé - d’une forte réévaluation de ce qui serait le Mark. On peut toutefois douter d’un tel schéma car l’éventuelle perspective de succès d’un tel candidat souverainiste serait probablement marquée par une spéculation gigantesque notamment sur la dette publique….qui ferait que les marchés engendrant la panique consacreraient aussi la débâcle électorale du candidat…..Il sera très difficile de sortir de la prison par voie démocratique.

De fait tous les candidats souverainistes à l'élection présidentielle; Nicolas Dupont Aignan, Marine Le Pen , Arnaud montebourg, Jean- Luc mélenchon, et sans doute d'autres encore se trouvent confrontés à la difficulté de s'attaquer frontalement aux vrais sujets.

On croyait jusqu’ici la démocratie porteuse le plus souvent d’un progrès. Il restera hélas à apprendre que dans la configuration de la monnaie unique elle est davantage porteuse de régression historique. Comment l’Europe saignée par l’euro pourra t’elle s’en débarrasser ? La question reste ouverte.

 

 

 

 

[1] Pensons en particulier à André-jacques Holbeke et Philippe Laurier

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/05/une-requisition-de-la-bce-au-service-des-zones-devastees-par-l-euro.html

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-les-conditions-d-un-demantelement-reussi-de-la-zone-euro-92063917.html

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/08/l-euro-le-talisman-qui-a-bientot-fini-de-detruire-l-union-europeenne.html

[5] Discours d’Arnaud Montebourg, Fête de Frangy-en Bresse- 21 aout 2016.

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/02/bien-comprendre-la-logique-devastatrice-de-l-euro.html

Partager cet article
Repost0
8 août 2016 1 08 /08 /août /2016 09:19

 

Résumé : La monnaie est fondamentalement d’essence politique, une caractéristique jamais dévoilée dans la plupart des manuels de sciences économiques. Elle fût historiquement l’arme essentielle de la construction des Etats, voici plusieurs milliers d’années, puis des Etats-Nations au 20ième siècle. Parce que fondamentalement politique, cette arme fût l’objet d’enjeux contradictoires dans la recherche, le maintien et la transformation de ce qu’on appelle la souveraineté. La fin du système de Bretton-Woods va enclencher un processus d’érosion par éloignement de l’arme monétaire de la main du peuple souverain. C’est l’Europe qui ira le plus loin dans ce processus d’éloignement avec une monnaie devenue idéologiquement un Talisman : l’Euro. La monnaie Talisman est devenue une arme de destruction massive du vivre ensemble européen.

Nous voudrions montrer dans ce chapitre que la monnaie est un marqueur fondamental de la forme de société dans laquelle on vit. En ce sens il ne serait pas idiot de s’exprimer en ces termes simplistes : « Dis-moi quel type de monnaie tu utilises et je te dirais dans quel monde tu vis ». Pour comprendre toute l’épaisseur de ce marqueur, nous interrogerons l’Histoire et verrons que la monnaie fut d’abord un instrument de construction des Etats et qu’elle est aujourd’hui devenue aujourd’hui un instrument de son affaissement. Avec en arrière-plan l’idée de souveraineté que l’on construit, puis que l’on détruit petit à petit en transformant l’outil monétaire. Et puisque derrière la souveraineté se cache l’enjeu fondamental de la démocratie, nous montrerons qu’un ordre démocratique ne peut se concevoir sans un certain type d’ordre monétaire en tant que condition nécessaire sinon suffisante.  Nous tenterons ainsi de montrer que les nations au 21-siècle ne pourront survivre que sur la base d’une restauration des pouvoirs monétaires aujourd’hui largement abandonnés.

  1. La monnaie comme outil de construction de la souveraineté

Si des formes monétaires sont apparues avant les premiers Etats il est aujourd’hui démontré que les constructeurs des dits Etats les ont façonnés aux seules fins de s’affirmer et se construire

  • La monnaie comme enfant du sacré et de l’Etat[1]

Les premières formes de ce qu’on appelle encore aujourd’hui la dette ne s’affichaient pas comme dette monétaire mais comme dette de vie envers une extériorité radicale : L’au-delà de la condition terrestre. Les dieux ont donné une vie qu’il convient de rembourser notamment par l’institution du sacrifice, institution que l’on rencontre dans toutes les sociétés dites primitives. Et bien évidemment quand on parle de dette de vie, il s’agit d’un patrimoine culturel et social que chaque sujet rencontre à sa naissance comme « capital avancé », simplement remboursé par des rituels sacrés dans lesquels on trouve l’institution du sacrifice.

Ce que l’on peut appeler le « Big Bang » des Etats, c’est-à-dire le temps de leur apparition est, de fait, l’accaparement par certains individus de la dette sacrée jusqu’ici engendrée par la communauté. Le Pouvoir étatique est ainsi une prise du pouvoir sur les vieilles religions primitives. De ce point de vue, et l’ethnologue est ici en désaccord avec le juriste, l’Etat est un phénomène de privatisation du capital culturel et social, c’est-à-dire l’extériorité de toute société. Autre façon de lire cette même réalité : le pouvoir politique est issu d’une prise de pouvoir sur la religion. Alors que le politique est une réalité qui jusqu’ici était inaccessible en raison de l’éloignement des hommes au regard des puissances de l’au-delà (tous sont démunis de ce pouvoir et les rapports entre les hommes sont dictés par l’au-delà), elle devient, par accaparement de cette puissance, une réalité tangible : des hommes vont dominer d’autres hommes.

Bien évidemment, la privatisation du sacré doit logiquement devenir privatisation de la dette de vie, et les hommes sont progressivement invités à devenir les débiteurs du pouvoir terrestre. La dette envers les dieux peut évidemment se poursuivre mais désormais elle s’accompagne d’une dette envers le souverain. En ce sens le « Big Bang » des Etats va aussi être une capture de la dette sacrée. Il en découle que logiquement l’endettement envers les Dieux deviendra progressivement un endettement croissant envers la puissance souveraine.

Cet endettement peut être encore de la dette de vie : dette de sang, esclavagisme, travail gratuit, mais aussi impôt, sous forme de prélèvements sur l’activité domestique ou économique, ou sous forme directement monétaire. En la matière, le signe monétaire retenu pour régler l’impôt ne peut être que choisi par le prince. Et le signe retenu est naturellement celui qui bénéficiera de la plus grande liquidité possible, une liquidité permettant au prince de régler ses propres dettes envers les autres princes avec lesquels il est en conflit, et celles envers les mercenaires qu’il emploie au titre des guerres qu’il entretient pour assurer son pouvoir et sa survie dans la communauté des puissants. Et quand on dit « puissants » on dit déjà « souverains », c’est-à-dire des individus qui n’acceptent pas de pouvoir « au dessus » c’est-à-dire de lois qui pourraient s’imposer à eux-mêmes. Le souverain est ainsi celui qui tout au plus peut accepter des règles de coordination sans jamais se soumettre à des règles de subordination.

Le motif de liquidité la plus grande nous fait comprendre que le signe retenu n’est probablement pas la monnaie virtuelle d’aujourd’hui, mais le métal précieux, lequel va s’imposer au terme d’une sélection : le métal précieux est le seul objet dont la liquidité est parfaite , acceptée par la communauté des puissants et aussi acceptée par des mercenaires qui ne pourraient pas se contenter de titres illiquides.

  • La monnaie dans la dialectique de l’économie et de la puissance souveraine

On comprend désormais que le prince, né d’un « coup d’Etat fondant l’Etat »[2] et sa puissance souveraine, s’intéresse de près à ces premières formes de banques centrales que sont les mines de métal précieux…et les « Hôtels des monnaies » qui en sont le prolongement. Le prince fonde ainsi ce qui est déjà le premier « circuit du Trésor »[3] : il crée ou tente de créer la monnaie, dont il fera un monopole du règlement de la dette de ses sujets envers lui, c’est-à-dire l’impôt. La monnaie qu’il crée lui sert de règlement de sa propre dette (ses dépenses), règlement dont la circulation, sera soumise à l’impôt.

Mais le prince peut être gêné dans l’affirmation de sa puissance et de sa souveraineté par une caractéristique essentielle de la monnaie : elle est outil du pouvoir et du règlement de la dette envers le prince, mais elle est aussi réserve de valeur…et à ce titre peut être thésaurisée. Un phénomène qui implique sa rareté et une lutte perpétuelle pour la vaincre. Parce que outil parfait de la liquidité, caractéristique qui la rend susceptible de faire circuler toutes les marchandises, elle est appréciée pour elle-même et donc possiblement stockée…ce qui vient gêner le pouvoir dès lors que celui-ci ne maitrise plus d’inépuisables mines de métal. Ce qui le gène aussi lorsqu’il est impliqué dans d’innombrables guerres très couteuses avec ses voisins. Par excellence concepteur et créateur de la liquidité , il peut lui-même entrer en position d’illiquidité et donc voir sa puissance érodée. L’histoire montre que l’ascension du politique et des Etats correspondants est faite de tentatives de contournements de ce qu’on peut appeler une véritable « loi d’airain de la monnaie »[4] : rendre la monnaie plus abondante par le biais de la dilution voire l’émission de papier, avec bien sûr les limites sociales de ce type de choix des souverains.

Cette faiblesse de la verticalité du pouvoir politique pourra être compensée par une coopération avec le monde horizontal de l’économie naissante. Car la monnaie, grande affaire du prince, est aussi celle des marchands et banquiers qui, eux aussi, se voient opposer la contrainte monétaire. Eux-aussi vont tenter de la contourner avec l’introduction de la lettre de change, avec la conversion des monnaies entre elles, etc. La montée de la puissance politique se nourrit de l’accroissement des recettes fiscales (la « dette » des « sujets » laquelle se nourrit de la montée de la puissance économique. L’intérêt du loup étant que les moutons soient gras, les princes ne s’opposeront pas à l’émergence des premières privatisations des monnaies : les banques vont émettre progressivement du papier non couvert intégralement par une base or. En contrepartie, les banquiers déjà mondialisés viendront réduire les risques d’illiquidité voire de solvabilité des princes dépensiers en achetant de la dette publique. Cette dernière et le taux d’intérêt qui lui sera associé, sont les marqueurs de la collaboration entre monde vertical déjà en difficulté et monde horizontal dont l’ascension ne fait que commencer. Le souverain ne peut plus vivre de la seule prédation sur ses sujets : il lui faut aussi solliciter des prêteurs.

Nous entrons ici dans les premières formes de délitement de la souveraineté : le monde vertical est amené à partager la souveraineté avec l’horizontalité marchande, un monde qui commence à capter la monnaie souveraine : des personnes privées vont émettre des signes monétaires qui emprunteront les marques de la puissance souveraine : dénomination, unité de compte, règles de monnayage, pouvoir libératoire. Le souverain - historiquement une personne privée accaparant et détournant l’extériorité d’une communauté humaine, à savoir la dette de vie - est amené à céder une part de l’outil de ce détournement/accaparement : battre monnaie sera de moins en moins un attribut de la souveraineté. L’Etat né hors marché n’est plus complètement « au dessus du marché ». Le monde du pouvoir avec ses règles de subordination (verticalité) doit, en particulier avec une dette publique portant intérêt, collaborer et parfois se soumettre au monde marchand et ses règles de coordination contractuelles (horizontalité).

Cet affaissement n’est pourtant pas linéaire et la verticalité pourra encore se manifester clairement lorsqu’il apparaitra que le monde financier et marchand ne peut se passer de la monnaie souveraine pour assurer le fonctionnement des affaires. Très simplement les différentes monnaies privées des banques ne peuvent assurer la circulation monétaire exigée par le développement des échanges marchands que s’il y a compensation entre les dites banques et donc une monnaie commune de règlement des dettes entre-elles, à savoir la monnaie  centrale définie par le souverain. Si les monnaies privées peuvent toutes se convertir en monnaie centrale définie par le prince alors elles sont convertibles entre elles et les règlements interbancaires sont assurés. En termes simples l’horizontalité ne peut s’épanouir qu’en s’appuyant par la verticalité. Cette dernière apparaitra sous la forme des premières banques centrales fin 17ième et surtout 19ième siècle. Ces dernières vont progressivement apparaitre comme instrument de disparition de la loi d’airain de la monnaie puisque les souverains peuvent trouver en elle un substitut aux mines d’or de jadis. Et peut-être même davantage car à l’inverse de la mine toujours limitée, la monnaie légale émise peut l’être de façon illimitée si le pouvoir est capable, notamment en raison de circonstances historiques, d’imposer le cours forcé et l’inconvertibilité des billets en métal précieux.

En la matière, la France avec sa longue histoire l’érigeant en Etat-Nation, sera l’une des premières à engendrer un pouvoir plaçant sa banque centrale au sommet d’un système bancaire hiérarchisé[5]. Il suffira de nationaliser ensuite cette banque centrale pour l’arrimer au Trésor et réinventer ce qui avait fait le succès du prince au moment de la construction des premiers Etats : le souverain Français, désormais peuple souverain, va devenir le principal émetteur de monnaie… et une monnaie retournant vers le peuple souverain par le biais de ce qu’on a appelé le « circuit du Trésor ».

La dette publique de jadis, elle-même, marqueur de l’affaissement de souveraineté, perd grandement de sa signification puisque les dépenses publiques reviennent vers le Trésor (comme jadis les pièces d’or revenaient vers le souverain) en raison de l’obligation de nombreuses institutions financières de déposer leurs ressources sur un compte du Trésor. Plus clairement les déficits publics viennent gonfler la liquidité de la plupart des institutions financières, organismes de crédits, Poste, Banques, etc, lesquelles ont l’obligation règlementaire de déposer tout ou parties de ces liquidités sur un compte du Trésor.

Ce retour de la verticalité est très net pour le système bancaire soumis à ce qu’on a longuement appelé la règle des « planchers des bons du Trésor[6] ». Les banques ne sont pas des correspondants du Trésor et ne sont pas soumises à l’obligation d’y déposer leurs liquidités, par contre elles ont l’obligation journalière de convertir une partie de leurs liquidités en achats de bons. Et un achat dont le prix – le taux -est fixé directement par le Trésor. Sans doute peut-il exister un déficit et une dette publique, mais celle-ci est hors marché. Nous sommes dans la verticalité du peuple souverain et non dans l’horizontalité de l’ordre marchand. Très simplement le capitalisme a pignon sur rue mais il ne peut se métastaser en financiarisation généralisée et se trouve contenu dans le périmètre de l’économie réelle. Le peuple souverain reste souverain et se trouve protégé de l’émergence d’une inondation faisant de l’Etat une instance non souveraine car « en dessous du marché ». Plus clairement encore, l’Etat ne risque ni l’illiquidité ni à fortiori l’insolvabilité. Il n’a donc pas besoin d’être noté par des agences comme c’est le cas aujourd’hui.

Bien évidemment cette phase historique, de culture très française, se paie d’une répression financière dont il faut comprendre le mécanisme. L’épargne n’est pas alimentée par une dette publique qui vient s’ajouter aux profits financiers de l’économie réelle. C’est dire qu’elle n’est alimentée que par le canal des titres privées (actions et obligations des entreprises). Situation très contraire à celle du 19ième siècle où la dette publique dite perpétuelle alimentait une foule de rentiers[7]. Situation très contraire également à celle constatée jusqu’aux « quantitatives easings » puisque la dette publique est devenue matière première de nombre de produits financiers soumis aux règles de l’horizontalité marchande[8]. Cette situation n’est évidemment pas bien vécue par des épargnants dont le nombre s’élève avec la croissance économique des trente glorieuses. Elle n’est pas non plus bien vécue par le système financier dont le périmètre d’activité est très étroit[9]. Elle correspond toutefois au choix de l’Etat-Nation devenu démocratique.

Si l’on dresse le bilan d’une très longue période qui va du « big-bang des Etats »- il y a plusieurs milliers d’années- jusqu’à la financiarisation d’aujourd’hui, on peut constater que la monnaie est d’abord un objet politique. A ce titre elle est un enjeu fondamental pour des forces à priori opposées -ce qu’on a appelé la verticalité face à l’horizontalité – mais toutefois soumises à une certaine conjonction des contraires. La loi d’airain de la monnaie est la faiblesse historique du souverain et cette loi ne sera efficacement combattue qu’à un stade relativement tardif de la souveraineté démocratique, non celle de l’Etat-nation, du 19ième mais plutôt celle de la seconde moitié du 20ième siècle.

Il semble pourtant que nous rétablissons depuis une trentaine d’années la vieille loi d’airain de la monnaie laquelle nous entraine vers la fin de l’Etat-nation souverain et démocratique.

  1. La monnaie comme outil de déconstruction de la souveraineté.

Une façon de détruire la souveraineté démocratique est de retirer au peuple souverain le choix du taux de change.

  • Le taux de change n’est plus un choix politique mais un prix.

On sait que la fin du système monétaire de Bretton Woods[10] va engendrer une grande période d’instabilité. Les taux de change étaient définis et défendus par les Etats qui s’engageaient à ne pas les modifier dans la limite de 1% autour de la parité retenue. Aux banques centrales- sur injonctions des Etats - de défendre les parités par achat et vente de devises. Face aux difficultés engendrées par la disparition du système de Bretton Woods, les Etats se concertent et acceptent à la conférence de la Jamaïque en 1976 de se retirer du champ de la définition des taux de change. Ce qu’on appelait déjà les taux de changes flottants, donc des taux – c’est-à-dire des prix décidés par le marché.

Cette perte de souveraineté en appelle bien d’autres et de façon quasi automatique avec en fin de parcours la mise des « Etats sous le marché » donc la fin du principe de souveraineté et de démocratie qui lui est intimement attaché.

Le cours des monnaies   devient ainsi un gigantesque marché au profit de l’explosion d’un capitalisme financier. Parce que la monnaie n’est plus un objet politique défini par le souverain elle devient une marchandise instable au bénéfice de la finance. Ce n’est plus le politique qui va sécuriser la valeur des marchandises internationales, mais la finance qui devra construire des produits de couverture donc des produits financiers chargés de sécuriser cette même valeur. Et les produits de couverture seront d’autant plus efficaces dans leurs fonctions que les intervenants sont nombreux y compris des acteurs très éloignés de la réalité du terrain qu’ils sont censés protéger. Il va logiquement en découler une croissance des produits financiers beaucoup plus rapide que la croissance des flux de marchandises réelles elle- même.[11]

Bien évidemment se trouve associée à cette « dépolitisation de la monnaie », la libre circulation des capitaux et donc la fin de toute forme de contrôle des changes, avec toutes ses conséquences en termes de libéralisation de la finance, la montée des Hedge Funds, le développement de la banque universelle, celui des sociétés de Trading, le fantastique développement des activités de marché au sein des banques, la fortune des agences de notation….mais aussi et il s’agit de la contrepartie d’une automutilation de la puissance souveraine, l’apparition d’Etats « interdits bancaires » en raison du principe général d’indépendance des banques centrales.

  • L’indépendance des banques centrales

Il s’agit d’un point fondamental. Lorsque la verticalité l’emporte sur l’horizontalité, les banques centrales, privées ou publiques, sont investies d’une mission de service public et interviennent en tant qu’instrument de politique monétaire décidée par le souverain. Plus traditionnellement encore elles gèrent, mêmes privées, les dettes publiques en ce qu’elles sont grosses acheteuses des titres financiers émis par les Etats. La FED ou la Banque Centrale d’Italie, parmi tant d’autres étaient dans ce cas. Le Système de Bretton Woods avait très largement mis en avant le caractère public des Banques centrales du monde et ce quelles que soient leurs caractéristiques institutionnelles et juridiques. La fin du système libère ces banques d’une contrainte internationale mais en même temps d’une contrainte nationale puisque le cours des monnaies devient simple prix de marché.

Simplement l’indépendance des banques centrales est d’une portée autrement considérable pour nombre de questions essentielles.

Les premières banques centrales dépendantes des Etats donnaient à ces derniers de gros avantages dont la possibilité d’en faire de continuelles endettées envers eux. En effet, en leur donnant l’ordre d’abonder les comptes des Trésors correspondants et en transformant ces abondements en « avances non remboursables[12] » les banques centrales étaient partiellement devenues l’équivalent des citoyens soumis à l’impôt[13]. D’où l’idée que la notion de dette publique comme fardeau n’avait guère de sens, une dette publique par ailleurs rognée par l’inflation.

L’indépendance est, de ce point de vue, une rupture radicale à l’échelle quasi-planétaire. Désormais, la dette publique fait l’objet d’un marché, et les Trésors sont de fait « interdits bancaires » en ce qu’ils ne peuvent emprunter à la banque centrale dont ils sont pourtant clients en qualité de titulaires d’un compte figurant au passif des dites banques[14]. Les effets en sont considérables. Il faudra tout d’abord assurer un service de la dette auprès d’épargnants qui au-delà des titres privés pourront acquérir des créances sur les Etats. De ce point de vue le passage à l’indépendance des banques centrales élargit le périmètre des épargnants et des rentiers, tout en rétablissant la loi d’airain de la monnaie au détriment des Etats. Plus important est que désormais toute production monétaire devient la contrepartie d’une dette et le poids de l’intérêt gonfle avec chaque émission monétaire. Corrélativement les banques centrales dites indépendantes se fixent des objectifs de stabilisation des prix ce qui est favorable aux créanciers donc aux rentiers et défavorables aux débiteurs dont bien sûr les Etats. Et puisque les titres financiers sont ainsi protégés de l’inflation, toute activité humaine pourra au nom de la liquidité immédiate se financiariser.

On comprend ainsi que l’indépendance des banques centrales est un fait politique majeur : les Etats-nations sont invitées à disparaitre au sein d’un marché en mondialisation. Le peuple souverain disparait dans les entrelacs de ce que nous avons appelé les « autoroutes de la mondialisation ». Désormais l’idée invraisemblable de faillite des Etats endettés fait son chemin dans les médias et on parle même de banques centrales qu’il faudrait recapitaliser en cas d’insolvabilité des Etats.[15] Non seulement les peuples souverains sont amenés à être inondés par le marché mais ils pourraient  aussi s’y engloutis.

Il était toutefois possible d’aller beaucoup plus loin encore dans le passage à la souveraineté limitée et à la naissance d’Etats engloutis dans la finance de marché : après avoir créé les autoroutes de la mondialisation il sera question d’en supprimer les péages avec la naissance de la monnaie unique européenne.

  • Une monnaie sans Etat mais pas sans souverain.

Le comble de la dépossession, voire de la désintégration des Etats-nations fut l’abandon des monnaies nationales en Europe au profit de la monnaie unique. Déjà l’asymétrie créée par la libre circulation du capital face à l’immobilité relative du travail avait largement concouru à l’élargissement de l’éventail des rémunérations. Mais la monnaie unique, en interdisant de fait les transferts entre zones excédentaires et zones déficitaires va aggraver dans de très importantes proportions la dispersion des rémunérations, et plus encore celle des statuts, aussi bien entre Etats qu’à l’intérieur des Etats.

Les taux de change, outils maitres des Etats-nations, ayant disparu il n’y a plus de limite à la croissance du surplus des compte courants allemands. En contrepartie, la Grèce ayant perdu la protection des taux de change ne peut plus connaitre de butoir au déficit de ses échanges courants. La logique de son « développement » se borne aux simples échanges assurés par la grande distribution qui en retour assure la vraie désertification économique du pays.

Ces problèmes d’excédents et de déficits, sont légions à l’intérieur des espaces des vieux Etats nations et les transferts porteurs de rééquilibrage ne soulèvent aucune difficulté au sein d’une communauté nationale dont l’Etat central assure une certaine qualité du vivre ensemble. Mais les transferts sont impensables à l’échelle de l’Europe où la solidarité ne va pas de soi. Dès lors la solution est ce qu’on appelle les suicidaires dévaluations internes, le plus souvent non démocratiquement décidées, qui accroissent les inégalités et l’effacement des Etats- providence dans les pays dont le déficit est comprimé par la règle monétaire nouvelle.

Curieuse situation où la monnaie qui était l’outil efficace de construction de la souveraineté devient l’agent de sa destruction et de la mise sous tutelle d’anciens Etats-Nations. La nouvelle monnaie est dépourvue de peuples souverains et ces derniers en sont la victime avec toutefois une exception : le peuple souverain allemand qui sans être propriétaire de la monnaie unique en est le grand bénéficiaire ce qui le mute en peuple impérial malgré lui.

Parce que la monnaie unique désarme les politiques souveraines, parce qu’elle engendre des passagers clandestins, elle détruit petit à petit les espaces de solidarité et créent des clivages majeurs nourris de spécialisations difficilement supportables dans la durée : trop d’usines en Allemagne, trop d’immobilier en Espagne, trop de fonctionnaires en France, trop de clientélisme en Grèce, etc.  Ces spécialisations sont inappropriées en ce que certaines engendrent des gains de productivité ( Industrie) et d’autres pas (fonction publique) d’où des divergences de plus en plus massives que l’on ne plus corriger avec l’arme du taux de change mais avec les seules réformes dites structurelles[16] imposées par un pouvoir qui surplombe les Etats-nations . Désormais dans ces Etats l’exercice de la démocratie se trouve limité puisque le résultat du vote ne peut aller contre l’injonction des réformes structurelles.

La résolution de la crise de 1929 s’était durablement établie dans la construction d’Etats-Providence » porteurs du vivre ensemble des sociétés salariales qui se sont mises en place. Ces constructions utilisaient en particulier l’arme monétaire encore souveraine, une souveraineté marquée par la désignation politique des constituants de la monnaie et le contrôle des banques centrales. L’arme monétaire- durant toute la période des trente glorieuses- permettra aux Etats de créer de l’homogénéisation en particulier par la construction d’immenses classes moyennes.

La séparation de l’arme monétaire des mains des peuples souverains déclenche aujourd’hui l’effritement des Etats- providence dans une société qui reste encore salariale. Les Etats, en particulier ceux qui sont allés le plus loin dans cette séparation, perdent ainsi le pouvoir de fabriquer de l’homogénéisation. Un pouvoir source de forte légitimité politique. L’avenir est ainsi fait de désagrégation du lien social, d’illégitimité croissante des pouvoirs en place, d’un sauve qui peut dans le communautarisme ou dans un individualisme consumériste et festif forcené. Les plus démunis en « capital social » pouvant ajouter au délitement par l’exercice de la violence comme simple fin.

Dans l’Union Européenne et en particulier sa zone euro qui est le cœur du délitement généralisé, la solution n’est pourtant pas simple. Peu de forces politiques ont pris conscience que l’Euro tel qu’il fut construit est le catalyseur essentiel des forces de la décomposition. Parce que devenu Talisman la monnaie unique est respectée voire vénérée. Comment mettre fin au règne du sacré ?

 


[1] On pourra se reporter ici à « Regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir » Jean Claude Werrebrouck , in Economie Appliquée, tome LXVI-N°3- septembre 2013, pages 149-177. On pourra également se reporter sur l’excellent ouvrage de Michel Aglietta : « La monnaie entre dette et souveraineté », Odile Jacob,2016.

[2] On reprend ici la célèbre expression de Pierre Clastres dans son ouvrage : « la société contre l’Etat, Recherches d’anthropologie politique’, Minuit, 1974.

[3] Expression que l’on doit à Bloch-Lainé. Cf son cours à l’IEP de Paris : « Le Trésor Public. Introduction générale ». Cf également : François Block-Lainé et Pierre de vögue : « Le Trésor Public et le mouvement général des fonds, PUF, 1960.

[4] Cf Jean Claude Werrebrouck : « La loi d’airain de la monnaie » in Medium , Janvier-février-mars 2013, pages 101-119.

[5] La Banque de France est fondée par Bonaparte en 1800 et se voit immédiatement octroyée un monopole de l’émission pour la région parisienne.

[6] Règle instituée à partir d’octobre 1948.

[7] A cette époque le service de la dette correspondait à 25% des charges de l’Etat

[8] En particulier les 18 spécialistes en valeurs du Trésor d’aujourd’hui ne pouvaient jusqu’à une époque très récente proposer que des prix élevés aux adjudications de l’Agence France Trésor (Bercy), car ces prix devaient « produire » la rentabilité financière de nombre de produits, et des produits qui ne seraient pas achetés si la rentabilité n’était pas suffisante.

[9] Il faut bien comprendre que dans ce type de dispositif la puissance de création monétairee , ce qu’on appelle le multiplicateur du crédit, est particulièrement faible ce qui nous fait penser que le souverain l’est pleinement par le type de circulation monétaire qu’il entend faire respecter ;

[10] Le système mis en place en 1944 disparait au terme de la déclaration du Président Nixon le 15 aout 1971.

[11] Aujourd’hui le marché des changes concerne chaque jours  environ 5500 milliards de dollars, soit 20 fois le montant des biens et services réellement échangés. Jacques de la Rosière vient de prendre récemment conscience des conséquences de la conférence de la Jamaïque : « « On a sous-estimé à l’époque la portée de l’effondrement du système de Bretton Woods. On a vu à l’usage combien le flottement des monnaies a encouragé le laxisme budgétaire et monétaire dont les effets cumulés nous écrasent aujourd’hui. Comment imaginer qu’un tel régime de liberté incontrôlée puisse être compatible avec une coopération économique mondiale et avec la stabilité du système financier. Bien que trop rarement dénoncé, cet enchaînement de conséquences de la décision d’août 1971 est à mon sens à l’origine de nombre des déséquilibres structurels d’aujourd’hui » In : « 50 ans de crises financières », Odile Jacob, 2016.

[12] Ce qui était le cas français jusque 1973 et ce qui était le cas général lors des guerres du 20ième siècle

[13] Il va sans dire que la réduction de la loi d’airain de la monnaie ainsi obtenue n’était pas sans risques puisque la planche à billets correspondante n’était efficace qu’en cas de sous -utilisation de facteurs de la production et aussi  dans les limites du seuil de confiance des citoyens.

[14] C’est ce que nous avons appelé le passage au « mode marché » de la gestion de la dette publique. Cf ici Jean Claude Werrebrouck ; « Banques centrales, Indépendance ou soumission, un formidable enjeu de société », Yves Michel, 2013

[15] Les énormités en la matière que l’on trouve dans la presse même spécialisée sont aussi le fait de choix politiques car effectivement il fut déjà décidé, dans le tumulte de la crise financière de recapitalise la BCE en 2010. Même le monde académique, qui pourtant sait que la notion de capital social d’une banque centrale n’a strictement aucun sens, s’est plié à ce type de désinformation.

[16] Ces réformes dites structurelles concernent essentiellement le cout du travail qu’il faut déprécier (dévaluation) interne puisque la dépréciation externe (taux de change) n’est plus une arme souveraine.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche