Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 janvier 2023 4 12 /01 /janvier /2023 08:43

Les débats sur le prix de l’électricité sont de plus en plus éloignés  de la simple raison. Nous proposons çi dessous quelques rappels simples et leurs conclusions.

Comprendre sérieusement la réalité du terrain

1 Il est possible dans un marché concurrentiel classique de ranger les entreprises selon leur efficience. Si l’entreprise la moins performante de la branche survit c’est tout simplement parce ses couts unitaires sont couverts par le prix de vente. Si tel n’était pas le cas elle arrêterait son activité.   Les autres, plus performantes, enregistrent un profit correspondant à la différence entre leurs couts et le prix de vente. La moins performante et qui néanmoins survit peut s’appeler entreprise marginale, et son cout de production peut lui aussi s’appeler marginal, un cout égal au prix de vente. Sur un marché classique où règne une réelle concurrence le prix de marché correspond donc au cout marginal, celui de l’entreprise la moins efficiente.

2 Ce qu’on appelle marché de l’électricité est typique de ce que l’on vient d’énoncer. Là aussi on peut classer ces entreprises en fonction de leur efficience. Simplement ces entreprises, qui fabriquent ici des électrons, dépendent beaucoup, dans leur rang de classement, de variations des prix et du cout de ce qu’elles utilisent pour la fabrication desdits électrons. Ainsi, en période de grand vent les éoliennes seront peut-être mieux classées que les centrales nucléaires ou au gaz. De la même façon, en période de risque géopolitique les centrales alimentées par du gaz ou du charbon en provenance d’un étranger non ami risquent de se trouver fort mal classées. Dans le premier cas- il est vrai fort théorique- si le marché n’à pas besoin des centrales nucléaires ou au gaz, le cout marginal devient le cout de l’éolien. Le cout marginal est très faible et donc le prix est lui-même très faible. Dans le second cas si le marché continue d’exprimer sa demande c’est le cout des centrales au gaz qui devient le cout marginal et donc un  prix de marché beaucoup plus élevé.

3 Ce qu’on appelle marché de l’électricité n’est toutefois pas exactement le même qu’un marché classique. Le produit- des électrons- est homogène ( les électrons produits par des éoliennes sont les mêmes que ceux produits par une centrale nucléaire), ce qui est rarement le cas sur les marchés classiques ( il existe des différences, par exemple des marques) où les entreprises tentent de se distinguer par des variations de qualité. Par contre ces entreprises fabriquent des objets stockables, ce qui n’est pas le cas de la marchandise électron qui elle ne peut que circuler à vitesse très élevée. Alors que sur le marché des voitures il peut exister une différence entre quantité demandée et quantité offerte, différence comblée par des stocks, la différence, à peine de rupture ou de pertes nettes, est impossible sur le marché des électrons.

4 Cette contrainte majeure entraine une organisation très complexe : l’ensemble de l’infrastructure électrique composée d’une myriade d’entreprises différentes et en concurrence doit pouvoir dans l’instantanéité produire/fournir autant d’électrons qu’il n’en est appelé par la multitude des utilisateurs. C’est dire qu’il faut un chef d’orchestre – celui qu’on appelle « Commission de Régulation de l’énergie » en France- qui lui-même se doit de veiller à la capacité et à la réactivité des musiciens. Concrètement il lui faut veiller à la capacité des fournisseurs, lesquels devront s’engager à fournir, par exemple en Europe, des « certificats de capacité » apportant la preuve qu’ils peuvent réagir dans l’instantanéité. Ce type de contrainte n’existe pas sur les marchés classiques et aucun chef d’orchestre, sauf en dehors de celui faisant respecter le droit classique n’est exigé.

5 Cette contrainte majeure se complexifie si le marché est dit « libre» et s’internationalise : il faudra d’autres chefs d’orchestres dans les pays voisins et un chef d’orchestre en chef permettant de veiller aux importations et exportations d’électrons dans un ensemble libre beaucoup plus large et interconnecté. Non seulement les orchestres nationaux se doivent de bien jouer mais au-delà, le bon jeu suppose le bon jeu partout ailleurs. Concrètement il est impensable que l’Allemagne ne puisse exporter le produit de ses centrales à gaz à la France si les utilisateurs français font appel à une demande plus élevée que les capacités françaises. Concrètement un marché de l’électricité doit se concevoir au niveau européen.

6 Cette contrainte majeurs se complexifie encore si à l’intérieur des orchestres existe des joueurs dont le manque de fiabilité est inscrit dans les gènes. C’est le cas des producteurs ou fournisseurs intermittents, ce qu’on appelle les énergies renouvelables. Comment bien jouer c’est-à-dire produire à chaque seconde autant d’électrons qu’il en est appelé s’il existe une panne chez certains, par exemple des éoliennes victimes d’un anticyclone ? A l’inverse comment bien jouer si de gros joueurs (centrales nucléaires) manquent de souplesse ? Il faut ainsi décider d’augmente le nombre de joueurs qui ne peuvent toutefois, économie de marché oblige, accepter d’investir que s’ils peuvent jouer. Il faut donc que le chef d’orchestre soit à la fois autoritaire et bienveillant : les éoliennes doivent être prioritaires quite à exiger des joueurs plus stables de restreindre leurs prétentions. Concrètement quand les éoliennes fonctionnent bien il faut demander à EDF de produire moins, et c’est EDF qui sera visé car c’est sur lui que le chef d’orchestre à le plus de poids. On conçoit alors des degrés nouveaux de complexité avec par exemple ce que l’on appelle les « contrats d’effacement », ou les « responsables d’équilibre ».

7 Dans cet univers de marché à nul autre pareil tout devient contrainte bureaucratique avec quelque chose comme un « gosplan soviétique ». Il existe pourtant au moins une rationalité de bon sens : parce que la marchandise électron est, à l’inverse des marchandises classiques, totalement homogène, il n’est pas nécessaire d’envisager un réseau de transport privé pour chaque centrale (chaque joueur). Nous aurons donc un monopole de transport et tous les électrons passeront par les mêmes canaux (RTE-ENEDIS en France). C’est bien sûr, parce que bien placé, que ce monopole de transport assurera nombre des contraintes bureaucratiques associées au marché de l’électricité.

Quelles conclusions tirer de cette très brève présentation ?

1 Si la demande d’électrictité augmente, ce qui est le cas en très longue période et si pour des raisons politiques on préfère une production d’électrons qui ne passe pas par une consommation de molécules (uranium, fuel, charbon, gaz) alors la tendance à une insuffisance de l’offre est forte. Concrètement la demande augmente plus rapidement que l’offre et le prix de marché aura tendance à augmenter. Si maintenant il n’y a pas, à court terme  de révolution technologique permettant de ruiner les joueurs marginaux dont les couts sont élevés, alors le prix de l’électricité dans un cadre de marché- il faut répéter cette précision- s’alignera sur le cout marginal qui n’est autre que celui des couts des centrales au gaz de l’Allemagne…

2 Cette première conclusion est pourtant étonnante car dans une économie de marché les offreurs sont en concurrence et se musclent pour répondre à une demande croissante. Dans le cas de la France, l’entreprise EDF était historiquement capable de répondre avec une extraordinaire souplesse à la demande en augmentation. Si tel ne fut pas le cas c’est bien évidemment en raison des décisions du chef d’orchestre et au-delà du personnel politico administratif du pays. Il fallait en effet briser ce qui était historiquement un monopole pour le confier à ce qui allait devenir un marché.

3 Le monopole EDF étant très efficient il ne pouvait que rester monopoleur dans le marché et donc se révéler incapable d’engendrer de la concurrence. Confier EDF au marché devait donc passer par sa saignée, ce qui fut réalisé par la loi NOME et la naissance de l’ARENH.

4 Ce que nous vivons aujourd’hui est donc le fruit de décisions antérieures, celles qui ont introduit l’idée d’un marché de l’électron qui pourrait ressembler- moyennant quelques rudes contraintes- aux marchés classiques. Mais aussi celles qui ont introduit une multitude d’acteurs complètement opportunistes : point n’est besoin d’être producteur pour entrer dans le marché d’un produit parfaitement homogène, donc un marché où il n’y a pas à se battre sur une marque. Par contre il suffit de bien respecter, voire influencer  les décisions du chef d’orchestre et profiter des subventions d’EDF par le biais de l’ARENH. De quoi obtenir des électrons qu’on ne connait pas. Même la grande distribution française pourra ainsi se lancer dans la fourniture d’électrons qu’elle ne connait pas et qu’elle ne voit pas.

5 On passera ainsi facilement de la production à la simple fourniture, puis au simple négoce sur des bourses très éloignées de la problématique réelle de l’électron : marché à terme, marché de la couverture (hedging), produits financiers complexes avec sous-jacent électricité et notionnels de grandes taille pour aboutir à une authentique gestion de portefeuille très éloigné du métier d’énergéticien. La grande tendance n’est pas celle de l’innovation technologique de rupture mais le simple échange de titres financiers. Petit à petit le marché devient irréel : parce que marchandise complètement homogène fournisseurs et utilisateurs ne discutent par autour de l’ électron invisible. Aucun fournisseur ne peut dire à son client qui a produit l’électron qui vient de lui être vendu. La traçabilité devenue si importante dans les marchés classiques n’a aucun sens sur ce qu’on appelle le marché de l’électricité. D’où les acrobaties juridiques et bureaucratiques sur « un 100% énergie verte » qui ne correspond pas à la réalité matérielle.

6 Parce que la grande presse voire les politiques et les économistes oublient d’en revenir aux fondements d’une approche simplement de bon sens, nous entendons des phrases creuses et fausses: « l’Allemagne nous impose son cout marginal », « Il faut revoir le fonctionnement du marché européen de l’électricité, ce qui exige de longs débats », « on peut rester dans le marché mais imposer un prix qui ne soit pas celui des centrales les plus couteuses », « on ne voit pas pourquoi il faut payer si cher l’électricité  alors que la France produit l’électricité la moins couteuse », etc.

C’est dans ce contexte de méconnaissance, d’ignorance, voire de malhonnêteté  intellectuelle que les débats consacrés à la renégociation des contrats au profit des petites entreprises se sont noués.

A suivre.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche