Le Monde du 11 février publie un texte d’appel à un changement de politique économique en Europe . Ce texte est signé par 80 économistes.
La tribune ne traite pas de la crise en général et de ses remèdes possibles mais de la seule impasse européenne. Bien sûr, il est question d’abandonner le néolibéralisme au profit d’un keynésianisme classique.
Tout y est :
- Constatation que les politiques de rigueur notamment dans le sud sont porteuses d’un affaissement de la demande globale et de stratégies de moins en moins coopératives, avec de fait une scission croissante entre pays ;
- Constatation que la faiblesse de l’investissement global se trouve n’être que la conséquence d’une absence durable de débouchés ;
- Constatation qu’un excédent extérieur global de 3% de PIB pour la zone est l’indice d’une absorption trop faible ;
-Constatation de déséquilibres majeurs à l’intérieur de la zone euro, avec plus de 8% de PIB d’excédent pour l’Allemagne, et des déficits de 4 à 5% de PIB pour certains pays du sud ;
- Constatation d’un coût social et humain désastreux pour une bonne partie des populations concernées.
Face à ces constatations il est proposé des solutions :
- Un nouveau pacte productif à la fois écologique et social ;
- un programme de soutien à l’activité.
Très classiques, ces programmes ne sont pas chiffrés et la question de leur financement est abordée de façon fort allusive :
- Augmentation de la demande intérieure allemande permettant de gommer progressivement les déséquilibres intra-zone ;
- Plan d’investissement européen centré sur la transition écologique en insistant sur la priorité qu’il faudrait accorder à la zone sud ;
En cas de refus de l’Allemagne, proposition de la France en vue de constituer un pacte avec les pays du sud (50% du PIB de la zone) aux fins d’en finir avec le néolibéralisme.
Les auteurs ne proposent pas les clés de l’édification d’un tel pacte…..
Ils n’évoquent pas non plus la question centrale de l’euro comme cause ultime des déséquilibres constatés, car beaucoup, à l’instar de Michel Aglietta, sont fermement attachés au maintien de l’euro.
Les auteurs n’abordent pas clairement la question des transferts gigantesques - et de fait de plus en plus gigantesques avec l’approfondissement continu de soins palliatifs prodigués- entre le nord et le sud.
Les auteurs, parce qu’économistes sérieux savent parfaitement qu’une monnaie unique suppose un principe d’homogénéisation, lequel passe notamment par des abandons de souveraineté. Les Allemands ne sont évidemment pas prêts à voir leur facture fiscale s’alourdir au profit de ceux qu’ils considèrent comme des étrangers…. qui, par ailleurs, seraient cigales quand ils sont fourmis. Ils ne sont pas non plus prêts à accepter un quelconque « quantitative easing for the people » complètement étrangers à leur profonde culture ordo-libérale et à leur « croyance » selon laquelle il faudrait dans cette hypothèse recapitaliser la BCE avec de l’argent public allemand.
Les allemands vont donc s’opposer avec radicalité à un tel projet.
Proposer un pacte aux pays du sud en dehors de l’Allemagne n’est pas non plus suffisant, car une fois encore des déséquilibres extérieurs devront être maitrisés et cela pose la question de leur financement public : La France (ou l’Italie ou l’Espagne) peut-elle envisager des transferts publics vers la Grèce ?
Parce que l’on ne veut pas aborder la question des taux de change, laquelle est la solution pour éviter soit les déséquilibres soit les irresponsables dévaluations internes, résultants des transferts impensables entre pays qui ne peuvent accepter que les impôts des uns servent le déficit des autres, les 80 signataires restent dans l’idéologie propre au post-souverainisme.
Et puisqu’il est exact que l’euro relève de la « religion commune », ce que certains d’entre eux admettent en silence, il n’est d’autre solution que de réclamer le retour à la simple souveraineté monétaire. La réorganisation drastique des banques qu’ils souhaitent se doit d’être envisagée à l’ombre d’une banque centrale contrôlée par le souverain.
La vraie déclaration à émettre auprès de nos amis allemands est d’annoncer notre volonté de rétablir la pleine autorité de l’Etat sur sa banque centrale. Un tel projet doit être la pièce centrale de la prochaine élection présidentielle.
Bien évidemment chacun connait la suite de l’histoire : les allemands n’accepteront pas et les marchés s’enflammeront immédiatement ….ce qui justifiera du plein retour à la souveraineté monétaire. L’Euro périra ainsi en mode panique comme nous l’avons si souvent écrit… mais c’est l’Allemagne qui en portera la responsabilité historique.
A partir de là, et seulement à partir de là, OUI tout deviendra possible et les propos des 80 signataires de la tribune du « Monde » entreront en pleine cohérence.
Les économistes qu’ils soient de gauche ou de droite sont toujours enfermés dans la contradiction fondamentale : parce que l’euro est affaire de religion , il est impossible de proposer un discours sérieux sur l’impasse économique majeure que la zone traverse.