L'ACCUMULATION DES EVENEMENTS AUX USA MET EN PLEINE LUMIERE LA FIN DE L'ETAT DE DROIT ET LA CONFUSION ENTRE INTERETS PRIVES ET INTERET GENERAL. DE CE POINT DE VUE, LA REALITE EMPIRIQUE CONFIRME LA JUSTESSE DE LA THEORIE DE LA CAPTURE DES ETATS.
La nouveauté dans la présente capture de l'Etat américain résulte du fait que nous avons un bloc au pouvoir a priori hétérogène ce qui devrait assurer un processus de fragmentation du pouvoir étatique et donc des difficultés de direction et de fonctionnement. Nous avons en effet - aujourd'hui aux USA - plusieurs types d'entrepreneurs politiques constitutifs du bloc au pouvoir.
LA COMPOSITION DU BLOC AU POUVOIR
- D'abord, des républicains classiques essentiellement soucieux de la diminution de la pression fiscale et de la préservation de l'énorme industrie de la défense bien répartie sur le territoire et industrie dont la protection facilite leur reconduction au pouvoir. Espérance d'un marché contre espérance d'un pouvoir.
- Des financiers tout aussi classiques, qui ne peuvent accepter l'idée d'un retour aux vieilles régulations de la finance et qui, à ce titre, ne peuvent envisager une démondialisation réintroduisant la fin de la marchandisation des monnaies et de la liberté complète des mouvements de capitaux. De la même façon, la finance ne peut que réclamer la fin des questions écologiques dont l'effet est l'alourdissement des valeurs financières. Clairement, la finance casino, celle qui travaille sur la capitalisation boursière de loin la plus importante de la planète (plus de 50% du total mondial, soit aussi 190% du PIB américain contre seulement 50% dans le cas de l'UE), celle qui construit des bulles sur les starts up, se veut indéboulonnable.
- Des nationalistes de l'économie, adeptes de césarisme, qui n'acceptent la mondialisation que dans la mesure où elle rétablira l'équilibre extérieur et donc la réindustrialisation du pays. Plus de multilatéralisation, plus d'alliances et retour au bilatéralisme le plus étroit. De quoi exiger la recomposition de toutes les chaînes de la valeur à l'échelle mondiale.
- Enfin des libertariens nouvelle version, à cheval sur les nouvelles technologies, qui ne peuvent accepter d'autres régulations que celles du marché. De quoi recomposer aussi bien l'ordre de l'entreprise que celui de l'économie mondiale.
QUELLE ARTICULATION ?
Dans la grande chasse à la capture du pouvoir par les divers groupes, tous ont en tête le "diptyque règlement/marché" qui est - sauf en périodes troublées ou de guerre- au cœur de l'interaction sociale. Règlement c'est à dire la loi ou marché c'est à dire un prix, sont l'extériorité qui surplombe les rapports des humains entre eux. Il est donc logique que cette extériorité fasse l'objet d'une tentative de capture et le présent cas américain est à cet égard exemplaire en raison de sa très grande visibilité. Certains, en quête de capture s'attachent davantage au règlement pour modifier le marché (nationalistes césaristes qui décident d'une politique tarifaire pour contrarier le marché avec la loi), et d'autres s'attachent davantage au marché pour modifier le règlement ( financiers et libertariens qui veulent déréguler davantage et tout transformer en simple prix). Le diptyque "règlement/ marché" ou "loi/prix" est le support ou la toile sur laquelle les acteurs se mettent à peindre le théâtre politique. La recomposition de l'architecture règlement/marché est donc au cœur de la présente réalité américaine, recomposition donnée en spectacle au reste du monde....invité à en tirer les conséquences.
Les décisions concrètes du pouvoir, celles du Président, même sans réelle opposition, ne peuvent être qu'une synthèse difficile entre intérêts fondamentalement opposés, D'où les apparentes et très réelles contradictions, y compris à l'intérieur même d'un sous-groupe. Les disputes culturelles sont certes fondamentales : fin du wokisme, rétablissement de l'autorité masculine, retour de l'homme blanc contestant les débats sur le "1619 project", disparition des mesures propres à l'écologie, attaque des paradigmes de la science elle-même, exode des scientifiques et des ingénieurs immigrés, disparition du politiquement correct, etc. Tout est repris et adapté en fonction de considérations très intéressées d'où les enjambements des uns et des autres - pensons aux libertariens antiwoke - aux seules fins de garantir des projets rémunérateurs contradictoires entre eux.
QUELLE SYNTHESE ?
Un bel exemple de synthèse difficile -voire probablement irréaliste - est celui de la politique économique. Comment refaire l'équilibre extérieur, revenir au nationalisme d'antan, sans toucher à la finance, sans toucher à la silicone valley et en respectant le souhait de diminuer la pression fiscale ?
Il est de ce point de vue très intéressant de décortiquer l'architecture du raisonnement en cours de gestation et de mise en œuvre dans le domaine de ce qu'on ne peut plus qualifier de "policy mix".
La volonté exprimée par le Président est celle du retour d'un équilibre de la balance des marchandises ce qui suppose notamment de mettre fin aux déficits sur la Chine (300 milliards de dollars) , mais aussi sur le Mexique (172 milliards de dollars), mais aussi sur l'UE (235 milliards de dollars) , mais aussi sur le Vietnam (123 milliards de dollars) etc. Enorme. Le bloc au pouvoir, même sa partie la plus libertarienne, ne s'oppose pas à une gigantesque recomposition césariste. A ce titre, elle ne se rend pas compte que la présente situation de relatif libre échange est encore porteuse d'une rente globale pour les USA et plus particulièrement au profit du groupe finance.
L'INVISIBILITE D'UNE RENTE REELLE
Quelle est cette rente que l'on dit prête à être abandonnée ? Aujourd'hui, l'immense déficit se solde encore par des achats massifs de bons du Trésor assortis d'une prime de risque particulièrement faible donc d'un taux minimal ( statut du dollar, profondeur et liquidité extrême du marché, puissance, etc.). La liquidité correspondante permet en retour, des achats d'actions et prises de participations sur l'ensemble de la planète assortis d'une rentabilité beaucoup plus élevée. Il en résulte au niveau macro économique un gain collectif, un peu comme celui, microéconomique, d'une banque qui gagne entre taux créditeurs et taux débiteurs. Certaines études ont pu montrer que le prélèvement s'établissait à un taux de 1,5%. De façon complémentaire, en cas de crise, il n'existe aucun retournement au détriment des USA et les investisseurs se réfugient derrière de plus importants achats de bons du Trésor. Concrètement, la dette américaine peut augmenter sans risques réels de financement d'où l'appétit presque naturel pour les politiques de diminution de la pression fiscale. Appétit quasi interdit dans les autres Etats à peine de possibles ruptures sur la gestion de la dette publique, pensons à l'expérience récente de la Grande Bretagne. De quoi aussi augmenter la boursoufflure de la finance américaine et donner cette impression de bonne santé avec un PIB américain qui cesse en pourcentage de décroître et qui, à l'inverse, augmente à nouveau (22% du PIB mondial en 2010...et 26,3% en 2024).... Mais simple impression car la bonne santé de ses habitants décroit avec une diminution de l'espérance de vie pour des dépenses de santé (18% du PIB) les plus importantes du monde. C'est cette rente qui fait le bonheur des républicains classiques, des financiers, qui ne gène guère les libertariens et qui devrait être réaménagée pour donner davantage de place aux nationalistes.
UNE NOUVELLE REGULATION ELARGISSANT LE MARCHE ?
La nouvelle théologie économique qui semble se mettre en place est celle qui garantirait les intérêts spécifiques de chacun des groupes usant du pouvoir de capture de l'Etat américain : baisse de la pression fiscale au profit de cette nouvelle source que seraient les tarifs douaniers, maintien intégral du pouvoir financier, réindustrialisation par hausse de la compétitivité, elle-même induite par une baisse du taux de change, utilisation maximale du déficit public au service de la puissance et du maintien du dollar comme monnaie de réserve. Scénario peu aisé puisqu'il consisterait à dévaloriser une monnaie... pour la maintenir au dessus des autres et garantir son statut de réserve.
Bien évidemment, la difficulté serait la problématique du report sur l'étranger des droits de douanes. Il faudrait en effet imposer une baisse du cours des devises des pays qui exportent vers les USA et qui deviennent victimes des tarifs douaniers. Le maintien des flux exportés vers les USA supposerait que ces pays supportent les tarifs imposés par le pouvoir américain. Les flux exportés vers les USA seraient les mêmes et les prix supportés par le consommateur américain resteraient inchangés. En retour, la baisse de la pression fiscale américaine permettrait une meilleure compétitivité américaine mais... contrariée par la baisse de la valeur des devises étrangères...
Il faut donc selon les adeptes du nouveau dogme aller plus loin et géner les achats de bons du trésor par les non résidents en taxant les avoirs des ces derniers en dette américaine. Parce que les avoirs en dette américaine ne sont pas supposés devoir supporter une prime de risque - le dollar est la monnaie ultime -, le taux d'intérêt versé par le Trésor américain devait être amputé d'une taxe. De quoi alléger la demande de dollars, le faire baisser de prix sur les marchés.. et rendre l'économie américaine plus compétitive. La conclusion est que les pays étrangers devraient supporter un impôt - taxe douanière- payable aux USA et payer une seconde taxe au motif de leur participation à une dette américaine... qui permet le financement d'une armée surpuissante garantissant leur sécurité... Les auteurs du projet , en particulier Stephan Miran devenu Président du Conseil d'analyse de Trump, considère même que les achats par les étrangers de dette publique taxée seraient obligés de se fournir sur des titres à échéance d'un siècle...
UN RAISONNEMENT TRES CONTESTABLE.
Au delà du fait que les exportateurs vers les USA vont se mettre à réagir en cherchant de nouveaux débouchés voire en délocalisant leur production vers des pays devenant de nouvelles bases d'exportation, d'autres réactions peuvent intervenir très rapidement. Par exemple, l'UE pourrait mettre en difficulté le Trésor US en limitant la capacité des intermédiaires financiers européens à financer la dette souveraine américaine. De quoi rendre plus difficile l'énorme fuite de l'épargne européenne vers les USA.
Dans le même sens, il est difficile d'imaginer que l'idée de taxation des bons du Trésor n'accélèrera pas les projets de dédollarisation eux-mêmes, projets très complexes mais qui vont naturellement se développer. Déjà, on constate le mauvais signe d'une élévation brutale du cours de l'or (13% de croissance depuis janvier 2025 et dépassement du seuil de 3000 dollars l'once), signe révélant une contestation de la suprématie du dollar. Difficile d'imaginer un bon accueil d'une quelconque taxation sur le marché de la dette américaine, surtout pour des titres à échéance d'un siècle.
Au delà, il est parfaitement contradictoire d'inviter les pays qui exportent vers les USA de payer le prix de la taxation douanière en dévaluant et ainsi d'empêcher une réévaluation du dollar portant préjudice aux exportations américaines.
Enfin, il ne peut y avoir de réelle réindustrialisation, mêmes avec l'IA et même avec un coût de l'énergie très faible, dans la mesure où l'économie américaine est proche du plein emploi et ce, dans un contexte d'expulsion de la main d'œuvre étrangère.
Les USA seront de plus en plus un espace où l'essentiel de ce qu'on appelle le PIB relève d'une sur financiarisation . Les USA pourront peut-être encore grossir dans le PIB mondial mais il s'agira davantage d'un simple "œdème" cachant mal un réel déficit industriel. Sans changement et dans le long terme, les USA risquent de devenir la grenouille face au beauf chinois.
Au final, le bloc au pouvoir est appelé à se fissurer rapidement et il est difficile de dire quel pouvoir prendra la relève .
Jean Claude Werrebrouck 17 mars 2025
.