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27 août 2025 3 27 /08 /août /2025 09:07

Les grands basculements que le monde semble connaître nous invitent à réfléchir en dehors des paradigmes traditionnels. On trouvera ci-dessous quelques éléments d’un possible chantier de réflexion. Bonne lecture.

On peut tout d’abord se poser la question de l’humanité au singulier. Il existe bien évidemment des différences morphologiques selon les continents et plus encore des différences entre cultures et civilisations. Toutefois, Il n’existe qu’une seule humanité. Sans doute existe t'il d’autres espaces de vie à l’échelle de l’univers puisqu’il existe des milliards voire un nombre infini de planète semblables à la nôtre, mais nous ne nous intéresserons qu’à l’humanité terrestre.

La vie sur notre planète n’est finalement qu’un mode d’agencement des pièces élémentaires qui furent générées lors du big bang il y a 12,5 milliards d’années. Et sans doute Hubert Reeves a-t-il raison d’affirmer que nous  ne sommes que des « poussières d’étoiles ». Et ces pièces élémentaires sont bien la base d'une complexité croissante et très économe: 6 atomes sélectionnés sur 96 atomes, pour produire 10000 protéines, qui seront logées dans les 30000 milliards de cellules, dessinant un corps humain. 

L’humanité terrestre comme agencement particulier des pièces laissées par la « grande inflation ».

Ce qui distingue la vie (mode spécifique d’agencement de particules) de la non vie (autres agencements de particules) est le fait que la première doit faire face à plusieurs contraintes : l’impératif de prélever sur l’extérieur un agencement de particule propre à lui procurer une énergie qu’il lui faut consommer pour assurer sa survie immédiate ; et en second lieu, d’entrer le plus souvent en relation afin de reproduire la vie. Ces deux réalités sont finalement des défis qui vont supposer une régulation par une organisation laquelle va supposer quelque chose comme une intelligence ( ADN et ARN?) elle-même… agencement de particules. La distinction entre la vie et la non vie est parfois discutable ( cf "La vie à portée de main" par Christophe Galfard , 2025) mais ne met pas en question la suite du raisonnement.

 

Dans le cas de la vie humaine, ces contraintes deviennent des modes d’existence : il faut le plus souvent travailler pour manger et il faut assurer la reproduction, ce qui supposera ces premiers modèles d’organisation que seront les modèles de famille. Vu de très haut, l’histoire de l’humanité est ainsi faite de modes d’extraction de l’énergie pour vivre et consommer, ce que l’on appellera un jour l’économie, et d’un modèle d’organisation produit d’une intelligence. Finalement, les historiens peuvent tout rassembler dans un seul couple énergie/intelligence. Et il semble bien que de ce point de vue, l’histoire très longue est celle d’une production de plus en plus grande d’énergie associée à des intelligences de plus en plus importantes. Nous ne sommes plus très loin du monde d’aujourd’hui.

L’invention d’une dette de vie comme produit des premières formes d’intelligence

Ce qu’on appelle intelligence est elle-même un état du monde censé se le représenter. Les humains construisent une représentation de la réalité qui passe par la prise de conscience d’une dure condition d’êtres fragiles dépendants d’un extérieur tout puissant. D’où les premières religions qui vont toutes constater quelque chose comme une dette : la dette de vie envers des puissances de l’au-delà. Les premières religions n’expriment ni le bien ni le mal et n’énoncent généralement pas de commandements. Elle se bornent à l’édification d’une relation magique avec des individus qui pour certains communiquent avec ces forces qu’on appellera des dieux.

La dette de vie suppose simplement des sacrifices aux fins de plaire aux forces de l’au-delà. Des individus peuvent communiquer avec les dieux mais ces derniers n’expriment pas de commandements sur la façon dont les humains se gouvernent et de toutes façons, les hommes ne savent pas que l’extériorité et l’organisation de leur monde spécifique est le produit de leur activité.  D’où l’immutabilité des pratiques et le respect des traditions. La grande aventure des Etats n’est pas encore apparue.

Naissance  des premier Etats comme passage de la dette de vie à l’impôt et  la monnaie

Précisément et curieusement, l’Etat va apparaître avec un coup d’Etat de certains humains qui vont le plus souvent transformer à leur profit les religions primitives. Des individus peuvent ainsi transformer un au-delà éloigné qui n’exprime aucune exigence quant à l’organisation du monde  en un au-delà exigeant et indiquant ce qu’il faut faire et ce qui est interdit. La vieille dette de vie peut se transformer en dette d’Etat qui va déboucher sur l’impôt. Les dieux porteurs de bienveillance se transforment en un Dieu qui surveille. Les veilles religions deviennent ainsi enkystées dans un Etat qui va engendrer les premières inégalités d’ordre économique. Puisque, désormais, le nouvel état du monde fait naître une réalité directrice, il apparait que les détenteurs du pouvoir vont monopoliser les règles de ce qui était le commun des individus, non pas ce qu’ils possèdent en propre mais ce qu’ils possèdent en commun et constituent une extériorité pour chacun : croyances, langage, écriture, règles de droit, organisation familiale, règles économiques.  Un système potentiellement producteur de plus d’énergie associé à plus d’intelligence par exemple une agriculture irriguée beaucoup plus productive que la cueillette qui suppose réflexion et capacité organisationnelle plus grande.

Dans cette affaire l’apparition de la monnaie va jouer un rôle capital, et rôle plus que jamais actuel. La monnaie fait l’objet d’une gigantesque bataille entre Etats naissants et devient forme centrale de la dette des sujets envers le souverain. Le métal dit précieux s’impose comme forme universelle que l’on va appeler valeur, d’où les guerres entre souverains naissants pour contrôler des mines et la circulation qui deviendra des pièces à l’effigie du pouvoir. D’où, plus tard, l’idée que battre  monnaie est un attribut de la souveraineté, réalité qui aujourd’hui fait rebattre toutes les cartes de la géopolitique.

 Comme les étoiles, les Etats naissent, se développent et s’effondrent. Quelques Etats naissent , il y a 6000 ans, comme quelques étoiles, il y a 12 milliards d’années. Moins de 200 Etats aujourd’hui contre une infinité d’étoiles présentement. Ces Etats sont comme les étoiles, lesquelles vont engendrer des systèmes, des planètes, des galaxies, des trous noirs, etc. De leur côté, les Etats vont engendrer des cultures, des empires, voire des civilisations qui, à l’instar des étoiles, seront mortelles. Et de la même façon que l’univers - que l’on dit entropique - n’a rien de paisible avec des étoiles qui explosent, qui  satellisent ou qui vont en manger d’autres, des galaxies qui s’entrechoquent, etc. l’humanité, désormais le plus souvent dotée d’Etats, n’aura rien de paisible.

Dynamique plurielle du système des Etats dans l’humanité

Si l’on reste sur notre planète, Il existe une dynamique historique des Etats avec plusieurs étapes : contrôle du commun - l’extériorité de chacun - de ce qui devient un peuple par un seul, puis par un groupe, voire par la totalité du peuple (démocratie). L’Etat, extériorité radicale, fait  ainsi l’objet de stratégies de « captures » par des individus ou des groupes. Force fondamentale reliant les humains comme la gravité constitue l’une des forces fondamentales dans l’ordre de l’univers, mais une force débouchant sur des configurations diverses, probablement en liaison avec les structures anthropologiques de base (famille souche ou famille nucléaire par exemple). 

Des Etats débouchant sur des Etats -Nations

De ce point de vue, il existe une dynamique occidentale à nulle autre pareille dont l’origine est religieuse. Cette dynamique repose sur l’idée selon laquelle il y aurait un Dieu créateur et créancier vis-à-vis des humains, mais un Dieu qui aurait aussi remis   le monde à la disposition des hommes. De quoi inventer une civilisation, une galaxie, à nulle autre pareille en ce qu’elle permet de produire la liberté des hommes et leur regard critique sur l’ordre humain existant. D’où l’idée fondamentale que l’ordre humain peut être débattu et discuté dans un projet parfois avec passion . D’où une religion qui peut produire la fin des religions (catholicisme zombi). D’où à terme la possibilité de mise en valeur de tout ce qui, dans le reste de la nature, n’est pas humain. D’où le développement de ce qu’on appelle le capitalisme dans ces différentes variations dont l’une aboutira à la marchandisation générale du monde et l’individualisme. D’où enfin l’idée de « Déconstruction » inventée par une philosophie française des années 70 (Foucault, Barthes, Derrida, Deleuze, etc.) reprise aux USA, transformée en dénonciation de la société occidentale,  et réexportée ensuite… jusqu’à l’aboutissement d’un Trumpisme... censé mettre fin à l’humain démantelé…Tout cela se déroule de façon très complexe dans les plis de l’histoire… comme celle de l’univers et ici, un univers développant une entropie croissante. L’énergie de la société s’évapore dans ce qui devient simple foule.

Des états débouchant sur des empires.

Les Etats peuvent aussi connaître des trajectoires autres. Si l’occident aboutit plus ou moins à des Etats nations délimités par des frontières, d’autres Etats évoluent vers des formes empires dépourvues de frontières. Comme un trou noir dans l’univers qui satellise toutes les étoiles de son environnement pour engendrer une galaxie.  La Russie constitue de ce point de vue une galaxie quasi immuable : extension sans limite dans un espace à priori illimité que l’on colonise en introduisant partout un modèle culturel d’autant plus assuré que la colonisation est aussi une colonisation de peuplement. Dans ce type de galaxie humaine, on est loin de l’Occident et de sa déconstruction possible puisque ce qui est exporté dans l’aventure impériale est une culture qu’il faut protéger y compris en effaçant d’autres cultures. Ce qui est  en jeu, est moins une question d’ethnies qu’un modèle culturel épistémologiquement impropre au questionnement et à la dérive.  D’où la nécessité d’interdire par tous moyens, y compris génocidaires, une dérive culturelle des colonies. Une occidentalisation des colonies est tout simplement impensable. De ce point de vue les empires d’’Occident (britannique ou français) du 19ième siècle n’étaient que des constructions fragiles dans lesquelles la violence impériale était contenue. Rien de comparable, en termes de violence, entre un « plan de Constantine » (Algérie 1958) qui imagine un processus d’assimilation transparent et un plan russe d’effacement de la culture ukrainienne y  compris par la déportation.

Actualité d’un grand déraillement du système des Etats.

Le couple énergie/intelligence fonctionne à priori de  mieux en mieux et on consacre par exemple de plus en plus d’énergie ou de surplus énergétique à la production d’une intelligence artificielle dépassant l’intelligence humaine. On imagine même d’utiliser les pertes de production d’un nucléaire brimé par la priorité des énergies renouvelables à l’approvisionnement des fermes de production de crypto monnaies censées produire de la valeur. D’où en France, le très complexe dossier EDF/ Exaion/ Mara, cette dernière étant spécialisée dans le minage de bitcoins. Cette réalité, parmi tant d’autres, introduit la confusion monétaire, la perte de distinction entre valeur et richesse et contribue au grand déraillement du système des Etats. D’autres IA sont plus raisonnables mais néanmoins très ambitieuses telle PRIBOR qui pense proposer  une méthode permettant d’optimiser les politiques économiques et sociales  vers un idéal, type point oméga de Teilhard de Chardin.

Si les guerres du vingtième siècle semblent avoir consolidé les Etats classiques et les empires - au sein d’un système international fait d’institutions propres à contenir la violence interétatique ( Accords de Bretton Woods, ONU, FMI , OMC, etc.) - le processus de mondialisation devait contribuer à l’affaissement de nombreux Etats. Un peu comme si les trous noirs au centre des galaxies après s’être construits devaient se déliter et libérer leurs étoiles.

 Le couple énergie/intelligence ne semble plus fonctionner de façon autocentrée. Les Etats deviennent plus nombreux et semblent jouer la carte de l’économie (adoption du libre-échange) pour grimper dans   une efficience croissante. Le système monde se complexifie tout en se fracturant. Il aboutit à une désindustrialisation massive d’un côté et à un monde massivement industriel de l’autre. Situation grave où par exemple – et ce n’est qu’un exemple parmi de très nombreux -  les USA désindustrialisés ne disposent plus de la capacité à produire des sous-marins nucléaires et, à ce titre, mettent en difficulté le grand contrat AUKUS avec l’Australie. Globalement, la préférence dans l’investissement tourne au profit d’un software et délaisse le hardware avec de redoutables conséquences en termes de dépendance : voitures, éoliennes, batteries, panneaux solaires etc. et donc en termes de dislocation du monde.

Le tout se déroule dans le cadre d’une redistribution générale des inégalités avec en particulier leur remontée abyssale dépassant désormais celle de la période d’avant l’âge démocratique des Etats. La démocratie qui avait permis la capture de l’extériorité Etat au profit de tous ne semble plus pouvoir régler la question et perd sa justification. La liberté sur le marché est ainsi préférée à la liberté politique qui elle-même n’est plus en articulation avec l’homme nouveau. La société devient simplement foule désorganisée et sans projet collectif pensable. D’où le risque de retour vers les formes primitives de l’aventure étatique avec ses conséquences sur l’ordre international. Le système en tant qu’ensemble de pièces articulées pour fonder une cohérence s’efface doucement. Ce même système n’est pas non plus perçu comme devant s’intégrer dans celui de l’univers et fait émerger les gros défis de l’environnement (cf Philippe Descola et la problématique des relations de l’homme et de la nature).

Dans cette transformation du système, la monnaie va jouer un rôle majeur. Depuis très longtemps la souveraineté monétaire et la puissance des Etats étaient contestées par la bancarisation du monde. Très vite, l’Etat créancier vis-à-vis de sujets endettés par l’impôt s’était lui-même endetté par ses magnificences et ses guerres. C’est dans ce contexte que va s’épanouir le monde bancaire qui, de fait, même en étalon-or va se substituer aux Etats pour battre monnaie. Ultérieurement, cette création sera épaulée par l’apparition des banques centrales et va largement financer ce qui va devenir la dette publique. Les Etats originellement créanciers deviennent structurellement débiteurs. Simultanément, les Etats cessent leur activité de création monétaire au profit des seules banques qui assurent aujourd'hui près de 100% de la création. La bancarisation s’est accompagnée d’une financiarisation considérable avec un rapport 1 à près de 100 pour les marchés des changes et des rapports approximativement identiques pour toutes les matières premières. La réalité financière nouvelle crée un nouveau monde où ce n’est plus l’épargne qui autorise l’investissement productif mais la valorisation spéculative[1]. D'où une inversion de la logique de la Bourse. Et ce nouveau monde crée la nouvelle banque qui peut fonctionner quasiment sans capitaux propres alors qu’au dix-neuvième siècle ces derniers représentaient jusqu’à plus de 25% du total du bilan. Cette financiarisation entraine parfois des débats irréels comme celui du coût du licenciement des traders qui mettent en concurrence les grandes places. Comment éviter un licenciement à un million d’euros sur Paris alors que le même geste ne coûte que 120 000 euros à Francfort ?

Un gros débiteur, les USA, profitera de sa puissance pour élargir le marché de la dette publique. Etat souverain battant monnaie, il décidera de mettre définitivement fin à l’étalon or et imposera - depuis 1971 jusqu’à maintenant - le dollar comme équivalent du métal précieux. Liberté de circulation du capital et fin des taux de change fixes vont parfaire une mondialisation qui mettra aussi fin à la puissance américaine par sa désindustrialisation et ses conséquences sur l’ordre mondial.

 Désoccidentalisation des Etats-Nations ?

L’étoile américaine, telle un trou noir qui se délite après avoir consommé et fait consommer sans produire a compris qu’il fallait rééquiper le pays en passant par la fin du libre-échange. D’où la tentation d’importer les usines du monde par les droits de douane et une baisse des taux de sa banque centrale sans toutefois mettre fin au dollar comme réserve ultime d’un système monde qu’elle entend encore dominer. Le chemin est très difficile : peut-on réindustrialiser sans force de travail adaptée et en ne comptant que sur les promesses de l’IA ? Peut-on maintenir le dollar comme une monnaie de réserve appuyée sur les crypto monnaies ? Peut-on investir massivement à partir d’un marché financier enkysté dans la seule spéculation ? Peut-on compter sur un système bancaire dont les fonds propres ne représentent plus qu’un pourcentage infime du total des bilans ? Peut-on durablement se désintéresser de la question environnementale ? Peut-on promouvoir la liberté et réenchâsser une culture de la fermeture ? Peut-on être libertarien et interdire l’immigration ? Peut-on être libertarien et prendre le contrôle de la banque centrale ? Peut-on conserver la démocratie et devenir autocrate ? Peut-on conserver les frontières et les abolir pour maintenir les rendements continuellement croissants d’une  tech immergée dans l’IA?

Le contexte européen est celui d’un espace où les Etats ont programmé leur transformation en « géants rouges » et ont confirmé leur explosion au profit du vide d'un marché sans but. Même la monnaie depuis longtemps désétatisée est devenue une simple marchandise. Une réalité qui s’observe dans les restes d’Etats avec de plus résistants telle la France qui tente de limiter une inéluctable  dévaluation interne - pour compenser un taux de change irréaliste -  et se fracasse sur un déficit public que seuls les USA peuvent dépasser. Scénario que nous avons appelé « la grande migration du déficit extérieur vers le déficit public »[2], un scénario jamais étudié et jamais saisi par les différentes organisations politiques.  D’où, plus sérieusement, des questions assez semblables à celle de l’étoile américaine. Peut-on laisser une finance simplement spéculative et peu investisseuse avec un système bancaire énorme et peu tourné vers l’économie réelle, probablement moins de 20% de ses activités ? Peut-on faire d’une monnaie sans Etat un outil maitrisé ? Peut-on réparer l’euro ? Peut-on l’abandonner ? Les Etats effondrés peuvent-ils disposer d’acteurs politiques donnant du sens aux communautés elles-mêmes effondrées ? Quand on sait qu’en certaines circonstances, une foule désorganisée peut se transformer en bloc homogène, (voir les travaux de Jean Pierre Dupuy) la société transformée en foule peut-elle échapper à l’autocratie ? Des Etats effondrés peuvent-ils prendre le contrôle de la BCE ?

Confirmation des empires ?

En revanche, les empires se doivent de rester des trous noirs à peine d’effondrement. Les satellites victimes des influences occidentales doivent être protégées aux fins de maintenir  les dits empires dans leur état initial. De ce point de vue, il peut y avoir collaboration, voire fusion des galaxies. D’où l’impossible séparation entre Chine et Russie amenées à se protéger contre les « géantes rouges » qui se battent pour ne pas mourir. De ce même point de vue, ils doivent tenter de dédollariser, de ne pas libéraliser les mouvements de capitaux, de contrôler les taux de change, etc. Curieusement, le monde se renverse et si l’indépendance de la Banque centrale américaine disparait, on se bat en Russie pour la conserver. Ils savent que l’inéluctable crise de l’Occident débouche sur le raidissement de ses acteurs les plus puissants et ne sont pas prêts à en subir les conséquences.

En dehors de l’hypothèse d’une IA dépassant l’intelligence humaine – une IA qui rétablirait la domination du hardware sur le software,  une IA sur laquelle il est encore impossible de construire des scénarios - si le déclin de l’Occident devait se confirmer, se développerait-il une issue à de cette nouvelle guerre froide qui semble se déployer ? Concrètement, la victoire des populismes dans ce qui reste des Etats occidentaux consacrerait-elle un nouveau système monde ?

Jean Claude Werrebrouck- 27 août 2025

 

[1] Pour ne prendre qu’un exemple? Openal voit en cet été 2025 sa valorisation passer de 300 à 500 milliards de dollars en levant 6 milliards de dollars supplémentaires.

[2] https://www.lacrisedesannees2010.com/2024/12/la-cause-jamais-evoquee-du-naufrage-de-la-france.html

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8 août 2025 5 08 /08 /août /2025 15:15

Très courte note articulée sur 3 paragraphes :

1. Masquer le coût financier de la guerre

2. Economie de guerre sans finance de guerre.

3. Monétisation exigée mais monétisation interdite.

Une décision à priori fort technique mais sans doute très importante vient d'être prise par le pouvoir russe. Les 37 régions de la Fédération de Russie vont voir leur dette à l'égard du Trésor central  annulée. Un peu comme si les considérables dettes publiques des Etats européens étaient annulées par décision souveraine de la BCE. Bien sûr, les acteurs ne sont pas les mêmes et le Trésor Russe n'est pas la banque centrale de Russie , mais il est clair que le chemin d'une monétisation du financement de la guerre en Ukraine se trouve progressivement mis en place et ce de la façon la plus discrète possible.

1. Masquer le coût financier de la guerre

Concrètement la guerre est coûteuse en moyens matériels et humains. S'agissant de ce dernier aspect, il s'agit d'enrôler une masse croissante de jeunes issus de régions pauvres et qui acceptent le départ vers le front contre un capital et une rémunération très importante eu égard aux conditions économiques générales. Les régions financent ce qui permet de masquer une partie des dépenses de guerre normalement assurées par l'Etat central. Toutefois, en acceptant d'annuler les dettes publiques  périphériques (celles des 37 régions) à l'égard de l'Etat central, les dites régions sont invitées à poursuivre massivement l'enrôlement de la jeunesse. Concrètement, via la guerre et la mort, existe ainsi une véritable politique de redistribution vers les régions pauvres.

Le dispositif n'est qu'un masque transitoire puisque l'effacement de la dette (estimée à 11 milliards de dollars à l'horizon 2029) devient mécaniquement endettement pour un Etat central dont le déficit est estimé à 46 milliards d'euros pour 2025 soit 1,7% du PIB. 

2. Economie de guerre sans finance de guerre

Par comparaison avec les USA et l'Union Européenne, la situation n'apparait pas catastrophique. Toutefois le paysage russe est fort différent de ce qu'il est en Occident. La Russie ne dispose pas d'un marché de la dette publique permettant le financement aisé des déficits. Les obligations de la dette publique russe ( Obligatsil federal'noge Zaima) ne disposent d'aucune profondeur de marché et le Trésor russe ne dispose pas comme en occident d'agences de stature mondiale qui peuvent mobiliser des sommes colossales. (Par exemple près de 1200 milliards d'euros pour la seule année 2025 pour la zone euro. 

S'ils peuvent être acquis par les banques et les ménages les OFZ ne sont que moyennement appréciés dans un monde éloigné de la finance de marché. Par ailleurs, pour des raisons de recherche de confiance internationale, la banque centrale est officiellement indépendante et comme toutes les banques centrales du monde, elle s'interdit d'agir sur le marché primaire de la dette publique. Elle n'intervient que sur le marché secondaire et doit se livrer à de gros efforts pour inviter l'épargne vers l'achat d'OFZ. Les efforts concernent bien sûr les taux (taux croissant avec la durée)  et la fiscalité, mais l'effet d'éviction est redouté au regard de l'investissement industriel, et le taux de change serait vite menacé s'il n'y avait pas alignement sur les pratiques occidentales. 

3. Monétisation exigée mais monétisation interdite

La Russie est donc aujourd'hui dans un espace financier extrêmement tendu. On prend le chemin d'une monétisation avec des annulations de créances au détriment de l'Etat central, mais ce même Etat est lui- même incapable de reprendre du souffle sur un marché de la dette extraordinairement étroit et que la banque centrale n'ose pas alimenter par une intervention directe sous forme d'achat immédiat d'OFZ. Pensons par exemple aux exportateurs étrangers qui acceptent de vendre à la Russie contre paiement en roubles si demain la monnaie russe devait se déprécier fortement. L'Etat russe est loin de pouvoir se permettre les déficits jusqu'ici sans pleurs que connait l'Occident; 

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5 juillet 2025 6 05 /07 /juillet /2025 09:47

On peut s'étonner des débats et conflits  actuels sur l'organisation de l'infrastructure concernant l'électricité (France en particulier) , l'organisation de l'infrastructure ferroviaire (Suède notamment) , l'organisation de l'infrastructure monétaire (Europe en particulier). Historiquement, ces infrastructures assurant la circulation - de l'énergie, des personnes, de l'argent, etc.-  étaient soit publiques  (sous la forme d'un monopole), soit éclatées sous la forme d'entreprises en concurrence  (par exemple le secteur bancaire chargé collectivement de la circulation de la valeur). Ces dernières décennies, ces infrastructures semblaient prendre la direction d'une voie commune, celle d'une dispersion ou d'un éclatement transformant les productions en marchandises achetables sur des marchés. C'était le cas de l'électricité qui devenait un produit spéculatif côté sur des marchés spot ou de gros. C'était aussi le cas du rail qui, un peu partout, devenait activité privée (Grande Bretagne, Suède, voire France). Bien évidemment,  l'Union Européenne devait chapeauter le processus. D'une certaine façon, ces infrastructures rejoignaient celle de la finance, éclatée depuis longtemps, avec même une impossible mutualisation des risques pourtant souvent exigée par Bruxelles.

Curieusement, les temps semblent changer avec ce qui apparait d'abord comme une réflexion mais aussi comme un très vaste mouvement de recentralisation plus ou moins clairement affirmé, voire plus ou moins mené clandestinement. C'est bien évidemment le cas du rail où l'on voit une renationalisation ( Grande Bretagne, Suède, mais aussi France avec une  SNCF peu disposée à la dispersion d'un outil monopoliste). C'est aussi le cas des infrastructures électriques et - plus curieusement, voire mystérieusement - monétaires sur lesquelles il convient de s'appesantir.

 

,,,,D'abord l'infrastructure électricité.

Il devient de plus en plus difficile de gérer correctement des électrons qui ne se transforment pas en marchandise classique. Sur un marché classique, l'ajustement entre offreurs et demandeurs se réalise certes par les prix mais aussi par des stocks qui peuvent en fonction des conjonctures s'accroître ou diminuer. De plus la réactivité de l'offre ajoute à la souplesse et il est généralement possible pour les divers offreurs d'augmenter ou de diminuer la production. De ce point de vue, l'électron est une exception qui peut devenir radicale : l'électricité n'est pas stockable et certaines de ses nouvelles usines de production sont peu fiables car intermittentes (éolien, solaire). Alors qu'un marché de  marchandises classiques  peut rester libre, un marché de l'électricité doit faire l'objet d'une organisation rigoureuse, et tellement détaillée qu'on se rapproche d'un système autoritariste voire dictatorial. D'où cette impression de faux marché difficilement maitrisé par des milliers de fonctionnaires ou quasi fonctionnaires devenus, bizarrement,  indépendants de l'Etat. Pensons par exemple à ceux de la CRE (Commission de Régulation de l'Energie).  Sans l'électricité renouvelable et sa non fiabilité, on peut encore imaginer un système décentralisé qui peut réagir aux fluctuations de la demande. On peut même penser que les prix de marché qui se formeraient, seraient dictés par la règle du coût marginal. Tel n'est plus le cas avec un potentiel productif qui devient de moins en moins fiable avec le développement du renouvelable. De ce point de vue, on commence à voir les drames se produire dès que le renouvelable trop présent ne permet plus aux centrales classiques- devenues collectivement trop faibles en puissance installée- de réagir aux fluctuations de la demande. Tel est le cas du black out de près d'une journée sur le continent ibérique en Avril dernier : Parce que les électrons issus du renouvelable ne pouvaient plus être massivement produits? les centrales pilotables se sont retrouvées en difficulté pour augmenter massivement leur production ;  D'où les variations de tension et les effets dominos de la panne généralisée. Dès que le non fiable prend du poids dans le mix énergétique, il doit prendre appui sur des unités fiables mais de force plus réduite en raison de sa propre prise de poids.  Clairement, ce qui vient de se passer sur le continent ibérique doit  se reproduire, sauf à faire appel à davantage de connexion avec une France - elle même fragilisée par la prise de poids de son renouvelable -  invitée à porter secours à un système dont la fragilité est l'effet inattendu des choix politiques espagnols. 

Plus clairement encore, le fait de transformer en marchandise les électrons est à l'origine d'un montage industriel d'une branche professionnelle qui ne peut satisfaire les besoins. Dans le monde industriel classique on ne saurait procéder à de tels montages. Ainsi une usine d'assemblage de voitures qui serait défaillante n'est pas compensée par la construction d'une autre usine du même type génératrice de surcoûts. Concrètement, l'outil défaillant est abandonné au profit d'un outil plus fiable. Dans le choix de la marchandisation de l'électron produit à partir de l'éolien on est dans l'irrationalité et on espère gagner en fiabilité en multipliant les éoliennes et leur interconnexion.

Plus grave est le fait que les industriels de l'éolien connaissant le caractère inéluctablement défaillant de leur outil, vont exiger des garanties pour investir. Un peu comme si à propos des chaînes d'assemblages de voitures, on demandait à l'Etat de garantir la rentabilité économique sur l'outil. C'est très exactement ce qui se produit dans l'infrastructure électrique où l'Etat garantit le prix d'achat des électrons éoliens et garantit le débouché en exigeant la priorité de l'électron éolien sur les réseaux...au prix de la modulation du nucléaire, c'est à dire au prix de la diminution autoritaire de la production nucléaire. Une telle garantie de la rentabilité de l'éolien revient alors à placer ladite industrie en position rentière.  D'où l'intérêt des rentiers de la finance avec la précipitation des edge funds et fonds de pension vers l'éolien. En sorte que la non fiabilité est payée plusieurs fois : par le contribuable, par EDF qui distrait une partie des agents des salles de contrôle au respect de la modulation et de la perte de production, par le consommateur victime potentielle des pannes et de prix artificiels. 

Réalité méconnue du grand public depuis la disparition du grand monopole EDF (Loi NOME de 2010) le débat est en train de renaître, divise toutes les entreprises politiques, et sera vraisemblablement tranché au cours des deux prochaines années. Bien évidemment cela supposera de grandes transformations sur les marchés politiques avec des ruptures idéologiques majeures. 

,,,,Ensuite l'infrastructure monétaire

Les choses sont ici encore plus complexes et peu d'acteurs de la branche sont conscients de la réalité et de ses forces transformatrices. De fait, l'actuelle infrastructure électricité avec ses centrales et ses réseaux de transport ressemble un peu à l'infrastructure monétaire. Nous avons des banques qui produisent de la monnaie et la font circuler dans un cadre décentralisé et marchandisé. Avec ici des risques de pannes consécutives aux comportements des usagers. Ainsi une banque qui voit ses dépôts circuler vers d'autres banques peut devenir victime d'un bank run aux effets indésirables sur d'autres banques. Un peu comme les variations de tension sur les réseaux électriques qui peuvent entrainer une panne globale, ici une crise bancaire.

La présente conjoncture fait que si dans l'industrie de l'électricité on devait se diriger vers des choix inappropriés dans un cadre de fragmentation ( transformer l'électron en marchandise) dans le cadre de l'industrie bancaire on se dirige possiblement vers des choix rationnels porteurs de centralisation voire de renationalisation. De ce point de vue le débat encore très secret sur l'infrastructure monétaire est assez comparable à celui de l'électricité. Mettre fin aux crises financières voire de dettes passe par une renationalisation comme mettre fin aux risques de black out consiste à mettre fin au faux marché de l'électricité. Les choses sont ici d'une grande simplicité mais politiquement encore beaucoup plus difficiles que ce qui se passe dans les débats sur l'électricité. Concrètement, et en simplifiant, il est proposé de créer un euro numérique de banque centrale censé moderniser les flux monétaires basés sur les billets. Les paiements en espèces disparaitraient au profit du smartphone et d'un porte feuille numérique reposant sur des comptes à la banque centrale.

Un tel dispositif n'est pas que technique et se trouve porteur d'une révolution inacceptable pour le système bancaire décentralisé d'aujourd'hui. Présentement encore, les banques portent les comptes des entreprises et  des particuliers à leur passif, une réalité qui constitue la matière première de leur activité, en particulier la création monétaire. Parce que les dépôts nourrissent des crédits qui eux mêmes nourrissent d'autres dépôts, les banques, mêmes celles numérisées appelées néo banques, ne peuvent accepter une menace sur la maitrise des dépôts. Or, de ce point de vue, en créant une monnaie numérique de banque centrale, le siphonage des comptes par la seule banque centrale devient une menace existentielle pour le système décentralisé. En effet, au nom de la simplicité, on ne voit pas pourquoi les comptes des entreprises, des particuliers, voire du Trésor lui-même ne se déplaceraient pas vers le passif d'une banque centrale redevenue banquier monopoleur... Comme EDF était le producteur monopoleur de l'électricité et la SNCF monopoleur du transport par rail...

Bien évidemment les débats - largement édulcorés dans les médias qui ne se rendent pas compte du formidable enjeu de recentralisation - font rage entre les banques et leurs représentants et les banquiers centraux. Ces derniers, souvent issus eux-mêmes du monde de la finance, savent à quel point les nouvelles technologies rendent probablement inéluctables la grande transformation de l'infrastructure monétaire. Et, de ce point de vue le débat apparent sur la limite qui pourrait être fixée au déménagement des comptes privés depuis les banques vers la banque centrale, n'est qu'un combat d'arrière garde. Ce sont en effet les clients qui eux-mêmes au nom de la rationalité et de la sécurité des transactions vont exiger quelque chose comme un monopole des banques centrales. 

Nous n'en sommes pas encore là et pour le moment les nouvelles technologies qui tournent autour de la blockchain semblent produire un double effet de privatisation et de renationalisation de la monnaie. Les banques qui se savent menacées, accélèrent le grand mouvement de la création des stable coin, y compris en l'intégrant dans les jeux de la finance et en se passant de la banque centrale. De quoi devenir autonome dans le service de livraison des titres qui jusqu'ici mobilise la monnaie centrale. Simultanément les banques centrales semblent vouloir accélérer la création de la monnaie numérique de banque centrale. Dès le troisième trimestre 2026 (Initiative Pontes) les transactions numériques pourront s'opérer à partir de la nouvelle monnaie numérique de banque centrale. De quoi bloquer la privatisation de la monnaie.

Derrière ces grands mouvements très parallèles, nous retrouvons bien sûr la problématique de la souveraineté et, bien au delà, de celle du sens à retrouver dans l'action collective. Les mouvements de décentralisation et d'émiettement allaient dans le sens de la fin de l'histoire: il n'y a plus rien à faire et à construire. Les débats actuels sur les infrastructures forgent peut-être celui du retour du sens. 

Jean Claude Werrebrouck le 7 juillet 2025 

 

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20 février 2025 4 20 /02 /février /2025 14:14

Le texte qui suit, fut écrit en juillet 2011, époque plus calme que celle que l’on connait aujourd’hui. Nous tenterons d’exprimer dans quelques jours l’esquisse du tableau probable de cette partie du monde qui, jusqu’ici, s’appelait Union Européenne.

En attendant, nous republions ce texte ancien qui s’efforçait de dessiner au-delà des  conjonctures et évènements, les fondements paradigmatiques de nombre de nos réalités macrosociales, celles qui vont façonner nos existences depuis la fin de la guerre jusqu’à aujourd’hui.. De quoi comprendre le monde tel qu’il existait, tel qu’il se transformait, tel qu’il aurait pu évoluer  et tel qu'il consacrait la puissance d'un Occident unifié… mais qui n’existera probablement plus. Ce texte avait pour titre: "Le monde tel qu'il est". 

A l’intérieur du texte, ce qui est écrit en italique est un ajout  censé apporter un exemple de confirmation de ce qui était anticipé en 2011.

 

1 -  Les acteurs du jeu social                                

 Dans une société complexe, nous croyons pouvoir identifier 3 catégories d’acteurs : le groupe des entrepreneurs politiques, celui des entrepreneurs économiques, et celui plus divers des citoyens/ salariés/ consommateurs/ épargnants (le « CSCE »).

- Le premier groupe d’acteurs : les « entrepreneurs politiques » ou les « producteurs de l’universel »

Le premier groupe est constitué d’acteurs en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animés par un intérêt privé : le goût du pouvoir, voire de la richesse, ils professionnalisent une fonction et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre institutionnel et  juridique général. A ce titre, il y a travail classique d’utilisation de la contrainte publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes se transformant en textes, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques ou se transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique.

Avant la démocratie, les entrepreneurs politiques -tyrans, rois, etc.- mobilisaient volontiers la puissance des idéologies pour pérenniser leur propre puissance prédatrice. N’oublions pas le fondement religieux de la naissance de l’Etat au sein des communautés humaines. L’avènement puis la généralisation de la démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème puisque la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement - en démocratie -  concurrence à partir d’un appel d’offres : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui s’imposent à tous et sont donc œuvre d’une entreprise monopolistique à savoir l’Etat ? Un probable moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privés serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction sans limite, au pouvoir. En démocratie représentative la professionnalisation de la fonction politique est ainsi devenue un fait largement majoritaire. Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles gestionnaires d’une entreprise profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant surplombant tous les acteurs.

Février 2025. Nous invitons ici à resituer les derniers évènements américains : Elon Musk est censé casser l’Etat profond au profit d’une gestion rationnelle. Pensons également aux débats qui, au sein de la « tech,  semblent se déplacer vers l’idéologie libertarienne avec la mise en avant des travaux de Hayek et de la vision libertarienne de l’économie.

Les biens ainsi produits par l’entreprise Etat, les « règles du jeu social », parce qu’universelles par nature, pouvaient ainsi apparaître comme porteuses d’un intérêt général. Et la confusion est vite établie : les entrepreneurs politiques auraient ainsi la lourde mission de produire de l’intérêt général, alors que nécessairement, comme toujours, ils doivent surtout veiller à un programme de conquête du pouvoir, ou de reconduction au pouvoir. De fait, on savait déjà que les textes sont toujours des compromis entre acteurs ou groupes d’acteurs aux intérêts divergents, le pouvoir étant donné à ceux pour qui ces compromis concernent positivement, réellement ou imaginairement, une majorité d’électeurs. Nul intérêt général, impossible à définir, ne peut être lu dans un texte  qui, par nature, fixant le champ des possibles, est nécessairement fait de contraintes que beaucoup voudraient enjamber et dépasser.

- Le second groupe d’acteurs : « les producteurs de biens économiques »

Le second groupe est constitué d’acteurs en compétition entre eux sur le marché des biens économiques. Les entrepreneurs économiques ont plus de difficulté que les entrepreneurs politiques à s’exprimer avec conviction sur l’idée d’un intérêt général dont ils seraient les producteurs. C’est que les biens économiques ne surplombent pas la société comme le fait son « système juridique ». La baguette de pain du boulanger ne surplombe pas les acteurs comme le fait le code civil. Pour autant ils disposent depuis longtemps d’un outil théologique exprimant la fiction d’un intérêt général : la théorie économique. Cette dernière prétend enseigner que, mus par des intérêts particuliers, les entrepreneurs économiques fabriqueraient un intérêt général : la fameuse main invisible de Smith. Certains en déduisent d’ailleurs que le paradigme de l’économie, s’il était  suffisamment répandu, permettrait  de se passer de cet universel qu’est l’Etat. Le monde pouvant ainsi passer plus complètement de son âge politique à son âge économique. Et avec lui le passage de l’Etat nation à la mondialisation… L’Universel ultime - celui de la fin de l’histoire, une histoire qui fût si difficile pour le genre humain - étant l’économie comme instance bienfaitrice, et réconciliatrice de toute l’humanité. Avec, toutefois, la grande question des modes d’existence de la souveraineté.

Février 2025. Ce qui se passe aujourd’hui met apparemment en cause la théologie économique et de nouveaux pouvoirs imaginent délaisser les dogmes au profit d’une économie de combat où le multipartisme respectueux des intérêts de chacun laisse la place à des combats bipartisans. Un mercantilisme enrobé dans les droits de l’individu s’affirme brutalement. Le monde à venir devrait être hérissé de barrières appelées droits de douane et les économistes gardiens du libéralisme ont de la peine à imaginer ce que seraient des « barrières optimales ». D’où l’appel en avril 2017 de 25 prix Nobel qui, déjà, s’inquiétaient des thèses protectionnistes de Donald Trump lors de son premier mandat.

Mais la compétition sur le marché des biens économiques passe aussi par des interventions sur le monopoleur qui fixe les règles du jeu : il faut « capturer »  la règlementation et se faire aider par les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs d’une «  haute fonction publique » pour gagner des parts de marché, être protégés contre des agresseurs économiques, voire pour créer de nouveaux marchés parfois même par le biais d’institutions qui désarment directement les entrepreneurs politiques de la souveraineté : OMC, traités internationaux, etc. Phénomène devenu massif avec l’irruption des autorités administratives indépendantes (AAA), Le politique est devenu ainsi l’art de continuer le jeu de l’économie par d’autres moyens. A charge du politique de bien vendre la règlementation sur le marché politique où il rencontrera, en démocratie,  les électeurs. Ce qu’il faut simplement constater à ce niveau c’est que d’autres intérêts privés, ceux des entrepreneurs économiques utilisent aussi, à l’instar des entrepreneurs politiques les outils de la puissance publique aux fins de satisfaire leurs intérêts.

Février 2025. Ce qui se passe depuis quelques jours semble n’être qu’une aggravation de ce qui vient d’être décrit. Avec peut-être même un basculement vers un état antérieur : comment comprendre en effet la bataille pour la disparition du NED ( National Endowment for Democracy) menée par le Département de l’Efficience gouvernementale patronné par Elon Musk ? Fusion du politique et de l’économique ?

- Les citoyens/salariés/consommateurs/épargnants

Le troisième groupe est sans doute très hétérogène. Il s’agit de tous les acheteurs de biens politiques d’une part, et de biens économiques d’autre part. Porteurs de statuts multiples et pour l’essentiel : citoyens (engagés ou non, patriotes ou indifférents, traditionalistes ou modernistes, croyants ou non, etc.), salariés (parfois travailleurs indépendants), consommateurs, épargnants, (on les appellera dorénavant les « CSCE »), ils peuvent être en compétition entre eux (groupes d’intérêts), voire connaître des conflits de statuts, lesquels ne sont pas toujours réductibles à un ensemble de cercles concentriques. Il peut exister des temps où les CSCE connaissent une grande dissociation : l’intérêt du salarié est dissocié de celui du consommateur ; l’intérêt du citoyen est dissocié de celui de l’épargnant etc. Mais il était aussi des périodes  où plusieurs de ces intérêts, voire tous allaient dans le même sens. L’avènement de la démocratie n’a pu que développer la force politique de ce troisième groupe. les CSCE peuvent comme les entrepreneurs politiques « capter » la réglementation en achetant avec leurs voix des dispositifs avantageux comme salariés ou consommateurs, ce qu’on appelle le « social- clientélisme ». En ce sens, ils sont comme les autres acteurs (entrepreneurs politiques et économiques) attirés par l’utilisation de l’universel afin de satisfaire leurs intérêts privés. Parce que clients sur le double marché politique et économique, les entrepreneurs qui leur font face  doivent en principe les satisfaire.

2 - Complexité des formes de la réalité macrosociale.

Dans les formes primitives des Etats seuls les entrepreneurs politiques – tyrans, princes, etc.- étaient véritablement acteurs et dictaient les règles du jeu. Le cas échéant - en vertu du fait que l’intérêt du loup étant que les moutons soient gras - des entrepreneurs politiques étaient associés dans des institutions à vocation mercantile. Par contre, les CSCE n’ont guère de pouvoir et sont victimes des entrepreneurs politiques qui les enkystent dans un territoire équipé des premières frontières. La souveraineté est celle du plus fort et s’exerce à l’intérieur dudit territoire. Ce qui signifie que les outils de la contrainte publique, appropriés par les entrepreneurs politiques, sont largement orientés vers l’intérieur et que le partage de la souveraineté est peu envisageable.

Février 2025. A l’époque nous n’avions pas encore analysé ce qui est de l’ordre de l’empire et en particulier ce qu’il en était de l’empire russe. Nous y reviendrons et signalons simplement qu’un empire ne connait en principe pas de frontière ce qui n’est pas le cas de ce qui va se produire en Europe après les traités de Westphalie (24 octobre 1648). Les USA vont-ils devenir un empire clasique ne reconnaissant plus les frontières? 

L’irruption de la démocratie et des droits de l’homme vont favoriser le décentrement progressif de la captation des outils de la contrainte publique, avec bien sûr l’idée d’un partage de la souveraineté qui deviendra celle d’un peuple. Mais le jeu social qui consiste à capter les outils de la contrainte publique à des fins privées en concurrence et en opposition va déformer de façon croissante l’universel produit in fine par les entrepreneurs politiques dont c’est la mission historique.

Et cette déformation fera que les entrepreneurs politiques seront de plus en plus invités à donner satisfaction aux entrepreneurs économiques les plus dynamiques. Ainsi s’explique une mondialisation construite par les entrepreneurs politiques qui se sont progressivement engagés dans un processus de servitude volontaire : fin des frontières, fin de la monnaie comme bien public, abandon de la souveraineté monétaire, construction des autoroutes de la mondialisation, renoncement aux vieilles missions de services publics, affaissement de la prédation fiscale, fin d’un patrimoine public positif, renoncement à la souveraineté d’une loi désormais encadrée par des autorités nationales ou étrangères appelés tribunaux d’arbitrage, création massive d’autorités administratives indépendantes, etc. Tout cela au nom de l’affermissement de l’idéal démocratique.

Février 2025. Pensons aujourd’hui à ce qu’on appelle l’Etat de droit que l’on dit  menacé par les populistes et qui  - pour ces derniers - aboutit à l’impuissance publique. Pensons à la bataille du nouveau pouvoir américain, bataille engagée  pour détruire «  l’Etat profond » Pensons à ce que certains appellent le recul des libertés et à l’illibéralisme triomphant. 

Cette déformation considérable du contenu de l’universel n’est pas catastrophique pour les entrepreneurs politiques, leur objectif n’est pas la maîtrise du contenu mais sa capacité à les reproduire au pouvoir. La modification du contenu ne peut évidemment s’aligner sur les seuls intérêts des entrepreneurs économiques. Dans la montée de l’économie et des libertés associées, les CSCE vont connaître de gigantesques évolutions : fin de la citoyenneté au profit de l’individu désirant, développement important des patrimoines et du statut de l’épargnant, modification considérable du statut de salarié jusqu’ici protégé par l’Etat social souvent associé au stade de l’Etat-nation. Globalement, la mondialisation réorganise l’ensemble des liens tissés entre tous les acteurs avec développement de fortes inégalités

3 -  Mouvement des intérêts, bouleversement des compromis, émergence d’une forme oligarchique

L’articulation des trois groupes précédemment définis est nécessairement instable en raison du caractère toujours éphémère des compromis passés. Et instabilité aussi déterminée par le manque d’homogénéité des intérêts à l’intérieur de chacun d’eux. Par ailleurs, une grande porosité  va se créer entre les 2 groupes d’entrepreneurs et grande porosité qui va dégrader la démocratie au profit de l’oligarchie. Si la capture de la règlementation, par exemple celle qui autorisera la mondialisation, se fait souvent par le harcèlement du régulé sur le régulateur, par exemple celui des 50 000 lobbyistes de Bruxelles sur les instances de décision correspondantes, elle peut aussi s’opérer de façon plus radicale : la fusion du régulateur et du régulé. Ici le producteur/détenteur de l’universel, c'est-à-dire l’entrepreneur politique, « part avec la caisse » et devient entrepreneur économique. La France constitue un modèle de cette fusion. Mais le même résultat peut être obtenu en parcourant le chemin inverse : le régulé devient le régulateur et  ainsi « ouvre la caisse » au profit de toute une profession. Les USA constituent un modèle de ce second type de fusion.

Février 2025. Le cas américain est devenu saisissant. Ainsi Elon Musk est officiellement le régulé dans ce qui touche les activités spatiales qu’il développe avec les fonds de la NASA, mais il est aussi, dans le cadre de ses nouvelles fonctions de contrôle des activités fédérales, le régulateur de cette même NASA. 

C’est bien évidemment dans ce qui a toujours constitué le point d’intersection entre intérêts politiques et intérêts économiques que ces fusions sont les plus emblématiques et les plus fondamentales : le système monétaire et financier. Ainsi, grandes banques et banque centrale sont en France dirigées par de hauts fonctionnaires. Ainsi, aux USA, le Trésor lui-même et la banque centrale sont généralement dirigés par un banquier.

Porosité par harcèlement, ou mieux par fusion, permet aux deux groupes d’entrepreneurs de se dégager partiellement et progressivement des contraintes de l’âge démocratique de l’aventure étatique. C’est que le coût politique de la capture de la réglementation, déjà diminué en raison de la dissociation du groupe des CSCE, diminue encore si les entrepreneurs politiques peuvent connaître un prolongement de carrière dans l’aventure économique : la perte des commandes de l’universel peut être le point de départ d’une activité autrement rémunératrice. D’où la naissance d’un groupe social en apesanteur, groupe aidé dans ce nouveau statut par le développement du mondialisme. Avec, en conséquence, le passage du stade démocratique vers un stade plus proche de l’oligarchie. Ce que certains évoquent en utilisant l’expression de   « surclasse ».

Février 2025. On note que dans le nouveau gouvernement américain une majorité de ministres sont milliardaires. Le président lui-même et son épouse viennent de se lancer dans les crypto monnaies et il en est de même du président argentin Javier Milei. On peut aussi s’interroger sur le président Trump au regard de ses anciennes activités sur le territoire russe. Une partie de l'occident semble ainsi s'éloigner de son berceau européen.

Bien évidemment, le fonctionnement des marchés politiques s’en trouve transformé. Souvent duopoles avec barrières à l’entrée très élevées, la quête de l’électeur médian avait déjà rétréci la distance entre les programmes des deux grandes entreprises que l’on trouvait souvent dans l’âge démocratique des Etats. La porosité puis la fusion ne peuvent que renforcer l’étroitesse de l’éventail de l’offre politique, avec une difficulté de plus en plus grande à distinguer une droite d’une gauche et au final le sentiment de grande confusion… avec toutefois alignement général sur les impératifs de l’économie. Alignement qui n’est que la conséquence logique du processus de fusion en cours : entrepreneurs politiques et entrepreneurs économiques qui étaient en même temps citoyens ne sont plus que des « individus désirants » pataugeant dans mille conflits d’intérêts ou délits d’initiés . Et alignement qui développe aussi des effets pervers : les CSCE les plus éloignés d’une possible intégration dans le groupe des oligarques s’organisent en dehors du duopole classique - les partis ayant vocation à gouverner- et deviennent clients d’entreprises politiques nouvelles, étiquetées sous le label de partis contestataires, ou « populistes ».

Février 2025. On constate la montée des populismes dans de nombreuses régions et en particulier dans nombre de pays de l’Union Européenne. Peu visible en 2011, cette montée est dans la logique du fonctionnement de la réalité macrosociale évoquée.

En mondialisation, les Etats et leurs entrepreneurs politiques ne disparaissent pas. Il y a simple transformation de leur rôle. Et cette altération passe par une certaine fin de l’âge démocratique au profit de l’émergence d’un stade oligarchique avec une utilisation de la contrainte publique à des fins privées, davantage réservée à un petit groupe d’individus.

Février 2025. Ce mouvement concerne en particulier les USA dans la nouvelle version du bloc au pouvoir avec en particulier l’alignement de la Silicone Valley sur le nouveau pouvoir fédéral. Il concerne également l’empire russe où l’économie de guerre est un partenariat très organisé entre oligarques contrôlant  l’industrie de l’armement  et le pouvoir politique. La distinction entre l'ouest et l'Est qui caractérisait l'ordre de Yalta s'efface doucement.

Pour l’immense majorité, les droits de l’homme semblent se rétrécir à leur définition libérale : vie, liberté, propriété , en abandonnant doucement des droits que l’âge démocratique avait permis d’engendrer.

Février 2025. L’âge démocratique semble s’achever aux USA avec l’avalanche des  nouvelles décisions gouvernementales regroupées dans la « théorie de l’exécutif unitaire ». Outil qui semble mettre fin à la séparation des pouvoirs. Mais aussi théorie dont la valeur juridique apparait douteuse pour les juristes français en ce qu’elle efface sans le dire l’Etat de droit. La distinction entre l'Ouest et l'Est qui caractérisait l'ordre de Yalta s'efface doucement.

Le présent texte se voulait simplement analytique et ne propose aucune voie ni aucune solution. Il se veut simple grille de lecture du réel. Ou simple contribution à la connaissance d’un monde qui ne cesse de se transformer : non, Monsieur Fukuyama, l’histoire n’est pas terminée.

                                                           Jean Claude Werrebrouck – Juillet 2011

Conclusion:

Le grand tableau dessiné par les acteurs de Yalta fut longtemps modifié par retouches, petites ou grandes. Petites, par exemple pour la décolonisation, voire la fin de Brettons Woods. Plus grandes avec surtout la disparition du mur de Berlin. Au-delà des retouches sur la toile, le support du tableau restait quand même identique avec d’un côté ce qu’on appelait l’Occident et de l’autre ce qui était réputé être le reste du monde. L’époque qui semble vouloir émerger n’est probablement pas affaires de retouches : il ne s’agira plus de coups de pinceau sur la toile mais de changer de support. Le grand tableau de l’ordre de Yalta a peut-être disparu. Nous tenterons de risquer dans quelques jours les contours de la nouvelle toile en gestation. La tâche ne sera pas facile tant les lunettes traditionnelles des uns et des autres rendent collectivement « bigleux ».  Les unes nourries d'un  paradigme américain rejeté  servent mal à justifier le bien fondé de l'ordre russe. Les autres, adoratrices du même paradigme, risquent de ne plus pouvoir servir à observer le monde....Et les entrepreneurs politiques européens, plongés dans une réalité devenue si étrange au regard de leur bruyante inculture, sont confirmés dans leur statut  de communicants bavards.

                                                 Jean Claude Werrebrouck - 21 février 2025

 

 

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26 juin 2024 3 26 /06 /juin /2024 13:13

Quel que soit le résultat des élections législatives nous entrons en période de conflit au plus haut niveau, celui au sein de l'exécutif. Le président tirait, tire, et va tirer les ficelles dans la perspective d'un projet de carrière personnelle prodigieusement ambitieux. Il apparait en effet de plus en plus clairement que La Présidence de la République n'était qu'une étape, et - vu l'âge de son titulaire- nous sommes encore simplement en milieu d'une carrière qui se veut grandiose.

Le vrai problème est donc celui d'une cohabitation qui doit se concevoir comme tremplin vers une carrière prestigieuse hors de France et probablement contre la France. Chacun sait en effet que le président a toujours développé un européisme anormalement militant au regarde des seuls intérêts français. Piétiner la France pour valorise l’UE est une démarche militante admirée par les partenaires qui se sont toujours méfiés de la robustesse de l’architecture étatiste de la France. Ce piétinement vaut récompense et c’est bien l’agenda d’un président qui veut devenir patron d’une UE devenue grand Etat fédéral.

 Pour Matignon les choses seront plus modestes:comment faire tourner le quotidien sur le plancher des vaches? Plus savamment comment d'un côté réparer et de l'autre comment détruire pour être plus crédible au regard du futur employeur « Fédération des Etats Européens »?

Jusqu'à présent les entrepreneurs politiques, mus par leur intérêt personnel devaient tenir compte de quelque chose comme l'intérêt général. On utilise toujours les outils et moyens de la puissance publique à des fins privées mais jusqu'à présent l'intérêt général était sur le devant de la scène.  Aujourd'hui la dislocation, la mondialisation et donc la disparition du citoyen, voire de la démocratie elle-même, permet à un entrepreneur politique de s'autonomiser par rapport à la vieille contrainte d'un intérêt général. De ce point de vue notre président est le modèle parfait de l'entrepreneur politique post-moderne. Il est probablement au premier rang de la marche triomphale vers la fin de l'Occident.

 Bien évidemment il se veut au premier rang mais il ne fait que suivre le mouvement général d’un capitalisme financiarisé et  déterritorialisé se débarrassant d’une démocratie devenue poids trop lourd. C’est que naguère le fordisme générateur d’énormes gains de productivité supposait la redistribution et le partage à l’intérieur d’un conflit de classes, alors qu’aujourd’hui il peut abandonner tout esprit redistributif ( apparition de rémunérations stratosphériques, disparition des usines, etc.) et ne voir dans  la démocratie qu’un cout inutile qu'il faut contenir (référendum de juin 2005). A l’époque du fordisme, ce qu’on appelait l’élite ne pouvait faire secession - peu de paradis fiscaux, monnaie souveraine, surveillance du compte de capital, etc.- et se devait de partager à l’intérieur d'un territoire et  d’une démocratie plus ou moins réelle. Aujourd’hui, cette même élite, parce que pouvant bénéficier d’un espace mondial a perdu tout contact avec la base et peut faire sécession donc voir dans la démocratie un objet trop lourd qu’il faut contourner ou contenir. L’Etat dit "de droit" devient possible « coup d’Etat permanent» selon les expressions d’un Marcel Gauchet ou d’un Arnaud Montebourg. Ce même Etat baignant dans un capitalisme d'enclaves (Quinn Slobodian) ou ""archipélagique" (Vanessa Ogle) s'évapore en laissant la place à "l'individu désirant", à la haine et à la violence politique (Luc Rouban). Le président intellectuellement très équipé se sert de ce changement de paradigme pour booster sa carrière personnelle. En ce sens il est l'équivalent politique de l'élite économique mondialisée.

Il n'a pas oublié le vieux slogan de Joseph Shumpeter qui - s'intéressant aux entrepreneurs économiques-  parlait de "destruction créatrice". Notre président va donc détruire et assurer l'échec d’une cohabitation tenue par des "mal- sentant de la foi libertarienne". A ce titre il deviendra la figure du héro méritant. L'histoire ne s'arrête pas.

La probable prochaine cohabitation, quelle que soit sa version, ne sera donc pas de la même nature que les trois précédentes. L’époque n’était pas la même et les présidents- naturellement eux aussi entrepreneurs politiques- ne pouvaient, en raison de leur âge, ambitionner une future carrière. Il s’agissait de se maintenir au pouvoir et non pas de considérer ce dernier comme simple marche- pied en vue d’une position plus grande. Au-delà, les entrepreneurs politiques de l’époque étaient encore cadenassés par l’idéologie d’un intérêt général se manifestant dans un espace encore démocratique, espace peuplé de citoyens et équipé d'une monnaie et de frontières. Matignon n’était  pas dans une logique de résistance face à la destruction, mais dans une logique de  conflictuelle conservation.

Si le RN gagne les élections législatives il doit être très conscient de ce contexte très particulier : le président va rester au pouvoir et organiser la guerre civile qu’il annonce avec cynisme. En 2027 il laissera à de nouvelles "petites mains" le soin de faire rentrer le pays dans le rang. La grandeur d’un homme dépourvu de tout scrupule  se paiera de la ruine du pays. 

 

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14 juin 2024 5 14 /06 /juin /2024 10:13

Les prochains jours seront agités…et vont le rester longuement. Nous proposons ci-dessous une réflexion tentant de dépasser les simples commérages médiatiques.

Les entrepreneurs politiques

Tout d’abord il faut admettre que les instances politiques, en particulier l’Etat lui-même,  sont animées par des acteurs qui sont, comme tous les humains animés par des intérêts privés : le consommateur cherche à maximiser son bien-être, le salarié est à la recherche de meilleures rémunérations, l’entrepreneur économique tente de maximiser son profit….l’entrepreneur politique cherche à conquérir le pouvoir ou à se reproduire au pouvoir.  Et il est correct de parler « d’entrepreneurs politiques » car il s’agit d’individus qui - non salariés le plus souvent- sont en quelque sorte des « franchisés » d’entreprises politiques. Par exemple, un député est un personnage qui utilise une « marque » ( Modem, PS, RN, etc.) pour conquérir une place dans l’Assemblée Nationale. Il est donc bien un entrepreneur franchisé et comme tout franchisé, il utilise la marque en « vendant/produisant » des produits politiques ( ils produisent la loi donc « l’universel » de la société). La vente des produits politiques se réalise sur un marché politique qui correspond comme beaucoup de marchés économiques à un lieu et un temps qui est ici le « jour des élections » se déroulant dans des espaces publics (écoles , mairies, etc.)

Les entreprises politiques

Les entreprises politiques  ne disposent pas d’actionnaires mais de « militants » ou supporters animés par une idéologie présentée et vécue comme un « intérêt général ». A ce titre ils restent convaincus que l’Etat- monopoleur/ dépositaire des règles du jeu global- se doit de travailler en ce sens et tentent de le capter pour assurer la réalité de cet intérêt prétendu général. Les entreprises politiques et leurs franchisés sont en concurrence sur le marché politique comme les  entrepreneurs économiques le sont sur les marchés économiques. L’Etat est ainsi le réceptacle unique des produits politiques qui ont été les mieux « vendus » c’est-à-dire qui sont le produit d’une victoire électorale. Une entreprise politique qui, en démocratie gagne les élections, devient ainsi monopoleur de la production de l’universel de la société. Ce monopole est un gain politique et d’une certaine façon l’entreprise politique et ses entrepreneurs est une machine qui utilise les outils de la puissance publique à des fins privées : accès au pouvoir ou reconduction au pouvoir. Vendre des produits économiques se trouve assorti de coûts privés, mais vendre des produits politiques est assorti de bénéfices privés (pouvoir) et de coûts publics (impôts). Les entrepreneurs politiques et leurs entreprises ne supportent que fort indirectement les coûts de leur activité. Comme dans les entreprises économiques qui généralement vendent des gammes de produits, les entrepreneurs politiques vendent des gammes appelés « programmes ».

Cohérences programmatiques de jadis.

La France a connu une période appelée : « 30 glorieuses » dans laquelle les programmes des entrepreneurs politiques semblaient  d’une grand cohérence. Voici ce que nous écrivions à propos de cette période :

 « Le régime fordien de croissance donne lieu à des synthèses programmatiques relativement aisées en raison d'une certaine congruence des intérêts des divers acteurs.     L'acceptation du salariat est d'autant plus facile que la redistribution est réelle et réellement nourrie par de réels gains de productivité. Le partage des gains est aussi l'intérêt des entrepreneurs économiques dont l'offre rapidement croissante de marchandises se doit de disposer de débouchés croissants et réguliers. Une régularité toute promise par les entrepreneurs politiques qui construisent un Etat-providence porteur de social-clientélisme et donc de bulletins de vote. Salariés et consommateurs ne connaissent pas d'intérêts opposés dans un monde largement constitué d'un "dedans" protecteur, bien séparé d'un "dehors" :  séparation garantie par les entrepreneurs politiques qui protègent la Nation. Le dedans est lui-même relativement douillet : puisque protégé, il limite sérieusement les risques de prédation offerts par une possible exacerbation de la concurrence. Parce que la concurrence est ainsi contenue, les moins performants du jeu économique ne sont pas exclus : l'éventuelle sous-efficience se paye de moins de richesse mais non d'exclusion radicale. Les seuls relativement exclus sont ainsi les épargnants victimes de la répression financière qui caractérise aussi le régime fordien: la fameuse "euthanasie" des rentiers chère à Keynes. » 

 

Globalement dans ce type de monde les entrepreneurs politiques peuvent offrir sur les marchés politiques une assez grande cohérence programmatique donc des produits politiques crédibles…renforçant la crédibilité des entreprises politiques et de leurs entrepreneurs. L’idée d’intérêt général était porteuse de sens et si les entrepreneurs politiques mobilisaient les outils et moyens de la puissance publique à des fins privés, ce qui ne peut leur être reproché tant cela est dans la logique de leur positionnement, ils étaient légitimés par des résultats visibles : croissance spectaculaire, moyennisation de la société, sécurité croissante dans tous domaines, capacité à se projeter dans un avenir positif, etc.  Globalement nous pouvions vivre dans une société de relative confiance. Tel ne peut plus être le cas aujourd’hui en mondialisation.

Incohérences programmatiques d’aujourd’hui.

 Voici ce que nous écrivions il y a quelque temps pour caractériser cette nouvelle période dans laquelle nous sommes encore :

« Le salaire qui était simultanément "coût" et "débouché" dans un monde où l'économie se représentait comme circuit, n'est plus qu'un coût à minimiser. Le consommateur qui peut accéder sans limite aux marchandises mondiales ne voit plus son intérêt soudé à celui  du salarié. L'épargnant cesse d'être la victime de la répression financière et reprend le pouvoir dans les entreprises à financement désintermédié. La finance jusqu'ici réprimée, se libère et ne voit plus son profit assis sur l'investissement de long terme mais bien davantage sur la simple spéculation.

 La concurrence exacerbée par l'ouverture sans limite, d'abord du marché des biens réels, puis sur l'ouverture elle- même sans limite du compte de capital, segmente les producteurs entre ceux qui sont suffisamment armés pour résister à la concurrence et ceux qui le sont moins. Alors que l'employabilité était un mot vide de sens dans un fordisme qui intégrait les plus démunis, elle devient progressivement le mot à la mode. Avec le souci , comme l'énonce la langue bureaucratique, de s'intéresser aux "personnes les plus éloignées de l'emploi".

Cette non-employabilité est le fruit du changement de paradigme, qui fait que la mondialisation dérégulée, ne peut plus assurer un équilibre entre offre globale et demande globale. Au temps du fordisme, il appartenait aussi aux grandes entreprises politiques de veiller à ce que le salaire soit autant "coût" que "débouché", ce qui correspondait aussi à leur propre intérêt en ce qu'elles bénéficiaient des retombées électorales de la construction de l'Etat-providence, lui même devenant une sorte d'assurances de débouchés pour les entrepreneurs économiques. Ce modèle disparait avec la mondialisation dérégulée et il ne peut plus exister d'acteurs qui, en surplomb du jeu économique, veille à la redistribution des gains de productivité à l'échelle planétaire.

Parce que le salaire n'est plus qu'un coût à comprimer, les gains de productivité ne sont plus redistribuables, et il en résulte une tendance générale à la surproduction.

  D'où le caractère devenu sauvage de la concurrence : il n'y a pas de place pour tous au "grand banquet de l'écoulement de la marchandise" et donc de sa vente profitable, et ce malgré les énormes dépenses au titre de cet écoulement, dont la publicité et ces nouveaux métiers dits du "marketing" dont le fordisme se passait aisément. Parce que la mondialisation dérégulée est un régime de crise permanente de surproduction, on comprend mieux que les pays du centre qui ont abandonné  le fordisme classique seront davantage touchés par les questions d'employabilité.

Les grandes entreprises politiques chargées d'exprimer le nouvel universel ne peuvent que payer le prix de cette énorme dislocation. »

 

On comprend ainsi très bien que les entrepreneurs politiques travaillant sur un marché politique - dans lequel les citoyens attachés à leur vieil Etat-Nation refusent globalement la mondialisation – se trouvent en grande difficulté. Cette dernière va apparaître sous la forme d’une très grande incohérence programmatique. Entreprises politiques dites de droite, comme de gauche ou du centre, ou dite « populistes », se trouvent progressivement démonétisées en raison d’une  grande incohérence des programmes rendant fort grande la distance entre les promesses et la réalité constatée. On peut donner quelques exemples : Impossibilité de faire baisser le coût du travail tout en maintenant l’Etat-providence , Impossibilité de réindustrialiser malgré les aides, Impossibilité de maintenir une agriculture ne pouvant emprunter les normes mondiales, Impossibilité de rétablir les comptes extérieurs tout en glorifiant une monnaie unique surévaluée  comme bouclier de protection, Impossibilité de contenir la dette publique qui grossit avec le maintien artificiel d’un Etat- providence comme produit politique de base, Impossibilité de maintenir la cohérence des territoires et de contrer la désertification, Impossibilité de contenir l’immigration par la fin des frontières, Impossibilité de lutter contre les fraudes diverses en raison de la liberté de circulation du capital et la présence de paradis fiscaux à l’intérieur même du territoire de l’UE, Impossibilité de concilier les intérêts du salarié avec ceux du consommateur, Etc.

Prospective

La confiance disparue, les entrepreneurs politiques deviennent, au mieux, une armée taxée d’incompétence généralisée.  Les produits politiques qui assuraient le maintien ou la reproduction au pouvoir ne sont plus, comme par le passé, facilement commercialisables. D’où des « stocks invendables » matérialisés par l’absentéisme aujourd’hui….mais la probable violence demain. D’où l’accélération de la course aux mensonges dans la concurrence entre entreprises politiques, ou les tentatives de cartellisation/décartellisation renforçant l’incohérence programmatique et le risque de rejet. De quoi, dans un pays qui s’était construit autour d’un Etat puissant, précipiter sa marche vers un chaos déjà très perceptible et qui fait le régal des plateaux de TV.

L’entrepreneur politique en chef, celui qui est au-dessus de toutes les entreprises politiques et qu’on appelle le chef de l’Etat a lui-même participé à sa propre déstabilisation en accélérant la course à la mondialisation, en cartellisant des entreprises politiques déjà démonétisés (2017) et en précipitant le calendrier électoral (aujourd’hui). Il espère encore que cette dernière décision sera le piège dans lequel chutera la nouvelle entreprise populiste qui, devenue grande,  se propose d’engloutir les concurrents démonétisés. Cette nouvelle entreprise politique devenue grande devrait se méfier car, comme les autres, elle est incapable de produire une cohérence programmatique. Durant la campagne, qui ve oser évoquer le produit politique "finance'"? le produit politique "fin de l'indépendance de la banque centrale"? le produit politique "monnaie unique"? Autant de  produits à priori devenus invendables sur le marché poltique.  l'entrepreneur politique en chef propose un autre produit plus douillet": la dépolitisation du politique au nom de la rationalité". Forme suprême de l'incohérence programmatique....et probablement de l'inculture technocratique.

Hélas, si l'on va plus loin, cette incohérence programmatique est le fait de ce qoi est devenu une incohérence sociètale. Il n'est plus possible pour l'entreprenuriat politique de rester généraliste  face à l'éclatement de la société. De la meme façon que les grandes surfaces de la "Grande Distrition" sont délaissées au profit de magasins  spécialisés, le marché politique devient espace éclaté peuplé de niches. Ce qui questionne les fondements mêmes de ce qu'oa appelle le politique à savoir un "commun" d'un groupe, commun s'imposant à chacun. S le commun se contracte, ou se fragmente comment ne pas comprendre l'évaporation du politique et ses incohérences ?  Seules des questions géopolitiques majeures et menaçantes peuvent réintroduir le commun. La gestion de la guerre en Ukraine sera -t-elle apporteuse d'un renouveau sociétal?  En attendant et à court terme la France entre dans une période particulièrement difficile.

 

 

 

 

 

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10 juin 2024 1 10 /06 /juin /2024 16:29

La précipitation avec laquelle le président a enclenché le calendrier électoral est probablement une ultime tentative pour empêcher l’accès au pouvoir du RN. Parier  sur les difficultés  organisationnelles engendrées par un calendrier très serré est probablement d’une efficience fort limitée et le scénario d’une victoire complète du RN est envisageable.

D’où le commencement des difficultés d’un parti parvenu au pouvoir. C’est qu’en effet la voie de la cohabitation difficile est la plus probable et le président choisira d’empêcher son adversaire de gouverner en utilisant l’ensemble des pouvoirs qui restent à sa portée. L’objectif présidentiel sera en effet de préserver son ambition de présidence européenne pour l’après 2027. En organisant l’échec d’un parti mal préparé pour le pouvoir, Il lui sera facile de montrer qu’il est le seul homme capable d’éloigner ce qu’il appelle « l’extrême droite », non seulement du sol français mais, par contagion, du sol européen. L’autre stratégie qui consisterait à démissionner serait à l’inverse fort mal perçue au regard d’une carrière future. Le scénario est donc bien celui d’une cohabitation difficile assurant le futur d’une UE par essence engoncée dans une bureaucratie porteuse du déclassement constaté par rapport aux USA et la Chine.

Dans ces conditions le RN doit refuser une cohabitation classique, voire refuser le pouvoir lui-même si le président, trop attaché à ses perspectives de  carrière personnelle, se montre rebelle. La question devient donc - avant même les échéances du 30 juin et du 7 juillet-  de voir dans quelle mesure il faut lier le résultat des élections législatives à la question des outils de pouvoir dont la maitrise est indispensable au projet de reconstruction de la France. A ce titre une liste de ces outils devrait logiquement être publiée afin d’assurer la complète transparence aux électeurs.

Bien évidemment cette liste dépend du programme de transformation du pays que le RN doit présenter. Les articles récemment publiés sur le Blog[1] permettent de se faire une idée de l’immense travail à déployer. Ces mêmes articles permettent de mettre en évidence la grande incohérence programmatique du RN sur les questions économiques. De façon résumée on ne peut  résoudre les questions de rémunération, de prix de l’énergie, de retraites , etc. sans mettre en cause la dette publique dans ses modalités actuelles, le fonctionnement du système financier, le taux de change, l’indépendance de la banque centrale, la liberté de circulation du capital, etc. Toutes questions qui mettent en cause celles  du respect des traités et de leur possible contournement par des moyens juridiques à mettre en place, et moyens qui supposent au moins la signature du chef de l’Etat (promulgation de la loi) voire même des décisions qui ne relèvent que de sa seule volonté ( Référendum).

Clairement la liste des outils que le nouveau pouvoir doit maitriser devrait être publiée et proposée durant la campagne électorale qui s’ouvre. Et la liste est sans doute assez longue voire difficile si par exemple le RN prend cosncience que la haute administration lui restera fondamentalement hostile. Comment en effet licencier les cadres de Bercy?  Le  prix d’une telle publication serait bien évidemment une hausse de la difficulté  d'accéder  au pouvoir : le RN n’en veut-il pas trop ? penserons les électeurs. Et tout aussi évidemment les exigences du RN jugées inacceptables deviendraient des munitions utiles pour un président qui pourrait ainsi affirmer bruyamment, durant la brève campagne, son rôle de garant des institutions et barrer la perspective du succès électoral. La campagne électorale sera peut-être houleuse mais va probablement évacuer les grands thèmes qui pourraient apporter un minimum de cohérence programmatique. De quoi sécuriser le président et garantir l’échec d’un RN parvenu au pouvoir. Incapable d’assurer une cohérence programmatique qui ne sera même pas évoquée durant la campagne et qui ne pourra pas être mise en œuvre, l’échec est quasiment assuré. Monsieur Macron a  donc peut-être trouvé dans la décision de dissoudre les moyens d’assurer sa future carrière de patron d’une grande Europe protégée de « l’extrême droite ». La dissolution est probablement le dernier piège tendu par Monsieur Macron à ses adversaires. L'histoire retiendra que ce président est le meilleur représentant de ce qu'est "l'entrepreneuriat  politique": la capacité à  mobiliser  les outiles et instruments de la puissance publique à des fins strictment privées. Les prochains jours révèleront clairement une réalité où l'on verra un président devenir l'organisateur actif  d'un chaos à des fins strictement personnelles. 

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7 juin 2024 5 07 /06 /juin /2024 21:04

Une décision importante vient d’être prise par le chef de l’Etat français. Nous ne chercherons pas à la commenter. Par contre, nous tenterons dans le texte ci-dessous de comprendre la nature de la cible des nouvelles armes développées contre la Russie. Une cible que nous ne voyons pas avec des lunettes de militaires mais davantage avec celles d’un anthropologue. Quelle est la nature profonde de la société russe dont l’Occident déplore son comportement au regard de l’Ukraine ?

 On peut s’étonner de caractéristiques sociétales a priori assez éloignées de ce que l’on trouve dans l’occident classique : un Etat laissant très peu de place à la société civile, un demos davantage objet que sujet, un repli sur soi contrarié par une interaction sociale souvent brutale et violente, une très difficile émergence de droits de l’homme dont celui du respect de la vie. Ces caractéristiques sont elles-mêmes des qualificatifs divers d’une même réalité : la faculté d’un pouvoir très éloigné, à nier toute autonomie réelle à une population, simple moyen de sa propre fin, à savoir sa reconduction au pouvoir.

 1 -  Anatomie de l’Etat Russe.

En Russie comme ailleurs, l’aventure étatique fût probablement la cristallisation d’une évolution qui, selon l’expression de Pierre Clastres, devait aboutir à ce que ce dernier appelait « un coup d’Etat fondant l’Etat ». Partout dans le monde le « big bang » des Etats fut l’appropriation du « commun » d’une société, ce que l’on appellerait dans le langage moderne les biens publics. L’histoire assez classique des Etats fut le passage d’un âge patrimonial plus ou moins long (le groupe au pouvoir gère le commun comme son bien propre), à un âge institutionnel (le groupe au pouvoir reconduit sa domination par un partage et la reconnaissance de droits attribués à un demos). Dans certains cas, l’âge institutionnel peut se déliter avec passage à un âge relationnel où l’Etat lui-même semble s’affaisser devant le marché (démocratie puis mondialisation). L’âge relationnel qui semble être le moment présent des Etats de l’UE délègue au marché et aux économistes l’édification d’un intérêt général. Le marché devenant la nouvelle patrie à défendre. Signalons qu’il n’existe aucune théorie de l’histoire et rien ne dit qu’il existe un passage ordonné entre les âges : des retours ou des ordres inversés sont toujours possibles. Rien ne dit non plus que la réalité correspond à des âges complètement séparés et complètement distincts. Ainsi il n’est pas impossible de penser que l’UE pourrait évoluer, après son âge plus ou moins relationnel  vers un stade intermédiaire que certains appellent déjà la marche vers « l’étaticité ».

Ce qui semble caractériser l’histoire de l’Etat russe est l’importance de l’âge patrimonial, la difficulté du passage à l’âge institutionnel et, plus récemment, sa greffe sur un âge relationnel qui lui reste fondamentalement étranger.

2 -  Une construction impériale sans équivalent.

L’âge patrimonial s’est parfaitement adapté à la construction d’un empire où - à l’inverse de ce qui se passait en occident (Grande-Bretagne et France arrimées depuis longtemps à l’âge institutionnel) - la métropole n’est pas géographiquement séparée des colonies. Alors que la France se distingue de l’Algérie par une frontière naturelle, il n’existe pas de barrière physique entre la colonie et l’Etat patrimonial russe. Et comme l’âge patrimonial est celui où les sujets sont dépourvus de l’essentiel de ce qu’on appelle les droits de l’homme, voire du simple respect de la dignité humaine,

 le colonisateur peut utiliser ses sujets comme matière première de la colonisation. Parce que dépourvus de droits de propriété qui n’existent que pour les dominants, les sujets peuvent être instruments de la colonisation et être déportés en masse vers de nouveaux lieux. D’où la multitude de groupes russophones dans des espaces a priori très éloignés mais jamais séparés de la métropole par une barrière naturelle qui n’existe pas. Phénomène que nous n’avons pas constaté avec les autres colonisations où, même en Algérie, il n’y avait pas de réelles déportations et où ce qu’on appelait les pieds noirs étaient des volontaires très autonomes au regard de l’Etat central. Les cas contraires -sauf l’énorme exception que fût le commerce triangulaire- étaient marginaux et concernaient surtout une déportation des colonisés récalcitrants vers d’autres colonies, donc des personnes dépourvues des droits de propriétés de l’âge institutionnel de la métropole.

Dans le cas de la Russie, les moyens de production de la colonisation et de l’expansion de l’âge patrimonial, doivent historiquement rester ce qu’ils sont à peine d’effondrement de l’empire en expansion : les déportés doivent conserver leur rang et ne doivent jamais accéder aux droits de l’homme classiques. Il en résulte une distance réduite entre le colon et le colonisé, ce qui n’était pas le cas des empires coloniaux occidentaux. Dans le cas inverse, une stratégie d’accès aux classiques droits de l’homme entrainerait un effondrement de l’empire, ce que « Catherine la Grande » tentait d’expliquer aux philosophes des lumières et en particulier Diderot. Constatons qu’aujourd’hui encore les déportations restent une pratique assumée : enfants et familles ukrainiennes, minorités des espaces de l’Asie centrale, etc. Pas de droits de l’homme classiques, par contre l’empire masque son hétérogénéité par une idéologie de la grandeur : l’empire tente de devenir civilisation. Les colonisés savent qu’ils sont des minorités, savent qu’ils sont peu de choses et se rattachent volontairement et parfois avec enthousiasme à ce qui dépasse leur identité culturelle. De ce point de vue la révolution de 1917 et le marxisme furent un formidable catalyseur d’épanouissement de l’empire et donc de l’idée d’une authentique civilisation.

3 -  Un point d’appui sur des structures anthropologiques à privilégier.

 Classiquement les paramètres  des droits de l’homme : vie et  liberté, reposent sur un troisième qui devient le point d’appui des deux premiers : la propriété. C’est dire que l’âge patrimonial de l’Etat russe ne permet pas l’arrimage à la notion classique de propriété : vie et liberté seront toujours sous la dépendance du pouvoir. D’où la difficulté de faire naître un âge institutionnel allant jusqu’à la démocratie. Au mieux on aboutira à une citoyenneté qui restera bloquée sur le patriotisme ou le nationalisme alors qu’en Occident il sera possible d’aller plus loin. D’où l’asymétrie fondamentale dans une situation de guerre : un coût de la vie de plus en plus élevé dans un cas ( l’Occident dépassant l’âge institutionnel et déjà plongé dans l’âge relationnel), et très faible dans l’autre (Russie dont l’âge institutionnel reste enkysté dans un âge patrimonial). Dans un cas nous aurons potentiellement la doctrine du zéro mort dans la guerre et dans l’autre il sera naturel d’extirper de l’univers carcéral des personnes que l’on enverra sur le front.

D’une certaine façon l’Etat russe se trouve très aidé par des structures familiales qui selon la classification d’Emmanuel Todd relèvent du type souche, voire communautaire, avec des caractéristiques culturelles qui restent éloignées de celles de l’occident classique où la valeur égalité l’emporte. Le poids de l’autorité indiscutable s’impose avec ses conséquences sur des droits de l’homme qui n’ont pas la même signification qu’en Occident.  La dimension âge patrimonial de l’Etat Russe est ainsi en relative congruence avec des structures familiales qui ne vont pas contester frontalement la violence du pouvoir.  La perspective d’une révolution a ainsi beaucoup plus de chance de se réaliser par le haut que par le bas.

4 -  Un  point d’appui récent sur des Etats vivant l’âge relationnel.

Mais l’Etat russe qui passe déjà difficilement le cap de l’âge institutionnel est retenu, voire confirmé dans son âge patrimonial par sa greffe sur les Etats de l’âge relationnel (Occident). Les richesses de l’immense empire peuvent être valorisées auprès des Etats devenus vassaux d’un mercantilisme privé. C’est bien évidemment le cas -véritablement caricatural- de l’Allemagne dont le  mercantilisme permettra d’alimenter une rente gazière gigantesque accaparée par les détenteurs/défenseurs de l’âge patrimonial russe. De quoi nourrir- non pas avec des droits mais avec des marchandises- les dépendants du pouvoir russe. De quoi, par conséquent, légitimer la forme patrimoniale du pouvoir par une population qui reste à l’écart des agitations du post-modernisme occidental. Mieux : de quoi distribuer des salaires considérables et du capital qui l’est davantage encore, à ceux qui s’engagent dans la machinerie militaire. C’est dire que malgré une démographie très difficile l’Etat patrimonial russe peut encore alimenter la machine de guerre par une offre suffisante de personnel : les chaînes d’inscription à la guerre sont le point de départ d’un changement radical de niveau de vie pour nombre de familles de colons mais plus encore de colonisés dans l’immense empire. Au final,  de quoi connaître l’équivalent de la société de consommation occidentale dans un monde carcéral. Les immenses espaces de la Grande Distribution peuvent cohabiter avec ceux  des colonies pénitentiaires.

5 -  Un Etat sans limite territoriale

L’empire lui-même ne peut connaître de limite. Dans le cas de la colonisation occidentale, des barrières naturelles permettaient la distinction entre des colonies et des métropoles, elles-mêmes déjà marquées par les frontières des célèbres traités de Westphalie (1648). Simultanément, l’âge institutionnel et son débouché sur l’idée de citoyenneté et de droits de l’homme, délégitime rapidement le fait colonial occidental, lequel débouchera sur l’apparition de très nombreux Etats en formation au vingtième siècle. Historiquement, l’affaire ne fut pas facile et aurait pu l’être beaucoup moins encore en l’absence de barrières naturelles entre colonies et métropoles. Imaginons par exemple les difficultés supplémentaires- pourtant déjà  considérables- dans le cas de la France et de l’Algérie si cette dernière avait été directement accolée à la métropole.  Le cas de la Russie, au regard de l’idée de décolonisation est très différent. Parce que l’âge patrimonial peut se pérenniser et que la colonisation s’est accompagnée de déportations, il est très difficile de connaître une décolonisation. La violence naturelle de l’âge patrimonial s’y oppose, et surtout il est facile de compter sur ce qui est devenu les minorités russophones réparties sur l’immense territoire. C’est ce qui est présentement vécu avec un mouvement complexe de décolonisation/recolonisation. En occident parce que le colon était très différent du colonisé, la décolonisation s’en finit pas de se radicaliser y compris et surtout dans les anciennes métropoles. En Russie colons et colonisés sont peu différents et le colonisé ne rejette pas la culture du colon. A priori impensable en occident, la recolonisation se trouve envisageable dans l’ordre Russe. Avec toutefois une limite : une colonisation vers des espaces fondamentalement étrangers à  l’espace russe (l’Afrique actuelle) se heurtera à des déboires majeurs. Il sera moins difficile de se réinstaller dans les ex territoires de l’Union Soviétique que d’occuper le sahel après évincement de la présence française.

6 - Un Etat menaçant menacé ?

Et pourtant l’empire est plus ou moins menacé car les droits de l’homme frappent à la porte et les espoirs - fondés ou non - de l’âge relationnel s’affirment. Non pas nécessairement par le canal démocratique car une grande partie des droits de l’homme peut se vivre en dehors de la liberté démocratique, mais bien plutôt par le canal économique. L’économie prédatrice et rentière monopolisée par les tenants du pouvoir peut faire l’objet d’une contestation grandissante, voire se transformer en luttes de clans débouchant sur de possibles fragmentations. Et déjà, au quotidien, une difficulté croissante à gérer les conflits d’intérêts entre groupes de décisions et la peur qui, finalement, empêche toute innovation au niveau des microdécisions. Davantage encore, la digitalisation de l’économie et les espoirs du monde numérique favorisent la fuite hors de l’empire des plus modernes. De quoi accélérer la crise démographique. Au-delà des apparences nous sommes vraisemblablement dans la crise des Etats figés dans l’âge patrimonial.

7  -  Conclusions au regard de la Russie

- Les réalités d’aujourd’hui sur le théâtre russe paraissent confirmer ce qui précède : le « sultanat électoral » que vient de vivre le pays ne semble guère embarrasser ce que chacun peut considérer comme une distraction dominicale où l’on est invité au jeu du plébiscite comme on peut l’être au jeu de monopoly. C’est dire que la liberté au sens occidental n’a encore que peu de sens. Le Wokisme est loin d’obtenir droit de cité.

- La guerre est coûteuse, et même avec une croissance ,  il deviendra de plus en plus difficile de jouer le jeu de la société de consommation avec des moyens de production qui se reconvertissent en usines de guerre. La croissance peut certes s’accélérer  avec la généralisation d’une économie de guerre, mais elle ne pourra masquer durablement une perte des niveaux de vie.

- La guerre, elle-même, est un moyen de conserver un âge patrimonial menacé par des périphéries dissidentes qui pourraient déboucher sur  des exemples de réussite légitimant un âge relationnel : un succès économique et politique de l’Ukraine n’était pas acceptable. Une guerre qui soude une communauté est donc utile pour le pouvoir mais son coût devra se reporter sur les dépendants, plutôt sur les colonisés que sur les colons.

- Cette même guerre ne pourra que se limiter aux anciens espaces et La Russie, cruellement contestée dans sa volonté de devenir chef d’orchestre d’un Sud global,  devra probablement se retirer de l’Afrique.

- Enfin cette guerre développe ce qu’elle combat : le passage de l’Etat ukrainien d’un âge patrimonial à un âge institutionnel flirtant avec l’âge relationnel européen. Plus simplement exprimé, l’Etat Russe engendre à sa périphérie ce qu’il n’est pas,  et que classiquement on appelle « l’Etat Nation souverain ». Si le marché généralisé de l’âge relationnel connait quelque peine à souder une société,  la guerre de l’Etat Russe resté  patrimonial ne permettra pas davantage de souder et développera  des risques de rupture.

8  - Conclusions au regard de l’Occident en général et de l’UE en particulier.

On aurait pourtant tort d’imaginer que le temps - même long - travaille pour l’Occident. L’UE connait à l’inverse de ce qui peut se passer pour le pouvoir patrimonial russe, une crise de son âge relationnel dont elle est  pourtant l’auteure et probablement le modèle. La fin des institutions a permis le modèle du marché à toutes les formes d’interactions sociales. Les droits de l’homme s’y sont considérablement élargis et sont devenus infiniment élastiques. D’où la désintégration des structures de base comme la famille - même celle égalitaire chère à Todd- et la course au wokisme. Face à l’effondrement, le pouvoir politique devenu résiduel est tenté de réagir afin - comme le pouvoir patrimonial russe- de se reproduire au pouvoir. De ce point de vue, il n’est pas impossible d’imaginer que -ruse de la raison-  le despotisme soviétique devienne l’outil d’un redressement occidental. Globalement l’âge institutionnel impossible pour l’UE (impossibilité de passer à un Etat central européen) peut devenir envisageable dans une logique guerrière. La mobilisation des Mirage 2000-5 pourrait-elle sauver, voire promouvoir, le soldat Macron ?

 

 

 

 

 

 

 

 

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27 mars 2024 3 27 /03 /mars /2024 09:08

Nous proposon ci-dessous une bande video qui présente une  caractérisitique de grande modération au regard de la réalité russe et de la guerre en Ukraine. Expliquer ce qui se passe dans les réalités humaines n'est pas chose simple et les intellectuels les plus méticuleux ne sont pas à l'abri de biais cognitifs reposant sur des a-priori idéologiques. Au dessus du savoir existe un méta savoir et la science la plus élaborrée repose toujours sur un cadre qui n'eat pas la science elle-même et qui fait de son histoire une suite d'erreurs rectifiées. C'est au demeurant ce que va nous apprendre- une fois de plus - le nouveau téléscope spatial (James Webb") qui est entrain de révèler  notre modèle du Big- bang comme erreur scientifiaue. Si l'on revient sur terre nous sommes onfrontés au conflit d'interprétation concernant la guerre en Ukraine. Globalement nous avons des intellectuels ( sociologues/historiens/économistes/politistes/etc.) dont le méta savoir est de type occidental, qui s'opposent à d'autres intellectuels dont le meta-savoir est de type pro-russe. Bien évidemment cela donne des visions totalement opposées de la réalité. L'analyse de cette opposition relève - comme dans les sciences dites exactes -  de choix dans la sélection des faits dont on veut produire la compréhension. Les intellectuels pro-russes, très nombreux mettront ainsi toujours en avant l'impérialisme américain , la CIA, etc. Les intellectuels pro- occidentraux mettront toujours en évidence le resprct de l'ordre juridique intenrnational, l'impérialisme russe, etc. Et cette sélection des fiats autorisera bien évidemment une interprétation générale de la réalité très diférrente.  Il est simplement dommage que lesdits intellectuels n'annoncent pas clairement le paradigme dans lequel ils se trouvent. 

Si nous proposons cette video aujourd'hui, c'est précisément parce que son auteur, très modeste et peu connu, se borne à la présentation des faits ...sans les faire reposer sur une théorie à priori.

Bonne écoute.

 

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27 mars 2024 3 27 /03 /mars /2024 05:52

La présente note s’intéresse moins à l’analyse de la faiblesse de l’impact des sanctions occidentales sur l’économie russe que sur la spécificité d’un modèle anthropologique jusqu’ici peu défriché. On peut en effet s’étonner de caractéristiques sociétales a priori assez éloignées de ce que l’on trouve dans l’occident classique : un Etat laissant très peu de place à la société civile, un demos davantage objet que sujet, un repli sur soi contrarié par une interaction sociale souvent brutale et violente, une très difficile émergence de droits de l’homme dont celui du respect de la vie. Ces caractéristiques sont elles-mêmes des qualificatifs divers d’une même réalité : la faculté d’un pouvoir très éloigné, à nier toute autonomie réelle à une population, simple moyen de sa propre fin, à savoir sa reconduction au pouvoir.

 1 Anatomie de l’Etat Russe.

En Russie comme ailleurs, l’aventure étatique fût probablement la cristallisation d’une évolution qui selon l’expression de Pierre Clastres devait aboutir à ce que ce dernier appelait « un coup d’Etat fondant l’Etat ». Partout dans le monde le « big bang » des Etats fut l’appropriation du « commun » d’une société, ce que l’on appellerait dans le langage moderne les biens publics. L’histoire assez classique des Etats fut le passage d’un âge patrimonial plus ou moins long (le groupe au pouvoir gère le commun comme son bien propre), à un âge institutionnel (le groupe au pouvoir reconduit sa domination par un partage et la reconnaissance de droits attribués à un demos). Dans certains cas, l’âge institutionnel peut se déliter avec passage à un âge relationnel où l’Etat lui-même semble s’affaisser devant le marché (démocratie puis mondialisation). L’âge relationnel qui semble être le moment présent des Etats de l’UE délègue au marché et aux économistes l’édification d’un intérêt général. Le marché devenant la nouvelle patrie à défendre. Signalons qu’il n’existe aucune théorie de l’histoire et rien ne dit qu’il existe un passage ordonné entre les âges : des retours ou des ordres inversés sont toujours possibles. Rien ne dit non plus que la réalité correspond à des âges complètement séparés et complètement distincts. Ainsi il n’est pas impossible de penser que l’UE pourrait évoluer, après son âge plus ou moins relationnel  vers un stade intermédiaire que certains appellent déjà la marche vers « l’étaticité ».

Ce qui semble caractériser l’histoire de l’Etat russe est l’importance de l’âge patrimonial, la difficulté du passage à l’âge institutionnel et, plus récemment, sa greffe sur un âge relationnel qui lui reste fondamentalement étranger.

2 Une construction impériale sans équivalent.

L’âge patrimonial s’est parfaitement adapté à la construction d’un empire où - à l’inverse de ce qui se passait en occident (Grande-Bretagne et France arrimées depuis longtemps à l’âge institutionnel) - la métropole n’est pas géographiquement séparée des colonies. Alors que la France se distingue de l’Algérie par une frontière naturelle, il n’existe pas de barrière physique entre la colonie et l’Etat patrimonial russe. Et comme l’âge patrimonial est celui où les sujets sont dépourvus de l’essentiel de ce qu’on appelle les droits de l’homme, voire le simple respect de la dignité humaine, le colonisateur peut utiliser ses sujets comme matière première de la colonisation. Parce que dépourvus de droits de propriété qui n’existent que pour les dominants, les sujets peuvent être instruments de la colonisation et être déportés en masse vers de nouveaux lieux. D’où la multitude de groupes russophones dans des espaces a priori très éloignés mais jamais séparés de la métropole par une barrière naturelle qui n’existe pas. Phénomène que nous n’avons pas constaté avec les autres colonisations où, même en Algérie, il n’y avait pas de réelles déportation et où ce qu’on appelait les pieds noirs étaient des volontaires très autonomes au regard de l’Etat central. Les cas contraires- sauf l’énorme exception que fût le commerce triangulaire-  étaient marginaux et concernaient surtout une déportation des colonisés récalcitrants vers d’autres colonies, donc des personnes dépourvues des droits de propriétés de l’âge institutionnel de la métropole.

Dans le cas de la Russie, les moyens de production de la colonisation et de l’expansion de l’âge patrimonial, doivent historiquement rester ce qu’ils sont à peine d’effondrement de l’empire en expansion : les déportés doivent conserver leur rang et ne doivent jamais accéder aux droits de l’homme classiques. Il en résulte une distance réduite entre le colon et le colonisé, ce qui n’était pas le cas des empires coloniaux occidentaux. Dans le cas inverse, une stratégie d’accès aux classiques droits de l’homme entrainerait un effondrement de l’empire, ce que « Catherine la Grande » tentait d’expliquer aux philosophes des lumières et en particulier Diderot. Constatons qu’aujourd’hui encore les déportations restent une pratique assumée : enfants et familles ukrainiennes, minorités des espaces de l’Asie centrale, etc.

3 Un point d’appui sur des structures anthropologiques à privilégier.

 Les deux paramètres classiques des droits de l’homme : vie, liberté, reposent sur un troisième qui devient le point d’appui des deux premiers : la propriété. C’est dire que l’âge patrimonial de l’Etat russe ne permet pas l’arrimage à la notion classique de propriété : vie et liberté seront toujours sous la dépendance du pouvoir. D’où la difficulté de faire naître un âge institutionnel allant jusqu’à la démocratie. Au mieux on aboutira à une citoyenneté qui restera bloquée sur le patriotisme ou le nationalisme alors qu’en Occident il sera possible d’aller plus loin. D’où l’asymétrie fondamentale dans une situation de guerre : un coût de la vie très élevé dans un cas ( l’Occident dépassant l’âge institutionnel et déjà plongé dans l’âge relationnel), et très faible dans l’autre (Russie dont l’âge institutionnel reste enkysté dans un âge patrimonial). Dans un cas nous avons la doctrine du zéro mort dans la guerre et dans l’autre il sera naturel d’extirper de l’univers carcéral des personnes que l’on enverra sur le front.

D’une certaine façon l’Etat russe se trouve très aidé par des structures familiales qui selon la classification d’Emmanuel Todd relèvent du type souche, voire communautaire, avec des caractéristiques culturelles qui restent éloignées de celles de l’occident classique où la valeur égalité l’emporte. Le poids de l’autorité indiscutable s’impose avec ses conséquences sur des droits de l’homme qui n’ont pas la même signification qu’en Occident. La dimension âge patrimonial de l’Etat Russe est ainsi en relative congruence avec des structures familiales qui ne vont pas contester frontalement la violence du pouvoir.  La perspective d’une révolution a ainsi beaucoup plus de chance de se réaliser par le haut que par le bas.

4 Un  point d’appui récent sur des Etats vivant l’âge relationnel.

Mais l’Etat russe qui passe déjà difficilement le cap de l’âge institutionnel est retenu, voire confirmé dans son âge patrimonial par sa greffe sur les Etats de l’âge relationnel (Occident). Les richesses de l’immense empire peuvent être valorisées auprès des Etats devenus vassaux d’un mercantilisme privé. C’est bien évidemment le cas -véritablement caricatural- de l’Allemagne dont son mercantilisme permettra d’alimenter une rente gazière gigantesque accaparée par les détenteurs/défenseurs de l’âge patrimonial russe. De quoi nourrir- non pas avec des droits mais avec des marchandises- les dépendants du pouvoir russe. De quoi, par conséquent, légitimer la forme patrimoniale du pouvoir par une population qui reste à l’écart des agitations du post-modernisme occidental. Mieux : de quoi distribuer des salaires considérables et du capital qui l’est davantage encore, à ceux qui s’engagent dans la machinerie militaire. C’est dire que malgré une démographie très difficile l’Etat patrimonial russe peut encore alimenter la machine de guerre par une offre suffisante de personnel : les chaines d’inscription à la guerre sont le point de départ d’un changement radical de niveau de vie pour nombre de familles de colons mais plus encore de colonisés dans l’immense empire. Au final de quoi connaître l’équivalent de la société de consommation occidentale dans un monde carcéral. Les immenses espaces de la Grande Distribution peuvent cohabiter avec ceux  des colonies pénitentiaires.

5 Un Etat sans limite territoriale

L’empire lui-même ne peut connaître de limite. Dans le cas de la colonisation occidentale, des barrières naturelles permettaient la distinction entre des colonies et des métropoles, elles-mêmes déjà marquées par les frontières des célèbres traités de Westphalie (1648). Simultanément, l’âge institutionnel et son débouché sur l’idée de citoyenneté et de droits de l’homme, délégitime rapidement le fait colonial occidental, lequel débouchera sur l’apparition de très nombreux Etats en formation au vingtième siècle. Historiquement, l’affaire ne fut pas facile et aurait pu l’être beaucoup moins encore en l’absence de barrières naturelles entre colonies et métropoles. Imaginons par exemple les difficultés supplémentaires- pourtant déjà  considérables- dans le cas de la France et de l’Algérie si cette dernière avait été directement accolée à la métropole.  Le cas de la Russie, au regard de l’idée de décolonisation est très différent. Parce que l’âge patrimonial peut se pérenniser et que la colonisation s’est accompagnée de déportations, il est très difficile de connaître une décolonisation. La violence naturelle de l’âge patrimonial s’y oppose, et surtout il est facile de compter sur ce qui est devenu les minorités russophones réparties sur l’immense territoire. C’est ce qui est présentement vécu avec un mouvement complexe de décolonisation/recolonisation. En occident parce que le colon était très différent du colonisé, la décolonisation s’en finit pas de se radicaliser y compris et surtout dans les anciennes métropoles. En Russie colons et colonisés sont peu différents et le colonisé ne rejette pas la culture du colon. A priori impensable en occident, la recolonisation se trouve envisageable dans l’ordre Russe. Avec toutefois une limite : une colonisation vers des espaces fondamentalement étrangers à  l’espace russe (l’Afrique actuelle) se heurtera à des déboires majeurs. Il sera moins difficile de se réinstaller dans les ex territoires de l’Union Soviétique que d’occuper le sahel après évincement de la présence française.

6 Un Etat menaçant menacé ?

Et pourtant l’empire est plus ou moins menacé car les droits de l’homme frappent à la porte et les espoirs - fondés ou non - de l’âge relationnel s’affirment. Non pas nécessairement par le canal démocratique car une grande partie des droits de l’homme peut se vivre en dehors de la liberté démocratique, mais bien plutôt par le canal économique. L’économie prédatrice et rentière monopolisée par les tenants du pouvoir peut faire l’objet d’une contestation grandissante, voire se transformer en luttes de clans débouchant sur de possibles fragmentations. Et déjà, au quotidien, une difficulté croissante à gérer les conflits d’intérêts entre groupes de décisions et la peur qui, finalement, empêche toute innovation au niveau des microdécisions. Davantage encore, la digitalisation de l’économie et les espoirs du monde numérique favorisent la fuite hors de l’empire des plus modernes. De quoi accélérer la crise démographique. Au-delà des apparences nous sommes vraisemblablement dans la crise des Etats figés dans l’âge patrimonial.

7 Conclusions.

-Les réalités d’aujourd’hui sur le théâtre russe paraissent confirmer ce qui précède : le « sultanat électoral » que vient de vivre le pays ne semble guère embarrasser ce que chacun peut considèrer comme une distraction dominicale où l’on est invité au jeu du plébiscite comme on peut l’être au jeu de monopoly. C’est dire que la liberté au sens occidental n’a encore que peu de sens.

-La guerre est couteuse, et même avec une croissance ,  il deviendra de plus en plus difficile de jouer le jeu de la société de consommation avec des moyens de production qui se sont reconvertis en usines de guerre. La croissance peut certes s’accélérer  avec la généralisation d’une économie de guerre, mais elle ne pourra masquer durablement une perte des niveaux de vie.

-La guerre, elle-même, est un moyen de conserver un âge patrimonial menacé par des périphéries dissidentes qui pourraient déboucher sur  des exemples de réussite légitimant un âge relationnel : un succès économique et politique de l’Ukraine n’était pas acceptable. Une guerre qui soude une communauté est donc utile pour le pouvoir mais son cout devra se reporter sur les dépendants, plutôt sur les colonisés que sur les colons.

-Cette même guerre ne pourra que se limiter aux anciens espaces et La Russie, cruellement contestée dans sa volonté de devenir chef d’orchestre d’un Sud global,  devra probablement se retirer de l’Afrique.

-Enfin cette guerre développe ce qu’elle combat : le passage de l’Etat ukrainien d’un âge patrimonial à un âge institutionnel flirtant avec l’âge relationnel européen. Plus simplement exprimé, l’Etat Russe engendre à sa périphérie ce qu’il n’est pas,  et que classiquement on appelle « l’Etat Nation souverain ». Si le marché généralisé de l’âge relationnel connait quelque peine à souder une société,  La guerre de l’Etat Russe resté  patrimonial ne permettra pas davantage de souder et développera  des risques de rupture.

 

 

 

 

 

 

 

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