Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 juillet 2025 6 05 /07 /juillet /2025 09:47

On peut s'étonner des débats et conflits  actuels sur l'organisation de l'infrastructure concernant l'électricité (France en particulier) , l'organisation de l'infrastructure ferroviaire (Suède notamment) , l'organisation de l'infrastructure monétaire (Europe en particulier). Historiquement ces infrastructures assurant la circulation - de l'énergie, des personnes, de l'argent, etc.-  étaient soit publiques  (sous la forme d'un monopole), soit éclatées sous la forme d'entreprises en concurrence ( par exemple le secteur bancaire chargé collectivement de la circulation de la valeur). Ces dernières décennies ces infrastructures semblaient prendre la direction d'une voie commune, celle d'une dispersion ou d'un éclatement transformant les productions en marchandises achetables sur des marchés. C'était le cas de l'électricité qui devenait un produit spéculatif côté sur des marchés spot ou de gros. C'était aussi le cas du rail qui un peu partout devenait activité privée (Grande Bretagne, Suède, voire France). Bien évidemment  l'Union Européenne devait chapeauter le processus. D'une certaine façon ces infrastructures rejoignaient celle de la finance,  éclatée depuis longtemps, avec même une impossible mutualisation des risques pourtant souvent exigée par Bruxelles.

Curieusement les temps semblent changer avec ce qui apparait d'abord comme une réflexion mais aussi comme un très vaste mouvement de recentralisation plus ou moins clairement affirmé, voire plus ou moins mené clandestinement. C'est bien évidemment le cas du rail où l'on voit une renationalisation ( Grande Bretagne, Suède, mais aussi France avec une  SNCF peu disposée à la dispersion d'un outil monopoliste). C'est aussi le cas des infrastructures électriques et - plus curieusement, voire mystérieusement- monétaire sur lesquelles il convient de s'appesantir.

 

,,,,D'abord l'infrastructure électricité.

Il devient de plus en plus difficile de gérer correctement des électrons qui ne se transforment pas en marchandise classique. Sur un marché classique l'ajustement entre offreurs et demandeurs se réalise certes par les prix mais aussi par des stocks qui peuvent en fonction des conjonctures s'accroitre ou diminuer. De plus la réactivité de l'offre ajoute à la souplesse et il est généralement possible pour les divers offreurs d'augmenter ou diminuer la production. De ce point de vue l'électron est une exception qui peut devenir radicale : l'électricité n'est pas stockable et certaines de ses nouvelles usines de production sont peu fiables car intermittentes (éolien, solaire). Alors qu'un marché de  marchandises classiques  peut rester libre, un marché de l'électricité doit faire l'objet d'une organisation rigoureuse, et tellement détaillée qu'on se rapproche d'un système autoritariste voire dictatorial. D'où cette impression de faux marché difficilement maitrisé par des milliers de fonctionnaires ou quasi fonctionnaires devenus, bizarrement,  indépendants de l'Etat. Pensons par exemple à ceux de la CRE (Commission de Régulation de l'Energie).  Sans l'électricité renouvelable et sa non fiabilité, on peut encore imaginer un système décentralisé qui peut réagir aux fluctuations de la demande. On peut même penser que les prix de marché qui se formeraient seraient dictées par la règle du cout marginal. Tel n'est plus le cas avec un potentiel productif qui devient de moins en moins fiable avec le développement du renouvelable. De ce point de vue, on commence à voir les drames se produire dès que le renouvelable trop présent ne permet plus aux centrales classiques- devenues collectivement trop faibles en puissance installée- de réagir aux fluctuations de la demande. Tel est le cas du black out de près d'une journée sur le continent ibérique en Avril dernier: Parce que les électrons issus du renouvelable ne pouvaient plus être massivement produits les centrales pilotables se sont retrouvées en difficulté pour augmenter massivement leur production.  D'où les variations de tension et les effets dominos de la panne généralisée. Dès que le non fiable prend du poids dans le mix énergétique il doit prendre appui sur des unités fiables mais de force plus réduite en raison de sa propre prise de poids.  Clairement ce qui vient de se passer sur le continent ibérique doit  se reproduire, sauf à faire appel à davantage de connexion avec une France- elle même fragilisée par la prise de poids de son renouvelable-  invitée à porter secours à un système dont la fragilité est l'effet inattendu des choix politiques espagnols. 

Plus clairement encore le fait de transformer en marchandise les électrons est à l'origine d'un montage industriel d'une branche professionnelle qui ne peut satisfaire les besoins. Dans le monde industriel classique on ne saurait procéder à de tels montages. Ainsi une usine d'assemblage de voitures qui serait défaillante n'est pas compensée par la construction d'une autre usine du même type génératrice de surcouts. Concrètement l'outil défaillant est abandonné au profit d'un outil plus fiable. Dans le choix de la marchandisation de l'électron produit à partir de l'éolien on est dans l'irrationalité et on espère gagner en fiabilité en multipliant les éoliennes et leur interconnexion.

Plus grave est le fait que les industriels de l'éolien connaissant le caractère inéluctablement défaillant de leur outil, vont exiger des garanties pour investir. Un peu comme si à propos des chaines d'assemblages de voitures on demandait à l'Etat de garantir la rentabilité économique sur l'outil. C'est très exactement ce qui se produit dans l'infrastructure électrique où l'Etat garantit le prix d'achat des électrons éoliens et garantit le débouché en exigeant la priorité de l'électron éolien sur les réseaux...au prix de la modulation du nucléaire, c'est à dire au prix de la diminution autoritaire de la production nucléaire. Une telle garantie de la rentabilité de l'éolien revient alors à placer ladite industrie en position rentière.  D'où l'intérêt des rentiers de la finance avec la précipitation des edge funds et fonds de pension vers l'éolien. En sorte que la non fiabilité est payée plusieurs fois: par le contribuable, par EDF qui distrait une partie des agents des salles de contrôle au respect de la modulation et la perte de production, Par le consommateur victime potentielle des pannes et de prix artificiels. 

Réalité méconnue du grand public depuis la disparition du grand monopole EDF (Loi NOME de 2010) le débat est entrain de renaitre, divise toutes les entreprises politiques, et sera vraisemblablement tranché au cours des deux prochaines années. Bien évidemment cela supposera de grandes transformations sur les marchés politiques avec des ruptures idéologiques majeures. 

,,,,Ensuite l'infrastructure monétaire

Les choses sont ici encore plus complexes et peu d'acteurs de la branche sont conscients de la réalité et de ses forces transformatrices. De fait l'actuelle infrastructure électricité avec ses centrales et ses réseaux de transport ressemble un peu à l'infrastructure monétaire. Nous avons des banques qui produisent de la monnaie et la font circuler dans un cadre décentralisé et marchandisé. Avec ici des risques de pannes consécutives aux comportements des usagers. Ainsi une banque qui voit ses dépôts circuler vers d'autres banques peut devenir victime d'un bank run aux effets indésirables sur d'autres banques. Un peu comme les variations de tension sur les réseaux électriques qui peuvent entrainer une panne globale, ici un crise bancaire.

La présente conjoncture fait que si dans l'industrie de l'électricité on devait se diriger vers des choix inappropriés dans un cadre de fragmentation ( transformer l'électron en marchandise) dans le cadre de l'industrie bancaire on se dirige possiblement vers des choix rationnels porteurs de centralisation voire de renationalisation. De ce point de vue le débat encore très secret sur l'infrastructure monétaire est assez comparable à celui de l'électricité. Mettre fin aux crises financières voire de dettes passe par une renationalisation comme mettre fin aux risques de black out consiste à mettre fin au faux marché de l'électricité. Les choses sont ici d'une grande simplicité mais politiquement encore beaucoup plus difficiles que ce qui se passe dans les débats sur l'électricité. Concrètement, et en simplifiant, il est proposé de créer un euro numérique de banque centrale censé moderniser les flux monétaires basés sur les billets. Les paiements en espèces disparaitraient au profit du smartphone et d'un porte feuille numérique reposant sur des comptes à la banque centrale.

Un tel dispositif n'est pas que technique et se trouve porteur d'une révolution inacceptable pour le système bancaire décentralisé d'aujourd'hui. Présentement encore, les banques portent les comptes des entreprises et particuliers à leur passif, une réalité qui constitue la matière première de leur activité, en particulier la création monétaire. Parce que les dépôts nourrissent des crédits qui eux mêmes nourrissent d'autres dépôts, les banques, mêmes celles numérisées appelées néo banques, ne peuvent accepter une menace sur la maitrise des dépôts. Or, de ce point de vue, en créant une monnaie numérique de banque centrale, le siphonage des comptes par la seule banque centrale devient une menace existentielle pour le système décentralisé. En effet, au nom de la simplicité, on ne voit pas pourquoi les comptes des entreprises, des particuliers, voire du Trésor lui - même ne se déplaceraient pas vers le passif d'une banque centrale redevenue banquier monopoleur...Comme EDF était le producteur monopoleur de l'électricité et la SNCF monopoleur du transport par rail...

Bien évidemment les débats - largement édulcorés dans les médias qui ne se rendent pas compte du formidable enjeu de recentralisation - font rage entre les banques et leurs représentants et les banquiers centraux. Ces derniers, souvent issus eux-mêmes du monde de la finance, savent à quel point les nouvelles technologies rendent probablement inéluctables la grande transformation de l'infrastructure monétaire. Et, de ce point de vue le débat apparent sur la limite qui pourrait être fixée au déménagement des comptes privés depuis les banques vers la banque centrale, n'est qu'un combat d'arrière garde. Ce sont en effet les clients qui eux mêmes au nom de la rationalité et de la sécurité des transactions vont exiger quelque chose comme un monopole des banques centrales. 

Nous n'en sommes pas encore là et pour le moment les nouvelles technologies qui tournent autour de la blockchain semblent produire un double effet de privatisation et de renationalisation de la monnaie. Les banques qui se savent menacées accélèrent le grand mouvement de la création des stable coin, y compris en l'intégrant dans les jeux de la finance et en se passant de la banque centrale. De quoi devenir autonome dans le service de livraison des titres qui jusqu'ici mobilise la monnaie centrale. Simultanément les banques centrales semblent vouloir accélérer la création de la monnaie numérique de banque centrale. Dès le troisième trimestre 2026 (Initiative Pontes) les transactions numériques pourront s'opérer à partir de la nouvelle monnaie numérique de banque centrale. De quoi bloquer la privatisation de la monnaie;

Derrière ces grands mouvements très parallèles nous retrouvons bien sûr la problématique de la souveraineté et, bien au delà, de celle du sens à retrouver dans l'action collective. Les mouvements de décentralisation et d'émiettement allaient dans le sens de la fin de l'histoire: il n'y a plus rien à faire et à construire. Les débats actuels sur les infrastructures forgent peut-être celui du retour sens. 

Jean Claude Werrebrouck le 7 juillet 2025 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche