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9 décembre 2019 1 09 /12 /décembre /2019 15:29

 

Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour se rendre compte que le projet des entrepreneurs politiques au pouvoir est fondamentalement un grand projet de dévaluation interne. Parce que l’euro bloque toute modification à la baisse du taux de change, il faut bien faire pression sur le cout complet du travail, ici en s’attaquant sur les couts de la vieillesse qui deviennent rapidement croissants avec l’évolution de la démographie du pays.

Et la pression se doit d’être forte car le pays est bien - sans changement fondamental des règles du jeu-  dans une nasse. Les prélèvements obligatoires français sont les plus lourds de l’OCDE et donc probablement les plus lourds du monde. Le déficit public continue d’assurer une montée de la dette laquelle vient frôler le seuil des 100% du PIB. La croissance reste évidemment faible et ne permet pas de faire monter des taux d’activité ou d’abaisser des taux de chômage, taux qui restent en dehors des normes des pays de l’OCDE. Les gains de productivité devenus très réduits ne laissent plus de marge de manœuvre[1]. Le déficit des échanges extérieurs est devenu abyssal et témoigne d’une sous compétitivité croissante. Face à cet étouffement, on peut comprendre l’impératif du blocage du poids des retraites à 13,8% du PIB. Certes, il faudrait aller plus loin pour – dans le cadre des règles du jeu- obtenir une vraie dévalorisation avec le gain de compétitivité qui en découle, mais le groupe politique au pouvoir est trop faible pour risquer une aventure plus dangereuse.

De fait, jusqu’ici, et de façon très mécanique, le vieillissement de la population entrainait automatiquement une réévaluation interne aggravant encore la sous-compétitivité d’une économie française privée de l’outil taux de change. Il y avait donc urgence à se porter sur le front des retraites pour en diminuer le montant moyen. Les marchés politiques ne le permettant pas, il faut se contenter d’un simple plafond de PIB. Dans un système ouvert classique et de complète souveraineté monétaire, les entrepreneurs politiques au pouvoir n’ont guère de peine à gérer une augmentation des couts de la vieillesse. L’augmentation mécanique des prélèvements qui en découlent ne détruit pas une compétitivité qui se rétablit par une baisse des taux de change. Un tel contexte permet en effet de récupérer par le mécanisme des prix externes les charges nouvelles.   L’euro interdit cette souplesse de fonctionnement.

Avec le plafond envisagé nous sommes pourtant assurés d’une dévalorisation du montant des retraites. Certes les entrepreneurs politiques au pouvoir se doivent de tenir des discours rassurants en évoquant les revalorisations potentielles des pensions pour les  femmes, pour les agriculteurs, pour les artisans et commerçants, etc. l’enveloppe globale  - en masse et non en taux - peut s’agrandir avec la croissance, mais le nombre de retraités va connaitre une croissance plus grande encore[2]. A l’échéance 2030, compte tenu d’une population active quasi inchangée la croissance sera proche de 1% tandis que les effectifs de pensionnés s’accroitraient à un rythme proche de 2%. Cela signifie par conséquent une vaste redistribution du montant des pensions à l’intérieur d’un groupe devenu plus important. A supposé qu’il existe encore une certaine croissance, ce groupe social plus important va voir son statut se dévaloriser. Les bénéficiaires de pensions théoriquement maintenues mais en déclin relatif par rapport aux rémunérations des actifs  seront invités à partager avec les retraités qui vont bénéficier de la réforme. Bref, les classes moyennes qui surnagent encore vont devoir se solidariser davantage avec les vrais perdants de la mondialisation. Les entrepreneurs politiques segmentent le marché en faisant apparaitre des « gagnants » et des « perdants » au mieux de leur objectif de reconduction au pouvoir, mais globalement le niveau moyen sera amené à baisser pour satisfaire aux exigences de l’euro zone. Voilà pour l’aspect macroéconomique voire macro politique des choses. La mécanique de la réévaluation interne sera politiquement bloquée, mais de fait le plafonnement à 13,8% de PIB assure de façon plus ou moins masquée la réelle dévaluation interne exigée par les contraintes de l’euro.

Au-delà, l’irruption d’un critère technocratique, « le point », transforme fondamentalement un système sur plusieurs aspects essentiels : abandon de la règle de prestations définies, disparition des institutions régulatrices, éloignement d’un système[JCW1]  relativement « bismarckien » au profit d’un « système beveridgien ». Le résultat étant une tentative de dépolitisation de la question des retraites : il n’y aura plus à débattre des retraites et chacun pourra construire sa stratégie en devenant davantage « entrepreneur de lui-même ». Avec de potentielles dérives à imaginer : Bien au-delà du marché de l’assurance, pourquoi ne pas transformer le « point » en actif financier librement négociable sur le marché ? De quoi rendre enfin les acteurs sociaux responsables…

Nous avons là une tentative de dépolitisation que l’on retrouve dans l’ensemble de l’activité gouvernementale moderne – santé, médicosocial, énergie, fonction publique, climat, etc. - avec des entrepreneurs politiques devenus, dans un contexte de mondialisation financiarisée,  de simples adeptes du « Nudge Management ».

Pour autant cette tentative de dépolitisation présente, s’agissant de la seule réforme des retraites, des couts potentiellement considérables. Parce qu’une réforme dite systémique  exige une transition de longue durée, dans un contexte de vieillissement rapide, il faut en attendant réduire un trou budgétaire difficile à vendre sur les marchés politiques. Augmenter l’âge de départ à la retraite, et donc rester dans le cadre d’une réforme paramétrique était plus simple et plus immédiat. On ne passe pas d’un âge institutionnel à une société liquide en un battement de paupière. De quoi se lamenter de la règle bruxelloise des 3% et devoir, sans délai,  augmenter les salaires de plus d’un million de fonctionnaires, tout en finançant  le déficit d’une transition de longue durée. On voulait une réforme systémique sans réforme budgétaire : nous aurons les deux.

Remercions Madame Lagarde qui, dans la suite,fort sage, de Mario Draghi, continuera sa politique monétaire dans le seul but d’éviter l’éclatement de la zone euro.

 

[1] Réduction mal expliquée alors que l’on peut voir dans cet indicateur le double mouvement de la sur financiarisation des activités humaines d’une part, associée au sous-investissement résultant d’un taux de change inadapté d’autre part.

[2] Plus brutalement encore le COR dans sa dernière évaluation nous apprend que le nombre d’actifs baisserait de 108000 personnes entre 2020 et 2030 tandis que dans le même temps le nombre de personnes de 65 ans et plus augmenterait de 2,7 millions.


 [JCW1]

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