Après l’enthousiasme médiatique français concernant un plan européen que l’on disait révolutionnaire, nous connaissons un étrange silence depuis la publication du résultat des négociations : la France apparait ouvertement comme le « dindon de la farce » avec des garanties du Trésor a priori 2 fois plus importantes que les ressources octroyées, ressources - que ce soit des subventions ou des crédits- qu’il faudra rembourser. Rien à voir avec une Pologne qui recevra, prévisionnellement, contre de faibles garanties, des sommes qui permettent imprudemment à son président d’affirmer que, grâce au plan, la nation polonaise entre dans les années les plus glorieuses de son histoire.
Les sommes ne sont pas encore complètement arrêtées et vont tenir compte de l’évolution du chômage dans chaque pays. Quoi qu’il en soit, la France apparait comme la grande perdante et le présent texte se propose d’expliquer pourquoi.
Globalement, ce qu’on appelle Union Européenne est un ensemble constitué d’Etats sur lesquels vient s’appuyer une bureaucratie classique de hauts fonctionnaires. Chaque Etat est dirigé par des entrepreneurs politiques censés représenter l’état du rapport des forces politiques internes.
L’UE comme simple utilité.
Du point de vue de l’appartenance à l’UE, les entrepreneurs politiques voient en cette dernière un outil au service des Etats qu’ils dirigent. D’où une duplicité savamment entretenue en volonté affichée et répétée de participer à une aventure extranationale et volonté plus modeste de confirmer l’existence d’une nation sur laquelle leur pouvoir est assis. Cette duplicité prend des formes et des allures différentes selon les Etats. Ainsi pour les pays de l’est, l’appartenance à l’UE apparait vitale en ce que cette dernière garantit une certaine sécurité au regard d’un ennemi historique. Pour d’autres cette même appartenance garantit le maintien d’une démocratie retrouvée. Pour d’autres encore, elle protège grâce à un taux de change exceptionnellement avantageux. Chacune des situations vient ainsi confirmer la réalité de l’UE : une simple utilité au service d’intérêts strictement nationaux.
L’exception française.
Il existe toutefois dans ce contexte une exception : La France. Pour ce pays, et ce pour des raisons là encore historiques, la duplicité apparait absente. Chez les entrepreneurs politiques français existe une croyance européiste, aboutissant à l’idée d’une fusion des intérêts de l’UE et de ceux de la France. Cette situation est bien sûr d’ordre culturel, la philosophie française des Lumières est, à l’inverse de la philosophie allemande, complètement universaliste. Elle explique ainsi que, pour nombre d’entrepreneurs politiques français, la construction européenne ne fût longtemps qu’un processus « d’agrandissement » de la France. D’où historiquement les idéologies et politiques développées par le couple Mitterrand/ Delors…. que les autres pays refuseront : il y aura bien une monnaie unique, mais son complément indispensable (passage à un authentique fédéralisme), sera refusé. Il l’est encore aujourd’hui au travers du plan collectif de relance.
La logique de fonctionnement d’une bureaucratie de hauts fonctionnaires
En surplomb des Etats et de leur duplicité existe la bureaucratie de l’UE. Bureaucratie peuplée de beaucoup de hauts fonctionnaires, elle fonctionne selon un principe universel : ses acteurs sont en recherche permanente de pouvoirs plus grands et de la puissance correspondante. Fondamentalement, la bureaucratie bruxelloise est naturellement européiste et souhaite le passage à un fédéralisme source de nouveaux plans de carrières.
De ce point de vue, l’accord de principe des entrepreneurs politiques allemands au projet du président français devient une aubaine : davantage de pouvoir et de puissance pour la bureaucratie.
Le jeu des acteurs de la négociation
Les choses sont toutefois difficiles à négocier en raison du principe de duplicité exposé plus haut. La bureaucratie européiste doit en effet négocier l’accord des 27 pays et tout veto entrainerait la ruine du projet. L’accord sera donc chèrement payé au profit de pays qui, tout en refusant l’européisme, sont prêts à empocher les prêts et subventions propres à la facilitation de la reconduction au pouvoir des entrepreneurs politiques locaux. Certains pourront penser que dans le cas de la Pologne ou de la Hongrie, la négociation se rapproche d’un accord de corruption : plus de pouvoirs à la bureaucratie européiste contre reconduction locale au pouvoir facilitée. Difficile à démontrer mais difficile de ne pas y penser. Tous les pays pour lesquels l’UE n’est qu’une utilité au service d’une nation seront également d’habiles négociateurs et si, par exemple, les « frugaux » ne recevront que des sommes symboliques, ils auront Parallèllement négocié un allégement de leur contribution au fonctionnement de l’UE.
La France nécessairement humiliée
Reste l’exception française : comment les négociateurs français pourraient-ils exiger de grands avantages alors même qu’ils sont les initiateurs de l’accord ? Du point de vue de la bureaucratie bruxelloise Le prix du non veto de la France peut ainsi devenir très modeste…jusqu’à devenir insultant… La France avec ses garanties 2 fois supérieures aux gains espérés doit ainsi payer pour les autres entrepreneurs politiques plus réalistes sur la nature de la construction européenne.
Les entrepreneurs politiques français, le président de la République en tête, sont ainsi les responsables involontaires de cette humiliation.
Au-delà, en raison même du principe de duplicité qui anime la plupart des entrepreneurs politiques européens, l’idée même d’un budget permettant les transferts massifs sans lesquels la monnaie unique ne peut survivre, reste complètement utopique. Le plan de relance imaginé par le président Macron est, pour la France, fondamentalement inefficace et injuste.