Dans une série d’articles que l’on peut retrouver sur le blog ( 20 octobre 2021[1], 1 Novembre 2021[2], 8 Novembre 2021[3], 19 janvier 2022[4], et 11 juillet 2022[5]) nous nous sommes attachés à bien comprendre en quoi l’introduction d’un marché européen de l’électricité correspondait à une catastrophe multidimensionnelle : pour l’entreprise qui va perdre une bonne partie de ses compétences par l’arrêt du nucléaire ; pour les utilisateurs qui tôt ou tard perdront la rente nucléaire sous la forme d’un prix faible de l’électricité ; pour une « élite » qui va se lover dans la vertigineuse bureaucratie qui accompagnera le faux marché de l’électricité et ses marchands simples spéculateurs à la tête de fausses entreprises ; pour le pays qui tôt ou tard verra sa compétitivité affaissée par des couts de l’énergie trop élevés.
Ce temps de la catastrophe multidimensionnelle est maintenant bien confirmé : EDF ne sait plus entretenir son parc nucléaire et s’avère incapable de le renouveler dans des délais raisonnables ; la Russie, passée spécialiste en capture de rente énergétique, s’amuse au moins temprairement de l’affolement des bourses ( EPEX[6]) et des spéculations qui s’y déchainent ; les marchands d’électricité en quasi faillite ( Hydroption, Leclerc Energies, Bulb, Cdiscount, Iberdrola, Mint Energie, etc.) lancent des cris de détresse et voient leurs rangs devenir clairsemés ; l’Etat qui ne peut plus raisonnablement maintenir son bouclier tarifaire au bénéfice des consommateurs et se trouve fort préoccupé par le déficit public engendré par les mauvais choix de naguère… qu’il ne peut reconnaitre ; les acteurs économiques qui sont désormais étranglés par la spéculation et connaissent des hausses de couts de production colossales qu’il faut tenter d’essaimer par la voie inflationniste[7] ; les ménages victimes de l’inflation qui viendront demain financer le bouclier tarifaire sous la forme d’une hausse d’impôts.
C’est dans ces conditions qu’une fois encore il sera logiquement fait appel à EDF. L’entreprise qui a déjà été contrainte il y a quelques mois d’élargir son obligation de vendre aux fausses entreprises marchandes d’électricité ( ARENH) s’est trouvée obligée d’acheter sur le marché à terme, au prix fort, des contrats d’électricité aux seules fins de répondre à sa mission de service public. Il s’agissait déjà d’acheter pour vendre avec une marge négative. Cette opération semble se reproduire avec le retour au bercail des consommateurs qui avaient abandonné le tarif réglementé d’EDF pour se lancer dans l’aventure, et bénéficier des offres alléchantes des fausses entreprises. Ces dernières, victimes des prix spot qui se forment dans les bourses au bénéfice des spéculateurs, abandonnent leurs clients lesquels pourraient représenter 12 millions de ménages qu’EDF ne peut prendre en charge qu’en achetant des contrats en bourse (ECE Endex et EEE[8]). Voilà de très lourdes pertes en perspective pour EDF.
Cette entreprise, naguère la plus performante de la planète dans son domaine - les plus anciens se rappelant qu’EDF greffait au réseau une unité nucléaire tous les 5 mois dans les années 80- a été gravement blessée par des choix politiques abracadabrantesques lesquels sont gravés dans la loi NOME de 2010 (Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité[9]). Le faux marché fut destructeur pour l’entreprise. Vu les circonstances présentes, il n’est pas impossible d’imaginer un coma prolongé. La responsabilité politique de ce désastre est immense…mais personne n’en parle et personne n’est coupable…De quoi retrouver le thème de « l’étrange défaite » chère à Marc Block pour caractériser naguère l’effondrement de 1940.
[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/10/le-marche-de-l-electricite-ou-le-grand-gachis-de-la-bureaucratie-neoliberale.html
[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/11/electricite-que-faire-pour-acceder-a-des-prix-maitrises.html
[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/11/electricite-de-la-rationalite-au-derapage-bureaucratico-mercantile.html
[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/01/delirante-annee-2022-l-equivalent-de-40-du-budget-militaire-de-la-france-pour-sauver-le-marche-de-l-electricite.html
[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/07/ce-que-pourrait-etre-une-nationalisation-d-edf.html
[6] EPEX est la bourse de l’électricité crée en 2008 qui aujourd’hui gère 50% des transactions sur le court terme.
[7] Cette hausse peut devenir insupportable pour certaines activités industrielles (chimie, mécanique) qui sont en phase de renégociation de contrats d’approvisionnement en électricité. D’ores et déjà il y a dans certains cas à arbitrer entre maintien d’une production marginale déficitaire et cout de la fermeture temporaire d’une installation. Les prix spot d’aujourd’hui peuvent devenir un instrument d’arrêt de l’activité. Ce type de réflexion concerne également certaines activités de services comme la Grande Distribution.
[8] Il s’agit des bourses d’échanges sur les marchés à terme de l’électricité.
[9] Loi 2010-1488 du 7 décembre 2010.