Reconstruire une industrie de la défense suppose de rassembler des moyens financiers autour de 2 préoccupations : d'abord celle de l'investissement nécessaire, ensuite celle de la couverture des coûts de la production elle-même.
La première préoccupation ne peut que difficilement mobiliser le secteur privé en raison des contraintes de valorisation du capital engagé : les marchés financiers valorisent, certes, la haute technologie militaire (Safran, Thalès, MBDA, etc.) mais restent éloignés de la prétendue mauvaise image de l'industrie classique qu'il faudrait reconstituer (obus, chars, etc.). Les institutions financières craignent pour leur propre évaluation par le marché. L'essentiel de l'investissement devra donc mobiliser des ressources publiques.
De la même façon, l'industrie financière ne peut que résister à l'idée d'un emprunt public ne passant pas par le traditionnel marché de la dette publique géré par l'agence France Trésor. La dette publique est en effet la grande matière première de la finance et il serait de son point de vue mal venu de provoquer un effet d'éviction à son détriment. De la même façon, cette variété d'emprunt public que serait une mobilisation de l'épargne sur un fonds spécifique, serait à éviter en raison des effets d'éviction notamment sur la politique de la ville et du logement.
Reste la dette publique dont on peut approximativement évaluer l' évolution.
Doubler la part de PIB consacrée à la défense en un temps limité , par exemple 4 années, suppose d'affecter une quinzaine de milliards de plus chaque année aux dépenses correspondantes (investissement boudé par le secteur privé + production supportée sur fonds publics). L'augmentation de la dépense publique nouvelle se déroule toutefois dans un contexte très difficile d'augmentation considérable de dépenses au titre du roulement de la dette. Beaucoup emprunter â coûts nuls (Fin des années 2010 et début des années 2020) suppose, hélas, quelques années plus tard, un roulement beaucoup plus difficile. On peut ainsi estimer que le roulement va exiger régulièrement 5 milliards de dépenses supplémentaires chaque année (voire davantage quand on observe le changement de situation entre 2021 et 2023 où les charges de la dette passent de 38,6 à 54,8 milliards d'euros et vont largement dépasser les 80 milliards en 2030) . A cela va s'ajouter le début (2028) du remboursement de l'emprunt européen de 750 milliards et donc l'accroissement de la cotisation de la France au budget européen. Sachant que la France a reçu 45 milliards et qu'il lui faudra en rembourser 120 on peut estimer â ce titre un ajout annuel d'une petite dizaine de milliards.
Toutes choses restant égales par ailleurs on peut donc penser que les dépenses publiques vont augmenter chaque année d'environ 25 milliards d'euros. Il est évident que, dans un tel contexte, le déficit public passera à plus de 210 milliards dès 2025 et augmentera régulièrement de 25 milliards les années suivantes. Parallèlement les emprunts au titre du roulement et du financement du déficit vont exploser et passer d'un peu plus de 320 milliards en 2025 à probablement beaucoup plus de 400 en 2028...toutes choses égales par ailleurs. De quoi emprunter chaque année bien davantage que la totalité des recettes publiques prévues ( 370 milliards pour 2025).
Toutes choses égales par ailleurs, en particulier si on ne remet pas en cause les investissements prévisibles au titre de l'écologie, de la santé (biotech, medtech, e-santé) , de la recherche, de l'IA, de la deeptech en général, etc. et si on ne remet pas en cause le modèle économico - social, il est clair que les marchés financiers ne pourront pas suivre un tel rythme et qu'ils ne se contenteront pas d'une hausse des taux sur les obligations publiques, hausse déjà entamée y compris sur le bund allemand.
Quelles solutions?
En l'absence d'un recours à une politique monétaire complètement nouvelle, l'inflation devrait s'engouffrer dans l'écart entre revenus distribués et offre globale, écart mesuré notamment par la valeur de la production militaire. Il s'agira d'une force puissante pour empêcher l'élargissement d'un autre écart, celui entre offre et demande de dette publique.
Une autre possibilité est celle de l'achat direct des titres de dette publique par la banque centrale. Ce fut partiellement la solution de la dette COVID. Le travail d'ajustement de l'inflation serait ici complété par le travail de la banque centrale.
Une troisième possibilité est le financement direct de la totalité des dépenses militaires par la banque centrale. C'est évidemment la solution collectivement la plus avantageuse avec de fortes conséquences inflationnistes. C'est aussi la solution la plus cohérente : il n'y a pas à rembourser une production qui, ne donnant lieu à aucun échange marchand, ne peut s'appuyer sur une ressource puisée sur le marché, ressource affectable à un créancier.
Le scénario qui vient d'être proposé, est partiel et ne tient pas compte des conséquences du passage à une économie de guerre dans les autres pays partenaires de l'UE.
Ce scénario révèle aussi qu'il existe probablement une façon de vivre l'euro en abandonnant ses contraintes..., contraintes que même l'Allemagne semble oublier.