Dans une longue conversation publiée par le Monde, en date du 8 décembre 2010, Jacques Delors revient longuement sur la question de l’Euro. L’ancien président de la commission, reste un grand défenseur de la monnaie unique, et considère qu’elle nous a protégés, tout en réduisant les écarts de revenus moyens, entre pays de la zone.
Il fait également état de nombreux regrets : Absence de pacte de coordination des économies, banque centrale dépourvue de missions essentielles telle la surveillance du chômage, absence d’un fonds conjoncturel et d’un système d’euro-obligations, impérialité d’un système bancaire faisant tremblerlesgouvernements ,etc.
Pour ce qui est de l’avenir , Jacques Delors se dit, selon la formule de Gramsci , « pessimiste actif », et voit malgré « l’affaiblissement de l’esprit européen » des sources d’espoir dans le futur fonds européen de stabilité, et les tout aussi futurs mécanismes de sanctions, à l’encontre des contrevenants d’un pacte de stabilité rénové.
Au-delà du caractère convenu des propos publiés dans Le Monde, il nous faut souligner « l’idéalisme » du « pessimiste actif ».
C’est que les faits et vœux évoqués, sont autant de mots inappropriés à la correcte désignation de la réalité. Des signifiants décalés par rapport au signifié, diraient les linguistes.
La réalité est, en effet, vraiment très différente de la représentation proposée. L’euro, construit aussi par Jacques Delors et son équipe, n’était, et n’est toujours, que le bateau des passagers clandestins.
Il est incorrect de dire qu’il protège contre nos laxismes et que sans lui « beaucoup de pays européens auraient souffert ». Nous avons montré dans « l’euro, sursaut ou implosion », à quel point il était une « drogue » pour les « petits un peu ronds », qui pouvaient ainsi s’offrir « une monnaie de réserve à l’Américaine ». Qu’il était également une « drogue » pour les « grands minces », qui s’assuraient ainsi contre les dévaluations continues des voisins. La construction de l’euro, était ainsi l’organisation d’une « grande fête », et à cette matérialité, devait correspondre la montée d’un « esprit européen ».
Maintenant que la consommation de drogue est proche de l’overdose, pour l’ensemble des passagers clandestins, passagers dont beaucoup sont ruinés, les lampions de la fête s’éteignent, et avec cette nouvelle matérialité, correspond l’affaissement de l’esprit européen. Comme quoi, c’est bien la réalité matérielle qui ordonnance , malgré tout, le monde des opinions.
Loin d’un esprit européen, la construction de l’euro n’était réellement que la prolongation du stade de « l’Etat-Nation » par d’autres moyens. Comme la guerre, disait-on, était la poursuite de la politique par d'autres moyens. Cette variété de « petit un peu rond » qu’était la France , pays qui historiquement à imposé l’euro, n’a pas voulu construire une réalité qui la surplomberait. Elle a simplement cherché, à poursuivre son déficit budgétaire, sans les pleurs correspondants. Les entrepreneurs politiques français n’ont pas cherché à construire un « au delà de la nation » ; ils ont simplement cherché, à continuer à pouvoir se gaver de déficits publics, sans en payer le prix monétaire. Sans doute fallait-il pour cela, dénationaliser la monnaie, pour rejoindre la volonté commune des entreprises politiques allemandes, d’où l’indépendance de la Banque centrale. Mais une dénationalisation, sans renationalisation à un stade situé au-dessus, de l’Etat-nation. D’où la naissance d’une « monnaie sans souverain » pour reprendre la terminologie de notre article « Monnaie, recherche désespérément souverain sérieux ».
Les discours idéalistes, tel celui de Jacques Delors - ou plus encore, celui de son partenaire de la construction européenne, Helmut Schmidt, lequel va jusqu’à regretter le « manque de charisme », voire de compétences des nouveaux dirigeants- ne font qu’épaissir le brouillard dans lequel se trouvent plongés les lecteurs qui veulent réellement comprendre le monde tel qu’il est. La réalité est suffisamment embrumée, pour ne pas lui adjoindre une couche d’opacifiant supplémentaire.