Le scénario de la « double inflexibilité» (scénario 1) imaginé dans notre précédent article semble se mettre en place[1] :
- La BCE n’accepte plus à l’actif de son bilan le rachat de titres publics grecs et le dispositif ELA, plus couteux, est étroitement contrôlé et limité dans le temps. Décision très vite actée par Standard § Poor's sous la forme d'une nouvelle dégradation de note.
- Les Etats, par le biais des entrepreneurs politiques au pouvoir, semblent accepter la volonté allemande qui se cache dans la décision de la BCE[2].
- Les entreprises politiques d'oppositions, y compris certaines dites populistes préfèrent protéger leur clientèle potentielle en affirmant que les peuples européens ne peuvent payer pour les Grecs[3].
- Seules les entreprises politiques, qui séparent encore les concepts de souveraineté nationale et de souveraineté populaire pour se positionner dans un cadre de lutte des classes, se risquent à soutenir la démarche du gouvernement grec[4].
Ce mouvement semble devoir cristalliser la position de SYRISA et de ses alliés nationalistes :
- Le soutien populaire au gouvernement empêche ce dernier de recourir à la trahison[5].
- Les conséquences en seraient dramatiques avec l’irruption de forces politiques beaucoup plus brutales.
Le jeu de l'affrontement semble donc devoir l’emporter.
Dans cette affaire, il apparait que SYRISA, à l’inverse d’expériences antérieures, comme celle du « cartel des gauches » en France en 1926, devra et pourra briser le « mur de l’argent » qui lui est opposé.
La raison en est simple : le mur de l’argent est idéologiquement aussi solide qu’en 1926[6], mais il est, en raison de la structure du pouvoir monétaire européen et du comportement récent de la BCE, beaucoup plus fragile.
Nous avons en effet souligné la maladresse[7] qu’il y avait à lancer un QE en janvier dernier reposant sur l’achat de dettes non mutualisées, achat remettant sur le devant de la scène les banques centrales nationales. Nous avons traduit cette maladresse par l’idée d’une BCE qui sciait la branche sur laquelle elle se trouvait assise. La décision très contradictoire de refuser toute forme de rachat pour la seule Grèce doit aider SYRISA à franchir le Rubicon et à aller beaucoup plus loin dans la renaissance de la Banque Centrale Grecque : s’en saisir.
En clair, ce qu’Edouard Herriot n’a pu faire en 1926 pourra être fait par Tsipras : donner l’ordre à la Banque Centrale de Grèce de financer en euros, et le Trésor, et les banques grecques proches d’une situation de bank-run[8].
Inonder les banques grecques de liquidités à partir d’Athènes n’est au fond qu’une optimisation logistique dans un très complexe QE européen de plus de 1000 milliards d’euros.
A partir du robinet monétaire restauré, le gouvernement grec peut alors rembourser l’ensemble de ses créanciers et ainsi respecter - formellement - les contrats. Le refus par les créanciers[9] de telles légèretés au regard des règles, se solderait - au final - par une extinction souveraine de la dette et de la rente correspondante (environ 4 points de PIB) , laquelle pourra servir au financement du programme de SYRISA.
Dans ce scénario, le Rubicon étant franchi, tout peut arriver, avec bien évidemment comme imaginé dans notre article précédent, le démantèlement rapide de la zone euro.
Le gouvernement grec peut-il encore ne pas franchir le Rubicon ?
[1] Cf. : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/02/la-petite-grece-viendra-t-elle-a-bout-de-l-allemagne.html
[2] C’est le cas de tous les gouvernements de la zone.
[3] C’est le cas du Front National.
[4] C’est le cas de l’extrême gauche.
[5] Les sondages semblent montrer que le soutien au pouvoir dépasse largement la base électorale de SYRISA.
[6] A l’époque la Banque centrale était indépendante et la monnaie prisonnière de sa « loi d’airain ». Cf. Jean Claude Werrebrouck ;« la loi d’airain de la monnaie » MEDIUM ; N° 34 ; Janvier, février ,mars 2013 ; pages 101 à 119.
[7] Cf. : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/01/modeste-conseil-au-gouvernement-grec-ou-comment-en-finir-avec-la-tyrannie-allemande.html
[8] A l’époque la lettre d’Emile Moreau (gouverneur de la Banque de France) avait déclenché un bank-run. Le gouverneur disposait d’une réelle autorité symbolique à l’intérieur d’un Etat-Nation. Le statut de Mario Draghi en Grèce en 2015 n’est pas celui d’Emile Moreau en France en 1926. Et la monnaie correspondante l’euro – même sertie dans une « loi d’airain » artificielle, celle de l’ordo libéralisme allemand - ne dispose pas de la force symbolique d’une monnaie nationale en quête d’un rattachement à l’or et donc d’une « loi d’airain » jugée indépassable, et donc politiquement indépassable. S'agissant de l'euro, sa force symbolique est au surplus démonétisée par le seul spectacle du QE : pourquoi une « loi d’airain » aussi sélective, avec tant de largesse pour les banques et rien pour les Etats ?
[9] A noter que ce refus est loin d’être évident : les créanciers publics (FESF, Etats, BCE, FMI) ayant à choisir entre le respect- certes très formel- des contrats et le défaut radical.
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