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24 septembre 2023 7 24 /09 /septembre /2023 06:13

 

Face à une aversion au dollar, imaginons que les échanges internationaux s’opèrent - comme le souhaite la Chine et d’autres pays - en monnaies nationales. On peut imaginer une structure de clearing (chambre de compensation) permettant de faire apparaître à intervalles réguliers les soldes pour chaque pays. Comment régler les soldes ? Si la monnaie de réserve a disparu, il reste, comme c’était le cas à l’époque de l’Union Européenne des Paiements, le règlement en or. Le pays déficitaire déplace de l’or sur le compte du pays excédentaire, à moins que ce dernier n’accepte d’autres actifs comme des obligations publiques

. Mais, bien avant, un autre problème surgit : comment sont calculés les soldes ? A partir de quel taux de change ? Si les différentes monnaies ne sont pas rattachées à un quelconque étalon de valeur, le calcul est tout simplement impossible.

Une solution très simple…

Certes, on peut revenir à la situation passée et se référer à un contenu métallique pour chaque monnaie. Et d’une certaine façon, l’UEP était un bon modèle, simplement à cette époque nous étions dans une situation inverse de celle d’aujourd’hui, situation où il y avait pénurie de dollars et non aversion.

Clairement, à l’époque, on souhaitait une inclusion monétaire pour se libérer, alors qu’aujourd’hui on cherche à se libérer par un rejet d’inclusion dans le dollar. Pourtant cette nouvelle version de l’UEP assurerait - en principe - une meilleure stabilité au niveau des taux de change. Les banques centrales tentant de maintenir les cours pour éviter de grands déséquilibres des soldes.

….Mais fort peu réaliste

Mais il faut aller plus loin et envisager les mouvements de capitaux. Sans contrôle des changes, le fait de payer en monnaie nationale permet à chaque partenaire d’acheter des actifs financiers ou réels sans aucune limite, lesdits achats s’opérant par le jeu de la simple création monétaire. Ainsi la Chine pourrait acheter sans limite des obligations, des immeubles ou des usines en France. Et la France, pourtant d’un périmètre plus réduit, pourrait en faire autant sur les actifs chinois. Sans contrôle des mouvements de capitaux, il y aurait un développement, hors contrôle, des échanges internationaux, le tout se manifestant par une inflation monétaire incontrôlée. Un solde proche de zéro entre la France et la Chine pourrait aussi correspondre à une inflation gigantesque. On comprendra par conséquent que la disparition d’un étalon monétaire doit s’accompagner d’un contrôle des émissions monétaires nationales. La conclusion de ce raisonnement est donc que l’acceptation sans limite des paiements en monnaies nationales est irréaliste et sans doute géopolitiquement très conflictuelle. C’est dire aussi que la Chine, contrairement aux rumeurs, ne peut sérieusement pas imaginer sans limite le paiement de ses importations en yuans contre le paiement de ses exportations en monnaies nationales des importateurs. Sans compter qu’un tel scénario aurait aussi des conséquences considérables sur le cours du dollar - la monnaie qu’il faudrait marginaliser- sa demande s’effondrant à l’échelle planétaire puisque tous les échanges pourraient s’opérer sans lui - contre une offre devenue réduite.

…Et des conséquences redoutables…

Mais ce scénario produirait de lourdes conséquences sur l’or. En admettant que les soldes se paient en or, ils se feraient sur la base de monnaies minées par l’inflation, ce qui veut dire que le prix relatif de l’or, donc son cours, serait fortement croissant. Ce qui veut dire aussi que la définition des monnaies par un poids d’or deviendrait vite impensable. De ce point de vue nous serions dans la situation du 19ième, celle de l’étalon-or…, sans que les monnaies nationales soient convertibles en or. Si le 19ième siècle était aussi celui de la stabilité monétaire c’est précisément que la convertibilité en métal était un étau et toute création monétaire excessive entrainait la sortie de route avec fuite de métal, réduction de l’offre monétaire et rétablissement de la stabilité. Dans le cas supposé proposé par la Chine, nous serions en sortie de route permanente. On reproche beaucoup au système dollar d’avoir autorisé le « déficit sans pleurs », le système chinois tel qu’il est plus ou moins proposé permettrait la démocratisation de ce type de déficit. Toutes les monnaies pourraient devenir l’équivalent du dollar.

En conclusion, le scénario que l’on vient de présenter, scénario tenté avec très grande prudence dans la réalité d’aujourd’hui, n’a aucune chance de se concrétiser à large échelle. Les différentes monnaies nationales ont besoin d’un étalon réel pour exister et se comparer. Le dollar est encore bien présent.

…Et que faire de la finance ?

Mais il y a beaucoup plus important encore, et l’idée que la demande de dollars (en dehors de celle correspondant à l’achat de dette publique  américaine) pourrait s’effondrer est probablement erronée. C’est que le dollar qui pourrait être évincé des échanges internationaux, resterait naturellement dominant sur les marchés financiers, lesquels disposent d’un poids plusieurs dizaines de fois supérieur au poids des échanges réels. On peut prendre pour exemple le marché des changes lequel brasse au quotidien près de 6000 milliards de dollars, pour un PIB réel mondial de 273 milliards, soit donc un volume financier 22 fois supérieur à la réalité matérielle. Rapporté au volume physique des échanges de marchandises à l’échelle mondiale, le marché des changes brasse 70 fois la réalité. On pourrait certes objecter que les échanges en monnaie nationale proposés par la Chine dégonflerait le marché des changes. Pure illusion car la nouvelle configuration suppose au final que les divers pays et leurs acteurs se protègent contre les risques de change. Or ces risques -s’ils disparaissent théoriquement du point de vue des exportateurs-  sont considérables du point de vue des importateurs. Il faut assurer le coût des couvertures de change alors même que l’on a exclu le référent traditionnel qu’est le dollar. Et les exportateurs auraient tort de croire qu’ils sont à l’abri d’une variation de change puisque leur chiffre d’affaires dépendrait d’une demande internationale affectée par les taux de change.

Dans le marché des changes traditionnel, chaque acteur se couvre sur sa monnaie par rapport au seul dollar. Dans le nouveau marché des changes, il faut se couvrir sur toutes les monnaies, ce qui complexifie le travail des importateurs sans que pour autant les volumes traités ne baissent et ce, dans un contexte plus étroit en termes de liquidité. C’est qu’en effet le marché de chacune des devises est autrement plus étroit que le marché du dollar. Cela signifie par conséquent des risques plus élevés et donc des couvertures plus coûteuses. De la même façon, les exportateurs devraient imaginer des couvertures nouvelles jusqu’ici peu explorées en raison des commodités offertes par le dollar.

Que conclure ?

La monnaie est effectivement et contrairement aux apparences beaucoup plus qu’une marchandise. Elle est d’abord une institution validant un processus de soumission/inclusion. La soumission mondiale au dollar est une dépendance qui contradictoirement permet l’inclusion avec ses espaces de liberté dans un monde qui reste contraignant. Il n’est pas facile de rompre et de créer une nouvelle institution monétaire. La fin d’une dépendance ne crée pas automatiquement une nouvelle inclusion garantissant de nouveaux espaces de liberté. L’institution monétaire présente est certes bien évidemment mortelle mais son agonie sera beaucoup plus lente que souhaitée par certains.

 

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23 août 2023 3 23 /08 /août /2023 14:27

 

A propos du serpent de mer "dédollarisation" nous nous permettons de reprendre un texte déjà publié sur le blog en mai dernier. Ecrit  à propose de la Russie et de ses échanges problématiques, il reste complètement d'actualité en cette fin d'été. Nous publierons dans quelques jours un texte plus orienté sur  les problèmes de la prétendue monnaie de réserve chinoise. Bonne lecture.

La question de la fin du dollar est à nouveau évoquée dans le cadre de la gestion de la crise ukrainienne. Nous voudrions ici montrer que cette potentielle issue n’est pas pour demain et que ce qu’on appelle privilège du dollar reste un point d’ancrage peu dépassable.

Comprenons d’abord ce que l’on entend par privilège du dollar. Prenons le cas d’un pays mal positionné dans la hiérarchie économique mondiale. Sa monnaie sera vraisemblablement en concordance avec son positionnement. Supposons que ce pays s’achemine vers un double déficit : celui de ses finances publiques et celui de son compte extérieur. Il peut certes financer son déficit public par création monétaire. Cette situation entraine un cocktail peu rassurant : une inflation résultant d’une masse monétaire croissante et une aggravation du déficit extérieur par augmentation des importations résultant elle-même des effets de la dépense publique. Le déficit extérieur pourrait être soldé en monnaie nationale mais il est très probable que les partenaires étrangers refuseront. La raison est simple : la monnaie en question est particulièrement difficile à utiliser. On ne peut que très difficilement s’en servir pour acheter des marchandises qui n’existent pas ou ne correspondent pas aux qualités appréciées. On ne peut pas non plus facilement la céder à des investisseurs qui, eux-mêmes, cherchent des capitaux très liquides pour les opérations correspondantes. Nous connaissons présentement cette circonstance à grande échelle avec la Russie qui accepte des Roupies au titre du paiement de son pétrole vendu à l’Inde, mais qui cherche une solution pour une utilisation de comptes en monnaie fort peu désirée. En clair lorsqu’on est mal positionné économiquement, le besoin total de financement reste une masse qui ne peut être allégée. Elle reste un poids lourd dans le sac de voyage du pays. Que la Russie accepte en continu l’abondement de comptes en roupies serait merveilleux pour l’Inde, pays démuni en matière énergétique qui pourrait ainsi se ravitailler par simple émission monétaire. Un peu comme si, miraculeusement, l’Inde devenait propriétaire sur son sol de gisements de pétrole.  Hélas, ce n’est pas possible et la Russie veut ou voudra être payée car elle ne trouve en Inde que peu de produits ou services répondant à ses besoins.

Si l’on prend maintenant le cas des USA, les choses sont très différentes. Le déficit public semble sans limite et tous les ans la comédie très médiatisée de l’autorisation du relèvement de la dette ( 34000 milliards de dollars aujourd’hui) par le congrès reste de l’ordre du théâtre comique. Dans le même temps, le déficit extérieur peut ne pas connaître de limite (948 Milliards de dollars en 2022). Les partenaires des USA acceptent sans difficulté la contrepartie monétaire d’un tel besoin de financement car sa liquidité est la plus importante du monde. Tout dollar est parfaitement convertible en n’importe quelle marchandise ou en n’importe quel actif et ce en quantité illimitée. A l’inverse des Roupies figurant aujourd’hui sur des comptes bancaires russes, les dollars figurent sur des comptes répartis sur la totalité de la planète et personne ne se soucie de leur parfaite convertibilité. L’énorme besoin de financement du pays n’est en aucune façon un sac trop lourd et se trouve à l’inverse une opportunité pour un fête continue. Et l’énorme émission monétaire qui se cache dans le doublement des actifs financiers depuis 2007 ne donne pas lieu à une inflation notable. Les USA ne sont pas l’Inde.

C’est cela que l’on appelle privilège du dollar.

Ce privilège de part son fonctionnement semble devoir logiquement se renforcer.

Son point de départ relève évidemment de la fin de la seconde guerre mondiale. A l’époque, l'Amérique était devenue l’usine du monde et, en correspondance, sa monnaie était au sommet de la hiérarchie. L’Amérique de l’époque aurait pu -entre autres- accepter des paiements en monnaies européennes, ce qui l’aurait amenée à stocker des monnaies inutilisables, donc des actifs sans valeur, un peu comme la Russie aujourd’hui au regard de l’Inde.  Rationnellement, elle a préféré le paiement à partir de crédits en dollars aux pays en cours de reconstruction. En élargissant le périmètre de ces crédits (plan Marshall) les USA assurent des débouchés à son industrie et font du dollar la monnaie la plus recherchée car la plus utilisable partout dans le monde.

La reconstruction achevée, la mondialisation qui va suivre ne peut que renforcer le privilège. La libre circulation du capital qui va se mettre en place s’opère d’abord sur l’actif déjà le plus liquide et donc va renforcer le rôle du dollar : les autres actifs ne peuvent avoir la même profondeur de marché et donc au nom de la sécurité, il vaut mieux choisir le dollar plutôt que le franc ou la pesetas. Mais, en choisissant le dollar, on rend encore plus liquide les actifs en question -ce qu’on appelle la profondeur de marché- ce qui augmente par effet de contagion les émissions en dollars et le libellé de tous les outils de sécurisation financière lesquels s’homogénéisent autour du dollar. Progressivement, le monde de l’international ne peut utiliser que le langage du dollar. Le privilège du dollar est donc aussi un effet de foule sans doute difficile à endiguer.

Même chose pour la libre circulation des marchandises -bientôt devenues  ensembles complexes et quasi infinies de chaînes de la valeur- qui fera que le contenu importé de chaque exportation dans le monde ne pourra que croître. Un tel contexte ne peut accepter pour chaque étape des contrats en monnaies nationales soumises à des parités mouvantes. Il faut facturer, à chaque échelon, dans la même devise et là encore, par un phénomène de foule, les contrats seront libellés en dollars tout au long de la chaîne. La sécurisation d’une chaîne et donc la minimisation du coût des risques de change passe donc par le dollar.  La tendance générale est donc, non pas la fin de l’hégémonie du dollar, mais au contraire sa conservation. C’est cette tendance qui explique que la fin très officielle de la libre convertibilité du dollar le 15 aout 1971 ( fin des accords de Bretton Woods), loin de correspondre à la fin du dollar ne fut que le début d’une nouvelle et fulgurante ascension.

Peut-il y avoir dédollarisation ?

 On peut l’attaquer aujourd’hui en limitant les modalités et les conditions de son utilisation. C’est curieusement le gouvernement américain qui, lui-même, semble vouloir limiter la liquidité et la crédibilité du dollar.   Par exemple les USA ont décidé d’un embargo sur les réserves en dollars de la Russie. Il faut savoir qu’un tel embargo est à priori efficace puisque tout actif libellé en dollar est de fait tenu par une banque américaine censée obéir à l’exécutif. Par exemple, le pouvoir Russe peut détenir des comptes en dollars dans des banques étrangères non américaines mais ces comptes ne sont que la contrepartie de comptes qui eux-mêmes relèvent de la gestion d’une banque américaine. Ainsi une entreprise russe exportatrice de matériels militaires en Inde peut exiger un paiement en dollars sur un compte qu’elle possède à New Delhi…mais ce paiement en dollar mobilisera en contrepartie un compte de banque américaine… Théoriquement, l’embargo peut donc être extraordinairement puissant et développer l’indisponibilité d’un dollar pour lequel il faudrait lui trouver un substitut. Pour autant un tel geste ne déclenche pas un mouvement de conversion au profit de monnaies devenues subitement plus utilisables. D’abord parce que tous les pays ne sont pas sanctionnés, mais surtout parce qu’en termes d’Etat de droit ou d’illibéralisme les USA apparaitront toujours comme plus libéraux que les autres. La fragmentation géopolitique du monde est en marche et les grands blocs qui semblent apparaitre (Occident global, Est Global et sud Global) sont eux-mêmes fragmentés. Sans doute pourra-t-il émerger ici ou là des échanges en monnaies nationales qui resteront en concurrence entre-elles. Mais c’est cette concurrence qui précisément va maintenir le privilège du dollar : les divers signes  monétaires peuvent  se faire concurrence mais le meilleur d’entre-eux restera le dollar. Pour une véritable disparition du privilège du dollar il faudrait une toute autre transformation, par exemple celle très utopique examinée dans nos articles des 3 et 9 mai 2023 (« Avenir probable des banques centrales »).

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24 mai 2023 3 24 /05 /mai /2023 06:56

La question de la fin du dollar est à nouveau évoquée dans le cadre de la gestion de la crise ukrainienne. Nous voudrions ici montrer que cette potentielle issue n’est pas pour demain et que ce qu’on appelle privilège du dollar reste un point d’ancrage peu dépassable.

Comprenons d’abord ce que l’on entend par privilège du dollar. Prenons le cas d’un pays mal positionné dans la hiérarchie économique mondiale. Sa monnaie sera vraisemblablement en concordance avec son positionnement. Supposons que ce pays s’achemine vers un double déficit : celui de ses finances publiques et celui de son compte extérieur. Il peut certes financer son déficit public par création monétaire. Cette situation entraine un cocktail peu rassurant : une inflation résultant d’une masse monétaire croissante et une aggravation du déficit extérieur par augmentation des importations résultant elle-même des effets de la dépense publique. Le déficit extérieur pourrait être soldé en monnaie nationale mais il est très probable que les partenaires étrangers refuseront. La raison est simple : la monnaie en question est particulièrement difficile à utiliser. On ne peut que très difficilement s’en servir pour acheter des marchandises qui n’existent pas ou ne correspondent pas aux qualités appréciées. On ne peut pas non plus facilement la céder à des investisseurs qui, eux-mêmes, cherchent des capitaux très liquides pour les opérations correspondantes. Nous connaissons présentement cette circonstance à grande échelle avec la Russie qui accepte des Roupies au titre du paiement de son pétrole vendu à l’Inde, mais qui cherche une solution pour une utilisation de comptes en monnaie fort peu désirée. En clair lorsqu’on est mal positionné économiquement, le besoin total de financement reste une masse qui ne peut être allégée. Elle reste un poids lourd dans le sac de voyage du pays. Que la Russie accepte en continu l’abondement de comptes en roupies serait merveilleux pour l’Inde, pays démuni en matière énergétique qui pourrait ainsi se ravitailler par simple émission monétaire. Un peu comme si, miraculeusement, l’Inde devenait propriétaire sur son sol de gisements de pétrole.  Hélas, ce n’est pas possible et la Russie veut ou voudra être payée car elle ne trouve en Inde que peu de produits ou services répondant à ses besoins.

Si l’on prend maintenant le cas des USA, les choses sont très différentes. Le déficit public semble sans limite et tous les ans la comédie très médiatisée de l’autorisation du relèvement de la dette ( 34000 milliards de dollars aujourd’hui) par le congrès reste de l’ordre du théâtre comique. Dans le même temps, le déficit extérieur peut ne pas connaître de limite (948 Milliards de dollars en 2022). Les partenaires des USA acceptent sans difficulté la contrepartie monétaire d’un tel besoin de financement car sa liquidité est la plus importante du monde. Tout dollar est parfaitement convertible en n’importe quelle marchandise ou en n’importe quel actif et ce en quantité illimitée. A l’inverse des Roupies figurant aujourd’hui sur des comptes bancaires russes, les dollars figurent sur des comptes répartis sur la totalité de la planète et personne ne se soucie de leur parfaite convertibilité. L’énorme besoin de financement du pays n’est en aucune façon un sac trop lourd et se trouve à l’inverse une opportunité pour un fête continue. Et l’énorme émission monétaire qui se cache dans le doublement des actifs financiers depuis 2007 ne donne pas lieu à une inflation notable. Les USA ne sont pas l’Inde.

C’est cela que l’on appelle privilège du dollar.

Ce privilège de part son fonctionnement semble devoir logiquement se renforcer.

Son point de départ relève évidemment de la fin de la seconde guerre mondiale. A l’époque, l'Amérique était devenue l’usine du monde et, en correspondance, sa monnaie était au sommet de la hiérarchie. L’Amérique de l’époque aurait pu -entre autres- accepter des paiements en monnaies européennes, ce qui l’aurait amenée à stocker des monnaies inutilisables, donc des actifs sans valeur, un peu comme la Russie aujourd’hui au regard de l’Inde.  Rationnellement, elle a préféré le paiement à partir de crédits en dollars aux pays en cours de reconstruction. En élargissant le périmètre de ces crédits (plan Marshall) les USA assurent des débouchés à son industrie et font du dollar la monnaie la plus recherchée car la plus utilisable partout dans le monde.

La reconstruction achevée, la mondialisation qui va suivre ne peut que renforcer le privilège. La libre circulation du capital qui va se mettre en place s’opère d’abord sur l’actif déjà le plus liquide et donc va renforcer le rôle du dollar : les autres actifs ne peuvent avoir la même profondeur de marché et donc au nom de la sécurité, il vaut mieux choisir le dollar plutôt que le franc ou la pesetas. Mais, en choisissant le dollar, on rend encore plus liquide les actifs en question -ce qu’on appelle la profondeur de marché- ce qui augmente par effet de contagion les émissions en dollars et le libellé de tous les outils de sécurisation financière lesquels s’homogénéisent autour du dollar. Progressivement, le monde de l’international ne peut utiliser que le langage du dollar. Le privilège du dollar est donc aussi un effet de foule sans doute difficile à endiguer.

Même chose pour la libre circulation des marchandises -bientôt devenues  ensembles complexes et quasi infinies de chaînes de la valeur- qui fera que le contenu importé de chaque exportation dans le monde ne pourra que croître. Un tel contexte ne peut accepter pour chaque étape des contrats en monnaies nationales soumises à des parités mouvantes. Il faut facturer, à chaque échelon, dans la même devise et là encore, par un phénomène de foule, les contrats seront libellés en dollars tout au long de la chaîne. La sécurisation d’une chaîne et donc la minimisation du coût des risques de change passe donc par le dollar.  La tendance générale est donc, non pas la fin de l’hégémonie du dollar, mais au contraire sa conservation. C’est cette tendance qui explique que la fin très officielle de la libre convertibilité du dollar le 15 aout 1971 ( fin des accords de Bretton Woods), loin de correspondre à la fin du dollar ne fut que le début d’une nouvelle et fulgurante ascension.

Peut-il y avoir dédollarisation ?

 On peut l’attaquer aujourd’hui en limitant les modalités et les conditions de son utilisation. C’est curieusement le gouvernement américain qui, lui-même, semble vouloir limiter la liquidité et la crédibilité du dollar.   Par exemple les USA ont décidé d’un embargo sur les réserves en dollars de la Russie. Il faut savoir qu’un tel embargo est à priori efficace puisque tout actif libellé en dollar est de fait tenu par une banque américaine censée obéir à l’exécutif. Par exemple, le pouvoir Russe peut détenir des comptes en dollars dans des banques étrangères non américaines mais ces comptes ne sont que la contrepartie de comptes qui eux-mêmes relèvent de la gestion d’une banque américaine. Ainsi une entreprise russe exportatrice de matériels militaires en Inde peut exiger un paiement en dollars sur un compte qu’elle possède à New Delhi…mais ce paiement en dollar mobilisera en contrepartie un compte de banque américaine… Théoriquement, l’embargo peut donc être extraordinairement puissant et développer l’indisponibilité d’un dollar pour lequel il faudrait lui trouver un substitut. Pour autant un tel geste ne déclenche pas un mouvement de conversion au profit de monnaies devenues subitement plus utilisables. D’abord parce que tous les pays ne sont pas sanctionnés, mais surtout parce qu’en termes d’Etat de droit ou d’illibéralisme les USA apparaitront toujours comme plus libéraux que les autres. La fragmentation géopolitique du monde est en marche et les grands blocs qui semblent apparaitre (Occident global, Est Global et sud Global) sont eux-mêmes fragmentés. Sans doute pourra-t-il émerger ici ou là des échanges en monnaies nationales qui resteront en concurrence entre-elles. Mais c’est cette concurrence qui précisément va maintenir le privilège du dollar : les divers signes  monétaires peuvent  se faire concurrence mais le meilleur d’entre-eux restera le dollar. Pour une véritable disparition du privilège du dollar il faudrait une toute autre transformation, par exemple celle très utopique examinée dans nos articles des 3 et 9 mai 2023 (« Avenir probable des banques centrales »).

 

 

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16 mars 2021 2 16 /03 /mars /2021 10:39

Nous reproduisons ci-dessous un article publié sur le blog le 18 novembre 2017. Il nous parait important, non pas de l’actualiser, mais de représenter ce que nous pensions être la fiche d’identité des crypto-monnaies.

En fin d’article on annonçait déjà la possible arrivée des banques centrales et des Etats sur la question. Nous parlions toutefois d’hypothèse « hardie ». Ce temps est pourtant arrivé comme l’a montré notre  article du 18 janvier dernier publié sur le blog : « l’enjeu politique des monnaies digitales de banques centrales » http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/01/l-enjeu-politique-des-monnaies-digitales-de-banques-centrales.html.

Curieusement les technologies numériques peuvent assurer le grand retour des Etats vers ce qui constituait leur naissance. Tout aussi curieusement ces Etats se penchent aujourd’hui, sans s’en rendre compte, sur leur passé et ce qui était  leur façon d’imprimer leur puissance, à partir d’un objet que l’on va inventer, et qu’on appellera monnaie. Dans les sciences humaines comme dans nombre d’autres sciences, la connaissance de l’existant présent et de son devenir ne peut être atteinte que par une bonne connaissance du passé lointain. Connaitre l’avenir de la monnaie passe par la connaissance de son passé et en particulier celle de son émergence.

Relisons le texte intégral publié sur le blog le 18 novembre 2017 ( Ce qu’il faut savoir sur le Bitcoin). En particulier relisons la fin du texte en caractères gras.

Texte intégral :

Nous voudrions présenter ici ce que l’on pourrait appeler la fiche d’identité de ces étranges objets que sont les crypto- monnaies et en particulier le bitcoin[1].

Ce que le bitcoin n’est pas

En tout premier lieu il ne s’agit pas d’une monnaie légale dont les caractéristiques seraient définies par un Etat. Son appellation ne fait l’objet d’aucun texte légal. Il n’est pas unité de compte, ne dispose pas de règles de monnayage et son pouvoir libératoire n’est que contractuel. A l’inverse - en dehors des monnaies locales - toutes les monnaies qu’elle que soit leur nature (centrale, fiduciaire, scripturale) ont pour support, directement ou indirectement, un Etat ou un ensemble d’Etats. La monnaie scripturale privée, qui fait aujourd’hui l’essentiel de la masse monétaire, est aussi légale que la monnaie publique et ses émetteurs privés épousent les définitions données par l’Etat qui les accueille.

On pourrait penser que le bitcoin n’est qu’une variété monétaire nouvelle à l’instar de ces néo monnaies que l’on trouve maintenant en Asie et il est vrai que son utilisateur est incité à le penser. La différence est pourtant essentielle et les néo monnaies restent de la monnaie légale classique, de fait émise par des banques classiques dont la forme numérisée ne fait qu’ajouter de la compétitivité à des institutions qui demeurent ce qu’elles sont.

Si donc, des « mineurs »[2] - les créateurs des bitcoin – décidaient de payer l’impôt avec ce type de support ils seraient éconduits avec suspicion de faux monnayage. Depuis leur naissance, voici plusieurs milliers d’années, les Etats choisissent le support dans lequel ils perçoivent l’impôt et ce support est monnaie légale créée directement ou indirectement par eux. De fait les « mineurs » se livrent à une « émission au noir », émission qui ne peut être reconnue, sauf dans des cas très particuliers comme celui du Japon[3].

Le Bitcoin n’est pas une monnaie privée car il n’est pas émis par une institution disposant d’une licence permettant la création monétaire légale c’est-à-dire une banque.

Le bitcoin n’est pas non plus une monnaie locale dont la mission essentielle est -à l’inverse des monnaies classiques - de créer du lien social au sein d’une communauté ayant choisi de privilégier la coopération sur la compétition entre les acteurs. Alors que dans la monnaie classique, l’acheteur est en principe libre de choisir son fournisseur, le porteur de monnaie locale est plus ou moins tenu de ne choisir qu’à l’intérieur d’une communauté. Le bitcoin n’est pas - malgré ses apparences- un instrument communautaire et permet surtout de s’affranchir d’une communauté nationale et de ses composantes avec lesquelles il ne souhaite exprimer aucune solidarité. Le bitcoin n’a rien de local et efface par les vertus de l’informatique toute les distances. En particulier il peut se moquer des frontières en particulier des frontières monétaires.

Parce qu’il n’est pas une monnaie, le bitcoin ne possède pas de réelle vertu de seigneuriage[4]. Toutes le monnaies sont traditionnellement assorties de seigneuriage dont le montant est approximativement la différence entre la valeur faciale et le coût de production. L’émission par code informatique du Bitcoin n’échappe pas à cette logique. Pour autant la rémunération des « mineurs » est faible, contenue dans le code informatique, et décroit selon une progression géométrique. Ainsi tous les 21000 blocs[5] constitués, le seigneuriage est divisé par 2[6]. Cette faiblesse de la rémunération a déjà abouti à la concentration des « mineurs » lesquels se regroupent. Signalons enfin que le code informatique est conçu pour aboutir à un plafond limité de production[7] dont on pense qu’il serait atteint vers 2140.

Ce que le Bitcoin est

Il est d’abord un vecteur de sécurisation. Adossée à la blockchain[8] qui en est le support informatique, il est un outil qui garantit la sécurité et l’inviolabilité des transactions. Ces derniers caractères sont issus d’une certification rendue possible par la puissance d’ordinateurs répartis sur toute la planète.[9]

La blockchain fut semble- t-il historiquement inventée pour créer le Bitcoin mais il est vrai qu’elle est aussi une technologie plus générale permettant de diminuer considérablement les coûts de transaction sur nombre d’opérations. On peut ainsi parler d’un effondrement de coûts de transaction et de sécurisation dans l’ensemble des opérations du commerce international avec une mue du crédit documentaire. On peut aussi parler d’un véritable effondrement des coûts dans le domaine de l’assurance avec davantage de fluidité dans les relations entre assureurs quant à la répartition des indemnités, mais également la possibilité de développer les contrats intelligents et automatiques sur des micro marchés comme celui de l’assurance retard. On peut enfin parler, ce qui nous ramène à la monnaie, de la future disparition des chambres de compensation. Le Bitcoin et les cryptomonnaies en général bénéficient de cet effondrement des coûts dans toutes les opérations de transferts.

Parce qu’il est un vecteur n’utilisant plus, comme la monnaie classique, un tiers dans les transactions (la banque), il est une « non monnaie » à priori plus compétitive que la monnaie. Il n’est pas victime des coûts associés aux barrières des changes et des frais financiers imposés par des tiers (banques, et organismes financiers). Il est aussi une « non monnaie » assurant une totale confidentialité que la monnaie moderne, voire même les néo monnaies, ne peuvent plus assurer et que les vieilles monnaies (billets et pièces) garantissaient.[10] La non monnaie Bitcoin rétablit ainsi la liberté jusqu’ici assurée par les vieilles monnaies.

Bien évidemment, c’est l’anonymat qui rend précieuse cette liberté avec tout ce qui a déjà été dit sur le bitcoin, à savoir un instrument idéal pour les délits classiques, de blanchiment, d’évasion fiscale, de contournement de législation sur les contrôles des changes, etc.

« Non-monnaie privée », le bitcoin est aussi un objet ne pouvant bénéficier des systèmes de compensation existant dans les systèmes bancaires hiérarchisés classiques. Alors que les monnaies bancaires privées bénéficient d’une convertibilité en monnaie officielle, le bitcoin ne bénéficie d’aucun système de compensation et la convertibilité reste aléatoire au sein des plateformes qui le gère.

Le Bitcoin est aussi un vecteur de spéculation découlant directement de l’absence de système de compensation. Parce qu’il n’y a pas de cours de la « monnaie Société générale », de la « monnaie BNP », de la « monnaie Crédit Agricole », etc. il n’y a pas de spéculation possible entre ces différentes monnaies. A l’inverse, parce que non compensable il existe nécessairement une spéculation sur le Bitcoin. Et de ce point de vue les différentes crypto monnaies vont se concurrencer entre-elles. Celle dont la blockchain sera la plus répandue et la plus importante en infrastructures de services verra son cours augmenter tandis que les autres seront dévalorisées. A terme, on pourra voir se créer une « non monnaie unique » fonctionnant sur une blockchain considérée comme monopole d’infrastructure de réseau. Ce qui ne viendra pourtant pas apporter de solution de garantie de convertibilité et viendra conforter son statut de support de spéculation.

Le bitcoin est aussi une non monnaie d’essence déflationniste. Bien sûr il ne peut comme monnaie classique être un outil de relance de l’activité. Mais parce que son statut de non monnaie ne lui permet pas d’utiliser une quelconque planche à billets - ce que les Etats peuvent faire dans certaines limites- il est conçu comme une masse non monétaire dont la croissance diminue de façon asymptotique et donc, bien incapable de répondre à une demande de monnaie en congruence avec la croissance économique.

On pourrait certes imaginer que le Bitcoin devienne monnaie véritable si les Etats se mettaient eux aussi à fabriquer des cryptomonnaies. Il s’agit là d’une hypothèse, parfois évoquée, mais à tout le moins hardie.

Certes on retrouverait dans cette situation un retour à l’ordre politique qui fut celui de la création des Etats. Ces derniers se sont historiquement constitués en prélevant tout ou partie de l’impôt dans la forme choisie par leurs dépenses. Tenus de payer le service des armes avec du métal précieux, ils ont aussi imposé le paiement de l’impôt sous la même forme[11]. Une crypto-monnaie construite sur une blockchain répondant au besoin d’un Etat est-elle pensable ? On peut certes penser que sur le plan de la rationalité on ne verrait que des avantages : les coûts de transaction liés aux dépenses et aux recettes publiques s’effondreraient, et on pourrait imaginer un code informatique assurant d’une part un copieux seigneuriage et d’autre part une production ajustée sur les besoins de la croissance.

 Pour autant l’hypothèse reste hardie car se pose la question de la transition vers un tel modèle. Une telle transition ne peut s’imaginer que par temps calme et l’histoire a montré que les « paléo cryptomonnaies », tel le « système de Law » ou celui des « Assignats » fut catastrophique. On voit mal aujourd’hui l’Etat Français lançant sa crypto-monnaie à l’intérieur du cadre des traités européens et renouer avec un « circuit du Trésor »[12] imposant par exemple des planchers d’achat de crypto monnaies étatiques par les banques[13]. Et on ne voit pas non plus une crypto monnaie partielle venant s’ajouter à l’euro, une crypto-monnaie dont le cours pourrait aussi devenir une épée de Damoclès supplémentaire pour le Trésor.

Le plus surprenant toutefois est que conçu dans un cadre volontairement libertarien - échapper aux Etats et à leurs monnaies- le dispositif permettant de sortir des griffes d’un Etat haï par ceux qui refusent toute forme de citoyenneté, soit récupéré par l’irréductible ennemi.

Fin de l’article :

De quoi réfléchir sur ce qui se passe aujourd’hui avec le lancement très probable des crypto-monnaies d’Etats. Notre hypothèse n’était peut-être pas véritablement hardie et un retour brutal vers un Etat puissant est une possibilité dont on anticipe les premiers indices. Alors que le bitcoin assure la souveraineté de l’individu, la crypto-monnaie étatique assurera peut-être la souveraineté d’une communauté à reconstruire.


[1]Il existe aujourd’hui de nombreuses publications. Nous recommandons en particulier le site wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bitcoin mais surtout l’ouvrage récent de Jaques Favier et Adli Tokkal Bataille : « Bitcoin la monnaie acéphale » ; Editions du CNRS ; juin 2017.

[2] On parle de « mineurs » pour le bitcoin car il est considéré que les utilisateurs du modèle informatique qui le génère sont un peu comme les chercheurs d’or qui fabriquaient la matière première de la monnaie métallique.

[3] Selon Kenneth Rogoff Le japon accorde une certaine reconnaissance du Bitcoin dans un but utilitariste, celui de devenir un centre mondial de la technologie financière.

[4] On sait que pour les billets et pièces le seigneuriage est gigantesque. Ainsi pour une pièce de 2 euros fabriquée par la Monnaie de Paris, le coût de production est de 17 centimes, coût facturé à l’Etat qui lui le revend 2 euros au système bancaire. Il en résulte un seigneuriage de 1,83 euros. On imagine que s’agissant des billets à coût proche de Zéro, le seigneuriage correspond quasiment à la valeur inscrite sur le billet.

[5] Cf note 8 sur la Blockchain.

[6] Il faut ajouter à cela le fait que la chaine de blocs est consommatrice d’énormes quantités d’électricité. Ainsi il est estimé que la création et les échanges de Bitcoin en 2020 consommeront 14000 Mégawats, soit la production annuelle d’électricité d’un pays comme le Danemark.

[7] 21 millions de Bitcoins.

[8] La Blockchain est un algorithme assurant la sécurisation des transactions, ce qu’on appelle parfois en informatique la solution au « problème des généraux byzantins ».

[9] Il faut toutefois nuancer l’idée de sécurité totale car il y a déjà eu une fraude importante due à un bug de codage informatique permettant au cours de l’été 2016 une évaporation de capital sur une blockchain concurrente du Bitcoin (l’Ethereum).

[10] La monnaie était jadis une vraie liberté et aucune traçabilité maitrisée par un tiers n’apparaissait. Les comptes bancaires aujourd’hui mobilisés dans les transactions sont traçables et effacent complétement l’anonymat.

[11] Nous renvoyons ici à l’article : « Genèse de l’Etat et genèse de la monnaie : le modèle de la potentia Multitudinis » de Fréderic Lordon et André Orléan. Cet article est publié dans un ouvrage collectif sous la direction d’Yves Citton et Fréderic Lordon : « Spinoza et les sciences sociales. D’une économie des affects à la puissance de la multitude », Editions d’Amsterdam, Coll. « cautes ! »,2008

[12] Expression que l’on doit à François Bloch-Lainé. Voir ici son cours à l’IEP de Paris : « Le Trésor Public. Introduction générale ». Voir également, François Block-Lainé et Pierre de Voguë, Le Trésor Public et le mouvement général des fonds, PUF, 1960.

 

[13] A l’instar de ce qui existait dans les années 50/60 qui imposait aux banques des « planchers de bons du Trésor » c’est-à-dire l’achat obligatoire de bons de la dette publique.

 

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21 octobre 2019 1 21 /10 /octobre /2019 13:06

A un moment où le rapport McKinsey concernant les grandes difficultés bancaires à l'échelle mondiale vient d'être publié, il nous a semblé intéressant de reconduire l'un des derniers débats organisés par THINKERVIEW. Bonne écoute à toutes et à tous.

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20 décembre 2017 3 20 /12 /décembre /2017 09:04

          

L’idée selon laquelle le système financier se serait transformé en gigantesque casino est devenue courante. Avec l’apriori suivant : tout comme au casino il n’y aurait pas de production de valeur et ce qui serait gagné par les uns serait strictement compensé par les pertes des autres.

Tentons toutefois d’apporter quelques éclaircissements à cette comparaison couramment utilisée par les critiques de la finance.

Des producteurs de valeur ajoutée ou de gains à l’échange semblables

Tout d’abord il y a lieu de s’interroger sur l’apport du Casino. Par exemple, quel est le résultat du jeu de l’échange sur les tables de roulettes ? Manifestement les salles de roulettes sont l’équivalent d’un atelier de production de valeur ajoutée classique, et valeur ajoutée faite d’une production ( les sommes nettes perdues par les joueurs diminuées des consommations intermédiaires). Il y a activité spéculative, paris effectués sur des numéros ou des couleurs,  et ce qui est gagné ou perdu par les joueurs est strictement équivalent à ce qui est gagné ou perdu par la banque. Simplement les règles sont ainsi faites que les probabilités de gain de la Banque sont supérieures à celles des joueurs. De quoi payer les charges de fonctionnement et le profit réclamé par les propriétaires.

Non seulement, il y a production de valeur au sens de la comptabilité nationale, laquelle ne pourra distinguer une salle de roulettes d’une usine d’assemblage de voitures, mais il y a aussi au sens de la théorie économique un véritable gain à l’échange : Le propriétaire du casino gagne à répondre positivement à la passion du jeu, et les joueurs gagnent à pouvoir s’adonner à leur passion.

Il y a également production de valeur au niveau des salles de marché, lesquelles ressemblent – au-delà des technologies utilisées – aux salles de roulettes. Donc production de valeur au sens de la comptabilité nationale et production de valeur au sens de la théorie économique.

La comparaison, à connotation négative, du monde financier avec les jeux de casino est ainsi peut-être non fondée.

Mais nous ne sommes qu’au début de la comparaison.

Le statut du futur : probabilisable ou incertitude radicale ?

Les règles du jeu de roulette sont simples et connues de tous les participants. Il s’agit donc d’un marché dans lequel l’information est parfaite, sans asymétrie, avec, pour les joueurs, liberté de ne pas entrer dans le marché. L’environnement des salles de roulette est particulièrement stable, en particulier les mouvements de la société n’affectent guère le résultat du jeu. Point n’est besoin de relier la salle à Reuters ou Bloomberg : le mouvement du monde n’affecte pas le hasard de la rencontre entre la boule et un numéro. Et les « états du monde » sont parfaitement connus : probabilité de 1/36 pour les numéros, de 1/2 pour une couleur ou le genre d’un numéro, etc. L’avenir (le résultat du jeu) est inconnu mais il ne saurait réserver de surprise : la boule ne peut se stabiliser sur un numéro ou une couleur qui n’existe pas dans l’univers du jeu de roulette.

Le jeu du marché dans les salles de marché est d’une toute autre nature. Contrairement à ce que laissaient penser Black et Scholes, le monde des salles de marché est plus fractal que gaussien. Cela signifie que des risques extrêmes peuvent se produire, évidemment de façon totalement inattendue. Il s’agit du « Cygne noir » cher à Taleb et « cygne noir » que Mandelbraut avait théorisé dans les années 1960. Il est donc des états du monde totalement imprévisibles, d’où a priori des surprises, comme celle d’une crise financière.

 Le prix de marché remplace le numéro sortant du jeu de roulette, et ce prix est bien une extériorité qui dépend du rapport entre des hommes, rapport entre offre et demande, rapport qu’aucun ne maitrise et sur lequel tous exercent une influence en continue. Au jeu de roulette, la boule se stabilise. Personne ne peut connaitre son numéro d’ancrage, parce que le calcul théorique qui relève de la simple mécanique est tellement complexe, qu’il n’est pas maitrisable par le physicien, d’où l’impression que le résultat relève du hasard.

Le prix d’un contrat sur le marché à terme est d’une autre nature. Les causes du prix sont aussi infiniment complexes, d’où le trop facile et sans doute rassurant passage vers un monde gaussien alors même qu’il en est très éloigné. Prix et hommes agissent en boucle continue avec parfois des sauts déterminés par la contagion des croyances et rumeurs. C’est précisément parce qu’il y a du « social » dans la finance que le futur n’est pas probabilisable. Et c’est, à l’inverse, parce qu’il n’y en a pas dans les salles de jeu que le futur y est probabilisable.

Le caractère non probabilisable du futur dans la finance n’est certes pas confortable, mais il y a hélas beaucoup plus grave : l’inégalité fondamentale entre les joueurs.

Les règles du jeu : claires ou porteuses d’asymétries radicales ?

A l’inverse des salles de jeu où d’une certaine façon la population est homogène au regard du jeu -malgré sa grande hétérogénéité de fait (niveau d’instruction, de richesse etc.)- le monde de la finance est extrêmement hétérogène. Et cette hétérogénéité se reconnait d’abord dans l’asymétrie d’informations, peut-être ensuite dans l’asymétrie de pouvoir de manipulation. Et le tout rend « élastique » le patrimoine financier d’une collectivité. Ce qui signifie que le monde de la finance est celui où tous peuvent gagner  et où tous peuvent  perdre alors que dans les salles de jeu les patrimoines restent constants : ce qui est gagné par certains est perdu par d’autres. Reprenons ces différents points.

L’asymétrie d’informations est banale et correspond au fait que tous ne disposent pas du même niveau de connaissance concernant la réalité des produits et la réalité des marchés. Plutôt que de parler d’asymétrie d’information, il vaudrait peut-être mieux parler d’asymétrie de connaissances. Au fond personne ne sait, puisque le prix est fonction d’une foule d’actions et de réactions, correspondant à une multitude d’informations. Et le plus souvent, actions et réactions sur la base d’une chaine de causalités qui n’est pas scientifiquement établie. De ce point de vue, le prix surplombe les acteurs du marché autant que le surnaturel pouvait surplomber les hommes de la pré modernité : il reste encore assez largement inaccessible et mystérieux. Pour autant, tous ne sont pas au même niveau de méconnaissance, et certains monopolisent des informations inaccessibles à beaucoup d’autres. C’est le cas des mathématiciens constructeurs de produits - algorithmes-  qui précisément apparaitront comme exotiques pour beaucoup d’acteurs. C’est aussi le cas de ceux qui maitrisent le mieux la vitesse de transmission de l’information en se trouvant par exemple plus proche de sa source. Exemple qui nous fait penser au trading informatisé et à la sophistication des algorithmes. Mais c’est aussi bien sûr, le cas de ceux qui disposent d’informations confidentielles et flirtent avec la notion de délit d’initié : il ne saurait- quoiqu’on en dise- exister de muraille de Chine dans les grandes institutions financières.

Cette première asymétrie est fondamentale et permet de comprendre l’énormité des rémunérations des plus talentueux, avec la fantastique résistance à toute modération des bonus. De ce point de vue, le risque de délocalisation est très réel et il sera impossible de réglementer sérieusement les rémunérations des principaux acteurs. Traders des marchés financiers et croupiers des salles de jeux, ne sont pas dans le même monde, et parce qu’aucune connaissance rare et stratégique n’est exigée chez ce dernier, sa rémunération ne sera guère comparable à celle du trader. Les énormes rémunérations des financiers peuvent partiellement relever d’un talent (ils apportent de la valeur en sécurisant ou en diminuant le coût d’une transaction), mais elles relèvent aussi d’une rente de situation.

L’asymétrie du pouvoir de manipulation est sans doute ce qui prolonge assez naturellement l’asymétrie des connaissances. Les cours, sur les marchés financiers, sont manipulables par les plus puissants, surtout s’ils disposent des possibilités de la globalisation financière, aujourd’hui, il est vrai, partiellement remise en cause par les règles Volke, plan Vickers, lois de séparation des activités bancaires, etc. Ainsi des offres volumineuses d’achats immédiatement annulées, permettent de faire grimper un cours pendant un très court instant (quelques secondes et souvent beaucoup moins), et court instant mis à profit pour vendre. Le gain va ici chez le manipulateur de cours, gain éventuellement partageable avec celui qui aura été informé. Ce dernier cas est juridiquement un délit d’initié…qui ne peut évidemment être prouvé. La technologie fait ici barrage à l’application de la loi, et c’est l’une des  raisons pour laquelle Maurice Allais voulait conserver la cotation unique quotidienne et manuelle.

Le pouvoir de manipulation peut aussi être plus radical lorsque la loi – c'est-à-dire le tiers qui surplombe le jeu- disparait au profit des acteurs du jeu lui-même, c'est-à-dire des professionnels impliqués, à qui l’on confie la régulation du système. C’est ce qu’on a appelé la dérèglementation ou la dérégulation. Chacun sait aussi que lorsque le régulateur public existe, il est souvent capté, ou à tout le moins sollicité par les lobbystes. A titre d’exemple, la directive européenne sur les « hedge funds » et les fonds de « private equity »  a fait l’objet de 1690 propositions d’amendements en provenance de l’industrie. Beaucoup plus grave est sans doute les acteurs du comité de Bâle dans lesquels les Etats ne sont même pas représentés.

« L’élasticité du volume des patrimoines financiers », fait qu’à l’inverse des tables de jeux, des bulles vont régulièrement se former, et  exploser tout aussi régulièrement. Parce que les objets financiers ne sont jamais une réalité, pensons au Bitcoin, mais une simple représentation ou un simple reflet, et quelquefois même reflet de reflet pour les produits les plus complexes, il y a toujours incertitude quant à leur valeur objective. Et incertitude concrètement vérifiée, par le mouvement incessant des hausses et des baisses de prix. A l’inverse de nombre de marchandises réelles classiques, une hausse de prix, peut entrainer une augmentation de la demande, entrainant une nouvelle hausse, et par un processus de contagion mimétique, développer une bulle. Il en résulte des phénomènes d’enrichissement, ou d’appauvrissement globaux, gravement perturbateurs à l’échelle macroéconomique. Et effets accrus en raison des interventions des banques centrales qui- à titre d’exemple-  développent  des hausses par le biais du « Quantitative Easing ».

La machine à produire d’incorrigibles inégalités.

Les différentes asymétries et bulles intrinsèques à la finance, sont génératrices d’une aggravation des inégalités sociales, et inégalités plus ou moins bien supportées selon les codes et normes sociales en vigueur, et donc selon les pays. De ce point de vue, l’emprise toujours plus grande des salles de marché, est beaucoup plus insupportable là où la passion de l’égalité est encore en vigueur (France), que là où la liberté est une valeur beaucoup plus importante que l’égalité (Grande Bretagne).

Le Fordisme classique, redistribuait d’autant plus volontiers les gains de productivité, que le lieu d’où ils jaillissaient, était outil de production construit et utilisé collectivement. Il était difficile de savoir, quel ingénieur, quel agent de maitrise ou ouvrier, était plus responsable que d’autres dans l’émergence du surplus de production. D’où, à l’époque, le caractère très contenu des échelles de rémunération. La salle de marché, est un rassemblement d’individus autour d’un outil technique, qui permet de lire à l’euro près ce que tel ou tel agent produit. L’atelier fordien était lieu de production indivise. La salle de marché est peuplée d’artisans, et chacun exige un bonus qui est une fraction d’une production artisanale très personnalisée.

Maintenant, la financiarisation du réel étant en pleine expansion, se met en place les deux lames d’un ciseau, qui d’un côté, tend vers une hausse sans limite des rémunérations liées à la finance, et de l’autre, une pression sur les basses rémunérations dans le secteur de la « réalité », en raison des délocalisations facilitées par ce que nous appelions les « autoroutes de la finance ». Les salles de jeu appauvrissent fréquemment ceux qui jouent trop souvent (il existe un biais statistique en faveur du propriétaire du casino), mais les salles de marché appauvrissent ceux qui ne participent pas aux jeux financiers, ou plus exactement, tendent à déchirer les mondes où la valeur de l’égalité, était croyance et projet collectif. Ainsi, et d’une certaine façon, les salles de jeu ne développent pas d’effets externes majeurs ( a priori pas trop de pollution) tandis que les salles de marché développent des externalités négatives de grande ampleur.

Il ne reste que des paris sur fluctuations de prix ….à prix fort élevé.

Les salles de roulettes, au surplus non reliées au sein d’une chaine planétaire, sont le lieu de spéculations aux conséquences simplement microéconomiques. Les salles de marché complètement intégrées sont le lieu de paris aux conséquences macroéconomiques mondiales. Cette démesure de la finance apparait pourtant très utile : elle assure en principe la sécurité des transactions, permet de lutter contre l’incomplétude des contrats, et diminue considérablement les couts correspondants. Concrètement, le marché à terme du kérosène et les gigantesques contrats auxquels il va donner naissance, permet aux compagnies aériennes d’avoir de la visibilité sur une consommation intermédiaire représentant l’essentiel des coûts desdites compagnies. Et des coûts qui seraient autrement plus élevés s’il fallait se sécuriser par des stocks privés sur l’ensemble des aéroports utilisés. Et bien évidemment ce marché à terme sera d’autant plus satisfaisant pour ces acteurs s’il est fortement nourri par de la liquidité c’est-à-dire par la présence d’une multitude d’autres acteurs qui, regards rivés sur des écrans, n’ont pas à connaitre la nature profonde de l’actif travaillé c’est-à-dire du kérozène…

Ces agents infiniment plus nombreux que les compagnies aériennes sont des financiers qui peuvent se nommer « parieurs sur fluctuations de prix » et sont pourtant généralement faussement désignés « investisseurs ». Il s’agit bien sûr des spéculateurs. Et spéculateurs dont on sait qu’ils sont -en raison de leur poids-  les acteurs en position quasi hégémonique sur le marché.

Leur apport est ambigü et ne peut être mesuré facilement par la valeur ajoutée de la comptabilité nationale. Très certainement, les paris sur fluctuations de prix, prennent une place croissante dans la valeur ajoutée bancaire, notamment au niveau des méga-banques américaines. Pour autant, on sait depuis le regretté Alfred Sauvy, que l’une des insuffisances de la comptabilité nationale, est de sommer des valeurs ajoutées… qu’il faudrait pourtant de temps en temps soustraire. Et chacun peut avoir en tête, pour en rester à l’exemple des hydrocarbures la consommation de carburant supplémentaire, provoquée par les bouchons dans les villes.

Replacé dans le contexte des salles de marché, les valeurs créées doivent-elles être ajoutées ou retranchées à la richesse nationale produite ? Il est possible de répondre à la question en la transformant : l’interdiction des paris sur fluctuations de prix déboucherait-elle sur une baisse relative du PIB ? Réponse assurément positive, si l’interdiction en questions (devises, matières premières, titres , etc.) aboutissait à des grippages de l’économie réelle : moins d’échanges risqués et davantage de stocks à financer pour contrer une trop grande volatilité des prix, demande globale en baisse par « effet richesse » devenu assez probablement négatif, etc.

Microéconomie et Macroéconomie

Et cette conclusion est banalement la bonne réponse car il est clair que si les entreprises de l’économie réelle se prêtent de plus en plus massivement aux jeux financiers (aujourd’hui tout est objet de financiarisation depuis les taux de change jusqu’aux produits viviers les plus banaux) c’est en raison de calculs microéconomiques simples : la financiarisation généralisée permet de diminuer les coûts d’une gestion plongée dans la globalisation et la mondialisation. Exprimée de façon plus savante, l’hypertrophie financière se développe tant que les coûts de la couverture des risques restent inférieurs au supplément de profit obtenu par ladite couverture. Et si les coûts diminuent en raison des gains de productivité issus d’une technologie financière plus performante, il y a de la place au développement de cette boursoufflure sur le visage des sociétés. Il est donc compréhensible que des  entreprises de l’économie réelle s’équipent- directement ou indirectement- de véritables salles de marché avec un nombre d’emplois créés rivalisant avec ceux du métier de base qui traditionnellement les définissait dans l’ancien monde.

Les externalités microéconomiques de la finance sont donc globalement positives. Son gigantisme est le produit d’une volonté de réduction des risques des agents de l’économie réelle, risques partagés et reportés sur une multitude considérable d’acteurs, et multitude qui fait la taille a priori aberrante de la finance. A cet égard, peu de transactions paraissent illégitimes et même le rachat d’actions à partir de dettes nouvelles et donc de création monétaire est micro économiquement compréhensible. Plus globalement les modèles économétriques tels ceux construits par Natixis (Flash Eco N°1495) révèlent que la croissance économique est positivement reliée à celle de la finance

Par contre la financiarisation développe des externalités dotées d’une puissance illimitée et possiblement catastrophique au plan macroéconomique. Dire cela constitue une banalité puisqu’il s’agit d’une réalité empiriquement constatée : les périodes de répression financière sont historiquement celles d’une forte croissance tandis que les périodes de libéralisation furent marquées par des crises de grande ampleur, d’abord financière, puis économiques, et parfois des catastrophes politiques. Parce que le système financier est systémique et que le shadow banking n’est pas séparable du système bancaire, tout défaut ou risque de défaut de quelque importance développe des externalités à l’échelle planétaire.

Les banques doivent-elles conserver un quasi-monopole dans la création monétaire ?

Il faut pourtant s’interroger sur ces périodes de déréglementation ou libéralisation financière. A chaque fois, il s’agit de libéraliser le processus de création monétaire en le laissant dans la main des banques, de sorte que toute addition de monnaie corresponde aussi à de la dette supplémentaire : il n’y a pas ou plus de monnaie sans dette assortie d’un taux de l’intérêt. Si maintenant il y a croissance économique avec libéralisation de tous les prix y compris des taux de change et totale libération du mouvement des capitaux, on comprend qu’il y a là tous les ingrédients propres à augmenter considérablement la base monétaire (pour des PIB croissants, des déséquilibres aussi bien budgétaires qu’extérieurs, des besoins de couverture, etc.). On comprend aussi puisque la base monétaire n’est que de la dette, que ces phénomènes sont inéluctablement engendreurs de risques de défauts  croissants ….qu’il faut couvrir par de nouveaux produits financiers….dont la matière première est une consommation supplémentaire de dette…Le cercle est bouclé.

Quand, maintenant, nombre d’experts, claironnent sur les risques d’un modèle de croissance qui reposerait sur de la dette, et s’alarment du fait que la dette cumulée mondiale serait passée de 234,6% du PIB mondial en 2006 à 275% en 2016, ils se trompent en affirmant que les leaders politiques n’ont pas entrepris les réformes structurelles requises pour restaurer la croissance. Le vrai problème n’est pas au cœur de l’économie réelle mais dans celui de la finance qui ne devrait plus produire de la monnaie sur la base d’une dette. Nous entrons là dans le grand débat de la monnaie pleine.

 

 

 

 

 

 

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18 novembre 2017 6 18 /11 /novembre /2017 15:42

 

Nous voudrions présenter ici ce que l’on pourrait appeler la fiche d’identité de ces étranges objets que sont les crypto- monnaies et en particulier le bitcoin[1].

Ce que le bitcoin n’est pas

En tout premier lieu il ne s’agit pas d’une monnaie légale dont les caractéristiques seraient définies par un Etat. Son appellation ne fait l’objet d’aucun texte légal. Il n’est pas unité de compte, ne dispose pas de règles de monnayage et son pouvoir libératoire n’est que contractuel. A l’inverse - en dehors des monnaies locales - toutes les monnaies qu’elle que soit leur nature (centrale, fiduciaire, scripturale) ont pour support, directement ou indirectement, un Etat ou un ensemble d’Etats. La monnaie scripturale privée, qui fait aujourd’hui l’essentiel de la masse monétaire, est aussi légale que la monnaie publique et ses émetteurs privés épousent les définitions données par l’Etat qui les accueille.

On pourrait penser que le bitcoin n’est qu’une variété monétaire nouvelle à l’instar de ces néo monnaies que l’on trouve maintenant en Asie et il est vrai que son utilisateur est incité à le penser. La différence est pourtant essentielle et les néo monnaies restent de la monnaie légale classique, de fait émise par des banques classiques dont la forme numérisée ne fait qu’ajouter de la compétitivité à des institutions qui demeurent ce qu’elles sont.

Si donc, des « mineurs »[2] - les créateurs des bitcoin – décidaient de payer l’impôt avec ce type de support ils seraient éconduits avec suspicion de faux monnayage. Depuis leur naissance, voici plusieurs milliers d’années, les Etats choisissent le support dans lequel ils perçoivent l’impôt et ce support est monnaie légale créée directement ou indirectement par eux. De fait les « mineurs » se livrent à une « émission au noir », émission qui ne peut être reconnue, sauf dans des cas très particuliers comme celui du Japon[3].

Le Bitcoin n’est pas une monnaie privée car il n’est pas émis par une institution disposant d’une licence permettant la création monétaire légale c’est-à-dire une banque.

Le bitcoin n’est pas non plus une monnaie locale dont la mission essentielle est -à l’inverse des monnaies classiques - de créer du lien social au sein d’une communauté ayant choisi de privilégier la coopération sur la compétition entre les acteurs. Alors que dans la monnaie classique, l’acheteur est en principe libre de choisir son fournisseur, le porteur de monnaie locale est plus ou moins tenu de ne choisir qu’à l’intérieur d’une communauté. Le bitcoin n’est pas - malgré ses apparences- un instrument communautaire et permet surtout de s’affranchir d’une communauté nationale et de ses composantes avec lesquelles il ne souhaite exprimer aucune solidarité. Le bitcoin n’a rien de local et efface par les vertus de l’informatique toute les distances. En particulier il peut se moquer des frontières en particulier des frontières monétaires.

Parce qu’il n’est pas une monnaie, le bitcoin ne possède pas de réelle vertu de seigneuriage[4]. Toutes le monnaies sont traditionnellement assorties de seigneuriage dont le montant est approximativement la différence entre la valeur faciale et le coût de production. L’émission par code informatique du Bitcoin n’échappe pas à cette logique. Pour autant la rémunération des « mineurs » est faible, contenue dans le code informatique, et décroit selon une progression géométrique. Ainsi tous les 21000 blocs[5] constitués, le seigneuriage est divisé par 2[6]. Cette faiblesse de la rémunération a déjà abouti à la concentration des « mineurs » lesquels se regroupent. Signalons enfin que le code informatique est conçu pour aboutir à un plafond limité de production[7] dont on pense qu’il serait atteint vers 2140.

Ce que le Bitcoin est

Il est d’abord un vecteur de sécurisation. Adossée à la blockchain[8] qui en est le support informatique, il est un outil qui garantit la sécurité et l’inviolabilité des transactions. Ces derniers caractères sont issus d’une certification rendue possible par la puissance d’ordinateurs répartis sur toute la planète.[9]

La blockchain fut semble- t-il historiquement inventée pour créer le Bitcoin mais il est vrai qu’elle est aussi une technologie plus générale permettant de diminuer considérablement les coûts de transaction sur nombre d’opérations. On peut ainsi parler d’un effondrement de coûts de transaction et de sécurisation dans l’ensemble des opérations du commerce international avec une mue du crédit documentaire. On peut aussi parler d’un véritable effondrement des coûts dans le domaine de l’assurance avec davantage de fluidité dans les relations entre assureurs quant à la répartition des indemnités, mais également la possibilité de développer les contrats intelligents et automatiques sur des micro marchés comme celui de l’assurance retard. On peut enfin parler, ce qui nous ramène à la monnaie, de la future disparition des chambres de compensation. Le Bitcoin et les cryptomonnaies en général bénéficient de cet effondrement des coûts dans toutes les opérations de transferts.

Parce qu’il est un vecteur n’utilisant plus, comme la monnaie classique, un tiers dans les transactions (la banque), il est une « non monnaie » à priori plus compétitive que la monnaie. Il n’est pas victime des coûts associés aux barrières des changes et des frais financiers imposés par des tiers (banques, et organismes financiers). Il est aussi une « non monnaie » assurant une totale confidentialité que la monnaie moderne, voire même les néo monnaies, ne peuvent plus assurer et que les vieilles monnaies (billets et pièces) garantissaient.[10] La non monnaie Bitcoin rétablit ainsi la liberté jusqu’ici assurée par les vieilles monnaies.

Bien évidemment, c’est l’anonymat qui rend précieuse cette liberté avec tout ce qui a déjà été dit sur le bitcoin, à savoir un instrument idéal pour les délits classiques, de blanchiment, d’évasion fiscale, de contournement de législation sur les contrôles des changes, etc.

« Non-monnaie privée », le bitcoin est aussi un objet ne pouvant bénéficier des systèmes de compensation existant dans les systèmes bancaires hiérarchisés classiques. Alors que les monnaies bancaires privées bénéficient d’une convertibilité en monnaie officielle, le bitcoin ne bénéficie d’aucun système de compensation et la convertibilité reste aléatoire au sein des plateformes qui le gère.

Le Bitcoin est aussi un vecteur de spéculation découlant directement de l’absence de système de compensation. Parce qu’il n’y a pas de cours de la « monnaie Société générale », de la « monnaie BNP », de la « monnaie Crédit Agricole », etc. il n’y a pas de spéculation possible entre ces différentes monnaies. A l’inverse, parce que non compensable il existe nécessairement une spéculation sur le Bitcoin. Et de ce point de vue les différentes crypto monnaies vont se concurrencer entre-elles. Celle dont la blockchain sera la plus répandue et la plus importante en infrastructures de services verra son cours augmenter tandis que les autres seront dévalorisées. A terme, on pourra voir se créer une « non monnaie unique » fonctionnant sur une blockchain considérée comme monopole d’infrastructure de réseau. Ce qui ne viendra pourtant pas apporter de solution de garantie de convertibilité et viendra conforter son statut de support de spéculation.

Le bitcoin est aussi une non monnaie d’essence déflationniste. Bien sûr il ne peut comme monnaie classique être un outil de relance de l’activité. Mais parce que son statut de non monnaie ne lui permet pas d’utiliser une quelconque planche à billets - ce que les Etats peuvent faire dans certaines limites- il est conçu comme une masse non monétaire dont la croissance diminue de façon asymptotique et donc, bien incapable de répondre à une demande de monnaie en congruence avec la croissance économique.

On pourrait certes imaginer que le Bitcoin devienne monnaie véritable si les Etats se mettaient eux aussi à fabriquer des cryptomonnaies. Il s’agit là d’une hypothèse, parfois évoquée, mais à tout le moins hardie.

Certes on retrouverait dans cette situation un retour à l’ordre politique qui fut celui de la création des Etats. Ces derniers se sont historiquement constitués en prélevant tout ou partie de l’impôt dans la forme choisie par leurs dépenses. Tenus de payer le service des armes avec du métal précieux, ils ont aussi imposé le paiement de l’impôt sous la même forme[11]. Une cryptomonnaie construite sur une blockchain répondant au besoin d’un Etat est-elle pensable ? On peut certes penser que sur le plan de la rationalité on ne verrait que des avantages : les coûts de transaction liés aux dépenses et aux recettes publiques s’effondreraient, et on pourrait imaginer un code informatique assurant d’une part un copieux seigneuriage et d’autre part une production ajustée sur les besoins de la croissance.

 Pour autant l’hypothèse reste hardie car se pose la question de la transition vers un tel modèle. Une telle transition ne peut s’imaginer que par temps calme et l’histoire a montré que les « paléo cryptomonnaies », tel le « système de Law » ou celui des « Assignats » fut catastrophique. On voit mal aujourd’hui l’Etat Français lançant sa crypto-monnaie à l’intérieur du cadre des traités européens et renouer avec un « circuit du Trésor »[12] imposant par exemple des planchers d’achat de crypto monnaies étatiques par les banques[13]. Et on ne voit pas non plus une crypto monnaie partielle venant s’ajouter à l’euro, une crypto-monnaie dont le cours pourrait aussi devenir une épée de Damoclès supplémentaire pour le Trésor.

Le plus surprenant toutefois est que conçu dans un cadre volontairement libertarien - échapper aux Etats et à leurs monnaies- le dispositif permettant de sortir des griffes d’un Etat haï par ceux qui refusent toute forme de citoyenneté, soit récupéré par l’irréductible ennemi.

 

 

 

.

 

[1]Il existe aujourd’hui de nombreuses publications. Nous recommandons en particulier le site wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bitcoin mais surtout l’ouvrage récent de Jaques Favier et Adli Tokkal Bataille : « Bitcoin la monnaie acéphale » ; Editions du CNRS ; juin 2017.

[2] On parle de « mineurs » pour le bitcoin car il est considéré que les utilisateurs du modèle informatique qui le génère sont un peu comme les chercheurs d’or qui fabriquaient la matière première de la monnaie métallique.

[3] Selon Kenneth Rogoff Le japon accorde une certaine reconnaissance du Bitcoin dans un but utilitariste, celui de devenir un centre mondial de la technologie financière.

[4] On sait que pour les billets et pièces le seigneuriage est gigantesque. Ainsi pour une pièce de 2 euros fabriquée par la Monnaie de Paris, le coût de production est de 17 centimes, coût facturé à l’Etat qui lui le revend 2 euros au système bancaire. Il en résulte un seigneuriage de 1,83 euros. On imagine que s’agissant des billets à coût proche de Zéro, le seigneuriage correspond quasiment à la valeur inscrite sur le billet.

[5] Cf note 8 sur la Blockchain.

[6] Il faut ajouter à cela le fait que la chaine de blocs est consommatrice d’énormes consommations d’électricité. Ainsi il est estimé que la création et les échanges de Bitcoin en 2020 consommeront 14000 Mégawats, soit la production annuelle d’électricité d’un pays comme le Danemark.

[7] 21 millions de Bitcoins.

[8] La Blockchain est un algorithme assurant la sécurisation des transactions, ce qu’on appelle parfois en informatique la solution au « problème des généraux byzantins ».

[9] Il faut toutefois nuancer l’idée de sécurité totale car il y a déjà eu une fraude importante due à un bug de codage informatique permettant au cours de l’été 2016 une évaporation de capital sur une blockchain concurrente du Bitcoin (l’Ethereum).

[10] La monnaie était jadis une vraie liberté et aucune traçabilité maitrisée par un tiers n’apparaissait. Les comptes bancaires aujourd’hui mobilisés dans les transactions sont traçables et effacent complétement l’anonymat.

[11] Nous renvoyons ici à l’article : « Genèse de l’Etat et genèse de la monnaie : le modèle de la potentia Multitudinis » de Fréderic Lordon et André Orléan. Cet article est publié dans un ouvrage collectif sous la direction d’Yves Citton et Fréderic Lordon : « Spinoza et les sciences sociales. D’une économie des affects à la puissance de la multitude », Editions d’Amsterdam, Coll. « cautes ! »,2008

[12] Expression que l’on doit à François Bloch-Lainé. Voir ici son cours à l’IEP de Paris : « Le Trésor Public. Introduction générale ». Voir également, François Block-Lainé et Pierre de Voguë, Le Trésor Public et le mouvement général des fonds, PUF, 1960.

 

[13] A l’instar de ce qui existait dans les années 50/60 qui imposait aux banques des « planchers de bons du Trésor » c’est-à-dire l’achat obligatoire de bons de la dette publique.

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25 octobre 2017 3 25 /10 /octobre /2017 14:05

 

Un référendum concernant l’organisation du système monétaire sera l’an prochain organisé en Suisse. Les électeurs devront se prononcer sur l’adoption ou non du vieux principe de « monnaie pleine ». Il est curieux de constater que si nombre d’économistes étrangers débattent de la question des modalités de l’émission monétaire, aucun français – en dehors du regretté Maurice Allais-  n’aborde ce problème aujourd’hui. On trouvera ci-dessous un rappel de la question avec le concept central qui lui est associé : le « seigneuriage ».

 

Avant le seigneuriage

Sans revenir sur une très intéressante histoire de la monnaie[1], on sait que la forme primitive de celle-ci est -du point de vue des ethnologues- un instrument dont la circulation permettait de relier durablement, et probablement autoritairement, les hommes entre eux. La monnaie primitive consacrait ainsi la prééminence du tout sur les parties. Nous sommes de fait très loin des actuelles cryptomonnaies qui, à l’inverse, autorisent par le biais de la Blockchain un individualisme radical : les parties peuvent désormais oublier le tout.

On sait aussi que ces monnaies primitives vont avec le temps perdre leur statut de lien fondamental et devenir progressivement un moyen de paiement instituant la possible fin de toute réciprocité. Ce sera le cas avec le « paiement du sacrificateur » puis celui du « neuf[2] », ultérieurement encore avec les monnaies locales et les monnaies dites anonymes.

Ces dernières, parce que métalliques, deviendront progressivement les premières monnaies souveraines, par inscription symbolique du pouvoir politique sur ce qui devenait des pièces. Leur parfaite liquidité allait leur assurer une fonction réserve de la valeur toujours essentielle aujourd’hui. La frappe des monnaies issues de mines elles-mêmes politiquement contrôlées, allait devenir un monopole régalien. Désormais la « nomisma » (monnaie) devient affaire de « nomos » (la loi) qui définira  l’étalon et son « dokimon » (cours légal). C’est l’Etat qui, en imposant les règles du jeu, pourra payer ses créanciers et faire payer ses débiteurs « naturels » que sont ses sujets soumis à l’impôt.

Le seigneuriage comme enjeu de prédation

C’est à ce niveau que pourra se construire le « seigneuriage ». L’Etat naissant se fait certes créancier de ses sujets, mais il va plus loin en inventant une forme supplémentaire de prédation : Par le biais d’un jeu sur « l’aloi », il va tricher sur le contenu métallique et ainsi s’autoriser un prélèvement supplémentaire. L’histoire ultérieure sera toujours la même et aujourd’hui encore - sous des formes monétaires plus modernes- le seigneuriage se pérennise.

Simplement, il va se trouver progressivement partagé avec d’autres acteurs, notamment la finance, dans un contexte qu’il nous faut décrire. On sait que la monnaie métallique est limitée par la production minière, et qu’à ce titre elle se heurte aux besoins sans cesse croissants, de l’illimitation économique et de la thésaurisation issue de sa fonction de réserve de valeur. Il s’agit de ce qu’on appelle la « loi d’airain de la monnaie »[3] qui fait de cette dernière une denrée rare entrainant des pressions sans cesse déflationnistes. La monnaie fiduciaire est ainsi devenue progressivement un moyen de lutte contre l’implacable loi d’airain de la monnaie.

Dans ce contexte, la réalité du seigneuriage se déplace : il n’est plus simplement question de dilution (de fraude sur le contenu métallique), mais d’émettre des billets pour une valeur supérieure à la réserve de métal. Dit autrement, la réserve métallique n’est plus qu’une fraction de la masse des billets, d’où l’expression de « réserves fractionnaires ». Au-delà de quelques exemples qui furent des catastrophes historiques (Systèmes de Law puis des Assignats) ce sont plutôt les banques qui vont émettre au-delà du 100% de réserves, et ce faisant ce sont elles qui vont s’approprier -et donc privatiser- le  seigneuriage.

Cette question du seigneuriage sur la monnaie fiduciaire va se poursuivre longtemps et progressivement les Etats vont reprendre le contrôle sur la monnaie en élargissant le monopole d’émission d’une banque particulière qu’ils vont créer et qui sera désignée plus tard « banque centrale »[4].

Pour autant, le rétablissement de ce monopole ne sera pas durable et la bancarisation qui va accompagner les trente glorieuses verra le retour du seigneuriage privé. Ainsi les banques vont s’adonner à l’émission massive de monnaie scripturale. Réalité qui sera aussi celle d’une réponse aux besoins monétaires correspondant à une très forte croissance économique. Concrètement, la monnaie émise ne sera plus assise sur des dépôts, mais sur des crédits qui, eux-mêmes, vont alimenter des dépôts. Ces crédits sont donc une émission de monnaie donnant lieu à rémunération (le taux de l’intérêt), pour un coût de production nul et un coût du risque maitrisé… la différence devenant le nouveau seigneuriage privé. Aujourd’hui la masse monétaire appelée « M1 » par les spécialistes n’est plus que l’ensemble des comptes courants auxquels il faut ajouter la masse très réduite voire en voie de disparition des pièces et billets.

Ces comptes courants se développent par le biais d’une création sans retenue de monnaie nouvelle,  création résultant d’une augmentation du stock de dettes. Et puisqu’il est interdit à l’Etat de se financer auprès de sa banque centrale et de renouer avec le seigneuriage dont il pouvait bénéficier jadis, c’est le système financier qui va effectuer des crédits auprès du trésor et, à cette occasion, s’octroyer un seigneuriage d’autant plus large que le coût du risque est, jusqu’ici en matière de dette publique, proche de zéro.

C’est dans ce contexte que certains proposent la renationalisation de seigneuriage en introduisant ce qu’on appelle le « 100% monnaie » ou le principe de la « monnaie pleine ».

Le seigneuriage « resouverainisé »

Il s’agit alors d’étendre la pratique du seigneuriage jadis attribuée aux billets et aux pièces en voie de disparition, à celui de la totalité de la monnaie scripturale. De la même façon que l’émission de billets par les banques fut progressivement interdite, il s’agirait ici de reproduire le même mouvement sur la monnaie scripturale.

Concrètement, il deviendrait interdit aux banques de créer de la monnaie « à partir de rien »  (aujourd’hui simple ajout monétaire sur le compte d’un client à qui l’on octroie un crédit et qui se traduit par 2 écritures : l’une au passif et l’autre à l’actif du bilan bancaire) et de bénéficier ainsi d’un taux d’intérêt simplement justifié sur le seul risque et non sur un coût de production réel. En revanche l’émission monétaire « à partir de rien » est réservée à la seule banque centrale, émission pouvant se déployer au profit de 3 types d’agents et émission démocratiquement contrôlée :

- D’abord le Trésor lui-même, ce qui correspondrait au seigneuriage de jadis. Qu’il y ait ici un taux d’ intérêt ou pas ne change rien puisque le prix de la dette publique en cas de taux positif serait égal au profit que la banque centrale devrait reverser au Trésor. Les questions brûlantes de coût de la dette ou de son service seraient évacuées.

- Ensuite les banques elles-mêmes pourraient, par abondement de leur compte courant auprès de la banque centrale émettrice, bénéficier de monnaie créée « à partir de rien ». Ici le taux de l’intérêt demandé aux banques devient profit de la banque centrale, et profit reversé au Trésor qui voit ainsi son seigneuriage rétabli. L’ordre institutionnel que l’on croyait naturel est bouleversé : ce ne sont plus les Etats qui sont endettés vis-à-vis des banques mais les banques qui deviennent endettées vis-à-vis des Etats.

- Le cas échéant, la banque centrale peut « à partir de rien » soit créditer directement les entreprises ou les ménages, soit réaliser un profit reversé au Trésor (taux d’intérêt), soit subventionner gratuitement ces agents, et donc redistribuer le seigneuriage du Trésor au titre d’une politique publique économique ou d’une politique sociale.

Bien évidemment, le lecteur peut s’étonner de l’utilisation de l’expression « à partir de rien ». Il s’agit pourtant de ce qui se passe aujourd’hui avec les dangers que cela entraine. La politique quotidienne de la BCE, est celle d’une création monétaire « à partir de rien » et  se déroule au profit exclusif d’un système financier malade de l’économie basée sur la dette, qui produit des bilans bancaires  très alourdis d’actifs privés et publics douteux. Et c’est parce que les banques centrales peuvent produire de la monnaie « à partir de rien » que le système peut se maintenir tout en s’alourdissant. Un tel mouvement détruit l’indépendance des banques centrales qui deviennent dépendantes des banques… avec la dérive constatée, même pour les pays réputés sains.  Ainsi l’Allemagne, en longue période, voit sa masse monétaire augmenter 8 fois plus rapidement que son PIB réel.[5] On pourrait citer d’autres exemples qui, tous, aboutissent à cette prolifération gigantesque de la finance, dans un paysage de l’économie réelle, qui, elle, connait une croissance anormalement modérée.

Il est donc plus sain que le « à partir de rien » soit politiquement contrôlé par des règles du jeu qui fixent l’émission monétaire et le seigneuriage correspondant sur la base de la nouvelle richesse réelle annuellement créée. Concrètement encore, à vitesse de circulation de la monnaie inchangée, il serait possible de fixer le volume de monnaie nouvelle sur la base de la croissance prévisible. Et cette monnaie nouvelle serait autant de seigneuriage qu’il appartiendrait à l’Etat de répartir sur la base d’un contrat clair et démocratique avec sa banque centrale. De ce point de vue la politique du gouvernement algérien qui vient de décider de l’octroi par la banque centrale d’Algérie des moyens nécessaires aux charges de fonctionnement du Trésor est un « à partir de rien » contestable puisqu’il s’agit de régler le paiement programmé des salaires dans un contexte de diminution du PIB réel résultant lui- même d’un effondrement de la rente pétrolière. Ici le « à partir de rien » est directement inflationniste et correspond à un seigneuriage net égal à zéro, un peu selon le mode des périodes de guerre ou d’après-guerre.

Conséquences d’un seigneuriage « resouverainisé »

Au-delà des modifications législatives et surtout des modifications des traités que le dispositif monnaie pleine soulève, Il est bien sûr aisé de dresser une liste d’avantages :

 C’est, tout d’abord, la fin de l’exposition des Trésors aux marchés de la dette publique, avec la possibilité de limiter la pression fiscale du montant du seigneuriage, soit -pour la France- environ 40 milliards d’euros de service de la dette auquel il faudrait encore ajouter la même somme en provenance des bénéfices de la Banque centrale. C’est aussi la possibilité de choisir un dispositif d’allègement considérable des charges des entreprises par la baisse de la pression fiscale. C’est enfin la possibilité de créer le très discuté revenu de citoyenneté sans en supporter la charge budgétaire.

Bref une « combinaison de seigneuriages » jouant à la fois sur l’offre et la demande globale et donc sur une réanimation de la croissance et des perspectives positives quant au vivre ensemble.

Mais il est aussi possible d’en dresser les probables inconvénients et contournements :

Il est clair que le système financier pourra réagir à ce qui lui apparaitrait comme une insupportable mesure répressive. Alors qu’il dispose d’une matière première -la monnaie- à coût proche de zéro, désormais celle-ci devient coûteuse puisque c’est désormais à partir d’une épargne coûteuse que des prêts pourront être offerts. Ce seront les dépôts d’épargne qui feront les crédits et il n’y aura plus de crédits sans prêts. De la même façon, le marché de la dette publique disparait avec tous les avantages qui lui étaient associés en termes de sécurité et de contreparties dans les jeux financiers. Face à une telle situation on peut imaginer une possible élévation du coût de l’investissement et probablement une limitation des activités spéculatives. Les liquidités créées par la création monétaire disparaissant, la matière première de la spéculation se fera beaucoup plus rare. Le seigneuriage privé comme matière première des jeux financiers et des bulles correspondantes disparait.

Face à ce qui sera vécu comme une insupportable répression, on peut imaginer des comportements d’adaptation : délocalisation des banques, ou poursuite de l’activité sur la base d’une monnaie étrangère. On ne peut à priori pas exclure une dollarisation. Mais on peut aussi supposer une adaptation des modalités du seigneuriage, piloté par la banque centrale sous contrôle démocratique, avec des taux d’intérêt faibles pour sa partie prélevée sur le système financier.

On pourrait multiplier les scénarios de réactions issues de l’initiative « monnaie  pleine » mais il est très difficile d’imaginer toutes les conséquences possibles.

Peut-on mieux imaginer des conséquences plus globales telles, celles concernant le fonctionnement de la monnaie unique européenne ?

La monnaie pleine peut-elle solutionner la question de l’euro ?

Bien évidemment, on ne s’attardera pas sur les résistances de l’Allemagne et bien sûr la très difficile réécriture de l’article 123 du TFUE qu’il faudrait complètement renverser. Nous supposerons que cela est politiquement envisageable et accepté. On pourrait alors imaginer que le nouveau seigneuriage devienne le véhicule permettant les nécessaires transferts entre nations excédentaires et nations déficitaires. L’Allemagne trouve dans l’euro les moyens de sa prospérité[6], mais ne veut pas entendre parler des transferts vers ceux qui supportent le poids de ses excédents. Une façon de résoudre cette difficile question serait de répartir les seigneuriages calculés sur la base de la croissance potentielle sans respecter la proportionnalité des PIB des différents pays de la zone.

Concrètement, La BCE sous contrôle démocratique et sur la base d’une croissance de 2% du PIB devrait, compte tenu d’une masse monétaire M1 proche de 7000 milliards d’euros, émettre « à partir de rien » environ 140 milliards d’euros à répartir selon les PIB des divers pays. Si la répartition retenue est proportionnelle au poids de chaque pays, cela signifie que l’Allemagne en bénéficierait d’un peu plus de 40 milliards. Il faudrait alors comparer ce qui reste au bénéfice des autres pays (100 milliards) face aux besoins estimés de transferts vers le sud à partir de l’Allemagne pour assurer l’équilibre de la zone. Ces besoins sont régulièrement estimés entre 8 et 12% du PIB allemand soit entre 200 et 300 milliards d’euros. Le principe de la monnaie pleine s’avère donc insuffisant pour maintenir l’équilibre et supposerait une répartition ne respectant pas le principe de la proportionnalité alignée sur celle des PIB, mais sur un principe plus favorable au sud.

Il est très difficile d’aller plus loin, mais il semble que si l’Allemagne -en supposant son adhésion à la monnaie pleine- renonçait à son seigneuriage pour le redistribuer aux victimes de l’euro, la zone pourrait survivre dans de bien meilleures conditions. Encore faudrait-il que l’Allemagne accepte cette solution qui -sans la radicalité des transferts directs régulièrement évoqués- relève néanmoins de sa souveraineté.

La solution - très hypothétique- n’en resterait pas moins fort précaire et il faudrait que, sur de très longues années, les seigneuriages soient investis au service de l’amélioration de la compétitivité du sud. Beaucoup de conditions très difficiles à rassembler….

 

 


[1] On pourra consulter une synthèse de cette histoire, avec les références correspondantes dans : « Regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir », Jean Claude Werrebrouck, Economie appliquée, tome LXVI, 2013,N° 3 , P 151-177.

[2] CF Michel Aglietta et André Orléan: « La violence de la monnaie », PUF , 1984.

[3] CF Jean Claude Werrebrouck : « la loi d’airain de la monnaie », Revue Médium, N° 34, 2013.

[4] On aura un aperçu intéressant de ce débat en lisant l’article de JP Domin dans le numéro XLV-137, 2007 de la Revue européenne des sciences sociales : « La question du monopole d’émission de la monnaie : le débat banque centrale contre banque libre chez les économistes français (1860-1875).

[5] CF Joseph Huber dans l’opuscule « Réforme monnaie pleine » .

[6] Le FMI lui-même reconnait que l’euro permet une sous-évaluation massive du Mark autorisant une compétitivité artificielle du pays et des surplus extérieurs déloyaux.

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9 mai 2016 1 09 /05 /mai /2016 15:08

 

Il est maintenant unanimement accepté qu’il existe sur l’ensemble du monde une offre d’épargne largement supérieure à la demande d’investissements[1]. Cet excédent récurrent depuis le début du siècle est la première cause d’un affaissement progressif des taux de l’intérêt. Mais il est aussi la marque d’un déséquilibre plus fondamental entre offre globale et demande globale, et si l’incitation à investir est devenue si faible, c’est en raison de débouchés limités par le freinage des salaires.

Une hausse coordonnée et planétaire des salaires est pourtant impensable en mondialisation en raison de la liberté de circulation des marchandises et des capitaux qui font que les salaires ne sont plus un débouché fondamental mais seulement un coût[2]. La mondialisation se nourrissant de différences, la régulation d’ensemble s’est dans un premier temps manifestée par une hausse de l’endettement privé et public : ce fut le cas américain avec un achat de dette publique par une Chine excédentaire, mais aussi le cas français qui va par endettement venir combler les charges sur salaires devenues inadaptées au nouvel ordre du monde. Et ce fut aussi le cas de nombreux pays où la spéculation immobilière est venue nourrir une dette privée censée abonder des rémunérations jugées insuffisantes.

Plus on mondialise et plus le divorce fondamental entre offre et demande se renforce, et plus un excédent d’épargne viendra nourrir une dette publique ne passant plus par un investissement croissant, lequel venant nourrir une croissance qui ne sera plus celle des trente glorieuses. Le maintien relatif de cette dernière se fera sur la base de l’explosion des dettes publiques : la croissance très rapide de la Chine suppose celle des dettes publiques occidentales. Et à l’intérieur de ce modèle réduit de mondialisation que sera la zone euro, les croissances des pays périphériques seront le produit d’une véritable explosion des dettes privées et publiques (Espagne, France, Grèce, etc.)

C’est cette explosion qui a fait naitre en Europe ce que l’on a appelé la crise de la dette avec en particulier la montée des taux d’intérêt.

Les modalité concrêtes de construction de l’Euro ont interdit et interdisent encore toute forme de fédéralisme et ont débouché sous la houlette de l’Allemagne vers le développement de politiques de rigueur.

Les effets dépressifs de ces politiques se devaient d’être compensés par des politiques monétaires d’un type nouveau ce qu’on a appelé le QE déjà utilisé aux USA. De fait, l’objectif n’était pas une compensation de la rigueur économique mais un soutien au système bancaire et aux Etats victimes de taux insupportables, soutien permettant lui-même de renouer avec le financement des investissements.

Le bilan des QE se révèle aujourd’hui très limité[3]. Si l’explosion des dettes privées et publiques compensaient plus ou moins des salaires qui ne suivaient pas la croissance (cas américain) elles semblaient plus efficaces en Europe du sud où les salaires ont rapidement augmenté aves la naissance de la zone euro. D’où des forces dépressives plus importantes avec l’irruption des politiques d’austérité. D’où un QE bienvenu mais seulement compensateur des effets dépressifs, et donc ne venant pas résoudre durablement la question des débouchés des investissements potentiels.

Parce que le QE ne vient pas directement impacter l’équilibre macro-économique par une hausse directe de la demande globale , il n’augmente pas l’incitation à investir malgré des taux directeurs historiquement très faibles. De ce point de vue, la zone euro ne peut que stagner  sur un parking à l’écart de la croissance. Le QE ne fait que calmer la spéculation sur les spreads de taux , il ne débouche pas sur une dynamique d’investissements et de salaires. Le QE n’est donc pas en prise directe sur l’économie réelle.

« L’Helicopter money » (HM) évoqué par le président de la BCE sera-t-il en prise directe et si oui à quel prix ?[4]

Au-delà de sa répartition entre pays, la question est de savoir quelle est la modalité la plus efficiente : Investissements, ou « for the people » c’est-à-dire la consommation des ménages ?

Si effectivement les banques centrales deviennent organisatrices, directement ou indirectement,  de la distribution des dons ou crédits, nous nous heurtons à la question de l’éloignement du marché quant à la sélection et le périmètre  des projets. Très vaste débat que l’ultralibéralisme avait cru pouvoir régler  il y a bien longtemps. Rappelons les antiques polémiques entre Lerner, Lange et Dickinson d’un côté et Mises et Hayek de l’autre : Même si l’on est favorable à une économie de marché , ce dernier n’est pas un lieu d’ajustement passif (ce que pensaient les premiers) , mais un processus de création, lieu de toutes les innovations (ce que pensaient les seconds). Et de ce point de vue il est vrai que le choix loin du marché (règlement) brise l’innovation[5] On peut aussi se poser des questions plus juridiques : que devient le droit de la concurrence sur lequel s’appuie nombre de décisions européennes ?

Si maintenant, les banques centrales distribuent directement ou indirectement des revenus complémentaires aux ménages, il n’est pas sûr que l’on aboutisse à un schéma macroéconomique vertueux : Les ménages grecs importeront davantage et l’effet sur l’investissement porteur d’emplois se fera attendre….sauf si l’on renonce à la concurrence libre et non faussée…..ce qui réintroduit le règlement au détriment du marché….

Investissement ou consommation,  le HM est porteur d’un changement de paradigme.

Et si l’on raisonne aux limites, on peut très bien imaginer un HM « portant » l’intégralité de la masse salariale : A la banque centrale de supporter le coût du travail et à l’entreprise de bénéficier d’un surprofit équivalent à la masse salariale. Cela signifierait probablement une hausse des prix mais surtout une inflation sur les actifs car la masse salariale n’ayant pas augmenté les débouchés, les profits se trouvent moins dans l’investissement que dans la spéculation. D’où là aussi une question concernant la justification d’une intervention publique.

Le raisonnement aux limites ne fait que confirmer le changement de paradigme. Parce que la mondialisation qualifiée probablement à tort d’ultralibérale débouche sur la vieille question de l’incitation à investir, elle se heurte au mur de la tendance mondiale à la stagnation[6]. Sans doute faudra-il un jour passer par le HM, particulièrement en Europe, mais il faut se rendre compte qu’un tel passage se fera dans la douleur des résistants du libéralisme en vigueur. Et pas simplement dans la seule zone euro.

 


 

[1] Ce que Mario Draghi vient de rappeler le 2 mai dernier dans son discours à Francfort.

[2] Cf http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/08/l-intensification-de-la-crise-planetaire-de-surproduction.html. Cf également : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-mir-acles-de-l-offre-competitive-et-aggravation-de-la-crise-planetaire-de-surproduction-123382311.html

[3] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/04/questions-autour-de-l-euro-qe-helicopter-money-ou-reconstruire-le-circuit-du-tresor.html

[4] On aura une vue globale du HM en consultant : http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/04/gestion-de-l-euro-l-helicopter-money-peut-il-remplacer-le-necessaire-deversement-des-excedents-allemands-vers-le-sud-il-est-inutile

[5] Sans revenir aux fondamentaux de la théorie on pourra lire le très court article de Sofiane Aboura dans les Echos du 9 mai : « Gouvernement ou marché : qui gère le mieux l’économie ? ». l’auteur s’amuse ainsi à montrer que la cigarette électronique est une innovation de marché autrement efficace que la lutte contre le tabagisme…..il reste à démontrer que la gestion  d’EDF est plus satisfaisante depuis son immersion dans le marché… ce que beaucoup récusent ( cf Notamment Rémy Prudhomme)

[6] Keynes s’est longuement penché sur la question de l’incitation à investir. Il pensait toutefois que la répression financière, l’euthanasie des rentiers et des taux faibles permettraient de restaurer l’incitation à investir. C’était vrai dans un monde plus ou moins fermé. Ce n’est plus le cas dans la présente forme de mondialisation.

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26 janvier 2016 2 26 /01 /janvier /2016 10:44

Le journal « Le Monde » s’est saisi du prochain référendum Suisse portant sur l’interdiction de la création monétaire par les banques. A cet égard il a publié 2 articles contradictoires le 16 janvier dernier , l’un de Jean- François Ponsot (opposé à cette idée que l’on appelle parfois « monnaie pleine »), l’autre de Christian Gomez qui lui y est favorable.

Ce débat est pour le blog l’occasion de republier le projet de ce que nous pensons être une authentique réforme monétaire et financière.

Résumé: La monnaie fonctionne dans une structure de réseau et se trouve être, en sa qualité de créatrice d'un ordre social, un bien public fondamental. Son double caractère d'instrument de circulation et de réserve de valeur, généralement associé à sa privatisation en font un produit très fragile dans le cadre de la présente mondialisation. Il convient de reconstruire le système monétaire et financier autour des idées de Maurice Allais. Le présent texte propose de renationaliser la monnaie, de mettre fin au « casino financier » et en examine les conséquences macro-sociales en termes de gagnants et de perdants.

Les lecteurs habituels du Blog peuvent directement passer à la section 2 de l'article: "La refondation du réseau monétaire" et commencer la lecture au paragraphe: "l'Etat comme monopoleur de la création et de la vente de monnaie".

 

On sait qu'historiquement la monnaie est d'abord l'instrument du politique : un pouvoir qui impose les signes dans lesquels les sujets devront solder leur position d'éternels endettés vis à vis du prince.Rapidement pouvoir politique et pouvoir économique coopérent dans le système de la monnaie frappée. Un système qui va bientôt devenir un réseau enraciné dans un territoire.

1 ) La monnaie : une structure de réseau bien problématique

La monnaie est l’équivalent d’une infrastructure, telle un réseau ferroviaire assurant la circulation des personnes et des biens, ou un réseau électrique assurant la circulation des kilowattheures.

Les particularités du réseau monétaire parmi les réseaux en général

L’industrie bancaire assure la circulation des marchandises en assurant la circulation de la monnaie entre ces ports que sont des comptes abrités dans des banques. Les banques, sont comme la SNCF ou EDF d’avant la libéralisation, et il est impossible de séparer le réseau de ses véhicules : le paiement, largement électronique, est à la fois réseau et véhicule. Comme la SNCF où il apparaissait impensable, avant la libéralisation, de séparer le réseau ferré du matériel roulant.

Mais il est des différences : le réseau bancaire n’est pas monolithique et se trouve peuplé de banques en concurrence. Qui plus est, cette concurrence peut entrainer des modifications de parts de marché entre les ports. Ce qui n’était pas le cas du chemin de fer ou des compagnies d’électricité d’avant les nationalisations de 1945 : les acteurs restaient des monopoles sur les parts de réseau qu’ils contrôlaient. Le caractère non monolithique du réseau bancaire est peu gênant pour la circulation de la monnaie. Outre qu’il existe une norme monétaire commune au dessus de chaque monnaie de banque (une unité de compte), il existe un marché monétaire assurant la cohérence continue du réseau : la monnaie Société Générale se transforme en tous points de l’espace couvert par le réseau, en monnaie BNP , en monnaie Crédit Agricole, etc.

Une autre différence est le fait que la monnaie comme infrastructure de type réseau, est propriété d’agents nombreux et divers, qui peuvent agir sur lui, en le rendant plus ou moins actif. Derrière cette idée, il y a la plus ou moins grande vitesse de circulation de la monnaie, voire son blocage éventuel. Et cette dernière circonstance  résulte du fait que la monnaie n’est pas seulement infrastructure de la circulation : elle est aussi instrument de l’accumulation. Les économistes diront qu’elle n’est pas qu’instrument de paiement, mais aussi réserve de valeur. Les conséquences en sont considérables. Cela revient à dire – en poursuivant la comparaison avec la SNCF ou EDF- que par exemple des trains s’accumulent dans des gares. Et la comparaison est intéressante, car dans l’un et l’autre cas les marchandises cessent de circuler. Et c’est précisément parce que la monnaie est elle-même marchandise (instrument de stockage de richesse) plus ou moins convoitée qu’elle peut gêner/ faciliter la circulation de toutes les autres marchandises : l’infrastructure réseau est plus ou moins stable.

Et parce que marchandise, elle peut être fabriquée comme toutes les autres marchandises. En se désaliénant de la « contrainte métallique » les hommes ont, en la matière, généré des gains de productivité infinis : le coût de fabrication de la monnaie est proche de zéro, et pour les banques centrales, et pour les banques privées, qui depuis un grand nombre d’années se partagent le monopole de la création monétaire. De fait, il s’agit d’un coût marginal, puisque bien des coûts fixes demeurent, spécificité qui rappelle là aussi ces « monopoles naturels » que sont les réseaux classiques.

Le réseau monétaire est un bien public créateur d’ordre social

 Les actuels réseaux monétaires – ce qu’on appelle le système monétaire et financier - sont le résultat de la construction historique de ce qui est devenu un bien public majeur, et bien public sans lequel les sociétés modernes connaitraient un retour à l’état de nature… avec la vitesse de l’éclair. Beaucoup de services publics pourraient disparaître sans radicalement disloquer une société. Ainsi la disparition du réseau ferré, voire même la disparition du réseau électrique, entrainerait certes des difficultés majeures avec nombre de régressions. Toutefois, ces dernières développeraient davantage d’espaces de solidarité, que du face à face brutal entre individus, lequel serait engendré par la nécessité de survivre. En revanche, un effondrement monétaire serait autrement redoutable et développerait en quelques instants – probablement moins d’une journée- la guerre de tous contre tous. Tout ceci pour dire que la monnaie dispose d’une structure de réseau , qui en fait le premier des biens publics, et probablement la clé de voûte de la société. Elle est ce qui fonde « l’ordre » et empêche « la panique », c'est à dire la disparition de tout ordre social.

Curieusement, ce bien public majeur, est aussi le bien public le plus fragile en raison du caractère réserve de valeur de la monnaie. Le double caractère de la monnaie se remarque dans le double caractère des banques : « commercial » et « affaire ». Parce que la monnaie est à la fois, moyen de paiement et réserve de valeur, le réseau peut être parcouru de disfonctionnement et de ruptures .

Double caractère de la monnaie et fragilité du réseau

Les risques inhérents à la volonté accumulatrice autorisée par la fonction réserve de valeur, peuvent entrainer des phénomènes spéculatifs, avec alternance de confiance et de méfiance, débouchant sur de possibles ruptures du réseau, par exemple la disparition de la liquidité sur les marchés monétaires. La même volonté accumulatrice peut aussi développer des bulles sur n’importe quel bien évaluable en monnaie. Et cette même volonté, cherchera le plus naturellement du monde, à élargir l’espace du jeu en interconnectant les monnaies (elles deviennent toutes librement convertibles) ; en développant des marchés à terme sur tous les biens de l’économie réelle, et ce si possible à l’échelle de la planète ; en autorisant la liberté de circulation des capitaux ; etc. Autant d’élargissements de l’espace du jeu engendrant un « gigantisme de réseau » exposé à toutes les contagions possibles.

De ce point de vue, la mondialisation correspond à un processus d’interconnexion et d’unification des réseaux monétaires. Jusqu’ici l’interconnexion existait sous le contrôle de « douaniers » situés à la périphérie de chaque réseau national, et « douaniers » corrigeant ou veillant aux externalités engendrées par la dite interconnexion. Tels des fusibles sur des réseaux électriques, chargés de bloquer la contamination de surtensions apparues en tel ou tel point du système. De ce point de vue , l’unification mondialiste, est utopique en ce sens qu’elle correspond à la volonté de construire un réseau gigantesque dépourvu de fusibles. Tel un immeuble dont le ravitaillement électrique ne serait pas composé de sous- réseaux (des "lignes") séparés par des fusibles de protection.

Mais parce que l’interconnexion jusqu’à l’unification, sans défenses immunitaires (sans fusibles), porte au plus haut niveau d’intérêt la deuxième fonction de la monnaie (réserve de valeur), les bulles spéculatives et leurs outils ( leviers démesurés, produits synthétiques, outils électroniques de trading, etc.) développent sans limites le fonctionnement entropique du système en voie d’unification. Très simplement, le réseau conçu pour faire circuler des marchandises réelles, fait surtout circuler des paris financiers. Incapable de lutter contre sa propre entropie – à l’inverse des êtres vivants – le réseau monétaire et financier mondial risque son auto destruction.

Parce que premier des biens publics de toute communauté moderne, et en même tant bien public devenu historiquement dépourvu de défenses immunitaires en raison de la dualité monétaire (moyen de paiement/ réserve de valeur), il convient de procéder à un toilettage complet de l’architecture du système monétaire et financier.

De fait, il s'agit de procéder à une refondation, dont la nature de la monnaie, nous fait déjà imaginer qu'elle porterait aussi une dimension politique majeure.

2 ) La refondation du réseau monétaire

Le premier acte d’une refonte réelle doit être la fin du marché de la dette publique en rétablissant l’autorité monétaire. Cela suppose le rétablissement des droits de propriété de l’Etat sur la banque centrale, une institution à laquelle il va confier un strict monopole de l’émission monétaire au seul profit du Trésor. Le volume de l’émission est politiquement décidé et ce dans le cadre d’un objectif de stabilité monétaire lui-même évalué et contrôlé par des institutions elles mêmes démocratiquement construites.

Condition nécessaire : la fin de la privatisation du politique.

Un tel acte refondateur ne peut évidemment fonctionner sans une refondation complète du fonctionnement des marchés politiques. Il ne faudrait pas, que le bien public monétaire, ne fasse l’objet que d’un simple transfert de son appropriation privée, et on ne voit pas en quoi, les fins privées des entrepreneurs politiques (reconduction au pouvoir ou conquête du pouvoir) seraient d’une nature supérieure, aux fins privées des banquiers et de leurs actionnaires (profit) qui jusqu’ici ont accaparé le bien public en en contrôlant l’émission. Le changement de propriétaire n’est pas une garantie de meilleur exercice de la propriété, une propriété fort particulière puisqu’elle reste un droit sur un bien public.

La refonte réelle de la finance suppose – au préalable - une véritable mutation de l’ordre politique. Puisque l’essence du politique est l’appropriation de ce qui surplombe toute communauté humaine –ce que l’on désignait aussi par le terme « d’extériorité» dans d’autres publications - il convient de mettre en place des institutions freinant la tendance universelle, à ce que le politique ne soit que l’utilisation à des fins privées, de ce qui est commun à tous. Sans doute la puissance publique ne peut elle être détenue que par des hommes dont la tendance indépassable est la recherche de la satisfaction privée (le pouvoir comme moyen et comme fin), mais il est probablement possible de diminuer les effets négatifs de cette permanente et universelle spécificité humaine. Dans l’Etat parvenu à son stade démocratique, la solution consiste à interdire, constitutionnellement, la professionnalisation de l’entrepreneuriat politique par interdiction du renouvellement des mandats, mandats eux-mêmes pouvant au moins partiellement être engendrés par des procédures non électives, par exemple le tirage au sort. Cette réforme constitutionnelle, est la première pierre de la réforme monétaire, si l’on veut minorer les errements d’un Etat laxiste, avec des entrepreneurs politiques gérant davantage une carrière privée, bénéficiant par ailleurs des largesses de la planche à billets.

Pour être complet, ce changement de titulaire de la fonction « production de monnaie » doit être strict : il suppose l’interdit radical de la création monétaire par les banques, lesquelles ne pourront prêter , que sur la base de fonds qu’elles auront empruntés, ou mis à leur disposition par des agents privés et l’Etat lui-même. Tout décalage constaté, entre capitaux reçus et capitaux distribués après transformation, devenant activité de faux monnayeur, et à ce titre pénalement sanctionnée. Il en est de même pour la banque centrale, qui dans le cadre de ses interventions auprès des banques, ne peut se livrer à des opérations de « quantitative easing », ce qui signifie que les liquidités mises à disposition sont intégralement remboursables.

L’Etat comme monopoleur de création et de vente de monnaie

La production monétaire se fait ainsi au seul bénéfice du compte du Trésor à la banque centrale. Son coût est nul puisque le prix de revient de la dite production est nul. Cet abondement de ressources - sur ordre donné au gouverneur par l’exécutif- est fléché, et ne peut entrer dans la masse des recettes publiques. Les ressources ainsi mises à la disposition du Trésor par la banque centrale, permettent d’une part, d’assurer un investissement public démocratiquement contrôlé ; elles permettent d’autre part, d’abonder- selon une procédure que l’on examinera plus loin- le compte des banques qui y verront la matière première des investissements privés qu’elles souhaitent financer. Une part de production de monnaie, est affectée à la nécessaire croissance monétaire, résultant de la croissance du volume des échanges impulsés par la croissance économique elle-même. Ce volume de monnaie supplémentaire est démocratiquement décidé et contrôlé.

L’investissement public n’est pas nécessairement financé en totalité par la production monétaire : il peut aussi l’être par une épargne construite sur un excédent primaire. Si le financement de l’investissement public se fait à taux nul, il n’en va pas de même pour l’investissement privé financé par les banques, à partir de la production de monnaie mise à leur disposition par l’Etat. Outre que l’Etat met à leur disposition une ressource payante - l’Etat est payé, sous la forme d’un taux d’intérêt, pour la monnaie mise à disposition - les banques doivent aussi couvrir leurs charges de gestion et disposer d’une prime de risques.

Dans le cas où le budget primaire est déficitaire, il est constitutionnellement interdit à l’Etat d’utiliser les ressources qu’il s’est octroyé sur la banque centrale. La nomenclature et le classement des dépenses est revue et corrigée, certaines d’entre elles, dites de fonctionnement, étant de fait des dépenses d’investissement. Travail peu aisé, il est pourtant économiquement essentiel, et doit être démocratiquement contrôlé. L’interdit d’une couverture d’un déséquilibre du budget de fonctionnement, tel que précédemment redéfini, par la production de monnaie, suppose par conséquent le recours à un endettement. Ce dernier doit disposer d’un statut d’exceptionnalité et se doit n’être consenti que sur la seule base d’une majorité parlementaire qualifiée. Disposition marquant la volonté de mettre fin aux facilités de l’endettement.

Une telle mutation financière réintroduit déjà une disparition progressive de la notion de « service de la dette », et se trouve à terme profitable pour l’Etat, qui n’a plus à payer la rareté monétaire mais au contraire à la vendre. Avec toutes les conséquences en termes de baisse possible de la pression fiscale qu’on peut en déduire, mais aussi la fin relative de la situation rentière des banques, dont l’appropriation de la production monétaire était illégitime : elles n’avaient pas le droit de privatiser un bien public qui, par ailleurs , n’a jamais été mis en vente.

Le Montant de production de monnaie, est un acte politique gravant dans la réalité, une part du potentiel de croissance du pays. L’investissement macroéconomique, est ainsi partagé entre investissements publics et investissements privés. L’investissement privé, est la somme de la production de monnaie distribuée aux banques, et des possibilités offertes par l’épargne privée. Le total de l’investissement global est régulé – notamment par le poids de la production de monnaie et l’investissement public- de telle sorte que la croissance réelle puisse être peu éloignée de la croissance potentielle.

Les parts de production de monnaie affectées à l’investissement public et à l’investissement privé, relèvent de choix politiques démocratiques. S’agissant de la production de monnaie affectée aux banques, la répartition entre les divers établissements demandeurs s’opère selon un processus classique d’enchères. Il s’établit par conséquent, un prix de marché des ressources monétaires nouvelles captées par les banques. Ce prix de marché entre en concurrence avec les prix qui se forment sur l’épargne privée des agents. L’Etat étant un fournisseur important de ressources monétaires, il est clair que son rôle dans la fixation générale de l’ensemble des taux de l’intérêt est fondamental.

La grande transformation des réseaux bancaires

Selon la vision de Maurice Allais, le réseau bancaire est redécoupé en « banques des échanges monétaires » (BEM), « banques de crédits » et « banques d’affaires ». Un même établissement peut assurer les trois fonctions correspondantes. Il doit cependant apporter la preuve périodique d’une stricte séparation des fonctions.

1 Les BEM constituent le réseau monétaire que nous qualifions de bien public majeur dans l’introduction au présent texte. A l’intérieur de ce réseau, les banques sont en concurrence pour assurer un service public de base : celui de la bonne exécution des échanges de biens et de services initiés par tous les agents économiques. Le marché monétaire classique assure les échanges interbancaires, et la banque centrale y intervient en qualité de régulatrice générale du réseau. Véritables délégataires d’une mission de service public dépourvue de tout risque financier, le cout de fonctionnement du réseau des BEM est assuré sur la base d’un contrat, démocratiquement contrôlé, entre l’Etat ou la banque centrale et les BEM.

Le nomadisme des dirigeants entre sphère publique et sphère des BEM est juridiquement interdit. Les BEM ne rémunèrent pas les dépôts et ne se livrent à aucune opération de crédit.

Les BEM ne participent pas aux procédures d’enchères portant sur l’acquisition de monnaie vendue par le couple Banque centrale/ Trésor. Elles reçoivent par contre gratuitement, la quantité de monnaie supplémentaire prévue par les nécessités de la croissance économique ( motif de circulation du PIB).

2 Les banques de crédits reçoivent l’épargne des agents privés, et assurent la transformation de cette dernière en prêts classiques : simple découvert, crédit à la consommation, à l’équipement, crédit hypothécaire, etc.

La titrisation des créances est juridiquement interdite.

Le roulement de l’épargne de court terme en prêts à plus long terme, s’effectue selon des règles de prudence et de transparence, établies par les régulateurs situés sous l’autorité de l’Etat ou de la banque centrale.

Il est mis fin à « l’indépendance » des régulateurs par rapport à l’Etat ou la banque centrale. Le nomadisme des dirigeants entre banques de crédit et régulateurs est juridiquement interdit.

Les banques de crédit ont accès à la production de monnaie , et la banque centrale abonde le compte de chacune d’entre elles en fonction du résultat de la procédure d’enchères menée par le Trésor. L’agence de commercialisation de la dette – « Agence France Trésor » pour ce qui concerne la France - est démantelée, puis reconvertie en « agence publique de vente de monnaie au système bancaire ».

Les banques de crédit doivent apporter à tout moment la preuve qu’aucune création monétaire ne s’établit dans le cadre de leurs activités.

La rémunération des banques s’effectue au travers de la différence entre intérêts payés et intérêts reçus.

Le total du bilan d’une banque de crédit ne peut dépasser le dixième du PIB du pays d’accueil.

3 Les banques d’affaires sont spécialisées dans tous les services non assurés par les deux premières catégories de banques : opérations de haut de bilan, corporate finance, émission de titres, introduction en bourse, augmentation de capital, financement syndiqué. Mais aussi tous les services de spéculation et de couvertures sur taux de change et taux d’intérêt, marché des commodities, produits dérivés etc. Mais également produits d’épargne et assurantiels au profit des ménages : fonds d’épargne, épargne retraite, assurance vie, etc.

Les banques d’affaires entrent en compétition avec les banques de crédits dans l’accès à la ressource monétaire vendue par le couple banque centrale / Trésor. Les ressources ainsi achetées sont investies dans l’économie réelle, et toute utilisation dans le cadre d’une activité spéculative est pénalement sanctionnée.

Dispositions annexes et non limitatives concernant la finance

 Les régulateurs, sous l’autorité des pouvoirs publics, veillent à la limitation drastique de la financiarisation des grandes activités. En particulier les activités de trading sont réservées aux acteurs de l’économie réelle.

L’introduction sur un marché, de spéculateurs extérieurs à l’économie réelle, est une exception autorisée par le régulateur, après constatation d’un disfonctionnement de sous- liquidité.

Le nomadisme des dirigeants entre banques d’affaires et régulateurs est juridiquement interdit.

L’un des principes fondamentaux est que les « échanges papiers » ne deviennent pas  plus importants que les échanges réels. A ce titre les directives sur marchés d’instruments financiers sont considérablement durcies : limitation considérable des opérations de gré à gré par autorisation au cas par cas du régulateur, quasi interdiction de la vente à découvert , ratios contraignants sur les ordres non exécutés en trading informatisé, etc.

De façon plus générale, l’introduction d’une taxe sur les activités de Trading renforce le rétrécissement de la « boursouflure », avec probable mise en liquidation de nombre d’entreprises devenues Casinos au cours des 20 ou 30 dernières années.

L’activité sur CDS est strictement encadrée, et les positions dites « nues » strictement interdites, cela signifie que les clauses type « opt out » imaginées par les autorités européennes sur les dettes souveraines ne sont plus tolérées.

Les CDS sur dettes souveraines, deviennent eux-mêmes sans objet avec la fin du marché de la dette publique : ils disparaissent.

Les activités hors marché , à l’instar des « dark pool » voient leur encadrement renforcé. A l’inverse, la présence de chambres de compensations devient la règle universelle.

Les banques d’affaires ne peuvent se livrer à des activités spéculatives sur comptes propres. Elles cessent tout lien et liquident leurs établissements situés dans les espaces d’optimisation fiscale.

Le total du bilan d’une banque d’affaires ne peut dépasser le vingtième du PIB du pays d’accueil .

Conséquences macro sociales

Cette réforme n’a rien de technique, et se trouve fondamentalement politique : des groupes sociaux vont perdre, et d’autres vont gagner. Et cette nouvelle donne sociale repose toute entière sur la captation/production de monnaie.

Les producteurs et les décideurs ne sont plus les mêmes : ce n’est plus le système bancaire qui vend la monnaie, mais l’Etat. Renversement qui correspond à un bouleversement global de l’ensemble de la société. Sans toutefois la remettre dans son état antérieur à la loi du 3 janvier 1973 en France, et aux lois correspondantes dans nombre d’autres pays (34 banques centrales vont adopter une législation semblable entre 1990 et 2001). C’est que la situation antérieure, correspondait aussi à des marchés politiques, où partout la professionnalisation du politique était la règle avec les biais correspondants. Cela pouvait signifier parfois « la planche à billets » que le dispositif proposé récuse. Il n’y a donc pas de retour en arrière, mais un monde autorisant les investissements publics massifs de naguère, tout en améliorant aujourd’hui une gestion budgétaire plus responsable et plus équilibrée.

Parmi les groupes sociaux gagnants, il faut compter :

1. Les salariés qui ne peuvent que bénéficier d’un retour du développement, lui -même autorisé par le caractère massif de l’investissement public et de la mobilisation des facteurs de la production qui va lui correspondre. Le renversement du contrôle de la monnaie rétablit le long terme, les projets, et la fin de la dictature d’un futur qui s’écrase sur le présent, en raison de la disparition des investissements publics, voire de l’investissement privé lui-même.

2.  les entrepreneurs de l’économie réelle qui vont bénéficier des externalités nouvelles produites par le nouvel Etat investisseur et « réducteur d’incertitudes ».

3.  les citoyens censés ne plus payer la rente au système financier, et au contraire à récupérer la rente inverse que le système financier devra à l’Etat. Ce qui signifie de nouvelles marges de négociations entre citoyens et les nouveaux gestionnaires - les nouveaux politiques - des outils de la contrainte publique.

Parmi les groupes sociaux perdants, il faut compter :

1.  les entrepreneurs politiques amenés à ne plus pouvoir investir dans une carrière de long terme et à ne plus pouvoir orienter la nature des produits politiques qu’ils vendent vers cette éternelle finalité : reconduction au pouvoir ou conquête du pouvoir. Finalité, grande cause de nombre de déficits publics.

2.  Les entrepreneurs de l’économie financière et de l’économie casino, la dette publique n’étant plus la mère nourricière et le point d’appui de la créativité financière . Cela signifie une cure drastique développant l’amaigrissement des bilans, et la fin des miracles financiers et des rémunérations sans causes. La fin du capital fictif diraient Marx ou Hayek.

3. Les épargnants et usagers de l’économie casino. Les premiers, sans redevenir victimes de la répression financière du 20ème siècle, devront se contenter de produits d’épargne beaucoup plus rustiques, et d’une rentabilité plafonnée par la croissance de l’économie réelle. Les seconds, en raison de l’étroitesse nouvelle des terrains de jeux financiers, et de leur extrême surveillance, par des autorités et régulateurs nouveaux et démocratiquement contrôlés , constateront qu’il n’est plus possible de vivre en état d’apesanteur, et feront le douloureux apprentissage de la pratique de l’économie réelle, où valeur ajoutée n’est plus confondue avec « accroissement de la valeur » .

La grande refondation proposée, n’a rien de mécanique, et les sociétés humaines ne sont pas des machines. Ce qui signifie que des réactions suivront la brutale redistribution des positions sur l’échiquier social. En particulier il faut imaginer la fuite, vers d’autres terrains de jeu, des nouveaux perdants, à la recherche d’espaces moins contraignants. D’où la question de l’international qu’il faut impérativement étudier pour rebâtir la souveraineté.

 

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