Au regard de la réalité de la situation de la France, le nouveau pouvoir reprendra les mêmes thèmes et les mêmes slogans en particulier celui d’un « euro protecteur ». La France ne va pas bien mais heureusement « l’euro nous protège ». Au moment où la question budgétaire va se poser dans l’hémicycle, la présente note se propose de montrer qu’il existe plus qu’un lien entre la dette ou le déficit et le choix de la monnaie unique.
Pour cela, il nous faut d’abord expliquer que le fonctionnement normal de l’euro suppose des transferts importants de ressources entre zones excédentaires et zones déficitaires.
Transferts entre régions au sein d’un Etat-Nation
Soit un Etat-Nation composé de deux régions, l’une très productive, l’autre beaucoup moins. Logiquement, les échanges entre les deux régions seront déséquilibrés. Appelons RE la région excédentaire et RD la région déficitaire. Logiquement viendra un moment où la circulation des moyens de paiement se bloquera : RD devient insolvable. Plusieurs réactions sont envisageables :
1 – L ’Etat central décide de subventionner/moderniser RD à partir de l’impôt.
2 - Le même Etat décide d’introduire une monnaie spécifique dans RD, monnaie dévaluée par rapport à celle de l’Etat central et monnaie rétablissant la compétitivité de RD.
3 - L’Etat central mobilise autoritairement sa banque centrale et lui donne l’ordre de créer de la monnaie nationale au profit de RD.
En termes classiques les deux dernières solutions ne sont guère envisagées et ne sont que peu envisageables[1]. Toujours très classiquement, parce qu’un Etat est aussi chargé de produire de « l’homogénéité », la solution fiscale est envisagée. Constatons que c’est la solution que l’on trouve dans les pays de la zone euro. Ainsi en France les régions en difficulté bénéficient de transferts publics financés par la fiscalité.
Transferts impossibles en zone Euro
Cette solution n’est guère envisagée au niveau de la zone euro. Les divers pays sont naturellement très différents et très naturellement, pour toute une série de causes, les structures productives sont très variées. La monnaie unique fige les taux de change et donc nous aurons durablement des régions (ici des pays) excédentaires et des régions déficitaires. Il existe déjà des politiques européennes de mise à niveau, mais ces dernières sont quantitativement très limitées en raison du fait que le total de budget européen ne représente que 1% de son PIB. Le rééquilibrage doit donc se faire sans transfert et bien sûr une dévaluation est impossible pour les pays les moins productifs.
C’est dire que les pays déficitaires doivent reporter sur eux-mêmes la charge de la modernisation de l’outil de production alors même que le déficit vient les étrangler. Un peu comme si la région des houillères des Hauts de France avait été tenue de financer elle-même sa reconversion, alors que les marchés politiques produisent quasi automatiquement une solidarité.
Les coûts de l’interdiction des transferts
Sans revenir sur l’histoire de l’avènement de l’euro, il est clair que, pour la France, mais également pour d’autre pays, les difficultés vont commencer très vite après l’introduction de la monnaie unique. Ainsi l’indice de la production industrielle, régulièrement croissant à l’époque du franc, va stagner à partir de l’an 2000 (base 100 en 2000) puis décroître jusqu’à 90 en 2024. Ainsi le solde du commerce extérieur plus ou moins équilibré jusqu’en 2000, s’effondre à partir de 2004 pour atteindre le niveau historique de 200 milliards d’euros en 2023. Simultanément, cette sous-production assortie d’une sur importation ne peut être contenue malgré des aides publiques colossales au secteur productif. Articulée autour d’une multitude d’outils fiscaux budgétaires et socio fiscaux, cette aide est passée de 20 milliards d’euro en 2004, à 80 milliards en 2008 pour atteindre la somme faramineuse de 170 milliards aujourd’hui. Soit un passage de 1 point de PIB à 5,5 points aujourd’hui.
La disparition de la question du taux de change à l’intérieur de la zone euro accroit la pression concurrentielle sur le système productif français moins adapté. Il est plus facile d’internationaliser avec la disparition des coûts de la couverture de change mais cette disparition se réalisant pour tous, l’économie la moins compétitive voit son exposition renforcée. L’affermissement de l’internationalisation est donc globalement moins avantageux pour la France.
Vivre au-dessus de ses moyens
Ainsi, les français dépensent un revenu qui, quantitativement et qualitativement, n’est pas assis sur une production satisfaisante. Quantitativement la dépense est supérieure au revenu issu de la production, la différence correspondant au déséquilibre extérieur. Qualitativement cette production insuffisante est partiellement artificielle car sur vitaminée par des subventions ahurissantes. Il s’agit d’une tentative de soutien du secteur productif gravement handicapé par un taux de change de plus en plus irréaliste.
Cette dépense d’un revenu qui n’est pas produit, se lit également dans les dépenses sociales au profit de personnes qui restent durablement éloignées du tissu productif. Il est d’ailleurs difficile de distinguer clairement l’imputation des dépenses publiques globales entre celles affectées directement au monde de l’économie et celles au secteur des ménages. On sait toutefois que l’élargissement des dépenses sociales a mobilisé 1 million de fonctionnaires supplémentaires depuis l’introduction de l’euro, soit une hausse de 21% des effectifs de la fonction publique. Réalité qui ne peut se justifier que par l’étranglement du système productif : quand une économie est malade il lui faut mobiliser beaucoup de médecins.
La conclusion de ce raisonnement est extrêmement simple.
Côté dépenses publiques, l’Etat est venu compenser l’étranglement de l’économie productive. Il ne peut que poursuivre son effort à peine de crise économico/sociale majeure. Les entrepreneurs politiques sont tenus d’aider et les entreprises et les ménages. La bataille entre entrepreneurs politiques se déroulant autour des modalités du partage de l’aide, modalités censées distinguer une droite d’une gauche. L’étranglement est croissant si, comme constaté depuis plusieurs années, la productivité baisse.
Côté recettes publiques, il y a blocage en raison d’une liberté de circulation du capital qui est l’une des conditions d’existence de la monnaie unique. L’Etat ne peut davantage taxer les entreprises à peine de renforcer le flux des délocalisations. Il ne peut non plus davantage taxer les ménages en particulier les plus aisés à peine de renforcer le flux des exilés fiscaux.
Le vote du budget 2025.
Il existe par conséquent une tendance fondamentale à l’élargissement d’un déficit public croissant dont l’une des causes essentielles est l’inadaptation du taux de change. Le nouveau pouvoir qui se met en place, malgré sa sympathie pour le Gaullisme, se trouve très loin des conditions de la naissance de la Cinquième République où pouvait être voté, en 1959, un budget en équilibre… après une dévaluation anticipée de 20% en juin 1958, suivie d’une autre de 17,55% le 29 décembre de la même année…. A l’époque, la dévaluation massive permettait une hausse de la production et donc une situation où les acteurs dépensaient un revenu réellement produit.
La solution aujourd’hui supposerait que les déficits soient pris en charge par la zone euro, ce qui nous renvoie à la logique des transferts entre régions déficitaires et régions excédentaires. Il est difficile d’évaluer ces transferts depuis Bruxelles mais compte tenu des quelques chiffres sus mentionnés il s’agirait probablement d’un montant très supérieur à 10 points de PIB…soit plus de 350 milliards l’an…On voit mal les marchés politiques s’orienter vers ce type de « mesure structurelle »….Le rapport de la France à l’Euro zone n’est en aucune façon le rapport du bassin houiller des hauts de France vis-à-vis de son autorité de tutelle. Il n’y aura jamais l’équivalent du « Fonds d’Industrialisation du Bassin Minier » (FIBM) mis en Place par François Mitterrand. L’Etat central se devait de payer et il n’a jamais été demandé aux houillères de mettre en place des « mesures structurelles » si galvaudées aujourd’hui.
Le projet de budget 2025 sera évidemment débattu autour des immenses besoins régaliens, ou des dépenses sociales voire, plus marginalement, sur la fiscalité. Les entreprises politiques de L 'Assemblée Nationale n’ont pas vraiment conscience de la réalité de la situation. Celles qui savent doivent imaginer le rapport coût/avantage résultant de la dénonciation de la monnaie unique. Ce rapport, vu le niveau moyen de connaissance économique dans l’élite française, est extrêmement négatif et les quelques députés qui savent se tairont. Au-delà, ces mêmes députés savent aussi que le coût géopolitique d’une telle dénonciation serait tout simplement colossal. D’où bien sûr, à peine d’inéligibilité radicale, aucun débat sur un financement strictement monétaire, aucun débat sur l’irruption d’une monnaie parallèle. Les débats concrets seront bien sûr agités mais ne porteront pas sur l’essentiel et très peu auront conscience que les choix techniques sont l’équivalent des marionnettes vis-à-vis du marionnettiste : c’est l’euro qui impose et guide les choix de politique budgétaire.
La masse des entrepreneurs politiques de base, n’aura heureusement pas la charge de voter sur un sujet qu’ils ne connaissent pas et tout sera réglé par la magie du 49/3.
[1] Sauf le cas particulier de l’Argentine qui - depuis quelques mois - voit se redévelopper des monnaies régionales. Précisons toutefois que le problème n’est pas ici un déséquilibre entre régions mais plus fondamentalement une question de politique monétaire globale.