C’est dans l’urgence que les dirigeants de la Banque centrale européenne se sont réunis le mercredi 15 juin afin d’apporter une réponse aux spreads de taux sur les dettes publiques des pays de la zone euro. On se rappelle qu’il y a un peu plus d’une dizaine d’années ce sont ces spreads qui avaient mis en réel danger la monnaie unique.
La décision adoptée le 15 juin est à priori intéressante : les dettes publiques arrivant au quotidien à échéance- dettes qui figurent à l’actif du bilan de la BCE- seront réinvestis vers des achats d’obligations dont le taux à l’émission est jugé trop élevé. Il s’agit donc de maintenir la fiction d’un taux unique pour l’ensemble de la zone et ainsi d’empêcher les dérives spéculatives risquant d’aboutir à un défaut pour les pays les plus en difficulté ( Italie, Grèce, Espagne, France).
Ce travail d’homogénéisation fut essentiel durant toutes les années 2010 et s’est poursuivi avec des outils aux libellés divers mais aboutissant en toute circonstances à l’achat massif de dette publique et donc à une augmentation colossale de la taille du bilan de la banque centrale. On se rappelle aussi que ces QE se devaient d’obéir à une certaine proportionnalité afin de ne point être coupable d’inéquité : La Grèce ne peut davantage bénéficier des largesses de la banque centrale que l’Allemagne. C’est dire que le QE doit être proportionné à la taille du pays, taille estimée par le PIB. Si donc un pays de taille 10 reçoit 1 au bénéfice du QE, un pays de taille 100 doit recevoir 10. Si maintenant le pays de taille 10 dispose d’un Etat très endetté et très déficitaire alors que le pays de taille 100 dispose d’un budget relativement équilibré, cela signifie que la règle de l’équité, donc celle de la proportionnalité, fera que le second pays recevra beaucoup de largesses monétaires alors même qu’il n’en pas vraiment besoin. Globalement le pays de taille 10 et très endetté recevra relativement peu alors que le pays de taille 100 et budgétairement équilibré recevra beaucoup.
Cette particularité explique l’anomalie des statistiques de la BCE concernant les proportions de dettes publiques détenues par la BCE. On apprend ainsi que l’Allemagne voit 43,6 points de sa dette publique détenue par la BCE, alors que l’Italie ne voit que 27,3 points de sa dette publique détenue par cette même BCE. L’Italie est très endettée (150 points de PIB) alors que l’Allemagne l’est moins (66 points de PIB). Et donc- sachant que le PIB italien est la moitié du PIB allemand- le résultat est que pour faire baisser les taux italiens, la BCE doit acheter de la dette italienne en quantité suffisante pour le marché et acheter beaucoup trop de dettes allemande…qui fait baisser anormalement les taux d’outre Rhin. Plus précisément le rapport des PIB étant de 1 à 2, la BCE achètera 2 fois plus de dette allemande que de dette italienne. La conclusion est qu’il n’est pas facile de limiter les spreads de taux , donc bloquer la fragmentation.
Les circonstances actuelles rappellent le risque de fragmentation à un moment où pour raison d’inflation les QE doivent cesser. La BCE propose ainsi « d’utiliser les restes » : les ressources issues de l’échéance des vieux QE seront mobilisées et transformées en nouveaux achats en direction des dettes dont les taux s’envolent. Comme la matière première est pour l’essentiel des euros du nord, il faudra transformer les vieilles dettes du nord en nouvelles dettes du sud. Sauf à ne plus respecter les règles d’équité et de proportionnalité, on ne voit pas là une arme nouvelle de lutte contre la fragmentation, et ceux d’autant plus que cette matière première est issue d’une mine peu productive : seulement 17 milliards d’euro mensuels sont disponibles au titre des échéances. Certes il est précisé dans le communiquer de la BCE que le conseil des gouverneurs va s’activer à l’édification d’un « nouvel instrument anti-fragmentation ». Il s’agit là d’un exercice de simple communication car on ne voit pas comment il est – sans modification complète de l’architecture européenne- possible de gommer de telles asymétries au sein de la zone euro.