Résumé : Le rétablissement de la souveraineté grecque sera une victoire de la guerre contre l’euro. Comme toute après-guerre, il faudra envisager la reconstruction. Une période difficile qui sera marquée par une grande faim du pays en devises. Mais une période qui pourra aussi déboucher sur davantage de solidarité.
La décision de quitter la zone euro procure immédiatement les outils d’une politique macro- économique souveraine. Le défaut sur la dette permet de retrouver 4,5 points de PIB jusqu’ici consacrés à son seul service. La fin de l’indépendance de la Banque centrale permet, elle, de ne plus dépendre des marchés et de fixer un taux d’intérêt nul pour l’Etat. Reste évidemment la question de la reconstruction d’une offre nationale que l’euro a largement détruite. La guerre contre l’euro sera peut-être gagnée, mais l’après- guerre ne sera pas facile.
Deux stratégies peuvent s’envisager :l' une que l’on pourrait qualifier de libérale en laissant les forces du marché s’exprimer, l’autre dirigiste en ce qu’elle utiliserait massivement l’intervention publique.
Un libéralisme difficile.
Il est bien évident que le déficit commercial, dévoreur de devises que la banque centrale ne possède pas, devra être la toute première préoccupation. Outre le blocage des capitaux, même un gouvernement libéral ne pourra échapper au contrôle des changes et à la taxation très lourde des importations.
Laisser jouer le marché pour compter sur l’émergence d’activités substitutives d’importations est dangereux pour plusieurs raisons :
- Le capital de ces activités et les consommations intermédiaires qui lui sont associées sont largement des produits importés beaucoup plus coûteux en raison de la dévaluation massive.
- La Grèce ne dispose pas suffisamment de main d’œuvre adaptée à l’emploi rapide dans ce type d’activité.
- Les investisseurs internationaux ne sont pas nécessairement rassurés après un défaut sur les dettes publiques.
Pour l’essentiel les ressources en devises viennent du secteur touristique. Or, l’offre touristique ne peut monter rapidement en raison de problèmes de capacité. Mais surtout, le tourisme est une activité très fortement consommatrice d’importations[1], les productions nationales y compris dans le secteur des biens de subsistances ayant été largement abandonnées avec les « miracles de l’euro zone ». Il n’y a donc pas trop d’illusions à se faire sur une élasticité-prix de la demande touristique. De fait, le produit en devises de cette activité pourra certes s’accroître, mais faiblement, car sa valeur ajoutée restera longtemps muselée par des consommations intermédiaires importées dont les coûts auront augmenté proportionnellement à la dévaluation.
L’inflation sera probablement la première manifestation du retour de la monnaie nationale. D’abord une inflation des prix de toutes les importations, avec bien sûr ses effets multiplicateurs. Mais aussi une inflation consécutive à la hausse de la demande produite par des dépenses publiques libérées des contraintes de la dette. En la matière, il faudra beaucoup d’adresse pour justifier politiquement que le retour de la Drachme doit s’accompagner d’une politique de rigueur budgétaire. Le risque étant de s’aliéner les classes aisées désormais débranchées du flux des importations bon marché par les « grâces » de l’euro. Mais, plus grave, risque aussi de s’aliéner les classes populaires premières victimes de la monnaie unique et impatientes de retrouver une plus grande aisance. Ne prenons qu’un exemple, celui de la fiscalité. Les classes populaires qui furent touchées gravement par une formidable hausse de la pression fiscale sous le gouvernement précédent ne revendiqueront-elles pas une baisse de cette dernière, avec toutes ses conséquences sur un élargissement des importations[2] ?
Une stratégie plus volontariste, plus dirigiste peut-elle raccourcir les délais d’une reconstruction sérieuse de l’offre interne ?
Un dirigisme qui suppose un Etat de droit efficace.
On peut imaginer une volonté forte d’accélérer la mise en place d’activités substitutives d’importations. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’en revenir aux désastres du développement par le jeu très volontaire des « industries industrialisantes » qui se sont parfois déployées au vingtième siècle[3]. Cela signifie de fortes incitations au développement d’activités dans le secteur des biens et services liés à la consommation nationale interne (celle des nationaux à laquelle il faut ajouter celle des touristes). Cela passe par des investissements massifs dans une agriculture aujourd’hui moribonde. Cela passe aussi par des investissements massifs dans d’autres activités légères productrices de biens de consommation ( textile, ameublement, services liés au tourisme, bricolage, cadeaux, fleurs, etc.) Cela passe enfin par des investissements d’infrastructures liées aux nouvelles activités (energie).
L’épargne locale étant faible ou non mobilisable[4], il appartiendra à la banque centrale de fournir, sans limite, le crédit à taux proche de zéro pour inciter les opérateurs locaux à se lancer. Pour autant, le problème de la pression sur les importations demeure puisque ces investissements permettant la conquête d’une autonomie face au marché mondial sont eux-mêmes très consommateurs d’importations. Cela signifie par conséquent des temps très difficiles où l’économie de devises sur les importations de produits de luxe, désormais lourdement taxés, est absorbée par des importations de biens d’équipements ( machines, engrais, énergie, matériaux de construction ,etc.). La banque centrale peut tout, sauf imprimer des devises….
On peut bien sûr imaginer des solutions militantes : ainsi, trouver des entreprises étrangères exportant des biens d’équipement vers la Grèce, et acceptant des drachmes qui seraient redistribuées à leurs salariés désirant passer des vacances en Grèce….mais cela ne change guère le problème, les touristes militants n’apportant plus des devises mais des Drachmes …que l’on peut imprimer à coût nul… Il faudrait, si l’on veut poursuivre le raisonnement, un excédent de touristes pouvant financer des importations d’équipements supplémentaires, mais pour cela il faudrait aussi davantage de devises…
Bien évidemment, on voit ici que le recours au capital étranger, qu’il soit autonome ou qu’il soit associé à du capital local, s’impose. Compte tenu du défaut qui marque le point de départ du rétablissement de la souveraineté grecque, il faudrait imaginer des incitations puissantes à la venue du capital étranger dans le pays. Cela passe par du subventionnement d’infrastructures, la prise en charge d’une partie des coûts opérationnels exprimés en Drachmes, etc. On peut aussi imaginer des plans de substitutions d’importations avec un subventionnement d’autant plus puissant que la substitution est plus rapide. Mais tout cela passe aussi par la confiance quant au rapatriement des profits, eux-mêmes bénéficiant de garanties de taux de change.
La mise en place de telles incitations suppose un Etat stratège compétent, un Etat capable de légiférer, un Etat capable de garantir son fonctionnement, de garantir le respect des règles qu’il impose, de sanctionner les dérives, et donc un Etat ayant éradiqué toutes les formes de corruptions et autres risques clientélistes[6]. Cela suppose également du temps, un temps pendant lequel les devises resteront particulièrement rares et donc un temps pendant lequel la stabilisation du cours de la Drachme autour de son taux de change ne sera pas facile à tenir. D’où de fortes incitations à un redéploiement géopolitique de la Grèce vers la Russie ou la Chine, lequel sera lui aussi consommateur de temps et de méfiance.
Ne pas se tromper et rompre avec le mondialisme.
En matière de reconstruction, l’objectif final est de redonner vie à la société grecque en offrant un avenir à chacun par le biais de l’emploi. Cela signifie que les activités nouvelles ne peuvent en aucune façon suivre le chemin de la mondialisation libérale[7]. En clair, il ne s’agit pas d’aligner les nouvelles activités sur le critère de la compétitivité maximale et de viser la fin des barrières tarifaires. Il ne faut pas sortir de ce modèle réduit du mondialisme qu’est l’euro-zone pour se lover dans un autre plus vaste. A l’inverse, il faut viser ce qui pourrait être le modèle de demain à savoir l’équilibre extérieur comme objectif macroéconomique. Cet objectif est celui d’un équilibre offre globale nationale/demande nationale globale, permettant de donner un emploi à toute la population active potentielle. La Grèce ne doit plus être victime des « sur compétitifs » qui viennent « braconner » la demande finale du pays. Elle ne doit pas non plus se transformer en « tigre » en jouant sur les bas salaires, ainsi que semble le vouloir les classes dirigeantes espagnoles.
Le prix à payer est bien évidemment un appareil productif moins efficient[8] et donc une richesse produite plus limitée. En contre partie, le gain est bien évidemment la reconstruction d’une société plus solidaire avec un éventail des revenus plus limité, un resserrement aussi mécaniquement produit par la disparition relative du chômage.
La violence de l’euro a détruit la société grecque. La reconstruction ne sera pas une promenade de santé, et il faudra beaucoup d’adresse et de courage pour parvenir à une situation plus favorable.
[1] De fait les touristes ne rémunèrent que les services associés à leur consommation (rémunérations des personnes liées directement ou indirectement à l’activité) et les administrations fiscales sous la forme de la TVA, laquelle bénéficie de taux minorés dans les iles. Pour le reste c’est-à-dire la plupart des consommations intermédiaires, il n’y a quasiment que des importations.
[2] Selon la fondation Hans Böckler, la hausse des impôts - au cours des 5 dernières années- fut de 337% pour les plus pauvres et simplement de 9% pour les catégories les plus aisées. Les 10% des ménages les plus pauvres, compte tenu du chômage non rémunéré auraient vu leurs revenus baisser de 84% au cours de la même période.
[3] Cf. notamment les travaux d’un Gérard Destanne de Bernis dont l’application fut en Algérie la catastrophe des années 70.
[4] Notamment celle de la classe aisée qui se trouve évidemment à l’étranger.
[6] Et de ce point de vue le gouvernement grec ne dispose pas d’un outil administratif suffisamment fiable.
[7] CF. tous les articles du blog qui concernent avec la mondialisation, la transformation progressive du salaire en seul coût alors que les 30 glorieuses l’avaient érigée dans une double dimension débouchés/coûts. En particulier on pourra se reporter sur : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-une-crise-qui-nous-vient-de-si-loin-99239161.html.
[8] Comme dans le modèle de Ricardo des avantages comparatifs où Portugal et Angleterre disposent d’une productivité du travail plus faible s’ils refusent le libre-échange.