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18 avril 2016 1 18 /04 /avril /2016 07:51

 

Dans ce court papier nous nous proposons de comparer l’actuelle politique des banques centrales et leurs effets avec celle du Trésor français, au cours de la reconstruction de l’après- guerre. Nous envisageons également l’hypothèse d’un « helicopter money ».

Lorsqu’aujourd’hui la BCE se livre au QE, elle achète encore essentiellement de la dette publique. Il s’agit même de dette domestique puisque le QE est le fait de chacune des banques centrales de l’euro –système. De ce point de vue, elle achète des obligations du Trésor, comme naguère les banques nationalisées achetaient des bons du Trésor afin de respecter les « planchers » de l’époque[1].

Quelles sont les différences ?

La première réside dans l’initiative : Banque Centrale du côté du QE et Trésor du côté des « planchers ». D’un côté un souverain, de l’autre un patron non élu d’une entité formellement indépendante.

La seconde est que du côté du QE il s‘agit bien d’une monétisation, au moins temporaire, qui va accroitre le bilan de la Banque Centrale, tandis que du côté des planchers il s’agit d’éviter la monétisation pure. En effet le Trésor à l’époque pouvait recourir aux avances directes de la Banque de France laquelle n’était pas indépendante. Les « planchers » évitaient ainsi au gouvernement l’accusation de recourir à la « planche à billets »[2].

La troisième concerne l’objectif : dans le cas des « planchers » il s’agit de parfaire le circuit du Trésor, et de libérer l’Etat des contraintes d’une dette à des fins de développement. Le projet est clair : reconstruire le pays et tout faire pour disposer d’un outil de maximisation des investissements réels. Dans celui du QE le projet est flou : interdire la déflation, mais aussi améliorer le bilan des banques, limiter le coût de l’endettement public, et au final interdire une prochaine crise financière. L’idée d’investissements réels n’est pas absente mais elle n’est pas centrale. Au-delà il développe des effets pervers aujourd’hui bien analysés[3].

Il existe une quatrième différence, celle des taux : la BCE ne maîtrise pas le taux de la dette alors que dans le cas du circuit du Trésor l’État fixait autoritairement le taux de l’intérêt.

Manifestement, en première lecture, l’achat obligatoire de dette publique est une stratégie autrement performante que l’achat sur un marché secondaire par une entité non désignée pour tracer un projet de société. Ajoutons qu’on voit mal comment cette nouvelle innovation que serait « l’helicopter money » pourrait aujourd’hui fonctionner -sous réserve de l’accord de l’Allemagne- aussi bien que les planchers. Nous y reviendrons.

Peut-on aujourd’hui revenir aux « planchers » ?

La question la plus importante serait de savoir s’il est possible aujourd’hui d’en revenir au circuit du Trésor. Que se passerait- il en cas de rétablissement de la répression financière qui accompagne une telle politique ?

Quels comportements de la part des divers acteurs en cas de rétablissement du circuit ?

On peut tout d’abord penser que les titres gelés détériorent la qualité du bilan du système bancaire : la dette publique cesse d’être liquide.

On peut en déduire que la notation et le cours sont altérés d’où des difficultés sur le marché monétaire et celui de l’endettement bancaire privé dont les fonds monétaires.

La conséquence en sera une perte de productivité globale et de compétitivité au regard de l’extérieur : les taux demandés aux clients seront plus élevés, d’où leur fuite vers des zones non concernées par un circuit du Trésor, en clair l’étranger, avec en bout de chaine déplacement des comptes clients vers des espaces non soumis à la répression financière. S’agissant des comptes clients les choses sont complexes : fuite directe en raison d’une opinion de sécurité plus grande de la valeur de la monnaie étrangère, fuite indirecte pour bénéficier de crédits libellés en monnaie étrangère à l’étranger (mais avec risque de change à incorporer dans les taux).

De tout ceci il est imaginable de penser que le rétablissement du circuit dans un seul pays n’est pas sans risques…..et suppose le rétablissement d’outils que l’on croyait obsolètes.

La seule façon d’éviter tout jugement par le marché de la qualité du bilan du système bancaire est de l’extirper dudit marché. Cela passe par la nationalisation intégrale de la totalité du système bancaire.

Ce qui pose la question du traitement des banques étrangères, et de l’ensemble des outils financiers non-résidents. Peut-on nationaliser des entreprises étrangères même de droit français sur le sol national ?

Nous ne prétendons pas ici répondre à cet ensemble de questions. Nous voulons simplement mettre en avant les difficultés qui surviendraient après la fin de l’euro, c’est-à-dire le nécessaire et fort brutal rétablissement de la répression financière.

Poursuivons ce court papier en revenant sur « l’helicopter money ».

L’illusion du maintien de l’euro grâce à « l’helicopter money »

Il n’est guère besoin d’insister sur l’opposition radicale de l’Allemagne vis-à-vis d’un tel projet. Les actuels débats dans ce pays montrent que la cohorte croissante des retraités pose de réels problèmes politiques. Si un tel projet devait se concrétiser il semble clair que l’Allemagne quitterait  la monnaie unique,  et donc l’helicopter Money signifierait la fin de l’Euro. Notons qu’une telle décision pourrait se nourrir d’arguments relativement sérieux concernant l’inflation. Il est clair que l’helicopter Money est une monétisation pure, c’est-à-dire une création monétaire ne reposant pas sur l’achat d’un actif. On peut donc penser que le risque inflationniste est beaucoup plus important que celui engendré par un QE classique[4]. Or ce risque est intolérable du point de vue de la cohorte des retraités allemands qui verrait son   épargne fondre.

Même en admettant l’hypothèse très irréaliste d’un maintien de l’Allemagne dans la zone il reste que l’helicopter money développe un ensemble d’effets pervers que l’on peut brièvement présenter

Tout d’abord il signifie une marginalisation du système bancaire lequel ne peut réagir que fort négativement au regard d’un tel projet. De fait l’helicopter Money correspond à une réduction massive de parts de marché du système bancaire.

Au-delà il faut souligner les effets pervers des deux formes possibles de l’hélicoptère Money soit une création monétaire au titre de l’investissement soient une création monétaire au titre de la consommation.

Au titre de l’investissement on peut imaginer un helicopter Money au profit d’une banque européenne d’investissement chargée de répartir les montants alloués entre divers utilisateurs : branches professionnelles , Etats, collectivités locales , etc. Cette procédure pose de multiples problèmes : comment répartir le flux de monnaie nouvelle entre pays ? entre branches professionnelles et Etats ? Quels décideurs finaux ? quelle logique d’affectation des ressources ? les montants distribués seront -ils affectés au désendettement ou à l’investissement réel ? etc.

S’agissant de la consommation que certains appellent le « QE for the people » on peut également se poser de très importantes questions ; quel effet d’épargne supplémentaire ? quel impact sur l’équilibre extérieur ? quel impact sur la demande interne ? et au final quelle réduction de l’hétérogénéité intra européenne que la monnaie unique n’a cessé de renforcer ?

Autant de questions qu’il est utile de se poser mais  le vrai problème de l’helicopter Money est le refus obstiné de l l’Allemagne.(A suivre...)

 


 

[1] A partir d’octobre 1948 les planchers contraignent les banques à détenir dans leurs bilans un volume de dette du Trésor. Ce volume est un pourcentage des disponibilités totales détenues par les banques. Très élevé dès son lancement ce pourcentage était encore de 25% en 1960. Il diminuera largement ensuite pour disparaitre à la fin des années 60.

[2] Cette différence est toutefois ténue car dans les deux cas il y a renoncement à la monétisation pure, l’émission de monnaie s’effectuant avec la contrepartie d’un achat d’actifs. De fait cette monétisation ne diminue pas dans l’un et l’autre cas la dette publique. La différence résulte plutôt dans le fait que dans le cas de la BCE, il est supposé que l’achat est temporaire alors que dans le cas des « planchers » elle est durable.

[3] Cf Patrick Artus et Marie Paule Virard ; « La folie des banques centrales » ; Fayard ;2016.

[4] Rappelons que Milton Friedman avait employé l’image de l’hélicoptère pour illustrer la théorie quantitative de la monnaie et l’idée associée de voile monétaire : une quantité supplémentaire de monnaie n’affecte en aucune façon l’économie réelle.

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commentaires

L
Merci pour ce papier virtuel, certzaines notions ne me sont pas claires mais néanmoins je relève cette idée de monétisation pure. Les banques privées font exactement la même chose que l'HM, c'est à dire de la monétisation pure ! Des milliards sont créés ex-nihilo pour financer des effets de levier dans le trading haute-fréquence sans qu'aucun actif ne soit créé !<br /> L'HM aurait l'avantage de remettre un peu d'équité dans un système financier parti totalement "en live" comme disent les jeunes. L'HM vers les ménages serait une sorte de démocratisation des effets leviers tout aussi aveugles que le système actuel qui donne un pouvoir démesuré aux institutions bancaires contre les acteurs non-bancaires de l'économie. <br /> Le problème selon moi est d'ordre économique d'une part, le système est inefficace pour la majorité de l'économie réelle même le service de la retraite n'est pas assuré de manière pérenne par cette méthode, d'autre par d'ordre politique, peut-on encore parler de démocratie quand une oligarchie de banquiers privés créent et investissent la monnaie où bon leur semble ?
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W
Werrebrouck<br /> Vous avez raison et c'est la raison pour laquelle le HM doit être maitrisé par la puissance publique et ce façon démocratique? Sachez qu'aujourd'hui, même en Suise on s'intérese de prés au HM et des propositions tr"s concrêtes sont faites, ce qu'on appelle là bas "la ration monétaire" qui serait versé à chaque ménage.

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