Les Echos du 20 octobre soulignent le cri d’alarme du Trésor américain qui s’insurge contre les pays qui - bien au-delà des infractions classiques au sacro-saint libre échange - ne respectent pas le jeu en manipulant leur monnaie. Dans la liste publiée par ledit Trésor on notera la présence de l’Allemagne dont l’adhésion à la zone euro lui permet de jouir d’un taux de change inférieur de 15% à ce qu’il serait si ce pays avait conservé le mark. Bien évidemment, ce taux n’étonnera aucun économiste sérieux et chacun sait que le gigantesque excédent allemand s’affaisserait si les exportations étaient assorties de prix plus élevés, résultants eux-mêmes d’un taux de change plus élevé.
Le Trésor américain, dans le document qu’il vient de publier n’affiche – en dehors de celle du libre-échange - aucune doctrine ni aucune règle quelconque en matière de commerce international. Pour autant, les critères qu'il fixe pour dénoncer les fraudeurs, permettent de découvrir la règle cachée. Trois critères de reconnaissance des « coupables » sont mis en avant : importance du surplus commercial sur les USA, importance du surplus des paiements extérieurs du pays incriminé, importance de l’achat de devises étrangères pour affaiblir la monnaie. Ces trois critères permettent de trouver la solution d’une « devinette » facile : le Trésor US considère que les échanges entre nations doivent être équilibrés et que c’est cet équilibre qui doit assurer le positionnement des taux de change. Pour autant, bien évidemment, le Trésor américain ne nous renvoie pas à Keynes ni à la Conférence de La Havane : il ne fait que mettre en avant les intérêts des USA.
On sait que le gouvernement américain n’a jamais accepté l’idée d’un tel équilibre qui mécaniquement aurait placé le dollar dans le droit commun des monnaies. On sait aussi qu’il va, avec la fin du système de Bretton-Woods en 1971, rapidement accepter l’idée de la fin des taux de change fixes, idée consacrée à la Conférence de la Jamaïque en 1978. A partir de là, le processus de privatisation des monnaies s’enclenche rapidement : la monnaie devient une marchandise comme les autres marchandises et, une dizaine d’années plus tard, ce processus sera scellé par l’indépendance de la plupart des banques centrales du monde.
Les habitudes sont aujourd’hui prises et pour un pays, fixer le « coefficient » qui tenterait d’établir le mode d’insertion que ce pays souhaite construire au sein de la communauté internationale, c’est-à-dire un taux de change, devient un acte délictueux. Qui ose encore parler de souveraineté ?
Le monde est ainsi complètement renversé : un bien public, la monnaie, est l’objet de toutes les enchères et son accès, approximativement sécurisé par la multitude des contrats et produits dérivés, est payé au prix fort par les entreprises de l’économie réelle, et ce au bénéfice de l’économie spéculative. Qui est le délinquant ?
Les entreprises de l’économie réelle déjà malmenées par des prélèvements fisco-sociaux importants doivent dans le cadre de leurs activités, notamment internationales, payer le service monétaire que l’Etat a cédé à des spéculateurs. Le service, de coût proche de zéro, était aussi presque gratuit . Il est maintenant l'objet d'un péage accaparé par des spéculateurs. Comme quoi, la mondialisation est aussi le retour du féodalisme et de ses seigneuries. Voilà un sujet central pour les débats politiques de l’élection présidentielle. Réformer c’est comme balayer un escalier : il ne faut jamais commencer par le bas.