Nous proposons, dans le très bref texte qui suit, l’examen des fondements de ce qui pourrait justifier une refonte en profondeur de l’organisation du système des retraites.
Il convient tout d’abord de considérer que ce qu’on appelle retraite, est une partie du « coût de la vie humaine », partie que l’on peut désigner par « coûts d’entretien de la vieillesse ». Ces coûts sont en quelque sorte la fin d’une longue série : « coûts de la production et de la formation » ( il faut élever les enfants et les former) ; « coûts du travail consommé » ( l’employeur doit aujourd’hui rémunérer les salariés dont il consomme le travail et les compétences qui s’y rattachent) ; « coûts intermédiaires » ( la vie est aussi parcourue par la maladie, voire de l’inadaptabilité au travail, laquelle correspond en particulier au chômage possible).
En très longue période, on peut constater que l’humanité a toujours recherché à retarder la « sortie de la vie » en construisant des outils propres à la sécuriser et à la prolonger. Globalement, l’augmentation considérable de l’espérance de vie est un fait récent à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Elle est liée à l’augmentation considérable des « coûts de la production et de la formation » (on entre beaucoup plus tard sur le marché du travail). Elle est aussi liée à une augmentation « du coût d’entretien de la vieillesse ».
Dans le monde d'aujourd'hui, le coût complet de la vie (production, formation, travail consommé, coûts intermédiaires, coût d’entretien de la vieillesse) est globalement assuré par une Institution appelée « Entreprise ». Cette dernière distribue chaque mois des « bons » appelés « salaire », et « bons » qui prennent en charge les « coûts du travail consommé ». Au-delà, les modernes fiches de paye, révèlent que l’institution « Entreprise » verse des « bons indirects » appelés charges sociales, lesquelles feront face à nombre d’ autres coûts de la vie ( allocations familiales, logement, chômage, maladie, vieillesse, etc.). c’est dire que l’institution « Entreprise » est au centre d’un réseau qui permet de solidariser le coût complet de la vie humaine. Au sommet de ce dernier se trouve l’Etat, acteur plus ou moins interventionniste dans un système social producteur de la dite solidarité. Empiriquement, on a pris l’habitude de distinguer un modèle social « bismarkien » d’un modèle « beveridgien », la réalité concrète étant souvent un mixe de ces deux modèles. Tout aussi empiriquement, on sait aussi que le coût complet de la vie n’a pas toujours été assuré par l’institution « Entreprise » et qu’il fut historiquement assuré par une cellule domestique plus ou moins élargie.
On oublie souvent que la prolongation de la vie est assortie d’un coût croissant : produire plus de temps de vie est assorti d’un coût croissant en charges indirectes : il faut beaucoup de formation, d’intelligence, de capitaux, pour améliorer l’espérance de vie par le biais d’un système de santé. C’est dire que le coût global de la vie, qui est aussi dans notre monde le coût global du travail, ne peut qu’augmenter. Lorsque l’on commence en France, à s’intéresser au risque de la vieillesse dans les années 30, on imagine déjà une augmentation du coût global du travail. Toutefois, le chemin est encore long car les salariés meurent peu de temps après la fin du travail. Il en résulte assez mécaniquement que même faibles les cotisations dépassent de loin les versements, et que naturellement le système des retraites devient un système excédentaire, pour lequel il faudra trouver des instruments de placement …..nous en sommes loin aujourd’hui…
Et si, présentement, on dépense plus en soins pour prolonger la vie (12 points de PIB aujourd’hui contre moins de 1 point au début du siècle passé), le coût global du travail augmente par deux canaux : les dépenses croissantes de santé d’une part et celles tout aussi croissantes de retraites. Ces dernières ont en effet augmenté dans les mêmes proportions et vont passer de moins de 2 points de PIB au début du siècle précédent à 14 points aujourd’hui.
Quand on vit dans la période des 30 glorieuses, un système bismarkien est presque idéal. Il est un moment de social-démocratie où les partenaires sociaux, appuyés par un Etat bienveillant et bien nourri par un fort rendement de l’impôt, se partagent les gigantesques gains de productivité de l’époque ( 3 à 4% contre moins de 1% aujourd’hui). La hausse permanente du coût global du travail de l’époque est payée par les gains de productivité lesquels pourront aussi payer des hausses de profit justifiant des investissements eux-mêmes exigés par la hausse des dépenses salariales…Nous sommes dans un cercle vertueux.
Tel n’est plus le cas dans une économie mondialisée, où le coût global du travail perd sa contrepartie « débouché » pour n’être qu’un seul « coût » à comparer avec celui existant dans les pays émergents : Le coût global du travail ne peut plus augmenter. Si, au-delà, une monnaie unique fait disparaître l’outil "taux de change", et qu’en outre le taux initialement choisi est trop élevé, alors le coût global du travail doit impérativement baisser. Un malheur n’arrivant jamais seul, les dépenses croissantes de santé n’ assurent que peu de naissances supplémentaires mais sont la cause directe de beaucoup moins de décès. D’où la question démographique avec 0,74 retraité par actif aujourd’hui contre 0,24 en 1959.
Les entrepreneurs politiques qui ont mis en place, voici une quarantaine d’années, l’enveloppe règlementaire de la mondialisation, se doivent d’être cohérents et ne peuvent plus conforter un modèle bismarkien, ou social-démocrate qui, par ailleurs n’intéressent plus que les syndicats de salariés. C’est qu’en effet le basculement vers la mondialisation en provoque un autre : les entreprises ont davantage intérêt à négocier directement avec l’Etat et moins avec des syndicats restés enkystés sur un territoire jugé trop étroit.
La cohérence vise par conséquent à transformer le modèle bismarkien en modèle beveridgien. De ce point de vue, le projet gouvernemental - s’il ne dérape pas - est en parfaite adéquation avec les exigences de la monnaie unique. Il en est même une prothèse indispensable. On ne sait pas encore précisément comment fonctionnera la Caisse Nationale de Retraite Universelle, mais on sait déjà qu’elle sera, de fait, une agence centrale d’Etat dépourvue, à l’inverse des Autorités Administratives Indépendantes, d’une réelle autonomie. Les caisses existantes seront fermées et il sera ainsi mis fin au subventionnement de leurs déficits éventuels par le Trésor. C’est là un premier canal de diminution du coût global du travail.
La gouvernance de ce qui serait la « CNRU » sera paritaire mais des représentants de l’Etat y figureront comme employeurs, ce qui développe des conséquences essentielles.
En effet, les partenaires seront peut-être censés fixer chaque année la valeur du point, l’âge d’équilibre, le taux de cotisation, l’indexation des pensions, etc. Mais il ne s’agit que d’une illusion puisque la Caisse étant universelle, de telles prérogatives toucheraient immanquablement la loi budgétaire dont l’artisan est Constitutionnellement le seul Parlement. Parce que les pensionnés de l’Etat sont couverts par la loi budgétaire, des acteurs étrangers au parlement ne peuvent décider d’un des chapitres du budget de la Nation. Clairement le projet de loi concernant la réforme des retraites devra obligatoirement prévoir la valeur simplement consultative des propositions des partenaires sociaux. Derrière l’apparente bienveillance du terme « universel » se cache une formidable reprise du pouvoir sur une partie essentielle du coût global du travail.
Nous serons donc bien dans un système où l’Etat reprendra l’essentiel des commandes et pourra lui-même procéder souverainement à la diminution du coût global du travail , ici, par la diminution sensible des pensions. Les instances de concertation seront le décor, mais le vrai partenariat sera celui entre les entrepreneurs politiques et les entrepreneurs économiques plongés dans le grand bain de la mondialisation.
Reste évidemment la question de la résistance syndicale vis-à-vis d’un basculement dont ils ne comprennent pas le principe, ni à fortiori le lien direct avec la question de l’euro. Il est très clair que, bizarrement, la négociation actuelle porte sur le prix de vente de la réforme. L’exemple des discussions ministérielles avec les enseignants est ici très symbolique. Dans notre langage, ce prix consisterait à relever de façon assez spectaculaire ce que nous avons appelé les « coûts du travail consommé ». Travail de gribouille pour les entrepreneurs politiques au pouvoir envers lesquels l’institution « Entreprise » exige une véritable diminution du coût global du travail, et non du bricolage. La fin des corps intermédiaires au profit du partenariat entrepreneurs politiques/entrepreneurs économiques ne sera pas de tout repos.
Le premier tour de l’élection présidentielle de 2022 se jouera sur l’aptitude réelle du pouvoir à concrétiser l’exigence de baisse non dissimulée du coût global du travail. Les lecteurs de ce blog savent qu'il existe d'autres solutions que celles qui réaniment la Haine entre classes sociales. Celle du rétablissement de l'Etat-Nation en est une....encore, il est vrai, peu déchiffrable sur les marchés politiques.