Le gouvernement français s’est efforcé cette année de contenir le potentiel de hausse de prix sur l’électricité, le gaz, voire même les carburants. La facture est élevée pour les finances publiques (environs 10 milliards d’euro, sous forme de détaxation de l’électricité et de subventions aux fournisseurs les plus petits) mais aussi pour EDF, qui par le dispositif dit de l’ARENH (vente obligatoire à prix réduits à des fournisseurs qui sont aussi ses concurrents), verra sa marge diminuer d’au moins 8 milliards d’euros. Face à l’importance de ces chiffres, Il y a lieu de s’interroger sur la poursuite possible d’un tel déraillement lequel coûte à l’économie du Pays l’équivalent du quart de ses dépenses militaires. Les finances publiques et l’entreprise EDF seront-ils capables de supporter une ponction semblable en 2023 ?
Et il est vrai qu’il faudra probablement faire face, de façon sans doute plus sérieuse, à ce qui est une crise de l’énergie aussi importante que la révolution pétrolière de 1973. Circonstance aggravante, cette crise se déroule dans un contexte globalement plus défavorable et il n’est pas question de l’absorber par des gains de productivité qui, très élevés à l’époque, ont aujourd’hui disparu. Au-delà, la grande question de la mobilisation autour de l’objectif très ambitieux et très coûteux d’un zéro carbone pour 2050, constitue une autre circonstance aggravante.
Quels sont les indices qui nous permettent de penser que nous entrons dans une crise énergétique grave et de longue durée ? Nous retiendrons ici 4 indices ou paramètres globaux essentiellement géopolitiques et 4 indices ou paramètres micro et méso-économiques.
Les paramètres globaux ou géopolitiques.
1 - Il y a tout d’abord la dépendance gazière de l’Europe et ses conséquences sur la France au regard de la Russie et de la crise Ukrainienne. Cette dépendance à hauteur de 40% de la consommation européenne n’est pas facilement et rapidement contournable par le recours à d’autres fournisseurs. Cette dépendance et la tension qui s’y trouve associée est bien naturellement favorable au maintien de prix élevés.
2 - Il y a ensuite la dépendance de la France au regard des autorités européennes pour ce qui concerne le nucléaire. Le double débat sur la taxonomie et l’aide publique aux diverses branches de l’économie se termine-t-il dans l’assurance du succès des intérêts français ? De sérieux doutes demeurent dont la presse spécialisée se fait écho.
3 - Il y a, en troisième lieu, les contraintes de la BCE. Parce que cette dernière est obligée malgré l’inflation naissante de maintenir des taux proches de zéro, les capitaux se déplacent vers des zones plus rémunératrices et font baisser durablement le cours de l’euro au regard du dollar. Cet écart de taux est durable et résulte du fait que la BCE se doit avant toute chose de protéger un Euro qui disparaitrait rapidement si des spreads devenaient trop visibles à l’intérieur de la zone. Les achats libellés en dollars deviennent plus coûteux et la conséquence est une hausse durable du prix des énergies importées.
4 - Il y a enfin la dépendance vis-à-vis de l’oligopole complexe (OPEP/ Russie/USA). Cet oligopole est maintenant orienté par une convergence d’intérêts autour d’une rente pétrolière de court terme en raison du choix d’une économie décarbonée pour 2050. En termes de stratégie, cela signifie une limitation des quantités afin de maintenir des prix élevés compensant la perte de réserves qui resteront sous terre au-delà de 2050.
Ces paramètres globaux sont appuyés par d’autres réalités plus micro et méso-économiques.
Les paramètres micro et méso-économiques.
1 - Il est tout d’abord constaté une chute considérable des investissements dans les activités de forage et d’exploration. Il s’agit de décarboner les bilans, alors même qu’une partie des énergies fossiles est sollicitée pour « épauler » les énergies renouvelables dont le fonctionnement est intermittent. Cela se traduit par une contrainte d’offre durable dans un contexte de forte demande au titre de la forte croissance. D’où des résultats spectaculaires débouchant sur des rachats d’actions (EXXON consacre 50% de ses bénéfices aux rachats d’actions plutôt qu’à les réinvestir) ou des réorientations majeures (TOTAL énergie qui pense réaliser 50% de son chiffre d’affaires à partir de l’électricité en 2050).
2 - En accompagnement de ce dernier point il s’agit ensuite d’un éloignement des fonds d’investissement vis-à-vis de tout ce qui n’est pas estampillé ESG (environnement, social, gouvernance). On est donc assuré d’un blocage durable de l’offre d’énergie fossile et donc d’un prix durablement élevé de l’énergie. Ce dernier label ESG entraîne mécaniquement une baisse des investissements dans les énergies fossiles sans toutefois favoriser une puissante augmentation des investissements vers les énergies renouvelables dont la rentabilité n’est assurée qu’avec un large recours à des financements publics. Globalement, l’investissement dans les énergies renouvelables ne compensant pas la chute de l’investissement dans les énergies fossiles, nous nous dirigeons vers une raréfaction de l’offre et donc une hausse durable des prix.
3 - En troisième lieu il s’agit de constater une augmentation considérable de la demande d’électricité qui ne doit pas seulement permettre le passage à la mobilité tout électrique mais doit aussi accompagner de nouveaux usages gros consommateurs. Pensons par exemple à l’activité de « minage » pour les crypto monnaies, minage qui vient d’aboutir à une panne gigantesque dans toute l’ Asie centrale. Globalement la Commission européenne prévoit au moins un doublement des besoins d’électricité pour 2050, donc une tension énorme sur l’offre à construire.
4 - Enfin, il s’agit de prendre conscience de la perte générale « d’agilité » face aux grands projets : Le blocage de l’offre d’énergies fossiles n’est pas compensable par une offre nouvelle d’électricité nucléaire. Il est très loin le temps où par mobilisation de grandes compétences, la France pouvait connecter à son raison électrique une nouvelle unité nucléaire tous les 5 mois (années 80). S’il faudra une douzaines d’années pour produire les premières bribes de la nouvelle électricité nucléaire c’est en raison de quelques 4000 ingénieurs qu’il faudrait embaucher annuellement dans la branche et qui n’existent pas (propos du Président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire).
Oui, nous entrons dans une nouvelle crise de l’énergie. A l’inverse de celle de 1973 qui n’annonçait pas une pénurie mais une simple révolte des propriétaires désireux de maitriser la rente pétrolière, celle qui s’annonce est bien celle d’une rareté. Convenons toutefois que cette rareté n’a rien de naturelle : elle est simplement le résultat de péripéties sur lesquelles les historiens se pencheront demain. Ce qu’il y a de certain toutefois est que cette crise sera durable.