Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 octobre 2022 3 05 /10 /octobre /2022 13:47

Lorsque EDF fut invitée à embrasser la logique du marché, elle fut d’abord, à la fin des années 90, orienté vers la recherche de débouchés internationaux, non pour vendre de l’électricité, mais pour diffuser le remarquable outil de production qu’elle venait de construire en France. Cette recherche fut un échec en raison des structures organisationnelles et culturelles de l’entreprise beaucoup plus orientées vers une stratégie d’optimisation d’un service public que vers celle de maximisation d’une rentabilité.

Lorsque quelques années plus tard Bruxelles devait imposer une logique de distribution de l’électricité selon les règles de la « concurrence libre et non faussée », la question de la disparition du monopole fut posée. L’infrastructure réseau du monopole ne soulevait guère de difficulté, et Bruxelles devait accepter la logique du monopole naturel impliquée par un coût marginal nul : on ne touchera pas à l’infrastructure réseau. Par contre, la question de l’infrastructure de production de l’électricité devait être posée et, fort logiquement, EDF aurait dû disparaitre comme  avait disparu la Standard Oil of New Jersey en 1911 : l’entreprise aurait dû être démantelée et ses unités de production - dont les centrales nucléaires- réparties entre plusieurs entreprises juridiquement indépendantes et ce, avec une interdiction  d’une quelconque structure de holding.

Toutefois Bruxelles avait tort d’imaginer que le monopole EDF pouvait être démantelé comme devait l’être aisément la Standard Oil un siècle plus tôt. Un peu d’histoire comparée permet de comprendre cette réalité.

« Le monstre Standard oil » était industriellement démontable

Lorsque la technique du forage et de production par jaillissement fut inventée en 1859 par le colonel Drake, très vite s’est créée une industrie du pétrole très instable avec des périodes de surproduction ruineuse pour les producteurs et des périodes de sous production au détriment des utilisateurs. Chaque producteur isolé - ne faisant face qu’à des coûts fixes - avait intérêt à produire le maximum permis par le forage. Il en résultait globalement une offre surabondante de pétrole, une chute des prix et l’impossibilité pour chaque producteur de faire face aux coûts fixes correspondant au forage. La faillite des petits producteurs entrainait alors une offre insuffisante et des prix devant à nouveau s’accroître, le tout justifiant le renouveau du scénario et la crise suivante. Observateur avisé, Rockefeller devait en conclure que la concurrence ne pouvait faire naître un marché stable et qu’il fallait édifier une situation de monopole. Ce monopole fut progressivement construit par le biais d’une centralisation des achats et d’un prix affiché sur chaque gisement. Technologiquement, cette édification ne passait pas par une maîtrise industrielle haut de gamme, situation rendant relativement aisée le démantèlement de l’entreprise par l’application des lois antitrust et du Sherman Act. Et loin d’être une industrie haut de gamme, un entrepreneuriat non spécialisé pouvait aisément acquérir la technique du forage et de la production. Situation expliquant une vive concurrence elle-même tueuse d’un marché compétitif à remplacer par un monopole. Clairement, il n’existait pas de barrière à l’entrée et l’industrie pétrolière américaine devait - après le démantèlement-  continuer à se développer non pas en situation de pleine concurrence mais dans une situation à tout le moins dé monopolisée.

Le monstre EDF n’est pas industriellement démontable

EDF était dans uns situation très différente et devait constituer depuis 1946 un monopole public chargé d’une mission de service public. Cette ambition était en cohérence avec le recours à des technologies d’une très grande complexité et technologies accessibles à des coûts très élevés. C’était le cas de la construction des grands barrages dans les années 50 et davantage encore avec l’aventure nucléaire qu’aucun autre pays au monde n’aurait osé entreprendre. Economiquement cela signifiait des charges fixes colossales associées à des coûts marginaux très faibles voire nuls, donc des rendements croissants devant « ruisseler » vers une industrie compétitive à reconstruire. Le résultat fut exemplaire.

 Ce choix stratégique signifiait aussi des barrières à l’entrée très élevées et la quasi impossibilité de pénétrer sur le marché sauf par éclatement du monopole de production. Du point de vue d’EDF et de son actionnaire public, « casser » l’infrastructure de production en plusieurs blocs était aussi très difficile puisqu’au-delà de la résistance de la structure organisationnelle, cela correspondait à l’émiettement et donc l’alourdissement des charges fixes : plusieurs acheteurs en face des fournisseurs, plusieurs pôles de recherche et développement, et globalement pertes des structures de mutualisation.

Au début des années 2000 Bruxelles a fini par comprendre que le « monstre EDF » n’avait rien à voir avec ce qui constituait aux Etats-Unis le « monstre Standard Oil » et a laissé à la partie française le soin de proposer d’autres pistes pour générer un marché de l’électricité sans casser l’outil de production.

Contourner le monstre et le saigner pour générer un marché.

La solution fut celle de « l’ARENH » (Accès Réglementé à l’Energie Nucléaire Historique). Concrètement on oblige EDF à vendre une partie de sa production à des entités qui pourront ensuite revendre ladite production à des clients d’EDF. Ces entités désormais appelées « fournisseurs d’électricité » sont censées s’approvisionner aussi à d’autres producteurs et ce à un niveau national voire international par le jeu de bourses d’électricité. Afin d’assurer la bonne mise en valeur des capitaux investis dans les entités fournisseuses, il sera exigé qu’EDF vende son électricité à des coûts très faibles, ce qui revient à dire que pour EDF la marge qu’il pourrait se procurer par vente directe est mangée par les « faux clients » « fournisseurs d’électricité ». Ce subventionnement d’EDF devait aussi aboutir à la perte d’un grand nombre de clients finaux de l’ex-monopoleur.

Très concrètement, un véritable prix de marché de l’électricité peut naître et nous aurons- jusqu’à la guerre en Ukraine- près d’une quarantaine « d’entreprises » qui vont chevaucher le marché de l’électricité. Certaines seront aussi de vraies entreprises de production (Total Energies par exemple) mais les plus nombreuses ignorent complètement ce qu’est l’électricité et leur seul métier consistera à proposer des contrats qu’il s’agira de respecter en spéculant habilement sur les marchés à terme de l’électricité. Bien évidemment, au-delà du secteur de la finance qui voit dans l’électricité une  matière première providentielle, la Grande Distribution française et étrangère s’est précipitée sur le marché. Tant qu’il était possible au-delà de la garantie ARENH de trouver de l’électricité à des conditions avantageuses, ces fournisseurs pouvaient exister. Aujourd’hui, avec la guerre, l’électricité non nucléaire étant hors de prix, les contrats avec d’anciens clients d’EDF ne peuvent plus être respectés et les fournisseurs disparaissent du marché à rythme rapide….à moins d’augmenter, si possible régulièrement, le volume de l’ARENH à prélever sur EDF, ce qui a commencé dès avril 2022.

La privatisation d’EDF de novembre 2004 était bien évidemment un artifice et l’entreprise restait dans sa dimension production et ses actifs lourds, une entreprise publique. Ce caractère artificiel sera complété et confirmé par l’ARENH en décembre 2010 : jamais il ne serait juridiquement possible d’exiger d’une entreprise classique un subventionnement au profit de ses concurrents.

La renationalisation attendue sera elle-même complètement artificielle si la dimension service public reste oubliée en continuant à servir  un  faux marché de l’électricité.

Pas de fin du marché en vue et absence de solution

Nous en sommes là en cet automne 2022 : la liquidation des « fournisseurs d’électricité » et la fin d’un marché artificiel de l’électricité n’est pas encore dans l’air du temps. Mais il n’est pas non plus pensable de liquider « le monstre EDF » comme il fut naguère aisé de liquider « le monstre  Standard Oil ». Très vraisemblablement la nationalisation complète permettra aux quelques actionnaires privés d’EDF de ne plus protester contre un subventionnement qu’ils n’imaginaient pas en 2004. En même temps sera recherchée une simple amélioration très technique du dispositif ARENH : quelle répartition des quota-ARENH, quelles règles au titre de l’écrêtement lorsque l’ARENH demandé est supérieur au volume fixé ? etc. Autant de questions périphériques, voire complètement secondaires, ne portant que sur la performance des derniers combattants parmi les « fournisseurs d’électricité ». Le vrai problème, on l’aura compris, étant le retour au déploiement du service public d’électricité qui faisait naguère de la France le pays le plus avancé dans le secteur.

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche