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1 décembre 2022 4 01 /12 /décembre /2022 07:49

 

Le dogme de la concurrence empêche aujourd’hui et probablement demain de procéder à la bifurcation de nos choix en matière d’électricité. Hélas ce même dogme avait déjà entrainé les catastrophiques décisions concernant EDF…

Un  monopole  théoriquement bon gestionnaire de la rareté des ressources.

 Ce que certains appelaient « l’Etat EDF » représenté par Marcel Boiteux, son emblématique président, ne correspondait qu’à la volonté de produire une infrastructure énergétique la plus efficiente au profit des usagers de l’industrie et des consommateurs. A cette époque Marcel Boiteux, déjà théoricien (théorème de « Ramsey-Boiteux ») et élève du prix Nobel Maurice Allais utilisait le cout marginal pour bien indiquer à l’usager la rareté de la ressource et en prendre conscience. Imposer un prix supérieur au cout marginal interdisait à l’usager de profiter d’une électricité moins couteuse ce qui l’invitait à faire des choix moins efficients donc gaspilleurs de ressources. Imposer un prix inférieur au cout marginal représentait aussi un gaspillage économique : les utilisateurs n’allouent pas leurs ressources selon les meilleurs choix et reçoivent un mauvais indicateur de rareté. A l’époque de Marcel Boiteux la gestion des « pointes » en termes de « capacité » et « d’effacement » utilisait donc le cout marginal comme outil d’orientation vers les meilleurs choix possible pour l’ensemble de la collectivité. D’où une politique tarifaire intégrant des variations selon les heures ou jours de consommation.

A l’époque du monopole, le cout marginal ne correspondait pas pour autant à un prix de marché. Concrètement les différentes centrales étaient classées selon leurs couts d’exploitation. La bonne gestion supposait que leur mise en œuvre, selon l’état de la demande, soit progressive : d’abord les unités les moins couteuses, puis progressivement mise en activité de celles qui le sont davantage. Le cout d’exploitation de la dernière unité, le cout marginal, correspondant à celui de la quantité d’électricité qu’il faut ajouter pour satisfaire la demande.  Si maintenant pour une raison ou une autre il y avait un « grand saut » de cout entre la centrale qu’il faut mettre en activité et les centrales inframarginales, EDF n’était pas obligé d’aligner le tarif de l’électricité sur la centrale marginale pour laquelle la mise en activité s’imposait. Clairement si EDF avait connu la crise du gaz russe, le prix de l’électricité aurait pu rester relativement stable, car en moyenne le cout moyen n’aurait que très  peu augmenté. Ce qui déterminait la grande solidité d’EDF, dans sa fonction très sécurisante d’infrastructure énergétique, était  sa configuration de monopole. Le cout marginal était un outil de bonne gestion mais il ne pouvait devenir un prix directeur quelle que soit la situation géopolitique rencontrée.

Parce qu’il a été décidé d’obéir au dogme de la concurrence, nous avons construit un système pluriel- incorporant plusieurs dizaines d’entreprises simplement fournisseuses d’électricité - où le cout marginal devenait automatiquement prix de marché. Si donc le cout marginal devient pour diverses raisons complètement différent des couts moyens, les prix ne correspondent plus aux réalités économiques de la production d’électricité. C’est évidemment le cas aujourd’hui où le prix du gaz consommé, engendre un cout très élevé, de très loin supérieur au cout moyen obtenu sur les centrales nucléaires, lequel devient mécaniquement un prix de marché, ne correspondant plus à la réalité d’un parc encore massivement nucléaire.

C’est la cassure du monopole et l’éparpillement entre unités concurrentes, et ce à l’échelle européenne, qui transforme le cout marginal en prix de vente. Face à la demande croissante d’électricité le prix de vente autorise la mise en exploitation d’unités plus couteuses. Si le prix n’atteint pas ce niveau, les centrales en concurrence correspondantes ne sont pas activées et il y a rupture d’approvisionnement. Si maintenant, malgré un prix de marché qui autorise la mise en exploitation, les gestionnaires renoncent à produire, ils se privent d’un profit : le cout marginal est censé représenté tous les couts y compris la rémunération du capital. Si maintenant pour des causes géopolitiques le cout marginal s’envole, alors la pénurie d’électricité se soldera par une formidable hause de prix. Ce que nous constatons aujourd’hui. Rien ne peut obliger un producteur utilisant des centrales à gaz de produire à pertes, pertes qui signifient la disparition à court terme dudit producteur. Le mécanisme du marché se trouve donc incapable d’assurer la sécurité qu’EDF en tant que monopole pouvait mener sans difficulté.

Un monopole partiellement contestable mais devenu victime d’une bureaucratie de marché

Pour autant Marcel Boiteux n’avait  pas complètement raison et il est vrai qu’en qualité de monopole, EDF n’était guère incité à imaginer des innovations sur les diverses façons d’envisager la production de l’énergie. EDF était capable de classer son parc global d’unités en activant d’abord les centrales les plus performantes et en réservant les moins performantes – celles disposant d’un cout très élevé- pour la gestion des pointes, mais il ne recevait pas les incitations autorisant des innovations de rupture. Pas de producteurs en concurrence pour engendrer de nouvelles technologies plus efficientes. Parce que monopole, aucun marché ne venait dynamiser les structures de production de l’électricité.

Pour autant EDF transmettait aux usagers les bonnes informations quant à la manière d’aborder l’utilisation rationnelle de l’électricité : « attention , moi EDF, chargée d’une mission de service public le plus efficient possible,  je met en place un tarif spécial car nous sommes en pointe et le cout marginal devient trop élevé ». Chaque usager était ainsi invité à prendre les décisions qui au-delà de ses intérêts privés rejoignaient l’intérêt général. EDF ravitaillait ainsi la France dans les meilleures conditions possibles étant donné l’état des techniques du moment.

Tout cela sera balayé avec le dogme de la concurrence et sa traduction dans l’édification d’une bureaucratie gigantesque censée garantir la matérialisation du dogme. Bureaucratie très visible dans la loi NOME et ses décrets d’application.

Si l’on dresse un bilan global depuis la loi NOME, EDF n’a reçu que des incitations négatives : part de marché du nucléaire à réduire sous forme d’oukase politique ; vente obligatoire à de faux/ vrais concurrents sous la forme du ponctionnement ARENH ; concurrents artificiels relevant d’un capitalisme de connivence sous la houlette du dogme du marché ; prise en charge de la mission de service public au regard des défaillances des systèmes simplement intermittents ; etc. Pas de limite à l’édification des murailles bureaucratiques : Commission de Régulation de l’Energie, surveillance des capacités, opérateurs d’effacement, EPEX Spot, Commissariat bruxellois de la concurrence, surveillance ARENH, surveillance des fournisseurs, etc.

Sous les décombres un peu de lumière ?

Une résistance semble vouloir s’instituer. Si la parole académique semble particulièrement silencieuse, on commence à enregistrer de vraies protestations de la part des acteurs – certes anciens- de la pratique industrielle. C’est le cas de Louis Gallois qui s’insurge contre les propositions européennes concernant le simple prix plafond du gaz pour résoudre la crise. C’est plus encore le cas de Jean Peyrelevade qui va jusqu’à proposer le retour du monopole public concernant le segment distribution de la filière électrique. Très curieusement, dans un article des « Echos » en date du 23 novembre dernier, il va jusqu’à voir dans le nouveau monopole qu’il propose un rôle semblable à celui de RTE. Plus encore il propose de confier à RTE cette charge nouvelle. Une véritable rupture épistémologique….

Dans une telle situation la concurrence sur les prix de vente disparaitrait et seule celle reposant sur les innovations technologiques garantirait le progrès de la branche. De quoi ne plus étrangler la France et son économie dans les conséquences des sanctions prises contre la Russie.

Il s’agit là d’un point de vue très intéressant en rupture avec le dogme bruxellois de la concurrence. Dans le contexte proposé beaucoup de questions restent posées. Que deviennent les fournisseurs qui ne sont mêmes pas nationalisables car ne correspondant pas à une véritable réalité économique ? Y a-t-il à craindre un tsunami financier contagieux face à une  rupture qui démonétiserait la pyramide des produits structurés et leurs porteurs ? Que deviennent les producteurs intermittents ? Que faire de la rente des intermittents à couts marginaux nuls (barrages) ? Etc.

Beaucoup de questions difficiles mais piste intéressante.

 

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commentaires

M
Qui est responsable de la Bérézina de l'électricité en France : Electricité de France, l'autorité de régulation, l'Etat ? Une enquête s'impose sur la société anonyme à irresponsabilité illimitée qui a été aux manettes de ce secteur vital depuis la fin du monopole d'EDF.
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