Au moment où les Etats européens s’acharnent à prendre des décisions douloureuses aux fins d’en finir avec la crise des finances publiques, il est intéressant de construire le scénario d’un monde où par décret, loi, voire dispositif constitutionnel, un plafond de dette serait fixé, plafond à partir duquel les ordonnateurs des dépenses publiques devraient cesser leur activité. Ce scénario est évoqué dans le tableau ci-dessous. Les résultats ne sont que prévisionnels, et sont construits à partir des informations et estimations disponibles forcément discutables, et révisables quotidiennement. Ainsi le taux d’intérêt moyen est une notion variable, et les valeurs indiquées sont probablement sous estimées puisque les taux instantanés à 10 ans étaient au 23 février de 8,77% pour l’Irlande, de 7,23% pour le Portugal, ou encore de 5,33% pour l’Espagne. A comparer avec les valeurs retenues, respectivement : 5,7 – 5,4 – 4,2. De la même façon les taux de croissance retenus sont eux-mêmes probablement optimistes en raison des politiques budgétaires restrictives et surtout simultanées dans la plupart des pays européens. Or on sait que le choc budgétaire à envisager, dépend fortement du mouvement de ces deux variables ( cf « Rachat de dette souveraine : ultime étape avant monétisation ? »). Recettes et dépenses publiques aujourd’hui programmées pour 2011, incluent les dépenses et recettes au titre des « Etats providences ». La dernière colonne est établie sur la base de l’hypothèse suivante : la totalité du choc est imputée sur les seules dépenses. On peut évidemment envisager un autre scénario.
Estimation du choc budgétaire à envisager pour stopper l’hémorragie de la dette publique
| PIB 2010 En USD* | Dette publique Fin 2010 En USD* | Déficit 2011 %PIB | Déficit 2010 %PIB | Taux D’intérêt moyen | Taux de Croissance 2011 | Dépenses Publiques 2011 %PIB | Recettes Publiques 2011 %PIB |
Allemagne | 3100 | 2387 | -2,7 | -4,2 | 2,7 | 2,2 | 47,2 | 42,5 |
Belgique | 400 | 408 | -4,6 | -4,9 | 3,4 | 1,8 | 53,8 | 48,8 |
France | 2200 | 1870 | -6,3 | -7,6 | 3,1 | 1,6 | 55,9 | 48,6 |
Italie | 1940 | 2290 | -4,3 | -5,1 | 4 | 1,1 | 46 | 45,5 |
Espagne | 1450 | 957 | -6,4 | -9,3 | 4,2 | 0,7 | 44,7 | 35,9 |
Portugal | 250 | 215 | -4,5 | -7,3 | 5,4 | -1 | 50,9 | 43 |
Irlande | 175 | 136 | -10,3 | -17,7 | 5,7 | 0,9 | 46 | 33,9 |
Grèce | 310
| 384 | -7,4 | -7,9 | 9 | -3 | 48,4 | 38,5 |
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| Charge De la Dette %PIB | Solde Budgétaire 2010 En USD* | Solde de Stabilité USD* | choc budgétaire En USD*
| choc Budgétaire En %PIB | Choc (hypothèse Dépenses) %dépenses |
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Allemagne | 2,7 | -130 | 12 | 142 | 4 | 10 |
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Belgique | 3,8 | -19 | 6 | 25 | 6 | 11 |
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France | 2,9 | -167 | 28 | 195 | 6 | 16 |
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Italie | 4,8 | -99 | 66 | 165 | 8 | 18 |
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Espagne | 2,6 | -134 | 33 | 167 | 11 | 25 |
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Portugal | 3,5 | -18 | 11 | 29 | 13 | 22 |
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Irlande | 3,5 | -30 | 65 | 95 | 54 | 118 |
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Grèce | 5,8 | -24 | 46 | 70 | 13 | 46 |
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*En milliards de dollars. Tableau construit à partir des statistiques de l’OCDE (oecd.org) et de la commission européenne (ec.europa.eu)
Les résultats sont éloquents. Ils révèlent des difficultés d’adaptation y compris pour l’Allemagne, pays dont la croissance de l’endettement fût considérable en 2010 (+18% selon l’Office Fédéral des Statistiques, chiffre publié le 21 février) ce qui est historique. L’énormité de cet accroissement fait du reste douter de la possibilité de tenir la règle constitutionnelle d’équilibre budgétaire à compter de 2016. Comme on le sait, cette croissance est due aux structures de défaisance mises en place pour sauver le système bancaire et en particulier l’Hypo Real Estate et la banque de Rhénanie-du-Nord – Westphalie WestLB.
Pour le reste, en dehors de la Belgique, deux groupes semblent devoir se constituer : France et Italie d’une part ; Espagne, Portugal, Irlande et Grèce d’autre part. Compte tenu de la double fonction des Etats (fonction régalienne et fonction sociale) on voit tout de suite que les choix sont extrêmement difficiles. Ainsi pour la France, pays équipé d’un Etat global dont les charges sont approximativement à 40% régaliennes et à 60% sociales, faire supporter le choc sur les seules dépenses, suppose un recul - certes massif- plus ou moins équilibré de son emprise. Tout ne peut être supporté par « l’Etat régalien » par exemple par la défense nationale, fonction régalienne par excellence : l’actuel budget des armées serait très loin d’y suffire. Et tout ne peut être supporté par « l’Etat providence », par exemple les dépenses de santé, dont l’annulation presque complète, serait requise pour satisfaire aux contraintes du choc (Il faudrait économiser environ 160 milliards d’euros sur un total d’environ 165 !). Quels que soient les choix retenus, ils sont douloureux. Eu égard au fonctionnement des marchés politiques, les choix seraient logiquement assez massivement orientés vers la minimisation des dépenses au titre de l’avenir : investissement global en berne, dégradation des équipements collectifs, vétusté des bâtiments publics etc.
Bien évidemment, les cas irlandais et grecs sont autrement douloureux. Aucune issue n’est -pour ces pays- envisageable : le texte bornant le plafond de la dette (loi, constitution) devenant le dernier, avant retour à « l’Etat de nature » pour les sociétés correspondantes.
Tout aussi évidemment, ce scénario du pire que l’on vient d’envisager ne se produira pas, et d’autres solutions que le mode marché de gestion de la dette seront mises en place. Toutefois, il faudra encore attendre, car les grandes entreprises politiques européennes, restent encore aujourd’hui, engluées dans le mythe selon lequel la crise de la dette pourra être dépassée avec les moyens classiques, c'est-à-dire aussi sans revisiter l’euro-système.
En attendant les compteurs continuent de tourner….