« Changer l’Europe maintenant » tel est le souhait de Thomas Piketty dans sa chronique publiée par le Monde en date du 20/21 décembre.
Outre une Conférence sur la dette chargée de l’alléger, l’auteur reprend l’idée d’un nouveau parlement de la zone euro, ce dernier étant à la tête d’un vrai budget fédéral, et légiférant sur des thèmes devenus fédéraux : fiscalité unifiée sur les sociétés, investissements dans les infrastructures et les Universités, etc. La légitimité d’un tel parlement proviendrait de son ancrage sur les parlements nationaux, lesquels désigneraient des députés issus de leurs rangs dans une proportion respectant le poids démographique de chaque Etat.
De telles propositions relèvent de l’incantation et ne respectent pas le principe de réalité.
1) Quelles qu’en soient les modalités, alléger les dettes publiques dans le cadre d’une conférence prévue à cet effet revient à un défaut aux effets dévastateurs sur le système financier planétaire. Il est exact que les 200 milliards d’intérêts payés par l’ensemble des Etats de la zone euro permettraient, en choisissant le défaut, de se redéployer profitablement sur 100 programmes Erasmus[1] porteurs d’avenir. Mais ces mêmes 200 milliards assurent encore aujourd’hui la sécurité du système financier planétaire. En cas de défaut, les bilans bancaires exploseraient et la dette publique qui, en ce qu’elle ne consomme pas de capitaux propres, est la matière première fondamentale des banques. Si donc il est question d’alléger les dettes publiques, il faut aller beaucoup plus loin et reconstruire un tout autre monde. Il est peu probable que les marchés politiques de la zone puissent faire émerger de telles propositions.
2) Ces mêmes marchés politiques ne peuvent engendrer l’idée d’un authentique Parlement aux compétences législatives allant vers le fédéralisme.
On voit mal l’Irlande ou mieux le Luxembourg accepter leur quasi disparition en tant que paradis fiscaux. Si, pour le Luxembourg (700000 habitants dont 50% d’étrangers), le débat pourrait apparaitre marginal[2] , les choses sont autrement importantes pour l’Irlande dont la faiblesse de l’IS constitue la pierre angulaire de sa stratégie économique de braconnage.
Bien sûr on pourrait n’envisager qu’un regroupement de quelques grands pays (Allemagne, France, Italie, Espagne) mais cela reposerait la question du lâchage de quelques autres plus fragiles et dangereux pour l’existence même de la zone euro (Portugal, Grèce etc.) Si certains s’intègrent davantage et fabriquent plus de convergence, que dire du rattrapage des autres qui continueraient de diverger avec les risques politiques et sociaux correspondants?
Mais le problème est en fait beaucoup plus grave. Dans ce nouvel espace qui serait authentiquement législatif, l’Allemagne deviendrait minoritaire avec un pourcentage de députés proportionnel à son poids démographique (37% des députés dans l’hypothèse la plus favorable, celle du scénario des 4 plus grands pays, et environ 25% des députés dans le scénario de l’ensemble de la zone). C’est dire que dans ces conditions, l’Allemagne ne pourrait plus s’opposer aux transferts qui sous-tendent obligatoirement toute union monétaire. C’est par conséquent reconnaitre que le marché politique allemand ne fera jamais naitre ni bien sûr accepter un tel projet de souveraineté d’un parlement de type nouveau. Et il faut le comprendre : pourquoi l’Allemagne se plierait à de tels transferts tuant ses capacités exportatrices qui en font son modèle et au final son vivre ensemble ?
Certes les européistes seraient tentés de considérer que les députés désignés perdent symboliquement leur identité nationale, et qu’il n’y aurait que des députés européens. Comment peut-on imaginer que les députés désignés par le parlement allemand puissent décider de lois budgétaires allant contre les intérêts supérieurs de leur pays et intérêts étroitement surveillés par la cour constitutionnelle de Karlsruhe?
La conclusion est donc simple : soit le nouveau parlement émerge comme parlement croupion en ce qu’il ne peut dépasser le cadre de l’ordo libéralisme allemand (une règle constitutionnelle concernant la gestion de l’euro s’impose à lui), soit il n’émergera jamais. En attendant les entrepreneurs politiques allemands peuvent continuer à parler d’Europe et se montrer plus européistes que leurs voisins français : il s’agit de masquer l’essentiel, et au final de gagner encore un peu de temps sur l’inéluctable échéance. Et une échéance qu’il faut effectivement redouter lorsqu’on est allemand, puisque cette dernière signera la fin de la mécanique monétaire qui a abouti à un « subventionnement » sans précédent des exportations et du vivre ensemble qui lui est associé.