Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juin 2025 4 19 /06 /juin /2025 16:52

Le nombre d’étudiants en médecine est à nouveau en débat. Le numerus clausus  remplacé par le numerus apertus  ne donne pas davantage satisfaction et le ministre de la santé voudrait l’ouvrir davantage pour répondre aux besoins. C’est sans compter avec la conférence des doyennes et doyens des facultés de médecine qui considère que ces dernières ne peuvent accueillir davantage d’étudiants.

Un rapide historique s’impose pour saisir la réalité du paysage universitaire médical. Le numerus clausus, imaginé sous l’influence des professeurs de médecine de l’époque, a "permis" un effondrement de l’accès des étudiants en seconde année avec un passage de 8588 étudiants en 1972 à 3850 en 2000. Cet effondrement politiquement décidé, année par année au terme d’une rencontre entre Doyens, Ministère de la santé et Ordre des médecins devait se dérouler dans un contexte de forte croissance démographique (passage d’une population totale de 55 à 65 millions), de fort vieillissement, d’un grand élargissement et approfondissement des thérapies,  et d’un désir de diminution du temps de travail des jeunes médecins.

Cette baisse colossale des effectifs dans toutes les années du temps de formation ne s’est pas déroulée dans un cadre de diminution des moyens alloués aux Universités : augmentation continue du nombre  d’établissements qui vont passer de 28 à 34,  plein bénéfice du plan « Université 2000 » qui va autoriser une modernisation et un agrandissement des facultés, et surtout une augmentation de l’encadrement pédagogique. Ainsi au moment du choc du numerus clausus (1972) l’encadrement en termes de professeurs de médecine – les PU-PH - va monter tout doucement et passer de 2200 professeurs à environ 2600 alors que le nombre d’étudiants passe de 8588 à environ 6500. Plus tard encore, les choses vont encore s’améliorer et on disposera de 3200 professeurs pour 3850 étudiants accueillis. Cela signifie un taux d’encadrement qui, durant la période du numerus clausus, passe de 3,9 à 1,2. Les 20 dernières années du 20ième siècle furent ainsi l’âge d’or des facultés de médecine qui vont fonctionner à rendements décroissants (plus de moyens contre une production considérablement plus faible de médecins). Vu de plus loin et en termes plus économiques les facultés de médecine vont passer d'une production indicielle de 100 dans les années 70 à 44 dans les années 2000. Effondrement dans un cadre douillet où l'on verra des présidents d'Universités accueillir joyeusement des premiers ministres voire Présidents de la République au titre d'une inauguration de bâtiments et moyens nouveaux  chargés de produire de moins en moins. Nous laissons au lecteur le soin de réfléchir sur les rentes d'improductivité correspondantes.  Pour mieux percevoir encore, imaginons une industrie automobile dans laquelle les actionnaires multiplient le nombre de petites usines plus modernes et plus coûteuses pour produire moins. Il existe sans doute des rentes de productivité dans l'industrie automobile mais jamais de rente d'improductivité.  

Un nouveau monde sans doute moins confortable s’ouvre aujourd’hui pour les facultés de médecine.

La fin du numerus clausus et la courte vie de son successeur feront que le nombre d' étudiants va considérablement augmenter et ce,  même si on restera très loin de la période des années 60 du siècle passé. Avec 11341 étudiants en 2022 et 12000 en 2025, on restera - compte tenu du contexte déjà évoqué sur les questions démographiques -  en dessous du potentiel des années 60. Ajoutons que les médecins d’aujourd’hui sont  plus âgés et que les départs en retraite sont infiniment plus importants qu’au cours des années 60. Ajoutons aussi que des corpus réglementaires nouveaux « consomment » des effectifs non négligeables de médecins pour des missions relevant d’un élargissement de l’Etat-providence. Pensons par exemple  aux milliers de médecins coordonnateurs dans les Ehpad.

Par contre, cette augmentation rapide qui pourrait encore s’accroître avec un objectif de 16000 étudiants en 2027 est très combattue par la conférence des doyennes et doyens. Cette dernière affirmant que le potentiel d’encadrement dans les facultés n’est pas suffisant. Effectivement on observe que le nombre de PU-PH n’augmente que très peu avec probablement aujourd’hui moins de 3500 professeurs pour 12000 étudiants soit un taux d’encadrement qui tournerait à 3,5, donc  un chiffre qui marque la fin de l’âge d’or des facultés de médecine et le retour à l’avant numerus clausus.

Ce qu’il y a de singulier dans cette histoire est que le numerus clausus disparu n’a pas fini de faire mal au pays. C’est en effet cette  mesure très inappropriée - et que personne n’a contesté pendant près d’un demi-siècle – qui empêche durablement d’élargir la cohorte des professeurs de médecine. Le numerus clausus n’ a pas fait diminuer le nombre de professeurs en fonction mais il  a diminué la production de nouveaux médecins,  cohorte dans laquelle on devait trouver de nouveaux professeurs… qui vont tarder à arriver dans les amphithéâtres et ces lieux de formation que sont les chambres  des malades. Oui, comme le remarque certains, il sera difficile dans une petite chambre d’hôpital d’enseigner et de pratiquer en étant entouré de 20 internes. Le numerus clausus et sa pratique scandaleuse pendant plus de 30 ans n’a pas fini de développer ses effets pervers.

 

Jean Claude Werrebrouck

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche