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14 octobre 2025 2 14 /10 /octobre /2025 05:13

Une exceptionnelle demande d’Etat

1. La France ne souhaite pas quitter l’architecture construite en 1945 : Etat- providence puissant associé à un Etat régalien fort. Il en résulte une forte demande d’Etat permanente, forte demande  qui constitue l’essentiel de ce qu’on appelle l’exception française. Grande exception qu'on lit également dans la position des français au regard de la mondialisation: 27% des français approuvent la mondialisation, contre plus de 40% pour la plupart des nationaux des autres grand pays. Il existe ainsi une très forte culture française qu'il ne faut jamais oublier lorsque l'on se livre à des comparaisons.

2. Les entreprises politiques restent ce qu’elles sont, à savoir ce que nous écrivions il y a fort longtemps:   « des organisations  en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent la puissance idéologique d'un "intérêt général", et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la  production de son  cadre institutionnel et juridique général »[1]

3. Il est de l’intérêt des  entreprises politiques de répondre à la forte demande d’Etat en proposant des produits politiques adaptés au marché politique. Conjonction d'une offre et d'une exigence qui produit en France la position exceptionnelle du politique.

Gros Etat, grosse bureaucratie... mais  effacement d’un sentiment d’appartenance.

4. Cette forte demande pour laquelle il est intéressant de répondre doit logiquement entrainer un grossissement de l’Etat français plus important que dans les nations ayant effectué d’autres choix en raison des caractéristiques culturelles ou anthropologiques de leurs habitants

5. Les produits politiques demandés ayant souvent la forme de règles à mettre en œuvre, débouchent naturellement sur des bureaucraties peuplées de fonctionnaires. Logiquement, l’Etat français exige dans son fonctionnement des fonctionnaires plus nombreux, et dont le volume s’accroit régulièrement avec l’approfondissement des marchés.

6. L’évolution sociétale, notamment la déconstruction des grands ensembles, historiquement faits de classes sociales plus ou moins homogènes, provoque une individualisation croissante des demandes d’Etat. Les entreprises politiques sont intéressées à l’offre de réponses de plus en plus nombreuses et de plus  plus variées. Naguère, les réponses en termes d’offre de produits politiques s’effectuaient au nom de l’idéologie d’un intérêt général. De plus en plus, elles se font au nom de la liberté individuelle et de la démocratie en dehors de toute référence à l’ancienne nation.

7. Les produits politiques mettent en évidence leur intérêt spécifique pour telle ou telle catégorie d’individus et masquent naturellement leur coût qui est complètement socialisé et donc caché au regard de son consommateur. Il en résulte un dysfonctionnement du marché débouchant sur une production d’Etat supplémentaire. Nous sommes très loin des marchés économiques avec une demande limité par ce que les économistes appellent l’équilibre du consommateur[2].

8 La forte demande d'Etat exigée par des choix collectifs anciens se double des exigences d'un marché économique devenu hégémonique. Parce que tout doit devenir marchandise les entreprises politiques se doivent aussi d'accompagner les marchés par des outils de régulation...producteurs de nouvelles bureaucraties s'incarnat dans des Autorités administratives indépendantes. D'où le caractère schizophrénique des entreprises politiques et la perte de repères devenus incapables de produire une cohérence programmatique. Etat écartelé et de  plus en plus gros, mais pour quoi? 

Perte des repères et démonétisation des entreprises politiques

9. La déconstruction sociétale en vigueur ne permet plus de distinguer clairement entre produits répondant à un intérêt général massivement conscient et probablement évaluable, et produits simplement adaptés à des individus isolés, individus ignorants  leur appartenance à un ensemble humain plus vaste et interdépendant. D’où les possibles déraillements dans les communications des entreprises politiques. Tel est le cas du produit « réforme des retraites » qui peut connaitre un changement de qualification selon les intérêts restés privés des entrepreneurs politiques. Produit indispensable dans un contexte et complètement secondaire dans un autre contexte de marché. Les contraintes de reconduction au pouvoir peuvent ainsi provoquer de grands écarts de communication par les mêmes entrepreneurs politiques. D’où une crise majeure dans la réputation et la respectabilité des entreprises politiques françaises.

Mécanique de l’effondrement.

10. Dans le cas de la France, l’architecture retenue  en 1945 ne pouvait tenir que par une souveraineté monétaire faisant payer la forte croissance d’une demande d’Etat par un recours massif à des dévaluations monétaires de très grande ampleur. Parce que la demande d’Etat providence entrainait une chute de compétitivité économique, il fallait massivement dévaluer selon un processus quasiment continu : 10 dévaluations massives entre 1945 et l’avènement de l’euro correspondant à une perte de 90 % de valeur. Stratégie à comparer avec une Allemagne n’ayant dans le même temps jamais dévalué et ayant procédé à des réévaluations.

11. Les dévaluations ont toujours permis l’assurance de la compétitivité et donc des débouchés permettant un équilibre extérieur de long terme dans un conteste de croissance très forte. Donc aussi des équilibres qui vont nourrir le fonctionnement spécifique du marché politique français.

12. Avec la disparition de la souveraineté monétaire , l’outil indispensable aux exigences d’une forte demande d’Etat disparait. L’exception française tente de surnager mais court vers une noyade marquée par des inflexions de plus en plus lourdes : réformes dites structurelles toujours vigoureusement combattues par la population ; réduction de la qualité du modèle social (crise de l’hôpital, réduction du périmètre des services publics, etc.) ; fuite en avant massive vers la dette. 3 inflexions très visibles: France bloquée, France spectatrice de la dégradation de son Etat-Providence et de sa puissance, France menacée par sa dette et la finance.

13. L’incapacité des marchés politiques à imposer une vigoureuse dévaluation interne développe une sous compétitivité marquée par la fin des équilibres extérieurs. La balance commerciale devient gravement déficitaire[3], et vient marquer un fort recul de la croissance qui ne pourra que nourrir les déficits publics que l’on veut toujours combattre.

14. La sous compétitivité développe la fin de l’industrie ( il vaut mieux importer) et la déqualification d’un outil de production tourné de plus en plus vers des activités de services[4].  Une déqualification qui entraine celle d'une population droguée à l'Etat-providence et souvent cantonnée  dans nombre d'activités improductives. 

Au total,  la volonté de maintenir un modèle (Etat- providence exceptionnel + Etat régalien puissant) débouche sur un effondrement que les marchés politiques ne peuvent réduire dans leur course. D’où leur inéluctable dévalorisation et le début d’une authentique crise de régime. 

Jean Claude Werrebrouck – 14 Octobre 2025.

 

[1] https://www.lacrisedesannees2010.com/article-spécificité-des-crises-de-l-entreprenariat-politique-112876460.html

[2] Sur les marchés économiques le consommateur arbitre entre utilité marginale et coût marginal. Ce n’est pas le cas sur les marchés politiques où la demande tend souvent vers l’infini.

[3] Excédent de 39 milliards d’euros en 1997, mais déficit de 51 milliards en 2010, puis 82,5 en 2020, puis 162,5 en 2022 et 91 milliards en 2924.

[4] La part industrielle du PIB -supérieure à 30% en 1960 - s’effondre progressivement : 15% en 2000, 11% en 2020 et 10,5% aujourdhui. A comparer avec une Allemagne qui reste industrielle : 25% en 2000 et encore 21% en 2020 et 19,7% en 2024.

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