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3 juin 2014 2 03 /06 /juin /2014 14:48

 

La présente crise de l'entreprise politique UMP en France est une occasion de bien cerner le fonctionnement des marchés politiques. Le texte proposé ci-dessous n’est pas réellement nouveau et s’inscrit dans la liste de ceux publiés sur ce blog sous la rubrique : « Etats et politiques ».

Les entreprises politiques sont des organisations  en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent la puissance idéologique d'un "intérêt général",  et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre juridique général. [1]

Le mode d’organisation privilégié des entreprises politiques

 Ces organisations sont peuplées d'acteurs validant une certaine division du travail dans l'exercice de leurs fonctions: militants, élus ou éligibles, dirigeants. Si les militants peuvent être assimilés à des actionnaires  soucieux de bénéficier idéologiquement ou matériellement de l'activité des entreprises politiques, les élus ou éligibles peuvent difficilement être comparés aux salariés ou aux entrepreneurs du monde économique. A titre d'exemple un député de démocratie parlementaire n'est pas salarié de l'entreprise politique à laquelle il est rattaché. De fait, il est bien plutôt un entrepreneur politique individuel qui a signé un contrat de franchise avec son parti de rattachement. Situation qui peut, à la limite et selon certaines configurations, être assimilée à de la servitude volontaire.

Pour un entrepreneur politique individuel, il semble en effet évident que les coûts et "barrières à l'entrée" des marchés politiques sont hors de portée. Comme le sont par exemple les barrières à l'entrée du marché mondial de l'aviation civile pour un ingénieur aéronautique décidé à concurrencer directement BOEING ou EADS. Le passage par l'adoubement d'un parti, pouvant devenir passage en situation de servitude volontaire, est ainsi une démarche quasi obligatoire pour gagner un mandat sur les marchés politiques.  

   Le contrat de franchise est  réellement asymétrique puisqu'il oppose une offre oligopolistique (les entreprises politiques sont souvent peu nombreuses ou cartellisées) à une demande atomistique (les candidats à l'entrepreneuriat politique sont nombreux). C'est du reste le dirigeant - lui -même plus ou moins élu- ou son entourage immédiat, qui distribue les contrats. Les entreprises politiques sont ainsi des organisations qui abritent des entrepreneurs politiques, lesquels sont aussi en concurrence pour l'accès à la distribution ou renouvellement des contrats. On comprend ainsi que les fonctions dirigeantes sont à la fois globales et singulières: elles font de son bénéficiaire un entrepreneur politique individuel, mais aussi un sélectionneur des autres entrepreneurs politiques qu'il franchise, contre redevance, prélevée sur la rémunération publique de l'entrepreneur politique individuel, ayant gagné sur les marchés son accès aux outils de la puissance publique.

   Dans le cadre général de la franchise, franchiseurs et franchisés s'adonnent à un travail   classique d’utilisation de la puissance publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes politiques se transformant en textes porteurs de réglementations, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques, ou se transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique. Dans le cadre de cette dernière activité,  ils se heurtent à d'autres organisations du monde économique ou de la société civile, lesquelles se rassemblent souvent en lobbys. De ceci se dégage- notamment en démocratie- un compromis assurant la conquête ou la reconduction au pouvoir.  

L’entreprise politique au moment démocratique de l’aventure étatique 

 La démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème et - de fait -  la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement concurrence à partir d’un "appel d’offres" appelé "élection" : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui - sous couvert du corpus idéologique "intérêt général"- s’imposent à tous, et sont donc bien œuvre d’une entité monopolistique à savoir l’Etat ? 

A ce stade, les idéalistes, en quête de perfection, se poseront la question de savoir si cet univers de fonctionnement des marchés politiques - notamment en démocratie-peut être amendé.

Un probable moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privées serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques et les entreprises qui les franchisent adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction, sans limite, au pouvoir. En démocratie représentative, la professionnalisation de la fonction politique est ainsi devenue un fait quasi hégémonique, et ce,  dans l'immense majorité des pays.  

Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique, cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles gestionnaires d’une entité profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée, selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant surplombant tous les acteurs. D’où le développement dans la plupart des pays du phénomène des « Autorités administratives indépendantes ».[2]

La résilience des entreprises politiques

 La crise de l'entrepreneuriat politique est un phénomène spécifique. Il peut exister des crises politiques en ce sens que, telle ou telle entreprise politique, est évincée du marché. Il peut aussi exister des crises de régime, avec passage d'une forme à l'autre de l'Etat. En revanche le produit politique, en tant que marchandise aux formes infiniment variées, ne peut disparaitre. Comme si le marché de l'acier ou celui de l'automobile était éternel. la raison en est simple: le politique est une réalité humaine indépassable.

 Une crise de l'entrepreneuriat politique correspond donc plutôt à ce que l'on constate au niveau de l'UMP en France.  

Il peut en effet exister, des situations de conflit, pour le contrôle de la machine à distribuer les contrats de franchise, certains contrats pouvant être plus convoités que d'autres: l'adoubement pour un poste de Président de la République est plus important, que celui correspondant au rôle de député. Si l'entreprise politique concernée, ne dispose pas de dispositif de sélection clair pour l'accès au contrôle  de la machine à distribuer les contrats, il peut en résulter des conflits avec apparition de forces centrifuges. Notons  que ces conflits sont puissamment nourris par la transformation en métier des activités politiques. Sans recherche continue d'un adoubement nouveau se succédant à l'ancien, la force dévastatrice des conflits pour l'accès au contrôle de la machine serait plus limitée.

 La force dévastatrice est toutefois contenue par la très grande hauteur des barrières à l'entrée- plutôt ici une barrière à la sortie- qui fait que les scissions sont très difficiles, et ne peuvent être envisagées, que par les entrepreneurs politiques qui peuvent se passer du contrat classique de franchise.[3] Ces entrepreneurs politiques -ainsi protégés davantage par leur enracinement territorial que par l'adoubement d'une grande entreprise politique - sont probablement assez peu nombreux. Ils s'exposent néanmoins aux mesures de rétorsion - adoubement d'un autre entrepreneur politique sur le même territoire- de l'entreprise politique qu'ils viennent de quitter. C'est dire que seule la déligitimation profonde de l'entreprise politique en crise peut autoriser la réussite d'une scission. 

Au final l’actuelle crise de l’UMP peut entrainer des départs volontaires et individuels sans toutefois déboucher sur une partition. Les forces centripètes, même en oppositions frontales- l’emporteront normalement sur les forces centrifuges : il est de l’intérêt des franchisés de reconstruire sans cesse le franchiseur. [4]

Dans le monde des entreprises économiques, les choses se déroulent différemment et une crise du franchiseur fait rapidement disparaitre les franchisés et l’ensemble de l’organisation. La puissance de la résilience des entreprises politiques n’est évidemment pas favorable à l’émergence de grandes innovations. Au-delà des agitations fournisseuses des matières premières médiatiques, il n’y a guère de choses à attendre de la crise du franchiseur UMP. Par contre l’entreprise UMP, même en ruines, dispose encore d’une grande capacité à résister aux mauvais vents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Cette définition se trouve plus précisément explicitée dans : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html. 

[2] Quasiment inexistante aux débuts de La cinquième république, elles ne sont pas loin d’un millier aujourd’hui et participent à cette impression de « managérialisation » des opérateurs de l’Etat. Les énarques laissent ainsi la place à des diplômés d’écoles de commerce  ou se reconvertissent par le biais de formations assurées par celles-ci. Une reconversion jugée toujours insuffisante par les « vrais entrepreneurs » : ceux de l’économie.

[3] Il faut distinguer ici la scission, très rare en raison des principes organisationnels des entreprises politiques, et le changement de franchiseur : un entrepreneur politique peut - non sans difficultés, certes-  dénoncer son contrat de franchise pour en nouer un autre.

[4] Tous les franchisés ne sont pas dans la même situation au regard de leur marché. Un franchisé élu avec 51% des voix n’est pas celui élu avec 75% des suffrages. C’est la raison pour laquelle un parti en crise peut maigrir sans toutefois disparaitre : les franchisés confortablement élus risquent ainsi d’être  les meilleurs défenseurs de l’entreprise politique en crise. Cela n’est pas toujours vrai , les plus fragiles tentant d’imposer dans la crise l’agent distributeur d’adoubements. Phénomène bien constaté dans la présente crise de l’UMP.

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B
La France au XXI ème siècle : le scénario "Guerre Civile Espagnole"<br /> <br /> Quel est le paysage politique ?<br /> <br /> Dans le camp des élites pro-européennes :<br /> <br /> - Le Parti Socialiste : le clan Hollande, contre le clan Valls. Discrédité.<br /> - L'UMP : le clan Sarkozy, contre le clan Copé, contre le clan Fillon, contre le clan Juppé. Discrédité.<br /> - L'Alternative (UDI + Modem) : le clan Jégo, contre le clan Bayrou. Discrédité.<br /> - Europe Ecologie Les Verts : trop de clans, je n'arrive pas à faire une liste complète, j'ai mal à la tête, c'est un bordel indescriptible. Discrédité.<br /> <br /> Dans le camp d'en face :<br /> <br /> - Le Front National : 24,95 % aux élections européennes. Un sondage IFOP montre que si le vote était obligatoire, 24 % des abstentionnistes voteraient FN. En clair : le FN dispose d'une très<br /> importante armée de réserve, qui, pour le moment, ne vote pas.<br /> <br /> http://www.valeursactuelles.com/abstentionnistes-fn-t%C3%AAte<br /> <br /> - Le Front de Gauche : 6,34 % aux élections européennes. Jean-Luc Melenchon a parfaitement décrit la dynamique historique en faveur du Front National :<br /> <br /> "Aux conditions actuelles, parce qu’elle est en dynamique, rien ne peut plus barrer la route de madame Le Pen. Mieux : le fruit va lui tomber tout droit dans la bouche. Toute la décomposition en<br /> cours du champ politique, ou bien alimente directement son fond, ou bien emporte sans combat les digues qui s’y opposeraient. La physique de l’Histoire n’a d’ailleurs jamais fonctionné autrement.<br /> Les grands mouvements comme les petits ne sont pas linéaires. Ils suivent des lignes de croissance ou décroissance saccadées où des pics succèdent à des paliers. Les prochains condiments qui vont<br /> alimenter le suivant pic sont en place. D’un côté l’implosion de l’UMP, libérant de vastes pans de sympathisants de tous niveaux, de l’autre la débilité de l’équipe au pouvoir et de ses supplétifs<br /> entretenant tous les ingrédients d’une implosion autrement plus dangereuse : celle de l’Etat. Que les auto-flagellant se rassurent, je ne nous oublie pas dans ce tableau. Notre score à l’orée du<br /> nouveau cycle politique ne nous permet pas d’être l’alternative dans le chaos qui s’avance."<br /> <br /> http://www.jean-luc-melenchon.fr/2014/05/30/pendant-que-la-poussiere-retombe/<br /> <br /> - Debout la République : 3,82 % aux élections européennes.<br /> <br /> - Lutte Ouvrière : 1 %<br /> <br /> - UPR (Union Populaire Républicaine) : 0,41 %<br /> <br /> - NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) : 0,30 %<br /> <br /> Conclusion :<br /> <br /> Depuis mai 1974, les partis pro-européens dirigent la France. Ils n'ont réussi qu'une seule chose : remettre en selle les fachos.<br /> <br /> Aujourd'hui, la dynamique est en faveur du FN. Son armée de réserve d'abstentionnistes est très importante.<br /> <br /> Pour la France, le scénario le plus probable est un scénario de type "Guerre Civile Espagnole", comme entre 1933 et 1936.<br /> <br /> Si ce scénario-catastrophe se réalise, la France connaîtra une guerre civile entre :<br /> <br /> - les Républicains<br /> <br /> - et les Nationalistes.
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