Il n’y avait pas de consensus chez les artificiers rassemblés autour de la bombe atomique grecque[1] dans la nuit du 12 au 13 juillet dernier. Certains pensaient pouvoir la faire exploser sans irradiations (vassaux entrepreneurs politiques de l’Europe du nord n’osant contrarier le suzerain allemand) tandis que d’autres désiraient simplement la désamorcer (certains vassaux du sud, voire des seigneuries plus éloignées comme le FMI et la BCE).
Le résultat n’est ni l’un ni l’autre, et la décision est celle d’un enfouissement permettant une fois encore de gagner un peu de temps.
Trop peu de temps, sans compter celui nécessaire à un enfouissement à grande profondeur permettant une explosion sans bruit ni danger. Parce que fort pressés par les marchés politiques des uns et des autres l’enfouissement est fort incomplet, d’où un risque d’explosion avec irradiations.
Parlons du PIB grec : il va donc encore beaucoup diminuer.
Il était de 242 milliards d’euros en 2008 pour fondre jusqu’ à 179 milliards en 2014 : 26% de baisse et 63 milliards d’euros partis en fumée. Et il faut souligner que l’outil de production de 2015 est autrement moins efficace que celui de 2008 car, dans le même temps, la FBCF est passée de 23,7% à 11,6%, chiffre qui signifie que les investissements nouveaux sont probablement inférieurs aux seules nécessités du simple amortissement. D’où une croissance potentielle probablement proche de zéro…
Cette situation est unique dans la zone euro : les autres pays du sud sont loin d’avoir connu un tel effondrement. Ainsi l’Espagne, toujours entre les mêmes dates, n’a perdu que 42 milliards de PIB[2] et sa FBCF n’est passé que de 22,2% de PIB à 18,9%. Le Portugal a perdu 5 milliards d’euros de PIB[3] avec il est vrai un bel effondrement de sa FBCF : 22,8% de PIB en 2008 et seulement 14,6% de PIB en 2014.
Dans le même temps cet épuisement de la Grèce correspondait à un effort gigantesque dans la gestion des finances publiques. Ainsi les dépenses publiques se montaient à 133 milliards en 2008 et furent ramenées à 87 milliards en 2013, soit une chute de 46 milliards….. Dans le même temps, les dépenses publiques au Portugal n’ont pas diminué et celles de l’Espagne ont augmenté d’environ 5 milliards.
D’où une interrogation s’agissant des réformes structurelles que l’on dit menées à bien en Espagne ou au Portugal et qui ne seraient pas intervenues en Grèce. Ce premier examen des chiffres tendrait plutôt à nous suggérer le contraire….
A cet argument, le suzerain allemand et ses vassaux peuvent rétorquer que les réformes ne furent pas les bonnes, qu’il fallait s’attaquer aux rentes des professions libérales, des armateurs, du clergé, des militaires, etc. Argument discutable car des réformes furent entreprises : lutte contre la fraude fiscale, bancarisation des rémunérations pour lutter contre l’économie souterraine…mais il est vrai, combats incertains en raison de la difficulté de faire naitre un authentique Etat de droit se substituant au clientélisme de toujours.
A priori, le pouvoir grec est sommé, cette fois, de gommer les rentes. …mais dans un contexte où les dépenses publiques seront à nouveau abaissées et ce, de façon quasi automatique, ainsi que le prévoit l’accord du 13 juillet.
Qu’attendre de ce nouvel abaissement et d’un excédent budgétaire primaire qui devrait passer à 3,5% de PIB ?
L’expérience 2008-2014 a montré que les prélèvements fiscaux, malgré la hausse des taux, se sont abaissés de 11,5 milliards. Compte tenu de la baisse des dépenses publiques (46 milliards), l’effet récessif de l’Etat fut de : 46 - 11= 35 milliards. Ce montant est à comparer à la chute du PIB (63 milliards) et donne une appréciation du multiplicateur budgétaire grec : 63/35= 1,8.
Si donc, il est demandé, dans le cadre de l’accord du 13 juillet, une nouvelle baisse de 13 milliards de dépenses publiques, sachant que la hausse des rendements fiscaux restera longuement problématique en raison de la nature même de l’Etat Grec, on peut estimer à environ 25 milliards la nouvelle diminution du PIB. Soit donc un PIB qui passerait de 242 milliards (2008) à 155 milliards en 2018…..soit donc une chute de 36% du PIB en 10 ans. Du jamais vu au moins en temps de paix…
En admettant que les excédents budgétaires exigés permettent de réduire la masse de dette de 3 milliards en 2015 puis de 6 en 2016, puis de 12 en 2017, cela ramènerait la dette globale à 296 milliards au seuil de 2018. Chiffre qu’il faut rapprocher du PIB futur : 155 milliards. Nous arrivons ainsi à un taux d’endettement qui s’élève encore et passe de 177% aujourd’hui à 190% demain, chiffre qui est approximativement confirmé par le FMI (200%).
Le problème du poids de la dette future peut être abordé autrement. Si l’on admet que le respect de l’accord développe une contraction d’environ 4% annuels, et si l’on considère la stabilité des prix (hypothèse hardie), l’équation classique de calcul du solde primaire permettant la soutenabilité de la dette, montre que le dit solde est tout simplement irréaliste. Avec un taux d’intérêt moyen de 2%, nous arrivons à un solde de : 177% ( 2 + 4) = 10,6% PIB….. Pour maintenir en l’état le stock de dettes il faudrait un excédent primaire de plus de 10% de PIB…dont les effets récessifs seraient bien sûrs massifs.
Nos conclusions sont simples : l’accord du 13 juillet, sur le seul aspect de la technicité, est complètement irréaliste.
Sa réalisation matérielle supposerait :
- Des investissements en provenance, soit du reste de la zone, soit en provenance du reste du monde, de très grande ampleur, c’est-à-dire gommant les gigantesques effets récessifs de l’accord. Mais pourquoi investir dans une zone aussi déprimée, qui au surplus connait un système de prix dont l’irréalisme s’articule sur un taux de change dénué de tout bon sens ? Dans ce contexte les 35 milliards du plan Junker n’ont aucune crédibilité.
- Une annulation elle-même gigantesque de la dette pour empêcher la mise en place de la nouvelle dépression programmée. Mais le marché politique allemand s’oppose radicalement à toute forme d’annulation[4].
La solution reste donc l’explosion de la bombe atomique grecque avec la très probable fin de l’Eurozone.
Hélas, plus les artificiers gesticulent pour gagner du temps, et plus les lendemains de la funeste aventure de l’euro seront humainement difficiles. Et les entrepreneurs politiques, coupables devant l’Histoire de ce qui risque de devenir un crime contre l’humanité, pourront peut-être passer entre les gouttes, tant il est vrai que le processus historique devant accoucher du monstre euro fut complexe et interdit de fait une claire traçabilité des responsabilités individuelles.
[1] Nous reprenons ici des termes utilisés dans nos publications antérieures : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/07/les-demineurs-autour-de-la-bombe-atomique-grecque.html, et : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/06/la-bombe-atomique-grecque-combien-de-megatonnes.html
[2] 1100 milliards en 2008 et 1058 milliards en 2014.
[3] 179 milliards en 2008 et 173 milliards en 2014.
[4] Le marché politique américain a pu tourner vers une forme de messianisme après la seconde guerre mondiale, d’où l’émergence du plan Marshall compensant l’énorme surplus extérieur. Il n’y a rien de tel aujourd’hui en Allemagne et le mercantilisme destructeur est le résultat normal du fonctionnement du marché politique allemand. La très relative prise de conscience de cette réalité par la Chancelière ne pourra rien changer.