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1 février 2019 5 01 /02 /février /2019 09:56

Fréderic Lordon émet un point de vue radical concernant l'ISF. On trouvera ci-dessous la vidéo dans laquelle il essaie de  démontrer que la fin de l'ISF est un choix symboliquement fort et politiquement très injuste.

Le raisonnement consiste à démontrer que les ressources laissées à la disposition des ménages les plus aisés ne seront pas mobilisées vers l'investissement productif. Pour cela, il met en avant ce qu'il croit être l'inutilité de la bourse qui ne draine annuellement qu'environ 10 milliards de nouvelles actions émises par les entreprises. Ce chiffre est à rapprocher de l'investissement global de ces mêmes entreprises soit environ 304 milliards d'euros pour l'année 2018. La Bourse serait donc à priori un outil très marginal dans le financement des entreprises. Il serait par contre un outil majeur dans la spéculation sur la matière première qu'est la capitalisation boursière laquelle se monte à environ 3 300 milliards d'euros. Dans la vision de l'auteur de la vidéo, il est clair que les sommes supplémentaires mises à la disposition des ménages très riches, sont ainsi massivement utilisées pour des échanges de titres qui correspondent à des investissements déjà réalisés et non pas des investissements nouveaux. D'où l'idée selon laquelle les sommes abandonnées par le Trésor au titre de l'impôt disparu ne sont que du gaspillage sur l'hôtel de la spéculation.

Sans chercher à mettre en cause le raisonnement de Frédéric Lordon, il est pourtant possible de le compléter sur un certain nombre de points lesquels concernent tous les effets indirects économiquement positifs ou négatifs d'une disparition de l'ISF.

En premier lieu, il y a l'attractivité des patrimoines des résidents, qu'ils soient français ou étrangers, et ce avec leurs conséquences en termes de consommations et d'activités. Cela concerne par conséquent aussi l'épineuse question de l'exode des plus fortunés. Il s'agit donc de comparer les ressources fiscales directement perdues par la fin de l'ISF et la chaine des effets secondaires liées aux déplacements de capitaux. Question difficile car l'attractivité est fonction d'une multitude de paramètres qu'il est bien difficile d'individualiser. 

En second lieu, les achats spéculatifs de titres à partir des ressources nouvelles laissées par l'administration fiscale -ceux qui correspondent à des investissements déjà réalisés et donc non porteurs de capital productif neuf - sont susceptibles d'entrainer des effets d'enrichissement sur nombre d'agents économiques. On notera, en particulier, les entreprises qui peuvent se constituer du cash par vente d'actions, et cash qui peut se transformer en investissements...rendant ainsi moins scandaleux la fin de l'ISF. Cet effet est certainement très limité car probablement compensé par des stratégies de rachat d'actions financés par du cash ne se transformant pas en investissements. D'autres agents peuvent être concernés par cet effet d'enrichissement, ainsi les ménages épargnants, pas nécessairement les plus aisés qui peuvent voir leurs produits d'épargne mieux rémunérés par la bonne tenue de la Bourse elle-même boostée par la fin de l'ISF. On sait toutefois que cet effet d'enrichissement est beaucoup moins porteur en Europe qu'aux USA où il est économétriquement établi qu'une hausse de 10% de la capitalisation boursière engendre une hausse de la consommation de 0,8%. 

Globalement il est donc difficile de mesurer l'impact d'un effet enrichissement à partir de la suppression de l'ISF

En troisième lieu, il est inexact de considérer que seule la Bourse, elle-même réputée inutile selon Lordon, voit le déversement des fonds non taxés se diriger vers elle. Il existe en effet une immense majorité d'entreprises complètement éloignées de la bourse et dont le capital, d'essence familiale, peut s'enrichir de la fin de la ponction ISF. La véritable question est ici de savoir quelle part des sommes rendues disponibles se dirigent vers des actifs financiers et quelle part se dirige vers un véritable investissement productif. Ces parts dépendent aussi de la confiance des acteurs dans l'irréversibilité de la nouvelle législation. Nous manquons à ce jour d'informations suffisantes.

En dernier lieu, l'hypothèse d'une inutilité de la Bourse est très contestable. Parce qu'elle assure aussi la liquidité du capital productif, elle permet -même sans apports nouveaux- de procéder à toutes les restructurations porteuses d'investissements immatériels: rapprochement de compétences, augmentation de parts de marchés, mutualisation de réseaux, de laboratoires, élaboration de normes, etc. Tous effets potentiellement porteurs de gains de productivité et très difficilement évaluables...

Au final, il est très difficile d'évaluer de façon précise ce que peut apporter la fin de l'ISF en termes de surplus d'investissements. Trop d'effets secondaires et souvent contradictoires interviennent et rendent très complexes une évaluation. Et c'est cette complexité qui, à contrario, ne permet pas de conclure, au vue de l'évolution du rythme de l'investissement en 2018, que la fin de l'ISF n'a pas apporté de résultats concluants. De fait ce rythme est resté le même pour les entreprises non financières avec une FBCF de 274,7 milliards d'euros courants en 2016, puis 288,9 en 2017 et 304,1 en 2018, soit une variation inchangée (5% en valeur sur la période) alors que le fin de l'ISF intervient en son milieu.

Face aux énormes difficultés d'évaluation, la question de l'ISF doit être appréciée de façon autrement plus large : son aspect symbolique, dans une société où les inégalités deviennent abyssales et probablement insupportables,  et sa réelle grande faiblesse redistributive dans un monde où il était quantitativement marginal (comparativement aux grands impôts non redistributifs : TVA, CSG, TIPP, etc.). De ce point de vue, si les inégalités de revenus paraissent en France moins insupportables que dans nombre d'autres pays, la ponction fiscale/sociale et ses contreparties en termes de prestations sociales  sont trop peu redistributives, d'où un véritable problème pour les classes moyennes. 

Ces remarques n'effacent pas le mérite de Frédéric Lordon qui permet de poser une question qui sera amplement débattue dans un avenir proche.

 

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commentaires

L
Bonjour Jean-Pierre, je me permets d'ajouter un élément qui me parait fondamental quand on possède du capital (les assujétis à l'ISF sont des détenteurs de capital) ce n'est pas tant l'impôt qui motive votre investissement, c'est le retour sur investissement. <br /> Du point de vue de l'impôt, j'ai connu des Français expatriés aux USA qui ont préféré rentrer en France pour la qualité de vie "à la Française" qui était bien supérieure à un effet d'enrichissement brut d'ailleurs fort vite absorbé par la chèreté de la vie "à l'Américaine" où la nécessité de montrer que l'on a bcp d'argent devient vite usant à tout point de vue. Donc jusqu'à récemment les détenteurs de capitaux restaient en France parce que les hôpitaux français étaient à la pointe de la médecine, les routes et les autoroutes étaient entretenues, l'éducation y était plutôt de bon niveau mais de fait du au desinvestissement de l'Etat dans la recherche et l'hopital publics, dans le génie civil, dans l'éducation, etc la France devient un pays pauvre un pays en voie d'enveloppement (contraire de dévellopement)... Donc en gros depuis 20 ans, depuis l'Euro, la France devient de moins en moins attractive tant industriellement que pour la qualité de vie donc les capitaux fuient mais ils fuient pour aller s'investir en Allemagne et dans les pays du Nord de l'Europe ou de l'Europe de l'Est pour un rendement optinmal du capital et la baisse/suppression de l'ISF ne changera pas grand chose à la tendance...<br /> Pour finir, une remarque mathématique : si la richesse ruisselait cela ferait longtemps que les plus riches seraient moins riches et les pauvres un peu moins pauvres. Sauf si Dieu déversse la richesse par magie sur les plus riches ?<br /> La verité mathématique est que la richesse ruisselle du bas vers le haut, le travail de la majorité enrichit une minorité qui profite de son pouvoir d'influence pour faire en sorte que la loi et les choix de l'Etat lui soient favorables.<br /> Enfin dernière remarque, dans une Union Européenne où les états nations sont en compitions les uns avec les autres, il est normal que le plus riche attire les investissements des moins riches. Si l'UnionEuropéenne était un véritable état fédéral à l'image des USA par exemple ou de tout autre état-nation digne de ce nom, les zones les plus riches redistribueraient vers les zones les plus pauvres les dividendes de l'enrichissement, redistribution dont les Allemands ne veulent pas. Bref les Allemands qui jalusaient les Anglais, les Français, les Italiens parce qu'ils n'avaient pas d'empire colonial en ont enfin un celui-ci s'appelle Union Européenne. L'Allemagne ponctionne les richesses de la zone Euro à son profit et fait appliquer la rigueur ordo-libérale par les gouvernements nationaux et aux forces de l'ordre nationales, en gros elle a le beurre et l'argent du beurre et peut-être va-t-elle se faire aussi la crémière.<br /> Cela ne pourra pas tenir longtemps ! La décolonisation de l'Union Européenne va nécessairement intervenir un jour car les écarts de Target 2 ne pourront pas être indéfiniment repoussés. Les économies devaient converger grâce à l'Euro, elles sont en train de diverger de plus en plus vite ! Les Allemands sortiront-ils de l'Euro avant les Italiens ou les Français ?<br /> Bien cordialement
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