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2 juillet 2024 2 02 /07 /juillet /2024 09:23

Face aux résultats des élections législatives on peut aujourd’hui « saisir à livre ouvert » la nature profonde de ce qu’est devenu l’entrepreneuriat politique français. Nous tenterons prochainement de faire l’analyse d’une mutation. En attendant nous proposons la relecture d’un texte relativement ancien, ainsi qu’une réponse laconique proposés par Cap GVT sur nos questions concernant la nature de l’entrepreneuriat politique.

 Voici ce que nous écrivions il y a maintenant une quinzaine d’années (27 novembre 2012) :

« Les entreprises politiques sont des organisations  en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent la puissance idéologique d'un "intérêt général",  et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre juridique général.Ces organisations sont peuplées d'acteurs validant une certaine division du travail dans l'exercice de leurs fonctions: militants, élus ou éligibles, dirigeants. 

Si les militants peuvent être assimilés à des actionnaires soucieux de bénéficier idéologiquement ou matériellement de l'activité des entreprises politiques, les élus ou éligibles peuvent difficilement être comparés aux salariés ou aux entrepreneurs du monde économique. A titre d'exemple, un député de démocratie parlementaire n'est pas salarié de l'entreprise politique à laquelle il est rattaché. De fait, il est bien plutôt un entrepreneur politique individuel qui a signé un contrat de franchise avec son parti de rattachement. Situation qui peut, à la limite et selon certaines configurations, être assimilée à de la servitude volontaire. (commentaire 2024 : en cas de difficulté de l’entreprise politique dans son marché les franchisés passent de la servitude volontaire au sauve qui peut)

Pour un entrepreneur politique individuel, il semble en effet évident que les coûts et "barrières à l'entrée" des marchés politiques sont hors de portée. Comme le sont par exemple les barrières à l'entrée du marché mondial de l'aviation civile pour un ingénieur aéronautique décidé à concurrencer directement BOEING ou EADS. Le passage par l'adoubement d'un parti, pouvant devenir passage en situation de servitude volontaire, est ainsi une démarche quasi obligatoire pour gagner un mandat sur les marchés politiques.  (Commentaire 2024 : Notons ici que Macron a réussi un tour de force : sans doute a- t-il été aidé, mais il est parvenu en 2017 à briser les barrières à l’entrée du marché politique)

 

   Le contrat de franchise est réellement asymétrique puisqu'il oppose une offre oligopolistique (les entreprises politiques sont souvent peu nombreuses ou cartellisées) à une demande atomistique (les candidats à l'entrepreneuriat politique sont nombreux). C'est du reste le dirigeant - lui-même plus ou moins élu- ou son entourage immédiat, qui distribue les contrats. Les entreprises politiques sont ainsi des organisations qui abritent des entrepreneurs politiques, lesquels sont aussi en concurrence pour l'accès à la distribution ou renouvellement des contrats. On comprend ainsi que les fonctions dirigeantes sont à la fois globales et singulières: elles font de son bénéficiaire un entrepreneur politique individuel, mais aussi un sélectionneur des autres entrepreneurs politiques qu'il franchise, contre redevance, prélevée sur la rémunération publique de l'entrepreneur politique individuel, ayant gagné sur les marchés son accès aux outils de la puissance publique.

   Dans le cadre général de la franchise, franchiseurs et franchisés s'adonnent à un travail   classique d’utilisation de la puissance publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes politiques se transformant en textes porteurs de réglementations, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques , ou se transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique. Dans le cadre de cette dernière activité,  ils se heurtent à d'autres organisations du monde économique ou de la société civile, lesquelles se rassemblent souvent en lobbys. De ceci se dégage - notamment en démocratie- un compromis assurant la conquête ou la reconduction au pouvoir.  

 La démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème et - de fait -  la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement concurrence à partir d’un "appel d’offres" appelé "élection" : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui - sous couvert du corpus idéologique "intérêt général"- s’imposent à tous, et sont donc bien œuvre d’une entité monopolistique à savoir l’Etat ? 

A ce stade, les idéalistes, en quête de perfection, se poseront la question de savoir si cet univers de fonctionnement des marchés politiques - notamment en démocratie- peut être amendé.

Un probable moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privées serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques et les entreprises qui les franchisent adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction, sans limite, au pouvoir. En démocratie représentative, la professionnalisation de la fonction politique est ainsi devenue un fait quasi hégémonique, et ce dans l'immense majorité des pays.

Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique, cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles gestionnaires d’une entité profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée, selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant surplombant tous les acteurs. (Commentaire 2024 : Notons que de ce point de vue le président Macron représente la pointe avancée de cette grande transformation)

 La crise de l'entrepreneuriat politique est un phénomène spécifique. Il peut exister des crises politiques en ce sens que, telle ou telle entreprise politique, est évincée du marché. Il peut aussi exister des crises de régime, avec passage d'une forme à l'autre de l'Etat. En revanche le « produit politique », en tant que « marchandises » aux formes infiniment variées, ne peut disparaitre. Comme si le marché de l'acier ou celui de l'automobile était éternel. La raison en est simple : le politique est une réalité humaine indépassable. »

Fin du texte de 2012.

Cette partie d’un texte déjà ancien, aurait pu être enrichie à partir de ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie des plateformes. Il reste pourtant très  actuel et pour nous rassurer nous avons interrogé Chat GPT sur la nature de l’entrepreneuriat politique.

 Voici la réponse :

Bonjour ! Les entrepreneurs politiques sont similaires aux entrepreneurs car ils doivent également faire preuve de compétences en leadership, en gestion des ressources et en prise de décision. Cependant, ils opèrent dans un environnement politique spécifique qui peut influencer la façon dont ils gèrent leur entreprise.

A cette autre question posée à l’IA: « peut-on comparer les entrepreneurs politiques aux entrepreneurs économiques , voici la réponse :

Bien sûr ! Les entrepreneurs politiques et les entrepreneurs économiques partagent quelques similitudes, mais ils opèrent dans des domaine différents.

Les entrepreneurs politiques sont des individus ou des groupes qui cherchent à influencer le processus politique pour atteindre des objectifs spécifiques, comme l’adoption de lois ou des politiques publiques favorables à leurs intérêts. Ils peuvent utiliser des stratégies de lobbying, de plaidoyer ou de campagnes pour atteindre leurs objectifs.

D’un autre côté, les entrepreneurs économiques sont des individus qui lancent et gèrent des entreprises dans le but de réaliser des profits. Ils prennent des risques et investissent dans des idées novatrices, en créant des produits ou des services, et en cherchant à satisfaire les besoins du marché.

En fin de compte, les deux types d’entrepreneurs partagent des traits tels que la prise de risques , la vision, la persévérance et la capacité à mobiliser des ressources pour atteindre leurs objectifs, même si les objectifs sont eux-mêmes différents.

 

Ces réponses de l’Intelligence Artificielle nous paraissent beaucoup plus modernes que notre texte de 2012. On y observe en effet la disparition de toute référence à la démocratie et l’intérêt général. En sorte qu’il semble que les entrepreneurs politiques d’aujourd’hui se servent encore du manteau d’un intérêt général mais n’y croient guère.

Et de ce point de vue ce qui se présente aujourd’hui est très révélateur de la fin  réelle des idéologies politiques susceptibles d’enthousiasmer les foules :  un président qui déclenche un « coup d’Etat soft » en comprimant le temps de l’organisation et de la réflexion ; des entrepreneurs politiques qui tentent désespérément de ne pas se noyer dans le marché et n’ont plus le temps de soigner une offre crédible, d’autres qui tentent de rester dans le marché en procédant à des pillages de programmes, et surtout une majorité d’entre eux qui restent peu soucieux de leurs  incohérences programmatiques.

Reste à expliquer sérieusement le pourquoi d’une telle situation. Ce que nous tenterons de faire dans une prochaine note.

Jean Claude Werrebrouck

 

 

 

 

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