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3 février 2025 1 03 /02 /février /2025 07:29

1 Le mensonge d'une prétendue économie de l'offre

2 S’affranchir des règles européennes ?

            3 L’Edification d’une armée de passagers clandestins.

            4 Vraie dette pour les banques et fausse dette pour les banques centrales.

            5 Des passagers clandestins maintenus en prison.

            6 Le bilan d’une banque classique n’a rien de commun avec celui d’une banque centrale.

            7 Une Commission Européenne prenant l’exemple du Trumpisme.

            8  Sublimer l’argent magique en produisant du bien commun.

            9  Dynamiter, dynamiser ou fragmenter l’édifice européen ?

La BCE n’achète plus de dette publique depuis le 1er janvier 2025. Cela signifie que cette dernière - acquise depuis la crise financière et celles de la COVID - arrive progressivement à échéance et que les ressources fiscales, complétées par celles des investisseurs financiers, a déjà, et aura la charge de rendre à la BCE le capital acheté entre 2015 et 2022. La somme est colossale et s’est montée à environ 5200 milliards d’euros, soit 2 fois le PIB de la France. Tous les programmes d’endettement public de la zone euro pour la présente année sont déjà alourdis par les tranches à rembourser, soit pour l’année 2025 la somme de 407 milliards de dette arrivée à maturité.

A quoi ont servi ces considérables achats qui correspondaient à autant d’émission monétaire ? Ils ont d’abord abondé les comptes des Trésors publics des pays de la zone, lesquels se sont volatilisés en dépenses publiques, dépenses ne devenant que la contrepartie des déficits publics. Au final, elles se sont retrouvées dans les comptes bancaires de ceux des agents qui ont bénéficié de la dépense publique : Ménages, entreprises résidentes ou non résidentes, système financier.

1 Le mesonge d'une prétendue économie de l'offre

La contrepartie des dépenses correspondantes fut essentiellement de la consommation et fort peu d’investissement. En effet la période se caractérise par une croissance très faible. Elle aurait même été négative s’il n’y avait pas eu de déficit budgétaire. Ainsi pour la France d’aujourd’hui, un déficit public de 1 point de PIB vient nourrir la demande globale et donc la production de seulement 0,7 point de PIB. Compte tenu des déficits constatés au cours de la période et d’une  croissance réelle constatée tournant autour de 1%, cela signifie au mieux la stagnation. C’est dire que la monnaie créée par la politique de la banque centrale s’est retrouvée dans de la consommation et de l’épargne, en restant très éloignée de l’investissement productif. De quoi nourrir un déficit extérieur grandissant et une spéculation sur les actifs existants. Le patrimoine augmente dans son apparence comptable - 14000 milliards d’euros - et le pays s’appauvrit. On continue d’affirmer que la France est riche alors que son patrimoine est largement fantôme – beaucoup d’immobilier - et que son épargne prend largement la forme de la dette publique ou s’évapore vers des lieux plus rentables comme les USA[1]. De quoi prendre conscience aussi du faux discours sur une économie de l’offre alors que l’on reste englué dans une économie de la demande.

2 S’affranchir des règles européennes classiques ?

Certes l’échec, déjà grand, aurait été dramatique sans l’intervention de la BCE et aurait probablement débouché sur une crise de l’euro. Toutefois, au vu de la dislocation générale du monde : fin du multilatéralisme, avancée du libertarisme, retour du césarisme, illibéralisme, imbrication de la rhétorique du business à celle de la guerre, retour de la guerre froide, etc[2] ; au vu également de la généralisation de technologies de rupture avec pour marque essentielle une numérisation du monde qui n’ a rien à voir avec les vieilles problématiques industrielles[3], il est grand temps pour l’UE de s’affranchir des règles qui entrainent son inévitable déclassement. C’est semble-t-il ce qui est en train de se produire avec toutefois des moyens beaucoup trop limités[4] et un canevas organisationnel inchangé.

La Commission, face aux grands enjeux de la planète pourrait devenir beaucoup plus dynamique et exiger que les gigantesques sommes consacrées au remboursement de la BCE soient désormais affectées à la restauration de la puissance de l’Europe, Europe soit prise globalement, soit prise pays par pays.

Pour comprendre cette possible exigence il convient de mieux comprendre l’identité réelle de la BCE.

3 L’édification d’une armée de passagers clandestins

 Pour éviter l’effondrement, elle a permis à chacun de devenir passager clandestin de la zone. Chaque pays a pu continuer - à coût à peu près nul (taux de l’intérêt tombant à zéro)- à s’endetter. D’où la quasi légitimité du slogan « l’euro nous protège » De quoi augmenter encore des déficits indolores... Concrètement, il y a eu des passagers un peu plus clandestins que d’autres. C’est le cas de la France dont la tradition de régulation passait jadis par des dévaluations répétées qui, en contre partie, furent l’outil privilégié de la construction de la formidable réussite française sous la quatrième et les débuts de la cinquième République. Les trente glorieuses furent en effet beaucoup plus brillantes en France que dans le reste du monde.

Si l’on va plus loin dans l’analyse du présent, l’achat massif (jusqu’à la moitié du total de la dette publique cumulée de la zone) de bons des Trésors nationaux par la BCE n’était pas une création monétaire comme les autres.

4 Vraie dette pour les banques et fausse dette pour les banques centrales

 Lorsque la création est le fait des systèmes bancaires européens, il y a alourdissement des passifs des bilans des banques, et si la contrepartie en termes de prêts se dégrade jusqu’au défaut, le passif bancaire reste hélas exigible. Clairement, les banques ne peuvent faire face aux conséquences de leurs éventuelles imprudences et le défaut des clients peut les entrainer à la faillite. Ce n’est absolument pas le cas de la BCE et si les divers pays ayant bénéficié de la manne monétaire décidaient de faire défaut, la banque centrale ne serait en aucune façon gênée : son passif n’est pas exigible. Alors que tout agent qu’il soit ménage, entreprise,  banque, etc. dispose d’un passif exigible, la banque centrale ne dispose d’aucune contrainte d’aucune sorte.

5 Des passagers clandestins maintenus en prison

La situation présente est donc la suivante : la BCE a elle-même créée la situation de passager clandestin en acceptant à son bilan des doses massives de dette publique. Elle n’a pas obligée les divers pays à entrer dans les contraintes de l’euro. Elle a donc considéré que - pour nombre d’entre eux- la dévaluation étant impossible, les contraintes de la monnaie unique étaient politiquement devenues insupportables. Maintenir le dictat de la dévaluation interdite passait par la création massive de monnaie centrale. Les passagers clandestins vont profiter du mirage « l’euro nous protège » mais il n’est pas question de bénéficier d’une dévaluation pour retrouver de la compétitivité. La France beaucoup plus que d’autres avait besoin de l’oxygène d’une dévaluation massive pour mettre fin à son extraordinaire déficit extérieur… mais elle devait rester sous l’oxygène artificiel de la BCE. On préfère ainsi des entreprises asphyxiées et maintenues en vie avec de l’aide publique puisée dans les largesses de la BCE plutôt que des entreprises nourries par un  marché où les taux de change sont eux-mêmes des prix de marché.

6 Le bilan d’une banque classique n’a rien de commun avec celui d’une banque centrale

Il est donc logique dans un moment géopolitique très difficile de demander à la BCE de ne pas exiger les 407 milliards de dette publique européenne parvenant  à la maturité au cours de la présente année… ni d’exiger les milliers de milliards d’euros qui devraient lui être remboursés au cours des années suivantes. Encore une fois, le lecteur doit bien comprendre que le bilan d’une banque centrale n’a rien d’un bilan classique. Le non remboursement ne signifie ni pertes ni disparition des capitaux propres comme cela est le cas pour tous les agents économiques. Le lecteur doit même savoir qu’il existe des banques centrales sans capitaux propres, institutions dont les coûts de fonctionnement (immeubles, achats de produits et services intermédiaires, rémunérations) sont couverts par la simple création de monnaie centrale…. Battre monnaie pour une banque classique qui accorde des crédits à ses clients n’a pas du tout le même sens que battre monnaie quand on dispose de la liquidité ultime. A cet égard on peut regretter que du point de vue simplement comptable la banque centrale se confond avec n’importe quel type d’agents alors même qu’elle dispose d’un pouvoir complètement singulier. De quoi entrainer une énorme confusion dans les esprits y compris dans ce qu’on appelle l’élite.

7 Une Commission Européenne prenant l’exemple du Trumpisme

Quel scénario pouvons-nous envisager pour ne pas étrangler les pays de la zone et bloquer le paiement des 407 milliards d’euros arrivés à échéance ? Afin de ne pas effrayer les marchés, on peut imaginer une démarche de la Commission européenne annonçant à la BCE le défaut qui ne comporte aucun coût. En contrepartie les colossales sommes à ne plus rembourser seraient affectées par le biais d’une démarche volontaire, soit à un fond commun de reconstruction, ou pour les Etats qui refuseraient la mutualisation, la fin d’un poids devenu trop lourd.

A ce titre il faudrait redonner du sens et de l’avenir, à des populations européennes devenues désemparées, par des décisions majeures aux effets immédiats. Et avant même de construire un projet, il s’agit de contrer immédiatement la vassalisation provoquée par le techno- césarisme qui vient de se mettre en place aux USA. Cela passe par un réarmement juridique des Etats et/ou une mise sous contrôle des institutions européennes (à débattre). On peut donner quelques exemples.

8 Sublimer l’argent magique en produisant du bien commun

A. Renverser l’extraterritorialité américaine et les droits de douane en faisant payer aux entreprises US qui exportent en Europe ou en France (au choix) les impôts qu’elles ne paient pas aux USA en raison d’une fiscalité trop avantageuse. Ici, il ne s’agit pas encore de mobiliser un argent magique mais de s’armer juridiquement. Il ne s’agit pas non plus d’imiter un mélange de césarisme impérial et de protectionnisme, mais de la volonté d’établir un principe d’égalité sur les marchés.

B. Financer immédiatement une agence spatiale type NASA en modernisant les modalités organisationnelles : Substituer une politique d’accompagnement à celle du crédit public classique, substitution envisageant des bases simplement contractuelles avec obligations de résultats et des challenges entre offreurs de solutions en concurrence[5] sur des objectifs datés et sanctionnés.  Cela suppose qu’en cas de mutualisation entre pays, il faut impérativement renoncer à une répartition sur base réglementaire. En contrepartie, il faut au moins multiplier par 5 le budget de la présente agence qui se trouve aujourd’hui complètement déclassée par Space X - dont aussi Starlink et ses dizaines de milliers de satellites - et les entreprises du « new space ».

C. Imposer un modèle original opposé aux modèles des 2 superpuissances non coopératives (USA/Chine) dans le domaine de l’intelligence artificielle. Il existe une possible stratégie d’autonomie entre un modèle ouvert chinois type « Deepseek » dont on peut craindre les effets technologiques de dépendance sur de nombreux pays[6], et un modèle Google, OpenAl ou microsoft qui mobilise des moyens colossaux pour assurer une domination américaine à partir d’une consommation massive de compétences européennes et plus particulièrement française. Cela suppose de construire une indépendance technologique qui n’existe pas encore et suppose de très gros moyens à déployer depuis l’école primaire jusque dans les universités. La nouvelle révolution industrielle est beaucoup plus fondamentale que toutes les précédentes et doit mobiliser une bonne partie des moyens acquis sur le principe du renoncement au remboursement de la BCE. Entre ce qui ne produit rien et ne coûte rien, et ce qui peut révolutionner le monde - bien au-delà des seuls gigantesques gains de productivité attendus - il faut choisir.

D. Mettre immédiatement fin au marché de l’électricité, supprimer les procédures européennes d’approbation des modes de financement, donner une visibilité immédiate pour les sous -traitants, fermer la CRE[7] française et ses homologues etc., et garantir un financement immédiat – plus de 70 milliards d’euros aujourd’hui introuvables - comme ce fût le cas lors de la construction du parc électronucléaire français.

E. Ne pas renoncer aux investissements de rupture dans les énergies fossiles qui ont permis en quelques années aux USA de passer d’une situation d’extrême fragilité à une situation de domination du marché mondial du pétrole et du gaz. Rétablir la puissance c’est rétablir l’autonomie énergétique. Qui se rappelle encore du contexte de la création de la Compagnie Française des Pétroles après la première guerre mondiale ?

F. Recapitaliser massivement les milliers d’entreprises (4500 pour la seule France) du secteur de la défense pour augmenter la production voire permettre le passage en économie de guerre. Il est inacceptable de voir aujourd’hui le secteur bloqué dans sa production y compris pour les entreprises les plus efficientes. Il est inacceptable de voir Dassault en peine pour augmenter significativement la production du Rafale. Dans le cas d’un choix de mutualisation renforcée il est évident qu’il faudrait recapitaliser de façon très massive la BEI à partir du défaut collectif sur la dette publique normalement payable à la BCE.

 

On pourrait multiplier les exemples mais il est clair que les moyens à redéployer pour donner du sens sont à la fois très importants et très présents. De quoi rendre les 5200 milliards d’euros magiques de la BCE - pour simplement maintenir des passagers clandestins dans leur prison - disponibles pour s’armer face à un environnement géopolitique particulièrement difficile et assurer la construction d’un avenir libre et sécurisé.

Au total le vrai problème est celui de la population disponible : il est clair que l’Europe et en particulier la France ne dispose pas de l’ensemble des compétences pour assurer une œuvre de redressement qui n’est nullement limitée par une rareté de capital laquelle n’existe que dans la tête des économistes embourbés dans les sables de l’Euro. A titre de consolation, il est encore plus clair que les USA ne disposent en aucune façon des ressources humaines susceptibles de réindustrialiser et d’assurer le prétendu moment « MAGA ». Il y a eu un moment « Spoutnick » très facile au siècle passé. Le prétendu moment « MAGA » sera autrement compliqué et les USA qui produisent 5 ou 6 fois moins d’ingénieurs que la Chine, n’ont pas les moyens de quitter le chemin du déclin.

9 Dynamiter,  dynamiser ou fragmenter l’édifice européen ?

Reconnaissons que les différents points que nous venons de brièvement présenter, et qui encore une fois ne sont que des exemples, restent chargés d’une grande ambiguïté. Bien sûr ils peuvent redonner du sens à un foule d’acteurs plongés dans des activités totalement obscures, (pensons par exemple aux milliers d’acteurs fonctionnaires ou non de la régulation de l’énergie faisant quotidiennement face à des « prix négatifs »). Par contre quel doit être le cadre des solutions proposées ? L’ensemble européen doit-il simplement entrer en dissidence avec les réalités institutionnelles, ou entrer dans un régime d’exception, ou bien faire table rase de tous les traités, ou bien reconstruire des sous-ensembles sur la base d’un principe de cohérence ?

Au vu de la dangerosité du présent monde, il nous semble qu’il nous faut choisir la voie de l’exception, voie déjà utilisée - certes maladroitement - par le gouverneur Draghi lors de la crise financière.

 

                                                           Jean Claude Werrebrouck – 2 février 2025.


[1] Au-delà de la France et plus globalement, les investissements de l’industrie européenne (430 milliards d’euros entre 2022 et 2024) ont boudé les Etats de l’UE (124 milliards investis) pour se nicher dans le reste du monde (306 milliards) dont une large part pour les USA.

[2] Sans oublier les systèmes d’IA auto-répliquant pouvant échapper à tout contrôle humain, une situation où la machine commande les sociétés….

[3] Les gigantesques barrières à l’entrée du monde industriel avaient aussi pour effet une grande stabilité. Ces mêmes barrières disparaissent dans l’industrie numérique et un nouveau logiciel peut détruire un empire.

[4] Cf la « boussole pour la compétitivité » annoncée le 29 janvier dernier et qui prévoit des décisions législatives sur plusieurs années et des plans sectoriels pour la sidérurgie, l’automobile, la chimie etc , et ce dans un contexte proche des idées du rapport Draghi.

[5] On peut ici penser au modèle type  de MAIASPACE.

[6] Cf Julie Martinez dans « IA et fake news. Sommes-nous condamnés à la désinformation ? Flammarion 2024.

[7] Commission de régulation de l’énergie

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