L’Irlande qui représente 2% du PIB de la zone euro consommait cet automne 25% des nouvelles liquidités émises par la BCE. Interventions pourtant insuffisantes pour contenir « bank run » larvé ou/et nécrose du marché monétaire qui se manifestent depuis le début de l’année. Et collaboration insuffisante des entrepreneurs politiques au pouvoir, qui allant jusqu’à 32 points de PIB de déficit budgétaire pour maintenir un système financier pesant 15 fois le PIB du pays, se devaient de réduire encore un peu plus la dépense publique : prés de 10% de PIB sur 3 années.
Le risque de défaut menaçant l’ensemble du système financier mondial, il fallait une consolidation rapidement élevée et construite à l’initiative de ce qu’on appelait le triumvirat (FMI, Union européenne et BCE) L’aide consentie à la Grèce au printemps dernier, était généreuse et représentait 45% de son PIB. Avec l’Irlande la générosité sera plus grande encore, et l’aide prévue s’établira à 65% du PIB irlandais.
Le BIS Quaterly review de septembre 2010(http://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1009.pdf#page=19)
révèle clairement, que parmi les « PIGS », l’Irlande est de loin le pays qui dispose en son sein, de la bombe la plus dangereuse pour la finance planétaire. Le total de la dette extérieure publique et privée, représentait en septembre dernier, la somme de 843 milliards de dollars, pour un PIB de seulement 180 milliards de dollars. La Grèce se contentant de seulement 297 milliards de dollars, pour un PIB de 320 milliards de dollars… auquel il faut ajouter une économie souterraine autrement plus importante que celle de l’Irlande…
L’Espagne, dont on dit qu’en raison de son poids, elle entrainerait dans l’abîme l’ensemble de la finance, est pourtant dans une situation moins dangereuse que l’Irlande. Elle dispose certes d’une dette extérieure totale de 1100 milliards de dollars… qu’il faut toutefois comparer à un PIB de 1400 milliards de dollars.
Dans l’insolvabilité généralisée, l’Irlande est donc bien en tête, et c’est la raison pour laquelle « tous veulent l’aider » y compris la Suède et la grande Bretagne, ce qui était loin d’être le cas pour la Grèce au printemps dernier.
Pour autant, l’insolvabilité de l’Etat Irlandais ne peut que s’aggraver, puisqu’il faudra désormais rembourser une nouvelle dette, venant s’ajouter à l’ancienne déjà rapidement croissante. Il sera ainsi difficile de rassurer les marchés. A titre de comparaison, pour bien saisir le pharaonisme des chiffres, imaginons que la France se voit octroyer une nouvelles dette- à moyen terme, c'est-à-dire moins de 4 années- d’environ 1500 milliards de dollars… pour l’aider à s’extirper de son insolvabilité… C’est pourtant ce qui se décide en cet automne 2010 pour l’Irlande.
A cet étranglement vient s’ajouter une autre difficulté : le « tigre celtique », n’était tel, qu’en raison de son caractère de paradis fiscal. Et un impôt sur les sociétés le plus faible d’Europe, était aussi épaulé par une grande créativité, dans les processus d’optimisation fiscale. C’est dire que la matière première « impôt sur les entreprises», matière propre à maintenir debout les dominos, n’est guère très épaisse, et que le choix est fait de laminer les petites rentes d’un Etat providence, initialement déjà plus réduit que sur le continent. Pour maintenir, contre vents et marée, la rente financière dans son intégralité, il s’agit de s’attaquer aux salaires et à leurs annexes, et ce et y compris par la voie de la pression fiscale sur les revenus du travail.
Ce choix est celui des entrepreneurs politiques irlandais, bousculés par les entrepreneurs politiques européens, qui conscients du tsunami qui gronde, désirent toujours gagner du temps en imposant de « nouvelles aides » dépourvues de tout bon sens. Le choix initial des entrepreneurs politiques irlandais : gagner du temps en laissant couler le robinet de la BCE, est ainsi contrarié par d’autres entrepreneurs politiques, qui veulent gagner du temps par d’autres moyens, ici en tentant de réduire le spread des taux, aux mimétismes ravageurs dans nombre de pays de la zone. Ces façons différentes de gagner du temps, étant eux-mêmes dictées par l’agenda de chacun au regard du refinancement de « sa » dette sur les marchés. L’Irlande pouvait attendre jusqu’au printemps 2012. Portugal, Espagne, et d’autres encore, sont obligés de commercialiser de la dette beaucoup tôt.
L’épuisement des entrepreneurs politiques est toutefois bien présent, et les « blocs au pouvoir » s’effritent progressivement. Tous baignent dans le même paradigme, et tous restent fascinés par la mondialisation. Pour autant, certains prennent conscience de l’existence d’un mur de l’insolvabilité. Aucun ne fait encore le lien entre la construction des autoroutes de la finance, la mondialisation, la construction de, l’euro etc. Mais certains savent, qu’il existe désormais une forêt de dominos dont l’instabilité est rapidement croissante. Et encore une fois, il suffit de consulter les statistiques de la BRI pour voir à quel point tous habitent un « château branlant ». En affirmant avec naïveté, devant le conseil européen, que la finance doit comprendre que les politiques sont élus par des électeurs, qui sont aussi des contribuables, jusqu’ici trop mobilisés à sauver le système bancaire, la chancelière allemande s’est exprimée dans le langage de ce blog. Expression dangereuse, pouvant initier l’effondrement généralisé des dominos. Mais en même temps, expression signifiant que les marchés politiques peuvent brutalement faire émerger de nouveaux produits politiques : rééchelonnement de la dette, nationalisation, saisie brutale du système financier, fin de l’Euro etc.
Epuisés par maintenant plus de 3 années de course au gain de temps, les entrepreneurs politiques touchent de la main, et apprécient la dureté du mur de l’insolvabilité. Cette prise de conscience est le début de grands bouleversements sur les marchés politiques : certains entrepreneurs au pouvoir, tenteront de maintenir leur rente de pouvoir par un rapide changement d’offre. D’autres accéderont au pouvoir et seront amenés à négocier le monde de la probable dé mondialisation et de l’euthanasie des rentiers. Les choses ne seront pas simples, et on aurait tort de se réjouir brutalement de la fin de l’étranglement par la finance. C’est que cette dernière présente parfois un angle plus sympathique : son gigantisme, a aussi pour contrepartie, des produits d’épargne appréciés par des contribuables, irrités par ailleurs, de payer pour le maintien, sous perfusion, du système financier.