Les réactions au sondage de l’IFOP consacré au protectionnisme et au libre échange (20 Mai 2011) sont nombreuses et souvent négatives. Ainsi un article du Monde en date du 30 juin dernier s’organise autour d’un titre fort significatif : « Absurde démondialisation- Refusons la préférence nationale économique ».
Nous voudrions souligner ici que la démondialisation ne signifie pas nécessairement la fermeture et la déconnexion vis-à-vis du reste du monde. Elle signifie simplement une économie mondiale plus respectueuse des hommes et de leur environnement.
Dans le cadre des anciens Etats-nations, la compétition et la « destruction créatrice » chère à Schumpeter, les perdants n’étaient pas abandonnés par un Etat providence financé par les gains de productivité. Dans le nouveau cadre de la mondialisation, le travail -à grande échelle- de destruction créatrice perd de sa légitimité, puisque d’une part le filet de sécurité antérieur est attaquable par les marchés, et que d’autre part, le déficit de régulation mondiale donne libre cours au mercantilisme le plus brutal : arme monétaire, paradis fiscaux, conditions de travail inacceptables, etc. les perdants deviennent ainsi des inutiles au monde, et des inutiles qui ne peuvent plus vraiment s’exprimer et exiger des compensations, puisque vivant au sein d’un Etat lui-même en difficulté. Les perdants risquent en effet de le rester, et personne ne peut sérieusement croire que les habitants du Péloponnèse équipés de leurs contestés euros, rivaliseront - même à moyen terme - avec ceux de Shanghai . Le combat est tout simplement inégal. A ce titre, il n’est pas souhaitable, ni même moralement acceptable.
De fait, la mondialisation est une belle histoire racontée aux enfants. La réalité est que nous assistons à l’émergence de nouveaux Etats qui entendent bien profiter d’une dérégulation généralisée pour se développer. La mondialisation authentique supposerait l’affaissement de tous les Etats et la naissance d’organisations de régulation planétaire, donc complètement a- nationales. Force est de constater qu’il s’agit d’une utopie, et les grandes instances de régulation (FMI, BIT , OCDE, etc.) sont internationales et le resteront longtemps puisque les seules transformations envisagées ne concernent que le poids de chaque Etat dans les conseils d’administration. Constatons aussi que la seule instance a nationale de quelque importance est La BCE…laquelle voit son action de plus en plus durement contestée.
Démondialiser consiste simplement à prendre conscience, que ce qui s’avère être une fausse mondialisation, est une impasse pour l’humanité toute entière. Les déséquilibres majeurs qu’elle entraine doivent être corrigés, non pas par une fermeture inacceptable et le climat d’agressivité mimétique qu’elle peut entrainer. Il s’agit à l’inverse, d’introduire l’idée que les échanges entre nations doivent être équilibrés. Et ce n’est pas parce que la destruction créatrice est plus efficace ici qu’elle doit développer du chômage et des exclusions là. En clair, les plus efficaces ne doivent pas siphonner la demande globale de ceux qui le sont moins, et qui de ce fait sont victimes. Et les victimes ne doivent plus être vilipendées : la productivité est aussi un trait culturel, et toutes les cultures sont respectables. Il est ainsi inacceptable de demander aux grecs de devenir l’équivalent des allemands.
Aussi, l’équilibre des échanges dans une économie mondiale, suppose de pouvoir imposer à l’excédentaire- qui au nom de la liberté des échanges siphonne les demandes globales des moins efficaces- des mesures propres à la réduction de son excédent : hausse des salaires, réévaluation de sa monnaie, taxes à l’exportation, etc. Ce qui n’empêche évidemment pas les moins efficaces de s’améliorer, pour éviter une dégradation des termes de l’échange . Dispositif d’équilibre développant aussi d’autres conséquences. Par exemple, celle d’une baisse du volume du commerce international en raison de la diminution des échanges, entre filiales d’une même entreprise, ne bénéficiant désormais plus de gains à l’échange fabriqués sur d’inacceptables différences. De quoi reconstruire le corps des ses institutions démembrées que sont devenues les entreprises en mondialisation. Et de quoi aussi diminuer la pression sur un environnement fatigué par des transports inutiles et moralement contestables.
Keynes avait pensé à cet équilibre nécessaire d’une économie mondiale. Conscient du chaos provoqué par la guerre des monnaies dans les années 30, et la montée du protectionnisme qui lui était associé, il militait pour une régulation mondiale qui ne soit pas la mondialisation d’aujourd’hui. Il est temps de revenir sur les projets qu’il défendait à Bretton-Woods.
Dernier point : l’équilibre des échanges n’est en aucune façon l’argument de la préférence nationale souvent évoquée pour d’autres motifs.
Jean Claude Werrebrouck
Membre fondateur de l’Association
"Manifeste pour un débat sur le libre-échange"