Résumé :
Les récentes décisions des ministres des finances de la zone euro accordant un délai de grâce de 2 mois à la Grèce et leurs conséquences sur le choix stratégique du parti au pouvoir à Athènes sont conformes à ce que proposent les conclusions de notre modèle de fonctionnement de la réalité sociale. Ce choix entre « poigne » et « clémence » et le pari qui s'en est suivi, sont des mesures de sauvegarde générale qui, au- delà des intérêts de la finance, sont un bon compromis entre entrepreneurs politiques européens soucieux de leur reconduction au pouvoir.
La Grèce est un Etat-Nation comme les autres et dispose d’acteurs sociaux tels que précédemment définis[1] : entrepreneurs politiques et économiques, citoyens, salariés, consommateurs, épargnants.
Comme partout les entrepreneurs politiques, sous le parapluie idéologique d’un intérêt général, y assurent la captation des outils de la contrainte publique soit à leur profit soit en le partageant selon des modalités très diverses avec d’autres groupes sociaux.
L’édiction des règles du jeu social dans le pays - ce que nous appelions la « production de l’universel »[2]- connaissait toutefois, avant l’établissement de la monnaie unique, quelques spécificités : non séparation de l’église et de l’Etat et donc captation partielle des règles par le clergé ; entrepreneuriat économique globalement peu puissant sauf dans des branches particulières ( Armateurs) ; citoyenneté enkystée dans la religion et aussi dans un puissant clientélisme politique ; salariés –en dehors de la fonction publique- peu nombreux, consommateurs peu organisés ; épargnants assis sur une capital immobilier qui constituait l’essentiel de la sécurisation du patrimoine.
La privatisation du bien public monétaire (l’entrée dans l’euro zone) redessine le poids de la captation : les entrepreneurs politiques grecs deviennent des passagers clandestins[3] de l’eurozone d’autant plus importants qu’ils sont peu visibles à l’échelle de la zone : 2% du PIB de cette dernière.
Il en découle des déficits publics importants lesquels traduisent le poids de la redistribution vers les citoyens et salariés dont beaucoup sont dans une fonction publique clientéliste. Une redistribution payée par de la dette publique et privée.
Il en résulte aussi un laminage de l’entrepreneuriat industriel au profit de celui du négoce puisque désormais les grecs disposent d’une monnaie forte et parfaitement convertible : de quoi mettre en pleine lumière la sous-compétitivité grecque et la sanctionner brutalement. Un entrepreneuriat de négoce se met en ordre de bataille et laisse bien sûr une place essentielle à l’entrepreneuriat étranger (naissance et montée quasi hégémonique d’une Grande distribution à la française).
Il en résulte enfin des taux d’intérêt plus faibles qui permettent le développement du crédit.
Autant de caractéristiques qui autorisent un miracle de l’euro[4]….qui se manifeste par une envolée de la croissance économique, dont la contrepartie est constituée de déséquilibres publics et privés.
La crise grecque qui remonte aux crises des dettes souveraines vient contester le comportement de passager clandestin et donc les modalités de la captation : il faut, TroÏka oblige, réécrire les règles du jeu social, ce qui, dans un même geste, démonétise l’entrepreneuriat politique grec. D’où l’idée de protectorat.
Plus récemment le jeu complexe entre les différents marchés politiques et financiers se complexifie encore à l’occasion d’une éventuelle fin de tutelle sur l’entrepreneuriat politique grec.
Le « théâtre grec » mais aussi européen à propos de la Grèce, fait intervenir les acteurs suivants :
- les entrepreneurs politiques au pouvoir en Grèce menacés par des élections rendues obligatoires en raison du mode de désignation du président de la République[5].
- les entrepreneurs politiques grecs dans l’opposition.
- des entrepreneurs politiques étrangers menacés à court terme dans leur reconduction au pouvoir si un nouveau plan d’aide généreux devait être accordé (élections en Finlande, opposition des entrepreneurs politiques au pouvoir en Allemagne, Pays-Bas etc.)
- les entrepreneurs de la finance, notamment les banques, qui peuvent craindre une brutale remontée des taux et l’effondrement planétaire du système financier.
-tous les entrepreneurs politiques étrangers qui ont à craindre le déferlement d’un nouveau tsunami financier
- les régulateurs financiers avec, au premier rang, la BCE, mais aussi le FMI.
Bien évidemment ces acteurs sont eux-mêmes agités par les acteurs de base ou à l’inverse agitent des mandataires :
- Citoyens grecs qui refusent les dernières injonctions de la Troïka,
- Epargnants des pays du Nord de l’Europe, mais aussi du sud,
- Inspecteurs de la Troïka
- Ministres des Finances de l’Euro groupe.
La reconduction au pouvoir des actuels entrepreneurs politiques grecs passe de toute évidence par la fin du protectorat imposé par la Troïka. Son coût potentiel, à savoir une brutale remontée des taux et sa contagion planétaire, pouvant ne pas lui être imputable si elle met en avant le bouc-émissaire de la finance destructrice. Le pari n’est pourtant pas gagné.
Les autres entrepreneurs politiques au pouvoir de la zone euro ont à choisir entre une attitude dure qui mène à des élections législatives en Grèce avec un résultat débouchant sur un déclenchement possible du tsunami, et une attitude de clémence qui peut les fragiliser à l’intérieur de leur propre marché[6]. D'une certaine façon, ils sont eux aussi sous le régime du protectorat
La décision des Ministres des finances de la zone euro qui, dans la réunion du 8 décembre, accorde un délai de grâce de 2 mois est sage : elle permet de gagner du temps et ne déstabilise pas les principaux acteurs du jeu. Entre clémence et poigne il y avait encore un espace de compromis mutuellement avantageux.
Toutefois la décision du parti au pouvoir en Grèce de précipiter les élections pour la présidence de la, République n'offre aucune garantie de respect du contrat. Celle- ci dépend d'une foule de choix tactiques à venir: intérêt des entrepreneurs politiques de l'opposition au regard de l'élection présidentielle, choix du parti Syrisa au regard de la renégociationn sur le dette en cas d'accés au pouvoir, etc. Mais elle dépend aussi de variables non maitrisées dont celui de l'évolution des taux sur la dette souveraine n'est pas la moins importante,
Ces choix confirment notre modèle d’explication du fonctionnement du Monde avec comme paramètre fondamental la régulation des marchés politiques. La logique de l'intérêt de l'entrepreneuriat politique -même sous protectorat et donc même sous servitude volontaire- et la formidable contrainte de la reconduction au pouvoir qui en découle, est le paramètre déterminant des grands choix de société. Ce qu'on appelle l'âge économique de l'humanité reste un âge politique indépassable.
[1] hthttp://www.lacrisedesannees2010.com/2014/10/pour-bien-comprendre-le-monde-d-aujourd-hui.
2htmltp://www.lacrisedesannees2010.com/2014/10/pour-bien-comprendre-le-monde-d-aujourd-hui.html
[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-l-euro-implosion-ou-sursaut-43801089.html
[4] Il y a eu « miracle » et les grecs en sont bien conscients. C’est la raison pour laquelle l’immense majorité de la population souhaite encore rester dans la zone alors que la crise révèle que la monnaie unique n’était qu’une drogue.
[5] Il faut une majorité qualifiée pour désigner le président de la République, majorité qui n’existe pas aujourd’hui et qui sera impossible à atteindre pour l’actuel premier ministre. D’où des élections législatives probablement en février prochain.
[6] Par exemple contestation grandissante de la grande coalition allemande par L’AFD .