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5 avril 2025 6 05 /04 /avril /2025 12:36

Les décisions du Président des Etats-Unis vont accroître considérablement les désordres dans le monde. Elles sont pourtant d'une grande clarté  ; -  il s'agit, par voie autoritaire,  du rétablissement de l'équilibre de la balance des biens et services. Réalité que nous avions déjà évoquée dans un article voici 15 ans à propos de nos interrogations concernant les déséquilibres européens : "l'Equilibre extérieur comme produit politique émergent" (16 juillet 2010). Mais aussi réalité déjà évoquée par Keynes en 1944 dans son opposition au plan White américain lors de la conférence de Bretton Woods. Ce produit politique si longtemps  oublié devient aujourd'hui un enjeu majeur brandi par le césarisme américain. 

Il est possible en quelques phrases de comprendre ce qu'était la mondialisation et la présente tentative de son dépassement suicidaire.

Dans un Etat Nation classique, l'équilibre de la balance des biens et services est une contrainte objective majeure. Si les exportations ne rapportent pas les devises nécessaires au paiement des importations, il y a rapidement épuisement du stock de devises disponibles, blocage des importations, droits de douanes.., et souvent dévaluation. Tel n'est plus le cas lorsqu'un pays dispose d'une monnaie dite de réserve, et qu'à ce titre ladite monnaie retourne en permanence vers le pays centre, lequel dispose d'une situation où la contrainte externe disparait. Ce fut bien sûr le cas des USA et d'une certaine façon de nombre de pays européens qui vivent encore à l'abri de l'euro.  

Pendant des dizaines d'années, les USA vont profiter de la disparition de la contrainte externe. Ils vont promouvoir le libre échange qui va transformer progressivement le pays et sa société en espace de simple consommation. L'épargne chinoise construite sur les déséquilibres commerciaux entre USA et Chine viendra nourrir un déficit budgétaire américain qui, lui-même, nourrira non pas un état providence mais une industrie de la défense gigantesque. Le déséquilibre extérieur va lui-même nourrir un espace gigantesque de spéculation financière reposant sur la dette publique américaine. Comprenons, en effet, que ce déséquilibre transforme aussi le pays en "gigantesque banque": l'épargne de la planète des exportateurs vers les USA devient aussi matière première de placements vers le reste du monde. Le pays devenu grande banque peut acquérir des actifs extérieurs dont la rentabilité est supérieure au taux de l'intérêt versé par le Trésor américain sur sa dette publique. Et, bien évidemment, la rentabilité externe est supérieure puisque globalement les salaires versés dans le reste du monde exportateur vers les USA sont beaucoup plus faibles qu'en Amérique.

Le résultat d'une telle mécanique était simple à imaginer : le pays allait , sans limite, se désindustrialiser et  se financiariser. Ce grand mouvement provoque aussi des basculements culturels majeurs : les métiers de la production avec les compétences correspondantes (ingénieurs, techniciens, etc...) vont progressivement s'effacer  au profit de métiers qui privilégient le simple échange (distribution, trading, conseil, et surtout la "Tech"). Et ces mêmes basculements vont développer des transformations politiques majeures. Alors que la production suppose de grandes organisations et un dispositif institutionnel de confiance, le simple échange développe un individualisme radical. D'où la montée d'un monde politique fondamentalement libertarien voulant se débarrasser des scories institutionnelles y compris par la violence. Ce qu'analyse bien Giulinao da Empoli dans "l'heure des prédateurs" que l'on invite à comparer à "l'Ere des Organisateurs de l'antique Burnham¨: une toute autre Amérique,  Les vieux partis ancrés dans l'âge institutionnel (républicains/démocrates) ne s'y reconnaissent plus. Simultanément, la désindustrialisation génère une immense classe moyenne prête à se révolter pour retrouver le monde d'avant, ce qu'on appelle " populisme".  D'où cette étonnante alliance entre les libertariens prêts à tout renverser et les nationalistes qui veulent reprendre vie. C'est dans cet espace que pouvait naître le retour d'une aventure patrimoniale : les entrepreneurs politiques restent les agents incontournables de ce que nous avons appelé le processus de capture de l'Etat, mais aujourd'hui - aux USA - les circonstances sont devenues telles que le retour d'un vieux passé peut se réactualiser. Le président Trump se comporte comme un propriétaire et assure le retour de l'âge patrimonial que l'Amérique, à l'inverse des autres Etats, n'avait jamais connue. 

Et ce grand retour de l'âge patrimonial risque d'essaimer puisque toute la planète s'arme contre la volonté de mette fin au déséquilibre par les droits de douane que le président américain impose au nom de la "libération du pays". Si ce n'est qu'un retour à Keynes les choses sont envisageables. Hélas, la réalité est beaucoup plus fondamentale et le "libérateur" risque d'entraîner la ruine collective.

Il faut en effet noter que les droits de douanes calculés avec CHATGPT tiennent compte des taux de change. Il s'agit donc bien d'une volonté d'équilibre extérieur devenue objet politique clairement mis en avant. Il s'agit donc bien d'une volonté de faire disparaître la mondialisation donc  de faire disparaître ce que nous avons appelé l'âge relationnel des Etats au profit d'un âge antérieur. Ce grand retour d'un ordre qui serait moins mondial et beaucoup plus international n'est évidemment pas facile, d'abord pour les excédentaires qui eux produisent et à ce titre devront trouver d'autres débouchés, mais surtout pour les USA qui, pour des raisons de totale inadaptation de la main d'œuvre, ne peuvent retrouver l'industrie de naguère. Et même l'usine robotisée suppose un encadrement intellectuel dont les USA sont aujourd'hui largement dépourvus.

Cela signifie aussi la disparition du dollar comme monnaie de réserve et comme matière première de la finance universelle. Les mouvements de capitaux vont évidemment devenir beaucoup plus difficiles en raison de la disparition de l'âge relationnel plus ou moins garanti par l'ordre de l'OMC. A ce titre, ils seront beaucoup moins assurables par le jeu des produits de couverture qui eux-mêmes ne pourront plus disposer d'un "basic strade" complétement construit sur une dette publique américaine qu'on ne voudra plus acheter en raison des risques encourus. il est illusoire de vouloir reconstruire un ordre multilatéral classique en s'affranchissant du meurtrier américain comme on le voit déjà dans certaines publications ( Voir en particulier Luiz Awazu da Silva ancien DGA de la BRI et Laurence Tubiana dans Le Monde du 5 avril 2025).  Ce qui se passe aux USA n'est que le point d'aboutissement d'une logique.  L'idée, conçue en 1944 à Bretton Woods, d'abandonner la surveillance politique des équilibres extérieurs devait mener à la présente réalité : effondrement industriel et boursoufflure financière. On ne pourra pas restaurer un ordre excluant  les USA sans retrouver l'autorité monétaire qui est au fondement de l'ADN des Etats. Continuer à parler de dette consiste à vouloir construire un monde nouveau avec les règles qui ont mené à la réalité présente.

Le château de cartes financier planétaire risque ainsi de s'effondrer dans le même temps  que se contractera l'immense toile de la valeur industrielle.  De quoi nourrir de nouvelles formes brutales de capture des Etats s'éloignant de leur âge institutionnel démocratique pour se diriger vers  des logiques plus barbares.  Le suicide américain passe par le meurtre de ses partenaires devenus ennemis. Il est urgent d'arrêter par tous moyens la tentative de suicide des USA. 

 

 

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