Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 mai 2022 4 05 /05 /mai /2022 15:41

Les pays de l’Union Européenne réglaient jusqu’ici les achats en énergies fossiles en Euros ou en Dollars. Les exportateurs correspondants, essentiellement les agents des pays du golfe et de la Russie, pouvaient convertir le chiffre d’affaires en monnaies locales mais une bonne partie restait sous la forme d’obligations publiques sur les Etats de l’Union et surtout sur les USA. Il en était de même plus globalement pour l’ensemble des achats que l’Occident effectuait au reste du monde dont en particulier la puissante Chine. L’acceptation des devises occidentales par les grandes zones excédentaires (Chine , Russie, Emirats) était ainsi très favorable au taux de change de ces monnaies et en particulier cette devise clé qu’est le dollar.

Le scénario d’une stratégie de « dédollarisation » montée par la Russie et la Chine

De ce point de vue la décision de la Russie concernant l’obligation de payer le gaz en roubles constitue une réelle menace d’un possible changement radical de l’ordre monétaire international. Si l’on imagine un scénario général de « dédollarisation » qui serait imaginé par une alliance impériale entre Russie et Chine, il faudrait que les pays occidentaux financent leurs déficits commerciaux en achetant des devises (roubles et yuans) voire de l’or. Les pays connaissant les plus lourds déficits sont les USA (environ 900 milliards de dollars) le Royaume-Uni (210 milliards de dollars) et la France (110 milliards de dollars).  En dehors de l’hypothèse d’un achat direct en or, cela signifierait,  sur le marché mondial des changes une offre accrue de devises occidentales (essentiellement Dollars, Livres, et Euros) pour plusieurs milliards de dollars journaliers, et une demande accrue de roubles et de yuans pour un même montant. Il s’ensuivrait une hausse d’autant plus considérable des cours de ces deux dernières  monnaies que les excédents russe et chinois sont élevés (80 milliards de dollars pour la Russie et 478 milliards pour la Chine). Si ces 2 pays vendaient en devises nationales et achetaient en dollars, les pays occidentaux pourraient les inviter à acheter leurs importations depuis l’occident en devises nationales, de quoi trouver sur le marché des changes davantage de ces monnaies et donc d’en limiter la hausse du cours. Mais aussi de quoi  mettre fin à ce qu’on appelle la force des devises clé, donc assister à l’affaiblissement durable du rôle du dollar.

Quelle que soit la solution retenue, dans la mesure où pour les trois grands pays occidentaux envisagés existe  un déficit considérable, il est clair que les forces de rééquilibrage seraient énormes. En raison des élasticités-prix sur les offres et demandes internationales USA, Grande-Bretagne, France seraient amenés à connaître un flux d’importations décroissant et un flux d’exportation croissant.

Quelles conclusions tirer de ce scénario ?

Sans forces contraires ou compensatrices :

 - Les coûts des importations occidentales vont devenir durablement plus élevés et les termes de l’échange pour les 2 empires en voie de constitution vont s’améliorer. Ceux des pays occidentaux vont se détériorer.

- Les avantages d’une mondialisation impulsée par l’Occident disparaissent et les chaines de la valeur vont connaitre un périmètre plus réduit.

- Les déficits publics des grands pays déficitaires ne seront plus comblés par l’achat d’obligations publiques par les 2 empires en voie de constitution. Par effet de coût plus élevé de la dette publique, Il en résulte une baisse directe de l’Etat social (France) ou une pression sur les dépenses souveraines, en particulier militaires (Etats-Unis). Globalement l’Occident ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens.

- La pression à l’auto centrage des économies s’accroit (Allemagne, et Chine notamment). La fonction « usine du monde » s’estompe pour ces deux derniers pays.

- L’incertitude sur la fonction "réserve de la valeur" de la monnaie augmente : quelle devise clé peut remplacer sécurité et  liquidité extrême offerte par le Dollar ? Quelle conséquence sur l’énorme château de cartes financier mondial dont l’indispensable lubrifiant/ciment est la trilogie fluidité/sécurité/profondeur de marché garantie par le Dollar? Pensons par exemple à la montée vertigineuse des coûts de couverture du risque de change qui résulterait d’un tel scénario.

- Si les 2 empires en voie de formation proposent comme  vient de le faire la Russie un achat d’or contre les devises nationales (Rouble et Yuan) la baisse du taux de change des devises occidentales ne serait pas limitée par le paiement d’une partie du déficit en or. En effet la demande mondiale d’or augmentant, son prix serait en hausse et donc la contre partie en devises occidentales baisserait. Ce phénomène déjà enclenché par des achats massifs de métal par les banques centrales, résultant de l’application des nouvelles règles de « Bâle 3 » ne pourrait que se développer au grand avantage des empires en quête de puissance. Il vaut mieux disposer dans le bilan de ces empires, d’actifs en or à valeur croissante que d’obligations publiques occidentales de valeur douteuse.

Quelle occurrence pour un tel scénario ?

Les deux empires qui cherchent à se définir comme tels connaissent des fragilités :

- Une fragilité commune qui est celle d’une faiblesse démographique extrême handicapant lourdement les projets impériaux . En particulier la Chine va payer très longtemps et très lourdement  sa politique de l’enfant unique ayant abouti à un déséquilibre extrême de son sexe ratio en faveur des naissances masculines.

- Une fragilité résultant de situations économiques, culturelles et sociales très opposées entrainant toute possibilité de construction d’une stratégie collaborative durable. La Russie est une structure en déclin cherchant à pérenniser une puissance en voie de disparition par recherche de déstabilisation de l’ordre international. A ce titre la tentation impériale consiste à s’en remettre à une stratégie de simple sabotage. A l’inverse la Chine est un empire en réémergence dont la stratégie de puissance et de conquête s’appuie sur l’ordre international tel qu’il l’est encore. Il s’agit ici moins de saboter que de se substituer à l’Occident. Les nouvelles routes de la soie constituent le signe le plus évident de cette volonté. Et cette incompatibilité stratégique résulte d’une vision différente de l’histoire et de son interprétation. Les deux empires ne vivent pas leur passé de la même façon : la Russie le ressasse pour cracher du venin alors que le second y prend appui pour dépasser les performances occidentales.

- Une fragilité résultant d’un effet d’entrainement douteux : quels avantages peuvent retirer les autres Etats d’une évaporation du dollar sachant que pour nombre d’entre-eux la réalité historique peut s’accomoder de l’ordre occidental (Inde, Brésil, Afrique du Sud, etc), tandis que pour d’autres la réalité vécue est pour l’essentiel simple  rente captée sur l’ordre existant (pays du golfe, Etats pétroliers, etc.) ?

Le rôle politique d’un Occident qui chercherait  à se protéger collectivement, est donc de limiter les mauvaises relations avec chacun des deux empires, et d’élargir les incompatibilités stratégiques entre-eux. Les diplomates seraient invités au travail correspondant. La spécificité historique et culturelle de la France est dans ce jeu un atout essentiel qui n’est hélas jamais perçu.

 

Jean Claude Werrebrouck le 4 mai 2022

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche