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12 septembre 2013 4 12 /09 /septembre /2013 05:17

 

Jean Peyrelevade, économiste et ancien président du Crédit Lyonnais publie dans deux articles  -« France : le vrai diagnostic » (Les Echos du 9/09/2013) et « Les conditions de notre redressement » (Les Echos du 10/09/2013)- ce qu’il croit être la bonne solution  à la crise pour l’économie française.

 

Augmenter la durée du temps de travail

 

Le diagnostic est classique, et les divers maux apparents – dette publique, attrition de l’outil industriel, déficit externe, chômage, etc. se ramènent à cette cause commune, cause qui reçoit aussi l’assentiment de nombre de commentateurs : le pays vit au- dessus de ses moyens. Les habitués du blog connaissent les limites d’un raisonnement cantonné au seul espace national, raisonnement qui se retourne quand on passe à l’échelle monde puisque les maux apparents dénoncés deviennent  la contrepartie d’une production excédentaire par rapport à la distribution. En sorte que le monde vit en dessous et non au-dessus ses moyens.

Poursuivons toutefois l’analyse de Jean Peyrelevade, qui va traduire l’expression obscure et facile de « vivre au-dessus de ses moyens », par l'idée de décalage entre une productivité par tête qui augmente moins vite que la charge salariale. Et un décalage constaté dans toute une série de chiffres qu’il est difficile de contester, et qui reviennent en boucle dans le raisonnement : le décalage développe à la fois la hausse des prix dans le secteur abrité, d’où les déficits dans le secteur le plus abrité d’entre-eux (l’Etat), et la baisse des marges dans le secteur exposé (les entreprise), d’où l’attrition industrielle.

La solution serait donc simple : il faudrait une hausse des salaires réels moins rapide que celle réalisée au niveau de la productivité par tête.

Jean Peyrelevade en tire la conclusion, qu’au-delà d’une production plus capitalistique de l’économie, le moyen le plus simple d’obtenir ce nouvel écart est d’augmenter la durée du travail – hebdomadaire, annuelle, mais aussi sur l’ensemble de la vie - sans hausse directement proportionnelle des salaires. Conscient de la difficulté de revenir sur la durée légale du travail, l’auteur propose des accords d’entreprise, pour ce qui est de l’économie exposée, et une réduction du périmètre des activités des administrations publiques.

Jean Peyrelevade reprend au fond un discours très classique du libéralisme.

 

Diminuer la durée du temps de travail

 

Surprenant est le fait que d’autres auteurs, au moins aussi réputés et assez peu éloignés d’une certaine forme de libéralisme, tiennent des propos strictement inverses et croient pouvoir démontrer, que c’est la baisse et non la hausse du temps de travail, qui doit être envisagée pour s’extirper de la crise.  C’est en particulier le cas de Michel Rocard et Pierre Larrouturou ( cf « La Gauche n’a plus le droit à l’erreur » , Flammarion, 2012).

Ces derniers ne croient pas comme le premier en des mesures autoritaires et s’appuient sur des mesures incitatives fortes, pour modifier en profondeur le marché du travail et, en particulier, obtenir une forte diminution de la durée du travail ( semaine des 4 jours par exemple).

Parmi ces mesures, on pourra noter la forte variabilité des charges sociales en fonction de la durée du travail. Ainsi les temps longs verraient des charges sociales alourdies, tandis que les temps courts se verraient octroyés de charges plus légères que la moyenne. Il est vrai que sur un marché déréglementé du travail- voyant l’emploi s’offrir aux plus productifs- jouer sur la variabilité des charges sociales, permettrait l’accès à l’emploi d’individus moins productifs. Une telle position, revient par conséquent à une logique de partage du temps de travail, reposant sur l’idée fort discutable selon laquelle l’élévation de la productivité détruit des emplois.

 

Essayer de raisonner correctement

 

Cette opposition de discours quant aux moyens de retrouver le plein emploi, est révélatrice d’une grande insuffisance des raisonnements.

Dans le cas des tenants de la hausse de la durée du travail, il n’y a évidemment pas conscience de la grande contradiction planétaire, entre l’offre mondiale et la demande mondiale de marchandises, contradiction due précisèment à une mondialisation, qui au nom de la liberté, ne prévoit pas de mécanisme d’équilibre obligatoire des échanges. Les Etats, restés Etats, malgré le cadre devenue mondial, ne peuvent plus imposer le salaire comme variable, simultanément coûts et débouchés. Il   n’est plus qu’un coût, dont la surveillance a créé l’insuffisance mondiale des débouchés de la production. La solution classique, celle entre autre de Jean Peyrelevade, ne peut qu’aggraver la crise planétaire.

Concrètement elle se manifesterait dans ses effets de la façon suivante: 

Le rééquilibrage des comptes extérieurs de la France, ferait cesser son propre étouffement …pour le reporter sur d’autres… jusqu’ici bien heureux de s’être forgé un excédent extérieur, assurant une oxygénétion de leur demande interne (Allemagne). Que l’on pense aussi aux pays d’Europe du sud, en plein effort de productivité selon la logique de Jean Peyrelevade, et reconstruisant leur équilibre extérieur en aggravant la situation française ( Espagne, Portugal, Grèce).

Maintenant, la hausse de la productivité, suppose aussi de s’attaquer au secteur protégé public, qu’il convient de faire maigrir sous la forme d’une diminution du nombre de fonctionnaires…et des débouchés correspondants à leur rémunération.

La logique de l’augmentation de la durée du travail, masque ainsi complétement le fait que la mondialisation a pris la forme d’une dislocation des équilibres antérieurs, et dislocation qui ne peut laisser la place à une reconstruction à l’échelle de la planète. D’une certaine façon, les politiques dites d’austérité accélèrent l’histoire en aggravant le mal qu’elles entendent combattre.

 

Le raisonnement inverse est bien sûr tout aussi insuffisant.

A enveloppe globale inchangé des cotisations sociales, cotisations simplement redéployées, il y a pourtant un changement dans l’efficacité productive : du travail très productif - et donnant lieu à des commandes supplémentaires en raison de sa forte productivité - est abandonné au profit de travaux moins productifs. Quel est  l’impact global ? Est-il possible de freiner les commandes ,et donc la croissance, dans les secteurs exposés et très productifs, pour développer les secteurs à plus faible productivité ? Quel impact sur la demande globale ? A l’échelle mondiale, peut-on imaginer une stratégie aussi fondamentalement contraire de celle qui se pratique au quotidien, et qui correspond à la position de Jean Peyrelevade ? Ainsi, quel effet sur la balance extérieure ?

Là encore, le refus de prendre à bras le corps la forme prise par la mondialisation aboutit à des insuffisances inacceptables.

Raisonner correctement consisterait à resituer, temps de travail et rémunération correspondante, dans le cadre d’une mondialisation où les taux de change sont devenus l’outil éliminant le caractère dual du salaire (débouché et coût), pour le ramener à sa seule dimension coût à l’échelle mondiale. Dans nombre d’anciens pays, il est ainsi préféré la dévaluation interne  (solution de Jean Peyrelevade) à la dévaluation externe. Ce fait est particulièrement constaté   dans la zone –euro. Symétriquement dans les pays émergents – Chine en particulier -  le refus de la réévaluation est une arme pour maintenir un gigantesque excédent, lequel ne peut se pérenniser qu’au prix d’un taux de salaire bas. A l’échelle de la planète existe ainsi une masse salariale-  au-delà d’une répartition qui peut être questionnée- incapable d’absorber la gigantesque production mondiale.

La question du temps de travail ne peut être sérieusement évoquée en évacuant une donnée aussi fondamentale.

 

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27 août 2013 2 27 /08 /août /2013 14:47

 

Le Centre d’Etudes prospectives et d’Informations Internationales (CEPII) a récemment publié une étude concernant l’impact sur le pouvoir d’achat d’une politique de substitution des importations par des productions nationales (CF lettre du CEPII, N° 333- juin 2013).

S’agissant d’une simple lettre,  le détail des calculs et leur complexité n’est pas présenté, mais il est clair que ces derniers reposent sur une rigueur et une méthodologie qu’il est difficile de mettre en doute. Par contre le présent article se propose de contester la rigueur des raisonnements et conclusions.

Selon les auteurs, parce que 25% de la consommation des ménages français  de biens industriels provient de pays de délocalisation, la dé mondialisation - et donc le choix de produire français - entrainerait un surcoût potentiel de 1270 à 3770 euros par an et par ménage. Soit de 100 à 300 euros par mois. Chacun était conscient que la mondialisation favorisait le consommateur – et au passage son vecteur indispensable : la branche Distribution- toutefois les auteurs ajoutent une évaluation quantitative qu’il est - apparemment -  difficile de contester.

L’analyse va pourtant plus loin et s’intéresse aux impacts de ce pouvoir d’achat, d’abord gagné par les vertus de  la mondialisation et fictivement perdu par le choix d’un « made in France ». Sans aborder les questions d’élasticité-prix, d’élasticité- revenu et d’élasticité croisée, pourtant fondamentales dans une telle analyse, les auteurs affirment que la mondialisation a permis le développement de la consommation de services. Le pouvoir d’achat supplémentaire se serait ainsi reporté sur de telles activités. A contrario, le retour au « made in France » supprimerait l’effet d’aubaine au bénéfice  des services avec ses conséquences fâcheuses sur l’emploi dans la branche. Destruction d’emplois, qu’il faut bien sûr comparer avec le volume d’emplois crées par la ré industrialisation du pays. Or, affirment justement les auteurs de l’étude, la différence de productivité ( faible dans les services et forte dans l’industrie) ferait que la politique de relocalisation industrielle serait tueuse nette d’emplois.

La conclusion est ainsi claire : le consommateur devenu contraint dans ses choix serait porteur du virus d’un chômage accru.

Le raisonnement est toutefois contestable dans beaucoup de dimensions non évaluées ou occultées.

Les dimensions non évaluées concernent évidemment les élasticités. Si les élasticité-prix sont très élevées au niveau de la consommation de biens industriels, la ré-industrialisation est sans impact sur les dépenses en direction des services et l’impact en termes d’emplois est très différent : peu d’emplois détruits dans les services et beaucoup d’emplois crées dans l’industrie. Dans ce cas, le choix du « made in France » est défavorable au consommateur mais favorable au salarié désormais moins contraint par le risque de chômage. Le raisonnement des auteurs est ainsi entaché d’une grave insuffisance et aurait gagné à présenter les différents scénarios du point de vue de la valeur des élasticités.

Plus grave est la question des dimensions occultées. Bien sûr le raisonnement privilégie le point de vue du consommateur, mais comme il aborde aussi la question de l’emploi et donc des considérations davantage macroéconomiques, il convenait aussi de procéder à l’analyse coût/avantage  de la mondialisation/dé mondialisation sur les comptes publics et sociaux , également aborder les questions environnementales des deux modalités possibles de la production industrielle.

Sans apporter d’évaluations chiffrées, il est pourtant clair que la mondialisation supposait la parfaite circulation du capital et donc la course au mieux disant fiscal et social, éléments à faire intervenir dans le théorique  gain de pouvoir d’achat calculé par les auteurs. Bien évidemment, le coût environnemental de la libre circulation de la marchandise –elle-même essentiellement composée d’éléments de produits qu’il faudra assembler au terme de trajets longs et complexes- n’est guère évalué.

Il est donc inacceptable de publier de telles études faussement sérieuses et aboutissant à des conclusions confortant bien évidemment la théologie économique dominante.

Marx que l’on taxe volontiers dans la presse de simple philosophe, a pourtant développé il y a près de deux siècles les outils permettant de comprendre de manière plus globale, le processus de mondialisation et ses effets sur le pouvoir d’achat. Il s’agit de ce qu’il appelait la « plus- value relative ». Bien sûr cet outil est aussi un « parti pris théorique » puisé dans sa théorie de la valeur travail, mais il faut accepter que la prétendue « science » économique est faite, plus que la physique ou les mathématiques, de parti pris théoriques.

Et de ce point de vue, celui de Marx produit un paradigme de compréhension du monde plus explicatif et convaincant que celui présenté par le CEPII.

La plus-value relative est chez cet auteur l’ensemble des effets résultants d’une baisse de la valeur de la force de travail, baisse elle-même induite par la diminution de la valeur des « biens salaires » (les biens de consommation qui servent justement à reproduire la "force de travail"), et diminution provenant d’une hausse de la productivité dans les branches les produisant.

Appliquée à la mondialisation, il y a bien baisse de la valeur des biens salaires (vêtements, chaussures, appareils ménagers etc.) et baisse constatée par une diminution des prix de ces marchandises, désormais importées et non produites dans le cadre d’un Etat-nation. Il y a bien plus-value relative et le coût de reconstitution de la force de travail diminue : on peut théoriquement diminuer les salaires en France sans que le pouvoir d’achat des salariés diminue puisqu’ils acquièrent désormais de quoi se vêtir, se nourrir pour moins cher dans les usines de la grande distribution branchée sur les produits de délocalisation.

De fait, Marx considérait que la plus-value relative ( baisse de la valeur de la force de travail) était un gain global du système qui pouvait être partagé entre hausse du pouvoir d’achat, hausse du profit, hausse de la rente publique (impôt). Dans le cas de la mondialisation - processus qui crée massivement de la plus-value relative - il y a possiblement partage entre profits et salaires mais très probablement évincement de la rente publique.

Le pouvoir d’achat peut augmenter, ce qu’admettent les auteurs de la lettre du CEPII. Mais les entreprises des vieux pays anciennement industrialisés peuvent aussi bénéficier de la baisse de la valeur de la force de travail, soit en délocalisant, soit en faisant pression sur les salaires internes aux fins de résister à la concurrence mondialiste. De fait elles peuvent récupérer en profits une partie des gains de pouvoir d’achat: le pouvoir d'achat des salariés augmente beaucoup en raison de l'effondrement des prix des "biens salaires", désormais importés , mais les entreprises récupèrent une partie de ce pouvoir d'achat en tentant de comprimer les salaires. La question étant de savoir si la plus- valur relative est partiellement ou totalement récupérée par les entreprises.

 Par contre, le prédateur public est très probablement le plus mal placé pour bénéficier de la plus- value relative et se trouve exposé aux récriminations  des entreprises qui menacent de nouvelles délocalisations. Curieusement son évincement est peu visible car la masse taxable se réduit en mondialisation: l’Etat amaigri apparait trop gros dans un PIB qui ne s’accroit plus au même rythme que naguère dans l'ancien Etat-Nation. D'où de nouvelles récriminations des entreprises trop taxées...

Plus globalement le modèle de Marx concernant la plus-value relative et sa répartition doit être revisité dans la cadre d'une réalité mondialisée où ce qu'il appellait les "sections de production"  - celle des biens capitaux ( investissements) et celle des biens salaires (consommation) -  se trouvent désarticulées par la disparition relative des Etats- Nations. Plus simplement exprimé , en mondialisation, tous les salaires apparaissent comme des coûts et non des débouchés puisque le marché n'est plus national mais mondial. D'où la tendance généralisée à la surproduction de biens capitaux inutilisables ( par exemple la Chine avec ses infrastructures vides d'utilisateurs) , ce que Marx désignait par la contradiction entre la création de valeur et sa "réalisation" (concrètement la difficulté de  vendre  ce qui est crée, donc des marges en baisse et des questions d'insuffisantes rentabilité).

 

 Bien évidemment il est de fait impossible de procéder à une évaluation chiffrée de cet ensemble de phénomènes que l'on ne peut apprécier que qualitativement par des indices qui confirment la robustesse du modèle ( le parti pris théorique). Et dans la présente configuration du monde , ce qui confirme le paradigme de Marx est un ensemble de faits: capacités de production excédentaires partout dans le monde, carnets de commandes en baisse, faiblesse des marges industrielles justifiant un manque d'investissements faute de bébouchés, et justifiant l'investissment spéculatif dans d'irréelles innovations financières, dislocation des équilibres bilantaires et des paiements extérieurs justifiant de nouvelles spéculations, etc.

Au delà -  et néanmoins -  la qualité d’un raisonnement qui ne peut dépasser en toute honnêteté le simple domaine du qualitatif, est parfois supérieure à celle qui prétend mesurer avec précision, sans dévoiler de discutables prémisses. 

Il est vrai que les économistes ont oublié Marx depuis longtemps: comment intégrer ce vieux philosophe de réputation sulfureuse dans la connaissance du monde moderne?  

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24 juin 2013 1 24 /06 /juin /2013 09:42

 

L’ordo-libéralisme est une pensée économique spécifiquement allemande dont nous avons déjà étudié les principes sur ce blog. Rappelons simplement que dans sa dimension monétaire, cette doctrine stipule qu’il est nécessaire d’ériger des normes et institutions monétaires sur lesquelles tous les acteurs peuvent s’appuyer. Normes et institutions qui sont des « extériorités » pour tous, y compris l’Etat, ce qui signifie leur non manipulabilité. D’où, en particulier, l’exigence et la garantie de disposer d’une banque centrale complètement indépendante chargée entre autres de faire respecter la loi de la stabilité monétaire. Stabilité de la monnaie et intangibilité de la loi vont ainsi de pair dans l’ordre ordo-libéral.

Nombreux sont les commentateurs qui voient dans un tel principe l’équivalent de celui de l’indépendance de la justice dans un Etat de droit, équivalent ou rapprochement qui donne à l’indépendance des banques centrales une image nécessairement positive, et plus encore qui suggère une nécessaire congruence entre Etat de droit et indépendance de la banque centrale. On peut néanmoins observer que l’Etat de droit n’est pas nécessairement considéré comme juste, et plus encore que des Etats irrespectueux de l’Etat de droit, peuvent respecter, par choix, le principe d’indépendance de la banque centrale.

C’est que l’ordo-libéralisme n’est qu’une doctrine et qu’à ce titre elle se trouve éloignée d’une préoccupation cognitive pour se figer dans une attitude normative. Les libertariens, qui furent souvent admirés par les ordo-libéraux, expliquent par le raisonnement- donc par une démarche cognitive- l’avènement historique de l’Etat de droit[1], phase probablement transitoire de l’aventure étatique que les hommes connaissent. Ils peuvent aussi sans doute expliquer, comme le feraient probablement les marxistes, la naissance et le développement historique de banques centrales indépendantes. Ils n’en déduisent en aucune façon qu’une telle réalité empirique est « bonne » et qu’elle pourrait conduire à un quelconque intérêt général. Réalité « bonne » qu’il faudrait imposer comme loi « bonne » et donc norme générale[2].

Cette erreur des ordo-libéraux – erreur à laquelle il faut associer les juristes qui refusent de voir dans le droit, une science des normes ou un simple fait social émergent- qui refusent de voir toute distinction entre l’espace du cognitif et celui du normatif, s’avère aujourd’hui douloureuse pour les entrepreneurs politiques allemands.

Ces derniers, s’ils avaient eu conscience de ce qu’était la nature profonde d’une banque centrale,  une simple institutionnalisation d’un  rapport de forces entre pouvoir politique et pouvoir financier, comme nous l’avons souvent exprimé, auraient pu se rendre compte que la doctrine ordo-libérale faisait le lit du développement d’un système financier devant phagocyter les Etats eux-mêmes et donc le principe ordo-libéral lui-même.

Parce que les théoriciens de l’ordo-libéralisme ne savent pas qu’une banque centrale n’est que l’institutionnalisation d’un rapport de forces, ils ne pouvaient se rendre compte qu’en appuyant les entrepreneurs politiques dans une démarche d’indépendance de l’autorité monétaire, ils ne faisaient que faciliter le développement du système financier. Ce développement déjà possible dans le cadre de l’unité de compte nationale (le Mark), pouvait ne plus connaitre de limite avec la zone euro et un euro-système pourtant nourri d’ordo-libéralisme.

Comme toutes les banques du monde, les banques allemandes ont largement profité des règles d’une banque centrale, devenue indépendante des Etats mais très dépendante du système financier : fin de l’inflation avec endettement croissant permettant un accroissement disproportionné  des bilans, fin des taux de change fixes et « dépolitisation » de ces derniers permettant l’irruption continue de nouveaux produits financiers, internationalisation croissante des bilans et développement de risques systémiques, politique monétaire privatisée et accommodante[3]. Autant de faits qui feront que les banques allemandes vont comme les autres connaitre la crise financière.

Quelques données peuvent confirmer cette situation. La Deutsche Bank est aujourd’hui la plus grande banque du monde avec une taille de bilan (2810 milliards de dollars fin 2012)  comparable au PIB allemand. Le total des bilans bancaires atteint en février 2013 300% du PIB. A l’exception des banques coopératives, toutes les autres banques y compris les banques régionales sont devenues systémiques et ont été gravement touchées par la crise financière, notamment dans sa dimension immobilière en raison d’une politique d’internationalisation des crédits hypothécaires en particulier vers l’Espagne, ce qui entrainera le contrôle public de grandes banques ( Commerzbank, par exemple, dont la filiale Eurohypo s’était trop engagée dans le crédit immobilier espagnol). Dès 2009, il fallut créer une bad bank pour WestLB et ce, pour un montant de 77 milliards d’euros, montant qui devait grossir pour avoisiner aujourd’hui les 200 milliards. En juillet 2012, Il fallut créer une structure de cantonnement pour Hypo Real Estate (HRE) pour se défaire de 173 milliards d’actifs dégradés. Au total, c’est aujourd’hui 6 bad banks qui gèrent des portefeuilles de produits structurés ou dérivés et des crédits douteux pour un montant de près de 600 milliards d’euros.[4]Bad-Banks qui bien évidemment bénéficient du soutien public. Ainsi aujourd’hui encore le soFFin (« Sonderfonds Finanzmarktstabilisierung) c’est-à-dire un fonds de stabilisation des marchés intervient encore massivement pour soutenir le système financier allemand. Curieusement, cet organisme fut conçu comme dépendance de la Deutsche Bundesbank.

Cette gigantesque et ruineuse dérive, pourtant constatée au cœur de la société ayant généré et exporté son idéologie ordo-libérale, n’a rien de surprenant et résulte simplement de la méconnaissance de ce qu’est la réalité d’une Banque centrale, dans l’ordre de la mondialisation que les ordo-libéraux admirent. Il était bien évident dans les années 70- 80 que le système bancaire allemand, que l’on disait peu efficace à l’époque, ne pouvait que se libérer dans l’ordre de la mondialisation et que la Bundesbank, indépendante du pouvoir politique, ne pouvait l’être au regard de ses administrées, les banques, lesquelles rêvaient d’entrer dans la cavalerie financière proposée par le monde anglo-saxon. Avec la suite que l’on connait aujourd’hui, notamment pour le contribuable allemand.

Victimes de leur propre naïveté, les ordo-libéraux sont pour autant responsables de leur succès : les allemands, peuple, gouverneur de la Banque centrale[5], et entrepreneurs politiques eux- mêmes, sont arcboutés sur l’intangibilité de la monnaie et l’interdit de la monétisation de la dette. D’où, entre autres, l’extrême méfiance sur le projet d’union bancaire et la mise en avant de ce bouclier ultime qu’est la cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Victime de leurs croyances – mais aussi soucieux des groupes d’intérêts[6] – les allemands préféreront prendre le large plutôt que de rester dans un ordre monétaire qui se délite et qui ne correspond plus aux attentes de ces mêmes groupes.



[1] Cette démarche cognitive  fut celle de Rothbard, de Nozick et de beaucoup d’auteurs américains. En France signalons les travaux de Bertrand Lemennicier.

[2] Ces mêmes libertariens vont pourtant très généralement critiquer la réalité qu’ils expliquent : Ils sont dans une démarche cognitive  pour critiquer et déboucher eux aussi sur du normatif. Démarche que nous avons mise en évidence dans : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-lettre-aux-libertariens-71051998.html.

[3]Toutefois beaucoup moins que celle de la FED en raison même d’une résistance ordo-libérale plus grande que dans cette dernière. Le poids de la Deutsche Bundesbank y étant pour quelque chose.

[4]Sources : « Les Echos » du 18 juin 2013

[5] Jens Weidmann

[6]Notamment les retraités, et le groupe des grands exportateurs industriels.

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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 17:11

La littérature concernant l'analyse de la crise n'évoque que fort rarement l'idée de surproduction tant il est admis, qu'au fond la question relève plutôt d'une dépense trop importante par rapport à la richesse produite. La réalité de la crise serait ainsi une dépense excessive plutôt qu'une production surdimensionnée par rapport aux débouchés. Et dépense excessive par rapport aux revenus - dont on sait qu'ils ne sont, comptablement, que simple contrepartie de la production- qui serait ou aurait été financée par un crédit trop facilement croissant.

Dans le monde des apparences et celui des discours dominants, un tel raisonnement parait crédible, la crise financière n'intervenant que pour signifier qu'il n'est plus possible de fonctionner sur la base d'endettements privés et publics en continuelle croissance. Endettements mesurant l'écart croissant entre dépense excessive et production plus réduite. D’où les débats quotidiens selon lesquels nous n’avons plus les moyens de maintenir nos folles dépenses.

Ajoutons que les raisonnements dominants considèrent la mondialisation comme simple effet du fonctionnement des marchés, et que l'idée de dépense excessive ne concerne que l'Occident. Les pays émergents, non endettés, apparaissant ainsi- dans notre modèle dominant de représentation du monde- comme davantage vertueux. Ces mêmes raisonnements n'invitant jamais à se poser la question de la dépense ou de la production excessive à l'échelle mondiale.

De fait ces raisonnements, très éloignés d'une culture historique précise, et surtout très éloignés d'une solide connaissance de l'histoire de la pensée économique, admettent la loi de Say sans même la discuter.

 

 

La loi de Say comme point d’appui d’une construction intellectuelle.

 

L'origine de cette acceptation paradigmatique est connue et provient tout simplement d'un rejet, puis d'un oubli du Keynésianisme dans l'ensemble des formations universitaires, et ce à l'échelle planétaire. Rejet, puis oubli au profit de ce qui allait devenir un aspect essentiel de la théorie dominante, c'est à dire celle de l'économie de l'offre, système de pensée entièrement issu du travail de JB Say dans son célèbre "Traité d'Economie Politique" de 1803, et travail fort bien analysé par Thomas Sowell dans son livre[1].

En résumé la loi de Say consiste à reconnaitre que la production est toujours première et qu'un produit n'est échangeable (ne peut -être vendu) qu'à partir de la création d'un autre produit. D'où ce qui est devenu le célèbre slogan: "les produits s'échangent contre des produits". Concrètement, il ne peut exister de débouché pour des producteurs de chaussures, que s'il existe parallèlement des producteurs d'autres valeurs d'usages qui s'échangeront contre les chaussures. Il n'y a donc pas à s'intéresser à la demande, mais à la production qui permettra l'achat de chaussures. Ce n'est donc pas la dépense qui compte, mais la production, et produire est un acte de création de revenu. Bien évidemment Say se situe dans une économie de troc dont il connait les contradictions: les producteurs qui se portent acquéreurs de chaussures, peuvent rencontrer un refus de vente en raison de l'inacceptation des valeurs d'usages proposées en échange. C'est la raison pour laquelle il introduit la monnaie en tant que valeur d'usage universellement demandée, et offerte par des producteurs de monnaie.

Cette introduction de la monnaie, ne lève que partiellement l'hypothèse de mévente, car Say a bien conscience qu'il peut exister des offres partielles excédentaires par rapport à la demande. Mais précisément parce qu'il se situe, sans le dire, dans un cadre microéconomique avec un système de prix souple, offres er demandes partielles sont en permanence dans un mouvement de "rééquilibration". Un système qui évacue complètement toute idée de déséquilibre.

 

L’organisation financière découlant de la loi de Say

 

Les successeurs de JB Say iront plus loin et Charles Coquelin, dans un article de la "Revue des Deux Mondes" de 1847 expliquera que les producteurs de monnaie doivent impérativement rester dans une logique de "Free Banking"- selon l'expression employée beaucoup plus tard par Hayek- afin d'éviter qu'un Etat monopolisant l'offre de monnaie perturbe l'équilibre et détruise le fonctionnement harmonieux de la loi des débouchés...avec une crise dans la "rééquilibration" permanente des marchés ...donc une crise économique.

Nous avons déjà dans la loi de Say et ses adeptes l'idée selon laquelle le système financier doit-être dérégulé et que le prêteur en dernier ressort qu'est la Banque centrale dominée par l'Etat est une aberration. Avec l'idée très moderne des néo libéraux selon laquelle ce n'est pas la dérégulation financière qui a provoqué la crise actuelle mais au contraire l'excessive réglementation. Les entrepreneurs politiques américains seraient ainsi beaucoup plus responsables de la crise des subprimes que la finance américaine spontanément plus sérieuse.

Réflexions et débats infinis, aujourd'hui sur le thème du "comment sortir de la crise"... qui nous éloignent complètement de la véritable question: La loi de Say qu'on ne discute plus, correspond-elle à une représentation correcte de la réalité? Et cette question n'est plus posée alors même que nous avons complétement oublié que la question des débouchés, bien au-delà de JB Say, a complètement obsédé et le 19ième siècle et le 20ième jusqu'à l'abandon du keynésianisme.

 

Equilibre ou déséquilibre ?

 

Les débats ont commencé très tôt et ont opposé de très nombreux auteurs, avec d'une part les partisans de Say (D Ricardo, J Stuart Mill, Mac Culloch, F Bastiat, C Coquelin , tous les libéraux jusqu'à Hayek et les "supply siders", et même de nombreux marxistes comme Voronstov et Nikolaïon et peut être Marx lui-même), et d'autre part ses opposants ( Sismondi, Malthus, les Keynésiens et de très nombreux marxistes comme Rosa Luxembourg, Boulgakov, Tougan-Baranowsky, et peut être Marx lui-même).

Il n’est pas question ici de détailler ces débats qui vont se dérouler sur plus d’un siècle. Signalons simplement qu’ils vont poser de multiples  questions, dont celle de l’épargne thésaurisée en tant que perturbatrice de l’équilibre (Malthus), de l’investissement dont on discute longuement des débouchés préalables (Sismondi),  de la « demande préalable » et de la « réalisation de la plus- value »  chez les auteurs marxistes (Marx et Rosa Luxembourg parmi les principaux),et déjà avec plus d‘un siècle d’avance sur la réalité d’aujourd’hui, de la question du capital financier perturbateur des équilibres réels (Marx).

De ces débats, dont nous avons les traces précises dans de très nombreux ouvrages et articles, y compris la très célèbre rencontre de 1823 à Genève entre Ricardo et Sismondi[2], il ne reste rien dans l'enseignement universitaire d'aujourd'hui. Rien qui puisse apporter un début de contestation de notre modèle de représentation de la crise. De la même façon il ne reste à peu près rien des nombreux travaux historiques- tels ceux de Romesh Dutt[3] de Maurice Dobb[4] ou plus  tard d’André Philip[5] - qui dès la révolution industrielle ont cherché à comprendre le mécanisme des relations entre les premières nations émergentes -pour reprendre un terme à la mode- et le reste du monde. Rien de cette commune interrogation qui fait que des plus libéraux (André Philip) aux plus idéologues du marxisme (Rosa Luxemboug), l'on se penche sur le pourquoi d'une recherche impérieuse et parfois impériale de débouchés extérieurs. 

Pour autant, sans même porter un jugement définitif, sur la validité de la loi de Say, on se rend compte immédiatement- à la lecture de ces débats qui encore une fois ont littéralement obsédés la réflexion économique pendant près d’un siècle et demi- qu’il existe possiblement un autre paradigme dans l’approche de la grande crise. Ainsi le gigantesque endettement dont on commence à percevoir qu’il n’est plus maitrisable[6] peut être lu, non comme écart résultant d’un revenu et d’une production insuffisante, mais au contraire comme  écart entre une production devenue excédentaire par rapport aux revenus distribués à l’échelle mondiale.

 

Alors, cigale ? ou fourmi ?

 

Le fait empirique est bien perceptible et mesurable : les montagnes de dettes à l’échelle planétaire ne sont plus gérables. Par contre, il y a bien débat possible sur l’origine de cette montagne et donc sur sa nature profonde. La croyance en la loi de Say, aboutit bien à l’idée selon laquelle la crise est affaire de « cigales ». Mais sa contestation aboutit à l’inverse : elle devient le problème des « fourmis ».

Et encore une fois, sans même prendre position, cette contestation devenue presque impensable en raison de l’hégémonie du modèle de Say, est à la portée de ceux qui veulent bien observer les faits avec le doute qui doit caractériser l’attitude scientifique.

 

Il est possible de douter.

 

Sans entrer dans les détails, comment ne pas s’étonner de l’extrême faiblesse de l’investissement dans les économies réelles alors que la machine à produire de la dette et plus encore la planche à billets fonctionne à plein régime ? Comment ne pas s’étonner ainsi que le rappelle Gaël Giraud[7] que sur les 8000 milliards d’euros (4fois le PIB de la France) qui constituent le bilan bancaire français seuls 10% servent au financement des entreprises, et 12% au financement des ménages ? Avec ce petit complément d’information selon lequel sur les 200 milliards d’obligations émises en 2012 au titre du financement du crédit hypothécaire, seuls 22 milliards se sont transformés en prêts immobiliers. Et, à l’inverse, comment ne pas s’étonner des chiffres de la BRI[8] qui énoncent que seuls 7% des activités de dérivés financiers mettent en jeu une institution de l’économie réelle, ce qui signifie comme le rappelle Gaël Giraud que sur les 47000 milliards de dérivés que traite la BNP ( ce qui représente quand même 22 fois le PIB de la France) 44000 milliards n’ont pas pour contrepartie une entreprise de l’économie réelle. Autre façon d'exprimer une même réalité, Ernest§Young signale que s'agissant des banques françaises seules 25,7% de leurs activités sont représentatives de crédits à l'économie, ce qui fait de ces mêmes banques les leaders européens en matière de spéculation. Il est vrai qu'elles disposent aussi de très nombreuses filiales dans les paradis fiscaux (334 pour la BNP, 91 pour la Société Générale,  150 pour le Crédit Agricole) dont plus de la moitié dans l'eurozone.

Si donc l’investissement réel est si faible et si la spéculation est si importante, c’est probablement en raison de la profitabilité comparée, dont chacun sait qu’elle est très faible dans l’économie réelle, et très importante dans les activités de spéculation ou les activités qui lui sont connexes comme le LBO ("Leveraged buyout"). Fait empirique qui nous renvoie aux vieux débats concernant l’importance des débouchés préalables à l’investissement (Sismondi) ou l’utilisation improductive de la plus-value (Marx) ou plus simplement bien sûr à Keynes. L’investissement pourrait manifestement être autrement important et les spécialistes de la transition  écologique sont là pour nous le rappeler[9]. Pour autant, il ne se réalise pas…sans doute pour des raisons de profitabilité…ce qui nous renvoie à de forts anciennes théories discutées au 19 siècle…

Et, de ce point de vue, on se rend compte du caractère secondaire des outils aujourd’hui mis en place pour résoudre les problèmes de la finance. Dire par exemple que la séparation des activités bancaires en activités de crédit et en activités de marché permettrait  d’empêcher un « Crédit Crunch » en raison des surprofits sur activités spéculatives invitant les banques dites  « universelles » à se détourner de l’économie réelle, ne changerait que fort peu la réalité de la crise. La crise financière n’est en effet que le reflet de la crise en termes réels. Et la crise en termes réels doit plutôt être analysée en exploitant le filon de la contestation de la loi de Say.

 

Mais la rupture épistémologique est fort difficile.

 

Dans le domaine des sciences exactes, une rupture épistémologique n’est jamais facile, le passage du système de Ptolémée au monde Copernicien est là pour nous le rappeler. Pour autant, la rupture effectuée, le réel ne conteste guère, et l’Univers réel ne se pose pas la question des enjeux de sa représentation intellectuelle par les humains.

Dans le domaine des sciences sociales, les ruptures épistémologiques sont d’une toute autre nature, et jamais définitivement inscrites dans les schémas mentaux. On pouvait penser que le keynésianisme, même revisité, achevait la rupture avec la vision de Say. Ce ne fût pas le cas. Comme si la vision copernicienne du monde était abandonnée au profit du système de Ptolémée. C’est que dans le domaine des sciences sociales, le réel étudié est constitué d’humains en interrelations continues sur la base d’intérêts. Si donc la vision de la crise ne passe pas par la rupture avec la loi de Say, c’est tout simplement que de puissants intérêts s’opposent à un renversement de vision de nos pratiques sociales. Toutes choses que ce blog tente d’analyser depuis maintenant plus de quatre années.

 



[1] Cf « La loi de Say », ouvrage publié en 1991 chez Litec.

[2] Cf le tome XXII de la Revue encyclopédique : « Sur la balance des consommations avec les productions », Mai 1824.

[3] Cf « The Economic History of India » London, Routledge,1902.

[4] Cf son ouvrage : « Etudes sur le développment du capitalisme », F Maspero, 1971.

[5] Cf son « Histoire des faits économiques et sociaux », Aubier Montaigne ,1963.

[6] Le comportement nouveau des banques centrales est là pour en témoigner. De la même façon le pessimisme croissant sur la possibilité de remettre le système bancaire sur les rails va dans le même sens. Enfin des débats entièrement nouveaux tels ceux concernant  le problème des « holdouts » (fonds vautours dont l’éviction est parfois exigée dans les processus de restructuration de la dette), ou plus étonnant encore les propos du président  du FSA (le régulateur britannique) reprenant l’idée de court-circuiter les banques en distribuant directement le crédit à l’économie, révèlent un début de prise de conscience du caractère inextricable de la situation .

[7] « Le Monde » du 14 février 2013.

[8] Banque des Règlements Internationaux.

[9] Cf par exemple le Think Tank de la Fondation Nicolas Hulot.

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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 10:41

                                        

La crise de la zone euro a clairement révélé les insuffisances de la construction de la monnaie unique. Insuffisances qui font encore débat puisque le courant dominant et la stratégie correspondante privilégie encore la voie de la solution individuelle (chaque pays est responsable de ses comptes), tandis qu'un autre courant, propose de passer par davantage de solidarité (budget commun , eurobonds,etc.).

Le présent texte se propose de tester la faisabilité d’une construction solidaire en questionnant la théorie rawlsienne de la redistribution.

L’ordre Rawlsien

On sait que Rawls est un auteur américain qui dans sa "Théorie de la Justice" s'est longuement interrogé sur de possibles alternatives à la montée de l'ultralibéralisme américain. Dans sa vision, une bonne société est celle qui n'accepte comme niveau d'inégalités, que celui qui procure le grand avantage aux plus démunis. Il s'agit bien sûr d'une théorie normative: Rawls n'explique pas le monde "tel qu'il est " mais bien "tel qu'il devrait être". En ce sens nous ne sommes pas dans une démarche scientifique. Au surplus Rawls se place dans un monde idéal peuplé d'individus (nous sommes dans l'individualisme méthodologique) qui fait de chaque acteur un personnage auto déterminé. A partir de cette axiomatique Rawls démontre que le contrat social qui doit logiquement naitre d'une société  peuplée d'individus auto déterminés, passe par une négociation sous "voile d'ignorance" où les acteurs négocient une constitution débouchant sur le niveau optimal d'inégalites : celui qui assure le maximum de bien -être aux plus démunis. l'idée de voile d'ignorance définit selon Rawls une situation où les participants à la négociation ne connaissent  pas leur position originelle dans la société: riche, malade, pauvre, handicapé, etc. Cette méconnaissance, et donc le risque correspondant, amenant les sociétaires à faire le choix de la bonne société, celle qui peut protéger au cas où les individus seraient mal placés sur l'échiquier de la distribution sociale.

Ce maximum de bien être, assuré aux plus démunis, est évidemment fourni par les autres individus dont les capacités productives plus grandes, verront les fruits correspondants partiellement redistribués aux plus démunis. Sans le dire ouvertement, Rawls envisage donc un ordre de type social-démocrate.

Son raisonnement vaut évidement dans l'ordre national où les individus sont acteurs d'un espace type Etat-Nation. Ce raisonnement avec construction d'un ordre social "sous voile d'ignorance" est-il adaptable au cas où les sociétaires, devenus citoyens, sont remplacés par des Etats-Nations? Et il s’agit bien d’Etats qui deviennent les sociétaires d’un ordre à contruire, par exemple une europe fédérale ou confédérale. De ce point de vue, les tentatives d’adapter Rawls à l’ordre international en partant des individus ( Charles Beitz ou Thomas Pogge) paraissent irréalistes : la construction d’une Europe fédérale ne peut qu’être le fait des Etats.

Sociétaires " individus" et sociétaires "Etats-Nations" "

La première idée qui vient lorsque l'on passe de l'individu à l'Etat, est que fort banalement le champs de la négociation est fort différent. Les Etats, surtout lorsqu'ils ont atteint la forme Etat de droit, ne sont pas des acteurs auto déterminés, mais des acteurs dont la réalité comportementale est le résultat d'un instable compromis antérieur, celui des groupes sociaux qu'ils sont censés rassembler. Les Etats et donc leurs représentants, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques, qui sont ainsi invités à négocier sous voile d'ignorance pour construire le projet européen, ne sont pas des sujets ou des citoyens, mais au moins partiellement des exécutants d'ordres venus de la base. Ils ne sont toutefois pas que cela, car ces exécutants sont des entrepreneurs politiques qui proposent des programmes  achetés par la base, achat qui se matérialise par un résultat électoral  correspondant à la conquête ou la reconduction au pouvoir des dits entrepreneurs. Ils ont donc des intérêts en liaison avec la base, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne font que représenter la base : ils ont des intérêts propres.

Si donc la constitution européenne ou le contrat européen a pour but de rendre viable durablement, par exemple la monnaie unique, nous ne sommes déjà plus dans une négociation sous voile d'ignorance. De fait le raisonnement sous voile d’ignorance, difficile à imaginer, mais sans doute possible pour des individus à la recherche d’une bonne Constitution, est une radicale impossibilité logique dans le cas de la construction d’une constitution fédérale européenne. En effet, si l’on imagine un budget fédéral à des fins redistributrices  en vue d’assurer l’édification d’une zone monétaire optimale, cela signifie nécessairement que les sociétaires (les Etats) connaissent la réalité et qu’il ne saurait être question d’en faire abstraction. Et cette réalité est très largement conflictuelle… dès le début de la négociation. Ainsi est-il possible d’estimer la réalité de façon fort contradictoire…Nous ne sommes plus dans l’hypothèse rawlsienne où l’individu incapable de savoir quelle est sa situation se montre beaucoup plus ouvert et coopératif.

Les pays du sud peuvent légitimement mettre en avant qu’ils sont victimes d’une monnaie unique qui ne leur permet pas d’accéder à la compétitivité externe. Mais les pays du Nord peuvent rétorquer que le sud a eu le grand tort historique de s’être  « drogué à l’euro ». En retour ces derniers peuvent répondre que la « drogue euro » fût très favorable au nord qui a pu voir ses exportations garanties par disparition des risques de taux de change. Arguments et contre- arguments peuvent s’enchainer sans fin.

Le raisonnement mené à partir de la matière première euro aurait pu être mené à partir de toute autre considération. Dans le raisonnement initial de Rawls, l’individu est en quelque sorte une pièce détachée ( il ne voit pas que la réalité vécue est le résultat possible d’un jeu social antérieur), pièce simplement soucieuse de sa position vécue comme « naturelle » (malade /bien portant ; jeune/vieux ; riche/pauvre, etc.). Dans le cas d’un raisonnement appliqué à des nations souhaitant construire une Constitution fédérale ou confédérale, il n’y a plus de détachement possible : la réalité est historique et résulte aussi de jeux antérieurs, jeux  dont les acteurs ont une représentation nécessairement non objective donc plus ou moins discutable ou contestable.

Alors que dans un monde d’individus, la négociation sous voile d’ignorance- même très difficile- est pensable et peut aboutir fort logiquement à la bonne société, sociale-démocrate et redistributive de Rawls, il semble illusoire d’aboutir à l’idée de fédération européenne sociale-démocrate et redistributive. Dans le premier cas, le voile d’ignorance peut être imaginé et c’est un peu ce que l’on vérifie, parfois, historiquement lors des changements de Constitution. Bien sûr la société est-elle toujours déjà construite et la situation originelle n’est qu’une construction intellectuelle, et à ce titre raisonner sur des individus et sur des Etats est formellement la même chose. Pour autant la grande différence est dans la matière première : l’hypothèse d’un voile d’ignorance fondateur d’un bon compromis entre Etats est un exercice particulièrement difficile.

 

Impossible « non société » et évidente pérennisation d’Etats

 les Etats  et leurs entrepreneurs politiques en négociation ne sont intéressés à une constitution européenne que si la solidarité est  assurément plus avantageuse que l'isolement. Et quand il est dit solidarité plus avantageuse, c’est évidemment sous l’angle de la conquête ou la reconduction au pouvoir national. Cette question ne se pose pas dans le raisonnement rawlsien où l'individu ne peut être seul, et ce même pour les "ultra" de l'individualisme méthodologique : il faut bien d’une façon ou une autre faire société. Parce que L'Etat est déjà un ensemble protecteur constitué, le passage à la fédération est extraordinairement difficile . Alors que l’association avec mon semblable correspond à une obligation de simple survie dans le cas d’individus, l’association entre Etats ne peut que fort rarement correspondre à de la survie et, historiquement, c’est plutôt la frontière (le dedans opposable au dehors) qui sécurise réellement ou idéologiquement.

Mais il existe beaucoup d’autres causes qui empêchent le contrat rawlsien  fédéral ou confédéral.

 

Choix dominants (Etats-Nations ou mondialisation) et choix dominés ( fédéralisme)

Les groupes qui ont intérêt à la fin des frontières sont moins nombreux à envisager une frontière confédérale intermédiaire. En clair, les partisans de l’ouverture ne se contentent pas du niveau fédéral et préfèrent passer à la mondialisation. C’est que l’échelon intermédiaire apparait pour ces groupes comme la nouvelle forme de la fermeture avec la fin des jeux possibles sur la concurrence fiscale ou sociale ou la fin des prix de transferts fiscalement avantageux. Pour ne prendre qu’un seul exemple , l’Irlande, avec le compromis social qui règle les objectifs de son Etat et de ses entrepreneurs politiques, préfère la mondialisation, à la confédération européenne qui ne pourrait plus accepter son actuel taux d’imposition dérogatoire sur les sociétés  Quand l’intérêt de l’ouverture existe, il se déploie donc plus volontiers au niveau mondial, tout en souhaitant ménager des zones mi ouvertes et mi fermées (les vieilles nations) qui permettent les meilleurs arbitrages possibles.  L’intérêt des groupes partisans de  frontières protectrices n’est pas celui correspondant à la naissance de frontières élargies à l’espace fédéral. Parce que beaucoup plus repliés sur le vieil Etat Nation, ils mesurent mal l’avantage d’un déplacement de protection à un niveau fédéral. Les entrepreneurs politiques eux-mêmes, au-delà de leur obligation de représenter le compromis acceptable sur les marchés politique, compromis assez peu favorable au stade  fédéral ou confédéral, sont eux-mêmes peu intéressés par la perte d’une partie des leviers de commande qu’exige le passage au niveau fédéral.

 

Les idéologies dominent la raison

Maintenant quand il est dit que logiquement le passage au fédéralisme s’opère lorsque l’arbitrage coût/ avantages, l’y incite, il s’agit là d’une affirmation très théorique, très idéologique et fort éloignée des réalités. En particulier il est erroné d’affirmer que la mondialisation exige des regroupements, que nous sommes trop petits, que seuls nous quittons l’histoire, etc. Il est des  petits pays qui ont peut-être intérêt au fédéralisme (Portugal, Grèce), mais il en est d’autres où le compromis social, beaucoup plus tourné vers le libéralisme (Irlande, Lettonie) voit dans le fédéralisme une nouvelle camisole.  Il est donc, à l’inverse des individus rawlsiens qui ne font jamais sécession à la table de négociation, des Etats qui refuseront le passage au fédéralisme et préféreront, soit de voter avec les pieds, soit de bloquer la négociation. Situation qui n’est pas très éloignée de ce qui se passe aujourd’hui, entre la Grande Bretagne qui se contente du grand marché, et d’autres pays soucieux d’aller plus loin pour éviter la ruine de la monnaie unique.

 Mais il est des situations encore plus complexes où le compromis social mis en mouvement par les entrepreneurs politiques est schizophrène. L’exemple  de l’Allemagne est, parmi d’autres, intéressant en ce que  des entrepreneurs politiques seraient à priori favorables au fédéralisme, mais où d’autres sont heureux de voir une cour constitutionnelle (la cour de Karlsruhe) qui interdit de fait tout transfert budgétaire. Et donc toute réelle tentative de fédération ou de confédération.

De cet ensemble de réflexions il apparait clairement que l’apparition d’une fédération d’Etats européens disposant d’un budget réel est extrêmement peu probable. A fortiori un fédéralisme rawlsien avec effets redistributifs, type social-démocratie. Dans ce contexte tout ce qui peut ou doit  être entrepris est logiquement stratégie de contournement : la monnaie unique  exige bel et bien une redistribution fédérale irréaliste, et face à cette constatation, son  maintien ne pourra s’appuyer que sur les artifices de la BCE ou du FESF. Des objets que l’on maintient loin des Etats qui resteront le plus logtemps possible ce qu'ils sont .

 

 

 

 

 

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26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 15:57

Avec le temps acheté par les banquiers centraux qui maintiennent en vie la machine à fabriquer de la dette pour empêcher l'effondrement financier et économique planétaire, beaucoup d'experts persistent dans l'erreur et concluent des raisonnements que le simple bon sens peut aisément récuser.

 Ainsi il est aujourd'hui affirmé haut et fort que si l'austérité est difficilement supportable, les premiers dividendes commencent à se manifester. Le cas de La Grèce, du Portugal de l'Irlande, de l'Espagne, mais aussi de la Lettonie sont ainsi évoqués pour vanter les mérites d'une compétitivité en voie de restauration.

Le moteur de cette compétitivité n'est évidemment pas la hausse de la productivité physique des facteurs de la production, il est plus simplement la baisse  sur la période 2009/2012 du coût salarial unitaire : plus de 20% pour la Lettonie, 12% pour la Grèce, 9,9% pour l'Irlande, 7,9% pour le Portugal, 7,4% pour l'Espagne.

Bien évidemment, il en résulte une baisse de la demande intérieure, elle même favorisée par la baisse de la dépense publique (santé, éducation, etc.). Cette baisse en volume depuis 2009, et calculée à partir d'une base 100 en 1999, correspond à 30 points pour la Grèce et la Lettonie, et approximativement 12 points pour l'Espagne et le Portugal.

Il n'est guère besoin d'être expert, pour comprendre que cette baisse de la demande intérieure, procure des effets bénéfiques en termes de recul des importations: la baisse est le produit de la propension à importer par la variation de la demande intérieure. A l'inverse, la baisse du coût du travail rend les exportations plus aisées, ce qui se manifeste de façon assez spectaculaire. Ainsi entre Janvier 2009 et octobre 2012, l'Espagne voit le volume de ses exportations mensuelles doubler, Grèce et Portugal augmentent de 80% leurs exportations, tandis que l'Irlande, pays déjà très exportateur avant 2008 ne fait que retrouver la situation d'avant la crise.  

Cette embellie due à la compétitivité, est évidemment un choc pour les autres pays fournisseurs et clients , essentiellement le reste de la zone euro, qui doivent encaisser en termes de recul d'activité, aussi bien la chute de la demande intérieure, que le regain des exportations de l'Espagne, du Portugal, de l'Irlande, du Portugal, etc. L'Italie est du reste sur le même chemin. Bien évidemment, les experts en raisonnement erronés risquent de répondre en disant que tous doivent prendre ce chemin difficile mais vertueux. Mais alors, si tous doivent davantage exporter et si tous doivent dégonfler la demande intérieure, aussi en réduisant les dépenses publiques, qui va acheter?

Nous le voyons il est impossible de na pas évoquer la question essentielle, souvent abordée dans ce blog: la configuration actuelle de la mondialisation, avec des chaines de la valeur très découpées pour répondre à la vieille crise du fordisme, n'a fait que développer un écart croissant, entre offre globale mondiale et demande globale mondiale.    Ecart comblé jusqu'ici, par la machine à faire de la dette, dont l'épuisement se matérilise en crise financière gérée faute de solution de façon de plus en plus accrobatique . Les châteaux de cartes sont comme les courbes: ils ne peuvent monter jusqu'au ciel.

A l'inverse, constatons qu le contrôle qualité des raisonnements économiques, n'arrive pas, lui, à décoller.

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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 23:00

Reprenant les propos de Daniel Stelter ("Endling the era of Ponzi Finance" dans Perspectives de décembre dernier, Jean Marc Vittori claironne à nouveau des raisonnements qui ne sont qu'une série d'inexactitudes (Les Echos du 15 janvier). le refrain est toujours le même:

 le monde développé aurait emprunté sur la richesse de demain pour financer la consommation d'aujourd'hui, ce qui laisse un lourd fardeau aux généations futures et réduit le potentiel de croissance future.

 La première erreur est que nous retrouvons ici, la problématique des choix individuels inter-temporels que nous exposent tous les manuels de base de l'enseignement de l'économie. Effectivement, le consommateur dont la "fonction utilité" - comme on dit dans les manuels- est telle qu'il est amené à consommer davantage que son revenu, se devra d'emprunter, ce qui limitera sa consommation future. Sauf que le raisonnement des manuels correspondants, se déroule dans le paradigme de la microéconomie, et que le raisonnement claironné dans tous les médias, est censé relever de la macroéconomie, une macroéconomie faite de la simple sommation des résultats micro économiques.

A l'échelle macroéconomique il existe des institutions (monnaie, banques, Etats, etc) qui bousculent les raisonnements additifs assimilant le tout comme la simple somme des partis.

C'est que la consommation à crédit- par exemple  des ménages  américains qui font leurs courses chez Wal-Mart, et de l'Etat américain qui achète des F35 chez Lockeed- correspond à une production, qui eut été fort dépourvue de débouchés sans la dette privée et publique. Argument qui ne peut évidemment apparaitre, lorsque l'on raisonne dans le cadre conceptuel de la micoéconomie.

Et loin d'affirmer stupidement, que l'on consomme trop avec de la dette, et qu'il faudra rembourser en travaillant davantage, le raisonnement non additif, nous fait penser que probablement les richesses produites - et invendables faute de dettes nouvelles - n'ont pas donné lieu à une distribution de revenu suffisante, une distribution en quantité et en qualité telle, que l'offre globale à l'échelle de la planète, soit assurée de rencontrer une demande globale qui lui soit égale.

Effectivement, la production chinoise est beaucoup trop importante par rapport à des débouchés muselés par des salaires trop faibles. Et effectivement les revenus salariaux américains sont bloqués par la concurrence asiatique. C'est donc la configuration, de la mondialisation - c'est à dire ses caractéristiques -qui empêche la demande globale de se hisser au niveau de l'offre. Sans doute pourrions- nous dire qu'à la faiblesse des salaires, doit correspondre des profits élevés et des revenus de la propriété très élevés. Mais, l'épargne qui en est la contrepartie, se transforme plus facilement dans le champs de l' investissement spéculatif que dans celui de la réalité économique. Toutes choses concrètement vérifiées tant leur visibilité est énorme.  

De cette première erreur découle bien sûr toute la fausseté du raisonnement. Si les prémisses du raisonnement  sont fausses, alors il en est de même des conclusions.

 Ainsi, la dette n'est pas vraiment un fardeau pour les générations futures. L'avenir serait autrement bouché si la dette n'existait pas: déjà trop faible, l'investissement n'existerait plus, si la tendance générale à la surproduction, devait se concrétiser matériellement en l'absence de toute opération de crédit supplémentaire aux particuliers et aux Etats.

 Et, surtout, la croissance future serait bien plus lourdement handicapée dans un contexte où l'investissement ( en l'absence de besoins d'amortissement et de simple remplacement, eu égard à la surproduction généralisée de marchandises) serait limité à celui entrainé par l'innovation. La dette privée et publique croissante, n'est ainsi que le prix à payer de l'actuelle configuration de la mondialisation.

Son avenir est ainsi tout tracé sur une courbe croissante, courbe qui ne peut rester telle que par le recours à la monétisation. Chemin que semble parcourir les grandes banques centrales du monde, amenées à connaître une véritable rupture épistémologique. A moins d'une mise en cause réelle des caractéristiques de la présente mondialistion, et en particulier la construction d'écluses permettant - et imposant- à tous les Etats acteurs de la mondialisation, l'équilbre de toutes les balances extérieures.

Le caractère grossièrement erroné de raisonnements, qu'on ne cesse de rabacher partout dans les médias, et qu'on reprend au niveau de toutes les conversations, est bien sûr un blocage dans  la prise de conscience et le dépassement de la grande crise. Blocage qui profite tout aussi certainement aux bénéficiaires de l'actuelle mondialisation. Il est néanmoins assez difficile à contester, tant il est vrai que chacun effectue le raisonnement au simple niveau individuel. Chacun, journaliste, citoyen, voire économiste - mais là les choses deviennent plus graves- raisonne dans le cadre de ce qui ,savamment, correspond à la question des choix intertemporels: oui si on consomme davantage que ce que l'on gagne, alors l'avenir est effectivement sombre. Mais comment expliquer simplement que le global n'est pas l'addition des singuliers?  

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22 décembre 2012 6 22 /12 /décembre /2012 10:21

 couverture du livre

Le livre est en vente dans toutes les librairies

 

Kenneth Rogoff en évoquant les travaux de Robert Gordon et les opinions d'un certain nombre d'observateurs pense aujourd'hui que la grande crise serait aussi due à une longue stagnation  des technologies et de l'innovation. Longue stagnation qui serait aussi celle de la productivité. C'est l'idée qu'il exprime, avec précaution, dans les Echos du 19 Décembre.

 Il y a là un progrès dans la compréhension du monde tel qu'il est. Malheureusement, on ne voit pas encore dans la littérature, les liens entre chute des gains de productivité dès la fin des années 60, ce que l'on a appellé la crise du fordisme et toute la problématique qui a émergé pour perenniser le fordisme par d'autres moyens. Les lecteurs de ce blog savent que la mondialisation  fût préférée à la robotisation, et que les  contraintes liées à la nouvelle chaine de la valeur ont imposé ou largement favorisé ce que nous avons appelé la construction des autoroutes de la finance. Maintenant il est vrai aussi, que cette nouvelle répartition dans la chaine de la valeur, supposait la construction des autoroutes du transport, c'est à dire concrètement l'effondrement des prix, ce que nous avons appelé dans le blog le "fordisme de l'industrie logistique".

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 23:00

 

couverture du livre

 

 Le livre est dans toutes les librairies

  

Selon l'institut Coe-Rexecode qui vient de publier une étude : "La compétititvité française en 2012" la France cesserait de perdre des parts de marchés mais se trouverait dans une position historiquement difficile en termes de compétitivité.

L'aspect le plus intéressant de l'étude consiste toutefois à révéler que si le pays avait maintenu les parts de marché qui étaient les siennes en 2000, cela correspondrait aujourd'hui à un supplément de 190 milliards d'euros de PIB.  Il est difficile de vérifier un tel chiffre, tant il est vrai que nous ne disposons pas du modèle l'ayant établi. Toutefois au "doigt  mouillé", sachant que le PIB se monte à 2000 milliards d'euros, et que la population en activité est de l'ordre de 25 millions de personnes, un calcul grossier nous montre que la perte de compétitivité, correspond aussi à la privation  d'un peu moins  de 2,5 millions d'emplois.

La perte de compétitivité de la France n'est évidemment pas une perte de productivité puisque la productivité du travail y reste l'une des meilleures au monde. Mais dans la foule des variables explicatives il y a bien sûr la variable monétaire, un euro fort, qui garantit les pays emergents de leur  éventuelle sous productivité du travail. Si maintenant- et c'est le cas dans nombre de branches d'activité où le capital technique est aussi productif dans les pays émergents que dans les anciens pays développés- la productivité physique du travail s'uniformise, il n'y a plus que la variable monétaire pour compenser les inégalités de salaires et de modèle social.

De ce point de vue un euro élevé au rang de monnaie forte- aussi en raison d'une stricte indépendance de la BCE et de la gestion qui lui est idéologiquement et politiquement imposée- est une cause très importante de sous compétitivité. Un bon argument pour mettre fin au carcan de la BCE et d'exiger un financement sans limite des Etats qui ferait plonger l'euro et libérerait des moyens considérables pour l'investissement public aujourd'h ridiculement faible.

L'institut Coe-Rexecode nous rappelle ainsi sans le dire que la "drogue euro" détruit l'emploi avant de détruire l'Europe elle-même.

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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 15:02
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Un espace de parole animé par < André-Jacques Holbecq >
 
Jean-Claude Werrebrouck en conférence à Gap le 29/10: le discours de la crise et ses mensonges

Conférence – débat: Le discours de la crise et ses mensonges

par Jean-Claude Werrebrouck, auteur du livre BANQUES CENTRALES: couverture du livreindépendance ou soumission ?

Un formidable enjeu de société, Ed. Yves Michel

Lundi 29 octobre – 18h30 à GAP

GAPOTEL, 18 Avenue Emile Didier (Avenue d’Embrun) à Gap

Pour réserver le dîner: 04 92 52 37 37

Ex-professeur de sciences économiques à l’Université de Lille 2, Jean-Claude Werrebrouck s’est d’abord intéressé aux questions du développement, puis de l’économie pétrolière. Devenu directeur D’IUT, puis l’un des fondateurs des Instituts Universitaires Professionnalisés (IUP), il a orienté ses réflexions vers les questions liées au fonctionnement de l’Etat et du management public en général.

C’est l’avènement de la présente crise qui l’a invité à redéployer partiellement le champ de ses réflexions avec la publication récente de près d’une centaine d’articles sur ce qu’il appelle la « crise des années 2010 », et pour laquelle il a conçu un blog. www.lacrisedesannees2010.com

Jean-Claude Werrebrouck est aussi engagé dans des groupes d’actions et de réflexions tels « Roosevelt 2012 » ou le « manifeste pour un débat sur le libre échange ».

www.lacrisedesannees2010.com 

 



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  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
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