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28 août 2011 7 28 /08 /août /2011 17:42

 

Très souvent les débats concernant la grande crise empruntent le chemin du solide bon sens populaire et se ramènent à des conclusions inexactes. Ainsi en est- il   de la sempiternelle question de la dette, avec l’idée selon laquelle la France – pour prendre un  exemple parmi tant d’autres- vivrait depuis 30 ans au dessus de ses moyens et aurait abusé de facilités d’emprunts à bon marché.

L’utilisation de l’anthropomorphisme est simple, mais inappropriée pour décrypter un processus complexe. C’est qu’au-delà de l’erreur factuelle selon laquelle l’emprunt serait moins coûteux – rappelons qu’il était gratuit en mode hiérarchique de gestion de la dette avant 1973 – l’Etat n’est pas la France, et surtout, cette dernière n’est pas une personne à qui l’on pourrait demander de cesser de dépenser plus qu’elle ne gagne. Dans « Le monde tel qu’il est », nous avons souligné et précisé –  à l’intérieur d’un cadre juridique appelé nation, cadre qu’il faut décoder pour bien le comprendre-   la nature de l’interaction sociale entre des groupes d’acteurs clairement identifiés : Entrepreneurs économiques, entrepreneurs politiques, citoyens, salariés, consommateurs, épargnants.

C’est le mode d’articulation entre ces groupes, lui-même résultant de contraintes diverses, par exemple la fin du Fordisme pour ce qui est de la présente crise, qui a développé le choix de la dette contre celui de l’inflation. A partir des années 80,  La France, comme beaucoup d’autres pays– pour en revenir à l’anthropomorphisme que nous dénonçons – « choisit » la fin de l’inflation et le commencement de la dette. Ce mode d’articulation où il deviendra de l’intérêt supérieur des entrepreneurs politiques de légiférer sur la mondialisation, sur le statut de la banque centrale, sur les mouvements de capitaux, etc. ne relève pas d’un déterminisme mécaniciste. C’est dire qu’il aurait pu être autre, accouchant ainsi d’un possible autre monde qu’on ne peut connaître. Et le mode d’articulation est rarement un projet humain : les hommes sont et seront toujours dépassés par une histoire qu’ils ne peuvent maitriser.

L’interaction sociale, et ce presqu’à l’échelle planétaire, fût telle qu’une immense machine à générer de la dette s’est mise en place , ce qu’on désigne de façon plus académique par l’expression « d’industrie financière ». Tel fût le compromis du moment. La présente grande crise qui met en spectacle l’effondrement – par étapes - de l’immense machine, révèle les limites du compromis qui s’est constitué (l’articulation entre groupes d’acteurs) dans les années 80. Simultanément, l’immanence, toujours présente chez les hommes, retarde le basculement vers un autre monde. D’où l’aspect « bricolage », de toute les mesures prises par les entrepreneurs politiques de tous  pays, depuis le déclenchement de la grande crise.

La dette n’est pas affaire de personne irréfléchie (anthropomorphisme) : elle est le résultat non attendu de choix de groupes sociaux antagonistes, à la recherche d’un possible vivre ensemble. Comprendre le monde tel qu’il est n’est pas facile , d’où l’impérieuse nécessité de ne pas  abuser de simplifications inexactes qui embrouillent et masquent une réalité déjà fort complexe.

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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 13:34

                                              

Vivre en société, c’est reconnaitre qu’il existe indépendamment de chacun des participants, un objet intermédiaire qui leur est commun, et exprime l’universel du groupe. Les croyances, les valeurs, la morale, la langue, etc. constituent ces objets communs assurant la communication, et le rapprochement de chacun vis-à-vis des autres. Beaucoup de ces objets de communication sont d’une essence naturelle, et assurent la survie des participants. Dans cette vision des choses, les sociobiologistes,  considèrent que la vie en société, est seule susceptible d’assurer les trois grandes fonctions du vivant, à savoir , l’autoconservation, l’autoreproduction et l’autorégulation. Simplement ces trois fonctions,  à l’inverse du monde animal, sont diversement  interprétées chez les humains, ce qui donne l’infinie variété des universels, donc des cultures, voire des civilisations.

Hayek considère que cet universel s’est spontanément construit. Produit de l’interaction sociale, indépendant de la volonté de chacun, et donc extériorité surplombant les acteurs. Il reste que cet universel peut faire l’objet de convoitises et de conquêtes …. par  les hommes eux-mêmes, assurant ainsi ce que ce même Hayek appelle :le passage des ordres spontanés vers les ordres organisés.

Alors que l’universel est patrimoine commun, ce qu’on appelle « politique » est un processus de privatisation : des individus, vont se rendre maitre de tout ou parti de l’universel, et fonder ce qu’on appelle l’Etat. Les libertariens  - notamment Robert Nozick et son école jusqu’à Bertrand Lemennicier en France-  ont ainsi expliqué et décrit le "Big Bang de l’Etat", sans doute beaucoup mieux que Marx, mais à partir d’une vision proche : l’Etat est une aliénation dont les moyens – tout ou parties de l’universel-  permettent d’engendrer et de reproduire des inégalités durables entre les hommes. Vision proche, et non semblable, puisque l’Etat est outil de la reproduction d’antagonismes de classes, sans  lui-même être directement prédateur, chez Marx; alors qu’il est d’essence prédatrice chez les libertariens tout en autorisant des antagonismes entre les victimes de la prédation. Les inégalités ainsi produites, ne relèvent pas de la nature, elles sont socialement construites, et ont pour effet  de produire et reproduire des rentes : tributs, impôts, privilèges, lois démocratiques, etc.

La très grande supériorité du modèle libertarien , au-delà de la très stupéfiante confirmation de celui de Marx, consiste à pouvoir évoquer l’action de l’Etat, par exemple dans les rapports économiques, en sachant de quoi l’on parle. Ce qui n’est assurément pas le cas des autres paradigmes , notamment ceux de la théorie économique – Classique , néo classique, keynésienne-  qui évoquent l’objet Etat à partir d’une vision angélique de celui-ci . Une instance conçue pour produire de l’intérêt général, sous la forme d’un intérêt public, dépassant la logique de marchés en déséquilibres (Keynes), ou sous la forme d’une béquille aidant des marchés avantageux pour tous (néo classiques). Pas de théorie du « Big bang »,  donc pas de vision causale de cette réalité en devenir qu’est l’Etat, et donc paradigmes contestables en ce qu’ils ne respectent pas les contraintes d’une tentative de démarche scientifique. Avec bien sûr le danger d’aboutir à des théories normatives…. Ce que nous avons appris à désigner dans ce blog la « théologie économique ».

Pour autant, la vision libertarienne n’échappe pas davantage à la démarche théologique, et il est surprenant de constater la normativité de contenus qui aboutissent à conseiller ces ennemis radicaux que sont les "entrepreneurs politiques". Nous avions déjà abordé cette question dans un article publié le 3/3/2009 : « Crise : grand retour de l’Etat ou utopie post-politique ? ».

D’où une accumulation de critiques, souvent fondées, et tout aussi souvent, une accumulation de propositions irréalistes.

Pour ne prendre qu’un exemple, tel est le cas de la critique du présent système monétaire et financier, à partir de l’idéal d’un système monétaire vivant en ordre spontané. La vision libertarienne est assez simple. La monnaie s’y définit comme n’étant qu’un instrument, dont la forme s’adapte à son objectif permanent, à savoir diminuer en sécurité –donc en respectant les droits de propriété – les coûts de transaction résultants de l’échange. Vision qui explique que des marchés libres, et donc des banques libres, sont seuls à pouvoir assurer les transactions dans un ordre concurrentiel : chaque banque émet sa monnaie, et se sait surveillée par les agents qui exigent la parfaite convertibilité de chacune des monnaies émises. D’où une auto surveillance d’une émission monétaire que le marché se charge de contrôler, voire de sanctionner. Les libertariens expliquent aussi avec une grande précision que dans un ordre organisé, les choses se présentent différemment, avec un prédateur public – monopolisant la violence monétaire (dilution, seigneuriage, cours légal , etc.) directement, ou indirectement, par le biais d’une banque centrale chargée d’une politique monétaire. Et il s’agit d’une privatisation d’une partie de l’universel humain,  à savoir l’appropriation, par des entrepreneurs politiques, du marché de la monnaie, que chacun des acteurs générait en ordre spontané, et marché qui surplombait chacun d’eux, au point d’en faire un objet extérieur commun aux acteurs. A plusieurs reprises - cf notamment les articles consacrés aux rapports historiques entre banques centrales et Trésor - nous avons souligné la complexité du jeu des acteurs en ordre organisé, notamment en démocratie : acteurs financiers, citoyens, entrepreneurs politiques, etc.

Disposant d’un outil  très puissant pour l’analyse, on pourrait attendre des libertariens, tout autre chose que l’ensembles des propositions qu’ils font traditionnellement pour résoudre la  crise : retour à l’étalon –or, concurrence entre monnaies librement émises par les banques, responsabilisation maximale des acteurs financiers mis en face de la rigueur des droits de propriété, fermeture des banques centrales, mise en extinction de toutes les monnaies politiques dont bien entendu l’euro, etc. Autant d’exhortations adressées à des entrepreneurs politiques dont ils savent, plus et mieux que d’autres, qu’ils feront tout pour ne pas les transformer en actes concrets . Tout simplement parce que le fonctionnement logique des ordres organisés s'y oppose.

Sachant que le modèle du « Big bang de l’Etat », même imparfait - ce que nous avons souligné dans un texte lui-même très imparfait ( « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat »)- est le seul actuellement disponible pour saisir les phénomènes humains dans leur globalité, il est regrettable que ses défenseurs, ne l’utilisent pas davantage pour comprendre la genèse de la crise, son développement, et les scénarios qui en découlent, aux fins d’une prospective, qui puisse aussi devenir un avenir plus ou moins souhaitable pour l’humanité. Il est effectivement paradoxal que les  libéraux puissent être normatifs, alors même qu’ils n’ignorent pas le caractère irréaliste des propositions énoncées. En revanche, armés d’un outillage théorique plus satisfaisant pour décrypter la réalité, ils sont les seuls à nous faire comprendre la nature profonde des rapports de forces se manifestant dans un ordre organisé. Et à pouvoir effectuer des propositions sur les marchés politiques - ce que nous appelons, dans le jargon de ce blog, des "produits politiques" - et propositions les plus adaptées à l’évitement d’un désastre. L’humanité vit au sein d’ordres organisés, ce qui- sans doute-  terrorise les libertariens, mais peu d’humains contestent qu’il est des ordres organisés préférables à d’autres. Et ces mêmes humains, ont au moins la connaissance intuitive que l’ordre spontané n’est pas de ce monde. La disparition des banques centrales n’est pas à l’ordre du jour, la concurrence monétaire non plus. Par contre des évolutions importantes sont prévisibles, et peut-être souhaitables, et ce même s’il ne saurait exister d’intérêt général. De ce point de vue l’école française de la régulation, tout à la fois proche et ennemie des libertariens, reste étrangement silencieuse.

Davantage de réalisme dans les propositions, ne pourrait que confirmer la supériorité du modèle libertarien de compréhension du monde tel qu’il est. Les « Think Tanks » libertariens y ont tout à gagner.

 

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