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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 18:14

Au cours des prochaines années, la charge de la dette devrait s’accroître dans des proportions considérables. D’abord, pour des causes mécaniques liées à la gestion du passé, ensuite pour des causes liées à des injonctions extérieures. Les causes mécaniques de l’accroissement futur du déficit sont simples :

  • Effet d’aubaine sur des taux d’intérêts nuls pendant plusieurs années qui ont permis de creuser un déficit structurel très confortable et devenant très douloureux lorsque les taux augmentent ;
  • Interdit juridique que s’est fixé l’Etat : ce dernier ne peut - en cas de baisse des taux - assurer le refinancement de sa dette comme cela est classiquement autorisé pour le secteur privé ;
  • Taux d’intérêt sur la dette publique devenu supérieur au taux de croissance de l’économie, d’où des difficultés croissantes pour assurer le service de la dette.

Les causes relevant de nouvelles injonctions sont simples : climat et écologie générale, réarmement, énergie, l’ensemble exigeant probablement selon Fondapol quelques 8 points de PIB, ce qui est considérable.

Le problème de la dette peut être examiné dans la complexité d’un jeu bien repéré par les comptables nationaux : l’Etat, les entreprises, les ménages, les institutions financières, l’extérieur. Cet ensemble d’ acteurs nouent entre eux des relations d’échanges pouvant être tracées dans des comptes à partir duquel se dégagera un solde.

Un jeu national qui suppose un ravitaillement extérieur

Le problème de la France (et  de  ses acteurs) en tant que pays trop cher est qu’elle dépense plus qu’elle ne gagne, ce qui comptablement va se manifester par un déficit extérieur. Ainsi pour 2023 la comptabilité nationale (INSEE) fait mention d’une « capacité de financement de l’extérieur » (c’est-à-dire un besoin de financement de la France) de 55,93 milliards d’euros. Concrètement, l’extérieur, donc le reste du monde, a prêté à la France de quoi effectuer ses dépenses totales. Ces prêts - qui sont un financement d’agents résidents en France – ne font que s’accroître et, par exemple, ont connu une multiplication par 4 entre 2018 ( 11,41 milliards) et 2023 ( 55,93 milliards). Cela veut dire que le jeu des acteurs à l’intérieur du territoire développe en continu un appel à un financement externe, et donc un appel qui s’accumule et vient constituer un stock de dettes croissant. En termes simples, nous pouvons continuer à jouer le jeu mais il nous faut être alimenté par un tiers. Un tiers qui pourra convertir ses créances en patrimoine et pourra se comporter en propriétaire exigeant. Toutefois, la question est aussi de savoir comment le jeu est joué et quel joueur doit être plus particulièrement alimenté.

La question revient alors à déterminer quels agents résidents sont responsables du déficit. En restant dans une optique comptable, logiquement la somme des besoins de financement est strictement égale à la somme des capacités, ce que les comptables nationaux vérifient tous les ans dans un document appelé « Comptes de la Nation »[1]. Par exemple, pour l’année 2023, nous avons 127,65 milliards (capacité de financement des ménages) - 34,33 (besoins de financement des entreprises et banques) – 149,06 (besoins de financement de l’Etat) + 55, 93 (capacité de financement du reste du monde) = 0. La somme des besoins et des capacités n’est nulle que parce qu’un joueur externe intervient. Le jeu est bien joué mais l’extérieur a dû nous alimenter pour un montant de 55,93 milliards d’euros.

Le compte du reste du monde présente une capacité de financement, donc un déficit de la France, continuellement croissant depuis l’arrivée de l’euro. Ainsi en 2000 la France était encore excédentaire de 20,57 milliards, excédent qui ira en s’amenuisant pour passer à des déficits de plus en plus massifs avec 93,41 milliards en 2022 et encore 55,93 milliards en 2023. Le jeu des acteurs dans le cadre d’un taux de change que le pays ne contrôle pas, aboutit ainsi à une situation intenable à terme. Encore une fois - en termes très triviaux - l’euro nous donne l’impression d’une corde qu’il faut sauter pour continuer le jeu, une corde qui fatigue des joueurs qu’il faut oxygéner.

La solution est théoriquement, soit la modification du jeu des acteurs, si possible en leur demandant d’être moins « gourmands » en dettes, soit une modification des règles du jeu.

Modification des règles du jeu.

La modification des règles du jeu est bien évidemment l’abandon de l’euro, suivie d’une dévaluation massive. En termes simples, la « corde à sauter » doit être abaissée pour laisser le jeu s’épanouir.

Ce choix aboutit à des modifications dans les stratégies des acteurs. Le compte de l’extérieur voit sa capacité de financement disparaître en raison d’un rééquilibrage mécanique de la balance commerciale. Par exemple, le joueur Etat n’a plus à doper les entreprises sous forme de subventions, et les salariés (donc aussi les ménages) sous la forme d’aides sociales ou prise en charge d’une partie des salaires indirects. En termes simples, les entreprises pourront plus facilement exporter et se détourneront des importations, ce qui va en conséquence produire des effets sur le compte de l’extérieur.  Ce dernier point mérite quelques précisions.

 Le compte de l’extérieur mentionne une capacité de financement qui est pour l’essentiel le résultat du déséquilibre commercial du pays. Tous les échanges de la France avec l’extérieur ne sont pas déséquilibrés et par exemple, même le sous-ensemble « balance des services » n’a rien de catastrophique. Par contre ce qui est très négatif est la balance commerciale avec un déficit de 98 milliards d’euros pour 2023. Sans les aides de l’Etat aux ménages et aux entreprises il est clair que les résultats du jeu des entreprises seraient autrement catastrophiques à l’international : beaucoup moins de capacité à être compétitif et donc déséquilibre commercial beaucoup plus important encore. De quoi effacer nombre d’activités sur le territoire national. Voilà la raison fondamentale du déficit de l’Etat : il s’épuise à aider les autres joueurs (entreprises et ménages) pour éviter un déséquilibre extérieur encore beaucoup plus grand. Il y a donc bien via l’euro - monnaie au cours beaucoup trop élevé pour les joueurs français - un lien entre déséquilibre extérieur et dette publique. Une dévaluation massive, donc une sortie de l’euro, est le moyen de rétablir les choses : plus d’équilibre extérieur et moins de dette publique.

Modifier le jeu sans toucher aux règles.

C’est le choix du pouvoir politique depuis la perspective puis la réalité de l’euro. Ce choix fût historiquement la « désinflation compétitive » de l’époque Mitterrand, puis la prise en charge des coûts de la désindustrialisation de l’époque Chirac, puis la politique de l’offre des derniers présidents de la République. Malgré tous les efforts des uns et des autres, la réalité s’est imposée et la recherche éperdue de compétitivité - très difficile à obtenir sous le carcan de l’euro - s’est matérialisée par des déficits publics régulièrement croissants. La politique de l’offre des derniers présidents fût un leurre et comme il était politiquement quasi impossible de procéder à une véritable dévaluation interne, c’est le compte du joueur Etat qui devait en payer un prix croissant. Avec un résultat calamiteux : parce que la compétitivité ne pouvait se rétablir par de réelles baisses de salaires et de véritables gains de productivité, des voies dérivées furent utilisées et le sont encore massivement aujourd’hui.  C’est le cas de la baisse de la pression fiscale et de la prise en charge d’une partie du coût du travail.

 

Cette stratégie entraîne un grossissement ininterrompu du compte du reste du monde. La comptabilité Nationale révèle ainsi que le total de ce dernier compte s’accroit beaucoup plus rapidement que le PIB (multiplication par 2,5 entre 2005 et 2023 pour le total du compte et simplement croissance de 50% du PIB entre les mêmes dates) Certes, cet écart est l’effet de la mondialisation, mais il est aussi effet d’un taux de change irréaliste. Ainsi les entreprises jouant pleinement le jeu de la libre circulation du capital sont invitées à s’expatrier en bénéficiant de tarifs avantageux dans les espaces dont la monnaie est faible. Il vaut mieux acheter et s’endetter à l’étranger plutôt qu’en France. Cela signifie que le compte des entreprises ne fera pas apparaître un lourd besoin de financement. D’une certaine façon l’économie française grandit beaucoup plus vite à l’étranger que sur le territoire.

Nous sommes aujourd’hui arrivés aux limites du jeu. La fausse politique de l’offre est devenue un déficit public qui risque de devenir hors de contrôle. Parce que le taux d’investissement des entreprises ne cesse de baisser (11,5% du PIB en 2024 contre 12,2% en 2022), parce que la productivité du travail a perdu 4 points depuis 2019 et parce que le taux d’épargne ne cesse d’augmenter (18,2% du PIB en 2024 contre 15,2% en 2019), la croissance continue de s’affaiblir… et le compte de l’Etat verra son besoin de financement augmenter en raison d’un budget 2025 qui ne pourra qu’être très lourdement déficitaire.

Rappelons en effet que la dépense publique probable se montera en 2024 à 1658 milliards et que le projet avorté pour 2025 était de 1699 milliards. Le budget qui sera finalement retenu sera probablement plus dépensier encore, ce qui alourdira le service de la dette et la montée du taux d’endettement.

En toute clarté, le joueur Etat est le gros perdant de l’euro comme « corde à sauter » beaucoup trop haute. D’une certaine façon les autres joueurs se tirent d’affaire. Cela est visible dans le compte des ménages qui est de plus en plus en capacité de financement : 46,29 milliards en 2006, 64,82 en 2016, 108,29 en 2023. Cela l’est encore dans le solde du compte financier du joueur entreprise. Ces acteurs reconnaissent volontiers qu’ils bénéficient de l’euro, d’où le slogan « l’euro nous protège » et il est vrai qu’il facilite considérablement les voyages, achats et implantations à l’étranger. Les joueurs français ont l’impression de disposer d’une monnaie solide et ne mesurent en aucune façon les coûts croissants qui lui sont associés. C’est donc le joueur Etat qui en paie le prix avec un besoin d’endettement devenu très dangereux. Logiquement, ce prix devrait être partagé avec les autres joueurs qui dépendent de lui. Mais la barrière politique l’en empêche largement et le personnel politico-administratif transforme régulièrement ce prix en dégradation des services publics, subventions diverses et dette croissante. Situation devenue désespérée si l’on conserve en tête les contraintes futures rappelées en début de texte.

 Il deviendra extrêmement difficile de jouer le jeu de la démocratie si les règles fondamentales du jeu économique ne sont pas rétablies. De ce point de vue, seul un pouvoir brutal pourrait imposer un choix : soit une dévaluation interne massive, soit une dévaluation externe signifiant la disparition de l’euro. Bien évidemment, ce pouvoir brutal pourrait aussi émerger du théâtre géopolitique, paramètre non retenu dans le présent texte.

 


[1] On pourra trouver un schéma très intéressant de la situation d’endettement croissant de la France en allant sur le site de la banque de France et en tapant : « capacité et besoin de financement des secteurs ». On pourra observer le début de l’enfoncement du pays à partir de 2005, date à partir de laquelle l’euro commence à faire connaître ses durs effets.

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5 décembre 2024 4 05 /12 /décembre /2024 07:12

 

Dans le monde des apparences le gouvernement est tombé à la suite de très graves difficultés financières du pays. Pour autant derrière le déficit se cache des réalités plus crues que l’on cache ou que l’on refuse de reconnaitre. La suite du présent texte tente rapidement de comprendre la réalité française.

Pour bien comprendre, Imaginons un pays où tout est trop cher par rapport au reste du monde : matières premières, coût du capital, coût du travail, etc. Logiquement ce pays – s’il reste totalement ouvert - doit connaître une attrition : diminution des exportations, augmentation des importations, faiblesse d’une production nationale concurrencée par les économies étrangères. Manifestement, cette situation caractérise le cas français : la production nationale est trop coûteuse pour exporter et les productions étrangères plus compétitives favorisent les importations. Champs abandonnés et friches industrielles se développent au profit d’entrepôts et de magasins de distribution abritant des marchandises étrangères. Ce que chacun peut constater.

On ne peut parler du prix sans connaître la valeur de la monnaie.

L’expression « tout est trop cher » n’a toutefois de sens que par rapport à un taux de change. Si le prix en devises étrangères des marchandises du pays en question devient très faible parce qu’une dévaluation massive est intervenue, sa compétitivité se trouve rétablie. Les exportations vont augmenter et symétriquement les importations vont diminuer tandis que la production nationale augmente. Concrètement l’exportateur -à prix inchangé au niveau de l’acheteur étranger- va recevoir plus de monnaie nationale et verra mécaniquement ses marges augmenter. A l’inverse, l’importateur national limitera le volume acheté devenu trop cher, à moins que l’exportateur étranger ne baisse ses prix et limite ses marges. De quoi imaginer une production nationale nouvelle remplaçant des importations devenues trop coûteuses.

S’il n’existe plus de monnaie nationale, il faut trouver une autre solution lorsque l’on reste trop cher. Evidemment, la plus simple est celle de la « générosité » de l’étranger qui va accorder des crédits illimités au pays dans lequel tout est trop cher. C’est un peu le cas des USA qui comblent des déficits colossaux en captant l’épargne internationale… mais l’avantage des USA est que leur monnaie est en même temps la monnaie mondiale. En dehors du cas particulier américain, le crédit est dans doute avantageux pour le développement d’une finance qui trouve dans le déficit extérieur un marché, mais il ne peut être une solution durable pour tous les pays où « tout est trop cher ».

Dévaluation externe facile et dévaluation interne difficile

La solution qui s’impose progressivement est donc une dévaluation interne, c’est à dire une baisse généralisée des coûts de production pour tous les acteurs. Puisque la dévaluation externe devient impossible, il faut mener une politique de dévaluation interne. Notons que la disparition de la monnaie nationale retarde les douloureuses prises de décision. Par exemple à l’époque du Franc, il fallait réagir très vite sur les coûts pour éviter le déséquilibre extérieur et la chute du franc. Ce n’est plus le cas avec l’euro qui permet une politique beaucoup plus paresseuse : on peut se permettre un déficit extérieur plus ou moins indolore, car la valeur de la monnaie euro ne sera pas tout de suite affectée. D’où le slogan intellectuellement indigent : « l’euro nous protège ».

La dévaluation interne doit ou devrait se déployer concrètement de diverses manières : baisse des marges pour les entreprises qui tentent de maintenir une compétitivité de bricolage[1], baisse des salaires sous formes multiples (allongement du temps de travail, intensité plus grande du travail, baisse des charges sociales, privatisation des dépenses de santé ou des coûts de la vieillesse, etc.), baisse de la fiscalité, subventionnement des entreprises, etc.

La grande migration du déséquilibre extérieur vers l’abîme du déficit public.

Mécaniquement, le pays où « tout est trop cher » va voir son déficit extérieur se déplacer partiellement  vers un déficit budgétaire. Parce que les acteurs internes du jeu économique n’acceptent pas facilement la dévaluation interne et donc n’acceptent pas  de payer la facture du déficit extérieur, ils reportent ce dernier à la charge des finances publiques. De ce point de vue, la France constitue un modèle exemplaire de régulation par essaimage du déficit extérieur vers  un déficit public. Toutefois si le pays reste trop cher la situation ne pourra que s’aggraver et les politiques dites d’austérité s’approfondir. La baisse de rentabilité du capital invite davantage à la délocalisation et  moins  à des investissements de productivité et de modernisation faisant disparaître la réputation de « pays trop cher ». Les entreprises s’engourdissent dans la marée montante des subventions et nombreuses sont celles dont la présence ne se justifie plus. L’Etat se bat contre son déficit en appauvrissant l’ensemble de ses activités régaliennes, d’où sa réputation qu’il dépense trop et se trouve en même temps incapable d’assurer la bonne tenue des services publics : écoles, hôpitaux, armée, etc.

L’aggravation de la situation se matérialisera par un déficit budgétaire mobilisant une épargne gigantesque laquelle va assurer une redistribution à l’envers : les classes aisées, fiscalement protégées pour ne pas les inciter à quitter le territoire,  achètent une dette publique dont le coût -charges d’intérêts- se trouve reporté sur l’ensemble des agents[2]. L’Assurance-vie est un modèle de cette redistribution à l’envers.

Les français se débattent dans l’imbroglio du déficit public. Personne n’évoque les causes fondamentales de la réalité et les moyens qui en découlent pour sortir de l’impasse. Chacun constate l’effacement de ce qui faisait l’exception de la France et de son immense succès. Les institutions se délitent et les citoyens deviennent des individus naufragés se battant autour de bouées de sauvetage… remboursement des médicaments, revalorisation des retraites, taxe sur l’électricité... Le lieu du naufrage était et reste celui où se noue la balance extérieure et la foule paniquée se presse en grand désordre vers le navire Etat, déjà déséquilibré, pour le faire basculer.

Durant le naufrage l’ensemble du personnel politico-administratif poursuit ses pitreries devenues inaudibles.

 

 

 


[1] La marge brute d’autofinancement des entreprises françaises est passée depuis l’avènement de l’euro de 28% du CA à moins de 20% aujourd’hui.

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2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 18:29

Pour bien comprendre, Imaginons un pays où tout est trop cher par rapport au reste du monde : matières premières, coût du capital, coût du travail, etc. Logiquement ce pays – s’il reste totalement ouvert - doit connaître une attrition : diminution des exportations, augmentation des importations, faiblesse d’une production nationale concurrencée par les économies étrangères. Manifestement, cette situation caractérise le cas français : la production nationale est trop coûteuse pour exporter et les productions étrangères plus compétitives favorisent les importations. Champs abandonnés et friches industrielles se développent au profit d’entrepôts et de magasins de distribution abritant des marchandises étrangères. Ce que chacun peut constater.

On ne peut parler du prix sans connaître la valeur de la monnaie.

L’expression « tout est trop cher » n’a toutefois de sens que par rapport à un taux de change. Si le prix en devises étrangères des marchandises du pays en question devient très faible parce qu’une dévaluation massive est intervenue, sa compétitivité se trouve rétablie. Les exportations vont augmenter et symétriquement les importations vont diminuer tandis que la production nationale augmente. Concrètement l’exportateur -à prix inchangé au niveau de l’acheteur étranger- va recevoir plus de monnaie nationale et verra mécaniquement ses marges augmenter. A l’inverse, l’importateur national limitera le volume acheté devenu trop cher, à moins que l’exportateur étranger ne baisse ses prix et limite ses marges. De quoi imaginer une production nationale nouvelle remplaçant des importations devenues trop coûteuses.

S’il n’existe plus de monnaie nationale, il faut trouver une autre solution lorsque l’on reste trop cher. Evidemment, la plus simple est celle de la « générosité » de l’étranger qui va accorder des crédits illimités au pays dans lequel tout est trop cher. C’est un peu le cas des USA qui comblent des déficits colossaux en captant l’épargne internationale… mais l’avantage des USA est que leur monnaie est en même temps la monnaie mondiale. En dehors du cas particulier américain, le crédit est dans doute avantageux pour le développement d’une finance qui trouve dans le déficit extérieur un marché, mais il ne peut être une solution durable pour tous les pays où « tout est trop cher ».

Dévaluation externe facile et dévaluation interne difficile

La solution qui s’impose progressivement est donc une dévaluation interne, c’est à dire une baisse généralisée des coûts de production pour tous les acteurs. Puisque la dévaluation externe devient impossible, il faut mener une politique de dévaluation interne. Notons que la disparition de la monnaie nationale retarde les douloureuses prises de décision. Par exemple à l’époque du Franc, il fallait réagir très vite sur les coûts pour éviter le déséquilibre extérieur et la chute du franc, ce que rappelle souvent encore aujourd'hui Jacques de la Rozière. Ce n’est plus le cas avec l’euro qui permet une politique beaucoup plus paresseuse : on peut se permettre un déficit extérieur plus ou moins indolore, car la valeur de la monnaie euro ne sera pas tout de suite affectée. D’où le slogan intellectuellement indigent : « l’euro nous protège ».

La dévaluation interne doit ou devrait se déployer concrètement de diverses manières : baisse des marges pour les entreprises qui tentent de maintenir une compétitivité de bricolage[1], baisse des salaires sous formes multiples (allongement du temps de travail, intensité plus grande du travail, baisse des charges sociales, privatisation des dépenses de santé ou des coûts de la vieillesse, etc.), baisse de la fiscalité, subventionnement des entreprises, etc.

La grande migration du déséquilibre extérieur vers l’abîme du déficit public.

Mécaniquement, le pays où « tout est trop cher » va voir son déficit extérieur se déplacer partiellement  vers un déficit budgétaire. Parce que les acteurs internes du jeu économique n’acceptent pas facilement la dévaluation interne et donc n’acceptent pas  de payer la facture du déficit extérieur, ils reportent ce dernier à la charge des finances publiques. De ce point de vue, la France constitue un modèle de régulation par essaimage du déficit extérieur vers  un déficit public. Toutefois si le pays reste trop cher la situation ne pourra que s’aggraver et les politiques dites d’austérité s’approfondir. La baisse de rentabilité du capital invite davantage à la délocalisation et  moins  à des investissements de productivité et de modernisation faisant disparaître la réputation de « pays trop cher ». Les entreprises s’engourdissent dans la marée montante des subventions et nombreuses sont celles dont la présence ne se justifie plus. L’Etat se bat contre son déficit en appauvrissant l’ensemble de ses activités régaliennes, d’où se réputation qu’il dépense trop et se trouve en même temps incapable d’assurer la bonne tenue des services publics : écoles, hôpitaux, armée, etc.

L’aggravation de la situation se matérialisera par un déficit budgétaire mobilisant une épargne gigantesque laquelle va assurer une redistribution à l’envers : les classes aisées, fiscalement protégées pour ne pas les inciter à quitter le territoire,  achètent une dette publique dont le coût -charges d’intérêts- se trouve reporté sur l’ensemble des agents[2]. L’Assurance-vie est un modèle de cette redistribution à l’envers.

Les français se débattent dans l’imbroglio du déficit public. Personne n’évoque les causes fondamentales de la réalité et les moyens qui en découlent pour sortir de l’impasse. Chacun constate l’effacement de ce qui faisait l’exception de la France et de son immense succès. Les institutions se délitent et les citoyens deviennent des individus naufragés se battant autour de bouées de sauvetage… remboursement des médicaments, revalorisation des retraites, taxe sur l’électricité... Le lieu du naufrage était et reste celui où se noue la balance extérieure et la foule paniquée se presse en grand désordre vers le navire Etat, déjà déséquilibré, pour le faire basculer.

Durant le naufrage l’ensemble du personnel politico-administratif poursuivra ses pitreries devenues inaudibles.


[1] La marge brute d’autofinancement des entreprises françaises est passée depuis l’avènement de l’euro de 28% du CA à moins de 20% aujourd’hui.

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20 novembre 2024 3 20 /11 /novembre /2024 08:17

Nous publions ci-dessous une interview de Marcel Gauchet réalisée par l'équipe du site lescrises.fr. L'entretien consiste en la présentation commentée du dernier livre de l'auteur "Le noeud démocratique, Aux origines de la crise néolibérale". Cet ouvrage est un peu la synthèse de toute l'oeuvre de Marchel Gauchet. 

L'apport essentiel de la conversation nous parait être la grande question du "faire société", question régulièrement posée à partir des nombreuses analyses plus ou moins économiques que l'on trouve dans notre blog. Depuis des dizaines de milliers d'années,, les humains ont généré spontanément les moyens de "tenir ensemble". Ce fut d'abord les Dieux. Ce fut ensuite beaucoup plus récemment l'ordre hiérarchique généré par l'Etat. Ce que nous appelons la question du "Big bang" des Etats dans le blog. Marcel Gauchet pense que la mise en cause fondamentale de la hiérarchie et la radicalisation de l'idée de liberté ont fait disparaître les ingrédients qui faisaient que "l'atome" (l'individu) restait élément d'une 'molécule' plus ou moins grande (la société). Une disparition engendrant  la crise de l'ordre démocratique.

Longtemps, les économistes ont considéré que la liberté de l'atome engendrait un ordre de marché lui-même porteur d'un intérêt général : "l'atome libre" fabrique la stabilité  moléculaire. Ce n'est manifestement plus le cas aujourd'hui. 

Marcel Gauchet est très souvent critiqué par nombre de spécialistes des sciences humaines en particulier les sociologues et politistes. Nous pensons au contraire qu'il est un grand penseur de notre temps.  Il  a su, à partir de mots simples, produire avec beaucoup d'humilité un modèle de représentation du monde dépassant largement les interprétations de ses critiques.

Le livre n'a été publié qu'en Octobre dernier et fournit les bases d'une interrogation nouvelle : Comment interpréter ce qui est en train de se passer, à savoir  l'ascension d'un nationalisme étroit, associé à un ultra libéralisme échevelé, encouragé par la numérisation ? 

Si l'on s'en tient aux enseignements de Marcel Gauchet, nous sommes passés d'un monde de l'économie enkystée dans un ordre hiérarchique ( l'Etat-Nation) à un monde de totale liberté des marchés (mondialisation), monde  tuant l'ordre hiérarchique de l'Etat-Nation. D'où l'évolution de l'identité de ce qu'on appelle l'entreprise : entité articulée à un Etat-Nation, puis entreprise  multinationale, puis entreprise globale. Le phénomène curieux que l'on constate avec la vague Trumpiste est l'articulation d'un Etat-Nation réarmé avec l'entreprise globale qui en est la négation. La vague Trumpiste est-elle susceptible d'inventer une nouvelle façon du "tenir ensemble"?

Bonne écoute et bonne réflexion.

PS: nous tenterons prochainement de lire les évènements présents à partir de la grille de lecture proposée par Marcel Gauchet. A ce titre nous recommandons au delà de la vidéo de lire de façon attentive l'ouvrage. 

 

 

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15 novembre 2024 5 15 /11 /novembre /2024 09:14

 A propos d'une France qui sera bloquée dans sa volonté de dire non au Mercosur, nous republions un texte écrit l'an dernier ( 25 février) dans le cadre du drame agricole. Bonne relecture.

La présente note tente de proposer une grille de lecture intelligible de la multitude des faits qui accablent le monde agricole.

Depuis la nuit des temps, l’agriculture est une activité nécessaire à la conservation/reconstitution de la vie. Dans le monde moderne, point n’est besoin d’être économiste pour se rendre compte que cette conservation de la vie se déroule en dépensant tout ou partie de ce qu’on appelle un salaire dans ce qui est devenu la grande distribution, elle-même ravitaillée pour partie par le monde agricole. Plus les prix des produits de l’agriculture sont élevés et plus le coût de la vie est élevé et inversement plus les prix des produits agricoles sont bas et plus le coût de la vie est faible.

Logiquement,  si l’agriculture développe des gains de productivité, ce coût de la vie doit baisser. C’est ce que la France a bien connu au cours du siècle précédent avec une modernisation spectaculaire de son agriculture. Le prix des produits agricoles baissant ou augmentant plus faiblement que les salaires, il devait en résulter ce que simplement on appelle une hausse des niveaux de vie et l’avènement de l’immense classe moyenne qui devait caractériser la seconde partie du vingtième siècle.

Marx et les « biens salaires»… produits par les agriculteurs

Marx, très grand interprète des règles du jeu du capitalisme parlait de partage de la « plus-value relative » impulsée par la productivité. Dans son langage, si les biens de consommation – ce qu’il appelle les « biens salaires » - achetés avec les revenus distribués par les capitalistes voient leur valeur diminuer en raison de gains de productivité dans l’activité agricole, il doit en résulter logiquement une diminution des salaires, baisse résultant elle-même de la baisse du coût de la vie. Concrètement et simplement, si une vie de salarié est reproduite journellement par un kilogramme de pain et que le prix du pain diminue de moitié en conséquence d’un doublement des rendements agricoles, le coût de la vie est également divisé par 2 et donc le salaire peut lui-même être divisé par 2. Dans cette circonstance, les capitalistes récupèrent la totalité des gains de productivité, ce que Marx appelait la « plus-value relative », celle dépendant des gains de productivité donc de la « dévalorisation » des « biens salaires ». Si maintenant les salariés réussissent à maintenir le niveau de salaire, ces mêmes salariés empochent les gains de productivité. Dans un tel contexte, la lutte des classes au sens de Marx est aussi un combat autour du partage des gains de productivité. Bien sûr, Marx emploie un langage beaucoup plus sophistiqué pour les besoins de ses démonstrations, mais il nous faut reconnaître qu’il fût le grand théoricien de ce que lui-même appelait « l’embourgeoisement de la classe ouvrière », phénomène imaginé avec près d’un siècle d’avance sur la réalité. Un phénomène qui va progressivement se transformer et dont la configuration actuelle est elle-même appelée à se transformer.

Les transformations historiques de la  « plus-value relative ».

1 – Historiquement, il y a eu effectivement partage des gains de productivité et il en est résulté une première approche dans l’édification d’une immense classe moyenne. Globalement, les budgets consacrés à l’alimentation - ceux consacrés à l’achat de marchandises agricoles- vont régulièrement diminuer (13% aujourd’hui contre plus de 50% en 1950). En contre partie, ils vont laisser la place à de nouveaux biens, lesquels vont socialement devenir de nouveaux « biens salaires » au sens de Marx : logement, équipement ménager, téléphone, etc. Ces mêmes biens vont logiquement eux-mêmes bénéficier de gains de productivité à partager entre capitalistes et salariés.

2 - Les salariés pouvant désormais arbitrer entre divers « biens salaires » vont devenir de plus en plus exigeants et vont s’intéresser aux prix de ces premiers « biens salaires » que sont les produits de l’agriculture. Ils seront en cela aidés par la grande distribution qui fera pression pour une accélération des gains de productivité. Les agriculteurs doivent être compétitifs comme tous les acteurs de la vie économique. Déjà, des relations asymétriques entre entreprises agricoles nombreuses et grande distribution ou firmes agroalimentaires oligopolistiques vont se nouer. La pression sur les prix imposera une accélération de la modernisation de l’agriculture.

3 - La mondialisation permettra une accélération massive de la construction d’une « plus-value relative » d’un nouveau type. D’abord les entreprises pourront travailler dans des zones où la « valeur de la force de travail » est plus faible (le coût de la vie est plus faible en Asie, en Afrique, etc.). Si les biens fabriqués dans ces zones sont aussi des « biens salaires », il pourra en résulter une baisse de la valeur de la force de travail en Occident : les biens en question permettront de diminuer davantage le coût de la vie et la grande distribution et les firmes agroalimentaires s’y emploieront. De quoi comprendre les armadas d’acheteurs en route vers l’Asie…De quoi comprendre ce que naguère on appelait le grand accord entre WalMart et le parti communiste chinois…. Ce n’est plus WalMart et ses fournisseurs américains qui reproduiront la force de travail américaine mais des entreprises chinoises sur le sol chinois.

4 - Cette baisse de la valeur de la force de travail ne pourra plus nourrir aussi facilement que par le passé le partage des gains de productivité. C’est que la désindustrialisation fragilise la condition salariale et engendre un chômage qui pourra être plus ou moins masqué par le maintien d’un Etat-Providence qui lui aussi se trouve être le support d’une partie du coût de la vie. Ce qu’on appelle économie sociale se développe sans gains de productivité et le coût de la vie ne peut diminuer que par des importations massives en provenance du sud. Ce qui se met en place est la possible naissance de vastes zones de l’ex -Tiers monde chargées de la reproduction de la force de travail de l’Occident et, en particulier de la France qui se désindustrialise plus rapidement qu’ailleurs. En contrepartie de vastes zones de l’Occident et en particulier de la France deviennent des espaces où un revenu se dépense sans y avoir été produit. C’est par exemple le cas des espaces privilégiés occupés par des retraités ou inactifs dans le sud de la France… Des incohérences de territoires qui vont se multiplier…

5 - Les usines fabriquant les « biens salaires » disparaissent et se reconstruisent à la périphérie de l’Occident. Dans ce dernier monde et tout particulièrement en France, nous n’aurons plus que des entreprises de logistiques (les bien salaires produits à la périphérie doivent être distribués et nourrir le centre). Ainsi les entrepôts « Amazon » peuvent se développer sur les friches industrielles. A ces entreprises il faudra encore ajouter les entreprises agricoles jusqu’ici non délocalisées qui tenteront - fouettées par la grande distribution et les firmes agroalimentaires- d’apporter leur contribution à la baisse du coût de la vie. Le dernier ajout qui permettra de photographier le nouveau paysage est bien évidemment le maintien d’un Etat social très endetté. Bien évidemment tout ce qui n’est pas « biens salaires » peut encore subsister, notamment les industries de biens d’équipement, les industries de l’armement et toutes celles très nombreuses encore qui, techniquement, s’articulent à ces dernières.

6 - Mais la mondialisation est exigeante en termes de libéralisation des échanges et les traités de libre échange ne peuvent que se multiplier (plus de 40 par la seule UE) pour offrir des débouchés aux entreprises, soit celles restées dans le centre, soit celles déjà délocalisées et qui souhaitent voir croître leur part de marché dans le monde. L’UE est l’archétype de ce modèle et invente la concurrence libre et non faussée. Jusqu’ici l’agriculture n’était pas encore délocalisable comme l’était le capital industriel. Le facteur de production terre/environnement devait rester attaché à son antique espace national. Parce que les traités de libre échange se doivent être globaux et concernent toutes les marchandises, l’agriculture ne peut en être exclue. Cette dernière devra donc se soumettre et accepter que le coût de la vie au centre soit de plus en plus assuré par des firmes agricoles lointaines. La poursuite de l’éventuelle  baisse du coût de la vie doit se payer par une masse toujours croissante de biens salaires importée. Et le renard est entré dans le poulailler car les agricultures du centre se font concurrence et utilisent les outils de l’UE pour s’entredévorer : l’agriculture française est mangée par l’Espagnole ou celle de la Pologne, etc. Ce qui entretient le processus de dévalorisation de la force de travail. Il y a beaucoup plus que des chaussures, vêtements, jouets, appareils électroménagers, etc. qui doivent être importés. Il y a désormais à importer tous les produits agricoles qui étaient historiquement les premiers « biens salaires » : fruits, légumes, viandes, poisson, produits laitiers, etc. De quoi comprendre les débats souvent superficiels et probablement inutiles que l'on va enregistrer dans les grands médias: comment justifier si peu de produits locaux dans les grandes surfaces? Pouquoi ne pas aider les pratiques respecteuses de l' environnement? Comment freiner la course à la compétitivité? etc... Sans réflexion sérieuse on laisse la place aux bavards.... 

7 - Aujourd’hui, nous sommes, avec les questions liées au climat et à l’environnement, arrivés au bout de la grande aventure consistant à faire produire à l’étranger la quasi-totalité des « biens salaires » consommés par les vieux Etats-Nations au premier desquels on trouve la France dont on vantait naguère l’excellence agricole. Non seulement l’agriculture européenne se doit d’être asservie par les règles du jeu du capitalisme mondialisé, mais elle est menacée de disparition par les règles concernant la protection du climat et de l’environnement. La course aux gains de productivité est certes désormais bloquée par la foule des règlements et normes concernant les intrants de la production, mais surtout par l’imposition d’un recul des surfaces autorisées à la culture ou l’élevage. Jadis le capital industriel délocalisé laissait à l’état d’abandon des friches industrielles. Aujourd’hui l’agriculture en délocalisation va laisser des jachères. Il ne restera plus que les traces des lieux où naguère la conservation/ reconstitution de la vie se déroulait.

8 - Ce grand mouvement est aussi la fin des classes moyennes protégées par le  capitalisme autocentré et efficient de la fin du vingtième siècle. Les « biens salaires » agricoles ou industriels majoritairement issus de la périphérie continuent de se dévaloriser au rythme des innovations et de la productivité. La concurrence en fait gonfler la quantité et la perte de valeur est surcompensée par des besoins artificiellement créés. La société de consommation devient hégémonique au sein de territoires où des revenus jamais produits et chargés de dettes sont « magiquement » dépensés. Il en résulte une disparition de la plus-value relative tandis que l’Etat social resté exigeant n’est plus finançable que par de la dette publique.

9 - Bien évidemment, ce grand mouvement aux conséquences géopolitiques majeures doit être arrêté et cela confirme bien les conclusions de nos précédents articles. Il sera toutefois très difficile de protéger l’agriculture. S’agissant de l’UE telle qu’elle est, on ne voit pas comment il serait possible de ne plus inclure l’agriculture dans les grands traités de libre-échange. Les avantages compétitifs de la périphérie de l’Occident sont bien évidemment concentrés dans  une agriculture où les taux de salaire et les normes sont très avantageux. Et c’est ainsi qu’au nom de la rationalité économique, l’Occident continuera probablement de confier la gestion du coût de la reproduction de sa force de travail dans les espaces que naguère il avait colonisé : Un libre échange où la baisse de la valeur de la force de travail continuera  d’être l’objectif probablement inconscient de ses promoteurs. Pourquoi, continuera t-on de proclamer, renoncerait-on à faire bénéficier le consommateur de prix à l’importation avantageux ? Pour la France, le prix de cette rationalité stupidement économiciste sera plus élevé qu’ailleurs en raison de l’abandon complet de ce qui faisait une partie de son excellence.

10 - N’allons pas plus loin et laissons le lecteur se reporter à nos articles[1] des 1/1/2024 et 12/1/2024.  Toute politique économique sérieuse doit se pencher sur la construction d’un équilibre des comptes extérieurs. Et cela passe par ce qu’on appelait la « colonne vertébrale » de la reconstruction. Bonne relecture de ces deux articles.

Jean Claude Werrebrouck

 

 

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12 novembre 2024 2 12 /11 /novembre /2024 08:32

Nous publions ci-dessous une vidéo consacrée à un entretien avec l'essayiste  David Baverez. Au delà des critiques de formes et probablement des remarques inappropriées de la part de l'organisatrice  de l'entretien, il nous faut retenir les idées originales suivantes:

- La volonté américaine de dominer la nouvelle révolution industrielle (IA+semi-conducteurs+ quantique) se matérialise par des investissements gigantesques et probablement irrattrapables par le reste du monde.

- La valorisation financière du secteur de la nouvelle révolution industrielle  américaine  représente plus que les  PIB additionnés de la France et de  l'Allemagne . Les moyens financiers accordés à ladite industrie mobilisent une épargne planétaire assurant un dollar élevé et une confiance dans un déficit public américain durablement colossal. La confiance dans la dette publique américaine s'enracine aussi  dans la nouvelle révolution industrielle.  Les gains de productivité de demain seront beaucoup plus élevés  aux USA que dans le reste du monde. Situation durable et facilement mesurable au vu des entreprises déposantes de brevets de recherche: entre 2005 et 2023 le décrochage de l'UE par rapport aux USA est spectculaire. La vidéo n'aborde pas cette question mais on sait aujourd'hui que les principales entreprises déposntes aux USA relèvent toutes du numérique et que celles de l'UE sont en dehors de ce champ dactivité. 

Voilà pour les USA.

- La Chine maintiendra sa spécialisation dans les industries classiques en restant leader  de la  modernisation  :  électricité entièrement renouvelable par couplage de l'éolien, du solaire et des batteries, automobile électrique, Machines,Chimie et pharmacies ancrées sur des coûts énergétiques très faibles. 

- La Chine  connaîtra beaucoup de difficultés à gérer son déclin démographique et sa situation de pays à revenus intermédiaires l'empêchera de passer aisément aux économies de services. La difficulté est renforcée par le couplage naturel des services et d'une démocratie refusée. 

- La crise immobilière chinoise engendre une longue déflation avec blocage de la consommation  et probable récession rendue invisible par des statistiques de croissance manipulées. 

- La démocratie refusée en Chine se paie par la rupture entre capital privé et parti communiste, par le recul de l'investissement privé, par le maintien de subventions autorisant et oxygénant encore une industrie classique devenue trop importante. La crise de surproduction est probablement durable..

Voilà pour la Chine.

- La Chine tentera de faire payer sa déflation, non pas  à une Amérique qui se protège mais à l'Union Européenne. Ses surplus subventionnés devraient se déverser sur tous les pays européens. Une façon de sauver ce qui reste d'industries en Europe passe par le rétablissement des frontières avec la Chine et la taxation de toutes les importations.  La question du Carbone entre la Chine et l'Europe peut devenir centrale.

- En attendant, les forces centripêtes jouant en Europe seront difficilement contenues. Pour des raisons de calendrier l'entretien n'évoque pas centralement la question des droits de douanes européens sur les voitures électriques chinoises. Depuis, l'Allemagne a voté contre les droits et s'est trouvée remerciée par un déplacement de projet (usine Stellantis/Leapmotor) depuis la Pologne (qui a voté pour les droits) vers l'Allemagne. Beau geste de docilité,de la part du secteur privé,chinois, et pied de nez de la part d'une Allemagne qui se comporte en passager clandestin de l'UE.

Il y a sans doute beaucoup de points à éclaircir, voire des erreurs dans cet entretien. En particulier la coupure privé/public en Chine nous semble exagérée. Le capital privé cherche effectivement à échapper au totalitarisme en rusant sur des implantations nouvelles censées contourner la rupture aves les USA. Toutefois il reste complètement tenu par le contrôle des changes et obéira scrupuleusement aux injonctions du pouvoir. Ce qu'il vient de faire en remerciant l'amabilité  de l'Allemagne  dans l'affaire des droits de doaunes. Le capital privé chinois obéira à son marionnetiste public et  cherchera à développer les conflits à l'intérieur de l'UE. On notera aussi le relatif oubli des pays du sud qui seront handicapés par une épargne mondiale se dirigeant vers les USA et les,avantages,disparus d'un taux de salaire bas devenus largment inutile face aux aux installations industrielles imprégnées de robotique. L'industrialisation du sud ne sera pas aisée.

Nous recommandons toutefois une écoute qui permet aussi de voir le conflit en Ukraine sous un angle nouveau.  

Bonne réflexion. 

                                                                 Jean Claude Werrebrouck

 

 

 

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8 novembre 2024 5 08 /11 /novembre /2024 15:26

 Nous reproduisons ci-dessous un article publié le 7 mars dernier sur le blog. Au regard de l'élection américaine Il n'a pas perdu de son actualité. Bonne lecture.

La présente note n’aborde que la question de la réalisation matérielle d’une économie de guerre et laisse de côté les questions et décisions géopolitiques qui y mèneraient. Plus précisément encore,  elle s’intéresse strictement à la question du financement.

D’abord un peu d’histoire.

1 - On sait aujourd’hui que la monnaie métallique s’est progressivement imposée lors de la constitution des Etats premiers voici plusieurs milliers d’années. La monnaie est choisie par le pouvoir en formation et se trouve être moyen de paiement des services de guerriers et en même temps, moyen de règlement des premières ponctions fiscales sur les « sujets » du pouvoir, sujets qui deviennent des « endettés ». Ce choix se fait compte tenu des choix des autres Etats en formation. L’or monétaire -  fait politique naissant au terme d’un processus d’essais et d’erreurs-  est historiquement apparu comme moyen ultime de la liquidité et de règlement des dettes.

2 - Quelques milliers d’années plus tard, lors de la première guerre mondiale, le même phénomène va se reproduire non plus avec du métal mais avec du papier. Tout d’abord il faudra faire disparaître le métal en déclarant l’inconvertibilité des billets et donc le cours forcé. Cela sera fait en France dès le lendemain de la déclaration de guerre par la loi du 5 août 1914 qui va introduire le cours forcé des billets et la faculté d’émission de monnaie par la Banque de France, laquelle connait un quasi doublement (passage de 6,8 à 12 milliards de francs). La différence avec la situation créée par la naissance des premiers Etats est de taille : ces derniers furent prisonniers de la rareté de métal (les mines d’or sont naturellement limitées) alors que les Etats désormais solidement implantés peuvent – sans doute après beaucoup d’erreurs au cours des siècles précédents - se permettre une émission potentiellement illimitée de monnaie. A la création de l’illimitation monétaire pourra correspondre un projet d’illimitation de l’industrie et potentiellement illimitation de la guerre elle-même.

 Concrètement dès le mois de septembre 1914, il faudra mobiliser les épouses des soldats et les inviter à produire du matériel de guerre, dans des usines reconverties, et ce au service du front. Le matériel de guerre produit n’est pas une marchandise et se trouve payé par un Etat disposant de moyens monétaires illimités. Economiquement, l’offre globale diminue (les usines fabriquent moins de biens marchands) tandis que la demande globale ne faiblit pas : les revenus, notamment ceux des femmes travaillant dans les usines affectées à la guerre, sont toujours dépensés. Il en résulte logiquement une inflation que l’on essaiera, difficilement, de limiter avec des prélèvements sous forme d’emprunts, notamment emprunts perpétuels assortis de taux d’intérêt incapables de compenser la hausse des prix.

3 -  Aujourd’hui nous sommes dans une situation assez proche de celle des premiers Etats dont les efforts de guerre étaient aussi limités par la rareté du métal précieux. On ne peut passer concrètement à une économie de guerre car nous restons convaincus que nous n’en avons pas les moyens. De ce point de vue les hésitations  du Président de la République française face aux achats sur étagères de stocks d’obus répartis chez des Etats potentiellement vendeurs est intéressant : on est prêt à faire la guerre mais l’argent manque.

La Russie peut encore penser qu’elle est moins limitée en raison de sa maîtrise de  l’équivalent des mines d’or des premiers Etats , à savoir ses immenses ressources minières. Son passage en économie de guerre peut donc comme en 1914 en France correspondre à une diminution de l’offre globale. Mais  le marché national peut encore se nourrir, au moins partiellement,  d’une offre étrangère correspondant à une importation (augmentation de 20% des importations entre 2019 et 2023). D’où probablement une inflation plus faible que celle de 1914/1918 en France.  Avec toutefois des limites : la Russie peut-elle accumuler des roupies indiennes illiquides contre du pétrole ?

Illimitation monétaire pour une Europe en guerre ?

Tel n’est pas le cas pour une Europe sans véritable budget central, ses composantes, et en particulier la France, qui en raison de son arrangement institutionnel ne peut se permettre de retrouver la disponibilité illimitée de moyens monétaires pour produire du matériel militaire. Les budgets publics sont déjà très déséquilibrés et il est institutionnellement impossible de ne point en tenir compte. L’euro reste la muselière commune des Etats et la France - prête selon son président à se mobiliser bien davantage-  risque de voir sa note dégradée si son déficit public devait encore s’accroître pour actionner les usines de guerre. Et il est vrai que son déficit budgétaire exprimé en pourcentage du PIB  risque en 2024 d’être de loin le plus élevé de toute l’Union européenne. Encore grand pays sur le plan militaire, son talon d’Achille reste une finance extraordinairement dégradée.

Fort de ces considérations, quelles sont les stratégies possibles pour construire - face à l’éloignement américain et si telle était la volonté européenne -  une économie de guerre propre à contenir la poussée militaire russe ?

1 -  La première est celle suggérée précédemment, chaque pays tentant de se convertir en économie de guerre. Au-delà d’un accord de coopération très difficile à tenir, nous risquons des disparités gigantesques entre Etats, et seule l’Allemagne, en raison de sa situation toujours très excédentaire, pourrait se risquer à passer en économie de guerre avec un financement très élevé d’entreprises en reconversion vers la fabrication de matériel militaire. Les Etats financièrement très affaissés seraient bien incapables d’alourdir le poids de la dette. Un tel schéma entrainerait d’autres difficultés puisque les facilités de l’achat de matériel américain l’emporteraient sur les coûts de mise en place de la reconversion et de la mobilisation d’un personnel trop rare ( aujourd’hui 68% des achats européens se font déjà au profit d’entreprises d’armement américain). Au-delà l’Allemagne, jusqu’ici très tournée vers la Russie, apparaitrait comme la grande coupable d’un éventuel « containment »  de l’aventure russe.

2 -  La seconde serait  celle de se concentrer sur un achat commun de matériel américain sur la base d’un emprunt européen. Les capacités techniques en la matière sont considérables et permettraient de mobiliser d’énormes moyens militaires. Compte tenu de ce qui reste d’excédents de l’Union Européenne, il serait  encore possible d’emprunter plusieurs milliers de milliards d’euros, permettant de financer annuellement de l’ordre de 300 milliards d’euros de matériel de guerre supplémentaire. Compte tenu des dépenses militaires additionnées des divers pays de l’UE ( plus de 300 milliards d’euros) cela signifierait que le total des dépenses militaires européennes (300 +300= 600) commencerait à se rapprocher de celui des USA ( 886 milliards de dollars).  Cela signifie par conséquent un alignement, à terme, de moyens matériels sur le front ukrainien devant - compte tenu de la supériorité technologique du matériel occidental - faire réfléchir les autorités russes devenues incapables de contenir la puissance occidentale (Les dépenses annuelles deviendraient 5 fois supérieures à celle de la Russie).

Cette solution n’est toutefois pas facilement envisageable et un problème de remboursement de l’emprunt se pose. Si la règle de répartition des charges est celle des PIB, cela signifierait que le poids du service de la dette reposerait essentiellement sur l’Allemagne (probablement plus de 25% du total du service de la dette). De quoi reposer la question de l’Euro, celui des « pays sérieux », sanctionnés, et du « club med » avantagés. De quoi revenir aux années 2010. De quoi, au regard de l’ennemi, mettre en avant une Allemagne devenue ultime responsable d’un éventuel échec russe.

3 -  La troisième, qui ne serait qu’une variation de la seconde consisterait à ne pas glaner le matériel sur les étagères américaines et à se concentrer sur une authentique reconversion des usines européennes. Là encore le choix n’est pas simple et le déséquilibre entre la France et l’Allemagne serait mal vécu : pourquoi l’Allemagne ferait davantage survivre l’économie de guerre française et inversement, pourquoi la France serait moins généreuse vis-à-vis de l’économie de guerre allemande ? De quoi réanimer les vieilles querelles sur les chars, les sous-marins,  et les avions. Ajoutons que le NATO financé à 75% par les USA risquerait lui-aussi de poser quelque problème.

4 -  La quatrième solution serait celle de se débarrasser de l’arrangement institutionnel européen, à savoir mette l’euro hors du circuit de l’économie de guerre et mettre en place une monnaie numérique de banque centrale. Chaque pays serait libre d’imposer à la BCE l’émission monétaire le concernant au titre de sa propre mise en place de son économie de guerre. De quoi retrouver l’illimitation monétaire de 1914. De quoi aussi retrouver le circuit classique du Trésor puisqu’au final la totalité de la monnaie digitale se retrouve au bilan de la banque centrale. Le bilan de la banque centrale se trouve alourdi des dépenses au titre du passage à l’économie de guerre consenti par chaque pays. Bien évidemment, des déséquilibres vont se manifester entre offre globale et demande globale pour chaque pays. Plus un pays se lance dans son économie de guerre et plus le risque inflationniste est élevé. En effet, concrètement des revenus importants seront distribués si les journées de travail s’allongent, si un système de 3X8 se met en place, si des tensions se manifestent sur les intrants, etc. Sans compter, tous les effets de redistribution entre toutes les branches d’activité, effets provoqués par l’impact inflationniste. Le passage à une économie de guerre est donc nécessairement coûteux comme il l’était durant le premier conflit mondial.

Un tel système n’est évidemment pas sans inconvénient car il peut donner lieu à des comportements de passager clandestin et inviter les pays à distraire leur monnaie digitale allouée par la banque centrale vers d’autres objectifs en contravention avec, par exemple, les règles du marché unique. De ce point de vue, l’avantage de la monnaie digitale est sa traçabilité et donc la facilité du contrôle du respect des règles du jeu.

Une autre difficulté est évidemment celle des importations d’intrants voire de matériels complets. Soit les entreprises étrangères acceptent un compte en monnaie digitale, soit il faut  accepter la conversion en devises.

Il existe peut-être d’autres stratégies que celles susvisées. Toutefois il nous semble qu’au vu des contraintes d’un euro devenu, hélas, intouchable en raison du climat géopolitique présent, la stratégie de l’adoption d’une monnaie digitale de banque centrale domine les 3 autres.

Finalement, dans le brouillard géopolitique actuel, notons l’apparition d’une certaine ruse de la raison. C’est l’euro qui empêche la construction d’une économie de guerre, mais en même temps c’est ce même euro qui introduirait potentiellement son propre dépassement : la monnaie digitale de banque centrale, une monnaie tant vantée par les dirigeants de la BCE, risquerait  d’introduire à terme le temps de l’après euro.

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6 novembre 2024 3 06 /11 /novembre /2024 10:25

 

Peu de personnes connaissent, encore aujourd’hui, la nature de la monnaie et  encore moins les mécanismes de sa création. Les manuels d’économie expliquent sans doute que les crédits font les dépôts et qu’à ce titre les banques sont les grandes responsables de l’engendrement de la masse monétaire, mais en général ils ne vont guère plus loin. On pourrait pourtant se poser plus fondamentalement la question de la cause et de ses effets. Ainsi est-ce l’échange qui donne naissance au besoin de monnaie ou bien est-ce le besoin de monnaie qui crée l’échange ? Plus clairement est-ce la société marchande qui a engendré la forme monétaire ou est-ce la forme monétaire qui a engendré la société marchande ? De la même façon qu’on ne peut comprendre le monde physique qu’en identifiant clairement la chaîne de ses causes, on ne peut comprendre le monde humain, même celui d’aujourd’hui, sans en connaître son parcours depuis sa naissance. Et quand nous disons :  parcours, il ne s’agit pas de son histoire, mais de  sa logique de fonctionnement.

Un big bang monétaire éloigné de la circulation marchande[1].

Pendant un très grand nombre de dizaines de milliers d’années, l’ordre humain a reposé sur un fondement extra-humain qu’on ne peut qualifier d’ordre politique. Les grands défis de la vie : manger, se reproduire et se coordonner dépendaient d’un extérieur invisible, une structuration religieuse faisant de la vie une dette envers cet extérieur. L’ordre humain est devenu politique lorsque cet extérieur fut de plus en plus monopolisé par des humains devenant des relais intérieurs de l’extérieur. Cette politisation de l’ordre humain s’est déroulée, ici et là, il y a quelque 5000 ans, soit très récemment dans l’histoire de l’humanité. La dette de vie devient une dette entre les humains eux-mêmes et devient ce que l’on appellera un impôt. Dans ce contexte, le pouvoir qui devient un pouvoir humain choisit la forme du règlement de la dette de ceux qui deviennent des sujets. Cette forme sera le plus souvent du métal précieux apparaissant du point de vue du pouvoir comme la ressource politique la plus liquide, mais aussi la plus stockable, celle qui garantit sa domination. On comprend ainsi que ce qu’on appellera plus tard la monnaie ne s’identifie pas comme instrument de facilitation des échanges marchands à l’intérieur d’un monde qui devient économique. Ce qu’on appellera monnaie n’est qu’un simple instrument de domination politique, d’où les grandes batailles pour contrôler les mines de métal. La nature cachée de ce qui deviendra monnaie est ainsi rigide et complétement verticale.

Si le modèle de coordination des sujets reste sous l’emprise du vertical, les choses peuvent ne pas changer pendant des millénaires : le pouvoir contrôle le métal précieux, l’utilise en paiements des services que certains lui procurent ou exigent de lui et en voit le retour par la pression fiscale. Soit un cercle dont on voit un sommet moteur et une base induite. Toutefois les choses peuvent changer et se déformer.

La monnaie de la « société en forme de poire » et celle de la « société en forme de crêpe ».

Si maintenant la base prend de l’épaisseur et que des relations simplement contractuelles se développent, le cercle se déforme et des relations horizontales s’élargissent. On voit ainsi apparaître des échanges utilisant l’instrument politique monnaie, un instrument qui devient outil de l’échange marchand et instrument circulant  horizontalement dans l’espace correspondant. L’instrument politique de la verticalité devient instrument économique de l’horizontalité. Verticalité politique et horizontalité marchande utilisent le même outil. L’ordonnancement général de la société prend la forme d’une « poire » avec une monnaie politique verticale et une monnaie économique horizontale. Bien sûr, il s’agit de la même substance, le métal précieux en tant qu’objet le plus liquide et le plus stockable qui soit.

Sur plusieurs milliers d’années, la base de la poire va s’élargir car des mécanismes, non étudiés dans cette note, feront que l’existence collective passera moins par des principes transcendantaux et vont connaître une métamorphose progressive   accouchant au final de ce qui sera la nouvelle base fonctionnelle de la modernité, c’est-à-dire la liberté. Le résultat historiquement constaté est que l’extériorité qui structurait le monde des humains disparait et laisse émerger aujourd’hui - près de 5000 ans plus tard- un monde décomposé en « atomes de droits de l’homme », atomes appelés à se recomposer sur la base de la liberté contractuelle. Le résultat final est bien évidemment une société où le monde marchand est hégémonique. Les marchés s’étendent sans limite de profondeur, sans limite spatiale et sans limite temporelle. C’est dire en conséquence que la monnaie va tenir une place fondamentale, qu’elle cessera largement d’être regardée comme objet politique et que sa dimension économique sera hégémonique. Beaucoup plus récemment encore, l’euro apparaîtra comme instrument de disparition complète de la verticalité au profit de l’horizontalité : la forme de la société devient de plus en plus celle d’une crêpe. Non pas un disque qui suppose un centre spécifique mais une forme plate homogène et sans centre particulier.

Le faux combat entre les politiques et les marchands.

Bien avant l’euro, la monnaie est ainsi devenue instrument de circulation des marchandises, un instrument qui, lui-même, va se noyer dans la marchandise et devenir marchandise lui-même. Cet ancien outil du pouvoir va devenir outil d’une nouvelle profession, celle des marchands de monnaie. La verticalité politique est ainsi progressivement minée par l’horizontalité marchande : la verticalité se fracasse sur l’horizontalité. Une destruction qui sera progressive avec de nombreuses tentatives de résistance. Le politique devenu endetté - souvent pour des motifs de guerre - laissera se construire la toile des banques qui vont devenir créatrices de monnaies en utilisant de plus en plus sa forme simplement fiduciaire. La réaction du politique sera de construire lui-même des banques auxquelles seront accordées un monopole d’émission fiduciaire : les banques centrales naissent. Situation semblable à celle d’aujourd’hui où à priori les banques centrales veulent concurrencer les monnaies numériques privées en se réservant le droit de créer une monnaie digitale dite de banque centrale. Plus tard, les monnaies fiduciaires deviendront un monopole d’Etat et l’inconvertibilité des billets en métal sera au bout du chemin.

Le retour à la « société en forme de poire » ne sera pas durable et vers les années 1980, les banques centrales seront invitées à ne plus produire au profit des Etats et entreront au service de la seule horizontalité marchande : les banques centrales deviennent indépendantes. Désormais « la société en forme de crêpe » est garantie par les traités européens.

Il existe toutefois encore l’apparence d’un centre et la crêpe est encore un disque car il faut bien assurer la convertibilité de la monnaie bancaire hétérogène soumise aux risques de faillites de banques qui peuvent être victimes de fuites de monnaie vers d’autres banques plus réputées. D’où le rôle de régulation monétaire assuré par les banques centrales. L’apparition des nouvelles formes de monnaie complètement privées et complètement numériques risque de transformer ce qui est encore disque en crêpe. Nous sommes au bout de l’extension des droits de l’homme et les bitcoins se moquent de toute forme de centralité. Arrivés au bout du chemin Il existe un intérêt plus ou moins commun entre banques et Etats lesquels risquent un dépouillement monétaire complet.

Le périmètre minimal d’un accord politique.    

A l’échelle plurimillénaire on ne lit pas  très bien la chaîne des causes et il faut reconnaître que si le politique fut le premier décideur, la monnaie devait elle-même façonner le monde. Ainsi il est clair qu’aujourd’hui ses métamorphoses font le jeu de l’élargissement sans limite de l’économie. Certes, le matérialisme historique n’est pas satisfaisant, mais il n’est pas totalement faux. Si nous n’avons pas, dans cette courte note, analysé le mouvement de la société depuis un centre de gravité, plongé dans la transcendance vers un autre plongé dans l’illimitation des droits de l’homme et d’une réalité post politique, nous avons pu montrer les formes de sociétés associées aux formes d’utilisation de la monnaie : pyramide étroite, puis poire, puis disque, puis crêpe.

La nouvelle technologie monétaire, sa nouvelle forme fiduciaire, celle de sa numérisation, permet probablement un nouveau contrat de mariage entre le politique et le marchand. Ses anciennes formes sont en effet dépassées et la nouvelle monnaie numérique, de par son ADN technologique permet par un effort de centralisation de retrouver la loi des rendements continuellement croissants[2]. Modifier l’ADN de la monnaie c’est aujourd’hui lui restaurer sa dimension politique, exigée notamment pour ce que nous appelions  la reconstruction de la France[3]. Dans la forme pyramide, voire la forme poire, la création monétaire ne repose sur aucune dette et ne coûte rien. A l’inverse dans la forme disque ou crêpe, elle ne repose que sur de la dette et donc correspond à un coût. La croissance continue avec l’illimité de l’économique suppose une masse monétaire croissante qui ne correspond plus qu’à de la dette.  Plus trivialement expliqué, il faut passer de la forme crêpe, dépasser la forme disque et au moins retrouver la forme poire. Concrètement modifier l’ADN c’est au moins aller vers un scénario de négociation minimale, celui qui doit privilégier les intérêts contradictoires de l’Etat et du système bancaire. Si l’on reste dans la vision libérale du monde quel accord mutuellement avantageux est-il possible d’envisager ?

S’agissant de la France, il est impératif que ses entrepreneurs politiques au pouvoir retrouvent de l’Oxygène à peine de ruptures violentes. Il lui faut donc parvenir à imposer à la Banque de France un compte digital lui permettant de s’éloigner de l’ornière de la dette. S’agissant des banques, il faut leur trouver une garantie de non siphonnage de leur passif, mais aussi une disponibilité suffisante en dette publique et une rentabilité maintenue. L’accord potentiel doit aussi garantir le respect de tous les engagements au regard des tiers : entreprises, ménages, voire Shadow Banking. C’est dire aussi que la zone d’accord entre les deux protagonistes doit déboucher sur une création monétaire non inflationniste.

Architecture du scénario minimal.

-  Se mettre d’accord sur le volume de monnaie que les banques s’apprêtent à créer pour la période et décider d’un partage. Par exemple il serait décidé que, désormais, la moitié de la création proviendrait de l’abondement du compte du Trésor à la banque centrale. Une telle décision est sans doute difficile puisque cela revient à amputer les banques qui se nourrissent du monopole de la création monétaire. C’est la raison pour laquelle il faudra inventer une compensation à peine de rupture complète avec l’ordre européen et international.

- En toute logique le volume de monnaie numérique affecté sur le compte digital du Trésor correspond à de la dette publique nouvelle évitée - avec son coût correspondant c’est-à-dire les charges d’intérêt - ou/et une diminution de la pression fiscale.

- La monnaie digitale nouvelle, détenue par le Trésor, est mécaniquement transférée sur les comptes digitaux des ménages et des entreprises, au titre de la dépense publique. A déficit inchangé, Il en résulte une diminution des prélèvements fiscaux et de la dette publique nouvelle.

- Cette diminution se retrouve à l’euro près sur les comptes bancaires des entreprises et des ménages. Cela signifie que l’irruption de la monnaie digitale n’affecte en aucune façon le passif des bilans bancaires. En revanche, l’aisance plus grande de tous les agents favorise l’activité.

- La capacité de création monétaire n’est pas affectée puisque la liquidité des banques reste inchangée. Toutefois l’offre de titre par l’Agence France Trésor diminuant, une pression à la baisse s’exerce sur le taux de l’intérêt avec possible essaimage sur les dettes publiques étrangères, les banques se reportant sur des achats de dettes européennes ou extra européennes.

- En cas de résistance des banques face à une possible baisse de la rentabilité, des compensations peuvent être envisagées par modification des ratios prudentiels, par exemple ceux concernant l’évaluation des fonds propres, leur hauteur, ou la valeur des actifs (Bâle 3, FRTB[4], EDIS[5], etc.). Cela suppose une très grande compétence technique de la part des entrepreneurs politiques au pouvoir.[6]

- l’outil de gestion - du point de vue du Trésor - devient un choix face au déficit : on le réduit en minimisant la diminution des prélèvements fiscaux, ou on le maintient par transfert intégral de la monnaie digitale sur les comptes des agents.

Conclusion :

Le scénario proposé est le moins invasif sur l’ordre présent, ordre qui ne conçoit la hausse de la masse monétaire que par de la dette. Il le rogne certes puisque désormais se trouve organisé le retour d’un Etat souverain et donc - au moins très partiellement - un Etat qui redonne un caractère politique à la monnaie.

Il est urgent de profiter des études et débats qui ont lieu présentement au sein de la BCE et exiger que des représentants du gouvernement français puissent être invités à proposer des configurations susceptibles de rétablir un minimum de souveraineté. Le scenario ci-dessus proposé est souple, il invite à un repartage de la création monétaire et n’impose aucun monopole. Il met simplement fin à un abus historique trop complètement méconnu du grand public.

Un scénario de plus grande ampleur peut être envisagé et sera esquissé dans une note à venir.

                          


[1] Voir entre autres : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/l-etat-britannique-va-t-il-abandonner-la-livre-sterling.html

[2] Voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/scenarios-de-la-bataille-des-monnaies-numeriques-1.html

[3] Voir : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/trancher-le-noeud-gordien-de-l-euro-pour-reconstruire-la-france.html

[4] Dispositif règlementaire européen appelé : « Fondamental Review Of The Trading Book ».

[5] Norme Européenne concernant la garantie des dépôts.

[6] Au-delà des arguments d’autorité peuvent être évoqués, ainsi celui de la lutte contre les trafics de drogue qui verrait son efficacité décupler par l’interdiction du cash classique.

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1 novembre 2024 5 01 /11 /novembre /2024 08:39

 

                                         

La présente note fait suite à la première qui développait le contenu de ce qu’on appelait « monnaie numérique de banque centrale »[1]. Après avoir évoqué les potentialités de ce qu’on appelait une technologie de rupture, le texte qui suit s’interroge sur l’incapacité d’une Assemblée nationale qui continue à raisonner dans un contexte aujourd’hui dépassé.

Il s’agit dans cette nouvelle note de prendre conscience du caractère hors-sujet des débats budgétaires de cet automne. Ces débats sont à L’Assemblée Nationale des tentatives de difficile navigation entre dette et impôt à l’intérieur d’un territoire balisé par des normes ou barrières. Parmi ces dernières, on notera plus particulièrement la notation de la dette publique par des agences (Fitch, Standard § Poor’s, Moody’s, etc.), ou le « spread de taux » au regard notamment de la dette allemande, ou du risque de sanctions européennes pour non-respect des règles.

C’est au final par le biais de ces menaces ou sanctions que le débat se trouve totalement « ancré » dans un cadre que l’on juge à priori indépassable. On peut certes discuter des modalités de l’impôt en imaginant par exemple, par le biais d’une foule d’amendements, de nouveaux outils voire continents fiscaux. On peut certes aussi imaginer des réductions de dépenses par le même biais. On peut même davantage tirer la corde et imaginer l’allongement de la dette jusqu’à la faire devenir perpétuelle… Mais il est impensable pour tous les parlementaires de raisonner en dehors du cadre et ce à priori sans exception.

Ce cadre est lui-même une base épistémologique pour ce qu’on appelle la science économique, laquelle formulera, à partir de modèles, les conséquences de tel ou tel choix à l’intérieur du dit cadre. L’ancrage dans l’espace ainsi défini devient le lieu d’exercice de la raison que les députés, quel que soit le parti, sont censés respecter et pratiquer. De la même façon qu’à l’époque du système de Ptolémée, il n’était guère question d’accepter des astronomes faisant tourner la terre autour du soleil, il n’est pas question de voir à l’Assemblée Nationale des députés mettant en doute la nature de ce qu’on appelle « la dette » ou « l’impôt ».

C’est dire qu’au travers des discussions existe un certain unanimisme avec des débats souvent  improductifs. Ils sont mêmes devenus totalement inutiles car les modèles basés sur l’épistémologie sus visée révèlent qu’ils auront pour effet des prises de décision faisant disparaître la très faible croissance, et donc faire disparaître toute idée d’amélioration du rendement d’un impôt devant réduire l’ampleur de la dette[2]. L’exercice de la raison à l’intérieur du cadre permet de mettre en doute le cadre lui-même.

Un « ancrage » fort ancien

Ces débats improductifs sur la dette et l’impôt sont évidemment très anciens. Pensons, par exemple, à notre dix-huitième siècle avec les dettes publiques laissées depuis la fin du règne de Louis XIV, dettes ingérables qui vont marquer le siècle, très loin au-delà de la Révolution de 1789. Si, à l’époque, cet Etat puissant qu’était la France, avait eu encore la possibilité de battre monnaie à partir de mines d’or totalement contrôlées, l’enfantement de la dette pouvait devenir impensable… à la réserve près que le royaume de France pouvait aussi dériver vers le simple bullionisme espagnol, ce qui suppose un projet réel de développement et l’abandon de la rente. En clair, une réalité anthropologique adaptée à ce qui sera plus tard la croissance, un contexte très éloigné de cette réalité dans le royaume espagnol (cf l’expulsion des juifs de 1492), et contexte beaucoup plus favorable dans l’ancien régime français y compris après l’abolition de l’Edit de Tolérance (1685).

 

Dans ce cadre ou ce type d’ancrage , celui de l’émission monétaire par l’Etat, il n’y a pas de dette publique et le statut de l’impôt se trouve métamorphosé. Dette et impôt ont un certain sens dans un monde où la centralité monétaire est perdue. Ils en disposent d’un autre dans un monde où l’Etat  bénéficie de la centralité monétaire. Tout est question d’ancrage et il serait bon que les parlementaires en aient conscience.

La dette publique disparait tout simplement parce que l’Etat est aussi banque centrale : il gère sa dépense publique à partir de la monnaie qu’il crée et à partir de la monnaie qu’il capte par voie fiscale. Maintenant, l’impôt reste bien sûr un prélèvement mais son montant est fixé par le volume de la base monétaire que l’Etat entend établir compte tenu de la volonté de briser tout risque inflationniste. L’impôt est bien davantage qu’un prélèvement, il est aussi instrument de siphonage des excès de liquidités impulsés par une dépense publique possiblement excessive…un tout autre monde que celui dans lequel nos députés raisonnent. Et un tout autre monde en terme de maîtrise ou de construction d’un avenir politiquement décidé.

Hélas, la France de l’ancien régime, avait perdu depuis très longtemps, comme la plupart des autres Etats, la centralité monétaire. L’Etat, créancier par nature, (il taxe ses sujets) était devenu lui-même endetté depuis fort longtemps car il était historiquement devenu incapable de créer la base monétaire qu’il imposait à ses sujets. Il était, très longtemps auparavant (cités grecques par exemple), banque centrale. Il n’était plus dès le grand siècle et n’est plus aujourd’hui qu’Etat devant, comme tous les agents, tenir une comptabilité de ses recettes et de ses dépenses. Travail que font les députés aujourd’hui, à l’intérieur du cadre dont ils ne perçoivent pas qu’il repose sur une base monétaire qui pourrait être aujourd’hui fort opportunément radicalement dépassée.

Un nouvel ancrage plus sérieux que dans les expériences passées

Les députés de notre Assemblée ne savent pas qu’ils disposent aujourd’hui d’un outil monétaire potentiel autrement plus sérieux que le « système de Law » de la Régence de Philippe d’Orléans ou que les « Assignats » de la Révolution. Cet outil est la monnaie numérique de banque centrale. Si les députés étaient davantage au courant des travaux de la Banque de France, travaux portant sur des expérimentations de monnaie numérique devant remplacer la monnaie fiduciaire, ils seraient probablement invités à réfléchir sur ce qui est une opportunité historique. En particulier, il serait intéressant que les parlementaires tentent de faire évoluer le dispositif en réflexion vers au moins un début de recentralisation monétaire. Bien évidemment, cela suppose de bien connaître les dispositifs européens chargés d’interdire radicalement toute tentative de recentralisation… pour bien les contourner….

Les députés doivent se saisir de la technologie monétaire de rupture

 L’Ancrage actuel des débats parlementaires ne laisse aucun espoir sur les moyens d’une diminution de la dette, sur ceux du rétablissement des services publics, ceux du sauvetage de la nature, ceux d’une réelle politique industrielle, etc. Il en va de même pour la plupart des Etats du monde[3]. Ce même ancrage parce que purement comptable (diminuer les dépenses et augmenter les recettes par tous moyens et bien sûr en respectant l’article 40 de la Constitution… sans trop se soucier de principes de bonne gestion) ne permet pas de se poser sérieusement des questions fondamentales : Comment favoriser le capital productif ? Comment orienter une épargne qui, en France, veut fondamentalement rester liquide ? Comment faire naître des fonds de pension de capacités mondiales ? Comment ranger ce qui relève plutôt de l’endettement et ce qui relève plutôt de l’impôt ? Comment cesser de favoriser des produits de taux ? etc.

Il serait temps de faire basculer l’ancrage des débats parlementaires en profitant de la rupture technologique offerte par la perspective d’une monnaie digitale de banque centrale. Bien évidemment, ce basculement doit se faire par étapes, mais il est fondamental de voir le parlement s’équiper d’une réflexion de fonds : le rétablissement de la centralité monétaire. Aujourd’hui, aucun parlementaire ne se risque vers ce basculement d’ancrage. Les causes sont probablement nombreuses et seront évoquées dans une prochaine note. Toutefois, l’une d’entre elles parait essentielle : la construction européenne a éloigné tous les décideurs du champ de la réflexion monétaire. Pour le législatif comme pour l’exécutif, il n’y a plus à s’intéresser à la banque centrale devenue jalousement indépendante ; il n’y a plus à s’intéresser au taux de change, réalité devenue hors du champ politique ; il n’y a plus à s’intéresser au robinet monétaire des banques devenues dépendantes de règles extérieures au champ politique ; il n’y a plus à s’intéresser à la finance qui se régule à Bâle ou à Bruxelles, etc. En sorte que le travail de construction de la loi budgétaire n’est plus qu’une très étroite affaire de recettes et de dépenses en principe sous contrainte d’optimisation et de bonne gestion… Avec probablement les applaudissements et rires de ceux des acteurs qui, dans un tout autre monde, se sont construits leur propre centralité monétaire, à côté des Etats, et qui sont devenus de gros Etats au-dessus des Etats classiques : les géants du numérique… en train de se construire un parc nucléaire… objectif inaccessible pour le budget français… Avec aussi probablement les applaudissements et rires d’Etats en résurrection (BRICS) qui cherchent, même très difficilement, à mettre en place une nouvelle centralité monétaire sur la base de monnaie digitale commune. De ce point de vue nous invitons le lecteur à suivre les décisions du sommet de Kazan avec la mise en place de "BRICS Clear" qui prévoir la naissance  de monnaie numérique tenue par la Nouvelle Banque de Développement.

Le retour vers au moins un début de centralité monétaire ne sera pas chose facile et il faudra d’abord que les parlementaires aient une claire vision de la puissance de la résistance qui s’y opposera. Cela passe par une bonne connaissance de l’objet monnaie, de fait sa nature profonde, jamais évoquée par les économistes, et réalité  que nous tenterons de présenter dans une prochaine note. Son titre sera : « Un combat politique pour corriger l’ADN méconnu de la monnaie ».

 

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck

 

[2] Le multiplicateur budgétaire en France est aujourd’hui de 0,7. Cela signifie qu’une diminution de déficit de 2 points de PIB signifiera une réduction de croissance de 1,4 points…soit une totale disparition de la croissance avec ses effets sur les rentrées fiscales…A moins qu’une réduction de l’épargne vienne surcompensée l’effet récessif de la diminution du déficit. Rester à l’intérieur de l’ancrage est donc catastrophique.

[3] Le cas américain est emblématique. Le Congressional Budget Office (CBO) Considère que la trajectoire de la dette américaine va rapidement entrainer des charges d’intérêts dépassant les plus gros postes budgétaires du pays. Ils dépassent déjà en 2024 le budget de la défense : 882 milliards de dollars contre 874 pour la défense.

 

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24 octobre 2024 4 24 /10 /octobre /2024 16:25

Nous publions à partir de cette première note un ensemble de réflexions concernant l’avenir du système financier. Le monde est aujourd’hui aux prises avec un immense désordre. Il rencontre potentiellement aussi une rupture technologique monétaire susceptible de contribuer à le transformer fondamentalement.

Le système financier est composé d’acteurs à identifier, et des acteurs qui vont être confrontés à ce qu’on appelle la monnaie numérique. Dans le cadre de cette première note, nous allons présenter la rupture technologique comme si elle pouvait se déployer sans limite c’est-à-dire indépendamment des acteurs dont certains seront amenés à résister et dont d’autres verront une opportunité à saisir. Il s’agit donc simplement d’identifier sa puissance transformatrice potentielle.

Pioches, esclaves, ordinateurs… comme outils de centralité monétaire.

Auparavant, il est utile de voir comment s’est imposé un premier système technologique monétaire : celui de l’or. De ce point de vue nous assistons peut-être avec les monnaies numériques à la reproduction d’un moment historique : celui de la naissance des Etats. Ces derniers ont pris racine à partir de la transformation d’une matière première devenant outil de centralité politique. En s’appuyant sur le métal dit précieux, les premiers détenteurs du pouvoir politique vont d’abord renforcer un système créancier/endettés à l’intérieur de ce qui deviendra un espace de souveraineté, et simultanément établir la protection du dit espace. Très simplement les premiers accapareurs de pouvoir vont choisir le métal comme règlement de la dette de ceux qui deviennent des sujets et comme règlement d’éventuelles dettes de guerre. Après probablement des milliers d’années d’essais et d’erreurs, l’interaction sociale accouche d’un mode de règlement de la dette prenant ce qu’on appellera plus tard la forme monétaire. Ce mode de règlement accouchant lui-même d’une double centralité, politique d’une part, monétaire d’autre part.

La présente situation est un peu la même avec toutefois une différence, celle d’un politique déjà constitué et d’un espace monétaire devenu complètement hégémonique, même si, comme expliqué plus loin, la centralité monétaire n’existe plus et se trouve dispersée en de très nombreux morceaux.

La nouvelle matière première potentiellement candidate à un retour de centralité monétaire est ce qui est devenu la monnaie numérique. Cette monnaie peut être accaparée par les Etats qui deviendraient, comme leurs ancêtres du big bang, des monopoleurs de sa production. Et cette monopolisation est d’une certaine façon « naturelle » puisque les autres candidats à sa production ne disposent pas du monopole de la violence. C’est donc « spontanément » que ce monopole pourrait émerger comme ce fut le cas lors du big bang.

La fin de l’ère des diligences monétaires

Le présent système monétaire est, malgré ses apparences de modernité, complètement dépassé. Son architecture est celle d’un réseau aux connections difficiles, dangereuses et coûteuses. Pour bien saisir la situation, il faut comprendre que la circulation monétaire qui sous-tend l’univers de l’économie est équivalente à la circulation des marchandises sur un réseau ferroviaire dont la largeur des rails serait différente de région à région. Si un tel contexte ferroviaire existait, on imagine la nécessité des « transbordements » et les difficultés supplémentaires engendrées par les déséquilibres quantitatifs entre les zones « exportatrices » et les zones « importatrices ». Cette réalité faite de mille morceaux est hélas ce qui constitue le souci quotidien de la réalité monétaire d’aujourd’hui. Les Banques chargées de réaliser les opérations de circulation de la monnaie sont les « transbordeurs » et doivent veiller, outre à la bonne et rapide circulation, à ce que l’argent fuyant de chaque banque vers toutes les autres soit compensé par un argent arrivant dans chaque banque. Avec en cas de déséquilibre l’endettement, voire le défaut et la déroute. Un peu comme si dans notre réseau ferroviaire il y avait incapacité à réaliser le « transbordement » en raison de déséquilibres. Les économistes parlent du marché monétaire pour très mal évoquer cette réalité d’un paysage monétaire fait de mille morceaux et qui est au cœur de la dette, du taux de l’intérêt, des risques de bank run, etc. Cette réalité jamais expliquée dans les manuels d’économie est faite de choix technologiques qui peuvent être aujourd’hui complètement déclassés…et qui, au final, rappelle le temps des diligences à l’époque du moteur à explosion.

Rationalité et modernité de l’ère de la monnaie digitale.

Faire disparaître les mille morceaux avec ses coûts et ses risques, avec aussi ses très nombreux réparateurs de diligences- pensons aux néo-banques, aux spécialistes du virement instantané, à Swift, aux innombrables régulateurs, aux banques centrales elles-mêmes,  etc…-  consiste simplement à ce que le monopoleur historique qu’est l’Etat reprenne les choses en main avec la grâce de la nouvelle technologie. Il suffit pour cela que le Trésor ouvre un compte digital au profit de chaque acteur situé dans l’espace de souveraineté. Comme à l’époque du big bang il crée la monnaie, cette fois monnaie digitale, assure les dépenses publiques, fixe le montant de l’impôt, exige que tous les comptes bancaires soient transférés sur les comptes digitaux. Dans ce nouveau contexte, l’espace de circulation de la valeur est garanti pour tous les acteurs. Il n’y a plus de dette publique, sauf si le monopoleur le décide pour éponger des dépenses qui pourraient matérialiser un risque inflationniste. S’agissant du système monétaire et financier il n’y a aucune raison de l’amputer au-delà de ce qui est encore sa fonction de simple circulation sécurisée de la valeur. Les banques peuvent encore mobiliser une épargne sur leur compte numérique tenu par le Trésor et donc leurs fonctions, au-delà de l’interdit de créer de la monnaie, sont maintenues. Le shadow banking reste ce qu’il est. La banque centrale en sa qualité de « sparadrap » ressoudant les mille morceaux peut disparaître. Les anciennes institutions bancaires désormais devenues non monétaires ressemblent de plus en plus à celles du shadow banking. Le passif de leur bilan comptable ne comporte plus de comptes de clients puisque ces derniers disposent d’un compte numérique au Trésor assurant la totalité des transactions imaginables. Le passif est donc composé de la contrepartie des actifs vendus aux ménages et aux entreprises. L’actif est composé de valeurs achetées à partir de l’épargne des clients. Tous les mouvements, qu’ils soient résultats de la réalité de celui des marchandises ou résultats des opérations financières, sont désormais lisibles dans les comptes numériques tenus par le Trésor. Ce dernier ne fait que respecter les volontés de tous les acteurs, et volontés qui s’expriment au moyen d’un portemonnaie numérique sur smartphone.

Les échanges internationaux sont également gérables au niveau des comptes numériques. Une exportation correspond à une écriture de crédit en devises numériques au profit du titulaire de ladite exportation. Une importation correspond à une écriture de débit sur compte numérique. Bien évidemment la monnaie numérique est aussi définie par un taux de change fixé par l’Etat redevenu siège de la centralité monétaire.

La rationalité peut évidemment aller plus loin et on peut imaginer un Etat mondial dont le Trésor aurait en charge la totalité des relations entre tous les citoyens et entreprises de la planète.

Le monopoleur retrouvant la centralité numérique peut évidemment être un dictateur implacable comme il peut être respectueux d’une réelle démocratie. C’est dire aussi que le retour de la centralité monétaire peut ne pas signifier la mort du libéralisme économique. Il n’est potentiellement que l’optimisation et la rationalité des échanges avec la fin de ses inutiles et lourdes charges fixes de l’irrationalité du système financier présent. Bien évidemment dictature ou démocratie dépendront du mode de concrétisation des immenses possibilités du nouveau modèle technologique concernant la monnaie. Ce qui sera abordé dans les prochaines notes.

Bilan des apports potentiels de la rupture technologique dans le système monétaire.

-La monnaie numérique est plus liquide que la monnaie bancaire et chaque titulaire voit son droit de propriété complètement respecté ce qui n’est pas le cas du titulaire d’un compte classique.

-Les transactions s’effectuent à la vitesse de la lumière pour un coût beaucoup plus faible.

-L’Etat monopoleur est seul créateur de monnaie en fonction de critères qu’il fixe soit en qualité de dictateur implacable, soit en qualité d’exécutant loyal de la démocratie.

-Le taux de change est fixé par l’Etat monopoleur.

-Les banques redécouvrent leur métier de base en tant que simples transformatrices d’une épargne en investissements. Les taux de l’intérêt se fixent en fonction des marchés correspondants.

-Tous les métiers consacrés à la bonne circulation sur l’actuel réseau complètement éclaté deviennent inutiles et disparaissent. Pour la France cela concerne probablement plusieurs dizaines de milliers d’emplois qualifiés.

-La spéculation sur les actifs peut théoriquement se poursuivre sans jamais atteindre les « nœuds » (les banques) de la circulation de la valeur : la nouvelle technologie est potentiellement sécurisante.

-L’Etat monopoleur peut conserver le nom et les caractéristiques de l’ancienne monnaie.

-La nouvelle technologie rétablit une centralité monétaire associée à une centralité politique. Elle resitue la dette publique comme réalité institutionnelle dépassable.

-l’impôt peut apparaître comme « instrument d’épongeage » de la dépense publique. Il peut augmenter lorsque la dépense devient excessive par rapport aux objectifs d’inflation et baisser dans le cas contraire.

 

La nouvelle technologie monétaire, pourtant apporteuse d’importants gains de productivité, ne se déploiera pas dans le monde fort théorique que nous venons de décrire. La réalité humaine est faite d’acteurs regroupés dans des organisations, et organisations exprimant des logiques d’intérêts. La prochaine note tentera d’introduire ces acteurs aux fins d’explorer les scénarios possibles d’une future réalité monétaire.

 

 

 

 

 

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