Au cours des prochaines années, la charge de la dette devrait s’accroître dans des proportions considérables. D’abord, pour des causes mécaniques liées à la gestion du passé, ensuite pour des causes liées à des injonctions extérieures. Les causes mécaniques de l’accroissement futur du déficit sont simples :
- Effet d’aubaine sur des taux d’intérêts nuls pendant plusieurs années qui ont permis de creuser un déficit structurel très confortable et devenant très douloureux lorsque les taux augmentent ;
- Interdit juridique que s’est fixé l’Etat : ce dernier ne peut - en cas de baisse des taux - assurer le refinancement de sa dette comme cela est classiquement autorisé pour le secteur privé ;
- Taux d’intérêt sur la dette publique devenu supérieur au taux de croissance de l’économie, d’où des difficultés croissantes pour assurer le service de la dette.
Les causes relevant de nouvelles injonctions sont simples : climat et écologie générale, réarmement, énergie, l’ensemble exigeant probablement selon Fondapol quelques 8 points de PIB, ce qui est considérable.
Le problème de la dette peut être examiné dans la complexité d’un jeu bien repéré par les comptables nationaux : l’Etat, les entreprises, les ménages, les institutions financières, l’extérieur. Cet ensemble d’ acteurs nouent entre eux des relations d’échanges pouvant être tracées dans des comptes à partir duquel se dégagera un solde.
Un jeu national qui suppose un ravitaillement extérieur
Le problème de la France (et de ses acteurs) en tant que pays trop cher est qu’elle dépense plus qu’elle ne gagne, ce qui comptablement va se manifester par un déficit extérieur. Ainsi pour 2023 la comptabilité nationale (INSEE) fait mention d’une « capacité de financement de l’extérieur » (c’est-à-dire un besoin de financement de la France) de 55,93 milliards d’euros. Concrètement, l’extérieur, donc le reste du monde, a prêté à la France de quoi effectuer ses dépenses totales. Ces prêts - qui sont un financement d’agents résidents en France – ne font que s’accroître et, par exemple, ont connu une multiplication par 4 entre 2018 ( 11,41 milliards) et 2023 ( 55,93 milliards). Cela veut dire que le jeu des acteurs à l’intérieur du territoire développe en continu un appel à un financement externe, et donc un appel qui s’accumule et vient constituer un stock de dettes croissant. En termes simples, nous pouvons continuer à jouer le jeu mais il nous faut être alimenté par un tiers. Un tiers qui pourra convertir ses créances en patrimoine et pourra se comporter en propriétaire exigeant. Toutefois, la question est aussi de savoir comment le jeu est joué et quel joueur doit être plus particulièrement alimenté.
La question revient alors à déterminer quels agents résidents sont responsables du déficit. En restant dans une optique comptable, logiquement la somme des besoins de financement est strictement égale à la somme des capacités, ce que les comptables nationaux vérifient tous les ans dans un document appelé « Comptes de la Nation »[1]. Par exemple, pour l’année 2023, nous avons 127,65 milliards (capacité de financement des ménages) - 34,33 (besoins de financement des entreprises et banques) – 149,06 (besoins de financement de l’Etat) + 55, 93 (capacité de financement du reste du monde) = 0. La somme des besoins et des capacités n’est nulle que parce qu’un joueur externe intervient. Le jeu est bien joué mais l’extérieur a dû nous alimenter pour un montant de 55,93 milliards d’euros.
Le compte du reste du monde présente une capacité de financement, donc un déficit de la France, continuellement croissant depuis l’arrivée de l’euro. Ainsi en 2000 la France était encore excédentaire de 20,57 milliards, excédent qui ira en s’amenuisant pour passer à des déficits de plus en plus massifs avec 93,41 milliards en 2022 et encore 55,93 milliards en 2023. Le jeu des acteurs dans le cadre d’un taux de change que le pays ne contrôle pas, aboutit ainsi à une situation intenable à terme. Encore une fois - en termes très triviaux - l’euro nous donne l’impression d’une corde qu’il faut sauter pour continuer le jeu, une corde qui fatigue des joueurs qu’il faut oxygéner.
La solution est théoriquement, soit la modification du jeu des acteurs, si possible en leur demandant d’être moins « gourmands » en dettes, soit une modification des règles du jeu.
Modification des règles du jeu.
La modification des règles du jeu est bien évidemment l’abandon de l’euro, suivie d’une dévaluation massive. En termes simples, la « corde à sauter » doit être abaissée pour laisser le jeu s’épanouir.
Ce choix aboutit à des modifications dans les stratégies des acteurs. Le compte de l’extérieur voit sa capacité de financement disparaître en raison d’un rééquilibrage mécanique de la balance commerciale. Par exemple, le joueur Etat n’a plus à doper les entreprises sous forme de subventions, et les salariés (donc aussi les ménages) sous la forme d’aides sociales ou prise en charge d’une partie des salaires indirects. En termes simples, les entreprises pourront plus facilement exporter et se détourneront des importations, ce qui va en conséquence produire des effets sur le compte de l’extérieur. Ce dernier point mérite quelques précisions.
Le compte de l’extérieur mentionne une capacité de financement qui est pour l’essentiel le résultat du déséquilibre commercial du pays. Tous les échanges de la France avec l’extérieur ne sont pas déséquilibrés et par exemple, même le sous-ensemble « balance des services » n’a rien de catastrophique. Par contre ce qui est très négatif est la balance commerciale avec un déficit de 98 milliards d’euros pour 2023. Sans les aides de l’Etat aux ménages et aux entreprises il est clair que les résultats du jeu des entreprises seraient autrement catastrophiques à l’international : beaucoup moins de capacité à être compétitif et donc déséquilibre commercial beaucoup plus important encore. De quoi effacer nombre d’activités sur le territoire national. Voilà la raison fondamentale du déficit de l’Etat : il s’épuise à aider les autres joueurs (entreprises et ménages) pour éviter un déséquilibre extérieur encore beaucoup plus grand. Il y a donc bien via l’euro - monnaie au cours beaucoup trop élevé pour les joueurs français - un lien entre déséquilibre extérieur et dette publique. Une dévaluation massive, donc une sortie de l’euro, est le moyen de rétablir les choses : plus d’équilibre extérieur et moins de dette publique.
Modifier le jeu sans toucher aux règles.
C’est le choix du pouvoir politique depuis la perspective puis la réalité de l’euro. Ce choix fût historiquement la « désinflation compétitive » de l’époque Mitterrand, puis la prise en charge des coûts de la désindustrialisation de l’époque Chirac, puis la politique de l’offre des derniers présidents de la République. Malgré tous les efforts des uns et des autres, la réalité s’est imposée et la recherche éperdue de compétitivité - très difficile à obtenir sous le carcan de l’euro - s’est matérialisée par des déficits publics régulièrement croissants. La politique de l’offre des derniers présidents fût un leurre et comme il était politiquement quasi impossible de procéder à une véritable dévaluation interne, c’est le compte du joueur Etat qui devait en payer un prix croissant. Avec un résultat calamiteux : parce que la compétitivité ne pouvait se rétablir par de réelles baisses de salaires et de véritables gains de productivité, des voies dérivées furent utilisées et le sont encore massivement aujourd’hui. C’est le cas de la baisse de la pression fiscale et de la prise en charge d’une partie du coût du travail.
Cette stratégie entraîne un grossissement ininterrompu du compte du reste du monde. La comptabilité Nationale révèle ainsi que le total de ce dernier compte s’accroit beaucoup plus rapidement que le PIB (multiplication par 2,5 entre 2005 et 2023 pour le total du compte et simplement croissance de 50% du PIB entre les mêmes dates) Certes, cet écart est l’effet de la mondialisation, mais il est aussi effet d’un taux de change irréaliste. Ainsi les entreprises jouant pleinement le jeu de la libre circulation du capital sont invitées à s’expatrier en bénéficiant de tarifs avantageux dans les espaces dont la monnaie est faible. Il vaut mieux acheter et s’endetter à l’étranger plutôt qu’en France. Cela signifie que le compte des entreprises ne fera pas apparaître un lourd besoin de financement. D’une certaine façon l’économie française grandit beaucoup plus vite à l’étranger que sur le territoire.
Nous sommes aujourd’hui arrivés aux limites du jeu. La fausse politique de l’offre est devenue un déficit public qui risque de devenir hors de contrôle. Parce que le taux d’investissement des entreprises ne cesse de baisser (11,5% du PIB en 2024 contre 12,2% en 2022), parce que la productivité du travail a perdu 4 points depuis 2019 et parce que le taux d’épargne ne cesse d’augmenter (18,2% du PIB en 2024 contre 15,2% en 2019), la croissance continue de s’affaiblir… et le compte de l’Etat verra son besoin de financement augmenter en raison d’un budget 2025 qui ne pourra qu’être très lourdement déficitaire.
Rappelons en effet que la dépense publique probable se montera en 2024 à 1658 milliards et que le projet avorté pour 2025 était de 1699 milliards. Le budget qui sera finalement retenu sera probablement plus dépensier encore, ce qui alourdira le service de la dette et la montée du taux d’endettement.
En toute clarté, le joueur Etat est le gros perdant de l’euro comme « corde à sauter » beaucoup trop haute. D’une certaine façon les autres joueurs se tirent d’affaire. Cela est visible dans le compte des ménages qui est de plus en plus en capacité de financement : 46,29 milliards en 2006, 64,82 en 2016, 108,29 en 2023. Cela l’est encore dans le solde du compte financier du joueur entreprise. Ces acteurs reconnaissent volontiers qu’ils bénéficient de l’euro, d’où le slogan « l’euro nous protège » et il est vrai qu’il facilite considérablement les voyages, achats et implantations à l’étranger. Les joueurs français ont l’impression de disposer d’une monnaie solide et ne mesurent en aucune façon les coûts croissants qui lui sont associés. C’est donc le joueur Etat qui en paie le prix avec un besoin d’endettement devenu très dangereux. Logiquement, ce prix devrait être partagé avec les autres joueurs qui dépendent de lui. Mais la barrière politique l’en empêche largement et le personnel politico-administratif transforme régulièrement ce prix en dégradation des services publics, subventions diverses et dette croissante. Situation devenue désespérée si l’on conserve en tête les contraintes futures rappelées en début de texte.
Il deviendra extrêmement difficile de jouer le jeu de la démocratie si les règles fondamentales du jeu économique ne sont pas rétablies. De ce point de vue, seul un pouvoir brutal pourrait imposer un choix : soit une dévaluation interne massive, soit une dévaluation externe signifiant la disparition de l’euro. Bien évidemment, ce pouvoir brutal pourrait aussi émerger du théâtre géopolitique, paramètre non retenu dans le présent texte.
[1] On pourra trouver un schéma très intéressant de la situation d’endettement croissant de la France en allant sur le site de la banque de France et en tapant : « capacité et besoin de financement des secteurs ». On pourra observer le début de l’enfoncement du pays à partir de 2005, date à partir de laquelle l’euro commence à faire connaître ses durs effets.