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27 mars 2023 1 27 /03 /mars /2023 06:02

L’électricité ne fût jamais – tels un feu d’artifice ou l’outil « Défense Nationale»- un bien public. On parle au mieux de service public mais jamais de bien public car l’électricité est un bien rival et excluable, qualités qu’il faut expliquer. Sa consommation par un secteur affecte la quantité disponible pour d’autres (il y en a moins), ce qui n’est pas le cas d’un feu d’artifice ou de la Défense Nationale (il y en a autant). Dans le même temps, les utilisateurs qui refuseraient de payer seront en principe exclus, ce qui n’est pas le cas du feu d’artifice ou de la Défense Nationale dont les coûts correspondants seront obligatoirement payés sous la forme de l’impôt. Pour autant nous avons - avec la crise de l’énergie- l’impression d’une glissade et les utilisateurs de l’électricité sont de plus en plus aidés sous la forme de boucliers tarifaires divers, donc sous la forme d’un impôt…comme les biens publics…. S’agit-il des prémisses d’un grand chambardement ?

Les grands moments de l’électricité.

Historiquement, l’électricité semble avoir été produite et utilisée selon des règles et des statuts divers dans le cadre de l’environnement technologique et économique du moment. De quoi réfléchir aux changements vécus et tant discutés aujourd’hui.

L’électricité est née dans le cadre d’un service public énonçant les règles auxquelles les producteurs devaient se soumettre. C’était, à la jonction des dix neuvième et vingtième siècle, l’époque des concessions où les producteurs, quel que soit le statut juridique, devaient progressivement respecter les règles d’égalité devant le service, mais aussi d’autres règles dont celles de continuité et d’adaptabilité. Rapidement, la règle d’égalité devait tenter de s’élargir avec l’idée toujours contestée de la disparition du service en raison d’un revenu insuffisant. Quoi qu’il en soit, l’électricité n’est pas une marchandise et son coût ne se transforme pas en prix mais en tarif règlementé.  C’était déjà l’époque des monopoles de petite taille en raison des coûts très élevés du transport et de l’inter connexion difficile entre communes. Mais déjà monopole en raison de coûts fixes très élevés et de coûts marginaux déjà très faibles (le raccordement d’un abonné supplémentaire étant peu coûteux au sein d’une agglomération). La tendance au monopole était elle-même favorisée par d’autres révolutions technologiques, par exemple celle qui devait remplacer les grandes chaudières au charbon dans l’industrie par le moteur électrique.

Beaucoup plus tard, au vingtième siècle, les coûts d’infrastructure et de transport s’abaissent et autorisent l’élargissement des monopoles et leur agglomération possible sous la forme d’un monopole naturel bénéficiant en continu de rendements croissants. Nous avons là le projet EDF qui ne sera plus une concession mais un monopole public. Le service public devient donc le fait d’un monopole national. L’électricité n’est toujours pas une marchandise, mais le monopoleur luttera toujours contre  l’évolution du service en instrument de redistribution : il n’est pas question de moduler les tarifs en fonction des revenus et le seul objectif de ses dirigeants est celui de la diffusion des rendements continuellement croissants à l’ensemble des acteurs économiques et des citoyens. Cette période est celle d’une spectaculaire réussite.

La troisième période est celle qui va commencer avec l’Acte Unique de 1986 et des technologies qui vont lui succéder rapidement. Le service public devient service universel lequel va introduire la fin progressive de l’égalité et donc la possible transformation des tarifs en simples prix. La forme juridique importe peu, par contre l’introduction de la concurrence devient obligatoire. L’électricité est ainsi amenée à devenir marchandise et son prix devient fonction de l’état de la concurrence et de la vie des marchés en général. Cette libéralisation est concomitante avec des réalités idéologiques et matérielles puissantes : accidents nucléaires, et questions climatiques ou environnementales. Dans les faits il s’agira de casser le vieux monopole public, d’en extraire son capital considéré comme injustement acquis ( obligation de livrer de l’électricité à des coûts très faibles dans le cadre de la réglementation ARENH), de lui imposer des règles d’un type nouveau (effacement obligatoire devant les productions intermittentes), de favoriser les technologies du renouvelable, de  les protéger malgré leur intermittence ( création des « contrats sur différences» ou CFD), de permettre l’auto-production et l’autoconsommation tout en les protégeant contre les risques d’insuffisance, etc.

Le service public n’obéit plus qu’à la seule règle de continuité, mais cette dernière est d’une certaine façon techniquement obligatoire en raison des risques collectifs énormes sur le non maintien de la fréquence (50MH). Finalement, le principe de continuité repose sur RTE qui très contraint par le caractère non stockable de l’électricité doit très strictement et très rigoureusement ajuster la demande appelée à l’offre disponible… et donc garantir la règle de la continuité. Cette règle est aujourd’hui garantie par 200 « dispatchers » qui -24H sur 24 et 7 jours sur 7- veillent à l’équilibre du réseau. A l’époque antérieure cette contrainte très forte était centralement gérée à partir d’un pouvoir absolu sur toutes les unités de production du monopole. Mais le passage au marché va développer une complexité qu’il faut expliquer.

Le marché de l’électricité et les gains à l’échange marchand

Dans un marché concurrentiel de marchandises classiques, demande et offre s’ajustent en fonction de ce que les économistes appellent le partage des gains à l’échange, notion qu’il faut expliquer. Un prix de marché - à partir duquel les échanges se nouent - est situé entre des bornes. En effet, si le prix est jugé trop faible pour le producteur, il se retire voire stocke en attendant des jours meilleurs. Si le même prix est jugé trop élevé pour le consommateur, il se retire et envisage le cas échéant des produits de substitution. A l’intérieur de l’espace de la négociation des limites haute et basse  se dessinent et vont ainsi constituer ce que les économistes appellent les gains à l’échange au profit des échangistes. Un prix proche du plafond au-delà duquel l’échange ne peut se nouer, voit des gains à l’échange très intéressants pour le vendeur et beaucoup moins pour l’acheteur. Symétriquement si le prix de marché est proche du plancher en dessous duquel l’échange ne peut se nouer, les gains à l’échange sont élevés pour l’acheteur et réduits pour le vendeur. Sauf cas particulier et sauf financiarisation (les marchandises devenant ici supports de produits financiers) les fluctuations de prix sont ainsi relativement réduites. Substitution et possibilités de stockage sont les instruments de cette réduction.

L’électricité en devenant marchandise conserve sa nature technique, celle d’un objet non stockable. Par ailleurs sa substituabilité est relativement faible, voire très faible. C’est dire que les limites que l’on trouve le plus souvent sur les marchés classiques n’existent plus et que la volatilité naturelle est beaucoup plus importante. Ainsi lorsque brusquement le prix de l’électricité devient très élevé, l’utilisateur contraint doit néanmoins se la procurer, ce que les économistes appellent l’inélasticité de la demande ou sa rigidité. Simultanément, l’échange entre fournisseurs et utilisateurs doit être assuré avec toute la rigueur nécessaire. Naguère, le prix n’existait pas et l’équilibre n’était qu’une question relevant de la seule sphère technique. Aujourd’hui, la sphère technique reste et peut même connaître une efficience accrue avec la digitalisation, mais elle se trouve en contact étroit avec une autre sphère, celle de l’économie. L’équilibre technique doit être assuré indépendamment des considérations de prix : élevé, très élevé, bas, très bas, peu importe.  C’est dire que le prix ne peut plus être corseté par des limites relativement étroites et se trouve par conséquent beaucoup plus soumis à la volatilité. Cette dernière est ainsi nourrie par une double force celle de la technique et celle de la transformation du statut : l’électricité est devenue marchandise. La volatilité ne va pas nécessairement dans le seul sens de la hausse de prix, hausse qui donne des gains à l’échange très élevés pour les fournisseurs.  Il peut à l’inverse exister des cas très singuliers où un fournisseur trouve des gains à l’échange en pratiquant des prix négatifs : il vaut mieux payer son client plutôt que de supporter les coûts d’une réduction de la production, ce qui procure évidemment des gains à l’échange providentiels et inattendus au client. A priori, ces gains à l’échange n’existaient pas à l’époque du monopole et des tarifs, époque où l’ajustement technique se réalisait sans prendre en compte tous les espaces de gains à l’échange possibles, d’où ce que les économistes pensent être une perte de valeur partageable. Plus clairement encore le marché serait porteur d’un accroissement de valeur, accroissement rendu plus accessible encore avec l’intervention de bourses facilitant la liquidité du marché.

Les bourses sont en principe apporteuses de lissage des prix en faisant mieux correspondre les offres et les demandes. Elles fonctionnent aussi selon la règle du « mérit order » qui maximise l’utilisation des unités les plus productives et laissent en réserve les unités les plus coûteuses. Elles facilitent sans doute des gains à l’échange par la souplesse qu’elles apportent sur les sous marchés qui correspondent aux grandes fluctuations de la demande (marché « intraday » qui concerne la journée, « day ahead » qui concerne le lendemain, et long terme qui concerne des futurs de 1 à plusieurs années).

S’il est probable que la transformation de l’électricité en marchandise a pu apporter de nouveaux gains à l’échange jusqu’alors peu visibles dans le cas du monopole, elle a  aussi apporté  de graves inconvénients et des interrogations.

Les faces cachées du marché de l’électricité et de ses gains à l’échange.

  • Des gains qui restent limités par la camisole d’une productivité bloquée.

Fondamentalement ce qu’on appelle gains à l’échange, que ce soit pour des marchandises classiques ou pour l’électricité, est limité par l’état des techniques. Il existait des gains à l’échange entre le pêcheur à la ligne qui vendait son poisson et le villageois qui l’achetait. Mais il existe un potentiel de gains à répartir autrement plus élevé lorsque la pêche se réalise à partir de navires usines. Ramenée à l’électricité la question est de savoir si la fin du monopole et le passage au marché s’est réalisé en générant des gains de productivité. La réponse est ici plutôt négative : Pour l’essentiel la fin du monopole et la concurrence n’ont  fait qu’engendrer des fournisseurs d’électricité qui n’ont réalisé aucune percée technologique. C’est dire que le marché n’a pas permis l’innovation. Il n’a pas non plus permis le déplacement des limites environnementales et les technologies du renouvelable sont victimes de l’effet « rebond » : leur développement est simultanément celui de l’intermittence et donc, mobiliser davantage d’éoliennes, c’est, jusqu’à aujourd’hui, développer inéluctablement la production d’énergies fossiles. 

Plus grave, la fin du monopole n’a fait que bloquer toutes les avancées potentielles du nucléaire, et ce n’est que maintenant, qu’ici ou là, se mettent en place quelques start-up du nucléaire. A cet égard l’exemple de Newcleo - avec sa nouvelle technologie permettant de boucler le cycle nucléaire et surtout la perspective de pouvoir construire en série des minicentrales - est intéressant, mais les premiers électrons ne seront produits au mieux qu’en 2032. Par ailleurs, si la chute des coûts se poursuit sur l’éolien ou le photovoltaïque, le boulet de l’intermittence mange les gains de productivité potentiels. Globalement, le passage au marché ne représente aucun gain d’efficience globale…ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas intéressant pour certains de ses acteurs.

  • Une coûteuse bureaucratie de marché

Une autre question est celle de l’architecture du marché et de son coût. La transformation du statut de l’électricité est bien évidemment un fait politique : le passage au marché est une décision qui suppose une construction, n’allait pas de soi. Le non-respect des droits de propriété d’EDF, qui telle une entreprise obligée de livrer sa production à des concurrents (ARENH), est une invention politique destructrice d’une culture : EDF n’a plus aucune raison « d’inventer ». Elle est aussi un vol puisque transfert de valeur : le tarif de l’ARENH est calculé sur des bases simplement comptables en oubliant le coût du renouvellement du parc, ce qui est régulièrement dénoncé par la Cour des Comptes. Cette construction irrespectueuse doit aussi s’accompagner d’une gigantesque réglementation dont une partie repose sur les quasi-décisions de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Il faut, par exemple, réglementer l’accès à l’ARENH, car, bien évidemment, tous les fournisseurs en veulent davantage. D’où l’invention de règles sur des quotas ARENH en fonction du marché déclaré des fournisseurs, avec en conséquence des comportements opportunistes qu’il faut sans cesse surveiller voire punir. Dans un ordre d’idées semblable, Il faut désormais mettre en place de nouveaux outils pour assumer l’impossible stockage de l’électricité. Comme déjà vu plus haut, le monopole ne voyait dans l’ajustement offre/demande qu’une question technique à résoudre par la voie de la simple autorité. Sans doute, les modalités de l’ajustement tenaient-ils compte des coûts marginaux sur les diverses unités, mais nous avions un chef d’orchestre (les dispatchers) qui pilotait lui-même directement les musiciens. Avec le nouveau statut et la concurrence, le chef d’orchestre se fait plus modeste. Par exemple, il « demande » - en fonction d’un prix - la hausse ou la baisse des quantités produites  sur des unités qu’il ne pilote pas directement, ou  il « propose » en fonction d’un prix, de réduire temporairement une consommation, etc. Clairement, le chef d’orchestre doit imaginer une foule de techniques - par exemple les contrats des « responsables d’équilibre » ou les « certificats de capacités » acquis par contrats de gré à gré ou par mise aux enchères -  pour piloter une infrastructure qu’il maîtrise beaucoup moins. Et comme RTE n’est plus intégré dans le monopole historique et qu’il reste un monopole hors marché, il doit à ce titre négocier avec une bureaucratie, celle de la CRE. Cette instance dite de régulation est ainsi amenée par sa fonction de surveillance à contrôler une infrastructure complète : EDF et ses filiales, les autres producteurs, les fournisseurs, RTE et ses filiales, ENEDIS et ses filiales, etc. Bien évidemment, cette infrastructure complète se doit de s’équiper de très nombreux collaborateurs chargés des relations avec la bureaucratie officielle de régulation. Et donc ce qu’on appelle régulation du marché est en fait un ensemble de béquilles qu’il faut sans cesse contrôler pour que le marché politiquement inventé fonctionne. Le coût des béquilles n’a jamais été évalué et la Cour des Comptes reste muette sur ce point. Il est vrai que, par ailleurs, elle révèle régulièrement que le marché de l’électricité fonctionne aussi sur une réelle inconnue : la très grande difficulté d’établir les coûts réels des différentes filières de production. Comment en effet calculer le coût de l’éolien qui externalise ses propres coûts sur les unités fossiles ?

  • Un marché soumis à la financiarisation et la spéculation.

Parce que le produit électricité devenu marchandise reste une substance très spécifique (encore une fois, par nature, les électrons circulent et ne se stockent pas) , la bonne liquidité du marché  n’était pensable que par le biais de la construction de bourses (EPEX SPOT). Bien évidemment, parce que les fournisseurs ont préféré les facilités du négoce et ont boudé les contraintes de la production, la tentation était de concevoir des stratégies de « paris sur des fluctuations de prix ». Et tentation d’autant plus justifiable que, par nature encore une fois, l’électricité devenue marchandise est susceptible de connaître une grande volatilité de prix. Dans le même temps, ces mêmes fournisseurs devaient, d’un côté, imaginer - au-delà du cadeau ARENH -  des contrats d’approvisionnement négociés avec des producteurs, et de l’autre des contrats de vente avec des utilisateurs. Cette position était donc naturellement celle de la finance classique et donc invitait à utiliser tous les outils de cette dernière. Alors que sur nombre de marchés classiques, la financiarisation n’est qu’une simple possibilité, le marché de l’électricité que l’on venait de créer se devait de fonctionner en étroite collaboration avec la finance. Et une collaboration d’autant plus aisée techniquement que l’électricité est une substance beaucoup plus homogène que les marchandises classiques,  homogénéité porteuse de la contrainte de liquidité propre à la finance. Cette orientation plus « finance » que production réelle se lit frontalement dans les activités de la CRE. Cette dernière vient ainsi de publier des propositions claires sur les techniques financières à la Commission Européenne. Dans sa « Réponse à la consultation publique sur la réforme du fonctionnement du marché européen de l’énergie » en date du 14 février dernier, on notera que l’essentiel est consacré aux techniques financières. Ainsi, il n’est question que de « forwards » à améliorer, d’obligations prudentielles des fournisseurs qu’il faudrait mieux surveiller pour mieux  contrôler, voire sanctionner la qualité des stratégies de couverture , de « power purchase agreement » (PPA) à renforcer pour gérer les risques prix/volumes/profits, etc. On notera aussi que -peut-être consciente de quelques insuffisances- la même CRE s’est dotée d’un groupe de réflexion académique international dont les acteurs sont tous économistes de la finance de marché. Notons enfin que les propositions de la Commission Européenne sont toutes orientées vers la finance.  Parce que l’électricité devenue marchandise doit impérativement s’appuyer sur la finance, le véritable enjeu pour les autorités de régulation devient la recherche de stabilité. Et comme la finance est par nature faite de risques qu’il faut sans cesse couvrir er reporter sans jamais pouvoir les supprimer, il faut par conséquent inventer de nouvelles béquilles bureaucratiques. Ainsi on pourra s’étonner que - conscient des risques particuliers de marché sur un produit - l’électricité – qui n’était pas spontanément une marchandise - la CRE comme la Commission proposent des « teneurs de marché » pour limiter les dérives. Il faudrait ainsi dans le volcan d’une finance dont on ne peut sa passer lorsque l’électricité devient marchandise tenter d’introduire de la stabilité en introduisant un acteur de stabilisation….dont on voit mal qu’il pourrait être autre chose que le bras armé des Etats. ..

D’une certaine façon, et dans la précipitation, les Etats ont déjà inventé un ersatz de « teneurs de marché » : les boucliers tarifaires évoqués au début de la présente note.

 

 

 

 
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20 mars 2023 1 20 /03 /mars /2023 06:52

Nous publions ci-dessous une intervention d'un Universitaire peu connu, Nicolas Da Silva, qui vient de publier un ouvrage concernant la sécurité sociale et la question des retraites. La vidéo est construite autour des  questions d'Olivier Berruyer et de graphiques très intéressants  produits par "Elucid". On peut passer directement à la seconde minute. J'invite les lecteurs du blog à rapprocher cette vidéo du point de vue d'Alain Supiot, professeur honoraire  au Collège de France qui vient de publier dans "Le Monde" ( 16 mars) un article fondamental : "Un gouvernement avisé doit se garder de mépriser la démocratie sociale".. Le point de vue de Nicolas Da Silva est plus économique, celui d'Alain Supiot est celui d'un juriste de très haut niveau. Bonne écoute et bonne réflexion. 

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17 mars 2023 5 17 /03 /mars /2023 07:52

 

Sans revenir sur la période précédant le COVID, on savait déjà que l’économie mondiale était engluée dans un endettement public et privé considérable. On sait aussi que la période COVID fut globalement un arrêt de l’économie réelle, le maintien des revenus distribués par des Etats ne donnant plus de limites aux déficits, et une aubaine pour les activités liées au numérique. De cette configuration devait résulter un enchaînement logique :

1 - Parce que les banques centrales achètent sans limite les titres de la dette publique et nourrissent le flux des dépenses publiques, l’ensemble des bilans se gonfle, en particulier le passif des banques sur lequel s’agrègent les revenus sans production des agents les plus divers. D’où les débats sur l’importance de l’épargne qui ne correspond à aucune contrepartie réelle en terme de production . Et les banques centrales prennent le plus grand soin de ne pas gêner l’endettement public en organisant le maintien de taux proches de zéro. C’est la stratégie de l’argent facile avec déjà des conséquences sur l’inflation des actifs. Mais aussi un temps béni pour le développement de toutes les activités liées au numérique, activités qui se nourrissent de l’argent facile et des promesses faramineuses de la digitalisation

2 - Dans le même temps les chaînes de la valeur se brisent à l’échelle planétaire. D’abord en raison du COVID qui marque l’arrêt de production d’intrants voir de produits finis, avec ses effets sur une reprise difficile. Il s’agit là du prix de la logique des flux tendus. L’économie réelle est d’autant plus fragile que l’on est habitué à fonctionner sans stocks, une habitude qui s’est accélérée avec la digitalisation.  Ensuite la guerre en Ukraine et ses effets géopolitiques inattendus vont accélérer la fragilité et le manque généralisé d’intrants dans toute l’économie réelle à l’échelle de la planète.

3 - Création monétaire sans limite d’un côté et blocage de l’offre réelle de l’autre facilitent le développement de l’inflation encore une fois à l’échelle planétaire. Les banques centrales, dont la mission affichée était de bloquer les hausses de prix à 2%,  sont obligées de réagir en tentant une limitation de la création monétaire : on relève les taux progressivement, ce qui vient limiter la valeur des anciens actifs figurant au bilan des banques. En effet, si les taux sur les nouvelles obligations sont plus élevés, il vaut mieux - pour les titulaires d’actifs anciens moins rémunérateurs - vendre et acheter de la nouvelle dette. Offre de titres anciens forte et demande inexistante, cela signifie une perte de la valeur du stock d’actifs dont le poids avait considérablement monté avec la politique d’argent facile. Il en résulte un déséquilibre du bilan des banques : les actifs se dévalorisent et le passif est gonflé par les comptes courants de tous les acteurs bénéficiaires de la dépense publique illimitée. En clair, les engagements (ce qui est sur un compte bancaire est une dette de la banque envers son client) deviennent plus importants que l’actif. De quoi se méfier, et pour les actionnaires des dites banques, et pour les clients…. D’où une baisse des cours et une possible panique des clients soucieux de mobiliser des avoirs qui risquent de s’évaporer.

4 - La baisse frappe les banques mais logiquement tous les actifs financiers directement ou indirectement rattachés. En particulier, les fonds indiciels (Exchange-traded funds) chargés de répliquer la performance du secteur bancaire voient leurs cours s’effondrer, ce qui entraine l’effondrement des titres reflétant plus largement les cours boursiers. D’où un risque d’évaporation d’une quantité considérable de capitaux à l’échelle mondiale.

5 - Les banques centrales sont d’abord soucieuses du maintien de l’ordre existant et donc, se prévalant de la gestions des crises financières antérieures, sont prêtes à payer le prix fort pour empêcher le développement de la crise. On apprend ainsi que les clients de Silicon Valley Bank, se trouvent complètement protégés par la garantie de la FED, laquelle va prêter de l’argent avec en garantie des titres financiers dont la valeur retenue est celle inscrite et non la valeur de marché. Un dispositif semblable risque de se mettre en place partout où le feu couve….

6 - Ce maintien de l’ordre existant est bien évidemment précaire puisqu’il correspond non pas à une nouvelle lutte contre une inflation qui ne faiblit pas mais à une possible accélération : le maintien de l’ordre existant passe par de nouvelles créations monétaires et au moins un arrêt de la hausse des taux. Cette création est aussi encouragée par la guerre qui suppose le passage de nombre d’Etats à une économie de guerre, laquelle se nourrit comme toujours de nouvelles dépenses publiques.

7- Les banques centrales sont ainsi en grande difficulté. Jusqu’ici le maintien de l’ordre existant était une inflation faible et des taux permettant le gavage de la finance ( des cours élevés sur les obligations) et les prodigieuses promesses de toutes les « Silicon Valley » du monde. Le modèle des banques centrales que l’on dit indépendantes est-il en péril ? Ne vont –elles pas, par la force des choses, amorcer un retour vers le modèle d’avant la financiarisation ? Ce qui supposerait  une révolution politique majeure. Affaire à suivre.

 

 

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14 mars 2023 2 14 /03 /mars /2023 14:40

Nous publions aujourd'hui un point de vue sur la crise financière américaine. Nous ne savons pas quelle suite sera donnée à la faillite des 3 banques US. Rappelons simplement qu'un "bank-run" est une panique de déposants qui tentent de sauver leurs fonds logés dans des banques dont on pense qu'elles sont en état de faillite. Si un tel contexte se présente c'est parce qu'il y a  croyance collective selon laquelle les actifs de la banque ne permettent plus d'honorer les engagements. Parmi ces engagements il y a bien sûr les dépôts des clients, clients qui ont peur de voir ces derniers disparaitre. 

Dans ce genre de situation il y a d'abord baisse de la valeur des actifs, baisse qui peut être contenue par le capital et les réserves des banques. Ce premier temps s'accompagne d'une baisse de la valeur boursière des banques: les actionnaires vendent leurs titres de propriété car ils craignent la baisse de valeur.

Cette baisse de la valeur, lorsqu'elle devient importante entraine la panique chez les déposants qui pensent que les banques deviennent insolvables. D'où le "bnak-run".

La véritable question est donc celle de l'origine de la perte de valeur des actifs des banques. L'explication que l'on croit pouvoir donner est celle de la politique monétaire des banques centrales. Ces dernières ont pratiqué des taux nuls ou proches de zéro pendant une très longue période. Cela signifiait une valeur élevée du cours des obligations notamment les obligations publiques correspondant à la dette d'Etat. Dans cette situation si la dette publique nouvelle était assortie d'un taux proche de zéro, c'est parce que les dettes plus anciennes elles-mêmes assorties d'un taux plus élevée, étaient  bien cotées. D'une certaine façon c'était la politique des taux proches de zéro qui tenait bien la valeur des obligations et des actifs en général. Si maintenant les banques centrales, afin de lutter contre l'inflation augmentent les taux , il en résulte nécessairement une baisse de la valeur de toutes les obligations naguère portées par des taux faibles. Ce sont donc bien les banques centrales, qui voulant lutter contre l'inflation, affaissent les actifs des bilans bancaires et les mettent en face d'un risque de "bank-run". 

Nous sommes au coeur d'une contradiction fondamentale: les banques centrales sont responsables de l'inflation en raison d'une politique d'argent facile (on crée massivement de la monnaie dans un monde de croissance faible), inflation que l'on cherchera ensuite à combattre par une hausse des taux destructeurs des banques. Nous ne connaissons pas la suite des évènements présents, mais sous sommes assurés que les banques centrales en leur qualité de "proto-Etats, " (cf les articles consacrés à ce sujet sur le blog) ne laisseront pas une crise majeure se développer. Entre inflation et destruction du système financier les banques centrales choisiront l'inflation.

Le point de vue soutenu par la vidéo qui suit est sans doute un peu différent. Bonne écoute et bonne réflexion.

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9 mars 2023 4 09 /03 /mars /2023 08:38

Nous publions ce matin une vision originale de la guerre en Ukraine: celle d'Emmanuel Todd. Nous parlons de plus en plus d'économie de guerre sans se rendre compte que cette dernière suppose une base industrielle solide. Les interventions militaires récentes se nourrissaient sans doute de haute technologie mais consommaient assez peu de moyens matériels en raison du caractère très limité des interventions. Tel n'est plus le cas avec la guerre de haute intensité qui dure depuis plus d'une année dans l'Est de l'Europe.. 

Tandis que l'économie mondialisée fabriquait d'un côté l'effacement des Etats en particulier ceux de l'Europe, elle alimentait d'un autre côté la puissance d'anciennes structures. Un ancien empire se reconstruisait à partir de rentes sur matières premières consommées par la mondialisation (Russie) tandis qu'un autres se construisait à partir de la production industrielle délaissée par l'Occident (Chine). Les moyens globaux de la production matérielle, bien sûr industrielle mais aussi agricole, se sont ainsi déplacés vers les empires Russe et Chinois. Il n'est donc pas impossible qu'en cas de longue durée la guerre en ukraine se termine par la grande défaite de l'Occident. 

Ce scénario est bien sûr contrarié par la situation démographique des empires en reformation. Parce que la guerre de haute intensité consomme d'énormes moyens humains, les empires se trouvent ici assez mal placés ( population vieille et en déclin pour environ un million de personnes par année pour chacun des 2 empire).

Enfin ce scénario est plus discutable encore si l'on introduit d'autres paramètres: intérêt supérieur de la Chine qui doit choisir entre des débouchés vers l'occident et la livraison d'armes à la Russie, vitesse de recomposition du complexe militaro industriel américain, niveau d'écarts entre performances technologiques des armes, qualité organisationnelles, qualité des commandements, etc. 

Bonne écoute et bonne réflexion.

 

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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 06:54

 

Sur le terrain de l’électricité la  bataille européenne continue et les divers acteurs - Etats, régulateurs, entreprises, voire économistes- après avoir présenté des projets de réformes spécifiques attendent ce mois de mars avec la publication du projet de la Commission Européenne. Pendant ce temps, les industriels, gros consommateurs qui ont dû renégocier leurs contrats  depuis le printemps 2021, continuent de souffrir, d’où des stratégies de mise au repos de l’outil de production, ce qu’on appelle parfois la mise en « position latérale de sécurité », tandis que d’autres entreprises sont parfois amenées à disparaitre (boulangers). Et dans le même temps, les consommateurs de bon sens, continuent de s’étonner du décalage entre un prix de marché piloté par le cours d’un gaz fort peu utilisé en France et une réalité économique fondamentale faite d’un accès massif à un nucléaire peu couteux. Toujours dans le même temps des boucliers tarifaires devenus simples bouées de flottaison  fonctionnent à grands coups de déficit public.

La présente note se propose de montrer que pour la France c’est bien le contexte institutionnel du marché qui a généré et amplifié la déroute. A ce titre nous verrons qu’il convient de supprimer de façon radicale le dit marché si l’on veut aborder de façon plus sécurisée les tempêtes futures d’un mondialisation qui a cessé d’être heureuse. Pour cela nous allons comparer des modèles d’infrastructures électriques différends quant à  leur résilience au regard d’une tempête géopolitique.

Tempête géopolitique sur  infrastructure électrique « bunkerisée ».

Soit un système monobloc, par exemple public, fait d’un ensemble fonctionnant en continu ( par exemple du nucléaire) pour un montant de 90TWH, et d’un autre ensemble plus adapté aux fluctuations des appels ( par exemple du gaz importé) pour un montant de 10TWH . Si les couts complets sont ( pour simplifier) identiques et si l’expression monétaire de ces couts est de 10 unités le TWH, la valeur produite est de 90X10 +10X10 = 1000.

Cette valeur produite dans un modèle monobloc n’apparait pas sous la forme d’un prix de marché qui n’existe pas. Il y a simplement infrastructure publique monopolistique avec des couts estimés et des tarifs administrés à des usagers qui n’achètent pas une marchandise mais paient une redevance appelée « tarif de l’électricité ». Dans ce cadre une politique tarifaire peut orienter les usages qualitatifs et quantitatifs pour optimiser la taille de l’infrastructure « centrales à gaz » et ainsi limiter le risque de rendements décroissants.

Si maintenant une tempête sur le gaz fait doubler le cout de l’électricité sur centrales à gaz, la valeur produite et disponible devient 90X10 + 10 X20 = 1100. La différence (100 unités monétaires) est ici un « prix » qui correspond à un prélèvement international sur l’économie française. Globalement la nouvelle valeur dont une partie n’est qu’une rente internationale doit être payée par les utilisateurs. Notre infrastructure monobloc va pouvoir imposer de nouveaux tarifs propres à récupérer 1100 de valeur, nouveaux tarifs devant répartir la rente internationale sur les utilisateurs,  l’Etat propriétaire, voire l’infrastructure elle -même. Si donc il y a (dans notre exemple) doublement du prix de marché du gaz, il n’y a aucune raison de voir un doublement des tarifs : le cout marginal nouveau (100) n’est pas auteur de prix doublés et donc le bon  sens des consommateurs qui protestent aujourd’hui n’est pas infondé. Les boulangers, les syndics d’immeubles collectifs, etc. ont raison de dire que les nouveaux tarifs proposés sont irrecevables.

De fait si chacun connait de gros ennuis avec ce que l’on croit être une crise de l’énergie, c’est en raison d’un modèle d’infrastructure qui fut radicalement transformé par d’invraisemblables  décisions politiques.

Tempête géopolitique sur infrastructure malade d’attrition et de fragmentation.

L’attrition est celle d’EDF dont l’offre est devenue très insuffisante dans un contexte de demande à perspective fortement croissante. Il y a eu attrition interne sous l’effet d’un abandon relatif du nucléaire et aussi d’une capacité de production abandonnée à des acteurs nouveaux politiquement introduits par la loi (ARENH). Il y a aussi d’une certaine façon attrition externe par le biais du développement d’une idéologie de l’ économie sans production et surtout sans usines…de quoi croire pendant 20 ans que l’électricité serait excédentaire par rapport aux besoins….

Plus grave il y a eu fragmentation politiquement organisée. Désormais, tout acteur y compris non industriel et surtout non électricien peut devenir acteur de l’infrastructure en ayant recours à un système d’achats et de ventes d’électricité dont bien sûr les volumes ARENH généreusement distribués par EDF. Pour se faire on imagine une organisation des échanges par le biais de bourses européennes sur lesquelles ne se forment plus un tarif mais des prix de marché. Des marchés de gros vont permettre l’émergence de contrats à terme sur de grandes quantités, et des marchés de détail vont réguler un quotidien qui désormais sera divisible en minutes. Les tarifs de naguère parce que fixes évacuaient jusqu’à l’idée même de contrat. Dans un modèle bunkérisé le temps était naturellement très long. Les prix d’aujourd’hui parce que libres supposent une solide armature juridique pour sécuriser les nouveaux acteurs. Ainsi le boulanger voudra -t-il être sécurisé par un contrat de moyen terme, ce qui supposera que le fournisseur d’électricité soit sécurisé dans sa politique d’achat de gros. Le temps est devenu très court et il faudra sécuriser alors même que les prix peuvent varier à chaque minute….Il faudra par conséquent nécessairement tout financiariser : les contrats doivent être couverts par tous les outils classiques de la finance. Si tel fournisseur est engagé sur des prix faibles alors que le cours flambe sur le marché de gros, il faudra se couvrir par des contrats baissiers type SWAPS de prix….Etc.

Le nouveau modèle, compte tenu de la chute de la capacité de production et de l’ARENH peut, par exemple, s’écrire de la façon suivante :

50X10 + 20X10 + 10X10 = 800.  EDF a perdu ici, dans notre exemple, 40TWH par ses abandons et restrictions de capacité, et 20TWH au titre de l’ARENH. Si l’on retient une demande d’électricité de 1000 pour reprendre le modèle précédent, nous aboutissons à un déficit de 200 qui sera mal couvert par les fournisseurs nouveaux qui très majoritairement ne sont que des start-up de la finance flirtant au mieux avec des éoliennes économiquement protégées par des subventions, et par l’importation.

Le nouveau système victime d’attrition et de fragmentation est aussi très fragilisé car il ne développe pas l’offre. Curieusement si le modèle ancien était d’abord peuplé d’industriels, le modèle nouveau se trouve largement peuplé de gestionnaires et de financiers, en particulier un nombre considérable de traders. Et même EDF finira par connaitre une attrition d’ingénieurs pour embaucher jusqu’à près de 800 financiers dans son « EDF Trading ».  Toute tempête géopolitique- qui n’était dans notre exemple qu’un prélèvement de rente internationale pour un montant de 100 unités monétaires- devient un tsunami. Alors que le modèle bunker « contient » le prélèvement de la rente internationale, le nouveau système, véritable château de cartes  mis en place sur décision politique, ruine les acteurs. Alors que le modèle bunker permettait l’internalisation du prélèvement international, le nouveau modèle ouvre la porte à une externalisation généralisée désormais mal contenue par un EDF affaibli. Les start-ups mal couvertes par des aléas imprévisibles externalisent sur leurs clients au prix fort, celui du prix du gaz, auteur de la tempête. Les clients victimes tentent de renégocier et se retournent vers un EDF affaibli qui lui-même deviendra victime du cours du gaz et achètera de l’électricité au prix fort…. Jusqu’ici cédée à ses concurrents (ARENH)…. Des start-up disparaissent et laissent des ardoises financières par essence contagieuses….Tous les acteurs qui avaient quitté EDF et ses tarifs pour croire au miracle des contrats négociés se trouvent dans la position de victimes du prix du gaz. Et nous retrouvons la crique de bon sens : il n’est pas acceptable d’être victimes de prix aussi élevés alors qu’en France le cout moyen de l’électricité reste faible. Pour comprendre la réalité il fallait d’abord comprendre que nous avons abandonné un modèle donnant toutes satisfactions au profit d’ un autre économiquement et politiquement aberrant.

La clé n’est pas sous le lampadaire

Pour autant le combat continue et la plupart des notes des différents décideurs qui vont se retrouver dans quelques jours dans les bureaux de la Commission bruxelloise, n’imaginent à aucun instant que le retour de la raison soit possible. Tel est évidemment le cas de la position du gouvernement français et de la  CRE dont les quelque 200 fonctionnaires restent attachés à la liberté du marché. Il n’y a donc pas à s’émouvoir des propos d’un Benoit Coeuré (président de l’Autorité de la Concurrence) qui dans les Echos du 4 mars dernier continue d’affirmer que la concurrence est bonne et qu’elle favorise l’émergence d’acteurs innovants. Sans doute ne pensait-il pas dans son intervention au marché de l’électricité qui a tant fait pour dissoudre le tissu industriel français. Alors que le modèle « bunker » consolidait en permanence un tissu industriel d’exceptionnelle qualité, le nouveau modèle apportera la désolation industrielle. Qui en a pris conscience ?

 

 

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20 février 2023 1 20 /02 /février /2023 18:27

Nous reprenons ici une récente vidéo (Thinkerview)  présentant le point de vue d'Hevé Machenaud ancien directeur exécutif du groupe EDF. Sa réflexion concernant l'ARENH et les fournisseurs d'électricité est exposée entre 1h16 et 1h31. Hervé Machenaud s'interroge bien sûr à cette volonté de créer un marché européen de l'électricité et y voit une forte pression de l'Allemagne bien décidée à tuer le nucléaire français.. Nous voudrions ci-dessous apporter quelques compléments de réflexion sur le scandale de l'ARENH qu'il dénonce..

Ce dispositif censé être la porte d'entrée  d'un marché qu'il fallait créer est précisément l'outil d'une violence juridique, symbolique et économique. 

Concrètement l'ARENH est une obligation légale de céder 25% de l'électricité nucléaire d'EDF à tout fournisseur ayant décidé de s'investir sur le nouveau marché et apportant la preuve d'un portefeuille de clients acheteurs d'électricité. Les fournisseurs -jusqu'à près d'une centaine avant la crise et beaucoup moins aujourd'hui- se répartissaient le volume d'ARENH proportionnellement au portefeuille. Bien évidemment il ne s'agit pas officiellement d'une subvention puisqu'il existe un prix fixé par l'administration. De nombreux débats se sont déroulés y compris au niveau de la Cour des Comptes pour s'interroger sur le prix.  S'agit-il d'un cout complet, y compris le cout du démantèlement des centrales, ou d'un prix ne permettant pas à EFD de couvrir ses couts? Sans entrer dans le débat, il suffisait de voir au niveau du régulateur, c'est à dire la CRE, pour constater que la demande dépassait largement le quota ARENH, preuve que le prix était et reste extraordinairement intéressant. Il s'agit donc d'un détournement de valeur  d'une richesse produite par EDF, laquelle est pourtant une entreprise que l'on veut classique en la plongeant dans le bain de la concurrence. Il s'agit donc d'un détournement, d'un délit, couvert par l'administration et que les surveillants de l'Etat de droit ( Conseil d'Etat et Conseil Constitutionnel) n'ont pas voulu repérer.... ce qui ne peut que décrédibiliser les institutions. Ce détournement est devenu scandale lorsqu'avec la crise, EDF s'est vu imposé un montant accru d'ARENH, détournement nouveau entrainant une pénurie pour l'entreprise et obligeant cette dernière à acheter à des prix ahurissants de quoi satisfaire sa propre clientèle.

Symboliquement l'ARENH est insupportable pour les équipes de l'entreprise y compris ses dirigeants puisque l'on détourne de la valeur pour l'offrir à des concurrents nouveaux qui n'ont sauf de très rares cas '(Total Energies ou Engie) aucune compétence spécifique en matière industrielle. La seule compétence des équipes de ces concurrents n'est que de révéler  une habileté commerciale et spéculative puisque désormais le bien électricité n'est plus qu'un actif marchand sur lequel peut se construire une multitude d'actifs financiers d'un montant très supérieur à l'actif réel.... On s'éloigne de la question de l'énergie pour entrainer dans la finance spéculative les jeunes générations dont le talent pourrait se déployer sur les réalités économiques. L'ARENH c'est aussi le rétrécissement des emplois productifs et la promotion des activités inutiles voire nuisibles. C'est sans doute la critique la plus grave.

La réalité est d'autant plus scandaleuse dans sa violence que l'on cherche à promouvoir les lois du marché sans en connaitre les règles profondes. Rappelons en effet qu'un marché quelconque suppose la liberté de contracter pour tous les participants et le strict respect des droits de propriété sur les biens échangés. Sur les marchés classiques dans un Etat qui se dit de droit, les acteurs ne font l'objet d'aucune violence entrainant la limitations des droits de propriété. Le marché de l'électricité ne respecte pas ces axiomes de base: nul respect des acteurs et nul respect de la propriété de ce qui est échangé. 

Je laisse la place à Hervé Machenaud. Bonne écoute.

 

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13 février 2023 1 13 /02 /février /2023 10:40

Le quotidien Les Echos publie ce 10 février son palmarès 2023 des 500 entreprises françaises championnes de la croissance. Beau résultat il est vrai puisque cette dernière se déploie entre 380% en moyenne pour la première et 16% en moyenne pour la dernière  entre 2018 et 2022. Hélas quand on observe dans le détail on constate que moins de 10% de ces entreprises concerne l'industrie. C'est dire que la désindustrialisation massive de la France continue. Nous continuons portant à consommer de grandes quantités de produits industriels...Y compris français....mais de plus en plus fabriqués ailleurs. Ainsi nous achetons encore beaucoup de voitures fabriquées par Renault, mais ces voitures sont fabriquées à l'étranger. Pour bien saisir l'ampleur du problème nous publions ci-dessous une texte paru chez ELUCID et rédigé par Alexandra Buste et Xavier Lalbin.

Bonne lecture.

Trente ans que le rideau est tombé sur l’île Seguin avec la fermeture de la mythique usine Renault de Billancourt, figure de proue de la lutte ouvrière. C’était en 1992 et ce big bang industriel et sociétal a coïncidé avec l’ouverture du Parc Disney de Marne La Vallée, le symbole de la désindustrialisation et du développement du secteur tertiaire dans l’hexagone selon Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP.

La marque au losange est devenue emblématique de la désindustrialisation et de son corollaire, la délocalisation : avec 85 % de réduction d’effectifs en France depuis 40 ans, elle fait la course en tête face au 50 % de perte d’emplois dans le secteur de l’industrie… le tout sous le regard bienveillant de son actionnaire l’État français.

Avec, en parallèle, une multiplication par 5 des effectifs dans des pays à bas coûts pour produire, entre autres, 6 de ses best-sellers en France. Et ce constat édifiant : avec deux constructeurs automobiles majeurs sur son sol, la France est, depuis 2007, importatrice nette de véhicules…

La comparaison avec l’Allemagne ajoute à la cruauté de la situation : effectifs multipliés par deux chez Volkswagen depuis 1980, coûts salariaux supérieurs ou égaux à ceux des constructeurs français et… la deuxième marche du podium en termes de vente de véhicules et chiffre d’affaires.

Seul bémol amer dû à la récente crise énergétique que traverse l’Europe, avec la fonte comme neige au soleil de son secteur manufacturier, gros consommateur d’énergie, la France a beaucoup moins à perdre sur ce plan que l’Allemagne…

Désindustrialisation : l’emploi en souffrance

Telle une litanie morbide, l’annonce des fermetures d’usines s’égrène au fil des années. Elles reviennent inlassablement en titre des journaux avant de disparaître à nouveau dans les ténèbres médiatiques.

On se souvient de celle de Bridgestone qui avait fait grand bruit en 2021, au point d’arracher un vaillant « Révoltant ! » au ministre Bruno Le Maire… légèrement insuffisant pour empêcher la suppression de 860 postes. Elle s’était accompagnée, cette année-là, de 23 fermetures supplémentaires selon l’Usine Nouvelle. Selon l’Insee, depuis le pic de 1974, ce sont plus de 2,5 millions d’emplois industriels qui ont disparu, soit plus de 3,5 millions d’équivalents temps plein.

Au total, plus de la moitié de l’emploi dans l’industrie a disparu en 45 ans, au rythme quasi ininterrompu d’environ 80 000 postes supprimés par an. La part des emplois industriels dans l’emploi total est ainsi passée de près d’un quart à tout juste 10 % de nos jours.

Et le constructeur au losange n’est pas en reste dans cette Bérézina : Renault a réduit ses effectifs de près de 85 % depuis 40 ans dans ses usines en France, bien plus que la moyenne du secteur industriel et indiquant ainsi une véritable volonté stratégique.

La fin des années 1970 marque le point d’inflexion de la hausse des emplois industriels débutée dans les années 1940. De 1940 à 1976, les effectifs des usines françaises de Renault sont multipliés par cinq.

La chute est ensuite vertigineuse ! Dans le même temps, les usines Renault à l’étranger embauchent à tour de bras, multipliant par cinq les effectifs pour atteindre un peu moins de 50 000 salariés en 2021, après un pic à près de 60 000 en 2017.

Malgré sa privatisation menée depuis les années 90, l’état détient encore une participation de 15 %. Difficile dans ce cas pour les politiques qui se sont succédé de plaider leur ignorance de la stratégie de délocalisation du groupe.

La délocalisation massive ou la ruée vers toujours plus de profit

Renault, Peugeot et Citroën disposent de nombreuses usines en France… et bien plus à l'étranger : Chine, Corée, Espagne, Turquie, Maroc, Russie, Roumanie, Slovénie, etc.

La désindustrialisation et son corollaire la délocalisation, prennent parfois racine dans l’effondrement de la demande locale ou un besoin de se rapprocher d’un nouveau marché… ce n’est pas le cas ici. C’est la recherche de main-d’œuvre à bas coût qui en est le principal moteur. Le bilan du top des ventes de voitures en France en 2019 est éloquent :

- Seuls huit modèles sont produits en France dont un seul pour Renault, la Clio IV.

- Les trois têtes de liste sont produites en majorité hors de l’hexagone, comme la Turquie et la Slovénie pour la Clio (pour moitié), la Slovaquie pour la Peugeot 208 (au deux tiers) et le Citroën C3.

Et Renault a parfaitement mis en œuvre sa stratégie de maximisation des profits en délocalisant la main-d’œuvre dans les pays à bas coûts. En 2019, pour ses modèles les plus vendus en France, au moins 80 % des ventes sont des véhicules produits hors de l’hexagone.

Au niveau mondial, la production des modèles stars de Renault représente 1,8 million de véhicules en 2019. Plus d’un quart de ces véhicules sont vendus en France.

Pour autant, la production française de Renault ne s’élève qu’à 10 % de sa production totale. Autrefois exportatrice nette de véhicules, la France est devenue importatrice nette avec en 2019, 420 000 véhicules Renault importés pour moins de 90 000 exemplaires exportés.

Un emploi délocalisé ce sont des emplois liés qui disparaissent et des dommages collatéraux

La perte d’emplois industriels directement liés à l’activité arrêtée n’est que la partie émergée de l’iceberg. Dans le sillage d’une fermeture d’usine, c’est la cohésion sociale qui vole en éclat et la destruction de quatre à cinq fois plus d’emplois liés (selon Bpifrance, un emploi industriel c’est 1,5 emploi indirect — intérim, sous-traitants, fournisseurs… –  et 3 emplois induits –  emplois nécessaires à la vie courante des salariés, logements, commerces, etc.).

La désindustrialisation c’est aussi l’accentuation du déficit du commerce extérieur de marchandises (- 100 milliards d’euros en 2021). À force de délocalisation, l’augmentation des importations de biens s’accompagne d’une baisse des parts de marché de la France dans les exportations.

Ainsi, dans l’automobile, depuis 2007, la France est importatrice nette de véhicules tout en ayant 2 constructeurs automobiles dans le top 6 mondial (Renault-Nissan et Stellantis). La conséquence évidente de la disparition de la production française de véhicules.

Et si les emplois industriels semblent avoir en partie muté en emplois tertiaires, ces derniers ne contribuent pas à la même hauteur au PIB. Cela se traduit dans le solde du commerce extérieur de biens et services qui, après une embellie de 1991 à 1997, est en baisse constante et reste déficitaire depuis 2006, piloté essentiellement par le déficit du commerce de biens (où les véhicules automobiles contribuent à hauteur de 21 milliards d’euros en 2021).

Pendant ce temps en Allemagne…

Se comparer à l’Allemagne est l’une des activités préférées de nos élites : la stratégie industrielle antagoniste de Volkswagen devrait leur donner matière à réfléchir.

Certes, les événements géopolitiques récents viennent mettre à mal une Europe industrielle addict à l’énergie bon marché. Et l’Allemagne, de ce point de vue, est en première ligne avec la chute brutale du solde de sa balance du commerce de marchandises. La conséquence d’une perte de compétitivité et d’un ralentissement du commerce mondial dont les répercussions en termes d’emplois industriels locaux se feront sentir dans les mois et années à venir.

Mais, jusqu’àlors, tandis que les délocalisations menaient bon train dans l’hexagone sous l’œil impuissant ou complaisant des politiques (l’État a maintenu, au plus bas, une participation lui assurant plus de 20 % des droits de vote), Volkswagen, aujourd’hui deuxième constructeur mondial en termes de vente de véhicules et chiffre d’affaires, négociait un autre virage. Comme l’écrivait Michel Freyssenet, chercheur au CNRS et cofondateur d’un réseau de recherche international sur l’automobile :

« Si les recommandations faites par le courant […] dominant de l’industrie automobile étaient pertinentes, VW devrait être aujourd’hui l’entreprise la plus externalisée, la plus délocalisée vers des pays à bas coûts et finalement le constructeur automobile avec les coûts de main-d’œuvre les plus bas. En réalité […] VW est le constructeur automobile européen qui est le moins externalisé, le moins délocalisé et qui a les coûts de main-d'œuvre les plus élevés, tant au niveau national que mondial. »

La signature d’un « compromis de gouvernement d’entreprise » avec le syndicat IG Metal et le Land de Basse-Saxe a obligé le constructeur à préserver emploi et salaires en Allemagne. Charge à Volkswagen d’inventer la stratégie qui allait avec, comme la diversification de la gamme à partir de plateformes communes pour réaliser des économies d’échelle.

Une charge salariale individuelle globalement égale ou supérieure à PSA et Renault depuis 1975 et moins d’externalisation en pays à bas coûts n’ont pas empêché l’allemand de se hisser sur la deuxième marche du podium en nombre de voitures vendues et chiffre d’affaires. Cette stratégie a permis de maintenir les emplois dans le pays puis de les démultiplier lors de la phase de forte croissance de l’entreprise.

Au final, en partant d’une situation comparable au début des années 1980, Volkswagen a multiplié par presque deux ses emplois en Allemagne, pendant que les Français Renault et PSA ont divisé respectivement par deux et trois le nombre d’emplois en France.

Le Made in France : une préoccupation grandissante chez les consommateurs

« Au moment d’acheter un produit ou un service, plus de la moitié des Français regardent le pays de fabrication et les trois quarts se déclarent prêts à payer plus cher pour acheter un produit fabriqué en France (IFOP, 2018) ».

Neuf Français sur dix l’ont bien compris, l’achat « Made in France » participe au maintien de l’emploi dans l’hexagone et préserve les savoir-faire. C’est même un gage de confiance pour plus de huit personnes interrogées sur dix.

Certains constructeurs automobiles (Toyota, Peugeot et Citroën) valorisent le sésame du made in France en brandissant le label « Origine France Garantie » - 50 % de la valeur des produits est générée sur notre sol. D’autres, comme Renault, où réduction des coûts et délocalisation sont centrales dans la stratégie industrielle, sont plus timorés et se placent sur le terrain historique pour argumenter : « française depuis plus de 115 ans, l'entreprise n'a pas le sentiment de devoir prouver sa nationalité ».

Certes, les labels ne sont pas une preuve de la nationalité d’une entreprise : née en France en 1898, jouissant d’un statut d’entreprise publique durant près de 40 ans… Renault dispose d'origines incontestables. En revanche, avec un seul de ses modèles fabriqué en France parmi les 8 les plus vendus et à peine 20 % de ses ventes fabriquées en France, c’est son ancrage local qui est questionné.

La crise Covid a révélé les carences de la start-up nation pour fournir masques, surblouses, respirateurs, médicaments, vaccins : notre parc industriel a fondu comme neige. De quoi inquiéter pour la gestion de la crise climatique et de la transition énergétique qui demandent de véritables compétences techniques et industrielles… En « traversant la rue pour trouver un job », les derniers de cordées risquent fort de trouver porte close… et même pas de porte du tout.

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6 février 2023 1 06 /02 /février /2023 10:43

EDF était naguère une entreprise intégrée allant de la production à la distribution et surtout disposant d’une situation de monopole. Durant de très nombreuses années ses dirigeants ont considéré que l’entreprise relevait d’un monopole naturel qui à ce titre fonctionnait à rendements continuellement croissants. Dans le cas considéré, l’entreprise constituée d’une multitude d’unités de production (hydraulique, nucléaire, charbon, fuel, gaz),  devait en principe couvrir  ses coûts (charges fixes + charges variables) par le jeu d’un tarif fixé par EDF et son actionnaire c’est -à-dire l’Etat.

EDF et ses couts marginaux

En pénétrant plus loin dans l’analyse ce qu’on appelle coût marginal, comme coût de l’unité supplémentaire produite peut être analysé au niveau de l’entreprise ou au niveau de chaque unité productrice d’électricité. L’habitude a été prise qu’on ne s’intéresse au coût marginal que pour exprimer le coût de la mise en service d’unités supplémentaires pour couvrir une hausse d’appel d’électrons par le marché. Dans la réalité gestionnaire cette pratique correspond aussi à une régulation de l’ensemble : EDF met en service d’abord les unités les plus efficientes et n’actionne les moins efficientes  qu’en respectant  une logique de coûts croissants. Ainsi à tout moment, et en dehors de la question de la tarification, EDF fonctionnait dans un rationalité économique parfaite : il n’était pas possible dans les conditions techniques, scientifiques et sociales du moment de faire mieux.

EDF et l’idée de rendements continuellement croissants

Le raisonnement allait plus loin encore en précisant que la production en continuelle augmentation permettait de bénéficier de rendements continuellement croissants. Bien sûr la croissance économique supposait la mise à disposition des usagers de quantités croissantes d’électricité, donc de plus en plus de centrales. Même en laissant de côté le progrès technique et en supposant inchangées les productivités des divers facteurs de production il est évident que l’infrastructure EDF allait bénéficier d’économies d’échelle. Clairement tout au long de l’aventure du monopole les charges fixes unitaires ne pouvaient en tendance longue que décroitre. Certes il pouvait y avoir  à tel ou tel moment une hausse des charges fixes, par exemple celles correspondant à l’élargissement du réseau de transport, mais ces charges nouvelles devaient s’évanouir dans la mesure où la circulation d’électrons se faisait plus grande. Il existait donc bien chez EDF une loi des rendement continuellement croissants justifiant l’idée de monopole naturel.

EDF et sa maitrise technique des rendements croissants

Toujours dans la pratique, EDF pouvait veiller à ce que son rendement reste maximal en évitant de mettre en réserve trop d’unités porteuses de charges fixes, donc en tentant de mettre en place des outils de lissage de la demande. Ainsi plutôt que de s’orienter vers des charges fixes unitaires plus lourdes, il sera préféré d’inviter l’usager à des effacements de demande pour lequel il sera rémunéré (heures creuses ou majorées, tarif de nuit, etc.). Le même souci entrainera l’ouverture du réseau et sa progressive interconnexion avec les réseaux étrangers.

EDF et sa maitrise politique des rendements croissants

Les ingénieurs économistes qui pilotaient EDF à l’époque du monopole connaissaient sans doute mieux les principes des rendements croissants que les actionnaires/fonctionnaires de l’Etat. A ce titre ces mêmes ingénieurs économistes se posaient presque souverainement la question du devenir de cette efficience maximale contenue dans le strict respect de la loi des rendements croissants. Plusieurs possibilités théoriques : la diffusion la plus large de l’efficience par le biais de prix continuellement toujours plus bas au bénéfice des usagers, la rétribution de l’actionnaire public lequel par voie fiscale ou réglementaire pourra rediffuser l’efficience, le maintien dans l’entreprise sous la forme d’investissements nouveaux continuellement croissants, enfin une combinaison de ses diverses possibilités. Si l’on compare l’évolution en longue période des prix de l’électricité entre les divers pays européens, on s’aperçoit que c’est plutôt le choix de la diffusion vers tous les usagers qui fut retenue : les électrons d’EDF deviennent  le  principe actif majeur de la compétitivité de l’économie française. Aux commandes de l’immense machine EDF, les ingénieurs économistes, aussi serviteurs de la Nation, vont en quelque sorte prendre le pouvoir sur l’actionnaire d’où le développement de l’idée d’un « Etat EDF ». Et un Etat qu’il faudra combattre de plus en plus avec la disparition progressive de ce que Bourdieu appelait de noblesse d’Etat et son remplacement par une noblesse managériale nouvelle, celle à cheval entre secteur privé et secteur public.

Une autre vision du monde implique la fin des rendements croissants

Tout va changer avec la naissance de la concurrence et la victoire de la noblesse managériale d’aujourd’hui. La concurrence introduit le principe d’émiettement de l’outil de production avec pour effet majeur la fin des rendements croissants.

                    -Ajustement complexifié de l’offre à la demande

Cette fin des rendements croissants commence avec le traitement difficile de l’ajustement offre/demande d’électrons. Cet ajustement instantané et infiniment précis était centralisé et s’opérait selon le principe d’autorité : toutes les unités de production obéissent strictement aux mouvements de la demande. L’entreprise dans sa diversité est unique et obéit à l’autorité qui centralise et commande l’ajustement. Le cout du non ajustement étant très élevé (variations de la fréquence avec accidents, délestages dramatiques et rupture des rendements croissants) le principe d’autorité -dans ce contexte de contrainte d’ajustement très élevé- est celui qui permet le mieux la coordination entre les  unités productives. Désormais, c’est -à-dire aujourd’hui, la coordination se passe par le marché et ses couts augmentent avec la nécessité d’introduire une bureaucratie réglementaire extérieure aux acteurs du marché. Inventer un marché et se mettre à jouer suppose la mise en place de règles afin d’anticiper et réguler une coordination d’acteurs qui ne sauraient avoir spontanément une vue d’ensemble.  D’où le CRE occupé par la nouvelle noblesse managériale et ses annexes.

                       -Les lourdeurs de l’intermittence

Mais la fin des rendements croissants repose aussi sur l’introduction d’unités de production dites intermittentes qu’il faudra épauler de diverses façons : doublement des unités de production d’électricité type éoliennes par des centrales classiques à actionner en cas d’absence de vent, principe de priorité de ces mêmes unités au détriment du classique en cas de vent important, subventionnement majeur de ces mêmes unités. Au-delà il faudra tenter de surplomber les lois simples et indépassables de la physique en tentant un stockage extraordinairement couteux : hydrogène, batteries et plus généralement les diverses stations de transfert d’énergie. Enfin la concurrence ne pourra naitre qu’avec la garantie de trouver auprès d’EDF des ressources sûres (ARENH).

La création artificielle d’un marché de l’électricité met ainsi fin au principe d’efficience maximale. Jadis les ingénieurs économistes d’EDF se servaient des prix pour valider une idée d’Etat providence : le monopole utilise le système des prix pour aboutir à un progrès que l’on vit encore comme aventure collective. Aujourd’hui les managers à cheval entre le public et le privé voient dans le marché artificiel et bureaucratisé l’exercice de la simple  liberté individuelle : l’Etat providence efficient laisse la place à la providence du marché. Avec souvent les rentes correspondantes, par essence privées, qu’au nom du respect du marché on ne saurait taxer. Désormais le prix ne peut que se fixer sur le cout marginal et les productions les plus rentables ne sauraient être taxées.  

Le  chemin à l’envers de l’industrie

Très curieusement au moins une partie du monde industriel semble parcourir le chemin inverse de celui d’EDF. Classiquement parce que le principe de coordination offre/demande est beaucoup plus aisé dans les marchandises classiques que dans le cas des électrons (le stockage, notamment y est possible) la concurrence s’avère techniquement facile et les divers acteurs s’y déploient sur un véritable marché autorégulé. Bien évidemment le principe d’efficience est toujours recherché, d’où une recherche continuelle de gains de productivité mais aussi la recherche d’effets d’échelle. La mondialisation fut sans doute un moment très important de recherche d’efficience avec spécialisation par pays et recherche d’avantages comparatifs notamment sur les couts de la mains d’œuvre. Parvenues à l’optimisation extrême dans un monde très concurrentiel, les entreprises industrielles sont de plus en plus à la recherche de nouveaux rendements croissants et de ce point de vue, sans le théoriser, elles aimeraient découvrir ce qui faisait le logiciel d’EDF : comment homogénéiser la production, la répartir entre toutes les unités disponibles jusqu’ici en concurrence et aboutir à des rendements fortement croissants ? Cela passe évidemment par une cartellisation masquée…un peu comme EDF n’était au fond qu’un cartel- il est vrai officiel- d’unités de production.

Cette cartellisation a commencé il y a bien longtemps avec les intrants techniques des diverses marchandises produites : les marchandises ne sont pas homogènes, notamment les marques comptent énormément, toutefois les composants et pièces élémentaires le sont davantage. Dans l’industrie automobile les choses iront très loin avec par exemple la construction d’unités de moteurs pour une diversité de marques. Aujourd’hui avec la numérisation et la flexibilisation des chaines il est possible d’aller beaucoup plus loin et garantir la baisse continue des charges fixes pour l’ensemble de la branche. Parce que les chaines ne sont plus spécialisées, qu’elles peuvent produire indifféremment et sans délais des voitures techniquement différentes et de marques différentes, on se retrouve dans la situation d’EDF monopoleur qui pouvait ajuster dans l’instantanéité l’ensemble de son parc. Les différentes entreprises restent en concurrence mais le poids de cette dernière est absorbée par un bloc productif de plus en plus solidaire, de fait de plus en plus monolithique, permettent de découvrir une loi des rendements croissants. Alors que la séparation technique des chaines entrainait des gaspillages de charges fixes notamment sous forme de productions inférieures aux capacités, désormais il est techniquement possible de faire disparaitre ce gaspillage et donc d’aller plus loin dans la course aux rendements. Reste évidemment à partager les charges fixes économisées, ce qui passe par une plateforme d’échanges. Allant plus loin le modèle d’EDF reste une référence et l’intégration complète justifie toute la réflexion actuelle sur la disparition des concessionnaires de l’industrie automobile. EDF fut obligée de se séparer de son véhicule de transport et de distribution mais l’industrie automobile cherche à découvrir et parcourir le chemin inverse….On pourrait bien sûr multiplier les exemples.

Bien évidemment cette tentative de cartellisation masquée se heurte aux dures réalités d’un monde en grande perturbation : chaines de la valeur brisées par les nouvelles constructions géopolitiques, barrières technologiques nouvelles, protectionnisme, fractionnement normatif, blocus divers, etc.

 

 

 

 

 

 

 

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1 février 2023 3 01 /02 /février /2023 07:45

Nous proposons ci-dessous la grande richesse d'un débat  chez Thinkerwieu entre  2 grands industriels: Louis Gallois et Olivier Lluansi..

Bonne écoute.

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  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
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