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18 février 2024 7 18 /02 /février /2024 06:21

Il y a maintenant plus d’un demi-siècle que le législatif promulgue chaque année un budget déficitaire  avec une régularité ne souffrant aucune exception. Et ce, avec une main de plus en plus lourde puisque le trend du déficit est lui-même fortement croissant… le seuil des 3% étant oublié depuis longtemps…. Au-delà nous vivons une période dans laquelle nombre de politiques considèrent que ce n’est pas suffisant et que la croissance est restée souffreteuse en raison de déficits trop légers , donc des déficits qu’il aurait fallu creuser.

1 - Ces déficits sont bien une croissance achetée et il suffit de réfléchir à notre présente situation si le législateur devait renoncer à ce qu’il vient de voter (144 Milliards d’euros de déficit pour l’année 2024). En effet, point n’est besoin d’être économiste pour voir qu’un tel changement de cap serait aussi 144 milliards de réduction de la dépense publique, donc une diminution pour un montant équivalent de la demande globale avec ses conséquences : moins d’enseignants, moins de personnel médical, moins de militaires, moins de dépenses d’infrastructures, mois d’investissements publics, moins de dépenses d’armement, moins de subventions et dépenses au profit des entreprises ou au profit de l’environnement, etc. Le tout avec des effets multiplicateurs considérables. De quoi effectivement ne pas préparer l’avenir, en particulier celui des générations futures pourtant si souvent évoquées pour vilipender le déficit. Pour 2024, il faut donc un déficit prévisionnel de 144 milliards d’euros… pour espérer une « petite croissance » de seulement 1,4%... ce que prévoit la loi de finance. Et prévision qu’il faudra revoir à la baisse jusqu’à probablement moins de O,7%. Sans cette gigantesque dépense publique (490 milliards d’euros) contre moins de 350 milliards de recettes, la décroissance voire l’effondrement serait au rendez-vous. De quoi faire réfléchir les prétendus économistes qui ne parlent que de la dette publique comme la mère de tous nos maux.

2 - Si l’on veut être encore plus précis dans le raisonnement, diminuer drastiquement le déficit public sans « casse » supposerait que le secteur privé prenne le relai de la dépense publique en diminuant au moins d’un même montant son excédent. La comptabilité nationale nous apprend que  la somme algébrique des soldes publics et privés (ménages, entreprises, extérieur) est nulle. Cela signifie que la diminution du solde négatif de l’Etat devrait correspondre à la diminution du solde positif du secteur privé, par exemple que les entreprises investissent davantage et surtout exportent davantage, mais aussi que les ménages consomment davantage de produits nationaux en réduisant ceux issus de l’importation, mais enfin que ces mêmes ménages épargnent moins. Une opération extraordinairement difficile à mener…surtout avec un taux de change inadapté à la situation française.

Au total, aujourd’hui réduire le déficit constitue effectivement une diminution de la demande globale et donc le cheminement  vers une situation sécessionniste. Le déficit ne permet pas d’acheter de la croissance, mais sa réduction est -dans la présente situation- y renoncer gravement. Toujours en restant dans la rigueur de la comptabilité nationale, le lecteur avisé voit que la baisse du déficit serait davantage praticable avec l’aide d’une puissante dévaluation permettant cette fois d’augmenter la demande privée : moins de solde excédentaire de ce côté contre moins de solde déficitaire côté public.

3 -  Ces déficits sont aussi de la rente achetée par des spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) lesquels sont 15 banques ou institutions équivalentes ayant le souci de construire des marges à partir de la monnaie qu’elles créent gratuitement. Une partie des bons du Trésor se trouve absorbée par l’industrie financière grande consommatrice de bons  en qualité de matière première de produits financiers, ou au titre de la collatéralisation. Le surplus de bons achetés par les SVT est, lui, revendu à la BCE et rétablit ainsi leur bonne liquidité. Plus la dette est importante et plus l’industrie financière voit sa part de marché augmenter dans le PIB. Il n’y a aucune raison de penser que les SVT sont des porteurs d’un quelconque intérêt public : ils sont présents à chaque émission de dette tout simplement parce qu’il en va de leur intérêt. La dette publique est ainsi un énorme subventionnement de la finance. De quoi possiblement secourir une économie qui s’évanouit par une finance en voie d’épanouissement.

4 -  Ce demi-siècle de déficit est ainsi bizarrement corrélé avec une faible croissance et un fort développement de la finance. Plus curieusement encore, il est précédé d’une longue période de marginalisation de la finance et d’une très forte croissance sans déficit. Entre 1950 et 1970 la croissance moyenne est de 5% l’an alors que les soldes budgétaires sont toujours positifs (entre O,1 et 1,6%). Nous étions dans une situation strictement inverse de ce que l’on connait aujourd’hui, la croissance ne fonctionnait pas à l’abri d’une dette qui n’existait pas. Mieux la demande globale était freinée par des excédents budgétaires, certes modestes, mais réels. De quoi en principe freiner la croissance.

 5 - Si l’on examine plus en détails les choses, on se rend compte que la relative absence d’endettement signifiait aussi un décollage difficile pour la finance : pas de matière première et pas de collatéral, donc difficile mise ne route des activités spéculatives. Et difficultés accrues par un marché lui-même étroit : le taux de change n’était pas un prix de marché et la spéculation était limitée par une maîtrise/contrôle des prix sur les matières premières. Cette difficulté des activités rentières était aussi entretenue par les rapports entre Trésor et banque de France. Nous ne disposons pas de suffisamment d’informations pour détailler les volumes d’achats de bons du Trésor par la banque centrale et surtout sur la comptabilisation précise de ce que l’on appelait « les avances permanentes à l’Etat sans intérêts ». Issues d’une initiative très ancienne ( convention du 10 juin 1857 entre le Trésor et la banque de France) et initiative justifiée selon le texte lui-même « en réciprocité des avantages qui résultent pour la banque de ce qu’elle reçoit en compte courant les encaisses disponibles du Trésor » elles vont fonctionner jusqu’à leur interdiction par la loi du 3 janvier 1973. Sans que l’on puisse donner de chiffres précis, il est clair que ce type de financement correspond sans le dire à celui de la MMT (Modern Monetary Theory) qui fait que la création monétaire, dans ce type de paradigme, relève au moins partiellement de l’Etat lui-même. Et il est vrai que l’on ne sait pas si, dans le solde primaire que nous présente l’INSEE pour les comptes des années 1950 et 1960, il n’y a pas en recettes et en dépenses les mouvements entre Trésor et banque de France. De quoi comprendre des chiffres qui nous paraissent aujourd’hui ridicules et chiffres qui ne correspondaient probablement qu’aux « planchers de bons du Trésor » (les banques étaient tenues d’acheter des bons à hauteur d’un pourcentage de leur liquidité) et aux maigres achats par les particuliers dans les bureaux de postes. A l’époque la dette trop faible est incapable de « manger » le solde primaire et il reste un excédent. Ainsi dans les années 60, le solde primaire est en moyenne de 6,5% du total des recettes, tandis que les intérêts de la dette ne représentent que 2,9% de ces mêmes recettes, ce qui laisse un excèdent final de 3,4%. Ainsi dans les années 70 le solde primaire est en moyenne de 2,2% du total des recettes, tandis que les intérêts de la dette se montent à 2% de ces mêmes recettes, ce qui laisse encore un solde final de 0,2%.

6 - Les années suivantes seront celles de la rupture et vont nous mener jusqu’à le présente situation. La première rupture est bien sûr la fin relative de la croissance économique. La fin du fordisme et l’évaporation du tissu productif vers l’ex tiers-monde entraine des chutes vertigineuses de croissance : 2,5% dans les années 80, puis 2% dans les années 90, puis 1,5% dans les années 2000 et 2010, probablement moins encore aujourd’hui, le tout s’expliquant aussi par un effondrement de la productivité. Contrairement à ce qui est en général invoqué, il n’y a pas de véritable laxisme budgétaire et la situation reste sous contrôle.  Ainsi le plus longtemps possible le solde primaire va, comme dans les années 50 et 60, rester excédentaire et ce n’est qu’avec les grandes crises qu’il deviendra déficitaire : -10,5% du total des recettes en 2009, -9% en 2010, etc. En contrepartie les intérêts de la dette explosent malgré les premiers quantitative easing, ce qui va laisser des soldes finaux de plus en plus douloureux (- 15% du total des recettes en 2009 , - 14,3 en 2010, etc.). 

Bien sûr, l’effondrement des soldes s’accompagnent de masses budgétaires croissantes, d’où l’accusation d’un poids de l’Etat et de ses administrations trop élevé. Accusation qui mériterait une démonstration rigoureuse : Est-ce l’Etat qui fait disparaître le fordisme classique et l’expulsion des usines, où est-ce la mondialisation qui fait de l’Etat un réparateur d’un modèle social incompatible avec la mondialisation ? (Poids devenu gigantesque des dépenses sociales). Quoi qu’il en soit l’effet boule de neige s’enclenche ce qui est très visible au niveau du seul Etat et de son Agence France Trésor chargée de l’oxygéner. Ainsi la crise financière 2008/2009 fait décoller le déficit exprimé en pourcentage des recettes : 58% pour 2009 et encore 54% en 2010. Après une lente diminution les taux vont remonter avec la crise sanitaire : 44% en 2021  36% en 2022 et encore 49% en 2023. Pour l’année 2024 le solde prévu serait encore de 41%. Bien évidemment, le poids du roulement de la dette ne peut qu’augmenter : 50% des adjudications de France Trésor cette année serviront au seul roulement. A lui seul, le roulement de la dette pour 2024 (la vente de nouveaux bons pour rembourser les anciens arrivés à échéance) va représenter 42% du total des recettes de l’Etat.  l’appel de fonds 2024 de France Trésor aux SVT représentera quant à lui 82% du total des ressources de l’Etat. Tout aussi évident est le poids de la hausse des taux et 1% de hausse se matérialise aujourd’hui par 17 milliards d’euros supplémentaires au titre de la charge de la dette.

7 -  Que conclure ?

Jadis la croissance très forte bloquait tout risque de déficit budgétaire. Cette croissance très forte était engendrée par des gains de productivité très importants se partageant en hausse des profits, en hausse des salaires et en hausse de la masse fiscale captée par l’Etat. Le tout se déroulant sur un territoire relativement homogène. Cette croissance engendrait des institutions, celles du fordisme classique, qui, elles-mêmes, assuraient un encadrement relativement sécurisant à des acteurs/citoyens. D’une certaine façon, l’Etat providence s’édifiait dans les interstices de ce cadre très structurant. Il en découlait très logiquement que les dépenses sociales appelées à devenir gigantesques à partir des années 70/80 pouvaient être très largement contenues, ce qui confortait l’équilibre budgétaire stable de l’époque.

L’expulsion au moins partielle des activités productives vers le reste du monde (une grande partie de l’industrie, mais aussi l’agriculture et maintenant les services) déstructure et désencadre le territoire.

Bien évidemment, la croissance s’effondre puisque l’économie réelle s’évapore et se trouve remplacée par de plus en plus d’activités improductives (les entrepôts  Amazon remplacent les usines) et de plus en plus d’activités de contrôle ou de régulation mais surtout sociales tentent de réparer ce qui est progressivement détruit. En retour, le développement d’une économie de l’assistance favorise l’immigration. Moins de croissance mais aussi beaucoup plus de dépenses publiques cessant d’être nourries par la fiscalité. Le développement d’une économie de la normalisation ( contrôle/régulation) cache mal une perte progressive de toute forme d’encadrement des individus sous l’impulsion de droits de l’homme devenus illimités. Les liens sociaux classiques se  transforment en violence, une réalité dont la gestion augmente les coûts de fonctionnement de la société, et alimente la dette publique. Exporter l’économie réelle c’est faire disparaître l’encadrement général de la population   et en retour importer de la violence.

Cette même expulsion de l’économie réelle laisse la place à une finance, elle,  très irréelle. L’industrie de la finance devient elle aussi une économie de l’assistance budgétairement coûteuse. Les déficits deviennent la contrepartie d’une création monétaire par le seul filtre bancaire. La dette correspondante reste dette et il faut  assurer le remboursement du capital et l’intérêt….dans un contexte de croissance disparue. Il n’y aura pas de rétablissement du pays sans mise en extinction de la finance irréelle.

8 - Que faire ?

- Il faut évidemment mettre un terme au financement de la dette publique par les banques et restaurer la création monétaire par l’Etat lui-même. Avant de devenir « théorie » la MMT était simple pratique et ce depuis la naissance des Etats. Il faut y revenir de façon urgente et travailler les conditions et modes de réalisation de cette pratique. Elle est la condition nécessaire de la mise à l’écart d’un subventionnement permanent de l’industrie financière.

- Il faut en finir avec l’expulsion de l’économie réelle et la réimporter dans les territoires, ce qui suppose un énorme travail au niveau international.  L’OMC doit être radicalement transformée. Il ne s’agit plus de promouvoir le libre échange mais de construire les outils permettant à chaque Etat  d’édifier de façon collaborative et de respecter le principe universel de l’équilibre des balances extérieures. Nouvel universalisme se substituant à celui du seul marché. Retour à Keynes mais bien plus encore à Emmanuel Kant avec son internationalisme universliste. 

Deux thèmes qui n’en font qu’un et devraient mobiliser le personnel politique. Il n’y a pourtant aucune chance que ce très vaste et nécessaire chantier soit à l’ordre du jour dans les prochaines joutes électorales.

 

 

 

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