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12 janvier 2024 5 12 /01 /janvier /2024 13:48

Notre texte[1] publié le 31 décembre dernier comportait un point essentiel : abandonner la voie sans issue de l’éternelle surveillance permanente des budgets publics au profit de la surveillance constructive de l’équilibre des comptes extérieurs. Cela passait par des renversements ambitieux : la fin de la domination des banques centrales et le retour du Trésor comme entité autonome et motrice d’une reconstruction. Cela passait aussi par la fin du paradigme de la compétition interétatique à celle de la coopération.

Ce texte était aussi le point d’aboutissement d’une série d’autres articles insistant sur les points suivants :

- la montagne vertigineuse des nouveaux enjeux qui se portent à l’échelle du monde, donc aussi à la civilisation occidentale et à la France en particulier[2] 

-  l’impossibilité radicale d’y faire face en pérennisant une  logique « d’overdose » d’endettement classique[3 

- l’urgente nécessité de dé financiariser nombre d’activités, avec au final la nécessité de passer, au moins à l’intérieur de l’UE, d’une architecture institutionnelle porteuse d’un affaissement des nations à celle d’une association d’Etats souverains démocratiques[4].

Le présent papier apporte un complément sur l’importance d’une révision radicale de la gestion budgétaire dont nous disions qu’elle devait quitter le champ de l’idéologie de la dette.

1 -  La gestion budgétaire dans l’ancien fordisme.

 A l’époque du fordisme classique, la gestion du budget ne portait que fort peu sur l’aide à la  compétitivité des entreprises. Au-delà des grandes infrastructures construites par l’Etat, ce dernier s’intéressait moins à la qualité de l’offre globale qu’à la quantité de la demande globale. Parce que nourrie par des gains de productivité très élevés (de l’ordre de 5% l’an) l’offre globale était en quelque sorte naturellement compétitive. Le cas échéant, la souveraineté sur le taux de change pouvait l’y aider. Par contre, il fallait assurer le déversement des gains de productivité en garantissant la demande globale. La construction d’un immense Etat Providence fut ainsi une assurance de débouchés avec pour effet ultime l’édification d’une immense classe moyenne[5]. Nous sommes dans ce qu’on appelait, il y a bien longtemps, les trente glorieuses…

2 - La gestion budgétaire dans le nouveau monde.

 Sans revenir sur le pourquoi et les détails de l’édification du mondialisme dont l’UE devait en être le modèle réduit le plus parfait, il est clair que la gestion budgétaire allait changer de manière radicale. Désormais les Etats ne sont plus des aménageurs d’une demande globale qu’il faut développer, mais des contributeurs d’une offre globale compétitive. Et l’UE avec la monnaie unique va devoir devenir très sourcilleuse sur la bonne  gestion budgétaire. Le déficit public, qui naguère s’évanouissait par une fiscalité elle-même nourrie par la très forte croissance engendrée par les gains de productivité, devient l’objet d’une surveillance accrue. Il est apprécié en ce qu’il nourrit la finance (les bons du Trésor sont la matière première indispensable de la multitude des contrats financiers[6]) mais il n’est réellement et durablement toléré que s’il s’inscrit dans des limites raisonnables[7] et repose sur une baisse des prélèvements obligatoires. Par contre, il n’est guère apprécié s’il repose sur la hausse de la dépense publique, laquelle vient concurrencer des activités privatisables et financiarisables. Propos qui méritent quelques explications.

Parce que dans la mondialisation, et plus encore dans l’UE, il n’y a plus de frontières il faut se révéler compétitif. Il n’y a plus à nourrir une demande globale qui risquerait de se manifester par un supplément d’importations et de chômage. Il y a à contribuer à la musculation des entreprises et donc concourir à une politique dite d’offre compétitive.

        * Compétitivité par baisse de la pression fiscale

Une façon de procéder est bien évidemment la baisse de la pression fiscale, laquelle augmente directement les marges et au final la rentabilité globale. De ce point de vue, les Etats qui ont perdu leurs frontières maintiennent encore la distinction entre  un « dedans » et un « dehors », ce qui entraîne leur mise en concurrence dans la course à la baisse de la pression fiscale. La concurrence entre les entreprises est aussi une course aux fins d’amaigrissement des Etats. Et de ce point de vue la bataille est rude pour empêcher une cartellisation des Etats lesquels verraient possiblement un intérêt à ce que, par exemple, les bénéfices soient imposés proportionnellement à l’endroit où les ventes sont réalisées. De ce point de vue le cartel du pétrole (OPEP) est plus facile à réaliser que celui de la fiscalité. La cartellisation des Etats est d’autant plus difficile qu’il y a désormais libre circulation du capital, ce qui met en concurrence près de 200 Etats travaillés par une industrie de la finance employant plusieurs milliers d’avocats, comptables, consultants, tournés vers l’aide des plus fortunés et des moins scrupuleux.

Dans ce contexte l’Etat français n’a pas cherché à cartelliser et s’est plié à la nouvelle logique : baisse des impôts sur les bénéfices, baisse des impôts de production, affaissement de la fiscalité sur le capital, CICE, acceptation des « délocalisations fiscales » y compris à l’intérieur de l’UE (Irlande, Luxembourg), etc. L’Etat français ira même au-delà et pratiquera ouvertement une politique de baisse des charges sociales le tout agrémenté d’une politique de subventions sous formes diverses et totalisant selon REXCODE entre 6 et 9,6% du PIB, ce qui est considérable.

Et la pression s’accroit dans un contexte européen qui procède par élargissement et non par approfondissement. Ainsi le passage à 27 Etats en 2004 devait accroître la pression sur la compétitivité par l’adjonction d’Etats (pays de l’Est) aux normes salariales très inférieures à celles de l’Europe occidentale. Que dire de l’accueil de l’Ukraine dont on voit déjà les problèmes posés par une compétitivité agricole très supérieure à celle de la Pologne, de la Hongrie, etc. ? Au total, la recherche de compétitivité par baisse des prélèvements fiscaux est et sera toujours insuffisante…La seule voie possible étant la cartellisation et la perspective d’un grand Etat mondial. Hypothèse très irréaliste…

            * Compétitivité par baisse de la dépense publique

Elle est à priori encore plus difficile à réaliser car électoralement plus dangereuse. Il s’agit ici de diminuer le périmètre de l’Etat Providence : réduction/ financiarisation des prestations sociales, réduction/privatisation/financiarisation des services publics, privatisation/financiarisation du système de santé. Dans ce cas, l’Etat gère une politique de l’offre en se retirant et en offrant des parts de marché à l’offre privée. De quoi retrouver le député/ économiste Frédéric Bastiat dans son combat contre les Etats au 19ième siècle.

 C’est bien évidemment le cas du marché de l’électricité venu largement détruire EDF[8]. C’est le cas du système de soins avec retrait des structures publiques qui se cantonnent aux cas difficiles - d’où ce qu’on appelle la « dégradation du service public» et élargissement continu des structures financières, type capital- investissements, qui sélectionnent leurs activités. Par lobbying très actif, notamment auprès des autorités européennes, les apporteurs de capitaux ont réussi à prendre le contrôle de structures dont la réglementation imposait jusqu’ici la direction par des professionnels de santé[9]. De quoi transformer demain des médecins ou dentistes en « cadres moyens taylorisés» de structures entièrement financiarisées. Dans la pratique, nombre d’établissements sont ainsi privatisés et participent à l’émergence de grands groupes complètement financiarisés (Ramsay). C’est le cas des cliniques, de nombreux EHPAD et d’une partie de la sphère médico-sociale. Notons toutefois qu’il s’agit le plus souvent de fausses privatisations, les structures correspondantes jouissant d’une enveloppe  juridique privée alors que le financement reste largement public. Comme quoi le retrait du périmètre des Etats est une opération très difficile : à la ponction financière sur les déficits, vient s’ajouter la ponction  sur les fausses privatisations (pensons par exemple à Orpéa).

Pour des raisons aussi culturelles[10] déjà entrevues sur le blog , la France se trouve en particulière difficulté dans une course à la baisse de la dépense publique qu’elle n’arrive pas à concrétiser : augmentation des emplois publics locaux qui pour beaucoup correspondent à une forme du traitement social des effets du chômage industriel, et surtout augmentation considérable des dépenses de santé et de retraites provoquées par le vieillissement de la population. A cela, il faut ajouter que les efforts de rationalisation/privatisation se sont déroulées par développement d'une considérable bureaucratie  que l'on retrouve dans nombre de branches et surtout dans les dépenses dites sociales, en sorte que le "front office" visible est devenu handicapé par la lourdeur croissante du " back office" invisible ("marché de l'énergie", Hôpital, social, médicosocial, etc.). Comme quoi des gains de productivité microéconomiques espérés sont engloutis par les pertes de productivité non comptabilisées à l’échelle micro économique. Ajoutons comme exemple emblématique le cas des facultés de médecine en France qui toutes vont fonctionner à rendements décroissants sur de très longues périodes de temps (division par 3 du numérus clausus entre 1972 et 2000 et qui simultanément vont bénéficier des largesses du "plan Université 2000").

 Au total les dépenses de l’Etat régalien sont durablement stabilisées voire en diminution (pensons à l’armée), ce qui pour une population en croissance correspond à une dégradation du service public (pensons aussi à la justice). Par contre celles de l’Etat social augmentent malgré les tentatives de rationalisation/ privatisation. Ainsi on passe de 266,9 à 317,7 milliards d’euros entre 2019 et 2022 pour les dépenses de santé, et de 346 à 375,6 milliards d’euros entre les mêmes dates pour les dépenses de retraites. Plus globalement les dépenses de protection sociales passent de 761 à 849 milliards d’euros entre ces mêmes dates et représentent aujourd’hui près de 33% du PIB.

 3 - Une gestion budgétaire dépassée à dépasser

La grande transformation de la gestion budgétaire se solde pour la France par une baisse de la pression fiscale nette de subventions et une impossibilité de voir baisser la dépense publique malgré les tentatives de rationalisation/privatisation et les difficiles réformes des retraites. Il en résulte un déficit budgétaire constant, considérable, et donc difficilement gérable. Globalement, l’Etat français cherche à jouer le jeu de la compétitivité mais la démarche est quasi impossible dans le contexte mondialiste et européiste d’un interdit de solidarité entre Etats et d’un mur électoral qui interdit une dévaluation massive des retraites dont les titulaires représentent 40% des électeurs, dévaluation couplée à une autre tout aussi massive correspondant aux dépenses de soins. Le modèle culturel français vient ici bloquer le politique dans son aventure mondialiste et européiste.

Globalement, l’Etat français ne peut faire face à l’impératif de compétitivité tout en prenant des risques au regard d’un déficit public beaucoup plus élevé que dans le reste de l’UE. Sa dette publique est encore appréciée dans sa fonction de collatéralisation « sûre » dans les contrats financiers[11], mais tend à devenir trop élevée. La France est donc bien dans une nasse, une situation où elle se trouve désarmée face aux immenses contraintes géopolitiques et environnementales dans laquelle elle se situe parmi d’autres pays qui ne sont pas dans une situation significativement meilleure. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons le projet/programme de changement radical de paradigme exposé dans « Construire la colonne vertébrale d’une France renaissante »[12]

Cela passe, comme exposé dans l’article susvisé, par la disparition autoritaire de la dépendance financière, le retour d’un Etat créateur de monnaie[13]…qui ménage l’euro en raison des contraintes géopolitiques majeures du moment. Un tel dispositif, qu’il faut évidemment négocier, déplace les contraintes sur un nécessaire équilibre des comptes extérieurs à co-construire dans une coopération entre nations souveraines. 

                                                                    


[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/01/construire-la-colonne-vertebrale-d-une-france-renaissante.html

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html

[3] Soulignons que la hausse du taux d’épargne (16% contre 14 avant la pandémie) et celle des marges (32,5% de la valeur ajoutée) sont très loin des pharaoniques besoins d’investissements.

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/12/le-redressement-de-la-france.html

[6] Il est selon la règlement 648/2012 – directive dite « EMIR »- la matière première de base exigée dans les chambres de compensation sur tous les dérivés.

[7] Cf les règles budgétaires de l’UE.

[8] On pourra ici se reporter sur tous les articles du blog consacré à l’électricité. Voir notamment : http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/10/edf-la-dialectique-du-demantelement-et-de-la-nationalisation.html

[9][9] Loi du 13 juillet 1975, article L753-760 et décision de la cour de justice européenne du 16 décembre 2010

[10]http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/04/pour-sortir-de-la-crise-mettre-fin-a-la-schizophrenie-de-la-france.html.  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

[11] CF la directive EMIR déjà citée.

[13] Un peu comme le propose la très américaine « Théorie Monétaire Moderne » avec Stephanie Kelton dans son ouvrage: « Le Mythe du déficit » (Les Liens qui libèrent, 2021) ou d’une  façon plus classique avec Jezabel Couppey Soubeyrand dans son futur ouvrage chez le même éditeur : « Le pouvoir de la monnaie », ouvrage co écrit avec Pierre De Landre et Augustin Sersiron. Publication ce 17 janvier 2024

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1 janvier 2024 1 01 /01 /janvier /2024 08:39

Nous avons montré dans les articles précédents[1] à quel point les gigantesques défis qui se posent aujourd’hui se heurtent à l’architecture monétaire et financière qui organise le monde. Nous avons également montré à quel point les partis politiques surplombés par ladite architecture étaient tous très éloignés de la simple possibilité d’imaginer des  propositions sérieuses. Nous tentons dans le texte suivant de proposer la colonne vertébrale d’une réponse adaptée à la hauteur des enjeux. De ce point de vue le texte qui suit n’est pas consacré à telle ou telle recommandation de politique publique. Il s’intéresse bien davantage aux fondations qui permettront d’édifier un avenir pour le pays. C’est la raison pour laquelle nous parlons de colonne vertébrale, c’est-à-dire ce sur quoi peut être imaginé un avenir démocratiquement défini. Bien évidemment, le texte n’évoque pas les réformes dites structurelles qui toutes sont des mesures en harmonie avec l’architecture monétaire actuelle et ne font que colmater les effets de l’inévitable entropie vécue par chacun. Le temps présent ne peut plus consister à nettoyer/lisser/perfectionner le terrain de jeu et  doit être désormais consacré au renversement des règles du jeu.

Petit rappel banal :

 Le devoir du politique est de permettre aux générations futures de s’épanouir dans un monde meilleur que celui hérité par ses actuels habitants. Ce n’est évidemment pas reconstruire ce qui existait. Et parce que la vie est porteuse d’une créance de sens, le devoir du politique est aussi celui de proposer un horizon désirable. Redessiner la France aujourd’hui ce n’est donc pas reproduire son passé supposé grand, c’est simplement, compte tenu du passé, la rendre habitable, confortable, et lui donner une signification. Le logiciel politique unique qui consiste depuis plusieurs décennies à  reproduire le présent  sans en saisir son inéluctable entropie doit donc être dépassé[2]. Et même le Nobel Angus Deaton semble aujourd’hui questionner l’entropie dans laquelle nous sommes[3].

Proposition de renversement des règles du jeu monétaire et financier.

1 - On peut certes respecter le cadre budgétaire européen, par exemple voter la loi budgétaire selon les règles du pacte de stabilité et de croissance, mais en même temps reprendre le contrôle de la Banque de France en lui donnant l’ordre (interdit dans le présent cadre) d’effectuer les dépenses décidées par le parlement et l’exécutif. Ce n’est plus la banque centrale qui domine le Trésor et c’est le Trésor qui domine la banque centrale. Dans un tel contexte il n’y a plus à lancer une souscription de bons du Trésor pour alimenter le compte du Trésor à la banque centrale. Le compte est toujours alimenté. Il n’y a plus à se poser la question du taux et des difficultés à placer un emprunt qui n’existe plus. L’Agence France Trésor et sa cohorte de banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) peut disparaître.

2 - Le nouveau cadre est un cycle qui, du point de vue du Trésor, commence par une dépense immédiate  suivie d’une recette à venir (impôt et épargne éventuelle transformée en bons du Trésor). Ce nouveau cadre est inversement - du point de vue des bénéficiaires de la dépense ( secteur privé interne et externe) - une recette suivie d’une dépense à venir[4]. Le cycle provoque donc mécaniquement une pression déficitaire côté Trésor et une pression excédentaire d’un même montant côté secteur privé interne et externe. Et le moteur du cycle est bien le Trésor. La liquidité du secteur privé est en permanence assurée par le Trésor dans sa dépense. C’est le Trésor qui donne l’ordre d’ouverture du robinet à monnaie, et c’est le même Trésor qui éponge le trop de monnaie en captant l’impôt et le surplus d’épargne. Le Trésor n’attend plus - dans l’angoisse - que le marché veuille bien éponger son déficit. Bienveillant, Il tend désormais la main à ceux qui connaissent un surplus de liquidité et souhaitent acheter des bons du Trésor.  Maintenant passer de l’angoisse à la bienveillance doit aussi correspondre à une modification des prix (le taux de l’intérêt) : le Trésor est moins soumis aux prix de marché et plus décideur de la rémunération qu’il va consentir. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Les conséquences du renversement

Dans le cadre de la zone euro un tel système qui se mettrait en place en France développerait, en principe, les situations et effets suivants :

1 - Il y a tout d’abord un risque inflationniste si le moteur du cycle s’emballe et finit par produire plus de monnaie (dépense) qu’il n’en retire (impôts et bons du Trésor). La différence devenant déficit public trop important eu égard à une faiblesse des capacités matérielles propres à redessiner le pays. Ce risque doit être politiquement contrôlé sur la base d’une autorisation de création monétaire par les instances démocratiques.

2 - Il y a ensuite un risque extérieur se matérialisant par une relance…à l’étranger : la compétitivité française est trop faible et les intrants de la reconstruction sont importés massivement (pensons à la relance Mitterrand de 1981/1982).

3 - Ce second risque serait en principe très amorti en régime de taux de change flottants : le cours de la devise nationale fléchirait ce qui rendrait l’économie nationale plus compétitive, et donc l’excédent du secteur privé externe serait limité.

4 - Cette fuite très limitée au profit dudit secteur ne l’est plus avec le taux de change fixe existant à l’intérieur de la zone euro. La France ne peut pas dévaluer vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ces conditions cela signifie la possibilité d’un « déficit sans pleurs » pour la France. La hausse de la dépense publique, imposée à une banque de France devenue obéissante, transforme le pays en passager clandestin de la zone euro.  On peut même penser que le destin de la France serait celui d’un rentier de la zone euro. Les dépenses publiques croissantes effectuées par la banque de France nourrissent un flux croissant d’importations, marchandises produites dans le reste de la zone et consommées en France. On serait très loin d’une restructuration du pays, de la reconstruction du lien social, de son autonomie, etc. Une telle situation de passager clandestin, pourrait faire des émules et pourrait aboutir à un effondrement généralisé.

5 - Cette situation nous permet de mieux comprendre la logique institutionnelle européenne qui interdit toute tentative de clandestinité : Bruxelles ne peut accepter la production de monnaie par un Etat et   va par conséquent devoir mobiliser des centaines de fonctionnaires, d’abord pour vérifier que la banque centrale est réellement indépendante, ensuite  pour élaborer, mettre en œuvre et surveiller un pacte de responsabilité budgétaire….dont la complexité aux dires des dits fonctionnaires  s’ajoute à l’imprécision du langage adopté : que signifie réellement un déséquilibre « structurel » ? De la même façon le « Next generation EU », ou plan européen de relance de 2021 (807 milliards d’euros) ne correspond qu’à de nouvelles dettes et n’apporte aucune solution au regard des enjeux. Il s’agit toujours en effet de procéder par la seule logique de l’endettement.

6 - Une façon de retrouver la souveraineté pour redessiner le pays serait donc de passer de l’équilibre budgétaire à l’équilibre des comptes extérieurs. Simplement, il s’agit d’éviter la fuite et faire en sorte que la dépense publique, nourrie par création monétaire, soit effectivement mobilisée pour redessiner le pays. Cela suppose évidemment des mesures techniques empêchant le déséquilibre sur les diverses balances du compte extérieur : taxation des importations, quotas, restrictions à la circulation du capital, etc. Toutes mesures interdites dans le cadre bruxellois.

7 – Cette dernière solution est pourtant probablement la meilleure en ce que bien menée elle pourrait ne pas briser l’édifice européen. Tout d’abord si elle était décidée par la France, il est très probable qu’elle développerait un processus d’imitation. Elle présente en effet un certain nombre de qualités : elle s’annonce responsable en ce sens qu’on refuse clairement le statut de passager clandestin[5] ; elle ne met pas en cause l’euro comme monnaie unique et donc ne met pas fondamentalement en cause le projet européen ; elle autorise des dynamiques nationales qui s’ajoutent et donc globalement la fin des restrictions budgétaires qui elles aussi se sont imposées à tous et ont provoqué un décrochage de la zone par rapport aux autres régions du monde (croissance de 19,2% depuis 2017 aux USA contre seulement 7,6% dans la zone euro). Reste à convaincre en expliquant le plus honnêtement possible.

Les résultats attendus

Les points susvisés méritent quelques explications et précisions :

1 - Il faut tout d’abord bien comprendre que le taux de change de 1 contre 1 à l’intérieur de la zone euro (l’euro n’est convertible qu’en lui-même) est le moteur de l’attrition européenne au regard du reste du monde. Si l’on se borne au cas franco-allemand, le déséquilibre extérieur France/Allemagne est porteur d’une attrition et pour la France et pour l’Allemagne. Parce que la France dispose d’un euro largement surévalué, le taux de change lui garantit un déséquilibre commercial abyssal (191 milliards d’euros pour 2022). Celui signifie une production nationale perdue pour un même montant (les français « mangent » un revenu qui n’est pas produit). De façon très approximative cette production perdue ou sous production correspond à 7,5% du PIB, et un peu plus de 2 millions d’emplois.

Parallèllement, parce que l’Allemagne disposait jusqu’ici d’un euro largement sous-évalué, elle disposait d’un excédent commercial considérable la conduisant à une stratégie mercantiliste qui commence à être dénoncée. Elle maintient une épargne considérable qui aurait pu être transformée en dépenses nécessaires (infrastructures délabrées, retraites insuffisantes, etc.). Globalement l’Allemagne pouvait mieux dépenser et la France pouvait davantage produire. Le déséquilibre franco/allemand est donc porteur d’un déficit de croissance globale. Si les taux de change pouvaient être modifiés et si donc un euro français pouvait moins valoir qu’un euro allemand, la croissance allemande serait moins mercantile et la croissance française serait plus élevée. Le raisonnement peut être généralisé à l’ensemble de la zone euro et donc si cette dernière reste à la traîne du reste du monde c’est en raison de la fixité du taux de change infra-zone.

Il est donc urgent d’inventer un dispositif permettant de retrouver les capacités productives de tous les pays à déficit commercial. Le gain de croissance collective de la zone permettra en retour un taux de change plus faible de l’euro au regard des autres devises. Taux de change allant donc dans le sens de la fin des excédents considérables de la zone avec le reste du monde. Observons toutefois que ce raisonnement est quelque peu biaisé par le fait que les contraintes qui s’exerceraient pour la construction d’un équilibre extérieur sont des gains à l’échange contrariés et donc le gain de croissance global reste sans doute difficile à évaluer.

2 - Globalement le passage de la « surveillance » des budgets publics (la monnaie est contrôlée par la finance) à celle de la « surveillance » des comptes extérieurs (la monnaie est émise par l’Etat) passe par une collaboration d’abord bilatérale mais probablement rapidement multilatérale entre pays déficitaires et pays excédentaires. Par exemple, l’Allemagne désormais bloquée dans sa trajectoire mercantile (problème des sanctions pour la Russie, keynésianisme stratégique américain, réduction du débouché chinois) pourra éviter le chômage français en relançant la consommation voire l’investissement interne…tout en évitant son propre chômage. La France en bénéficiera mécaniquement (moins d’exportations allemandes vers le reste du monde contre plus d’importations en provenance de la France), mais bien évidemment il lui faudra travailler sa compétitivité extérieure, d’abord sans doute par des mesures restrictives mais aussi en mobilisant les opportunités offertes par une monnaie émise par l’Etat. Ces opportunités ne sont pas négligeables et correspondent aux sommes mobilisées improductivement aujourd’hui au titre de la charge de la dette publique (55 milliards d’euros pour la France en 2023). Ces sommes deviennent des outils de compensation des inconvénients créés par une monnaie unique inadaptée et par définition inutilisable pour la maitrise des taux de change. Le maintien de la monnaie unique a un prix qu’il faut hélas payer. A terme, l’ensemble de la zone verra ses forces d’attrition se relâcher par une dépréciation globale de l’euro vis- à- vis du reste du monde.

3 - Mécaniquement le primat de la monnaie simple marchandise émise par les banques devait progressivement imposer la fin du bilatéralisme et l’imposition d’un ordre multilatéral contrôlé par la finance et assurant la fin des souverainetés. Cette fin des souverainetés devait être garantie par l’indépendance des banques centrales qui elles-mêmes devenaient le support d’un ordre multilatéral. Sans cette garantie la finance ne pouvait s’étendre. L’ordre interne, c’est -à-dire le budget, est surveillé, tandis que les frontières doivent disparaître : il n’y a pas à s’occuper de l’équilibre des comptes extérieurs. Notons que ce raisonnement se vérifie dans la pratique de l’agenda des fonctionnaires bruxellois : les budgets sont dans le champ des radars et les comptes extérieurs y échappent.

Tout aussi mécaniquement le primat d’une monnaie émise par l’Etat renverse les choses : l’ordre interne, c’est -à-dire le budget cesse d’être surveillé, et les frontières font l’objet d’une grande attention. Le retour de la souveraineté ne peut accepter celle des banques centrales qui doivent impérativement se contenter d’obéir et de faire respecter le politique retrouvé dans le système financier. Les banques centrales qui, partout dans le monde furent historiquement les enfants des Etats, doivent après leur grande fugue mondialiste revenir à la maison.

4 - Globalement l’objectif d’un équilibre des échanges extérieurs est favorable à l’élaboration de stratégies coopératives entre Etats. La lutte pour l’équilibre est affaire de discussions entre le déficitaire et l’excédentaire, ce dernier se devant de prendre sa part de responsabilité. A l’inverse dans le cadre actuel, l’Allemagne n’a aucun intérêt à ne pas maximiser sa « rente de taux de change » en adoptant une stratégie ouvertement mercantiliste et peu coopérative.  Alors que les présentes règles sur le budget sont l’affaire de chacun pour plus de compétitivité, la règle de l’équilibre extérieur est ouvertement coopérative. Notons que cette coopération est aussi ce qui faciliterait l’émergence d’une union des marchés de capitaux (UMC).

5 - L’ordre multilatéral n’est pas incompatible avec le retour des souverainetés. L’équilibre des comptes ext[JW1] érieurs est  un objectif de négociation qui peut commencer avec une offre politique nouvelle, celle du pays qui aura, le premier décidé, de retrouver sa capacité à produire de la monnaie. Le début du processus peut être d’ordre bilatéral, mais il devrait par imitation reproduire un ordre multilatéral : La mondialisation devient une « association d’Etats souverains » si possible démocratiques. Elle cesse d’être un liquide noyant les Etats qui ne savent pas nager pour cause d’amputation monétaire.

6 - Le processus de transformation de la monnaie marchandise en monnaie politique participe à l’engendrement d’un ordre sociétal nouveau. Dans le paradigme de la monnaie marchandise il y a en devenir la fin des souverainetés, la mondialisation et l’affaissement des nations : les droits de l’homme enflent et deviennent un fleuve en crue noyant les droits et devoirs du citoyen. Dans le paradigme de la monnaie politique, les droits de l’homme retrouvent leur lit et les droits et devoirs du citoyen ne sont plus dévalorisés.

7 – Il est donc clair que la prise en charge sérieuse de l’avenir ne laisse qu’une place limitée aux partis de la droite traditionnelle qui se sont contentés de se lover dans ce qu’on appelle le néolibéralisme ou l’ordo-libéralisme. Il ne laisse guère non plus de place aux partis dits de gauche qui ayant abandonné, le champ des luttes économiques se sont reconvertis dans celles qui affaissaient la citoyenneté. A leur décharge, reconnaissons qu’ils furent tous endoctrinés par les discours normatifs des économistes en difficulté avec la lecture du réel. Des économistes qui ne semblent pas connaître de révolution copernicienne et qui n’ont pas l’humilité des astrophysiciens, testant/contestant en permanence les modèles au regard des réalités qu’ils découvrent.  Redevenir sérieux ne consiste pas à construire des programmes détaillés à vendre sur des marchés politiques. Redevenir sérieux c’est d’abord observer et lire les faits en tentant de les rendre intelligibles aux fins de proposer un avenir désirable. Il est grand temps de voir les partis s’atteler à cet exercice plus difficile que celui de la communication.

Conclusion :

1 - Le scénario proposé avait aussi pour objet de répondre à la très  grande complexité de notre monde : climat, environnement, démondialisation ou « grande fragmentation », déchirures sociales, guerres de grande intensité. Nous avons tenté de montrer que cette complexité se traduit par une gigantesque montée des coûts de la production/protection d’un monde habitable. Et une montée des coûts qui ne peuvent plus être couverts par de la dette[6].

2 - Parce que le danger de réécriture d’un nouvel ordre est considérable dans le présent contexte, le scenario proposé reste modeste et tente d’apporter des solutions sans déchirures trop graves de l’ordre ancien. Ainsi Le contexte géopolitique ne peut nous autoriser la contestation trop radicale de l’ordre européen. D’où l’acceptation d’une monnaie unique certes très couteuse mais en même temps  symbole d’un rassemblement. On peut certes réduire le poids de la finance et faire disparaître la dette publique mais il nous semble très difficile d’aller plus loin. D’où aussi le maintien d’un authentique libéralisme qui autorise néanmoins le passage vers moins de compétition et davantage de coopération.

Nous n’avons évidemment pas abordé toutes les questions et certaines d’entre-elles ont déjà été partiellement évoquées dans l’article du 18 décembre : « la reconstruction passe par une bonne dose de dé financiarisation »[7]. Nous n’avons pas non plus traité de façon détaillée  la question de la création monétaire par l’Etat : faut-il passer à la monnaie numérique de banques centrales ? faut-il interdire la création monétaire par les banques ? etc. Ce qui nous renvoie à d’autres textes déjà publiés, notamment celui du 20 octobre dernier : « Reconstruire le système bancaire »[8] ou celui du 1er octobre : « Politique publique : entre la dette et le climat, il faut choisir »[9]. Notons enfin que les nouvelles technologies monétaires peuvent aider à l’émergence du scénario proposé.[10]

3 - Il existe présentement une conjoncture favorable à ce que la France se lance dans un tel scénario. D’abord une prise de conscience d’effets cumulés devenus insupportablement lourds :  prise de conscience que le pays est désormais le plus désindustrialisé de toute l’Europe, prise de conscience de déficits jumeaux (budget/ balance commerciale) parmi les plus lourds de toute l’Europe, prise de conscience d’un stock de dettes publiques le plus élevé de toute l’Europe. Le moment est donc venu d’un nécessaire changement de paradigme.

Ensuite des circonstances extérieures ouvrent une nouvelle fenêtre au pays. L’Allemagne ne peut plus elle-même se lover dans le paradigme des discours normatifs des économistes. Elle constate amèrement qu’elle ne peut plus vivre dans le confort d’une « rente de taux de change » aujourd’hui mangée par les nouveaux contextes géopolitiques. Un changement qui s’est révélé dans les  nouvelles négociations concernant le retour prochain du pacte de stabilité. 

Au total il existe donc une opportunité pour que la France reprenant l’initiative au niveau européen propose une association d’Etats souverains démocratiques.

 

                                                                                                                                                                                                                                                           Jean-Claude Werrebrouck  le 31 décembre 2023

 

[2] Reconnaissons d’emblée que ce sera pourtant difficile tant l’architecture monétaire et financière nous surplombe. Comment ne pas être étonné, par exemple, par ces propos d’un patron de la finance qui espère toujours une réforme progressiste autorisant le Bitcoin dans les futurs ETF : « Le bitcoin pourrait être la clé de la prolongation de la civilisation occidentale ». (Brian Armstrong directeur général de Coinbase). De quoi être pleinement rassurés surtout si on apprend que Coinbase s'octroie les services de george Osborne ancien chancelier de l'Echiquier du gouvernement britannique. Soulignons que la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) applicable dès janvier 2024 exclue (à la demande de la France) la finance de son périmètre d’intervention, ce qui confirme bien le sentiment d’une finance en surplomb sur le monde.

[3] Cf son article : « Le progrès est en danger » dans Le Monde du 31 décembre 2023.

[4] Nous conseillons de relire ici notre article du 21 décembre : « l’Etat, une entreprise si particulière ».

[5] Ce que les autorités européennes n’ont pas complètement réussi à faire avec le « boulet » des soldes TARGET 2.

[6] Le texte du président de la République publié dans Le Monde du 31 décembre : « Il faut accélérer en même temps sur la transition écologique et sur la lutte contre la pauvreté » est à cet égard toujours aussi éloigné de la réalité. Les projets à l’échelle mondiale sont gigantesques mais tout doit être financé par des charges nouvelles y compris pour les banques par de la dette. Comment va-t-on faire pour rembourser un ensemble qui va jusqu’à rémunérer les services rendus par la nature ? Comment faire si les DTS nouveaux ne deviennent pas une monnaie produite par un FMI nouveau ? La réforme des institutions de Bretton woods est évoquée, mais il, s’agit simplement d’un changement de taille et non d’une sortie du paradigme de la dette.

[7] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

[9] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/politique-publique-entre-la-dette-et-le-climat-il-faut-choisir.html

[10] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/09/technologie-monetaire-et-ordre-politique-vers-un-nouveau-monde.html


 [JW1]

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22 décembre 2023 5 22 /12 /décembre /2023 17:33

Cette phrase figure dans le livre dont l’auteur est président d’une grande entreprise et par ailleurs ingénieur général des mines. Nous tairons le nom bien que  les Echos des 22 et 23 décembre font l’éloge du livre. En poursuivant la phrase nous trouvons ceci :

 « Certes, c’est un organe vital parce qu’il permet aux entreprises de financer l’investissement et ainsi d’améliorer la productivité du travail et parce qu’il permet aux individus de lisser leur consommation tantôt en empruntant (étudiants) tantôt en épargnant (pour leur retraite) . Mais c’est un organe qui n’ayant pas d’autre utilité que d’alimenter les autres organes doit garder un poids léger (4% du PIB en France), sauf à capter des marges indues par faille régulatoire, défaut de concurrence ou naïveté des clients ».

Il faut savoir de quoi on parle et il est probable que l’auteur confonde les 4% de PIB avec un bilan bancaire agrégé représentant un peu plus de 4 fois le PIB de la France. Le seul bilan de la BNP – en ne comptant pas les actifs hors bilan - est aujourd’hui supérieur au PIB de la France. Effectivement, si la finance est à l’économie ce que le cœur est au corps, il y a manifestement un hypertrophie cardiaque hallucinante. Signalons par exemple que le bilan de Total Energie, une entreprise qui est effectivement dans le monde de l’économie réelle et qui est l’une des plus importantes du pays, est 10 fois inférieur au bilan de la BNP ? Signalons aussi que le corps - très petit- est plus solide que le cœur -trop gros- car l’actif de Total, même à une époque de contestation des énergies fossiles, est autrement plus fiable que celui de la BNP qui est trop constitué de titres à valeur très aléatoire. Au-delà, Total pourrait probablement s’émanciper des banques alors que la BNP se repose sur cette mère des banques qu’est la BCE.   Ne multiplions pas inutilement les exemples mais signalons quand même que le seul marché des changes brasse quotidiennement la valeur annuelle du PIB agrégé de l’Allemagne et de la France !

N’allons pas plus loin. Nous voulions simplement mentionner cette « fake-news » et beaucoup regretter qu’un quotidien réputé sérieux se livre à sa diffusion en l’état.

 

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21 décembre 2023 4 21 /12 /décembre /2023 14:48

L’Etat est une entreprise qui achète et vend comme toute entreprise. Il achète des matières premières, de la force de travail (fonctionnaires) et vend ce qu’il produit (des services publics à prix nuls). Heureusement pour lui il peut couvrir tout ou partie de ses coûts par des subventions appelées impôts.

Il peut aussi être ambitieux, se livrer à de forts investissements et s’endetter, ce qui ne le distingue guère des entreprises qui elles aussi s’endettent. Cette opération est tout simplement un achat de monnaie sur le marché de la monnaie. Si les entreprises pouvaient fabriquer de la monnaie elles n’auraient pas à s’endetter et, probablement, elles  seraient grandement insouciantes vis-à-vis de la gestion. Très vite on produirait plus de monnaie que de marchandises et l’affaire se terminerait par une gigantesque inflation. Les entreprises elles- mêmes disparaitraient vite du paysage.

Des Etats qui vont perdre leur code génétique...

Les Etats à l’inverse des entreprises furent historiquement des créateurs de monnaies, privilège longtemps conservé et partiellement abandonné. De ce privilège il ne reste plus que le pouvoir de définir une base monétaire et assurer un cours légal : la monnaie légale en France est l’euro et tout le monde est obligé de l’accepter. Le pouvoir de création lui étant retiré, l’Etat ressemble de plus en plus à une entreprise, et s’il veut comme les entreprises dépenser plus qu’il ne gagne, il lui faudra s’endetter…en ayant recours au marché de la monnaie. Finalement l’Etat d’aujourd’hui ressemble bien à une entreprise : il est au moins pour ce qu’on appelle la dette, enkysté dans le marché. A ce titre il se trouve surveillé comme toutes les entreprises par la finance, ce que chacun peut constater avec les peurs gouvernementales concernant les décisions des sourcilleuses agences de notation.

Jadis, lorsqu’il a émergé dans l’histoire de l’humanité, l’Etat n’était pas enkysté dans une économie qui n’existait pas, et la monnaie qu’il allait inventer n’avait rien d’une marchandise. A l’époque, l’Etat était une stricte entreprise politique et s’il s’est mis à fabriquer de la monnaie c’est essentiellement pour couvrir les charges de la guerre au regard d’autres Etats. Cette monnaie fut très rapidement du métal accepté par tous, y compris ses ennemis et les mercenaires qu’il engageait dans la guerre. Simultanément, cette monnaie métallique étant issue de mines toujours trop rares, il lui fallait un moyen de récupérer tout ou partie de la masse métallique par le bais d’une fiscalité qu’il fallait là aussi inventer. Nous avons déjà là le circuit du Trésor qui sera remis au gout du jour au vingtième siècle. Au final l’Etat n’avait pas comme aujourd’hui besoin d’acheter une monnaie qu’il produisait. Avec toutefois une réelle contrainte : sa capacité à dépenser était limitée à sa capacité à produire du métal... ou à augmenter la pression fiscale. Au-delà, on entrait dans la dette ce qui fut historiquement le cas. D’où les fameux mercantilismes à partir du 16ième siècle en Europe et déjà une dépendance vis -à -vis d’une finance en voie d’épanouissement.

Avec la fin de l’or et l’avènement d’une monnaie fiduciaire inconvertible en métal il aurait été possible pour l’Etat de retrouver sa vie de jadis avec au surplus l’absence de limite à sa capacité créatrice de monnaie. Curieusement, c’est au moment où l’Etat se libère du métal qu’il va s’enkyster dans un marché de la monnaie. Sans s’attarder sur l’histoire concrète il est vrai que si tous les Etats avaient conservé leur puissance créatrice de monnaie, la course à la production de monnaie aurait été rapidement ruineuse. Chaque Etat aurait pu produire une très grande quantité de monnaie pour acheter les marchandises des autres Etats, ce qui aurait entrainé des chutes de change généralisées et une hyper inflation mondiale. Il fallait donc instaurer une discipline et, pour se faire, interdire aux Etats de créer de la monnaie. D’où la chasse à ce qu’on appelle encore la planche à billets et beaucoup plus tard l’indépendance des banques centrales. Le chemin historique aurait pu être autre et par exemple un pouvoir démocratique aurait pu imaginer un contrôle de l’émission monétaire par l’Etat, avec une liberté totale d’émission à l’intérieur d’un objectif de stabilité monétaire gravé dans le marbre d’une Constitution. Naguère, les mines de métal, toujours insuffisantes, pouvaient imposer la rigueur, aujourd’hui la Constitution pourrait faire office d’une mine de métal à la fois aussi sérieuse et moins rigide. La réalité historique et plus spécifiquement en Europe fut toute autre et l’on va enkyster les Etats dans le marché de la dette publique et donc le paiement d’un intérêt à la finance, qui elle va récupérer la totalité du pouvoir monétaire.

Le monde devenant progressivement englouti dans une économie à très forte croissance, ce que l’humanité n’avait jamais connu jusqu’au 19ième siècle, il faudra de plus en plus de monnaie pour faire circuler un PIB de plus en plus lourd. Et une monnaie qui sera créée par les seules banques et qui pourra nourrir les dépenses d’un Etat appelé lui aussi à un très fort grossissement. Désormais l’Etat se doit de passer par le marché de la dette publique alors qu’au vu de son passé historique rien ne l’y obligeait. Désormais les Etats doivent se comporter comme des entreprises qu’ils ne sont pourtant pas. Et  comme les entreprises ils doivent veiller à la soutenabilité de leur dette.

.... Mais Des Etats qui doivent le retrouver impérativement.

Les problèmes d’environnement et géopolitiques majeurs imposent aujourd’hui la reconstruction d’Etats puissants disposant de très gros moyens. Cela signifie que des Etats enkystés dans un marché de la dette publique ne pourront jamais faire face aux problèmes du moment. Il faut en effet disposer d’énormes moyens financiers que le marché est incapable de fournir dans la configuration qui est la sienne. Il doit se réarmer comme au bon vieux temps de sa naissance pour mener plusieurs guerres dont bien sûr celle de l’environnement.

Si les choses sont politiquement difficiles, elles sont pourtant techniquement simples. Il n’a même plus besoin de mines de métal et l’Etat peut se contenter de créer de la monnaie en donnant des ordres à sa banque centrale. L’équivalent du circuit du métal de jadis est le suivant :

               1 -  Ordonner à la banque centrale d’effectuer les dépenses publiques nouvelles, celles devant faire face aux nouveaux dangers. La banque centrale abonde donc le compte du Trésor du montant exigé et effectue les virements correspondants à la dépense publique ;

                                                    2 - Constater l’abondement des dépenses sur les comptes des banques et l’abondement de leur compte à la banque centrale ;

                                                           3 - la liquidité excessive qui se forme sur les comptes devient une épargne : des agents bénéficiaires de la nouvelle dépense publique vont consommer et épargner ;

                                                          4 - La fiscalité plus importante retourne sur le compte du Trésor à la banque centrale : on consomme, on épargne mais on paie aussi des impôts.

                                                           5 -  l’épargne nouvelle est aussi un stock de monnaie que le Trésor peut éponger en offrant des bons du Trésor.

 Les dépenses gouvernementales créent un déficit public dont la contrepartie est un excédent faisant à priori le bonheur du secteur privé. Il existe toutefois 2 limites. La première est le risque d’inflation si les dépenses ne rencontrent pas les moyens matériels de la réponse aux nouveaux défis (la main d’œuvre et les divers intrants). La seconde est que le secteur privé est aussi fait de l’étranger et les dépenses nouvelles peuvent entrainer un déficit extérieur.

Un nouveau monde ?

En supposant  que  ces questions soient techniquement et politiquement résolues, nous constatons l’émergence d’un autre monde. Le marché de la dette n’existe plus et les taux croissants justifiés par  le volume croissant de la dette publique n’existent plus. Il n’existe plus de risque de taux ou de spreads de taux qui attirent les attaques de la finance spéculative. Les crises des finances publiques de la décennie 2010 ne peuvent plus menacer. Les problèmes de la Grèce de l’Italie, voire de la France disparaissent.

La finance n’en veut pas

Mais ce nouveau monde est difficilement acceptable par la finance qui y verrait une réduction considérable de son périmètre d’activité. La dette publique dans sa configuration actuelle fait partie du marché et à priori un marché de qualité puisque les bons du Trésor sont des actifs réputés sûrs servant de matière première aux constructions financières. Au-delà si l’Etat redevenait politique il pourrait ne plus respecter les règles du jeu de l’économie de marché : il pourrait devenir éléphant dans un magasin de porcelaine et trop largement substituer son Etat-providence au marché. Reconnaissons toutefois qu’il pourrait aussi diminuer les impôts ce qui serait favorable au développement des marchés. Reconnaissons aussi qu’il faudrait aussi veiller au non développement de l’inflation donc se fixer une limite en matière de création monétaire.

La conclusion de ce raisonnement est simple : La finance doit veiller à ce que la dette publique existe et qu’elle doit se vivre à l’intérieur des règles du marché. Mais la finance doit aussi veiller à ce que ce marché soit sécurisé : la dette publique doit-être contenue dans les limites de la soutenabilité, à peine de crise et de possible effondrement financier. Pour se faire elle agite les outils de la surveillance des Etats en proposant le recul des activités publiques permettant aussi le recul de la pression fiscale.

L’Etat pourra-t-il reprendre le pouvoir?

L’intérêt de l’Etat est clairement de se retirer de sa position d’agent capturé par la finance et de se reconstituer comme être politique. Il doit se repositionner comme créateur au moins principal de monnaie. A ce titre il perdrait son statut idéologique d’endetté fragile et peu sérieux.

D’abord il lui faut constater -  et surtout faire constater par ses électeurs - que le statut de créateur de monnaie est clairement meilleur. Bien sûr il y aura toujours des achats de bons du Trésor dans le nouveau modèle. Mais ces achats sont d’une toute autre nature. l’Etat ne doit plus - comme aujourd’hui-  acheter de la monnaie pour dépenser. Il décide de dépenser, et les bons du Trésor achetés ne font que suivre la dépense : l’Etat offre simplement d’éponger la surliquidité qu’il a lui-même engendré et offre ainsi un débouché à une épargne qu’il a lui-même crée. De quoi renverser complètement le tintamarre de la logique d’un endettement qui se ferait aux dépends des générations futures. Et effectivement il y   a bien un renversement du monde puisque l’Etat n’est plus quémandeur sur un marché dans lequel il est surveillé, mais un offreur d’opportunités nouvelles. Logiquement le taux d’intérêt offert pour cette nouvelle épargne doit contrer le risque extérieur. En effet, il faut empêcher une éventuelle fuite des capitaux et capter la nouvelle épargne par une rémunération suffisante.

Le seul et vrai problème est donc ailleurs. Comment mettre fin à une tutelle financière adossée à un système institutionnel qui lui confère une légitimité ? Plus particulièrement eu Europe le système financier dispose de ce bouclier très puissant qu’est la monnaie unique.

Conclusion :

La conclusion du raisonnement que l’on vient de tenir est simple : on ne pourra pas faire face aux immenses défis d’aujourd’hui, sans d’abord s’attaquer aux questions monétaires et financières. De cette constatation, il en découle que tout programme politique ne mettant pas au premier rang cette question n’est tout simplement pas sérieux.

Nous tenterons dans un prochain article d’aborder la question de l’appariment de l’impérieuse réforme monétaire avec les institutions de la monnaie unique.

 

 

 

 

 

 

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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 07:26

 Le point fondamental de la reconstruction est un combat contre toutes les causes,  les formes de déliaison sociale et de leurs effets collatéraux. Il s’agit d’une recherche de compétitivité globale, ennemi radical des « réformes structurelles » qui n’ont jusqu’ici fait qu’engendrer un mal être croissant entre les humains (creusement des inégalités, voire émergence de communautés antagonistes) d’une part, et entre ces derniers et le reste du vivant d’autre part.

Une compétitivité qui cesse d’être unidimensionnelle.

 La compétitivité n’est plus un état fonction d’une seule variable, mais de la totalité des paramètres qui caractérisent un ensemble humain vivant dans un territoire lui-même en liaison avec d’autres territoires. Elle est faite du sens des autres, du souci du bleu contre le gris, de celui du chaleureux contre le froid, de l’humain contre le mécanique et l’automatique. Elle est certes faite de libertés fondamentales dont bien sûr la démocratie et la liberté d’entreprendre, mais elle est également faite de cohésion sociale, de respect des cultures, de respect de l’environnement[1], de respect des territoires extérieurs à ladite société et de leurs habitants, donc de respect des nations. La compétitivité totale n’est donc pas qu’une affaire de productivité du travail ou de taux de salaire[2].

Sortir du cadre…

Cette recherche de compétitivité globale passe par le point 2 de notre précédent texte[3] définissant les 5 blocs ou piliers de la reconstruction. Sans détailler, ces 5 piliers supposent de mobiliser des moyens à priori hors de portée dans le cadre des habituelles règles du jeu, règles plus ou moins reconduites dans le nouveau pacte de stabilité en cours de rédaction (Accord du 8 décembre entre Berlin et Paris). Quelque soit le bloc considéré, il n’est plus question de fixer les salaires selon la logique de la productivité marginale, mais d’abord sur leur contribution à la reconstruction du lien social. Ainsi le bloc instruction/éducation suppose une revalorisation massive des rémunérations d’une profession au cœur de la reconstruction[4]. Il en est probablement de même pour la plupart des acteurs des autres blocs : le travail manuel avec par exemple, dans le bloc environnement, l’isolement thermique des habitations ; le travail, dans le bloc santé avec par exemple celui des infirmiers et aides-soignants, etc. deviennent des priorités de la reconstruction et donc supposent des revalorisations massives des rémunérations correspondantes. Et donc des revalorisations permettant d’évacuer les faux débats sur les métiers en tension sauvés par une immigration illégale : la mauvaise image de certains métiers est d’abord provoquée par la faiblesse des rémunérations associées. Une mauvaise image peut s’effacer par le bais d’une rémunération plus attractive. Ce qui suppose un changement de paradigme économique.

Cette réorientation suppose donc une redéfinition des politiques publiques et redéfinition extrêmement gourmande en travail et en capital. Il est très difficile d’évaluer l’énormité des besoins, mais on peut toutefois avancer quelques chiffres impactant directement la dépense publique : probablement près de 10 milliards d’euros pour la formation, 33 milliards pour l’environnement selon le rapport Pisani Ferry, plusieurs milliards pour la santé, sans doute bien davantage pour l’énergie[5], et probablement plus de 10 milliards pour la défense nationale. Le total dépasse probablement la soixantaine de milliards chaque année dans un contexte à priori de baisse des recettes fiscales. Une baisse en raison de la chute de la productivité d’un capital plus coûteux (la protection de l’environnement est une dépense qui, pour l’essentiel, ne produit pas), et aussi de la chute des prélèvements fiscaux sur des énergies fossiles produites en moindres quantités. Ajoutons que beaucoup de ces dépenses ne seront jamais un capital avancé et restitué par une production. C’est le cas de l’environnement qu’on ne peut traiter dans le cadre d’une logique d’investissement impliquant un retour sur capital investi : non seulement un intérêt est impensable mais le remboursement du capital est tout aussi impensable. C’est également le cas des dépenses militaires qui ne font pas l’objet d’un échange marchand.

Il est donc évident que dans un tel contexte il n’est guère question d’en rester avec le présent modèle financier. Les dépenses publiques supplémentaires ne peuvent pas faire l’objet d’une dette mais d’un simple financement monétaire par la voie d’une banque centrale au service de la puissance publique, ce qui est interdit dans le TFUE. Construire un tissu social de qualité et sécurisé dans ses rapports avec d’autres mondes humains et le reste du vivant, suppose d’en finir radicalement avec le présent modèle financier.

Tout en respectant le travail comme mode de socialisation.

Dès lors comment sortir du carcan financier sans une rupture plus ou moins frontale avec l’UE et au-delà le reste du monde ? Au-delà des seules mobilisations de moyens financiers qui ne peuvent plus être dans une logique de marché, comment mobiliser les autres ressources et en particulier le travail ? Dans un tel contexte comment augmenter le taux d’activité seul susceptible de répondre aux immenses défis ? Plusieurs voies sont possibles. D’abord arrêter le subventionnement de la non activité et assurer, comme déjà indiqué, une rémunération beaucoup plus élevée pour tous les secteurs prioritaires (plusieurs millions d’emplois). Il faut ensuite mobiliser ceux qui seront progressivement invités à abandonner les secteurs ne contribuant pas à la productivité globale et qui souvent la freine, voire contribuent à sa destruction. A titre d’exemple les professions productrices d’une publicité abrutissante porteuse de la confection de l’individu isolé et simplement désirant, les branches d’activité ouvertement nuisibles telles celles concernant le faux marché de l’électricité avec sa bureaucratie et ses fournisseurs non producteurs et simplement capteurs de rentes, nombre des professions de la finance elles aussi simplement captatrice de rentes à partir de la matière première commune qu’est la monnaie, les gigantesques bureaucraties de marché, telles les autorités administratives indépendantes, les agences de contrôle et de notation, les activités en redondance et au service de l’industrie financière, etc. Il est difficile d’évaluer le nombre d’emplois inutiles ou destructeurs mais il s’agit probablement de plus d’un million. Ce grand chambardement sera aussi aidé par les nouvelles technologies productrices d’une taylorisation des activités dites intellectuelles (blockchain, IA, etc.) jusqu’ici, bien, voire trop rémunérées. Il aboutira en perspective à un resserrement de l’éventail des rémunérations, avec des professions qui, progressivement, cessent d’être méprisées et d’autres qui cessent d’être survalorisées.

L’augmentation du taux d’activité et le déplacement du travail depuis les espaces socialement improductifs vers ceux qui le sont davantage, supposent le réengagement d’une planification évoquée au point 5[6]. Toutefois, cette dernière n’est envisageable qu’après avoir résolu la question de la dé financiarisation. Il nous faut y revenir.

Le comment de la dé financiarisation

Le premier geste de la dé financiarisation concerne le marché primaire de la dette publique¸ Il n’appartient plus aux banques de créer de la monnaie pour acheter des bons du Trésor vendus par l’Agence France Trésor. Ce trop présent marché n’est plus éthiquement acceptable puisqu’il revient à concéder la puissance créatrice de la monnaie à des personnes privées qui vont - sans coût-  utiliser cette puissance à leur profit et au détriment de la collectivité (le taux de l’intérêt). On ne peut utiliser la puissance de l’Etat pour le dépouiller[7].  Il faut donc décider qu’il n’y a plus à acheter de bons du Trésor sur un marché primaire et ordonner à la banque centrale elle-même de financer le Trésor, un geste supprimant l’Agence France Trésor devenue inutile. En termes concrets cela signifie l’abandon pour 2024 des charges publiques au titre du roulement de la dette actuelle (paiement des charges d’intérêt + paiement des bons parvenus à maturité + dette nouvelle au titre du déficit budgétaire). La somme correspondante se monte à 285 milliards d’euros et ira en decrescendo jusqu’à la disparition complète de la dette, soit compte tenue de la maturité actuelle (un peu moins de 7 ans) en 2030. Un tel geste n’affecte en aucune façon la liquidité bancaire puisque le Trésor continue de respecter ses engagements. Elle n’affecte pas non plus la rentabilité bancaire puisque les activités de collecte d’épargne et de crédits continuent de fonctionner. Mieux le coût de l’éviction par la gestion de la dette publique se trouve éliminé.

Ces ressources supplémentaires considérables, donc à la hauteur des enjeux, seront affectées à la reconstruction de la compétitivité globale, le mot d’ordre étant moins de finance et plus d’économie réelle.

D’abord une hausse sérieuse des rémunérations pour tous les emplois de première ligne et aussi les emplois affectés à l’environnement et au climat. Cette hausse s’opère sous financement direct s’agissant des emplois publics et assimilés. Elle s’opère ailleurs par financement indirect sous la forme de hausse des marges permettant à tous les métiers - en tension et à créer- de rémunérer correctement les collaborateurs. Il nous faudra détailler la démarche retenue afin d’en éviter les effets pervers. Cette hausse sérieuse prend pour appui les 285 milliards d’euros libérés par la disparition du marché de la  dette publique.

Ensuite, il faut mettre en place une aide à la reconversion des emplois inutiles ou nuisibles. Une aide qui pourra partiellement s’autofinancer, par exemple par augmentation des taxes ou suppression des rentes sur les activités inutiles voire nuisibles, comme c’est la cas de nombre de prétendus fournisseurs d’électricité ou encore celui de nombre de métiers spécialisés dans la production du consentement à la sur consommation et au gaspillage ostentatoire (publicité). On ne peut  plaider pour la sobriété et en même temps travailler à l’anormale et asociale  suractivation de la dépense privée.

Rétrécissement du terrain de jeu de la finance et élargissement de celui de l’économie

 Plus globalement, cette aide devra compenser les pertes de marché dues au processus de dé financiarisation. Il s’agit ici d’un axe majeur de la politique publique à retenir. Parce que l’industrie financière est de nature métastatique[8] elle est aussi devenue totalement disproportionnée ( Plus de dix fois le PIB du pays[9]) et engendreuse de chute de productivité globale, sous la forme de rentes, de spéculations ruineuses, d’optimisation de gestion de fonds propres sur base spéculative, de transferts de risques très risqués, de création d’actifs dépourvus de sous-jacents, de bulles, le tout entrainant une confusion totale entre l’acte d’investir ( préparer l’avenir) et l’acte spéculatif (consommer le présent), avec les comportements opportunistes qui s’y rattachent et donc un creusement sans aucune limite des inégalités sociales. Parce que l’édifice financier est devenu gigantesque, opaque et très dangereux il est clair qu’il faut proposer une politique prudente de réduction progressive de son périmètre, ce qui facilitera le transfert progressif de très nombreux, très compétents, et probablement très honnêtes professionnels vers des activités utiles. Pensons par exemple à cette multitude d’ingénieurs qui maitrisant déjà la digitalisation financière serait bienvenue dans la construction des usines 4.0 issues de « l’Evolutive Facility »(EVF) qui se déploient dans toutes les industries et génèrent des sauts très importants de productivité. Des dizaines de milliers d’emplois gaspillés dans la finance font aujourd’hui cruellement défaut aux entreprises industrielles engagées dans la digitalisation des process et les indispensables « jumeaux numériques ». La finance automatisée mobilise largement le même type de compétences que les futures « dark plants »[10]. Bien évidemment il ne s’agit pas de supprimer totalement les métiers de la finance, il s’agit simplement de les contenir et de les réserver à ce qui est directement branché sur l’avenir, donc l’investissement réel. On peut ainsi comprendre, dans certaines limites, le capital-risque, le private equity, les fonds de pension, etc. Par contre il faudra être sélectif et sévère avec les fonds alternatifs et autres hedge funds.

 

Déjà la fin de la dette publique est une réduction considérable du périmètre de la finance puisque cette dette est la matière première de base des jeux financiers.  L’actif sécurisé « bon du Trésor » étant, dans le modèle proposé, en voie de disparition, il va considérablement manquer dans la couverture des transferts de risques, ce qui va en augmenter le coût qui lui-même va automatiquement limiter le périmètre  des activités correspondantes. Spéculer, transférer des risques, doivent devenir trop coûteux et le deviendront réellement avec la disparition du marché primaire de la dette publique. Signalons qu'ils le sont déjà avec la guerre en Ukraine qui a entrainé un supplément de volatilité et une surconsommation de dette publique (jusqu'à 80% d'une position selon la banque de France) au titre de l'appel de marge dans les systèmes de compensation. (

Au-delà il faut compenser les restrictions de jeux financiers  et couvrir tout ce qui doit correspondre à la sécurisation des activités : contrôle des changes et encadrement de la circulation du capital, fin de l’explosive innovation financière, fin des cryptomonnaies et possible monnaie digitale de banque centrale, limites à la spéculation sur toutes les matières premières, limites à la grande mode du « reporting ESG », limites à la financiarisation de l’extra financier, interdiction des rachats d’actions, etc.

 Une façon commode de compenser les restrictions de jeux est par exemple de limiter progressivement les activités de couverture et de financer les déboires correspondants des entreprises à partir des ressources autorisées par la fin de la dette publique. Par exemple si une compagnie aérienne ne peut plus se couvrir à terme sur le coût du kérozène et qu’elle enregistre un manque à gagner, il y aura compensation - encore une fois à partit des ressources engendrées par la fin de la dette publique -  selon des règles à définir. Ces régimes de compensation au titre d’une réduction du périmètre de la finance doivent être mis en place progressivement. La conséquence est aussi la réduction des bulles sur tous les intrants et donc une sécurisation plus grande de l’activité économique réelle. L’idéal serait d’assécher le gigantesque marché des changes, gaspilleur de ressources et d’en revenir à des taux de change fixes avec comme conséquences l’effondrement de la volatilité[11] sur tous les intrants. Là encore la disparition de la dette publique sera un puissant outil d’étranglement des marchés financiers.

Le rétrécissement du périmètre de la finance est bien sûr un redéploiement de l’activité économique vers d’avantage d’auto centrage. De la même façon l’affaissement de la finance devrait également permettre la fin du démantèlement sans limite des entreprises classiques. Ces dernières ne faisant plus que répondre aux exigences d’une finance voulant mesurer la compétitivité de chaque composante voire de chaque service[12]. D’où l’accélération des opérations de découpage pour améliorer la valorisation, la somme des parties valant financièrement plus que le tout. Le rétrécissement du périmètre de la finance sera donc aussi la réduction de la pression sur les entreprises et la réduction consécutive des métiers parasitaires qui ont participé aux catastrophiques révolutions managériales. Pensons par exemple à la gestion des grands groupes d’EHPAD.

Le grand redéploiement doit aussi être accéléré par la réduction de toute la normalisation au service de la finance actuelle et la promotion de nouvelles beaucoup moins nombreuses. Par exemple celles consacrées à la limitation de la mondialisation. Ainsi il faut imaginer un ratio limite pour les contenus en importations des produits et services mis sur le marché. Son non-respect pouvant entrainer des sanctions par exemple sous la forme de limitation des mesures financières de compensation.

Le contrôle des effets pervers de la grande transformation.

Si la grande transformation ne correspond pas à une véritable inflation monétaire - ce que l’orthodoxie appelle la « planche à billets » - il reste quand même une difficulté. En effet la disparition du marché de la dette publique et la mise à disposition des moyens correspondants par la banque centrale est possiblement déséquilibrée en raison du fait que dans le marché actuel il est difficile d’identifier, dans la matière première, c’est-à-dire la monnaie servant aux  achats des banques, ce qui correspond à une épargne, et ce qui, à l’inverse, correspond à une création monétaire pure. C’est la raison pour laquelle la banque centrale devra veiller à ce que sa création monétaire soit significativement inférieure – à priori le volume d’épargne utilisée aujourd’hui par les banques-  au montant des sommes prévues dans les adjudications de l’actuelle Agence France Trésor. Si la banque centrale cesse d’une façon ou d’une autre d’être indépendante il lui faudra quand même assurer le contrôle de l’inflation et donc veiller au contrôle du flux de monnaie vers l’Etat.

 Au-delà, l’un des tous premiers effets du chambardement proposé est évidemment une élévation de la consommation impulsée par la hausse des rémunérations. Certes les rémunérations stratosphériques, plus particulièrement présentes aujourd’hui dans la sphère financière, deviennent mécaniquement plus limitées avec la limitation du terrain de jeu de la finance. De la même façon ces rémunérations en voie d’étranglement progressif ne nourriront plus une épargne alimentant elle-même la spéculation sur les titres et l’immobilier, et donc une inflation sur les actifs financiers et immobiliers. Le grand chambardement proposé est donc moins d’épargne des riches nourrissant, par déversement, des bulles spéculatives. Il est donc aussi un combat contre la déformation des revenus globaux de plus en plus issus d’activités spéculatives et rentières et apparaissant de moins en moins comme la rétribution d’un travail ou d’un investissement.

 Toutefois les hausses de rémunérations sur la foule des emplois de première ligne risquent de peser sur les importations et sur les prix. C’est la raison pour laquelle toutes les mesures de compensations doivent devenir autant d’incitations visant un large processus de relocalisation progressive des activités. D’où l’idée d’une surveillance très étroite du contenu importé de toutes les activités. Avec, si possible, au-delà du processus de compensation, un système d’aides à toutes les substitutions d’importations. On le voit, des réformes structurelles d’une toute autre nature que celles encore envisagées aujourd’hui. L’objectif n’est plus la maximisation d’un PIB comme effet d’une maximisation de la productivité et d’une compétitivité mal assise, mais un auto centrage maximal des activités comme condition nécessaire d’une compétitivité globale.

Peut-on rassembler et mobiliser les outils du projet de grande transformation ?

 Le premier outil est bien évidemment la banque centrale. Peut-on contourner les textes en vigueur sans une dénonciation globale impliquant elle-même la fin de la présente architecture européenne ? Peut-on simplement invoquer une situation exceptionnelle correspondant aux gigantesques contraintes actuelles en matière climatique et environnementale ? Une façon de procéder serait d’appuyer fortement et sans doute de déformer le projet de Monnaie Digitale de Banque Centrale imaginé par la BCE[13]. Négocier sur le périmètre des porte monnaies électroniques et imaginer l’un d’entre- eux porté par les Etats serait une porte d’entrée pour, si possible, aller beaucoup plus loin.

Le second outil correspond au non-respect des règles du grand marché gravement attaqué par les modalités retenues de la dé financiarisation. Cet outil est sans doute plus facilement contournable et l’expérience du marché unique et ses nombreuses dérogations peut laisser un espoir.

Le troisième outil - et de loin le plus important - est celui de la  formation du personnel politico administratif qui  serait le porteur du projet. Si les campagnes électorales n’abordent jamais – strictement jamais, aussi bien en France qu’à l’étranger - les questions financières, c’est sans doute en raison de la difficulté technique et du caractère sensible du problème. La finance est enfouie dans l’Etat profond et aucun parti politique n’a jusqu’ici abordé ces questions très mal maitrisées. Aucun n’est prêt aujourd’hui à l’aborder. Seule la connaissance approfondie de l’industrie financière - une connaissance pas toujours maitrisée par les professionnels eux-mêmes – permettra de comprendre la nécessité de revoir l’architecture financière et la réglementation européenne correspondante. Elle permettra également de concevoir les politiques publiques les plus adaptées à la reconstruction du pays. Dans le cadre d’une campagne électorale il est donc urgent de maitriser les questions techniques liées aux arguments faciles et démagogiques de l’Etat profond et de la population culturellement éloignée qui s’y trouve embrigadée. Il faut donc être intellectuellement équipé pour répondre  aux arguments de l’apocalypse  type :  « planche à billets », « inflation », « Assignats » « ruine des épargnants », « fuite des capitaux », etc.  

Nous tenterons de publier prochainement un papier de réflexion sur la réaction des marchés et sur les stratégies retenues par la finance mondiale dans ce qui sera son combat pour empêcher, voire ruiner, toute tentative de grand chambardement.

 


[1] Un environnement déjà perçu par Günther Anders - bien avant le mouvement écologiste d’aujourd’hui - comme dominé par l’homme et qu’il qualifiait par une expression forte : « le prolétariat cosmique ». Cf son ouvrage : L’humain étranger au monde ; Editions  Fario ;  2023.

[2] De ce point de vue la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) applicable dès janvier 2024 n’apporte que peu de choses en termes de productivité globale. Outre sa mise en œuvre très complexe, elle évoque plus les questions environnementales que la qualité du lien social. La mise en place administrativement coûteuse développera la suspicion à bien des étages de l’entreprise et de son environnement, entreprise  encore davantage exposée à la surveillance financière. Soulignons enfin que la CSRD est aussi un gigantesque marché pour nombre de cabinets de consultants : une véritable aubaine. Il est vrai que la directive liste 1178 indicateurs potentiels.... 

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[4] L’investissement dans la formation est fondamental. Voir à ce propos, l’ouvrage de Xavier Jaravel : « Marie Curie habite dans le Morbihan » ; Seuil ; 2023. En 2022, sur 1.000 euros de prélèvements obligatoires, environ 560 ont financé la protection sociale, avec en premiers postes les retraites et la santé, tirés par le vieillissement de la population. Seulement 90 euros vont à l'enseignement, un montant en baisse de 14% en trente ans.

 

 

[5] Ne mentionnons qu’un seul chiffre : on parle de la création de réseaux pour les énergies renouvelables, ce qui d’après le Think tank « Confrontations Europe » suppose un investissement de près de 600 milliards d’euros d’ici 2030 pour le continent européen, et donc probablement quelque 10 milliards annuellement pour la France.

 

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[7] Cela ne signifie pas nécessairement le passage au « 100% monnaie », c’est-à-dire une capacité à prêter reposant sur des dépôts à hauteur de 100%. Ce point de vue était celui de Maurice Allais de Milton Friedman et avant eux d’irving Fisher. Mais cela ne signifie pas non plus qu’un projet politique de dé financiarisation exclue cette possibilité.

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

[9] Sur la construction du tsunami financier on pourra lire : « l’esprit malin du capitalisme » ; Yves Gomez ; Desclée De Brouwer ; 2010. Ouvrage plus récent, on pourra lire : « Quelle Economie Politique pour la France » ; Yves Perrier et François Eswald ; l’Observatoire ; 2023.

[10] Usines automatisées fonctionnant largement sans opérateurs.

[11] La rentabilité de ce qu’on appelle les « desk matières premières » est d’autant plus élevée pour la finance que la volatilité est forte. Cette volatilité élevée est à l’inverse une gène pour l’économie réelle. Réduire le marché de la finance est donc un avantage pour l’économie.

[12] D’où une surveillance rigoureuse de la finance sur les choix des entreprises dans l’arbitrage   entre le « make » et  le « buy ». Avec toutes ses conséquences en termes de management, c’est -à dire la fin de « l’ére des organisateurs » chère à Burnham au profit des  cadres dévalorisés arrimés à la culture du reporting.

[13]http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

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13 décembre 2023 3 13 /12 /décembre /2023 18:06

Quelques conseils simples pour candidats sérieux aux prochaines élections                        

On ne peut construire un projet sans en connaître le but. Il convient de bien distinguer  les fins et les moyens.

La finalité est probablement commune à tous les candidats sérieux. L’objectif commun est, raisonnablement, de construire une société apaisée par la confiance qui doit lier les différents groupes d’acteurs du jeu social, confiance enracinée dans une sécurité aussi bien intérieure qu’extérieure. La confiance collective est l’humus sur lequel pourra s’édifier un projet.

De cette finalité découle des moyens généraux ordonnés en quelques  points, chacun étant la condition de la bonne réalisation du précédent. Cet ordonnancement se doit pourtant d’éviter l’impression d’un retour impossible vers « l’âge d’or » et doit tenir compte, dans un programme détaillé, de réalités anthropologiques que l’histoire sculpte en permanence : l’avenir ne saurait être un retour vers le passé. Les points qu’il faut articuler sont les suivants :

                                                                               1 - Reconstruction d’une immense classe moyenne aux  prises avec des activités reconnues utiles pour tous. 

                                                                                  2 – Edification d’une base d’appui de la reconstruction autour de 5 blocs : Instruction/Education, Environnement/Ecologie, Santé, Energie, Défense aussi bien intérieure qu’extérieure. Cette édification utilise une matière première dans un ordre juridico-économique à construire.

                                                                                                     3 - L’énormité des moyens matériels à rassembler suppose de sortir radicalement d’une économie de la dette : la masse monétaire et financière ne peut plus augmenter par la seule dette avec ses conséquences en termes de crises financières régulières et ses politiques publiques destructrices appelées « réformes structurelles ». Raisonnablement la finance ne peut occuper une place 10 fois supérieure à l’économie réelle sans qu’on s’y intéresse. Que des candidats refusent d’entrer dans cette réflexion prioritaire et en déduire des actions n’est pas sérieux.

                                                                                             4 - L’industrie financière doit cesser d’être tournée sur elle-même et contre l’économie réelle, elle doit se déployer autour d’une banque centrale cessant d’être indépendante et donc désormais mise au service de la reconstruction. Ne pas voir que la BCE s’est - de par ses opérations de quantitative-easing livrée au sauvetage de la  seule finance n’est pas sérieux.

                                                                                           5 - Les 5 blocs doivent se construire par échanges mutuels, ce qui suppose une économie de marché désormais enracinée dans un projet, et donc  une planification programmée des activités. Mécaniquement,  les échanges entre les 5 blocs reconstruisent par le jeu d’un juridico-économique à choisir, une industrie, une agriculture,  des services privés et publics.

                                                                                            6 - La connexion du chantier avec l’extérieur privilégie le détricotage progressif de l’ordo-libéralisme bruxellois et la coordination croissante avec ce qui pourra apparaître comme une association d’Etats-Nations souverains et, bien évidemment, de culture démocratique. Ne pas voir que les nations sont de retour et ne pas en imaginer les avantages et dangers possibles n’est pas sérieux.

 

Un projet politique sérieux doit détailler ces moyens généraux et en particulier les points 3, 4 et 5. De ce point de vue, il doit questionner l’ensemble des conséquences juridiques et géopolitiques associées au projet. Les fins et moyens susvisés doivent être rassemblés dans un document de campagne aussi bref que possible (moins de 10 pages). La distinction radicale de ce type de  projet avec ceux présentés jusqu’ici très classiquement doit être  dans l’analyse précise de la sur-financiarisation mondiale - pièce maîtresse particulièrement dévastatrice de la France, de son économie, et de sa société -   et des moyens d’y remédier. Le constat  de la sur-financiarisation doit-être présenté de façon compréhensible pour les citoyens, doit être analysé du point de vue de ses conséquences précises, et doit être suivi de la présentation d’un autre avenir possible.

Nous publierons prochainement un texte plus précis sur la dé-financiarisation comme travail indispensable à tout effort de reconstruction du pays.

 

 

                                                          

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7 décembre 2023 4 07 /12 /décembre /2023 18:15

Les Echos du 6 décembre dernier évoquent, page 16, les désaccords des fournisseurs d’électricité relativement à la nouvelle régulation envisagée entre l’Etat et EDF[1]. Dans le langage de ces fournisseurs qui sont majoritairement de simples revendeurs d’électrons  (non produits par leurs soins), on évoque un risque d’éviction, c’est- à- dire une barrière qu’EDF pourrait ériger pour retrouver un monopole sur les grands consommateurs. Toujours selon leur langage, cette barrière qui serait une  entrave à   la concurrence, pourrait être levée si on envisageait une séparation entre un « EDF producteur » et un « EDF fournisseur ». Cela signifierait que l’accès à l’électricité s’opérerait selon les mêmes conditions, que l’on soit EDF ou simple revendeur. Resterait à savoir qui déterminerait ou contrôlerait les coûts et prix du nucléaire accessible aux mêmes conditions pour tous.

Les termes cachés du débat : le côté industrie

Bien évidemment, un tel dispositif supposerait un intérêt évident à ce que les coûts d’accès soient le plus faible possible pour les revendeurs, ce qui signifie concrètement l’accaparement de la rente nucléaire selon des modalités très proches de celles de l’ARENH aujourd’hui. Plus le prix du nucléaire est faible et plus cela favorise les revendeurs sans pour autant les mettre en difficulté vis à vis d'un EDF fournisseur travaillant pour un même cout de la matière première électron.

Inversement, l’intérêt d’EDF producteur serait de vendre plus cher à EDF fournisseur. Si EDF producteur était donc séparé d’EDF fournisseur, l’intérêt global de l’entreprise serait  la maîtrise complète du coût de production du nucléaire dont on sait que le montant dépend très largement de l’éventail des coûts retenus. Un coût du nucléaire incorporant le renouvellement du parc selon les technologies en vigueur ( coût de long terme), n’est pas le même qu’un coût unitaire de court terme.

On voit donc que, derrière le débat sur la séparation d’EDF en 2 unités, il y a tout l’enjeu de l’accaparement de la rente nucléaire. Les revendeurs auraient souhaité conserver la rente sous une forme ARENH, tellement profitable, mais Ils accepteraient les modalités nouvelles si toutefois ils pouvaient contrôler le prix de cession des électrons produits vers les revendeurs dont le revendeur EDF. Bien évidemment, la grande presse n’analyse pas la réalité du débat et se contente de rapporter un mécontentement qui va devenir croissant jusqu’à la transformation de l’accord entre Etat et EDF en loi. Clairement les revendeurs acceptent la disparition de l'ARENH mais veulent un substitut tout aussi avantageux. A l'inverse EDF entend retrouver la liberté classique d'une entreprise industrielle classique et ne veulent plus d'un ARENH source d'une inacceptable prédation au profit de parasites qui au surplus agitent l'idée d'un intérêt général produit par une concurrence non faussée. 

Les termes cachés du débat : le côté finance

Derrière la question que l’on présente comme technique, se profile également une question qui a plus à voir avec la finance qu’avec l’industrie. Il est clair que si les revendeurs ne maitrisent plus une bonne partie de la rente, la fragilité plus grande des prétendues entreprises correspondantes sera intégrée dans le marché de gros. Très clairement l’accès au marché serait plus coûteux car beaucoup plus exigeant en termes d’appel de marge et de collatéral. Une exigence accrue si les fournisseurs devaient s’aventurer sur les contrats de long terme avec partage des risques (CFD ou contrats sur différences). Si rien ne change et si Bruxelles ne vient pas au secours des revendeurs, il est probable qu’un effet de ciseau meurtrier se mette en place : coût d’accès plus élevé que sous le régime douillet de l’ARENH et coût d’accès au marché de gros plus difficile. De quoi être définitivement en difficulté.

 La crise de l’an dernier fût meurtrière pour les revendeurs spéculateurs et nombre d’entre-eux ont disparu (plus d’une dizaine sur un quarantaine). Un paradigme non contrôlé par ces mêmes acteurs pourrait devenir le dernier clou du cercueil.

Se retirer du débat : le côté politique.

Dans cette affaire, il faut comprendre le relatif éloignement de Total Energie. L’entreprise pourra certes perdre un ARENH non négligeable, mais ne perdra rien sur le marché de gros en raison de l’énormité de son poids. Au surplus, elle se doit de rester éloignée de débats qui, risques électoraux obligent, pourraient remettre au goût du jour la fin du très curieux marché de l’électricité et le retour du monopole public. De quoi se faire discret.

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2 décembre 2023 6 02 /12 /décembre /2023 07:02

 

Dans une analyse publiée dans les échos des 25 et 26 novembre, nous sommes alertés par une phrase forte : « L’accord du 14 septembre entre EDF et l’Etat est un accord financier courtermiste entre deux entités criblées de dettes »[1]. Empiriquement, il est difficile de contester la réalité de la dette de l’un et de l’autre de ces deux acteurs, avec y compris un lien entre les deux, la dette d’EDF pouvant exiger une recapitalisation par son propriétaire devenu unique, l’Etat, et recapitalisation ne pouvant s’opérer que par l’accroissement de la dette de ce même Etat.

Par contre, l’auteure n’explique en aucune façon les circonstances qui ont pu entraîner une telle situation. Elle n’explique pas non plus la situation de très grande compétitivité d’un EDF qui pendant plusieurs dizaines d’années va garantir des prix très faibles de l’électricité au bénéfice des consommateurs et des producteurs. Une situation qui sera insupportable aux yeux d’une Allemagne qui ne va jamais tolérer un prix de l’électricité près de deux fois moins élevés en France qu’en Allemagne.  Elle n’explique pas enfin ce passage de l’exceptionnelle efficience au désastre d’aujourd’hui.

L’auteure de l’article n’explique pas et, au contraire, se permet d’affirmer que le problème n’est ni l’ARENH[2], ni le marché européen de l’électricité, ni la croisade antinucléaire de l’Allemagne[3] mais tout simplement l’insuffisante performance de l’outil nucléaire français. Insuffisance là aussi incontestable, mais pour laquelle il faudrait en élucider les causes profondes.

Pourquoi et comment le monopole efficient et bienveillant s’est -il effondré ?  Voilà la véritable question à élucider.

On sait que l’entreprise était un monopole naturel qui, au niveau du seul nucléaire, pouvait bénéficier – à l’inverse de tous les autres pays que compte la planète- des avantages de la grande série (58 réacteurs construits en un eu plus de 20 ans). On sait aussi que le choix de la gestion centralisée est un avantage décisif du monopole pour l’ajustement instantané et sans coûts de transaction de l’offre à la demande.  Là encore il s’agit d’un avantage spécifiquement français. Concrètement nous avions un monopole fonctionnant à rendements continuellement croissants.  D’un point de vue théorique la rente de monopole dans un contexte de service public peut se décliner en choix multiples : cession d’une partie de la rente en termes de prix de vente faible au profit des consommateurs et des entreprises, cession en termes d’avantages sociaux, cession en termes d’intérêts redistribués à la finance par le biais de l’endettement et, le cas échéant, cession en termes de profit pour l’Etat. Il n’est donc pas anormal de produire des résultats comptables différents que ceux normalement attendus d’une entreprise classique sur un marché classique. Le monopole est là pour redistribuer la rente  selon le choix des politiques publiques.

Sans la déréglementation du marché de l’énergie (directive européenne du 19 décembre 1996, mais aussi directives du 26 juin 2003, mais encore loi NOME du 7 décembre 2010, mais enfin le décret 2012-465 portant sur l’application de l’ARENH à compter du 1er juillet 2011), EDF aurait pu - comme par le passé- redistribuer sa rente de monopole. Ce qui va gêner EDF sera d’abord d’apprendre dès la fin de la construction du parc nucléaire (1999), qu’il va perdre sa mission de service public tout en devant continuer à redistribuer la rente nucléaire. Surtout, il va rapidement apprendre que de nouveaux invités seront conviés au partage de la rente : les fournisseurs d’électricité. Ces derniers à partir du 1er juillet 2011 vont bénéficier de 25% de la production nucléaire de l’entreprise pour un prix très avantageux (42 euros/MWH). Alors que la redistribution de la rente pouvait se justifier dans le cadre d’une mission de service public, on voit mal en quoi la redistribution à des fournisseurs dont la plupart n’ont aucune connaissance de l’industrie de l’électricité est éthiquement justifiable. Du point de vue du dirigeant d’EDF, la chose est même extraordinairement grave puisque, concrètement, l’ARENH consiste à céder la production de l’entreprise à de futurs concurrents qui eux-mêmes n’auront aucune obligation d’investir dans l’industrie. La rente douillette est davantage propice aux frissons et joies du trading sur le prix de l’électricité qu’à l’affrontement des rigueurs industrielles. Plus crûment exprimé on comprend mal que les dirigeants EDF n’aient pas offert leur démission à l’Etat propriétaire devenu lui-même délinquant.  Le personnel politico-administratif a -t-il le droit d’organiser la prédation d’une entreprise restée très largement propriétaire de la nation ? Dans le contexte de la crise de 2022, cette prédation s’est montée approximativement à 20 milliards d’euros[4].

Plus difficile à comprendre est sans doute l’abandon des projets et des recherches dans le domaine du nucléaire (fin d’Astrid, décision de l’abandon du nucléaire civil, fermeture programmée dès 2011 de 17 centrales nucléaires en Allemagne, etc.), avec comme conséquence gravissime l’évaporation à long terme des compétences correspondantes. Cet abandon, d’abord peu visible au début des années 2000, s’est gravement matérialisé en 2022 avec l’arrêt de production de plus de la moitié du parc. Bien évidement cet arrêt a considérablement ajouté aux difficultés engendrées par la crise. Concrètement nombre de fournisseurs d’électricité ont abandonné une clientèle, obligatoirement récupérée – service public oblige- par un EDF aux capacités de production diminuées….obligeant le producteur historique, EDF, à payer le prix fort sur le marché de gros ( jusqu’à 600 euros/MWH). Après avoir couvert les fournisseurs de cadeaux, il faudra payer le prix de leur irresponsabilité…

Oui, les résultats comptables d’EDF sont devenus tragiques. Alors que l’endettement était déjà élevé au début des années 2000 ( ratio calculé sur la base des fonds propres de 58% en 2002) il passe à 140% en 2022. Rappelons que dépasser un ratio de 40% en entreprise classique est déjà considéré comme dangereux.

L’accord financier du 14 septembre est certes courtermiste, mais il est bien davantage un accord entre un aveugle, L’Etat, et un paralytique : EDF. Plus précisément c’est l’aveugle qui n’a pas vu les conséquences dramatiques de l’irruption d’un marché de l’électricité, et qui a décidé de briser l’entreprise qui l’avait tant aidé durant les 50 premières années de son existence.

L’histoire funeste de l’aveugle et du paralytique va hélas se poursuivre et l’on voit déjà le Sénat qui veut lancer une commission d’enquête - une de plus- sur le prix de l’électricité (décision le 13 décembre prochain) et une UE qui veut investir 584 milliards d’euros pour les seuls réseaux….au profit de la bonne circulation des électrons devenus marchandises….Rappelons qu’avant de faire circuler il faut produire et soulager le paralytique. Rappelons aussi au Sénat qu’il fut un acteur ayant participé au vote de la loi NOME et de son décret faisant naître l’ARENH.

 

 


[1] Texte rédigé par Cécile Maisoneuve, présidente de Décysive, texte  publié dans les pages « idées » des Echos et ayant pour titre : « Nucléaire : en finir avec l’exceptionnalisme » .

[2] Accés régulé à l’énergie nucléaire historique.

[3] On pourra lire à ce sujet le « Rapport d’Alerte » de juin 2023 publié par l’Ecole de Guerre Economique, en particulier les pages consacrées aux activités de la fondation allemande Heinrich Böll.

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/11/prix-de-l-electricite-un-peu-de-lumiere-dans-un-ocean-de-bavardages.html

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23 novembre 2023 4 23 /11 /novembre /2023 09:00

Le débat sur l’annulation de la dette publique se concentre essentiellement sur la partie de la dette achetée par les banques centrales. Et précisément c’est parce que cette dernière est devenue importante dans le total de la dette (30% pour la zone euro et 60% de son accroissement depuis 2008) que le regard s’est porté sur les banques centrales. L’idée consiste à considérer que ces dernières pourraient d’elles-mêmes ne pas présenter au Trésor les bons à échéances qu’elles détiennent et d’accepter l’effacement de leur valeur.

Ce débat déjà abordé dans un article précédent[1] prend de l’ampleur avec la montée des taux sur le marché obligataire dans un moment où l’inflation semble reculer. La croissance en valeur du PIB (croissance calculée sur la base des prix courants, donc compte tenu de l’inflation) restera faible dans le futur en raison d’une possible récession. Dans le même temps les taux sur la dette publique demeurent élevés ( environ 3,5% sur la période 2022-2027), et deviennent possiblement supérieurs à la croissance économique. Cela signifiera qu’il faudra faire face à un service de la dette croissant plus rapidement que la croissance réelle. De quoi aboutir à un étranglement budgétaire et donc des dépenses publiques qu’il faudra museler au risque d’aboutir à la chute de la demande globale et donc aggraver les tendances sécessionnistes.

Face à ce constat le débat sur l’annulation est relancé et l’on voit le monde de la finance se lever pour une fois de plus considérer que les banques centrales ne doivent pas  être la béquille des Etats. A ce titre on en déduirait que l’annulation de la dette publique signifierait nécessairement la recapitalisation des banques centrales. Tel est en particulier ce qu’on peut lire dans les Echos du 18 novembre dernier[2]. Curieusement l’article cité prend appui sur l’idée que les banques centrales sont des filiales des Etats et qu’il faut considérer la consolidation des comptes : ce que les Etats vont gagner en s’allégeant de leur dette envers les banques centrales, ils  vont le perdre en recapitalisant les dites banques et ce pour un même montant.

Il est amusant de voir que les adeptes de l’indépendance des banques centrales considèrent ces dernières comme de simples filiales. Ce fût certes historiquement le cas et ce fût la solution au financement des guerres du vingtième siècle, sans le souci d’une recapitalisation. Ainsi personne ne se posait la question de la recapitalisation de la Banque de France entre 1914 et 1918 lorsque celle-ci finançait directement un Trésor dépensant chaque année 30 mois de recettes fiscales du temps de paix. Le déficit était un actif de la banque de France et sa contrepartie -  après les dépenses publiques, notamment celles permettant de fabriquer des armes -  se retrouvait au passif de la même banque de France sous la forme de monnaie fiduciaire. Donc pas de passif exigible… les porteurs de billets ne demandant pas le remboursement en billets… Pas de déséquilibre comptable pas de pertes et bien sûr pas de recapitalisation au demeurant impossible.

Beaucoup plus tard, notamment  avec les dividendes de la paix,  le modèle métastatique du système financier avait besoin de l’indépendance des banques centrales, pour faire de la dette publique une dette de marché garantissant l’envol d’une finance devenue débridée. Désormais la dette publique devient une opportunité de marché, d’abord par la rente offerte sur un actif sans risque, ensuite par le caractère de collatéral du dit actif. Nous renvoyons encore ici à l’article précédent[3].

Quand va-t-on enfin admettre et déclarer haut et fort que les banques centrales sont des institutions bénéficiant d’une situation de non exigence de passif ? Déclarer l’inverse et utiliser la grande presse pour évoquer une menace inexistante n’est probablement pas une erreur, mais bien plus certainement un délit consistant à profiter de la méconnaissance des personnes pour pérenniser un système éthiquement condamnable.


[2] Cf l’article d’Olivier Klein : « Annulation de la dette publique : fausse solution et vrai danger » page 12.

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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 14:20

Depuis plusieurs jours des journalistes exposent l’accord entre le gouvernement et le président d’EDF. Ils reconnaissent eux-mêmes la difficulté à entrer dans la compréhension de l’accord, parlent de « mécanisme alambiqué » ou de « trop grande complexité ». Ils évoquent la rente nucléaire sans savoir de quoi il s’agit, s’étonnent de la non- participation des fournisseurs alternatifs ou des propos peu transparents concernant les futurs rapports entre EDF et ces mêmes fournisseurs alternatifs, etc.. Globalement un accord qui laisse chacun dans l’interrogation en particulier les industriels qui aimeraient pouvoir en savoir davantage sur le coût de leurs intrants.

Pour y voir plus clair, nous proposons un petit modèle tiré de la théorie de la rente foncière exposée voici 2 siècles par l’économiste Ricardo, auteur bien connu de tous les étudiants en économie. Nous tenterons de montrer dans ce qui suit en quoi l’électricité et son prix peut être saisi à partir de ce qui était naguère les contraintes agricoles exposées par Ricardo.

Supposons 3 catégories de terre, la première connaissant un coût complet de production d’une unité de blé pour une dépense de 20 unités monétaires, la seconde moins productive pour une dépense de 40 unités monétaires et la troisième encore plus difficile pour une dépense de 60 unités monétaires. Logiquement? la seconde terre ne sera exploitée que si le prix unitaire du blé atteint les 40 unités monétaires, soit son coût de production. De la même façon la troisième terre ne sera mise en exploitation que si le prix du blé atteint les 60 unités monétaires. Le prix de marché étant unique, nous constatons un phénomène de rente pour la première terre, d’abord de 20 unités si le prix de marché atteint les 40 unités, puis de 40 unités si ce même prix atteint les 60 unités. C’est ce que David Ricardo appelait la rente différentielle, un surprofit résultant de l’efficience relative de la première terre. Observons aussi que, sur le marché, le prix correspond au coût marginal c’est – à -dire le coût supplémentaire pour produire une unité supplémentaire de blé.

Lorsque les 3 terres sont en exploitation, nous constatons une production de 3 unités de blé pour une dépense de 60X3= 180 unités monétaires, dépense autorisant une rente de 20+40= 60 unités monétaires. Si l’on raisonne rationnellement, un monde idéal et non réel, on pourrait théoriquement produire 3unités de blé pour un coût de 20+40+60= 120 unités monétaires, soit un prix unitaire de 40 unités monétaires. Dans ce cas il faudrait subventionner les producteurs de la terre la moins fertile et considérer que le prix de vente n’est plus égal au coût marginal. Le type d’organisation agricole correspondant à cette réalité serait un monopole bienveillant, ou une nationalisation à des fins d’intérêt public. Et dans ce type d’organisation on constate que la rente est partiellement redistribuée, notamment au bénéfice des consommateurs qui ne paient plus 60 unités monétaires mais seulement 40 pour une unité de blé.

Cet exemple nous sert d’éclairage pour comprendre ce qu’on appelle encore le marché de l’électricité et le fameux coût marginal dont on disait l’an dernier qu’il était, hélas, le prix annonciateur de la catastrophe énergétique….

Supposons en comparaison 3 catégories de centrales inégalement productives, ce qui est bien sûr le cas de la réalité concrète. Logiquement si l’électricité est assortie d’un simple prix de marché, ce dernier se fixe sur le coût marginal et par conséquent, comme pour la terre, le marché de l’électricité est porteur de rente. Il est pourtant plus complexe que le marché du blé car, à l’inverse de ce dernier, il n’y a pas de stock possible et il est strictement nécessaire d’ajuster, à la seconde près, l’offre à la demande, égalité stricte qu’il faut maintenir malgré les fluctuations des consommations. Cette exigence est encore plus difficile à tenir si les divers producteurs ne sont pas tous équipés des mêmes capacités de flexibilités productives. Ainsi il faut accorder, (mais à quel prix et à quel titre ?) une priorité aux producteurs d’énergies renouvelables et imposer aux autres (mais à quel prix et à quel titre ?) un effacement de production…lorsqu’il y a beaucoup de vent ou de soleil. Le marché de l’électricité est donc une affaire beaucoup plus complexe que celui du blé : il exige une interaction entre les centrales et leurs managers ce qui n’est pas le cas des exploitants agricoles.

La spécificité de l’électricité fut aussi à l’origine en France de la construction d’un modèle réglant l’ensemble des difficultés y compris celle de la rente. Ce modèle est celui de la centralisation complète permettant une unité de direction et surtout la redistribution de la rente. Concrètement il s’agit d’EDF dans sa forme initiale, celle qui se déploiera entre 1946 et le début du vingt et unième siècle. EDF fera mieux que les agriculteurs qui sont en compétition et – reprenant notre exemple – produirons 3 unités de blé pour une dépense de 180 unités monétaires alors que rationnellement ils pouvaient produire autant pour seulement 120 unités monétaires.

Bien évidemment, on pouvait imaginer un prix de marché avec un monopole récupérant l’intégralité de la rente : Le prix se fixant sur la dernière unité, techniquement la moins efficiente, et donc sur le coût marginal. On pouvait ainsi imaginer un monopole prédateur et édificateur de rente : au plus le monopole se fait paresseux en termes d’efficience, au plus son coût marginal est élevé et au plus sa rente de monopole augmente…. Le résultat historique fur l’inverse, la centralité permettait l’efficience et la rente fut de plus en plus redistribuée, ce que ne peuvent faire les agriculteurs en concurrence dans notre modèle. Une redistribution allant jusqu’à devenir saignée avec le dispositif ARENH de 2011.

La centralité est aussi celle qui a permis l’édification d’un parc nucléaire jusqu’ici inégalé dans le monde... En sorte que par comparaison avec notre petit modèle agricole tout se passait comme si EDF pouvait élargir sans cesse les dimensions de la terre n° 1, la plus productive, et donc élargir la rente correspondante. De quoi par conséquent construire une rente considérable à redistribuer sous la forme de prix très bas de l’électricité, et un prix administrativement décidé, donc un prix qui n’est pas issu d’un marché. De quoi aussi, par conséquent entrainer une inquiétude allemande qui, par le biais des institutions européennes, arrivera à briser le modèle français afin de faire monter le prix de l’électricité. Une destruction qui fut d’abord  celle de la casse des capacités industrielles par disparition des savoirs et savoirs faire : EDF n’est plus aujourd’hui en état d’élargir une rente à redistribuer au nom d’un intérêt public et ne pourra pas avant de très longues années mettre en activité de nouvelles centrales.

Globalement avant les accords du 17 octobre (niveau européen) et du 14 novembre (niveau français) la rente nucléaire EDF se répartissait en fonds perdus par la chute de la production (la meilleure terre produit beaucoup moins et donc produit moins de rente), une chute estimée à 130TWH, en subvention ARENH ( 120 TWH)  et en achats à des coûts marginaux augmentés par la spéculation , donc des prix ahurissants au cours de la crise de 2022 (jusqu’à pour certaines journées 600 euros/MWK). Ces derniers sont difficilement évaluables. Sur la base d’un prix actuel d’environ 90 euros/MWH les sommes perdues se montent à environ 20 Milliards d’euros côté ARENH (90-42) X 120,) et 11,7 milliards côté perte de production. Soit environ une perte correspondant approximativement à 25% du chiffre d’affaires. En cumulé, de quoi comprendre les dettes abyssales et pertes d’EDF.  Ces chiffres sont très approximatifs mais expriment l’importance de la ponction provoquée par une politique publique scandaleuse jusqu’ici insuffisamment connue.

Les accords du 17 octobre et du 14 novembre ne font pas disparaître les prix de marché et donc un prix aligné sur le coût marginal, soit par conséquent une absence de redistribution de rente au profit des usagers. Ils ne vont pas non plus faire disparaitre les gigantesques spéculations financières sur la matière première électricité, une matière première que l’on retrouve dans nombre de produits financiers.

Par contre, ils annoncent la relative fin de la saignée d’EDF. La ponction de l’ARENH va disparaître et EDF pourra vendre librement au prix de marché en captant partiellement la rente provoquée par un prix à proximité du coût marginal. Les fluctuations aberrantes du coût marginal seront partiellement gommées par des contrats de long terme librement négociés avec les utilisateurs. Il est ainsi prévu des contrats de 10 années au profit de 150 clients électro-intensifs soit environ 2TWH. De quoi mettre en place des stabilisateurs dans la tempête des prix agités par les questions géopolitiques et la finance. EDF est donc appelé à récupérer dès 2025, la rente injustement perdue et à profiter d’un coût marginal lui-même encore élevé par une  rareté de l’électricité politiquement organisée depuis plus de 20 ans. Cependant cette possibilité de jouer le jeu du marché sera contenue par l’intervention de l’Etat qui s’invitera au partage de la rente. Au-delà d’un prix d’environ 70 euros/KWH l’Etat va taxer ce qu’il appelle le surprofit (la rente EDF). Le produit de cette taxation sera redistribué selon des modalités encore non établies aux utilisateurs victimes d’une tarification qui restera celle du coût marginal, lui -même victime de la spéculation internationale et des questions géopolitiques.

L’électricité restera dans l’ordre du marché, mais EDF retrouvera progressivement de quoi récupérer une rente que naguère elle redistribuait dans le cadre d’une mission de service public. L’accord ne dit rien des fournisseurs alternatifs qui absorbaient goulument l’ARENH ( 20 milliards d’euros). Ces mêmes accapareurs, on le sait aujourd’hui, se sont rarement comportés en entreprises investisseuses et se contentaient souvent d’un « biberon de rente EDF ». En dehors de quelques cas particuliers comme Total et Engie , leur paresse a contribué à la rareté de l’électricité. Manifestement, sauf à imaginer une très forte hausse du prix de marché, les fournisseurs alternatifs vont devoir se transformer en entreprises réelles sauf à disparaître. Pour ces fournisseurs alternatifs le métier sera moins la spéculation, voire la fraude sur l’ARENH arrachée à EDF, et davantage une activité réellement industrielle.

Retour de vrais industriels chez EDF où les dirigeants ne seront plus des marionnettes conscientes du sale boulot qui leur était assigné. Retour d’EDF qui après avoir fabriqué l’avenir avait dû accepter le chemin de l’autodestruction. Passer d’un présent occupé à détruire le passé à un présent constructeur d’un futur raisonnable ne sera pas facile, mais une page très négative est peut-être à jeter aux orties.

 

 

 

 

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